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Donner des sous aux projets libres suffit-il à les financer ? Décryptualité du 07 janvier 2019

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Christian - Luc

Titre : Décryptualité du 07 janvier 2019 - Donner des sous aux projets libres suffit-il à les financer ?
Intervenants : Christian - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 7 janvier 2019
Durée : 15 min
Écouter ou télécharger le podcast
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Money dollars, pngimg.com - Licence Creative Commons 4.0 BY-NC
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

En ce début d'année, la question des dons aux projets libre est évoquée dans la presse. Si les dons demeurent utiles, que pèsent-ils face aux dizaines de milliards de bénéfices des GAFAM ? Le financement du Libre comme bien commun n'est pas qu'une question de générosité mais un enjeu Politique.

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine une. Salut Christian.

Christian : Salut Luc.

Luc : Nous ne sommes que tous les deux puisque Manu et Magali ont décidé de prolonger leurs vacances.

Christian : Et Aeris a beaucoup de travail.

Luc : Nicolas, oui. Il n’y a pas de revue de presse ?

Christian : Oui, ce sont les vacances !

Luc : Donc il n’y avait pas grand-chose.

Christian : Par contre il y a un sujet très d’actualité !

Luc : Qui est celui des étrennes. Du coup tu as fait ta propre revue de presse, ta propre sélection d’articles qui parlent de « donner des sous au Libre » et c’est de ça dont on va parler aujourd’hui.

Christian : Effectivement. C’est un sujet qui revient dans plusieurs journaux, dans plusieurs articles. Typiquement ZDNet, un article titré « Logiciel et connaissances libres : pour les dons, c’est maintenant… et toute l’année »1, par Thierry Noisette.
Ils ont un autre article qui s’appelle « L’Union européenne finance la chasse aux bugs dans 15 logiciels libres»2.

Luc : Par Thierry Noisette également.

Christian : Il y a dans developpez.com, « Richard Stallman : la Free Software Foundation a reçu deux dons d’un million $ chacun. Ce qui permettra de continuer à promouvoir le logiciel libre »3, par Jonathan.
Et dans numera.com il y a « Mozilla souhaite doubler son aide financière à l’égard du logiciel libre »4, par Julien Lausson.

Luc : LinuxFrégalement.

Christian : On peut citer aussi linuxFr ; Benoît Sibaud nous fait un article assez complet sur le sujet du don aux projets libres5. On peut citer aussi la question qui était posée dans un article de Le Monde sur la problématique du financement des projets libres.

Luc : Cette saison tout le monde demande des sous, toutes les associations, associations de l’informatique libre d’une part et, dès alors qu’on est sensible à d’autres sujets, on sait bien qu’on est sollicités de toutes parts. Du coup il y a ce côté un petit peu embêtant, c’est que d’un côté on a envie de bien faire et de l’autre on sait qu’on ne peut pas donner à tout le monde et qu’on doit se fixer une limite. Ça a un côté un petit vain cette histoire-là, en tout cas c’est l’impression que ça donne.

Christian : La question qu’il convient de se poser, c’est pourquoi financer les logiciels libres ?

Luc : Pourquoi ? Parce que dans le logiciel libre, il y a plusieurs univers. Il y a des gens qui vont, notamment dans le milieu professionnel, être payés pour ça dès lors que leur entreprise trouve un intérêt à le faire. Mais il y a énormément de développeurs qui sont des bénévoles ou quasi bénévoles, qui travaillent avec très peu de moyens et forcément, d’un point de vue purement matériel, quand on est une poignée de gens qui bossent sur leur temps libre et qu’on est confronté à un logiciel propriétaire où il y a 100 ou 150 développeurs qui travaillent à plein temps dessus, il y a un moment où on arrive à une limite, nécessairement. Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut pas compenser ça.
Il y a également des développeurs de logiciels qui servent aux professionnels et qui sont des bénévoles.

Christian : Et même, il y a des parties entières de l’économie, des entreprises, qui reposent sur des logiciels. Typiquement Open SSL, par exemple, qui a fait vraiment l’actualité en 2014 parce qu’il y avait une faille qui mettait en danger tous les sites web et qui est, lui, développé par une fondation qui n’a pas beaucoup de moyens. Tellement peu de moyens que le responsable de la fondation a indiqué que la faille venait du fait qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour mettre plus d’une personne pour s’occuper du projet alors qu’il y avait beaucoup de travaux à faire.

Luc : Suite à cette affaire il y plein de boîtes qui ont mis de l’argent pour qu’ils aient les moyens de bosser. Mais, à côté de ça, il y a plein d'autres logiciels qui sont développés par des gens dans leur coin, qui ne sont pas nécessairement payés.

Christian : Tout ça crée une distorsion, une grosse distorsion parce que, du coup, les entreprises qui développent, qui ont des moyens et qui développent des logiciels avec des grosses équipes, eh bien ces logiciels ne sont pas forcément libres et donc vont prendre la place, vont s’insérer, vont enfermer les utilisateurs et ça crée une distorsion qui se retourne contre les utilisateurs.

Luc : Les GAFAM, donc Google, Amazon, Facebook, Microsoft, sont assises sur des centaines de milliards.

Christian : Oui. Les chiffres sont assez hallucinants. Apple, pour le dernier exercice fiscal, attendez, juste sur une année, le bénéfice est de presque 60 milliards de dollars !

Luc : Et on parle de bénéfice !

Christian : Oui, le bénéfice. C’est-à-dire l’argent qui rentre dans la poche après toutes les dépenses. Google, en 2017, a fait un bénéfice de 26 milliards de dollars. Ce qu’il faut savoir c’est que Google a 100 milliards de dollars en cash dans sa tirelire. Microsoft ils sont, en 2018, à 16 milliards de dollars. Il se trouve qu’ils ont aussi donné 13 milliards de dollars pour une taxe au passage, mais sinon ils avaient 30 milliards de bénéfice.

Luc : Ces entreprises-là ont tendance à stocker leur argent en dehors des pays et notamment des États-Unis pour ne pas payer d’impôts. On a le même problème en France, notamment au niveau d’Apple qui se fait houspiller par Attac pour qu’ils payent leurs impôts, mais ce ne sont pas les seuls à faire de l’esquive.

Christian : Et Facebook était aussi à hauteur de 16 milliards. Donc là on est face à des montants phénoménaux. J’ai envie de parler de tsunami financier ! Une puissance d’argent phénoménale ! Avec ça ils pourraient embaucher tous les informaticiens de la planète, sans problème. Du coup il y a une disproportion de moyens par rapport au développement parce que cet argent ils vont le mettre quelque part, ça va aller quelque part et ils vont s’en servir à quoi ?

Luc : On n’en sait rien. Peut-être juste à payer leurs actionnaires pour devenir très riches. Moi, ce que je trouve intéressant là-dedans, c’est que ces milliards ce sont les nôtres au final. Si on met de côté Apple où, effectivement, il faut acheter des produits Apple pour enrichir Apple, on a le choix, mais sur le reste : Facebook fait du pognon avec les données des gens et en vendant de la publicité. Google, même chose. Microsoft vend aux entreprises et dans toutes les boîtes où on bosse c’est quand même très difficile d’y échapper. Donc, qu’on le veuille ou non, on est dans le système. Notamment sur toutes les boîtes qui fonctionnent avec la pub, la pub on la paye tous. Même si on ne la regarde pas, même si on n’est pas sur Facebook, même si on n’a pas de compte Google, etc., quand on va acheter nos nouilles au supermarché le vendeur de nouilles a payé un budget pub et son budget pub est intégré dans le prix de son produit. Il suffit que les gens croient au système et que suffisamment de gens rentrent dedans pour qu’on paye tous. Donc d’un côté on a du Libre qui est en train de vivoter avec beaucoup de développeurs bénévoles et de l’autre côté notre argent, parce qu’on ne contrôle pas, parce qu’on est dans un système économique sur lequel on n’a pas la main, va dans les caisses de ces boîtes qui nous enferment et qui sont dans une logique d’asservissement numérique.

Christian : Oui, mais les GAFAM ne font-ils pas de l’open source ?

Luc : Mais oui ! Et c’est là que c’est terrible c’est que les GAFAM n’existeraient pas, hormis peut-être Microsoft qui, finalement, a changé son fusil d’épaule.

Christian : Microsoft a reconnu qu’il ne pourrait pas survivre sans faire de l’open source.

Luc : Oui, parce que le contexte a changé. Mais il n’y aurait pas de Google, il n’y aurait pas de Yahoo, même s’ils sont en train de se planter, il n’y aurait pas d’Amazon, il n’y aurait pas de Facebook sans logiciel libre.

Christian : Pourquoi ?

Luc : Parce que s’il avait fallu qu’ils payent une licence propriétaire pour chaque base de données et pour chaque système d’exploitation de serveur qu’ils déploient, ça n’aura jamais été possible de décoller et aujourd’hui, de toute façon, ils ne seraient pas rentables. Et, par ailleurs, ils ont besoin de bidouiller, donc de mettre les doigts dedans parce qu’ils font des trucs très compliqués. Et le Libre leur offre ça.

Christian : Et ils ont compris tous les avantages du logiciel libre.

Luc : Parce qu’ils collaborent entre eux.

Christian : Voilà. La mutualisation des coûts, c’est presque beau ! Sauf que !

Luc : C’est intéressant. Quand on parle du capitalisme et tout ça en disant « ils sont là, ils veulent le pognon », eh bien ils savent très bien travailler ensemble. Ils ont cette intelligence ; il faut leur reconnaître. Et au final, les gens les moins intelligents là-dedans, ce sont ceux qui seront enfermés dans ces systèmes-là qui, eux, ne bénéficient pas de tous ces atouts. Tout le principe, s’ils veulent faire de l’argent, c’est d’enfermer les utilisateurs pour pouvoir en extraire un maximum d’argent.
J’utilise cette petite formule un peu provocatrice en conférence de temps en temps : « le logiciel libre c’est le logiciel qui est trop bien pour vous parce que tout est fait pour que vous n’en bénéficiiez pas, que vous ne bénéficiez pas des intérêts correspondants ».

Christian : Donc ils ont basé leur développement sur du logiciel libre, mais leurs clients, leurs utilisateurs, parce qu’il y a des utilisateurs qui ne sont pas clients, eux n’ont pas droit à du logiciel libre !

Luc : Eux non !

Christian : Ils sont face du logiciel privateur.

Luc : À des services et des logiciels propriétaires.

Christian : À des services privateurs, c’est quand même fou !

Luc : Oui, et c’est là où on se dit qu’on est dans un système malheureux, enfin dans quelque chose qui ne tourne pas rond. On devrait, au contraire, être maîtres de tout ça. Derrière ce n’est pas juste une question de gros sous, enfin les gros sous c’est du pouvoir derrière. Si on prend la situation en Chine avec la surveillance sociale et la notation sociale, ça passe par un système qui est entièrement contrôlé. Il y a deux applis de paiement qui intègrent des réseaux sociaux, il y a Alipay et Weechat. Le gouvernement chinois contrôle tout ça et le système est devenu implacable. Donc parce qu’il n’y a pas d’alternative, eh bien aujourd’hui les Chinois sont pieds et poings liés par ce système numérique qui commence à les empêcher de voyager, à faire ceci, à faire cela.

Christian : Et ils ne peuvent pas en sortir. C’est fini !

Luc : Non ! C’est fini, il n’y a pas d’alternative et c’est typique de ce genre de système de surveillance c’est que si on refuse d’y être, même si on a la liberté de le faire, on est immédiatement catalogué. D’une part on n’a plus accès à plein de choses, donc on est hors du monde, et on a une grosse étiquette sur le dos c’est : je suis hors système.

Christian : Donc une dépendance totale. Plus d’indépendance.
Benjamin Bayart, un orateur du Libre talentueux, cite souvent ce sujet pour dire que ce n’est pas grave que les gens aillent dans Facebook, utiliser les services de Google ; ils découvrent et puis un jour ils vont s’apercevoir que ça ne leur convient pas parce qu’ils sont espionnés, ils sont monétisés, leurs données leur sont « volées » entre guillemets et un jour ils voudront sortir de ce système. Benjamin Bayart, dans l’une de ses conférences, disait que ce dont il avait très peur c’est que le jour où les gens voudront en sortir eh bien ils ne pourront plus parce qu’il n’y aura plus d’alternative. Donc c’est très important et c’est ce qu’il martèle : il faut continuer à développer des alternatives, donc développer du Libre et pour pouvoir développer du Libre eh bien il faut quoi ?

Luc : Eh bien, il faut des sous, il faut des moyens et il faut des gens qui travaillent dessus. On l’a dit donner aux projets libres, c’est super, c’est vraiment super bien, mais quand on fait la balance entre les quelques dizaines ou centaines d’euros qu’on peut donner et les budgets colossaux que les GAFAM peuvent aligner, on se dit que c’est un petit peu perdu d’avance, donc il faut peut-être essayer de réfléchir à des systèmes alternatifs et peut-être institutionnels. Dans ta sélection d’articles, il y avait l’Europe.

Christian : Absolument, qui est consciente du fait qu’il y a des projets libres qui sont des biens communs utiles à tous et qu’il faut les entretenir, les soutenir. Donc financer, par exemple, la recherche de bugs dans ces logiciels qui sont des biens communs et qui vont être améliorés, mais pas améliorés pour une entreprise ou pour un secteur, pour tout le monde.

Luc : Voilà ! C’est comme une sorte d’infrastructure numérique ; les routes sont publiques, elles sont financées par l’impôt, tout le monde en bénéficie et si on n’avait pas de routes ce serait le bordel. Il y a toujours des trucs entre le privé et le public, je pense aux autoroutes par exemple, mais il y a cette reconnaissance de dire que c’est quelque chose d’intérêt public et qu’on a intérêt à maîtriser avec cette idée de bien commun. J’aime bien faire le puriste et parler de bien public dans le cas des données.
On pourrait imaginer aussi, ce n’est pas dans l’article, mais on pourrait imaginer que l’Europe, par exemple, se dote d’une fiscalité qui permette de ponctionner ces entreprises privatrices, tous les GAFAM, etc., qui gagnent des milliards et qui sont très forts en évasion fiscale, pour financer une informatique dont on soit maître et dont on ne soit pas prisonnier.

Christian : Pour l’instant ils essayent de récupérer de l’argent auprès de ces grands groupes.

Luc : Et c’est compliqué !

Christian : Pas forcément pour faire du logiciel libre derrière, mais ils essayent déjà, un petit peu.

Luc : On sera tout à fait légitime à dire : on vous ponctionne, vous êtes dans un système où vous arrivez à enfermer les utilisateurs, de privatisation, en générant, et Benjamin Bayart pourrait en parler, des déséquilibres dans Internet puisqu’on a des gros centres comme les YouTube et les machins, du coup ça va un peu contre le fonctionnement « naturel » d’Internet, enfin naturel entre guillemets.

Christian : On peut aussi citer une des actions de l’Union européenne qui cherche à créer des alternatives, puisqu’elle a financé une partie de Qwant.

Luc : Oui, qui n’est pas libre ou partiellement, mais ils disent qu’ils vont faire.

Christian : Pas encore ! Pas encore ! Peut-être.

Luc : On les attend. Souvent ils disent « on arrive, on arrive ! » On espère qu’ils arrivent. Il y a un truc que je fais c’est que je me fais offrir du logiciel libre pour mon anniversaire.

Christian : Un cadal !

Luc : J’aimerais un jour peut-être, si on a le temps, en faire un projet pour motiver les gens à faire la même chose. J’ai remarqué que souvent, pour mes anniversaires, les gens qui viennent ne veulent pas venir les mains vides, c’est naturel, ils ne savent pas trop quoi m’offrir, en plus je suis un peu chiant parce que je ne suis jamais content de rien. Donc plutôt que de me retrouver avec un bouquin que je ne vais pas lire parce qu’il n’est pas super intéressant et que quelqu’un l’a ramené parce que c’était rigolo, etc. – j’ai un bouquin dans ma bibliothèque qui s’appelle L’Art de péter par exemple ; je l’ai ouvert, j’ai lu trois pages, c’est sans intérêt – eh bien je dis : « Offrez-moi plutôt du logiciel. Il y a plein de logiciels que j’utilise et si vous voulez me faire plaisir, donnez des sous à ces projets que j’utilise quotidiennement et ce sera un bien meilleur usage de cet argent et ce sera un vrai cadeau, un cadeau à d’autres aussi. » Du coup cet argent est bien mieux employé que d’acheter une connerie en plastique et faite en Chine ou un truc comme ça.

Christian : Ce que tu proposes c’est assez merveilleux parce que, du coup, là on sait qu’avec un tel cadeau on te fait vraiment plaisir, mais, en plus, en l’offrant, on se fait plaisir à soi aussi.

Luc : Oui, à condition d’être libriste, ce n’est pas mal. On peut également faire quoi d’autre ?

Christian : On voit bien que l’Union européenne est un acteur public, mais il y en d’autres. Il y a le gouvernement, il y a les collectivités locales, les mairies. Je suis horrifié de voir que le maire de ma commune achète des licences Microsoft Office pour les pauvres de la ville, alors que LibreOffice6 est entièrement gratuit, qu’il pourrait le soutenir et qu’il pourrait en donner plus à plus de gens !

Luc : LibreOffice est typiquement un logiciel, enfin un projet où il y a vraiment très peu de moyens. Même les entreprises, toutes les entreprises utilisent du logiciel libre aujourd’hui. Quelle que soit la structure, tout le monde en utilise au moins un petit peu. Du coup si c’est on est dans un CE, si on a l’oreille de son patron, etc., on peut dire : on utilise du logiciel libre, on pourrait financer un peu. Là le patron va dire : « Non, je ne peux pas mettre mon argent partout ». On va dire : « Juste un peu ! » Si tout le monde donnait dix euros par an à LibreOffice, eh bien ils n’auraient plus de problèmes de sous. Et quand on a sa boîte, on est son patron, dix euros ce n’est rien. Il y a toujours une limite à laquelle il va finir par donner.

Christian : Pareil pour OpenStreetMap7. Il y a beaucoup de gens qui sont très contents de l’avoir trouvé suite à l’augmentation des tarifs par Google. Donc c’est important de soutenir les alternatives parce que le jour où on en a vraiment besoin ça permet d’éviter de tomber dans des pièges financiers.

Luc : Et puis ça fait sortir cette idée de c’est gratuit donc c’est cool.

Christian : Un CE peut intervenir ?

Luc : Auprès du patron, oui.

Christian : C’est impressionnant.

Luc : Dernier point pour moi c’est aussi politiser le sujet, c’est-à-dire que si on a une activité militante, par exemple, eh bien on peut continuer à en parler, dire autour de soi dans les associations, aux élus : c’est une question de maîtrise de nos moyens de communication, de tout ce qui nous relie, de ne pas se retrouver dans des systèmes fermés et rabâcher, rabâcher, rabâcher ; on a plein de libristes qui font ça partout et ce sont eux qui vont vivre le mouvement. Rabâcher qu’on doit être maître de nos outils et, petit à petit, ça rentre, on l’espère, et un jour peut-être on y arrivera.

Christian : Le meilleur moyen de gérer sa dépendance c’est de jardiner son indépendance. Il y a bientôt des élections donc n’hésitez pas à contacter les candidats. Là j’ai ma casquette candidats.fr de l’April qui ressort, mais contactez les candidats, allez leur parler, allez leur dire. Ils sont réceptifs, ils savent ce que c’est maintenant et ils sont réceptifs.

Luc : Très bien. Merci Christian.

Christian : Bonne année Luc.

Luc : Eh bien oui, bonne année et bonne année à tout le monde.

Christian : Salut.


Surveillance à domicile avec les assistants personnels - Décryptualité du 14 janvier 2019

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Christian - Magali - Manu - Luc

Titre : Décryptualité du 14 janvier 2019 - Surveillance à domicile avec les assistants personnels
Intervenants : Christian - Magali - Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 14 janvier 2019
Durée : 15 min
Écouter ou télécharger le podcast
Revue de presse pour la semaine 2 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Setreset, Silhouette or caricature of a 50's spy, Wikimedia Commons - Licence Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Les assistants personnels sont le nouveau produit que les GAFAM tentent d'imposer. Outils de surveillance, faille de sécurité potentielle pour la vie privée, il est comme toujours important de maîtriser son informatique plutôt que d'être maîtrisé par elle.

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 2 ou peut-être semaine 3. Salut Manu.

Manu : Salut Mag.

Manu : Salut Christian.

Christian : Salut Luc.

Luc : On vous a retrouvés, vous êtes rentrés de vacances.

Manu : Enfin !

Mag : On sent qu’on t’a manqué !

Luc : Oui, énormément. Qu'as-tu trouvé pour la revue de presse, Manu ?

Manu : Cinq articles avec pas mal de sujets intéressants.

Mag : leParisien.fr, « VLC fête ses 3 milliards de téléchargements : retour sur une success story française », par Damien Licata Caruso.

Luc : C’est énorme !

Manu : C’est considérable et ils sont tellement contents qu’ils ont fêté ça au CES [Salon des innovations technologiques], donc aux États-Unis et on en entend parler jusqu’ici.

Christian : Bravo à eux !

Mag : Contrepoints, « Makers : la nouvelle révolution industrielle », par Farid Gueham.

Manu : Tout un article sur une disruption du système économique, en tout cas c’est comme ça qu’ils le mettent en avant.

Luc : Toi, tu connais les vrais mots !

Manu : Exactement. La start-up nation, donc ce sont des outils numériques mais qui ont cet avantage d’être libres, qui permettent de faire des objets.

Mag : Rude Baguette, « L’Union européenne lance une chasse aux bugs pour les logiciels libres », par la rédaction.

Manu : Vous en avez déjà parlé.

Luc : La semaine dernière, oui.

Manu : Exactement. Mais ça n’empêche, le sujet c’est : l’Union européenne s’intéresse aux logiciels et à la sécurité qui les comprend et donc va payer, va donner de l’argent pour ça.

Mag : Capital.fr, « Java, Firefox, Linux… leurs inventeurs ont rendu le Web populaire », par Benjamin Janssens.

Manu : Ce sont des portraits de gens assez importants qui vont faire de l’informatique un peu avancée. Il y a du Java, il y a du Linux, plusieurs personnes. Allez jeter un œil ça permet d’avoir un peu culture sur tout ce qui se passe là-dedans.

Mag : ZDNet France, « 2019, une opportunité unique d’agir pour la DSI digitale », par Frédéric Charles.

Manu : C’est une continuation de plein d’articles qu’on a faits. Les entreprises aiment le logiciel libre et ça leur permet d’évoluer et de changer. Et les DSI, les directeurs de services informatiques, se mettent eux-mêmes de plus en plus à l’informatique libre, donc c’est plutôt pas mal.

Luc : C’est quoi le concept de DSI digital ?

Mag : Eh bien c’est une direction du système informatique avec les doigts.

Manu : Comme les empreintes digitales, bien sûr ! Le sujet de cette semaine ?

Luc : Eh bien cette semaine, on va parler d’assistants.

Manu : D’assistants digitaux ?

Luc : Avec la voix. Ce sont ces trucs qui sont très à la mode.

Mag : Alexa, Siri et compagnie ?

Luc : Oui. OK Google et ce genre de choses, qui sont donc mis très avant, on en parle tout le temps, c’était un peu le truc à offrir à Noël.

Manu : À priori c’est un marché florissant, à coups de milliards !

Luc : Évidemment ça nous pose un certain nombre de soucis, mais c’était l’occasion de rentrer un petit peu en détail là-dessus puisque c’est le moment.

Mag : Le problème que ça me pose, que ce soit Alexa, Siri ou OK Google, c’est qu’on nous dit : « Ça ne prend en compte qu’à partir du moment où vous dites "OK Google". » Oui, mais pour qu’ils reconnaissent « OK Google », ça veut dire qu’ils t’enregistrent continuellement ?

Christian : Oui, mais localement à priori, enfin quand ça fonctionne, parce que sinon, il y a déjà eu un bug où ils enregistraient des milliers de conversations dans les appartements pendant des jours et des jours. Mais c’est un bug ! Ce n’est pas comme ça tout le temps il paraît !

Mag : Quand tu dis localement ça veut dire que c’est sur ton ordinateur ou sur ton appareil ?

Christian : Sur la boiboite.

Luc : Sur la boiboite. Ça veut dire que ça ne part pas sur Internet, à priori, et que c’est censé être traité localement ? C’est ça ?

Christian : Le problème c’est que comme ce n’est pas du logiciel libre, comment le savoir exactement ? C’est très difficile. On peut faire de l’analyse réseau. À priori, effectivement, ça ne part pas, mais !

Mag : Vas-y Manu, dis-nous, c’est quoi un assistant vocal ?

Manu : C’est une boîte, effectivement, un appareil qui est posé dans la pièce, en général la pièce de vie, en tout cas c’est comme ça que c’est mis en avant, mais ça pourrait aussi être dans une chambre, dans une voiture, dans une salle de bains et ça écoute en permanence. C’est supposé répondre à nos désirs, au fur et à mesure où on les évoque, un peu comme un majordome qu’on appellerait, auquel on donnerait un ordre « j’ai besoin d’un café » et il se débrouille, il ramène un café. Pour un assistant digital, ça va plutôt être : « Il n’y a plus de papier toilette, rachète du papier toilette » et hop ! il passe une commande sur Internet.

Mag : Ça me rappelle une histoire de maison de poupée, non !

Luc : Oui. Cette histoire de maison de poupée date un petit peu mais c’est assez rigolo. C’est qu’en gros, comme par des commandes vocales on peut acheter direct et évidemment tous les fournisseurs, en premier lieu Amazon, ont intérêt à ce que les gens puissent acheter avec le moins d’efforts possibles, il y avait un gamine de quatre-cinq ans qui avait demandé une maison de poupée et le machin était rentré de telle sorte que la commande a été passée. Les parents ont été facturés, la maison de poupée a été livrée.

Mag : J’ai aussi une personne qui m’a rapporté l’histoire de l’objet, l’article préféré à acheter. C’est-à-dire que quand tu appuies sur ta télécommande, sur un bouton particulier, ça t’achète ton article préféré. Si tu ne fais pas attention, que tu laisses ta télécommande à un chat, à un bébé, un chien, ce que tu veux, tu peux recevoir 26 000 fois ton objet préféré. Je trouve ça très drôle !

Luc : Ça peut arriver effectivement. Juste pour préciser, parce que tu disais, Christian, que sur ces assistants tout le traitement de la voix, la reconnaissance vocale, est censé être traité localement c’est-à-dire dans la boîte qui est dans le salon et censé ne pas être envoyé sur Internet.
Une affaire qui ne touche pas directement les assistants personnels mais qui était la télé connectée de Samsung et où les gens avaient vu un avertissement qui disait : « Attention, si vous dites des trucs personnels sachez que ce sera enregistré » et cette télé connectée, en fait, n’avait pas d’intelligence à bord puisque ça coûte cher, il faut mettre de la capacité informatique, et tout était envoyé par Internet sur un serveur en Corée où tout était transcrit. Donc même si les assistants ne le font pas, à priori certains objets le font.

Manu : Cette télé-là avait la particularité de chercher à t’aider. Si tu disais « change de chaîne, augmente le son, augmente le volume », elle écoutait, elle obéissait, mais elle n’écoutait pas que cela, elle écoutait tout le reste du temps et c’était envoyé à Samsung en Corée. Petit détail, c’était envoyé sans être chiffré, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de sécurité. C’était la petite goutte d’eau qui avait fait exploser le scandale.

Mag : Mais ça c’était il y a longtemps. Rassurez-moi ! C’est amélioré maintenant ? Non ?

Luc : Peut-être ! On n’en sait rien !

Manu : À priori, la technicité d’une boîte comme OK Google ou Alexa est plutôt solide, de ce qu’on en sait, mais les traitements qui sont derrière, eux, ne le sont pas encore. On sait qu’il y a eu des cas de problèmes où on a enregistré des conversations qu’on n’aurait pas dû enregistrer et ces conversations ont été retransmises aux mauvaises personnes. Mais on sait aussi que les gens qui travaillent dans ces entreprises peuvent avoir accès à des enregistrements personnels, de manière indue. Il y a eu un petit scandale il n’y a pas longtemps, je crois que c’est Amazon, où les travailleurs d’Amazon avaient accès facilement à tous ces enregistrements pour aider les clients, mais qu’il n’y avait aucune vérification en interne ; sachant qu’Amazon c’est gigantesque, il y a des milliers d’employés, et qu’il y avait des employés qui n’auraient pas dû avoir accès à tous ces enregistrements très privés qui y avaient quand même accès. Donc ça a fait un petit scandale. Ils ont dit qu’ils allaient corriger le problème et garantir que seuls les gens qui avaient l'usage allaient avoir l’accès. Mais ça n’empêche, techniquement ce n’est pas très difficile de le faire.

Christian : Du coup il y a une question qui se pose, c’est : est-ce qu’on est obligé d’envoyer des données à l’extérieur pour arriver à traiter ?

Luc : Un minimum oui puisque souvent, l’objectif c’est, notamment, de faire des achats. Si tu veux acheter sur Internet il va bien falloir que tu aies des données qui sortent.

Manu : Ça pourrait être des données finales. Dans le sens de la question de Christian, les données de traitement, elles, pourraient rester en local. On sait que la nouvelle Freebox de Free va intégrer un assistant vocal, en tout cas c’est mis en avant comme ça, on n’a pas encore regardé les détails, Alexa, mais il semblerait qu’ils ont prévu de pouvoir désactiver cet assistant vocal et que, de manière intégrée, il y a un deuxième assistant vocal qui est aussi embarqué dans la Freebox mais lui il est local, il ne discute pas sur Internet pour ses traitements, et il permet de contrôler la Freeboîte donc de changer les numéros de chaînes, d’augmenter le volume et ça, c’est supposé être local.
C’est peut-être aussi parce que techniquement c’est plus simple à gérer, je ne sais pas. Donc ça ne fait pas tout, ça fait moins, mais on a un peu moins de risques d’envoyer des commandes sur des serveurs internet qui ne sont pas contrôlés par nous.

Mag : Et le code source de la Freebox, il est accessible ?

Manu : Des grosses parties du code source de la Freebox sont accessibles parce qu’ils font plein de trucs en logiciel libre, mais je ne sais pas si la partie assistant vocal est intégrée là-dedans, il faudrait regarder.

Luc : Une des problématiques c’est que Amazon, notamment, c’est un des GAFAM et que leur business consiste à récolter un maximum de données sur les gens. Évidemment, on se doute que cet assistant vocal qui intervient sur tout c’est quand même une manne d’infos hyper-intéressantes. Est-ce qu’ils vont se retenir de mettre la main sur ces données-là ? Non ! Enfin, même s’ils disent : « Non, non, c’est juste pour te vendre des trucs », ils vont te dire : oui, mais pour connaître tes habitudes, pour être vraiment précis, on a besoin de récupérer des infos ; il faut qu’on sache ceci, cela. Et derrière, ce qu’ils en font ! On a bien vu que Facebook avait fait à peu près n’importe quoi avec les données, les a distribuées à droite, à gauche et fait des expérimentations. En fait, ça donne quand même un pouvoir énorme et encore plus de capacités de surveillance. Notre activité sur Internet est déjà largement connue et, potentiellement, toute une autre gamme d’activités peut être enregistrée, traitée et maîtrisée par ces fournisseurs.

Manu : Ça va très loin. Les téléphones portables sont des appareils qui peuvent faire assistants vocaux et ils en intègrent, Siri c’est le cas. Donc on a toujours avec nous des micros qui sont en permanence allumés. Un micro, techniquement, n’est pas désactivé quand il est en place et tous ces assistants vocaux ce sont des micros qui sont là en permanence. Parfois ils intègrent des caméras, ça aussi ça va commencer à se mettre en place, pour nous aider ! Pour vérifier qui sonne à la sonnette, qui rentre chez nous, ça peut avoir une utilité ; pour suivre les gamins ce qu’ils font. Il y a des gens qui ont des caméras pour regarder leurs chats chez eux, dans la journée. Tout ça peut aller loin parce que ça passe par Internet, ça passe par des grosses sociétés.

Christian : Fonctionnellement c’est magnifique ! C’est Hal, 2001, l’Odyssée de l’espace. C’est de la science-fiction qui devient concrète.

Luc : Tu cites le film qui finit mal, quand même, parce que Hal tue tout le monde !

Manu : Oui, mais avant cela il est sympathique, avant cela il est plutôt agréable.

Christian : Mais pourquoi ? Parce qu’on a lui a introduit une contradiction dans sa logique et c’est une erreur humaine, voilà !

Manu : Effectivement, le jour où Alexa commence à avoir accès aux couteaux de la cuisine il faut faire gaffe. Pour l’instant Alexa a accès à notre Carte Bleue ce qui peut déjà être embêtant, ça peut déjà créer des problèmes, mais ce ne sont pas des questions, normalement, de vie ou de mort. On n’en est pas là. Pour l’instant, ce sont des questions essentiellement commerciales et de vie privée.

Luc : Oui, mais avec des enjeux très importants derrière, enfin !

Manu : Des milliards ! Et c’est probablement pour ça que les gars se battent autant pour installer des assistants vocaux chez tout le monde. Je pense que Google, les GAFA en général, sont probablement en train de perdre de l’argent sur le développement de ces appareils parce qu’ils savent qu’une fois ces appareils installés, une fois ces appareils utilisés, eh bien ils ont un accès à leur rêve, c’est-à-dire au salon des gens.

Christian : Les boîtes sont très peu chères. C’est très peu cher. Il n’y a pas grand-chose dedans, mais c’est très peu cher.

Luc : Il doit y avoir un minimum, quand même, si tu arrives à traiter localement de la reconnaissance vocale. En plus de ça, j’imagine que ta reconnaissance vocale il faut qu’elle s’adapte, qu’elle apprenne ta voix, qu’elle s’améliore, etc.

Christian : Non.

Manu : Non. Tu as un micro et le micro envoie le son au serveur des GAFA et c’est le serveur…

Luc : Donc ce n’est pas traité localement.

Manu : Mais le déclenchement lui-même peut-être qu’il a un petit truc. Oui !

Christian : La détection d’Alexa et de OK Google, d’un point de vue analyse de son, c’est relativement facile à faire. D’ailleurs il y avait des produits qui existaient dans les années 80 pour déjà réaliser des commandes sur des fauteuils roulants par exemple, mais c’était très limité.

Luc : C’est Microsoft qui, pendant des années, a dit : « Ça y est, on a le logiciel, vous allez parler et puis il va faire la transcription » et à chaque fois ça foirait.

Christian : Pas qu'eux. C’est IBM.

Luc : C’était IBM ? Et tous les trois ans-quatre ans, ils se plantaient ; ça ne marchait jamais.

Mag : Moi j’en aurais rêvé pour le groupe Transcriptions, un logiciel qui me fasse ça.

Christian : Un jour ça viendra. En tout cas, les fonctionnalités sont superbes, mais il y a moyen de se passer des GAFAM et de ces grands systèmes pour arriver à les réaliser. Pour regarder son chat en vidéo chez soi, on n’a pas besoin de faire passer le flux vidéo par les États-Unis et les serveurs d’Amazon !

Manu : Non ! Mais les serveurs d’Amazon vont te permettre de commander les croquettes du chat et là, Amazon va être enchanté, va se frotter les mains. Les croquettes du chat, ce sont des milliards de dollars !

Luc : Mais si ton système parle le chat, le chat peut commander ses croquettes tout seul !

[Rires]

Manu : Oui. Mag parlait tout à l’heure d’un bouton sur lequel on appuyait pour faire une commande.

Luc : Le chat a trouvé le truc.

Manu : C’est exactement ça, pour que le chat puisse appuyer sur un bouton et commander lui-même.

Luc : Concernant ces assistants il y a aussi des contre-performances. Chez Next INpact ils ont fait un test, ils ont essayé de commander une pizza avec Alexa et ils ont galéré, vraiment, en s’apercevant que commander une pizza ce n’est pas si simple que ça parce qu’il y a plusieurs tailles de pizzas, il y a plein de pizzas différentes.

Manu : Et puis il ne faut pas oublier l’adresse et le mode de paiement.

Luc : Voilà ! Et tu peux mettre des options. Tu peux dire : je voudrais un peu plus de fromage, un peu de ceci, un peu de cela, je veux une boisson, je veux le payer. Et ils ont vaguement réussi à obtenir une pizza, mais ils étaient très loin d’avoir ce qu’ils voulaient et c’était finalement beaucoup plus compliqué que de tapoter sur une appli, sur leur téléphone portable.

Christian : Est-ce que derrière il y a des vraies intelligences artificielles qui sont capables de traiter, comme ça, des sujets très complexes ?

Manu : Tu veux dire que les enjeux économiques sont tels que peut-être, parfois, on peut passer outre l’intelligence artificielle ?

Christian : Carrément ! Il y a un excellent article dans le journal Le Monde du 3 janvier qui est intitulé « Derrière l’illusion de l’intelligence artificielle la réalité précaire des travailleurs du clic »1, où il y a une anecdote fantastique du jeune diplômé qui rentre dans une boîte, qui est passionné d’intelligence artificielle et c’est une boîte qui propose des produits adaptés spécifiquement aux célébrités. Du coup il dit : « Waouh ! Elle est où votre intelligence artificielle ? Ils sont où les serveurs ? Je peux les voir ? Je peux les voir ? » Il fait tous les bureaux de l’entreprise et, en fait, il n’y a rien ! Il dit : « Qu’est-ce que se passe ? Pourquoi vous n’arrêtez pas d’appeler en Inde ? — Eh bien parce qu’en fait on n’est pas capables de le faire, ça coûterait trop cher, c’est trop compliqué. Donc on sous-traite ! »

Manu : Une intelligence indienne.

Luc : On retombe sur les problématiques qu’il y a aussi avec la voiture autonome disant le milieu naturel est complexe. Moi j’ai eu une période de ma carrière professionnelle où je gérais des activités d’information, de relation client, dans des domaines de l’information de voyageurs dans le transport public. Déjà, pour savoir ce que veut quelqu’un, d’où il part, où il va, quel horaire, etc., c’est compliqué. Souvent les données sont incomplètes, notamment dans toutes les bases de données de transport, etc., il y a plein d’erreurs.

Manu : Parfois fausses !

Luc : Les gens également, ne serait-ce que par rapport à cette question d’espace, ils ont des noms qu’ils utilisent au quotidien et qui ne sont pas nécessairement les noms qui sont dans les systèmes cartographiques. Dans le transport public c’est compliqué parce que dans certaines lignes, en fonction des dates, ça marche, ça ne marche pas, etc. Les gens qui font ce boulot-là sont obligés d’aller chercher les infos à la pêche, pas tout le monde, mais vraiment souvent aller les sortir, aller les extraire aux forceps, donc ça demande de l’intelligence et ça demande de comprendre.

Manu : De l’intelligence naturelle.

Luc : Voilà !

Manu : Ceci dit, on peut supposer que c’est une question de moyens et de temps parce que, vraisemblablement, il y a des enjeux économiques qui font qu’il y a une grosse motivation pour arriver ou, en tout cas, pour aller dans cette direction-là. Donc les assistants, les majordomes de maison qui sont personnalisés et qui, comme dans les films de science-fiction, répondent à tous nos besoins, il y a des gens qui bossent dessus, des gens très intelligents. Peut-être qu’ils n’arriveront pas à une solution ultime, clairement, mais ils vont avancer.

Luc : Pour moi il y a cette hypothèse, je ne l’affirme pas de façon absolue, que pour réellement comprendre quelqu’un il faut être intelligent. Du coup, le jour où une intelligence artificielle arrivera à comprendre réellement des humains, sachant que les humains ont des fois du mal à se comprendre entre eux, alors ça veut dire que ce ne sera plus une intelligence artificielle mais que ce sera une intelligence pleine et complète et qu’on aura un ordinateur conscient. On en est très loin. On n’a pas le début du commencement de l’idée de comment on pourrait faire ça.

Christian : Des petites boîtes peuvent quand même rendre service sur des commandes simples : changer une chaîne de télé ce n’est pas très intelligent ; ouvrir la porte du chat ce n’est pas très intelligent. Donc heureusement, il y a des projets libres d’assistants vocaux qui naissent, qui éclosent, pour en citer un, Mycroft2 qui est basé sur du Raspberry3 ; Raspberry ce n’est vraiment pas puissant ! Ils arrivent quand même à faire des choses intéressantes : plusieurs dizaines de commandes. Si on veut quand même s’amuser, à priori il y a de quoi faire dans le monde du Libre. Une fois de plus, on n’a pas besoin des GAFAM pour avancer vers le futur.

Luc : Plein de trucs à construire dans le monde de l’informatique libre. On va y travailler cette semaine. On reviendra avec un prototype lundi prochain.

Christian : Et on sera remplacés, nous ?

Luc : Oui, bien sûr ! Allez ! Bonne semaine tout le monde.

Manu : À la semaine prochaine.

Christian : Salut.

Mag : Salut.

Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 15 janvier 2019

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Frédéric Couchet

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 8 janvier 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Marc Dandelot, CADA - Tangui Morlier, Regards Citoyens - Xavier Berne, Next INpact - Jean-Christophe Becquet, April - Frédéric Couchet, April
Lieu : Radio Cause commune
Date : 15 janvier 2019
Durée : 1 h 30 min
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Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes, bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.10 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web et rendez-vous sur chat.libre-a-toi.org ou plus simplement sur le site de la radio, donc causecommune.fm, et vous cliquez sur « chat ». Vous pourrez ainsi nous retrouver sur le salon dédié à l’émission et éventuellement poser des questions.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April. Je suis Frédéric Couchet, délégué général de l’April. Je vous rappelle le site web de l’April, april.org, et vous y retrouvez déjà une page consacrée à cette émission avec un certain nombre de références que l’on va citer ; la page sera mise à jour après l’émission avec les références que l’on citera pendant l’émission.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi les points d’amélioration.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.

On va passer maintenant au programme de l’émission. Nous allons commencer par une intervention de Jean-Christophe Becquet, président de l’April, sur ses démarches de sensibilisation, notamment pour la diffusion de ressources libres. Normalement Jean-Christophe est avec nous au téléphone. Bonjour Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour à tous.

Frédéric Couchet : On se retrouve d’ici une petite minute. Après l’intervention de Jean-Christophe, d’ici dix-quinze minutes, nous aborderons notre sujet principal qui est attendu, je sais, par beaucoup de monde, qui portera sur les conditions d’accès aux documents administratifs avec Marc Dandelot président de la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA. Bonjour Monsieur Dandelot.

Marc Dandelot : Bonjour.

Frédéric Couchet : Avec nous également Tangui Morlier, membre du collectif Regards Citoyens, dont le but est de proposer un accès simplifié au fonctionnement de nos institutions à partir des informations publiques. Bonjour Tangui.

Tangui Morlier : Bonjour.

Frédéric Couchet : Et tout à l’heure nous rejoindra Xavier Berne, journaliste au site d’actualités et d’enquêtes Next INpact. Normalement, aux alentours de 16 heures 15, ma collègue Isabella Vanni qui s’occupe notamment de la vie associative et qui est responsable projets à l’April nous fera un petit point sur des actions de sensibilisation [Isabella finalement n'est pas intervenue afin de laisser les intervenants le sujet principal s'exprimer plus longuement, NdT].
Je salue aujourd’hui à la régie Charlotte. Derrière Charlotte il y a également Étienne Gonnu et Patrick Creusot qui assistent à une sorte de formation pour la régie. Donc merci Charlotte ; je précise que je ne dis que Charlotte parce qu’elle préfère qu’on l’appelle comme ça, sans son nom de famille ; ce n’est pas une discrimination, du tout
Nous allons commencer par une intervention de Jean-Christophe Becquet, président de l’April, qui va initier une chronique dont le titre est « Pépites libres ». Rebonjour Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour. Pour la chronique « Pépites libres », je me propose de vous présenter de temps en temps dans Libre à vous ! une ressource ; ça peut être une œuvre d’art, une ressource pédagogique, une base de données avec, comme point commun, le fait qu’elle soit sous licence libre. Parfois j’ai joué un rôle dans le fait qu’elle soit sous licence libre, donc lorsque c’est le cas eh bien je vous raconterai comment et pourquoi j’ai entrepris cette démarche.

Frédéric Couchet : Pour cette première chronique « Pépites libres » de quelle ressource souhaites-tu nous parler ?

Jean-Christophe Becquet : Comme première chronique « Pépites libres », je voulais parler de la conférence « Un Faible Degré d’Originalité ». « Un Faible Degré d’Originalité » c’est une causerie ludique qui rappelle les conférences gesticulées. J’expliquerai tout à l’heure ce que sont les conférences gesticulées.

Frédéric Couchet : Oui, s’il te plaît.

Jean-Christophe Becquet : Pendant 1 heure 30 Antoine Defoort, de l’Amicale de production, nous emmène en randonnée dans les montagnes embrumées du droit d’auteur. « Un Faible Degré d’Originalité » c’est une promenade culturelle qui nous conduit des Parapluies de Cherbourg au Boléro de Ravel en passant par un dessin animé libre de Nina Paley. Avec Antoine Defoort on parcourt l’histoire du droit d’auteur, notamment une belle immersion dans l’atmosphère feutrée des clubs londoniens au début du 18e siècle, pour découvrir l’histoire du droit d’auteur.

Frédéric Couchet : Qui est Antoine Defoort ?

Jean-Christophe Becquet : Laissez-moi citer Antoine Defoort : « Je propose qu’on fasse un petit peu de mécanique, parce que là, je vous ai démonté un droit d’auteur, voyez. Donc ça ce sont tous les éléments, tous les rouages qui composent un droit d’auteur. Je vous propose que l’on s’amuse à remonter le tout pour voir comment ça s’articule et que l’on commence peut-être par l’élément de base du droit d’auteur. On pourrait dire le châssis ou le socle qui n’est pas, comme on pourrait le penser, le droit d’auteur, mais bel et bien l’œuvre de l’esprit. » Et c’est avec un assemblage de cartons que le conférencier nous explique les subtilités du droit moral et du droit patrimonial, les deux briques du droit d’auteur.

Frédéric Couchet : Là tu viens de nous citer un extrait de cette conférence. Est-ce que tu peux nous dire qui est Antoine Defoort ?

Jean-Christophe Becquet : Antoine Defoort est un artiste comédien conférencier de l’Amicale de production. J’ai découvert sa conférence en cherchant des ressources pour une formation sur le droit d’auteur et les licences libres. J’ai trouvé une vidéo disponible en ligne de sa conférence, mais la vidéo n’était pas sous une licence libre. En fait elle était sous une licence Creative Commons, mais avec une restriction sur les utilisations commerciales, une licence Creative Commons NC, qui m’interdisait de l’utiliser pour une formation dans laquelle j’étais rémunéré pour l’intervention.
Donc j’ai contacté l’auteur pour lui proposer d’adopter une licence libre pour la vidéo de sa conférence. Après quelques échanges de mails, il a accepté, donc aujourd’hui on a disponible en ligne la vidéo de cette conférence sous licence libre que tout un chacun peut visionner et utiliser pour s’initier au fonctionnement du droit d’auteur.

Frédéric Couchet : Quels arguments tu as employés pour convaincre ? Parce que si j’ai bien compris, en fait, Antoine Defoort avait choisi une licence Creative Commons NC pour Non Commercial, qui interdisait la réutilisation commerciale sauf à demander pour chaque cas l’autorisation de l’auteur. Ça permet aussi de préciser que dans l’ensemble des licences Creative Commons certaines offrent plus ou moins de libertés ou de restrictions. Comment tu as convaincu finalement Antoine Defoort de passer de cette licence à une licence qui permet la réutilisation commerciale ?

Jean-Christophe Becquet : Le principal argument c’était le fait que d’avoir mis en ligne et en libre accès la vidéo de la conférence, ça témoignait quand même de la volonté de la voir diffusée le plus largement possible. Je lui ai expliqué le cas précis de ma formation dans laquelle j’avais pu citer sa conférence en ressource mais pas en projeter un extrait parce la clause Non Commercial de la licence me l’interdisait. Il a convenu, effectivement, que la principale valeur économique de son travail artistique c’était le travail scénique, le fait de jouer son spectacle sur scène, et que le fait d’adopter une licence libre augmenterait la diffusion et la visibilité de son travail. Donc après quelques échanges, il est passé d’une licence Creative Commons BY-NC, Non Commercialà une licence Creative Commons BY-SA, Share Alike, avec une clause copyleft qui permet l’utilisation, la copie, la diffusion libre de la vidéo à condition de partager sous licence libre, à son tour, les éventuelles versions dérivées ou modifiées de la vidéo.

Frédéric Couchet : En fait ce qu’on appelle le copyleft c’est le partage dans des conditions identiques. C’est-à-dire qu’en fait la ressource disponible sous cette licence qui permet une réutilisation, un remix, des modifications, y compris pour des usages commerciaux comme tu l’expliques dans le cadre d’une formation, mais à condition que le travail dérivé soit également sous les termes de la même licence. Pour les personnes qui sont un peu plus connaisseuses du logiciel libre, ça se rapproche des licences GNU GPL, General Public License de la Fondation pour le logiciel libre ; donc c’est partage dans les mêmes conditions.
Je reviens à une petite question. Tout à l’heure tu as parlé de conférence gesticulée pour cette conférence d’Antoine Defoort. Est-ce que tu pourrais expliquer ce qu’est une conférence gesticulée ?

Jean-Christophe Becquet : L’initiateur des conférences gesticulées, de manière un petit peu familière, dit qu’une conférence gesticulée c’est une conférence qui n’est pas chiante. En fait la conférence gesticulée est une prestation scénique qui mélange ce qu’on appelle des savoirs froids, ce sont les savoirs académiques, universitaires, ce qu’on apprend à l’école et dans les livres et puis des savoirs chauds. Les savoirs chauds c’est ceux qu’on apprend dans la vie quotidienne à travers ses expériences de vie.
Donc le conférencier gesticulé nous amène un sujet qui est souvent un sujet de société ou un sujet avec des enjeux politiques en faisant à la fois des références à son vécu par rapport à son sujet et en apportant également des éléments théoriques de la littérature pour donner des éclairages et prendre du recul sur le sujet.

Frédéric Couchet : D’accord. Ça dure 1 heure 30, est-ce que tu as des exemples ou des passages marquants dans cette conférence qui ont été particulièrement intéressants par rapport à la démarche de l’auteur ?

Jean-Christophe Becquet : Oui. Tout à fait. J’aime beaucoup l’introduction de la conférence où, en fait, le conférencier joue un extrait théâtralisé du film Les Parapluies de Cherbourg et où il explique que la naissance de cette conférence c’est qu’il était en train de monter une reprise théâtrale des Parapluies de Cherbourg et que lorsque le spectacle était quasiment prêt et qu’ils ont eu la réponse des ayants droit pour cette adaptation, eh bien la réponse était négative, donc ça a fait avorter le projet. Il raconte comment c’est cet incident qui a déclenché l’envie, pour lui, de faire ce spectacle sur le droit d’auteur.
Un autre passage marquant de la conférence c’est lorsqu’il raconte l’histoire du Boléro de Ravel et plus particulièrement des héritiers du Boléro de Ravel. L’une des particularités du Boléro de Ravel c’est que c’est une œuvre parmi les œuvres musicales les plus jouées au monde et donc dont les droits d’auteur se comptent en millions d’euros. En se penchant sur l’histoire des ayants droit de Ravel on prend conscience que ces droits d’auteur, en fait, ne sont plus dévolus ni à l’auteur qui est mort ni à ses enfants – Maurice Ravel n’avait pas d’enfants –, mais à des personnes qui héritent des droits d’auteur pour des raisons juridiques mais qui n’ont plus aucun lien avec l’auteur. Donc la motivation initiale du droit d’auteur qui était d’encourager la création en rémunérant les auteurs, on voit bien qu’ici elle est complètement dévoyée et c’est ce que montre Antoine Defoort avec une petite séquence dans laquelle il met en scène les différents personnages et la manière dont se transmettent, petit à petit, les droits du Boléro de Ravel jusqu’à n’avoir, en fait, plus aucun lien avec l’auteur initial.

Frédéric Couchet : Écoute ça me paraît très clair. On va bientôt finir. Avant de donner les références, est-ce qu’il est encore possible d’assister en direct à cette conférence gesticulée d’Antoine Defoort ?

Jean-Christophe Becquet : Effectivement il y a des dates annoncées sur le site de l’Amicale de production : les deux prochaines dates annoncées sont le 28 mars 2019 à La Maison de la Culture d’Amiens, dans la Somme, pour suivre le 22 mai 2019 au Poc, p, o, c, à Alfortville dans le 94. C’est un spectacle qui continue à être joué et j’encourage, pour ma part, les responsables de lieux culturels, de médiathèques à contacter l’Amicale de production pour inviter Antoine Defoort à jouer sa conférence « Un Faible Degré d’Originalité ».

Frédéric Couchet : Le site de l’Amicale de production c’est amicaledeproduction, tout attaché, point com. Vous avez les dates des conférences d’Antoine Defoort, vous avez aussi les coordonnées pour l’inviter. Les références sont aussi sur le site de l’April.
Écoute Jean-Christophe je te remercie pour cette première chronique appelée « Pépites libres ». Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?

Jean-Christophe Becquet : Juste en conclusion, je voulais dire qu’aujourd’hui le 15 mars [15 janvier, NdT] ce sont les 18 ans de Wikipédia. Wikipédia est née le 15 janvier 2001 et donc, en conclusion de ma chronique, je voulais dire bon anniversaire à Wikipédia.

Frédéric Couchet : Effectivement nous souhaitons un bon anniversaire à Wikipédia et à toutes les personnes qui contribuent à cette encyclopédie en ligne libre. Merci Jean Christophe, on va se retrouver le mois prochain pour ta prochaine chronique « Pépites libres ».
Nous allons passer une pause musicale avant le prochain sujet. Le morceau s’appelle La rencontre, l’artiste s’appelle Ehma et on se retrouve juste après.

Pause musicale : La rencontre de Ehma.

Frédéric Couchet : Vous êtes de retour dans l'émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Je vais juste m'adresser à la régie : Xavier Berne dit que ça sonne occupé quand il essaye d’appeler.
Nous sommes le 15 janvier 2019, il est 15 heures 45 ; vous êtes avec l'émission pour comprendre et agir avec l'April, l'association de promotion et de défense du logiciel libre. Nous venons d'écouter La rencontre par Ehma. Les références sont évidemment sur le site de l'April, april.org.

Nous allons passer maintenant à notre sujet principal avec nos invités. On va accueillir Xavier Berne qui nous a rejoints par téléphone. Xavier Berne est journaliste au site d’enquêtes et d’actualités Next INpact. Bonjour Xavier.

Xavier Berne : Bonjour Frédéric. Bonjour à tous.

Frédéric Couchet : Je rappelle qu’est également présent en studio avec nous Marc Dandelot, président de la Commission d’accès aux documents administratifs ; Tangui Morlier membre du collectif Regards Citoyens et en régie c’est toujours Charlotte qui gère.
Notre sujet va porter sur les conditions d’accès aux documents administratifs, le rôle des différents acteurs dans ce qu’il est convenu, pour certains, d’appeler l’open data par défaut. Nous allons revenir aussi sur certains avis de la CADA qui ont fait beaucoup parler et on va parler, notamment, des difficultés. On va commencer par une courte introduction, enfin une introduction sur le droit d’accès aux documents administratifs parce que peut-être que les personnes qui écoutent se disent que ça ne les concerne absolument pas au quotidien. On va commencer par Xavier Berne de Next INpact. Est-ce que tu pourrais nous faire une petite introduction sur le droit d’accès aux documents administratifs ?

Xavier Berne : Oui. Bien sûr. Le droit d’accès aux documents administratifs c’est, en fait, quelque chose qui est assez ancien puisqu’il se fonde sur ce qu’on appelle la loi CADA qui a fêté ses 40 ans l’année dernière. Globalement, l’idée c’est de dire que tout citoyen a le droit d’accéder à des documents qui sont considérés comme publics parce qu’ils ont été détenus ou produits par des administrations, des administrations au sens large : ça peut être un ministère, ça peut votre mairie, ça peut être une école. Très concrètement vous pouvez, en tant que citoyen, aller demander aux administrations à avoir accès à un rapport, avoir droit, par exemple, à votre dossier médical. Vous pouvez vraiment demander énormément de choses : des statistiques ; ça peut être également, on en a aussi beaucoup parlé ces derniers temps, de code source pour les logiciels qui sont développés par l’administration. On a parlé, par exemple, du code source du logiciel de calcul de l’impôt sur le revenu ou celui de la taxe d’habitation. Je sais que Bercy a prévu d’ouvrir prochainement le code source du logiciel de calcul de la taxe foncière, etc. Voilà ! C’est ça qu’on appelle le droit d’accès aux documents administratifs.

Frédéric Couchet : Tangui Morlier, de Regards Citoyens, est-ce que tu veux compléter ?

Tangui Morlier : Oui. Ce droit est un droit fondamental dans notre démocratie et il est relativement vieux puisqu’il date de 1978. Effectivement, la règle par défaut c’est que l’administration est transparente : son activité doit pouvoir être auditée par les citoyens. Ce droit offre la possibilité à tout citoyen de demander aux administrations l’accès à des documents, des données ou des logiciels, à travers un mécanisme qui était, à mon sens, assez ingénieux. C’est-à-dire que plutôt que de rentrer directement dans une phase contentieuse en attaquant l’administration qui pouvait refuser d’accéder aux documents, passer par un médiateur, passer la Commission d’accès aux documents administratifs qui était conçue comme une médiation entre les citoyens et une administration qui, faute de temps, faute de connaissance ou faute d’envie, ne communiquait pas les documents qu’elle possédait.

Frédéric Couchet : Ce qui est important de retenir là, on va revenir sur la procédure, justement, avec Marc Dandelot président de la CADA, c’est qu’en fait le droit d’accès aux documents administratifs concerne tout le monde, ne serait-ce que pour comprendre le fonctionnement de sa collectivité, sa mairie, accéder à des documents qui nous concernent au quotidien. Ça ne concerne pas que les journalistes ou les activistes, ça concerne toute personne qui est effectivement intéressée par, on va dire, la vie de sa collectivité ou à titre simplement individuel.

Tangui Morlier : Absolument. Il y a même deux droits. Il y a un droit d’accès à l’ensemble des documents dans lesquels il n’y a pas de mention de personnes, il n’y a pas mention de secret particulier parce que, évidemment, les organisations publiques, notamment de défense, ont droit à un certain secret.
Et il y a deuxième droit qui offre la possibilité aux citoyens, lorsqu’ils sont concernés par une décision, d’accéder aux documents qui les concernent directement. Ces documents ne sont évidemment pas accessibles aux autres citoyens, sinon ce serait une atteinte à leur privée.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Marc Dandelot, vous êtes président de la fameuse Commission d’accès aux documents administratifs. Est-ce que vous pouvez nous présenter la Commission et la procédure qu’une personne doit suivre si elle souhaite accéder à un document administratif ?

Marc Dandelot : D’abord bonjour Xavier. Je n’ai pas eu l’occasion de le saluer quand il est arrivé à l’antenne.

Xavier Berne : Merci. Bonjour.

Marc Dandelot : Je peux vous répondre. Je voudrais juste faire un petit commentaire préalable sur ce qui vient d’être très bien présenté sur les documents administratifs pour que les auditeurs comprennent bien, deux choses et peut-être une illustration.
D’abord le fait que, dès l’origine, il a bien été spécifié que ce qui a le caractère de document administratif c’est tout document qui soit produit ou détenu par l’administration dans sa mission. C’est-à-dire qu’un document administratif, pour faire l’objet du droit d’accès, n’est pas nécessairement un document que l’administration a élaboré elle-même. Je vous donne juste un exemple : un document de caractère tout à fait privé qui se trouve être dans un dossier de l’administration pour l’accomplissement d’une procédure va, de ce fait, devenir un document administratif. Et le droit d’accès s’applique aussi à ce type de document. Juste un exemple pour comprendre : un plan d’architecte dans un dossier de permis de construire c’est un document privé ; il devient document administratif lorsqu’il est transmis à la mairie pour un permis de construire.

Frédéric Couchet : Donc ce sont tous les documents détenus par l’administration.

Marc Dandelot : Tous les documents ou détenus et/ou produits par elle, bien sûr.
Et la deuxième chose que je voudrais dire, parce qu’elle doit être bien comprise, c’est que c’est quelle que soit la soit la nature ou le support. Je vais vous donner quelques exemples. On a souvent, au départ, raisonné et compris les documents administratifs comme un rapport ou une lettre de l’administration. Mais ça peut être une photographie, ça peut être un courriel – les courriels que j’ai envoyés ce matin à ma secrétaire générale qui est à côté de moi, ce sont des documents administratifs qui sont communicables sous réserve de ne pas, évidemment, contenir des secrets protégés. Ce sont des choses dont les administrations elles-mêmes n’ont pas encore tout à fait conscience. Autre exemple : le journal télévisé que vous pouvez regarder sur une chaîne publique, à partir du moment où on considère que les chaînes publiques font partie de la mission de service public, eh bien le journal télévisé, les images du journal télévisé revêtiront la qualité de documents administratifs. Donc c’est une conception extrêmement large et je dirais que cette dimension est très utile à la transparence de l’action administrative.
Voilà le point que je voulais souligner.

Frédéric Couchet : D’accord. On a bien compris que c’est très large. Mais d’un point de vue concret, on se met à la place de quelqu’un qui écoute, qui souhaite accéder à un document administratif, pas forcément vos échanges avec votre secrétaire générale, évidemment, mais un document d’une collectivité, comment doit-elle procéder ?

Marc Dandelot : La première chose à faire, c’est qu’elle doit le demander.

Frédéric Couchet : À qui ?

Marc Dandelot : Elle doit le demander à l’autorité administrative en principe qui est celle qui est redevable de l’obligation. Mais si elle se trompe, c’est-à-dire si elle s’adresse à une autre autorité administrative parce qu’elle ne connaît pas bien, eh bien l’autorité administrative à laquelle elle s’adresse va être obligée de la transmettre à qui de droit.

Frédéric Couchet : Supposons qu’elle s’adresse à la bonne collectivité, une mairie.

Marc Dandelot : Si elle obtient satisfaction, la messe est dite.

Frédéric Couchet : OK.

Marc Dandelot : Si elle n’obtient pas satisfaction et qu’elle veut contester, elle s’adresse à la CADA par une procédure extrêmement simple qui est, je dirais, de saisir moyennant une lettre ou un courriel. Maintenant ça se passe sur le plan électronique : nous avons mis en place une application qui est un formulaire type, qui n’est même pas obligatoire mais qui est beaucoup recommandé. Parce qu’on ne peut pas saisir le juge directement d’un refus de communication d’un document.

Frédéric Couchet : Aujourd’hui on ne va pas parler du juge. Pour l’instant on s’arrêtera à la CADA.

Marc Dandelot : La réponse à votre question c’est que la procédure, si l’administration n’a pas dans un premier temps donné satisfaction à la personne, si la personne veut continuer, elle s’adresse à la CADA.

Frédéric Couchet : Donc le processus et je laisserai évidemment Tangui Morlier et Xavier Berne de compléter. Oui, Xavier Berne.

Xavier Berne : Si je peux me permettre de compléter, c’est important aussi : les administrations ont un mois pour répondre. Au bout d’un mois, s’il n’y a pas eu de réponse, on considère que c’est un refus tacite et c’est donc à partir de ce délai d’un mois qu’on peut saisir la CADA. Je pense que c’est important aussi de le préciser.

Frédéric Couchet : Tout à fait. C’est effectivement ce que j’allais préciser. On prend l’exemple d’une mairie ou autre : la personne demande, sollicite un document administratif à la mairie. La mairie lui répond négativement avec un certain nombre d’arguments, peu importe, et on verra tout à l’heure dans certains avis. À ce moment-là, effectivement, la personne peut saisir la CADA si elle veut contester la décision. Mais également si la collectivité, donc la mairie, ne répond pas dans un délai d’un mois, on a à faire à un refus tacite et, à ce moment-là effectivement, la personne peut saisir la CADA comme vous l’avez dit, soit par lettre soit aujourd’hui par courriel. Est-ce que la CADA a un délai obligatoire de traitement de l’avis ? Un mois ?

Marc Dandelot : Oui. Le délai légal est d’un mois.

Frédéric Couchet : Un mois. D’accord. Tangui, est-ce que tu veux compléter quelque chose déjà, tout de suite, sur la partie procédurale simplement ?

Tangui Morlier : Non, outre le fait que ça peut paraître extrêmement intimidant pour un citoyen qui s’adresse à une administration d’obtenir son droit à la transparence et que ce mécanisme de la CADA est un mécanisme extrêmement simple. Je dois dire que je n’ai jamais utilisé le formulaire du site de la CADA et je crois que la prochaine fois il faudra que je le fasse ; mais un simple émail adressé à cada@cada.fr, si mes souvenirs sont bons, permet de voir son dossier instruit.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Nous-mêmes à l’April, effectivement, on n’a jamais utilisé le formulaire. C’est d’une « simplicité », entre guillemets, cette procédure tout à fait claire. Quels sont les moyens dévolus à la CADA. La CADA a été créée en 1978, par la loi informatique et libertés. Aujourd’hui on est en 2019. Oui Xavier.

Xavier Berne : Par la loi CADA ! Pas par la loi informatique et libertés !

Frédéric Couchet : Oui, par la loi CADA, excusez-moi ! C’est pour ça que je suis entouré d’experts pour me corriger.

Xavier Berne : C’était la même année ! Tu as de la chance, c’était la même année.

Frédéric Couchet : Exactement. En 1978 il s’est passé plein de choses. J’ai même oublié ce que je voulais dire.

Marc Dandelot : Vous parliez des moyens.

Frédéric Couchet : Les moyens, oui. Le nombre de demandes, je suppose, a considérablement augmenté. Pour savoir : aujourd’hui quels sont les moyens de la CADA en termes de ressources humaines, par exemple, pour traiter les demandes ? En termes financiers ? Combien de personnes vous avez pour traiter toutes ces demandes et combien de demandes vous recevez par an ?

Marc Dandelot : Par an nous recevons un peu plus de 7000 demandes. C’est un niveau qui s’est confirmé au cours des dernières années. Il était moitié moins élevé il y a une demi-douzaine d’années. Nous restons une petite institution ; nous sommes une des plus petites de ce qu’on appelle autorité administrative indépendante. Il y a un secrétariat général qui comporte une quinzaine de personnes et un groupe de rapporteurs qui sont, pour l’essentiel, soit des magistrats administratifs, soit des fonctionnaires spécialisés par exemple dans les archives ou dans des questions administratives pointues, qui sont chargés d’examiner les dossiers et de préparer les rapports. C’est vrai que nos moyens sont extrêmement tendus pour faire face à ce qu’est aujourd’hui la sollicitation de la CADA.

Frédéric Couchet : Est-ce que ce nombre de personnes, et après je passe la parole à Tangui Morlier qui veut réagir, est constant depuis quelques années ou est-ce que ça a évolué positivement ?

Marc Dandelot : Il est largement constant. Il a très légèrement évolué, mais il n’a pas évolué dans la proportion requise pour que nous puissions faire notre mission de façon aussi rapide que le prévoit la loi.

Frédéric Couchet : Tangui Morlier.

Tangui Morlier : Peut-être, si je peux me permettre, avez-vous oublié un acteur assez important aussi, ce sont les membres de la Commission elle-même, dont vous faites partie.

Marc Dandelot : Je n’ai pas encore répondu à cet aspect de la question, effectivement, pour présenter la CADA, pour présenter les procédures qui vont conduire au traitement de la demande.

Tangui Morlier : Pardon.

Marc Dandelot : Ce qu’il faut savoir c’est que la CADA, en tant qu’autorité indépendante, est une autorité collégiale qui comprend 11 membres qui sont de profils divers. Il y a des hauts-magistrats, des personnalités qualifiées à différents titres, par exemple au titre des archives, des personnalités qualifiées au titre de la diffusion publique. Il y a des professeurs d’université, il y en a deux actuellement, un professeur de droit public et un professeur d’histoire. Et puis, comme c’est aussi la tradition française dans ce type de collège, des élus, c’est-à-dire un représentant des élus locaux, un sénateur et un député. Au total donc 11 membres.

Frédéric Couchet : Donc c’est cette Commission qui prend la plupart des avis et certains avis sont pris par délégation, je ne sais pas si c’est le bon terme, par le président dans certains cas.

Marc Dandelot : Oui. Depuis une réforme récente que nous avons introduite. Normalement tous les avis sont soumis au collège qui se prononce collégialement. Mais comme il y a un nombre important d’avis qui sont en réalité la reprise d’une doctrine bien établie de la CADA et qui ne présentent pas de nécessité d’un débat collégial dans l’institution, il est prévu que le collège a délégué à son président la possibilité de prendre sous sa seule signature ces avis très simples. C’est ce qu’on appelle, entre guillemets, « les ordonnances du président ».

Frédéric Couchet : On abordera au moins un de ces avis-là vu qu’il y en a un qui nous concerne et qui concerne Next INpact. Est-ce que, Xavier Berne, Tangui Morlier, vous voulez ajouter quelque chose sur cette partie-là ou poser une question éventuellement aussi ? Xavier ? Comme tu es au téléphone, je te donne peut-être la parole.

Xavier Berne : Oui. Est-ce que vous pouvez un petit peu nous raconter comment sont prises les décisions en séance ? Comment se passent, un petit peu, les discussions entre membres du collège de la CADA ?

Marc Dandelot : Oui. Voilà aussi concrètement que possible comment ça se présente. D’abord, lorsque le collège se réunit, nous avons la possibilité de recourir à deux types de procédure : soit on a une délibération qui est, je dirais, classique, soit, si nous avons une nécessité particulière, nous pouvons inviter des administrations ou des représentants, même quelquefois des personnes concernées, à participer à un dialogue avec la Commission, au début. Nous n’en abusons pas parce que ça fait aussi durer les débats ; ça c’est une première option.

La deuxième chose c’est que, pour l’essentiel des affaires, lorsqu’une affaire a été inscrite à l’ordre du jour du collège, le rapporteur général qui est une institution très originale et importante de la CADA, qui est le leader du groupe des rapporteurs – les rapporteurs qui ont préparé les dossiers ne sont pas physiquement présents lors d’une réunion de la CADA parce qu’ils sont souvent en province et que ça serait compliqué ; en revanche il y a un rapporteur général –, qui vient faire un rapport indépendant qui expose l’affaire au collège sur la base duquel la discussion du collège peut se fonder.

Ensuite, comme toute institution collégiale, comme le ferait même une quasi juridiction, il y a un débat au sein du collège et c’est ensuite la tâche du président, lorsque le débat est terminé, d’apprécier s’il y a un consensus sur une solution ou s’il faut voter. Lorsque c’est nécessaire nous procédons à un vote ou bien, lorsque ce n’est pas nécessaire, on constate qu’il y a un accord global. C’est comme ça que fonctionnent toutes les instances collégiales.

Frédéric Couchet : Tangui Morlier.

Tangui Morlier : Le délai légal d’un mois pour que vous puissiez instruire la demande et émettre un avis est un délai très contraint.

Marc Dandelot : Oui.

Tangui Morlier : Aujourd’hui il est de combien de temps en moyenne ?

Marc Dandelot : Aujourd’hui la moyenne c’est plutôt autour de trois mois. Nous ne sommes pas satisfaits de cette situation. Il faut bien voir que la raison pour laquelle on a voulu enserrer la CADA dans un délai extrêmement court c’est pour que la personne qui saisit la CADA puisse sans attendre, si la CADA n’a pas rendu son avis, l’expiration de ce délai, saisir le juge administratif. Donc c’est une garantie. Maintenant, compte-tenu du nombre et de la complexité des affaires qui nous sont soumises, aujourd’hui nous avons souvent tendance à rendre nos avis dans un délai qui est de l’ordre de trois mois, qui n’est pas conforme à ce que prévoit la loi, que nous nous efforçons de contenir et de restreindre, mais c’est une opération délicate tant que la pression du nombre d’affaires reste au niveau où elle est aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Ça me permet de préciser le recours au tribunal administratif dans la procédure. On reprend l’exemple de quelqu’un, d’une personne qui sollicite un document administratif d’une mairie ; la mairie refuse ; la personne sollicite la CADA qui donne un avis qui donne raison à la personne qui demande le document, mais la mairie continue de refuser parce que l’avis n’est pas contraignant, c’est un avis simplement. À ce moment, la personne peut saisir le tribunal administratif qui là pourra juger. Et l’une des premières décisions les plus importantes, en tout cas suite aux lois numériques, c’est le code source des impôts il y a deux-trois ans je crois bien, où une personne demande à Bercy le code source des impôts ; Bercy refuse. La personne saisit la CADA. La CADA confirme que le code source est bien un document administratif ; Bercy ne s’y conforme pas. Finalement la personne a saisi le tribunal administratif. Entre temps Bercy, ayant compris qu’ils allaient se faire bouler au tribunal administratif, ils ont décidé d’ouvrir le code source des impôts, mais je rappellerais que le tribunal administratif avait donné raison à la personne qui demandait ce code source, avait donné raison à la CADA, en expliquant en plus très clairement que Bercy globalement, dans son argumentaire juridique, se foutait de la gueule du monde. [Rires]. C’est un avis personnel ! En tout cas les juges administratifs ne s’étaient pas trompés. Cette procédure, effectivement, peut aller jusqu’au tribunal administratif ce qui est un petit peu plus long.

Marc Dandelot : Si je puis me permettre un commentaire.

Frédéric Couchet : Allez-y.

Marc Dandelot : Je crois que ce que vous dites est très important dans la mesure où, même si la CADA, de par ses pouvoirs, n’émet que des avis, l’expérience montre que pour une série de raisons qui tiennent, j’ai tendance à le penser, à la qualité de ses avis, dans un très grand nombre de cas, je ne dis pas presque toujours, mais je pourrais dire presque toujours, l’avis de la CADA est conforté par le tribunal administratif. C’est ça qui fait l’autorité des avis de la CADA. Donc le fait que lorsque l’administration ne suit pas un avis de la CADA – elle a le pouvoir de le faire, c’est comme ça que le législateur a voulu assurer l’équilibre du dispositif –, elle doit s’attendre avec beaucoup de probabilités, si elle insiste dans ce sens, à être censurée par le juge administratif.

Frédéric Couchet : Je vais poser une dernière question et je vais te laisser la parole Tangui, je vais poser une dernière question avant une pause musicale et, après la pause musicale, on abordera la qualité des avis de la CADA et notamment certains avis. Ma question porte sur les évolutions récentes qui ont pu être introduites notamment par la loi pour une République numérique en 2016 ou d’autres lois, dans ce dispositif. Est-ce qu’il y a eu des évolutions majeures, soit positives, positivement pour les différents acteurs, soit négativement. Je pose la question collégiale à nos trois invités. Je vais commencer par Tangui qui voulait prendre la parole ou tu veux parler d’autre chose Tangui, réagir ?

Tangui Morlier : Je voulais juste informer nos auditeurs qu’il n’y a pas besoin d’attendre l’avis de la CADA. En fait, il suffit d’avoir saisi la CADA pour pouvoir aller voir le juge administratif et cet avis est non contraignant vis-à-vis du tribunal administratif comme on l’a souligné.
Effectivement il y a eu des réformes et la loi CADA a été notablement réformée lors de la législature précédente puisqu’il y a deux lois qui l’ont directement impactée : la loi de Clotilde Valter sur les données publiques et la loi numérique d’Axelle Lemaire qui ont, à quelques mois d’intervalle, fait progresser grandement le droit à la transparence avec l’introduction du droit à l’open data. Ça on le doit à la loi Lemaire qui permet aux citoyens non seulement de pouvoir obtenir la communication d’un document, mais aussi de pouvoir obtenir la publication de ce document ou de ces données. En plus c’est un processus qui est venu des citoyens puisque, entre autres, Regards Citoyens a pas mal agi pour que les parlementaires intègrent ça dans le texte du gouvernement.

Frédéric Couchet : En gros, c’est le principe de ne demander qu’une seule fois. C’est-à-dire un document demandé à l’administration… Non ce n’est pas exactement ça ?

Marc Dandelot : Ce qu’on appelle l’open data qui est, en français, l’ouverture des données qui est, en termes d’importance du sujet, la plus grande novation effectivement de la loi Lemaire, ça consiste en quoi ? Ça consiste en une inversion du paradigme de l’accès. Dans le dispositif traditionnel de la loi de 1978 dont on a parlé jusque-là, il y a un droit d’accès qui implique que la personne demande le document. Dans le système de ce qu’on appelle l’open data, il y a une obligation pour l’administration concernée de spontanément mettre en ligne.

Frédéric Couchet : OK.

Marc Dandelot : Ce qui évidemment va entraîner une dispense : la demande devient sans objet. Simplement vous imaginez que pour que cette obligation se réalise spontanément il faut un changement de comportement assez important de la part de l’administration, qui n’est pas seulement lié à des problèmes pratiques, mais aussi à des problèmes culturels.

Frédéric Couchet : D’ailleurs je suis un peu coupable, parce qu’avec Tangui Morlier et Xavier Berne on a consacré une émission à ce sujet. J’invite les personnes intéressées : c’est je crois, de mémoire, l’émission d’octobre 2018 sur les données publiques ouvertes et notamment les collectivités. Tangui, je te laisse continuer sur ce que tu voulais dire et ensuite je passerai la parole à Xavier Berne.

Tangui Morlier : Deuxième innovation de ces lois et là il me semble que c’est la loi Valter qui l’a introduite, c’est que les documents numériques peuvent être demandés en format ouvert, ce qui n’était pas forcément le cas avant. Certaines administrations donnaient des formats propriétaires qui, ne pouvant pas être ouverts par les citoyens, devenaient sans usage réel. Et la dernière innovation pour les résumer…

Marc Dandelot : La gratuité surtout.

Tangui Morlier : La gratuité est effectivement annoncée par la loi Valter, mais c’était déjà la règle. Elle est annoncée politiquement de manière plus forte à travers la loi Valter.
La troisième innovation, on en a parlé tout à l’heure, c’est le fait que le président de la CADA puisse prendre des avis sans solliciter le collège, ce qui offre un droit supplémentaire en termes de fluidification éventuelle de la CADA.

Frédéric Couchet : On va en parler juste après la pause musicale. Xavier Berne, est-ce que tu veux intervenir sur cette partie-là ?

Xavier Berne : Non, je pense que c’est bon. Je pense que les deux intervenants précédents ont plutôt bien fait le tour sur les nouveautés de la loi numérique. Il y en a beaucoup d’autres mais après ça relève peut-être du détail. Ce qu’il faut retenir c’est qu’effectivement cette loi CADA relevait plutôt du modèle : je demande à l’administration, l’administration me donne. Avec la loi numérique il y a de nouvelles obligations pour que les administrations mettent également sur Internet des documents administratifs pour que tout le monde en profite. Au-delà de l’aspect bénéfique pour la société civile, c’est aussi important pour les administrations. Pourquoi ? Parce que juridiquement, un document qui est mis en ligne n’a plus à être communiqué ensuite à un citoyen qui viendrait le demander. Ça veut dire qu’après, l’administration n’a plus à répondre aux demandes individuelles. L’administration aussi a donc intérêt à ce que les documents administratifs soient mis en ligne.

Frédéric Couchet : Tangui Morlier, tu veux intervenir.

Tangui Morlier : Peut-être parmi les dernières réformes, il y a une réforme plus inquiétante qui, en théorie, ne doit pas impacter, si on regarde d’un point de vue simplement juridique, la loi CADA, mais qui est une régression en matière de transparence globale de la société, c’est le secret des affaires qui a été voté un petit peu plus récemment. Il se trouve parfois que la CADA, et ça permettra peut-être de lancer le sujet, s’empare de ce sujet alors qu’à priori elle ne devrait pas être concernée. Et ça crée aussi beaucoup d’inquiétude de la part des administrations ou de certains délégataires de service public qui vont utiliser cet argument du secret des affaires pour opposer de l’opacité.

Frédéric Couchet : C’est l’un des sujets qui sera abordé après la pause musicale. Quand on parlera des avis on parlera principalement de trois avis on va dire, entre guillemets, « emblématiques ». Nous allons faire une pause musicale, le morceau s’appelle La petite Britney, le groupe s’appelle 6 février 1985, je ne sais pas pourquoi, et on se retrouve juste après.

Pause musicale : La petite Britney par le groupe 6 février 1985.

Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur l’émission Libre à vous sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Vous venez d’écouter La petite Britney par le groupe 6 février 1985. Les références précises sont sur le site de l’April.

Nous sommes toujours en compagnie de Xavier Berne, journaliste à Next INpact, Xavier par téléphone et, au studio, Marc Dandelot président de la Commission d’accès aux documents administratifs, Tangui Morlier membre du collectif Regards Citoyens.
Nous étions un petit peu dans la théorie. On va continuer à en parler sur un point précis avant d’aborder certains avis de la CADA. On va parler de l’aspect secret. Marc Dandelot notamment, président de la CADA, souhaitait aborder ce sujet ; je vous laisse la parole.

Marc Dandelot : Merci. Je voulais dire que dans les secrets, c’est vrai de toutes les législations dans le monde entier sur la communication des documents administratifs, il y a des éléments, des données, des informations qui doivent rester secrètes. Il y en a deux grandes catégories pour comprendre.
Il y a d’abord des secrets d’intérêt général, par exemple la sécurité publique. On ne peut pas dévoiler, à l’occasion d’un document, des informations qui mettraient en cause la sécurité publique.
Et puis il y a des secrets plus contingents à la situation de personnes, que ce soit des personnes physiques ou des personnes morales. Le secret dont peut se prévaloir une personne physique c’est la vie privée. Le secret dont peut se prévaloir une personne morale c’est le secret des affaires et, dans l’hypothèse où un tel secret lié à une personne est en cause, le document ne peut être communiqué qu’à cette personne précisément, sauf si la loi, explicitement, est venue prévoir une exception.
Lorsqu’un document, ce qui est très souvent le cas, surtout un document d’une certaine importance, contient des éléments qui sont couverts par le secret, ce qu’il faut bien comprendre c’est que ce que prévoit la loi c’est que l’administration doit non pas décider tout de suite de ne pas communiquer, mais doit regarder si elle peut occulter. À ce moment-là, elle ne délivrera qu’un document occulté. C’est souvent un sujet de débats d’abord parce que la portée de ce qui doit être occulté fait souvent, je dirais, un débat entre les parties. Et deuxièmement, ce qu’il faut bien voir aussi, c’est que le travail d’occultation peut représenter une charge de travail très importante lorsque le document est gros et n’a pas été rédigé et conçu dans la perspective où il pourrait être communiqué. Nous trouvons de façon récurrente des réticences anormales de l’administration à communiquer ce genre de document non pas du tout pour des principes qui sont le refus de la transparence, mais simplement par le travail que représente ce processus d’occultation qui représente des charges supplémentaires de travail pour une administration qui peut ne pas être, je dirais, enthousiaste à l’idée de se mettre ça sur le dos en supplément de ce qu’elle a à faire normalement.

Frédéric Couchet : Tangui Morlier, tu veux réagir ?

Tangui Morlier : Effectivement, il y a certains secrets qui sont légitimes. On pense naturellement à la vie privée. Le rôle d’une administration n’est pas de révéler la vie privée de ses concitoyens, même s’il est parfois légitime que l’administration en connaisse une partie, je pense notamment aux revenus ou à ce genre de choses. En revanche, il faut bien avoir à l’esprit que ces secrets, au sens de l’administration, sont toujours limités dans le temps. Même le secret le plus secret au sens administratif va être révélé par le travail historique des historiens, des archivistes publics, dont la charge est, justement, d’évaluer quand est-ce que ce secret deviendra public et qu’on pourra comprendre des décisions publiques qui ne sont peut-être pas immédiatement compréhensibles par le simple accès aux documents administratifs.
Il se trouve que ces secrets légitimes sont régulièrement utilisés par des administrations opaques ou qui n’ont pas de culture de la transparence, pour opposer un refus à des citoyens, parfois un petit peu énervés, parfois un peu trop challengeants, et le repli classique de toute organisation, qu’elle soit publique ou pas, c’est de dire : ce ne sont pas vos problèmes, regardez ailleurs.
Donc il y a cet équilibre qu’il faut toujours trouver entre des secrets légitimes qui doivent être le plus minimes possible puisqu’il s’agit de la chose publique et que, du coup, l’ensemble des citoyens doit connaître, y compris en attendant un petit peu parfois, et cette culture de la transparence, en tout cas cette culture de la transparence démocratique qui n’est sans doute pas assez intimement connue par les institutions.

Frédéric Couchet : Avant de passer la parole à Xavier Berne qui, je suis sûr, réagira sur ce point-là, et avant d’aborder certains avis de la CADA en détail, il y a au moins une administration qui pratique le noir sur les documents de façon très intensive c’est quand même le ministère des Armées, ex-ministère de la Défense, qui est capable de nous envoyer 100 pages de documents où à peu près 90 % est noirci de façon totalement abusive, des fois en oubliant le sommaire et le sommaire révèle des fois des choses ! En plus ils sont incompétents quand ils font ce genre d’opération, excusez-moi de le dire.
Xavier Berne est-ce que tu veux réagir sur ce point précis ? Ensuite, ce que je propose, c’est qu’on enchaîne sur l’un des avis on va dire emblématiques de ces derniers mois de la CADA qui concerne justement notre ministère entre guillemets « préféré », qui est le ministère des Armées, et qui concerne à la fois l’April et Next INpact. Xavier Berne.

Xavier Berne : Je pense que c’est bon. Je veux bien qu’on continue plutôt sur d’autres avis pour avancer un petit peu sur les différents sujets qui seront évoqués, je pense, dans l’émission.

Frédéric Couchet : À ce moment-là, est-ce que tu peux nous expliquer la démarche que tu as faite par rapport à un document que nous avions demandé au ministère des Armées, que nous avions publié sur notre site. Toi, ensuite, tu as sollicité le ministère des Armées sur un point précis et la CADA a donné un avis. Est-ce que tu peux nous faire une petite explication de texte, s’il te plaît ?

Xavier Berne : En fait, il y a un contrat qui lie actuellement, et depuis de nombreuses années, le ministère de la Défense à l’entreprise Microsoft pour des produits de type Office. Du coup l’April avait demandé la communication de certains documents contractuels qui ont été communiqués par la suite à l’April, l’association de promotion du logiciel libre. Et il se trouve qu’en fait, théoriquement, le ministère des Armées ayant plus de 50 agents, en vertu de la fameuse loi numérique, il aurait dû mettre en ligne tous ces documents.

Frédéric Couchet : Sur leur site ?

Xavier Berne : Ce n’est pas précisé. C’est précisé que ça aurait dû être publié en ligne, mais c’est quand même plus ou moins sous-entendu que c’est sur le site de l’administration en question. Les documents n’avaient pas été mis en ligne. En plus, les documents qui vous avaient été communiqués à l’époque, n’avaient pas été communiqués dans un format ouvert comme le prévoit également la loi numérique. C’est-à-dire que c’était de simples documents qui avaient été scannés et un document scanné, c’est complètement inexploitable ; on ne peut rien en faire derrière ! Il faut ressaisir tout ce qui est dans le document scanné et mettre dans un fichier de traitement de texte ou un tableur si ce sont des chiffres.

Frédéric Couchet : Pour préciser, en fait on avait reçu un courrier papier que nous avions scanné. Pour préciser.

Xavier Berne : D’accord. Ah ben oui ! Je ne savais pas, du coup ça changeait des choses. J’avais quand même fait une demande de publication en ligne. J’avais demandé au ministère des Armées qu’il mette directement en ligne ces fameux documents administratifs. Le ministère des Armées ne m’a pas répondu. Donc au bout d’un mois j’ai saisi la CADA qui, au bout de plusieurs mois, m’a répondu en disant que ma demande était irrecevable tout simplement parce que les documents que je demandais étaient mis en ligne sur le site de l’April, l’association de promotion du logiciel libre. J’ai trouvé ça vraiment très surprenant que la CADA accepte que, d’une certaine manière, l’administration se défausse de ses obligations sur un tiers et là, en l’occurrence, c’était votre association l’April.

Frédéric Couchet : Pour bien préciser, l’association n’a pas une délégation de service public. Nous sommes une association loi 1901 de droit privé. Ça nous a aussi surpris ; on peut dire qu’on emploie un mot un peu faible parce qu’on a trouvé ça parfaitement scandaleux. On a trouvé la réponse du ministère des Armées à peu près logique parce que le foutage de gueule au ministère des Armées, j’insiste, est à peu près permanent sur ce dossier-là. Par contre, ce à quoi on s’attendait effectivement, c’est que la CADA les corrige un petit peu et leur disent qu’ils s’étaient trompés. Avant de laisser évidemment Marc Dandelot s’expliquer sur ce dossier précis, est-ce que, Tangui Morlier, tu veux ajouter quelque chose sur cet avis-là précis ?

Tangui Morlier : Il nous a aussi fortement surpris. Il me semble que l’article L312-1 dit clairement que les administrations rendent publics les documents. Ce document, par exemple, puisqu’il avait fait l’objet d’une demande CADA et que la loi Lemaire prévoyait que les documents qui faisaient l’objet d’une demande CADA étaient ensuite publiés sur le site des administrations. Donc on a été effectivement surpris de cet avis qui nous a semblé être plus un copié-collé de la part du ministère de la Défense qu’un vrai avis mûrement réfléchi de la part de la CADA.

Frédéric Couchet : Avant de laisser la parole à Marc Dandelot je précise que l’avis a été pris par Marc Dandelot en tant que président de la CADA. On parlait de la procédure entre collège et décision prise par le président. Si je me souviens bien ce genre d’avis, vous l’expliquiez tout à l’heure, c’est soit pour des décisions simples – il nous paraissait à peu près simple que le ministère des Armées racontait n’importe quoi –, soit pour des décisions qui faisaient suite, finalement, à une doctrine régulière de la CADA. On a regardé un peu la doctrine de la CADA, on n’a jamais trouvé d’avis qui confirmait qu’une structure n’ayant pas une délégation de service public avait la charge de mettre en ligne des documents qu’elle avait reçus via une administration et aussi de les maintenir. Je rappelle que la loi Lemaire oblige à maintenir ces documents donc nous oblige, quelque part, à demander régulièrement au ministère des Armées les nouveaux documents pour mettre à jour notre site. Marc Dandelot, sur ce dossier-là, en gros, pourquoi cette décision ?

Marc Dandelot : Je vais expliquer la décision et ensuite je vais commenter par rapport à ce que nous nous sommes dit à l’instant qui contribue peut-être à éclairer des éléments qui ne sont pas traités par la décision.
Aussi curieux que cela puisse paraître, si j’ai pris cette ordonnance c’est tout simplement parce que telle était la doctrine de la CADA en vertu d’avis précédents que je n’ai donc pas inventés. Il faut que je m’explique un peu de la technique juridique.

Frédéric Couchet : Allez-y.

Marc Dandelot : Ce que prévoit la loi c’est que lorsqu’un document a fait l’objet d’une diffusion publique on ne peut pas en demander communication parce que, en quelque sorte, l’accès public a été fait. La question s’est posée il y a déjà plusieurs années de savoir si la diffusion publique d’un document était exclusivement sa diffusion par l’administration ou si l’état de fait de diffusion publique pouvait résulter de la mise en ligne par une personne privée. Il se trouve que dans plusieurs cas précédents la CADA avait retenu cette conception purement factuelle de la diffusion publique, c’est-à-dire avait admis que lorsqu’un document a été révélé publiquement il n’entre plus dans la procédure de droit d’accès puisque le droit d’accès devient sans objet.

Tangui Morlier : Pour être sûr de bien comprendre, vous estimez, du coup, que les nouveaux articles qui ont été introduits pas la loi Lemaire ne vous concernent pas ?

Marc Dandelot : Non. C’est là où il y a deux points sur lesquels je voudrais nuancer. D’abord c’est que, de toute façon, au vu de ce que nous avons déjà dit nous-même depuis la loi Lemaire, c’est qu’il ne peut y avoir diffusion publique que si c’est diffusé dans le format qui est requis par la loi. Et là, par rapport à ce qu’a dit Xavier, effectivement il peut y avoir un problème, mais ça ce n’était pas dans le dossier sur lequel j’ai eu à me prononcer.

Frédéric Couchet : Ça l’était indirectement, parce que, excusez-moi, dans votre avis vous citez l’URL du site de l’April. Sur le site de, l’April les documents c’est du PDF scanné ; ce n’est pas un format ouvert ! Donc vous aviez les informations. Ça me fait penser à un point que je souhaitais aborder à la fin de l’émission mais je le cite tout de suite pour qu’on en reparle tout à l’heure : dans les procédures, la CADA discute avec l’administration, échange, mais à aucun moment la CADA n’échange avec la personne requérante pour dire « l’administration nous répond ça, qu’est-ce que vous en pensez ? » Alors qu’au tribunal administratif il y a cette procédure-là. C’est un manque dans la procédure !

Marc Dandelot : C’est exact mais c’est ce qui est prévu par la loi et on peut le contester.

Frédéric Couchet : Ça, je ne vous le reproche pas.

Marc Dandelot : C’est-à-dire qu’effectivement, initialement c’est pour des raisons qui tiennent à la rapidité de l’instruction. La CADA étant une autorité administrative et non pas une autorité juridictionnelle, il n’est pas prévu ce qui s’appelle une procédure contradictoire. C’est-à-dire que nous sollicitons pour notre information des informations de l’administration, mais nous n’avons pas de va-et-vient, d’échanges de communication comme on ferait un échange de communication de mémoires dans le cadre juridictionnel, avec la personne qui nous saisit. Ça, c’est le texte de procédure.

Tangui Morlier : En même temps l’usage a pu vous permettre par le passé, il me semble au moins une fois à travers un cas lié à la jurisprudence, de pouvoir accueillir un demandeur pour qu’il exprime son point de vue devant la Commission. Il me semble que vous l’avez fait avec l’entreprise Doctrine.

Marc Dandelot : Oui. Nous l’avons fait, absolument. Que nous puissions le faire est une chose que nous nous sommes reconnue ; que nous soyons obligés de le faire ne résulte pas des textes.

Frédéric Couchet : Nous sommes d’accord ! Ça ne résulte pas des textes. Mon point était simplement de dire que c’était un manque dans les textes actuels.

Marc Dandelot : Maintenant, si effectivement ce que vous me dites c’est que nous pouvions avoir de par une recherche suffisamment je dirais pertinente.

Frédéric Couchet : Un clic. Un clic ! Excusez-moi, mais dans votre avis il y a le lien vers notre page. Un clic ! Ou alors c’est que, peut-être, la définition du format ouvert n’est pas maîtrisée.

Marc Dandelot : Si le format n’était pas bon ! C’est un avis. Il faudrait que je regarde.

Frédéric Couchet : Excusez-moi. À la limite c’est un point mineur cet aspect format même si, effectivement, c’est dans la loi. Le point essentiel c’est que vous dites que dans la jurisprudence de la CADA vous avez trouvé des avis conformes.

Marc Dandelot : C’est un point qu’on peut discuter, peut-être au vu de la nouvelle loi. Je pense qu’une diffusion publique puisse exister de par la publication d’un tiers ne suffit pas à, je dirais, accomplir les obligations de l’administration à mettre en open data. Ça je crois que c’est exact et donc peut-être qu’il faut que nous reconsidérions notre, pas que nous reconsidérions, mais que nous complétions notre doctrine sur ce point. Je vous l’admets.

Tangui Morlier : C’est-à-dire que si Xavier refait sa demande, peut-être qu’il n’aura pas le même avis ?

Marc Dandelot : Écoutez, je ne peux pas en préjuger. En tout cas, si aujourd’hui nous sommes saisis d’une demande qui ne soit pas une demande de communication mais une demande de mise en ligne, ce qui était le cas d’ailleurs, je pense que je ne prendrais pas d’ordonnance et je soumettrais l’affaire au collège. C’est assez clair.

Frédéric Couchet : Xavier Berne.

Xavier Berne : Vous vous rendez quand même compte qu’avec ce genre d’avis vous envoyez un sacré signal à l’administration parce que, du coup, d’une part vous dites que vous n’avez pas à respecter les obligations de la loi numérique à partir du moment où une association s’en charge. Ça veut quand même dire aussi que l’association, du jour au lendemain, elle peut arrêter par exemple de mettre ce lien. Vous avez dit tout à l’heure que c’était à partir du moment où il y avait eu une diffusion publique. Mais vous parlez au passé comme si, une fois que la diffusion publique a cessé, l’obligation de publier en ligne le document cessait aussi. Pour moi l’obligation, dans le code des relations entre le public et l’administration, c’est bien de publier en ligne de manière indéterminée.

Marc Dandelot : Ça je suis d’accord.

Xavier Berne : Concrètement il se passe quoi si demain l’April arrête de mettre le document sur son site internet ?

Marc Dandelot : Nous n’avons jamais eu un cas de ce genre, mais il faudra en tirer les conséquences.

Frédéric Couchet : Le document vient de disparaître du site de l’April ! À l’instant ! J’ai tapoté au clavier, malheureusement ! Non c’est une blague ! [Rires]
Par contre j’ai une question plus précise, peut-être que vous n’avez pas les références en tête. Vous dites que dans la doctrine vous avez des cas.

Marc Dandelot : On a eu des cas.

Frédéric Couchet : Moi je suis intéressé par les avis précis. On a regardé un peu la doctrine ; j’ai des exemples en tête où notamment, effectivement, ce sont des structures tierces qui avaient mis en ligne des documents. Mais les exemples que j’ai en tête, notamment un exemple avec Infogreffe, ce sont des structures qui avaient une délégation de service public. Moi je suis preneur d’un avis de la CADA dans lequel la structure qui a mis en ligne le document est une structure type association loi 1901 qui n’a pas délégation de service public. Je suis preneur ! Ce n’est pas immédiatement évidemment dans l’émission mais après. J’aimerais bien consulter cet avis. J’avoue ne pas l’avoir trouvé ni sur le site de la CADA ni en consultant les rapports d’activité. Je sais que dans un certain nombre de rapports d’activité, je crois que c’est celui de 2015, il y a un débat sur ce sujet, effectivement, de la diffusion.
Est-ce que sur cet avis-là ça vous paraît clair ? Est-ce que vous souhaitez poursuivre ou est-ce qu’on peut prendre un deuxième avis récent de la CADA. Xavier Berne ?

Xavier Berne : Je pense qu’on peut passer à un autre avis de la CADA. On prend quelques avis ici, mais, d'une certaine manière, pour moi les problèmes autour des avis de la CADA disent quand même un problème de fond autour du fonctionnement de la CADA.

Frédéric Couchet : Qui est ?

Xavier Berne : J’en discutais il n’y a pas très longtemps avec l’association Ouvre-boîte qui travaille également pour ouvrir des données et qui me disait : « On a souvent l’impression que la CADA n’a pas le temps d’instruire correctement les dossiers faute de temps ». Et effectivement, c’est un petit peu l’impression que j’ai eue en lisant l’avis sur l’histoire des documents contractuels du ministère des Armées et ça se retrouve dans d’autres avis que tu vas sûrement vouloir évoquer.

Frédéric Couchet : Tangui Morlier.

Tangui Morlier : S’il existe une autorité indépendante elle doit faire bien son travail avec les moyens qu’on lui donne. À priori ces moyens ont légèrement augmenté, peut-être pas suffisamment au regard des gens qui la gèrent, mais on est quand même passé de 15 rapporteurs à 19 ou 20 ; ce sont des informations qui sont publiées sur le site de la CADA, en regardant les rapports. Le nombre d’avis traités par rapporteur diminue d’année en année ; on était autour de 350 avis par rapporteur en 2013, aujourd’hui on est quasiment à 250 par rapporteur. J’ai récupéré toutes les données. Là où on peut rendre hommage à la CADA c’est quand même que la CADA s’applique à elle-même la transparence qu’elle est censée véhiculer aux autres administrations et qu’on peut récupérer l’intégralité des avis en open dataà travers un partenariat avec data.gouv.fr, donc ce travail-là de pouvoir ausculter le travail de la CADA, avec une volonté de l’améliorer. C’est pour ça, d’ailleurs, qu’on se félicite tous que son président soit en train de discuter avec nous aujourd’hui.
Il me semble effectivement qu’il y a aujourd’hui un problème de qualité qui n’est pas lié à un surplus d’activité, en tout cas numéraire. Peut-être que les avis sont plus complexes, mais force est de constater qu’il y avait 10 000 sollicitations en 2014 et 2015 et il y en aura un petit peu moins en 2018 si on regarde les données qui sont publiées par data.gouv.fr.

Frédéric Couchet : Je vais passer la parole à Marc Dandelot mais avant je vais préciser deux choses. On va traiter deux avis. Notamment l’un où Regards Citoyens considère qu’il y a une erreur de droit et l’autre c’est pour revenir sur le secret des affaires, le lien dont parlait tout à l’heure Tangui Morlier entre secret des affaires et loi CADA.
Avant je voudrais juste rappeler que dans la procédure, la CADA étant une administration, vous pouvez dans le cadre de votre dossier, quand vous saisissez la CADA, demander à la CADA d’avoir les échanges avec l’administration et c’est toujours très intéressant. La CADA, de ce côté-là, nous transmet effectivement les informations ce qui nous permet de voir les échanges avec l’administration concernée. C’est une bonne pratique et je salue au passage Marc Rees de Next INpact qui nous a un jour donné ce petit truc. Effectivement la CADA étant une administration, la loi s’applique à elle-même.
Est-ce que vous voulez réagir tout de suite sur les propos de Tangui Morlier avant qu’on repasse dans le détail les deux avis.

Marc Dandelot : Juste très brièvement. On peut toujours trouver des critiques, nous ne sommes certainement pas à l’abri de critiques et je le reconnais très volontiers. Ce que je voulais quand même dire c’est qu’il y a dans la culture de la CADA — et moi, personnellement, j’y étais extrêmement attaché dans la façon dont nous avons continué à fonctionner au cours des dernières années — un souci qui a toujours été le nôtre de motivation extrêmement solide et complète de nos avis. Ce qui, effectivement, peut rendre la tâche plus difficile et consommatrice de temps quand nous sommes l’objet, comme c’est de plus en plus souvent le cas, de demandes compliquées. C’est vrai qu’une des raisons qui nous ont conduits à accepter d’être un petit peu plus, je dirais, souples sur le délai d’instruction, c’est parce que nous mettons plus de temps à faire une réponse complète aux demandes qui nous sont faites. Donc c’est une question d’équilibre entre la nécessité d’être toujours aussi rapides que possible par rapport à ce qu’a demandé le législateur et la nécessité d’avoir des avis juridiquement construits. Maintenant, encore une fois comme je le disais, il m’arrive moi-même de trouver qu’une décision du Conseil d’État qui remet en cause un avis de la CADA n’est pas justifié ou injuste, mais pour autant on l’applique parce que c’est le juge suprême de la juridiction administrative qui nous a dit le droit. Nous ne sommes pas, nous-mêmes, à l’abri de l’opinion qui peut être la vôtre, que notre opinion serait discutable.

Frédéric Couchet : Xavier Berne, je crois que tu voulais prendre un exemple, une demande de non publication de documents du Syndicat intercommunal d’énergie et e-communication de l’Ain, si je me souviens bien ; c’est un peu long.

Xavier Berne : Ce n’était pas le détail qui était intéressant. Ce qui m’avait choqué, en fait, dans cet avis de la CADA, c’est que la personne demandait la publication d’un document administratif et la CADA dans son avis s’est, à mon avis, complètement trompée de base légale en disant à la personne : non, votre demande n’est pas recevable parce qu’il manque un décret d’application. Or, cette demande de publication relevait d’un autre article de la loi CADA pour lequel il n’y avait pas besoin de décret d’application. Ça s’appliquait. Très logiquement la personne aurait dû recevoir un avis favorable à sa demande de communication.
Est-ce que, derrière tout ça, il n’y a quand même pas un petit peu des problèmes de moyens ou, je ne sais pas, de méthode de fonctionnement en interne. Est-ce que vous admettez qu’il puisse y avoir des erreurs, tout simplement ?

Frédéric Couchet : Marc Dandelot.

Marc Dandelot : Écoutez. D’abord je ne crois pas que ça soit vraiment très intéressant de reprendre l’argumentation juridique sur cet avis qui, en fait, partait de l’idée qu’on invoquait une loi qui n’était pas encore en vigueur. Je crois qu’effectivement ce n’était pas un problème de décret d’application mais que la loi n’était pas en vigueur. De toute façon, aujourd’hui elle l’est, donc c’est vraiment une affaire ancienne qui n’a plus de portée aujourd'hui.
Maintenant si vous me dites : est-ce que nous ne nous trompons jamais, je dis : nous essayons de nous tromper le moins possible. Maintenant, ce que je peux dire, quel est le juge de la justesse des avis que nous rendons ? C’est le juge administratif. Ce que je constate c’est que, aujourd’hui pas plus qu’autrefois je dirais, la validation par le juge administratif des avis de la CADA n’est pas plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a dix ou vingt ans. Donc je ne partage pas l’idée qu’aujourd’hui les avis de la CADA seraient plus fragiles en termes juridiques. Maintenant, qu’on puisse trouver un avis dans lequel on a pris une solution discutable, je ne vois pas comment je peux dire que ce n’est pas possible. Nous sommes tous des êtres humains et même avec le maximum, je dirais, d’attention et de professionnalisme que nous pouvons porter à notre analyse, il peut se faire qu’il y ait quelque chose qu’on n’a pas vu, ça je ne peux pas le nier.

Frédéric Couchet : Xavier Berne.

Xavier Berne : Je ne cherchais pas à jeter la pierre en particulier sur tel ou tel avis, mais il s’avère qu’en tant que journaliste j’ai souvent besoin de saisir la CADA ; si je pouvais ne pas la saisir ce serait très bien ! Malheureusement les administrations, la plupart du temps, ne répondent même pas aux demandes de communication de documents administratifs et derrière, on se retrouve avec des avis des fois complètement loufoques. Le problème c’est que, pour le simple citoyen, déjà saisir la CADA je pense que c’est quelque chose qui n’est pas forcément, de prime abord, quand on n’a jamais fait ça auparavant ! Saisir le juge administratif derrière je pense que c’est quelque chose qui est encore plus rédhibitoire. Le manque de soin qui peut être apporté parfois dans certains avis, à mon avis, se fait à la défaveur des citoyens et donc du droit d’accès aux documents administratifs.

Frédéric Couchet : Tangui Morlier.

Tangui Morlier : Je partage totalement l’avis de Xavier. Ce pourquoi ? En l’occurrence pour Montélimar, c’est un proche de Regards Citoyens qui a fait la demande et il était assez clair, dans son esprit, que la CADA s’était trompée, que l’article L311-1 était applicable sans faire l’objet d’aucun décret. Et pourtant il n’est pas allé devant le tribunal administratif parce que, pour un citoyen, c’est quelque chose d’extrêmement coûteux en temps – pas en termes d’argent puisqu’on n’a même pas besoin d’un avocat –, mais c’est une charge importante à mener pour un citoyen.
Il se trouve que, pendant longtemps, la CADA était vue comme un médiateur dont les avis permettaient de calmer les insistances des citoyens et de rendre raison à certaines administrations qui faisaient de l’opacité. Donc ses avis, par la sagesse médiatrice de la CADA, étaient très peu remis en cause et sur le plan social à travers les militants de la transparence – je pense par exemple à Raymond Avrillier ou ce genre de militant qui utilise cet outil depuis très longtemps – et par la voie judiciaire à travers le juge administratif. Donc j’ai l’impression que vous profitez de cette aura positive pour la CADA. Je ne suis pas sûr que si tous les avis passaient devant le juge administratif on ne verrait pas une remise en question régulière de ces avis. Peut-être que je me trompe ! Peut-être que j’avais une vision totalement idéale de la CADA et qu’en regardant plus précisément, notamment grâce aux efforts de transparence que vous faites, on est tombés sur plus d’épisodes…

Marc Dandelot : Je pense peut-être aussi qu’il y a une explication très simple c’est qu’aujourd’hui, du fait de vos activités, nous sommes plus sous la scrutinise, sous l’œil critique et qu’effectivement c’est une façon pour nous de nous améliorer. Je le prends positivement.

Tangui Morlier : C’est extrêmement réjouissant que vous le preniez comme ça.

Marc Dandelot : Ce que je dois vous dire, ça je peux vous le dire vraiment avec beaucoup de certitude, sur la façon dont nous concevons nos réponses : quand, au collège, on parle de la rédaction de nos avis, surtout sur les sujets qui sont un peu difficiles à cerner comme le secret des affaires, nous essayons de développer des raisonnements qui soient suffisamment solides et suffisamment construits pour être compris par les administrations et donc que les avis aient l’autorité qu’il faut pour être mis en œuvre.

Frédéric Couchet : Ça nous permet une transition sur le secret des affaires qu’on va aborder juste après. Ce que dit Tangui Morlier c’est peut-être une sorte de désenchantement par rapport à une institution dont on attend beaucoup. C’est vrai que dans les autorités administratives, il y en quand même beaucoup, il y en certaines dont on n’attend rien, par exemple l’HADOPI, soyons clairs, qui a beaucoup plus de moyens financiers que vous et dont l’inutilité n’est plus à démontrer. Par contre c’est vrai que l’utilité de la CADA est importante. Et deuxième point, c’est peut-être aussi – et ça c’est aussi grâce à des structures comme Regards Citoyens, comme l’April et autres – que la compétence juridique des personnes augmente et donc elles sont plus en capacité de voir les erreurs juridiques.

Marc Dandelot : Absolument !

Frédéric Couchet : En tout cas de contester les avis juridiques de structures comme la CADA. Tangui l’a dit tout à l’heure, on vous salue vraiment de venir vous expliquer sur ces avis-là, ce qui ne serait pas forcément le cas de tout le monde. Il y a une montée en compétences de ce côté-là.

Tangui Morlier : Effectivement.

Frédéric Couchet : Comme l’a dit tout à l’heure Tangui, pour les personnes c’est compliqué d’aller au tribunal administratif et des fois on n’a pas envie ; même les structures, des fois on se dit : pff, aller au tribunal administratif c’est chiant, etc. Probablement que si vous avis été challengés plus souvent au tribunal administratif, peut-être qu’effectivement il y aurait des corrections.

Marc Dandelot : Je prends acte, mais je pense que je n’ai rien à dire, à contester de tout ce que vous dites.

Frédéric Couchet : D’accord. On va passer à un dernier avis ou, en tout cas, à un sujet qui est important parce qu’il y a des évolutions juridiques aussi au niveau européen avec la directive sur le secret des affaires, l’implémentation dans le droit français.
On sent bien que, d’un côté, il y a une volonté, une dynamique de transparence, côté évidemment des personnes et de certaines structures comme la CADA, mais, de l’autre côté, il y a des volontés de limiter la transparence au maximum en utilisant des nouveaux outils juridiques comme le secret des affaires. Tangui Morlier de Regards Citoyens, je crois que tu voulais prendre un exemple concret de décision récente ou, en tout cas, de sujet récent qui lie accès aux documents administratifs et secret des affaires.

Tangui Morlier : Absolument. On a mené un petit appel pour essayer de collecter non pas les erreurs de la Commission CADA, mais les problèmes liés à la transparence, si vous avez suivi notre fil Twitter, notre hashtag What The Fuck CADA?, #WTFCada.

Frédéric Couchet : Ça veut dire quoi What The Fuck?

Tangui Morlier : What The Fuck? c’est : mais qu’est-ce qui se passe donc avec la CADA, pour être tout à fait poli.

Marc Dandelot : Oui, oui !

Tangui Morlier : Mais ce n’est pas avec la CADA, c’est avec la loi CADA. Et si vous avez remarqué, dans les différents témoignages qui sont arrivés à travers ce hashtag, il y a des remises en question de certaines décisions du législateur. Il y a certaines administrations qui se sont fait épingler parce que vous aviez remis un avis positif et qu’il n’a pas été suivi. Et effectivement, dans le lot, certains avis posaient problème.
Ce qui a motivé, au sein de Regards Citoyens, le lancement de cet appel à témoignages, c’est une histoire relatée par Le Monde qui s’est penché sur les implants médicaux, qui a sollicité une administration chargée de collecter les autorisations liées à ces dispositifs médicaux et qui a simplement demandé la liste des entreprises qui avaient fait l’objet d’une autorisation et la liste des entreprises qui avaient vu leur dispositif médical refusé. L’administration a refusé. Le Monde a sollicité la CADA et, après quelque six mois d’attente, il a reçu un avis de la CADA, après la publication de son travail journalistique, lui indiquant que la demande n’était pas fondée puisqu’elle tombait sous le coup du secret des affaires.
Suite à ces témoignages-là, on a également eu le témoignage de l’association Ouvre-boîte qui a fait une demande d’accès au code emballeur. Lorsque vous allez dans un supermarché vous avez un petit pictogramme dans lequel il y a un numéro qui permet de savoir quelle est l’entreprise qui a emballé le produit que vous achetez dans le supermarché. Là, de manière encore plus surprenante, la CADA, alors que sa doctrine avait acté que c’était un document administratif et qu’on pouvait avoir la liste de tous les codes emballeurs, a décidé que cette liste d’entreprises était soumise au secret des affaires.
Ça nous a extrêmement choqués. Du coup on est allé voir, on s’est dit que les règles de la CADA étaient de regarder l‘application du droit. Donc on s’est demandé quelle était la définition du secret des affaires dans le droit français puisqu’il a été adopté, malheureusement, en France ces derniers mois.
Le secret des affaires répond à trois critères :

  • le premier c’est que le secret sollicité n’est généralement pas connu ou aisément accessible par les gens au sein d’une profession ;
  • le deuxième c’est qu’il revêt une valeur commerciale par son secret ;
  • et le troisième c’est qu’il existe une mesure de protection pour conserver le caractère secret de cette information.

Or, il se trouve que pour les deux avis liés au secret des affaires dont on a eu connaissance, il me semble qu’aucun de ces critères qui correspondent à la définition française du secret des affaires, n’est valide, alors que ce sont les trois conditions qui doivent être remplies, toutes les trois, pour pouvoir profiter de cette protection du secret des affaires.

Donc on a l’impression que pour ces deux décisions-là la CADA n’a pas pris une décision en droit mais a plutôt pris une décision politique. C’est-à-dire qu’il semblerait, au sein de la Commission, que des gens sont plutôt sensibles au secret des affaires et qu’ils ont envie de véhiculer une vision qui ne correspond pas au droit du secret des affaires et qui profite de certains avis pour passer ce message politique.

Frédéric Couchet : Marc Dandelot.

Marc Dandelot : Je ne pense pas du tout qu’il y ait de la part de la CADA la recherche de faire passer un message politique. S’agissant du secret des affaires tel qu’il est désormais appelé, l’ancien secret commercial et industriel, il a été précisé dans le CRPA [Code des relations entre le public et l’administration], dans la loi CADA, que les critères du secret des affaires étaient les mêmes que dans l’ancienne acception où on l’appelait le secret commercial et industriel.
Là-dessus je ne peux pas être d’accord avec vous. En revanche, je crois que de la part de la CADA il y a, dans la construction de sa doctrine, une continuité par rapport à ce qu’elle a construit jusque-là. Ce qui est vrai c’est que c’est un secret, nous l’avons dit à plusieurs reprises dans nos rapports précédents, dans lequel la subjectivité intervient. Et s’agissant du deuxième exemple que vous avez cité…

Tangui Morlier : Le code emballeur.

Marc Dandelot : Qui est le code emballeur, c’est vrai que nous avons dans cet avis récent changé sur un point la doctrine qui avait été exprimée par la CADA précédemment. Ça a été une délibération très explicite et longue de la CADA ; elle peut être contestée parce que, je dirais, rien n’est à l’abri de contestations, mais ça a été le délibéré de la CADA, sur la base de considérations objectives, qu’elle a estimé devoir prendre.
Sur l’affaire précédente c’est un petit peu différent, c’est-à-dire l’affaire des dispositifs médicaux. Je pense qu’il y a dans cette affaire une question qu'il faudra que la CADA se pose – et je ne sais pas si elle peut le faire seule, je veux dire sans changement législatif dans l’avenir – qui est la suivante. Je ne cherche pas à justifier, mais je cherche à expliquer ce qui a été le raisonnement de la CADA quand on lui a demandé la liste des entreprises qui avaient fait l’objet d’un agrément de leurs dispositifs médicaux ou qui se l’étaient vu refuser. Il se trouve que la CADA a appliqué sa doctrine traditionnelle, qui a été affirmée de nombreuses fois, selon laquelle la publication par une entreprise de la liste de ses clients relève du secret des affaires. Or, de par le dispositif qui est mis en place au plan européen pour la certification de ces dispositifs médicaux, c’était un dispositif qui relevait d’un dispositif de marchés.
Simplement, là où je reconnais qu’on peut interpeller la réflexion sur ce sujet, c’est que dans cette révélation de la liste des dispositifs médicaux il y avait aussi un enjeu de santé publique et nous aurions été en face d’une information environnementale. La loi a prévu, s’agissant de l’information environnementale, qu’il faut faire une appréciation de la proportionnalité entre le secret commercial à protéger et l’intérêt environnemental de la divulgation. C’est-à-dire qu’on peut faire une exception au secret et que, simplement, ce raisonnement de proportionnalité n’est pas prévu par la loi au titre de la santé publique. Donc on pourrait se poser la question de savoir s’il ne serait pas opportun d’ouvrir ce type de raisonnement à ce type d’enjeu public. Mais est-ce que la CADA peut le faire toute seule ou a besoin d’une ouverture législative ? Je rappelle que si on se réfère à un certain nombre de conventions européennes ou de textes européens sur la communication des documents administratifs, il est prévu, dans cette hypothèse-là, qu’on puisse faire un raisonnement de proportionnalité.

Frédéric Couchet : Excusez-moi, je vais te redonner la parole Tangui, mais il ne nous reste même pas quatre minutes. Je vais vous laisser la parole une minute chacun, mais vraiment une minute, pour cette émission. Je pense qu’on consacrera une deuxième émission et peut-être qu’on invitera un législateur voire le ministre. Je vous laisse à chacun vraiment une minute pour éviter de couper parce qu’après, à 17 heures, c’est AligreFM qui prend la suite et je vais commencer par Xavier Berne. Xavier Berne en trente secondes ou une minute.

Xavier Berne : C’est plutôt des questions et ça ne va peut-être pas vous arranger. Mais j’aurais aimé demander à Marc Dandelot s’il estimait avoir les moyens suffisants d’assurer sa mission aujourd’hui quand on voit les délais qui sont ceux de la CADA pour traiter les dossiers, quand on voit les problèmes qu’il y a autour des quelques avis dont on a parlé. Je pense que ce dont on a parlé c’était juste, un petit peu, l’arbre qui cache la forêt au vu de tout ce qui est remonté, notamment suite à l’initiative la semaine dernière de Regards Citoyens.
Je voulais aussi vous demander quel regard vous aviez sur l’attitude du gouvernement vis-à-vis de la CADA. Par exemple Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au numérique, devait normalement intervenir pour votre quarantième anniversaire. Finalement il n’est pas venu. Est-ce que cette absence n’est pas, d’une certaine manière, représentative du manque de considération de la part du gouvernement vis-à-vis de la CADA ?

Frédéric Couchet : Merci Xavier pour cette question à laquelle, en moins de dix secondes, il va être compliqué de répondre. Marc Dandelot, très rapidement.

Marc Dandelot : Écoutez, je suis relativement optimiste aujourd’hui dans la mesure où nous avons un certain nombre de projets, même si ce n’est pas considérable, de consolidation de nos moyens. Donc je pense que nous allons pouvoir, dans le courant de l’année qui vient, avoir des améliorations et faire face. Maintenant dire que c’est idéal, je ne le dirais pas, mais je pense que nous pouvons faire face.

Xavier Berne : Vous n’avez pas répondu sur la question relative à l’attitude du gouvernement vis-à-vis de la CADA.

Marc Dandelot : Là, je ne veux pas commenter sur l’attitude du gouvernement. Nous avons eu une remarquable allocution de fin de séance de la part du vice-président du Conseil d’État et je pense que le Conseil d’État soutienne la CADA c’est très important pour notre autorité.

Frédéric Couchet : Xavier merci parce qu’on va bientôt être coupés sur la bande FM. En tout cas invitation est lancée au gouvernement pour une seconde émission. Je laisse dix secondes à Tangui si tu souhaites intervenir ou pas.

Tangui Morlier : Remercier évidemment Xavier d’avoir participé à cette émission et surtout le président de la CADA de nous permettre de dialoguer malgré nos ponctuels désaccords.

Marc Dandelot : Et nous critiquer pour nous améliorer !

Tangui Morlier : Absolument.

Frédéric Couchet : Je remercie évidemment tous les invités, Xavier Berne de Next INpact, Tangui Morlier de Regards Citoyens et Marc Dandelot de la CADA.

Nous nous retrouvons la semaine prochaine pour un sujet qui concernera les distributions libres.
Ma collègue qui devait faire une chronique sur la sensibilisation la fera la semaine prochaine en ouverture de l’émission.
Je vous souhaite de passer une belle journée, on se retrouve la semaine prochaine et d’ici là, portez-vous bien.

Doxing et piratage, nos données personnelles ne sont jamais totalement à l'abri sur internet - Décryptualité du 21 janvier 2019

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Manu - Nico - Nolwenn - Christian - Luc

Titre : Décryptualité du 21 janvier 2019 - Doxing et piratage, nos données personnelles ne sont jamais totalement à l'abri sur internet
Intervenants : Manu - Nico - Nolwenn - Christian - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 21 janvier 2019
Durée : 13 min 40
Écouter ou télécharger le podcast
Revue de presse pour la semaine 3 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :doxing, Pablo F. Iglesias. Licence Creative Commons CC-BY.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Le doxing, cette pratique consistant à rendre publique des informations personnelles, secoue l'actualité en Allemagne où de nombreuses personnalités politiques ont été exposées. Avec le piratage, il démontre que nos données personnelles ne sont jamais totalement à l'abri sur Internet et qu'il convient de maîtriser ses outils et la portée de ce que l'on exprime si on veut minimiser les risques.

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 3. Salut Manu.

Manu : Salut Nolwenn.

Nolwenn : Salut Nico.

Nico : Salut Christian.

Christian : Salut Luc.

Luc : Sommaire.

Manu : Pour la semaine 3.

Luc : L’Humanité.fr, « Rémi Boulle, "L’État ne fait rien pour résister à l’entrisme de ces grandes firmes" », un article de Laurent Mouloud.

Manu : C’est la section Éducation de l’April qui défend, justement, le logiciel libre dans les institutions, surtout l’Éducation nationale où il y a Microsoft.

Luc : Le Monde Informatique, « Linagora vs BlueMind : 1e manche gagnée par le second », un article de Bastien Lion.

Manu : C’est un vieux sujet qui est en ce moment devant les tribunaux. Il y a deux sociétés qui font plutôt du Libre et il y en a une qui attaque l’autre pour différentes raisons. C’est la deuxième qui a gagné pour l’instant.

Luc : EurActiv, « Directive copyright : un débat impossible en France », un article de Pierre-Yves Beaudouin.

Manu : Ça parle des changements de droit d’auteur qui sont en train d’être mis en place en ce moment en Europe. C’est en train d’être discuté, l’article 11 et l’article 13 surtout.

Luc : Nouvelle du jour : ça a été abandonné !

Manu : Non !

Luc : Et si. Donc des bonnes nouvelles.

Manu : Bonne nouvelle. Je suis sûr qu’on en parlera dans les semaines qui viennent parce que c’est quand même important.

Luc : ZDNet France, « MongoDB: la nouvelle licence SSPL fait grincer des dents dans l’open source », un article de Steven J. Vaughan-Nichols.

Manu : C’est un sujet assez technique et légal sur des licences et comment s’organise l’utilisation d’un certain logiciel, sa licence est en train de bouger, est en train de devenir plus stricte, plus libre d’un certain point de vue, mais en fait, il faut voir. En tout cas ça fait grincer, c’est-à-dire qu’il y a plein de gens qui n’aiment plus ce logiciel à partir de maintenant, notamment Amazon qui l’utilisait avant et qui va passer à d’autres briques.

Luc : France Culture, « Les hackers sont-ils de nouveaux pirates ? », un article d’Antoine Garapon.

Manu : Ça parle de piratage, Parti pirate, même de Wikipédia. Pas mal de choses intéressantes, d’éthique entre autres. Allez jeter une oreille, parce que c’est un podcast qui est derrière.

Luc : La Tribune, « En plus du Grand débat, l’État veut aussi votre avis pour réguler le numérique », un article d’Anaïs Cherif.

Manu : Après le grand débat, qui effectivement est en cours, là ils veulent rediscuter, le numérique doit évoluer. Il y a peut-être des évolutions qui ne vont pas nous plaire, qui sont en train d’être discutées, notamment sur l’anonymat, il me semble.

Luc : On en reparlera effectivement. Developpez.com, « Il y a une raison simple pour laquelle votre nouveau téléviseur intelligent était si abordable », un article de Stan Adkens.

Manu : Je ne me rendais pas compte qu’il était si abordable que ça ! Mais en tout cas, effectivement, quand on vous écoute en permanence, eh bien il y a une petite possibilité de faire de l’argent avec ce qui est écouté c’est de le revendre et donc ça fait baisser drastiquement les prix des téléviseurs. Richard Stallman, le fondateur du logiciel libre, donne son avis sur le sujet.

Luc : Le sujet de la semaine, Manu, c’est toi qui l’apportes.

Manu : Le doxing, ce qui vient de se passer notamment en Allemagne mais qui est un sujet récurrent. Doxing1ça veut dire ?

Nico : En gros, des gens qui décident d’attaquer une personne et donc qui vont, par tous les moyens possibles et imaginables, essayer de récupérer les numéros de téléphone, numéros de passeport, les comptes en banque, les adresses, enfin tout ce qu’ils peuvent trouver sur cette personne-là pour, après, essayer de lui causer du tort ou même mettre ça à disposition de gens, n’importe qui, ou juste l’emmerder.

Manu : Le nom et les informations sur les enfants, l’employeur aussi, qui peuvent être importantes, qui peuvent avoir des conséquences faramineuses, parce que quand on est dans des sujets un peu chauds eh bien il y a des gens qui peuvent débarquer chez vous.

Luc : Ne serait-ce qu’appeler son employeur pour pourrir la personne devant son employeur et causer des troubles. Personne n’a envie que son patron se fasse appeler tous les quatre matins par des gens qui disent : « Telle personne c’est un salopard. » On sait que ce n’est pas très bon.

Manu : Le sujet d’actualité, parce qu’il vient de se passer tout cela en Allemagne, au niveau des hommes politiques. Il y un petit jeune qui s’est permis de lâcher pas mal d’informations.

Nico : Il a récupéré beaucoup de données sur les partis politiques, en particulier les membres des partis politiques allemands, sauf de l’extrême droite parce que cette personne était quand même plutôt à forte connotation…

Manu : Antisémite et raciste.

Nico : Antisémite. Voilà, tout ça et aussi tout ce qui était du domaine du divertissement. Il y a des youtubeurs ou autres qui se sont aussi retrouvés dedans, sur les scandales d’argent, de combien ils payaient, combien ils gagnaient, comment ils achetaient des jeux, etc. ; ça a traîné un peu partout.

Manu : Il a « feuilletonné » un petit peu les informations qu’il a fait sortir et il a terminé il semblerait — ce sont les dernières informations — par Angela Merkel et il a révélé son adresse personnelle si j’ai bien compris. Ça s’est terminé au poste, il a été retrouvé, et il semblerait que ce n’était pas un grand pirate, pas un hacker fameux, mais ce qu’on appelle un script kiddie2.

Nico : C’est un noob3, un gamin dans son coin qui a juste utilisé les moyens qu’il avait à disposition. C’est vrai que n’importe qui peut s’amuser à ça sur Internet aujourd’hui. Les données sont accessibles un peu partout. On peut essayer d’envoyer des mails de phishing.

Luc : C’est quoi le phishing ?

Nico : Envoyer un faux mail, en fait, en se faisant passer pour…

Manu : Hameçonnage.

Nico : Hameçonnage en français. Le but c’est d’aller, comme ça, de proche en proche et de récupérer plein de données, en se faisant passer pour x ou y, une connaissance ou autre. Comme ça on fait une grosse base de données derrière.

Manu : On peut aller plus loin. Je sais qu’aux États-Unis il y eu pas mal de sujets qui concernaient le doxing et qui ont été plus loin parce qu’il y a des petits jeunes qui ont utilisé des adresses pour appeler le SWAT [Special Weapons And Tactics] et pour que le SWAT débarque en disant « attention il y a de la drogue chez untel qui habite à tel endroit ».

Luc : Le SWAT, ce sont les groupes d’intervention. Donc ce sont les gros bras musclés avec des gros flingues, qui défoncent les portes.

Manu : Et ça s’est mal passé. Ça s’appelle faire du swatting, c’est une évolution du doxing on pourrait dire, et il y avait des petits malins aux États-Unis qui s’amusaient à faire ça.

Nico : Il y a même eu des morts puisque, quand on est Noir malheureusement aux États-Unis, que le SWAT débarque chez vous !

Luc :Ça attire les balles.

Nico :Ça attire assez les balles et votre espérance de vie chute drastiquement. Malheureusement, il y a eu effectivement des morts à cause de ça.

Luc : Là on a plein de gens qui mettent en œuvre des trucs plus ou moins sophistiqués, mais on peut très bien récolter des informations sans avoir recours à des méthodes de pointe. Simplement là où les gens s’expriment ouvertement sur Internet et peuvent lâcher des tas d’informations. Quand on s’exprime sur Facebook, sur Twitter ou des tas de choses, tout ça peut être plus ou moins public. Quand on raconte sa vie, il y a des infos qui sortent et il suffit d’éplucher les trucs, de remplir les cases et de remplir les trous.

Manu : Faire du recoupage.

Luc : Faire du recoupage, et on reconstruit des trucs comme ça. On peut très bien dire « à tel moment tu as dit telle chose ; je sais que tu travailles dans tel domaine, je sais qu’à tel moment tu as travaillé à tel endroit, etc. » Et potentiellement, en faisant des déductions, on peut retrouver par exemple l’entreprise dans laquelle on bosse ou des choses comme ça.

Nolwenn :Ça c’est le genre de chose qu’on peut refaire très facilement avec différents réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, LinkedIn ou d’autres. C’est-à-dire que juste en connaissant l’identité de la personne on peut avoir une idée de son âge ; rien qu’avec le nom-prénom, si on va sur LinkedIn et qu’on sait que c’est bien la personne, on peut savoir quelles études la personne a faites, où est-ce qu’elle a travaillé, quels postes elle a occupés, même où est-ce qu’elle travaille actuellement et essayer de déterminer, éventuellement, son salaire. Par exemple si on veut essayer de faire du chantage ou un truc de ce genre.

Luc : Ce que je trouve intéressant là-dedans c’est qu’il y a plein de gens qui disent qu’ils n’ont rien à cacher ; on avait fait une émission là-dessus il y a très longtemps. En général, quand les gens se font doxer ils ne sont pas contents parce qu’ils voient qu’il y a toute une série d’infos persos, leurs numéros de téléphone, leurs machins et tout d’un coup ils ont l’impression d’être un peu à poil sur Internet. Et soudainement, en général, ces gens se disent : ah oui ! Je pensais n’avoir rien à cacher. J’ai vu ça une fois, quelqu’un qui témoignait de ça, il disait : « Je pensais que je n’avais rien à cacher et puis le type m’a tout affiché. Depuis je fais super gaffe. »

Manu : Vous avez peut-être, chers auditeurs, reçu des mails il n’y a pas longtemps disant « attention, je suis un hacker et j’ai obtenu des informations personnelles sur toi avec ton identifiant, ton mot de passe, je sais ce que tu regardes comme porno et j’ai des photos de toi qui ont été prises sur ta webcam. » Moi j’ai reçu ce mail-là des dizaines de fois, ça passe dans mon répertoire de spams, mais il semblerait qu’il y ait eu des fuites sur Internet de ces données-là et ça correspond un petit peu à cette idée qu’on a des informations sur Internet et il y a des gens qui vont les utiliser pour essayer de nous faire chanter. Donc méfiez-vous tous, c’est en train de circuler en ce moment-même.

7’ 20

Nico : Surtout en ce moment où il y a une énorme une base de données qui a été publiée la semaine dernière, qui contient 600 millions de logins-mots de passe dedans. Donc c’est une grosse collection de plein de trucs qui avait déjà fuité auparavant, plus de 300 ou 600 sites internet. C’est juste un truc colossal. Ces données-là, effectivement, sont réutilisées après pour essayer de se connecter à vos comptes en banque — parce que généralement tout le monde utilise le même mot de passe partout —, donc les comptes en banque, vos adresses mail, essayer de faire du chantage derrière. Du coup, si vous voulez voir si vous êtes impacté, vous pouvez aller sur le site haveibeenpwned.com4.

Manu : C’est en anglais.

Nico : C’est en anglais malheureusement.

Manu : Est-ce que je me suis fait avoir ?

Nico : Est-ce que je me suis fait avoir ? Vous entrez votre adresse mail et ça vous dit tel service a fuité, voilà votre mot de passe, comme ça vous pouvez voir et changer, après, vos données.

Christian : Pour rappel, depuis quelque temps, la loi oblige les entreprises qui ont eu des données fuitées ou des bases de données piratées à informer la CNIL, à le déclarer à la CNIL et aussi à prévenir les personnes qui étaient dans cette base.

Luc : On est obligé de s’appuyer sur leur bonne foi et leur bonne volonté et souvent, il y a beaucoup de retard.

Christian : Effectivement. Mais toutes les semaines on a des annonces, des choses qui sortent et qui sont impressionnantes.

Luc : Là on est quand même dans le domaine du piratage pur et dur.

Manu :Ça veut dire qu’aucune de nos informations personnelles, même si on a les bonnes pratiques, n’est à l’abri d’être révélée sur Internet. Je pense à des trucs encore pires que ça, des trucs institutionnels : la base des passeports et des cartes d’identité, en France, est en train d’être unifiée. Ils veulent mettre des données biométriques dedans et ils nous garantissent que ce ne sera pas volé.

Luc : Elles y sont !

Manu : Sauf qu’on a un cas contradictoire, c’est en Inde, où le milliard d’habitants indiens, de citoyens indiens, est dans une base de données qui a fuité sur Internet.

Nico : Sachant que le système indien était fait par une boîte française, en plus !

Manu : Ah ben, ça rassure !

Nico :Ça risque d’être la même qui fait celle française !

Manu : Il me semble qu’ils avaient d'informations personnelles dedans et d'informations biométriques, et là c’est tout sur Internet. Donc on n’est à l’abri de rien ; il n’y a aucune garantie que nos informations ne sont pas en train de circuler et ne vont pas être utilisées par des trollers qui vont nous pourrir derrière.

Nolwenn : Sachant qu’avec ameli.fr5 qui met en avant le dossier médical en ligne, ce n’est pas forcément très rassurant.

Luc : Je pense qu’il faut arrêter d’être malade tout de suite !

Christian : Rappelons qu’aux États-Unis il y a des bases de données sur les citoyens américains qui contiennent 3000 informations sur chaque Américain. Donc c’est colossal. Ça existe, ça circule, donc il faut essayer de contrôler ce qu’on émet.

Luc : Aux États-Unis il y a des bases sur la quasi-totalité de la population mondiale, ça s’appelle la NSA.

Nico : Ou Google.

[Rires]

Manu : C’est dans l’actualité aussi. On peut penser que le premier citoyen français est dans la base de données de la NSA, en premier lieu, parce qu’il utilise ?

Tous en chœur : Gmail.

Nico : Voilà ! Emmanuel Macron, qui s’est fait avoir à utiliser Gmail de manière personnelle. À priori il ne s’en servait pas pour ses fonctions de président, mais il avait tendance à la distribuer à peu près partout.

Luc : Sur cette question de doxing, pour revenir un peu, parce que là on parle de piratage et, à mon sens, ce n’est pas tout à fait la même problématique, Macron aujourd’hui ou il n’y a pas longtemps, a dit et a rappelé que lui voulait combattre l’anonymat sur Internet en disant, notamment, et c’est une réalité, qu'il y a des gens qui racontent ce qu’ils veulent, harcèlent d’autres personnes. On a eu toute une série de cas, notamment par rapport au féminisme et notamment féminisme et jeux vidéo. Il y a un certain nombre de féministes qui sont attaquées là-dessus et des petits jeunes du forum 18-25 de Jeuxvideo.com qui sont tristement célèbres qui ont fait du harcèlement, une journaliste, Nadia Daam, on en a pas mal parlé dans la presse. Également des femmes qui bossent dans le jeu vidéo, qui font des analyses, etc., et qui déclenchent « c’est devenu lamentable ». Du coup on peut se dire qu’effectivement face à toutes les fake news, à tous ces trucs de harcèlement, l’absence d’anonymat ce n’est plutôt pas mal parce que ça permettrait de mettre la main plus facilement sur ce genre de gens et de les envoyer devant un tribunal.

Nico : Déjà que même avec l’anonymat ils ont tenu à peu près 48 heures avant de finir en garde à vue et à peu près une semaine avant d’être condamnés, donc l’anonymat ne va pas changer grand-chose, en fait. Ce sont quand même des gens simples d’esprit et pas très malins ; ils font beaucoup de conneries et ils se font avoir assez vite.
À l’inverse, l’anonymat est quand même assez bien pratique aussi. Ça permet de pouvoir parler librement, de ne pas s’autocensurer sur certains sujets. Ça permet certains dissidents : on n’a qu’à voir par exemple en Chine où l’anonymat n’existe quasiment plus, il n’y a pas non plus de contre-pouvoir politique ou autre. L’anonymat est aussi pratique pour garantir les droits et devoirs d’un citoyen.

Manu :Ça permet de confronter les idées sans forcément avoir des conséquences néfastes sur sa vie. Ça permet de mettre en avant des choses qu’on ne ferait pas en public. C’est un petit peu comme des gens qui auraient des comportements privés qui ne sont pas forcément tolérés par leur environnement, eh bien on ne doit pas forcément les interdire pour autant.

Luc : Il y a l’exemple d’Ashley Madison qui était un site de rencontres extraconjugales aux États-Unis, qui est tombé et où les infos sont devenues publiques. Dans le tas, il y avait notamment un certain nombre de militaires qui ont été assez stupides pour mettre leur adresse professionnelle, sachant que dans l’armée américaine tu n’as pas le droit de pratiquer l’adultère, c’est interdit et on se fait virer de l’armée pour ça.

Manu : Il y avait des hommes d’Église.

Luc : Oui. Aussi. Il y a eu des gens qui se sont suicidés derrière. Effectivement, on peut vouloir compartimenter sa vie et se dire qu’on peut avoir une sexualité débridée ou avoir n’importe quoi d’autre, peu importe.

Manu : Des opinions politiques hors du commun.

Luc : Des opinions politiques. Avoir un humour de merde.

Nico : Même aussi pour séparer certaines facettes de sa vie publique. Par exemple je pense à Maître Eolas6 qui est un avocat très connu. Tout le monde le connaît au barreau et si on bosse avec lui on va le connaître. Mais il a besoin de séparer sa vie personnelle de sa vie professionnelle, parce qu’il a envie d’avoir…

Luc : Ou sa vie numérique.

Nico : Sa vie numérique et sa vie réelle. On a aussi zythom7 qui est dans le même cas, qui est expert numérique auprès des services de police, donc qui ne doit pas donner son identité ou en tout cas pas facilement. Quand on le connaît bien, on a accès, on sait exactement qui c’est, etc., mais il a besoin de segmenter sa vie pour protéger certaines choses.

Luc : Dans le doxing, justement, c’est l’idée de rendre ces trucs publics. C’est-à-dire que par rapport à ces gens-là, je pense qu’il y a un certain nombre de journalistes qui les connaissent, qui savent, etc. mais qui gardent ce secret. Ça existait déjà avant quand on avait des pseudos et des gens qui écrivaient des livres ; on a un certain nombre d’auteurs…

Manu : Ou des présidents de la République qui avaient des enfants. Tous les journalistes le savaient mais personnes d’autre.

Luc : Par exemple. Il y a plein d’auteurs qui écrivaient sous différents noms parce qu’ils écrivaient des choses radicalement différentes et qu’ils ne voulaient pas mélanger ces éléments-là. Mais le doxing c’est quelqu’un qui a de mauvaises intentions et qui, du coup, va justement faire ce qu’on ne veut pas. En ayant de l’anonymat et en faisant un petit peu attention à ne pas donner trop de détails, etc., on peut minimiser les risques. Il faut quand même se dire que toutes ces informations-là, il faut qu’on soit capable de les assumer un jour ou l’autre.

Manu : Il faut faire comme si tout sera utilisé contre nous à un moment donné. Effectivement il n’y a pas 36 solutions pour s’en protéger, il faut les assumer.

Luc : Quand on a des adversaires, ils vont tout interpréter dans le sens qui nous sera le moins favorable et ça peut arriver, effectivement, ce genre de chose.

Nico : Surtout qu’avec le numérique aujourd’hui, ça excite de partout, n’importe quand, facilement. Et quand une fuite de données arrive, eh bien c’est tout de suite mondial.

Luc : Même dix ou vingt ans après.

Nico : Même dix ou vingt ans après. Le Web n’oublie rien et ça c’est assez dramatique. Avant c’était assez facile. Quand on faisait 20 kilomètres ou 50 kilomètres, c’est bon, on était tranquille ! Eh bien maintenant, il va falloir changer de planète et qu'on commence à coloniser celle d’à côté !

Luc : Du coup on arrête l’informatique, c’est trop dangereux !

Manu : On va habiter dans les bois.

Luc : OK. On se retrouve la semaine prochaine !

Manu :À la semaine prochaine.

Nolwenn : Salut.

Christian : Salut.

Ces travailleurs du clic qui font les opinions sur Internet - Antoni Casilli

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Antonio Casilli

Titre : Ces travailleurs du clic qui font les opinions sur Internet
Intervenants : Antonio Casilli - Maxime Nicolle (off) - Journaliste de France 2 (off) - Sonia Devillers
Lieu :Émission L’instant M - France Inter
Date : janvier 2019
Durée : 19 min
Site de l'émission ou écouter le podcast
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Left click on a mouse, Cdang and Fabien1309. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

L'auteur de En attendant les robots fait apparaître la réalité du digital labor, l'exploitation des petites mains de l'intelligence artificielle.

Transcription

Voix off : Il est 9 heures 40 sur France Inter¯et L’instant M est de retour dans vos oreilles. Vous êtes en direct, allez-y

Sonia Devillers : Enquête et réflexion passionnante que celles du chercheur Antonio Casilli. Les plateformes du nouveau monde que sont par exemple Amazon, Facebook, YouTube ou Twitter nous feraient à dessein miroiter des algorithmes surpuissants, capables bientôt, on en a peur, de gouverner les envies et les opinions de sept milliards d’êtres humains. Mirage ! C’est sans compter une armée invisible d’hommes et de femmes qui travaillent de leurs doigts, oui de leurs doigts, à cliquer toute la journée. Des volontaires bienheureux de poster, de « liker » ou de partager, mais aussi des prolétaires sous-payés pour faire et défaire tout ce qui circule sur le Web. Les robots n’auront pas tôt fait de remplacer le travail des hommes. En revanche, et c’est une question sociale et politique brûlante, ils le transforment ce travail. À la manœuvre les grandes plateformes d’Internet qui mentent sur leur modèle économique pour mieux masquer ce qui les enrichit en réalité.

Voix off : L’instant M, Sonia Devillers sur France Inter.

Sonia Devillers : Bonjour Antonio Casilli.

Antonio Casilli : Bonjour.

Sonia Devillers : Vous êtes sociologue, vous êtes professeur à l’école Télécom Paris Tech. En attendant les robots c’est le titre de votre ouvrage, sous-titre Enquête sur le travail du clic. Il vient de paraître aux Éditions du Seuil, c’est un travail universitaire, c’est très dense, c’est très précis, mais ça se lit parce que c’est passionnant, donc je le dis. En plus, vous avez fait tout un travail introductif qui résume tous les arches, les axes et les sous-divisions de votre partie pour guider le lecteur dans votre publication.
Un mot sur l’information des médias et sur l’actualité des médias, pardon, et on y vient évidemment.

Une disparition pour démarrer cette émission, celle de Xavier Gouyou-Beauchamps. Il fut l’ancien patron de France Télévisions en 1996. Il avait commencé par servir l’État auprès de deux ministres, Edgar Faure d’abord puis Valéry Giscard d’Estaing, avant de devenir chef du service de presse à l’Élysée au mi-temps des années 1970. Il travailla à la privatisation de TF1 aux côtés de François Léotard. À la tête de France Télévisions il fut à l’origine de nombreux nouveaux programmes ; Des racines et des ailes, notamment, ce fut sous sa gouvernance. Il inaugura, entre autres, l’immense bâtiment qui réunit maintenant tous les salariés de la télévision publique. Auparavant ils étaient éparpillés en région parisienne ; ils sont aujourd’hui dans le 15e arrondissement.

Non ! La presse ne doit pas être un bouc émissaire. 34 sociétés de journalistes font entendre leurs voix dans une tribune après un nouveau week-end de violences contre des reporters – on vous en a beaucoup parlé ici dans L’instant M–, des sièges de journaux et des livreurs de journaux. La publication d’un texte commun qui précise ceci, je cite : « Dans un climat de défiance vis-à-vis des médias, la critique est nécessaire. La presse n’est pas exempte de reproches et les journalistes, sur le terrain, sont les premiers à s’interroger au quotidien sur la manière la plus juste et la plus honnête de couvrir l’actualité. » Bref, ça ne sert à rien de leur péter la gueule !

Voix off : L’instant M, c’est aussi en vidéo sur franceinter.fr

Sonia Devillers : L’invité du jour s’appelle Antonio Casilli, il est sociologue et chercheur. Antonio Casilli, le grand remplacement technologique n’aura pas lieu. En gros c’est ce que vous nous dites : les machines, les robots, l’intelligence artificielle, les algorithmes, appelons-les comme on veut finalement, ont besoin du travail des hommes. C’est ce qu’on apprend en vous lisant. Ils ont besoin du travail des hommes pourquoi ? Pour collecter des données, pour nourrir la machine, pour lui faire apprendre à reconnaître et à savoir quoi en faire de ces données. Bref, pour entraîner la machine.

Antonio Casilli : Oui, en effet. Évidemment si on dit comme ça « le grand remplacement ne va pas avoir lieu », disons qu’on donne presque l’impression que mon livre est iréniste, qu’il cherche à véhiculer un message de paix, amour et sérénité. Au contraire !

Sonia Devillers : Au contraire.

Antonio Casilli : J’insiste beaucoup sur le fait que même si les robots ne vont pas remplacer les êtres humains au travail et le travail ne va pas disparaître, ceci n’est pas une bonne nouvelle parce que l’intelligence artificielle, quoique largement fantasmée en tant que technologie, a des effets très concrets sur le travail et surtout sur l’emploi.

Sonia Devillers : Il faut expliquer ce que c’est que la digitalisation du travail. Et dans digital, on l’oublie souvent, il y a le mot « doigt ». « Seuls 9 % des emplois sont menacés de disparition – écrivez-vous – par l’automatisation. 50 %, en revanche, sont directement concernés par sa transformation. » Donc le problème ça n’est pas la disparition du travail, mais sa digitalisation, c’est-à-dire le travail de la main remplacé par celui du doigt ; le doigt qui clique, qui clique sur l’écran ou qui clique sur la souris, ça c’est une métamorphose.

Antonio Casilli : C’est une métamorphose surtout parce qu’on nous a habitués à concevoir la transformation du travail sous l’angle du numérique. Même si on veut faire un peu d’étymologie de base, en latin numerus renvoie évidemment à l’esprit qui calcule, donc évidemment à des technologies faites par des scientifiques, des algorithmiciens, des mathématiciens.
Au contraire les technologies sont régies par des armées, des armées de l’ombre ou des armées invisibles ou invisibilisées de personnes qui finalement font du digital, j’insiste encore une fois.

Sonia Devillers : Du doigt.

Antonio Casilli : Parce que digitus, en latin, c’est effectivement le doigt qui clique. Et c’est important pour pouvoir générer des données, pour pouvoir créer des données, pour pouvoir aussi faire tout ce qu’on fait chaque jour sur nos applications mobiles, sur nos écrans.

Sonia Devillers : Est-ce que vous reconnaissez cette musique ? Vous reconnaissez ?

Antonio Casilli : C’est le film de Walt Disney ?

[Musique du film Les Temps modernes.]

Sonia Devillers : Non, non ! C’est Charlie Chaplin. C’est Les Temps modernes. On l’écoute.
C’est le symbole au cinéma de ce qu’on a appelé la taylorisation c’est-à-dire la fragmentation du travail avec la révolution industrielle au 19e siècle.
Vous, vous expliquez que le travail de la digitalisation est différent. Néanmoins on fragmente les tâches. On les fragmente jusqu’à ce qu’elles deviennent minuscules parce que le clic c’est une tâche minuscule, c’est une tâche tellement fractionnée que c’est une tâche de tâcheron, finalement.

Antonio Casilli : Oui. En effet, la logique de la taylorisation, finalement de l’homogénéisation, de la fragmentation de l’activité humaine poussée à l’extrême. Parce que si les usines de l’époque de Chaplin pouvaient ressembler effectivement à des chaînes dans lesquelles on montait, on vissait, on faisait, on produisait des produits concrets, matériels, là, aujourd’hui, on a surtout besoin de produire des services, donc de passer par des activités qui sont encore plus fragmentées et encore plus homogénéisées. Parce que justement c'est ça l’idée de la remplaçabilité non par des robots, mais des êtres humains par d’autres humains qui sont moins payés, qui sont moins bien encadrés d’un point de vue formel, eh bien effectivement, il faut faire en sorte que n’importe qui puisse réaliser ces tâches.

Sonia Devillers : Alors vraiment n’importe qui ! On va en parler. On va commencer, Antonio Casilli, parce que c’est extrêmement troublant, ça nous concerne presque tous, par le travail heureux et volontaire que nous tous nous fournissons bénévolement, gratuitement, pour les plateformes que sont Twitter, YouTube et Facebook, nous les utilisateurs. « Nous travaillons — c’est ce que vous dites —, nous travaillons pour ces plateformes, nous travaillons sans nous en rendre compte. »
On va commencer par ces opportunités incroyables que nous offrent ces réseaux sociaux par exemple : se faire entendre, se faire connaître, entrer en contact. En ce moment les gilets jaunes, pour ne parler que d’eux, s’en saisissent avec joie : ils postent des photos, des vidéos, des textes ; ils sont contents de pouvoir répondre, de « liker », de partager, de créer des forums, des chats groups et des groupes. On en écoute un par exemple.

Voix off de Maxime Nicolle, gilet jaune : Salut à tous. Je ne ferai un live pas très long, je vais essayer de répondre à quelques questions juste pour vous expliquer comment ça va se passer après, un peu. On est en train de faire remonter tout ce qui peut se passer, toutes les réactions des gens par rapport à ce qui s’est passé ce week-end et par rapport à la lettre d’Emmanuel Macron de tout à l’heure.

Sonia Devillers : Voilà. On le sent bien, c’est une opportunité formidable, et voilà Maxime Nicolle, un des leaders des gilets jaunes, qui dit à quel point il est heureux de pouvoir participer à tout ce travail du doigt, du clic.

Antonio Casilli : N’importe quelle technologie, comme on le sait depuis longtemps, fait deux choses : d’une part c’est aider la circulation d’informations, les Anglais disent informate. Et l’autre, par contre, c’est aussi aider l’automatisation de certains processus métiers, automate on dirait en anglais. Du coup des technologies comme des plateformes sociales à la Facebook mais n’importe quelle autre plateforme sociale, YouTube, Instagram et ainsi de suite, d’une part cherchent à provoquer cette circulation de l’information et les usagers peuvent aussi en profiter. Les usagers peuvent en profiter de mille manières : d’une part pour s’enrichir du point de vue de leurs connaissances ou de leur sociabilité, mais aussi s’enrichir d’un point de vue matériel parce que certains sont bien capables de monétiser ce qu’ils font sur ces plateformes. Pensez aux influenceurs ou aux influenceuses d’Instagram, pensez aux vidéastes de YouTube.

Sonia Devillers : Ils sont rétribués.

Antonio Casilli : Ils arrivent à trouver des manières de…

Sonia Devillers : Certains sont rétribués. Pourquoi ? Parce que derrière ça peut rapporter énormément, énormément d’argent à YouTube et consorts. C’est extrêmement intéressant. Faut-il, par exemple, rétribuer tous les contributeurs bénévoles de Wikipédia alors que Wikipédia est une fondation à but non lucratif. Sauf que Wikipédia est associée à Google et à Facebook qui eux se font beaucoup d’argent avec le contenu de Wikipédia.

Antonio Casilli : J’insiste beaucoup sur le fait que Wikipédia est un cas un peu difficile à juger de ce point de vue-là.

Sonia Devillers : Oui, mais ça pose justement une bonne question.

Antonio Casilli : Wikipédia reste une encyclopédie libre et reste surtout une fondation no profit derrière. Après, la question est que Google s’approprie ou plutôt est capable de récupérer agressivement les données produites par les wikipédiens et de s’en servir typiquement pour nous donner des résultats de son moteur de recherche. Parce que quand vous cherchez n’importe quoi sur le moteur de recherche de Google, depuis quelques années, la première chose qui s’affiche c’est une petite fiche.

Sonia Devillers : Et Google n’est pas une entreprise à but non lucratif !

Antonio Casilli : Non. Voilà. Et c’est certainement ça le problème.

Sonia Devillers : Par ailleurs, vous parlez des data brokers, ces entreprises qui croisent des infos à partir des médias, à partir des agences de pub, des administrations publiques, des internets ; des infos sur notre santé, nos opinions publiques, nos orientations sexuelles, nos croyances religieuses, nos croyances politiques. Vous dites : « Facebook contribue au traçage des habitudes de 500 millions d’internautes ».

Antonio Casilli : Facebook n’est que l’un des problèmes qu’on peut avoir quand on parle de cette économie des données.
Les data brokers, donc ces intermédiaires, ces courtiers en données, sont des entreprises dont on commence à peine à deviner l’existence : il y a eu deux-trois rapports de différents gouvernements qui ont cherché à pointer du doigt la responsabilité, par exemple, de certains data brokers dans des scandales comme celui de Cambridge Analytica, parce que ces structures mettent en place des modèles d’affaires qui provoquent des incitations à avoir des pratiques abusives comme celle de collecter les données de millions de personnes, comme dans le cas de Cambridge Analytica encore une fois, pour les cibler avec de la communication politique biaisée.

Sonia Devillers : Politique ! De la propagande, absolument !

Antonio Casilli : Ce n’est pas seulement en politique qu’elles peuvent avoir un impact. Les habitudes de consommation et, en général, même d’accès à l’information, sont influencées par ces data brokers lesquels cherchent, grosso modo, à dresser, à créer des profils de chacun d’entre nous et, ainsi faisant, nous cantonner dans certaines visions qu’ils peuvent avoir de ce que nous allons faire.

Sonia Devillers : Bref ! Ce que je comprends c’est qu’on est tous des travailleurs bénévoles, on travaille tous gratuitement en postant, « likant », partageant, discutant sur les réseaux sociaux, etc. Mais que notre travail a beau être gratuit, il a beau être bénévole, il produit de la valeur et d’autres savent parfaitement capter cette valeur.
Ce que vous expliquez très bien c’est qu’il y a une forme de continuum, de continuité entre ce travail libre et bienheureux de gens qui ont le temps et les ressources, essentiellement dans les pays du Nord, et puis il y a aussi un travail qui n’est pas un travail libre, heureux et voulu : un travail externalisé, délocalisé, sous-payé dans l’hémisphère sud. Je vous fais écouter un extrait du JT de France 2 qui s’est rendu à New-Delhi. Un journaliste se faisait passer pour un entrepreneur qui lance un resto à Paris.

Journaliste de France 2 : En enfilade 150 ordinateurs et autant d’employés chargés de cliquer à longueur de journée sur les pages de leurs clients. C’est ce que l’on appelle une usine à clics. Ils utilisent des faux profils créés spécialement et c’est ce qu’ils proposent de faire pour nous.

Traducteur de l’interlocuteur de l’usine à clics : Nous allons créer des profils avec des noms français, de personnes françaises, et ensuite nous allons utiliser ces profils pour faire des commentaires sur votre page, pour que ça semble plus vrai.

Sonia Devillers : Voilà ! Les commanditaires, dites-vous, sont majoritairement aux États-Unis, au Canada, en Australie, en France, en Angleterre ou ailleurs en Grande-Bretagne ; les exécutants aux Philippines, au Pakistan, en Inde, en Indonésie, au Bangladesh, en Roumanie. Bref ! Même une start-up étudiante ! Là on ne parle plus de plateforme gigantesque, de plateforme monde, mais même une start-up étudiante peut délocaliser ses micros tâches, même pour quelques heures, dans les pays du Sud.
Il faut que vous nous expliquiez ce que sont les fermes à clics et les moulins à contenus.

Antonio Casilli : Les fermes à clics sont, comme le nom l’indique, des usines à viralité. C’est la première chose qu’elles font : elles provoquent de la fausse viralité, des faux visionnages sur YouTube, des faux « like » sur Facebook. Elles ressemblent à quoi ? Souvent elles ont pignon sur rue, c’est-à-dire qu’elles ont vraiment une structure physique. En Chine, par exemple, ce sont des anciennes usines désaffectées et recyclées, transformées. Imaginez-vous une salle énorme avec des centaines de postes, de PC, et des personnes qui, à longueur de journée, cliquent sur des images ou sur des contenus ou, même parfois, écrivent ces contenus.

Sonia Devillers : Et pourquoi elles écrivent ? C’est très intéressant parce que vous dites : « Elles sont rémunérées quand elles ont à écrire des contenus, entre 0,1 centime de dollar et 3 dollars le mot ». Pourquoi ? Ces mots ne sont pas destinés à être lus par des humains, ils sont destinés être reconnus par des robots pour faire monter le référencement de pages de manière totalement artificielle.

Antonio Casilli : C’est exactement ça et c’est aussi une manière de dire que quand on dit, par exemple, que Facebook ou YouTube c’est du travail gratuit, là, dans ce livre, je fais vraiment un effort supplémentaire pour montrer que ce n’est pas gratuit pour tout le monde et surtout qu’il n’y a pas que du plaisir, du partage pour tout le monde.
Nous vivons dans des pays où nous avons un revenu, souvent, qui nous permet de nous adonner à des loisirs ou au moins de percevoir ces activités de contribution comme du loisir, alors que d’autres personnes en font, effectivement, leur gagne-pain, leur revenu primaire. Il s’agit souvent de pays comme justement Les Philippines mais aussi, il ne faut pas l’oublier, pour la France c’est surtout l’Afrique, c’est Madagascar, c’est la Côte-d’Ivoire, c’est la Tunisie, des pays dans lesquels le revenu ou le salaire moyen est moins important qu’en France. Dans un pays comme Madagascar, par exemple, vous avez un salaire moyen mensuel de 40 euros, l’équivalent de 40 euros, et effectivement, si vous arrivez à gagner 20-30 euros par mois en faisant du clic, vous avez quelque chose qui est un bon complément de salaire voire, dans certains cas, un bon remplacement de votre salaire.

Sonia Devillers : Il faut parler aussi des modérateurs, parce qu’il y a ceux qui cliquent pour fabriquer de la donnée et pour faire advenir quelque chose, il y a aussi ceux qui sont payés pour supprimer ce qui circule sur Internet, quelques centimes le clic de suppression, avec parfois des conséquences désastreuses sur leur santé mentale. Il faut bien imaginer que nous nous délestons, écrivez-vous, de nos déchets technologiques : ces gens-là sont confrontés aux vidéos et aux photos d’une violence et d’une pornographie qu’on n’imagine pas et surtout, on n’imagine pas ce que c’est que d’y être soumis toute la journée.

Antonio Casilli : Oui. Et ça c’est un bel exemple d’à quel point cette économie des plateformes nous met face à une espèce de guerre entre prolétaires du clic. D’une part, des prolétaires qui provoquent ou qui créent des contenus qui ont une vocation virale et qui, donc, doivent être un peu choquants parfois – des fake news ou justement des images violentes – et, de l’autre côté par contre, des personnes qui sont micro payées, voire très faiblement payées pour regarder, pour modérer, pour filtrer ces images.
Deux choses à propos de cette modération sont importantes à souligner : la première est que ces modérateurs sont eux-mêmes en train d’entraîner des algorithmes de filtrage qui, par la suite, vont apprendre, justement, à départager les images qui ne sont pas appropriées par rapport à d’autres images qui peuvent, par contre, circuler. La deuxième question est que les modérateurs sont un bel exemple de la continuité entre notre travail à nous, d’usagers lambda, et le travail de personnes qui sont payées, parce que d’un certain point de vue, nous aussi, à chaque fois que nous bloquons quelqu’un sur Twitter, à chaque fois que nous signalons…

Sonia Devillers : On travaille à modérer le web, sauf que nous on travaille bénévolement, gratuitement, spontanément.

Antonio Casilli : Nous lançons une alerte et, par la suite, quelqu’un va s’occuper de modérer un contenu qui a été signalé. Donc il y a vraiment une continuité, une véritable chaîne de montage ou de démontage de certains contenus.

Sonia Devillers : Un tout dernier mot pour se résumer, Antonio Casilli. Les plateformes qu’on vient de citer, Google, Facebook, Twitter, etc., n’aiment pas parler du tout de ce rôle de l’homme ; elles font tout pour le masquer, surtout pour en masquer la pénibilité.

Antonio Casilli : Elles aiment mettre en évidence d’une part, évidemment, leurs prouesses technologiques. Donc elles parlent plutôt, évidemment, de leurs algorithmes, de leurs drones et ainsi de suite. De l’autre côté, elles insistent beaucoup sur le fait qu’il n’y a que du plaisir, il n’y a que de la bienveillance, il n’y a que de la participation d’intelligence collective. Elles estompent systématiquement tout élément de pénibilité que par contre d’autres personnes — de plus en plus de sociologues, psychologues — s’efforcent désormais de montrer que pour pas mal de personnes Facebook peut être aussi une lourde responsabilité à porter.

Sonia Devillers : Merci beaucoup Antonio Casilli. En attendant les robots vient de paraître au Seuil. On vous le recommande chaudement.

Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 22 janvier 2019

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Frédéric Couchet

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 22 janvier 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Charlotte Boulanger, Ubuntu-Fr - Olivier Fraysse, Ubuntu-Fr - Nicolas Dandrimont, Debian - Jean-Christophe Monnard, Mageia - Isabella Vanni, April - Frédéric Couchet, April
Lieu : Radio Cause commune
Date : 22 janvier 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou enregistrer le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.10 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web et rendez-vous sur le site de la radio causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous ainsi sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 22 janvier 2019, nous diffusons en direct, mais peut-être écoutez-vous un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, délégué général de l’April. Le site web de l’association est april.org et vous pouvez trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission. La page est déjà en ligne. Elle sera complétée après l’émission.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Je vous souhaite une bonne écoute.

Maintenant le programme de cette émission.
Nous allons commencer par une intervention de ma collègue Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April, qui va nous faire un point sur des actions de sensibilisation et démarrer ainsi une chronique intitulée « Le libre fait sa comm’ ». Normalement Isabella est avec nous par téléphone. Bonjour Isabella.

Isabella Vanni : Bonjour.

Frédéric Couchet : On se retrouve d’ici quelques secondes. D’ici une quinzaine de minutes, notre sujet principal portera sur les distributions GNU/Linux, plusieurs mots qu’on explicitera et j’ai le plaisir d’avoir avec moi en studio Nicolas Dandrimont de Debian. Bonjour Nicolas.

Nicolas Dandrimont : Bonjour.

Frédéric Couchet : Olivier Fraysse d’Ubuntu.

Olivier Fraysse : Salut.

Frédéric Couchet : Et également Charlotte Boulanger, toujours pour Ubuntu. Bonjour Charlotte.

Charlotte Boulanger : Salut.

Frédéric Couchet : Et tout à l’heure, Jean-Christophe Monnard nous rejoindra au téléphone pour Mageia. Bien sûr, des mots qu’on expliquera évidemment tout à l’heure.
Ensuite, aux alentours de 17 h 10 [16 h 40, NdT] nous aborderons notre dernier sujet qui concernera la boutique en ligne En Vente Libre avec les mêmes invités, par chance.
Je salue de nouveau Charlotte qui est également à la régie, donc qui va faire deux tâches aujourd’hui en parallèle.
Tout de suite place au premier sujet. Nous allons commencer par une intervention de ma collègue Isabella Vanni qui, je le rappelle, est coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April. Isabella commence une chronique intitulée « Le libre fait sa comm’ ». Isabella, première question : quel est l’objectif de cette chronique ?

Isabella Vanni : L’objectif de la chronique c’est d’annoncer des actions de sensibilisation menées par l’April ou par d’autres associations, par d’autres structures, et montrer comment on peut promouvoir le logiciel libre auprès du plus large public.

Frédéric Couchet : OK. Très bien. De quoi veux-tu nous parler aujourd’hui ?

Isabella Vanni : J’avais pensé à deux thèmes principaux : le Festival des Libertés Numériques qui démarre bientôt, le 25 janvier, donc ce vendredi, et qui durera jusqu’au 9 février pour un total d’environ deux semaines. C’est un festival coordonné par les bibliothécaires de l’INSA de Rennes, l’Institut National de Sciences Appliquées. C’est très intéressant parce que cet évènement s’est élargi. Au début c’était juste une CryptoParty ou Café Vie Privée si on veut utiliser l’expression française, et après, petit à petit, il a eu de plus en plus de succès au point qu’en 2018 le premier Festival des Libertés Numériques a eu lieu à Rennes et aux environs de Rennes, je vais vous préciser les communes, et cette année, en 2019, deuxième édition, le festival se déplace même en dehors de la Bretagne. Il y aura aussi des évènements à Rouen, Nantes et dans d’autres communes.

Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que l’April participe à cet évènement d’une façon ou d’autres ?

Isabella Vanni : Malheureusement nous n’avons pas réussi à proposer des conférences. Par contre l’Expolibre, donc les panneaux qui expliquent la philosophie du logiciel libre et qui ont été réalisés par le groupe de travail Sensibilisation de l’April seront bien présents à cette édition et, en particulier, seront exposés à la bibliothèque de Science Po de Rennes.

Frédéric Couchet : D’accord.

Isabella Vanni : Il y a plein d’autres évènements. On compte environ une cinquantaine d’évènements. Il y a plein de bibliothèques qui participent, des tiers-lieux comme l’Open Factory à Brest et plein d’associations et de groupes d’utilisateurs et utilisatrices [de logiciels libres] à Rennes et aux environs, bien évidemment.

Frédéric Couchet : Donc c’est le Festival des Libertés Numériques qui se passe à Rennes du 25 janvier au 9 février. Le public cible c’est tout public ; c’est la personne qui veut découvrir un petit peu jusqu’aux personnes qui sont plus pointues sur le sujet des libertés informatiques.

Isabella Vanni : Tout à fait. Je précise que c’est à Rennes, mais pas que. Il y a plein d’autres villes, il y a Rouen, Nantes, Lannion, Brest et plein d’autres communes. C’est vraiment plus large cette année. Donc on est bien contents de signaler cet évènement.

Frédéric Couchet : Juste avant de finir, sur le site de l’April vous retrouvez dans la page des références le lien vers le site du Festival des Libertés Numériques et également vous le retrouvez, évidemment, sur l’Agenda du libre, sinon je vais vous le donner, mais je ne suis pas sûr que vous arriviez à le noter de façon facile, c’est f, d, l, n, pour festival des libertés numériques, point insa, i, n, s, a tiret rennes point fr. Sinon vous allez sur l’Agenda du Libre donc agendadulibre.org ou sur le site de l’April et vous retrouvez ce lien qui vous renvoie vers le site du festival des libertés numériques.
Tu voulais aborder un deuxième point, Isabella.

Isabella Vanni : Oui. Je souhaitais faire un point d’étape sur le Libre en Fête. On en a parlé la première fois dans l’émission du 4 décembre. C’est une initiative coordonnée par l’April et ça consiste en un ensemble d’évènements de découverte du logiciel libre, adressés à un plus large public, qui ont lieu autour du printemps. Pour cette année on rappelle les dates : c’est à partir du 2 mars jusqu’au 7 avril 2019. Juste pour rappel, l’April coordonne l’initiative, mais ce sont les groupes d’utilisateurs et utilisatrices de logiciels libres qui organisent les évènements ainsi que les médiathèques, les clubs informatiques, les espaces publics d’accès à Internet ; toute structure ou association ayant à cœur la promotion du logiciel libre peut, bien évidemment, organiser des évènements. Je rappelle que pour référencer les évènements dans le cadre du Libre en Fête, il suffit de rajouter le mot clef libre-en-fete-2019, avec un tiret entre chaque mot, lors de la soumission de l’évènement dans l’Agenda du Libre. Il est possible aussi, bien sûr, d’ajouter le mot clef par la suite, si vous avez déjà prévu et soumis des évènements entre ces dates.

Frédéric Couchet : Pour l’instant il y a combien d’évènements référencés, à peu près ?

Isabella Vanni : Combien d’évènements on en a aujourd’hui ou combien on cible ?

Frédéric Couchet : Combien on en a aujourd’hui et combien on cible ?

Isabella Vanni : Très bien. Aujourd’hui, pour l’instant, il y a 25 évènements référencés. On en cible 200.

Frédéric Couchet : D’accord.

Isabella Vanni : Je reste optimiste parce que cette année on a lancé les premiers appels très à l’avance, à la mi-décembre. Normalement on s’y prenait un peu plus tard, donc j’espère que grâce à l’anticipation on réussira à avoir plus d’évènements. J’aimerais bien signaler deux évènements qui ont lieu en Île-de-France, en particulier en Essonne.

Frédéric Couchet : Vas-y.

Isabella Vanni : Il y a l’espace numérique de Vert-Le-Grand qui a déjà participé à l’édition 2018 et ça fait très plaisir qu’il participe à nouveau, donc du 26 au 30 mars, au menu : présentation de logiciels libres et fête d’installation. Et puis il y a le club informatique libre de Gometz-le-Châtel, toujours en Essonne, qui propose lui aussi une démonstration de logiciels libres, une fête d’installation et, ce qui nous fait très plaisir aussi, c’est qu’il expose l’Expolibre. Donc une autre occasion pour être exposée et admirée.
Et puis il y a aussi une toute nouvelle association, eTHiX, qui est née en septembre 2018, elle a son siège à Alençon, en Normandie ; c’est une toute nouvelle association et elle a déjà dit présent au Libre en Fête 2019, donc on est ravis.

Frédéric Couchet : Très bien. Évidemment il y a encore du temps pour les structures organisatrices pour inscrire leur évènement dans le cadre du Libre en Fête et nous n’avons aucun doute sur le fait que nous atteindrons les 200 évènements, c’est un évènement tellement récurrent. En fait, j’ai l’impression que beaucoup de groupes organisent les évènements et, au dernier moment, rajoutent sur l’Agenda du Libre avec le tag.

Isabella Vanni : C’est un peu l’impression, oui.

Frédéric Couchet : Après, ça peut être l’occasion pour de nouvelles structures d’organiser des évènements, de créer des partenariats par exemple avec des espaces publics numériques.
Tu parlais de l’Expolibre, le site de l’Expolibre c’est expolibre.org. Toute personne peut imprimer l’Expolibre, il y a des PDF format impression qui sont disponibles. Certaines sont disponibles à la location. C’est un outil qui est très utile lors de ces évènements-là parce que ça permet aux gens, aux personnes qui participent à l’évènement, de s’informer sur les concepts du logiciel libre et ensuite d’aller en détail discuter de ces enjeux avec les personnes qui sont présentes sur les évènements.

Isabella Vanni : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Là c’était les annonces de deux évènements. Je crois que tu veux aborder un dernier point, ce sont les réunions du groupe de travail Sensibilisation de l’April justement.

Isabella Vanni : Le groupe de travail Sensibilisation de l’April se réunit chaque troisième jeudi du mois. Si vous avez des doutes sur quel jeudi est le bon, il suffit d’aller voir dans l’Agenda du Libre, à nouveau, où sur l’agenda sur le site de l’April. La dernière réunion a eu lieu toujours à La Fondation pour le progrès de l’homme dans le 11e arrondissement à Paris. Elle a eu lieu le 17 janvier, donc jeudi dernier et, en particulier, on a un atelier de brainstorming, donc tempête de cerveau si on veut faire la traduction en français, pour chercher des idées pour le nouveau tee-shirt de l’April.

Frédéric Couchet : Ce qui est un projet très important pour la garde-robe de tous les membres de l’April.

Isabella Vanni : C’est fondamental ! En hiver surtout ! Tout à fait. Il y a plein d’idées qui sont ressorties, on a déjà fait un premier tri et je pense qu’on va rajouter parmi les liens de cette émission, ça peut être une bonne idée, le lien au pad où j’ai lancé un nouvel appel à aider. Vous trouverez les idées qu’on a déjà trouvées, mais si vous avez d’autres idées, d’autres pistes, n’hésitez pas à intervenir.

Frédéric Couchet : Je précise qu’un pad c’est une page sur Internet, sur un site web, qui permet à n’importe qui de contribuer sans créer un compte. On peut directement taper du texte et proposer des améliorations. On mettra le lien dans la page de références sur le site de l’April, donc april.org.
Est-ce que tu veux ajouter quelque chose sur cette première chronique ou peut-être un dernier évènement ?

Isabella Vanni : Je peux dire qu’on a lancé un dernier deuxième appel autour du 15 janvier et, dans ce deuxième appel, justement, je voulais dire aux associations qui sont actives sur l’Agenda du Libre et qui n’ont pas encore d’idées pour l’évènement à référencer dans le cadre de Libre en Fête, qu’elles peuvent regarder ce qui a déjà été fait pendant les éditions passées, sur le site du Libre en Fête. Et si elles ont besoin de bénévoles en région, eh bien l’April a beaucoup de membres éparpillés dans toute la France donc n’hésitez à nous contacter ; nous pouvons faire un appel à bénévoles pour vous. Il suffit de préciser, bien évidemment, toutes les informations nécessaires : date, horaires, tâches prévues, compétences souhaitées, etc.

Frédéric Couchet : Tout à fait.

Isabella Vanni : On sera ravis de vous aider.

Frédéric Couchet : Il ne faut pas hésiter à nous solliciter pour qu’on relaie auprès de nos membres les besoins d’aide.
Avant de clore cette chronique, je vais juste annoncer un dernier évènement parce qu’il a lieu, pareil, en fin de semaine. C’est un évènement qui s’appelle FLOSSCon, c’est un terme anglais, mais qui veut dire, en gros, les logiciels libres et les données ouvertes pour une transformation numérique maîtrisée. C’est, on va dire, la description de cette conférence qui a lieu à la fois à Grenoble et à Fontaine du 27 janvier au mardi 29 janvier, donc du dimanche 27 au mardi 29, avec notamment une table ronde en présence de Éric Piolle le maire Grenoble, donc Grenoble, ville membre de l’April, et qui parlera des collectivités locales et logiciel libre. Il y a la projection en avant-première du documentaire La Bataille du Libre en présence du réalisateur Philippe Borrel et notre propre président, Jean-Christophe Becquet qui habite dans la région, animera deux ateliers autour d’OpenStreetMap qui est un projet collaboratif de cartographie libre.
Ça se passe autour de Grenoble, donc à Grenoble et à Fontaine, c’est le FLOSSCon. Les références sont sur le site de l’April et sur le site, je pense, de l’Agenda du Libre, donc du dimanche 27 janvier au mardi au 29 janvier, et on soutient cet évènement.
Je rappelle le site de l’Agenda du Libre où on trouve tous les événements donc agendadulibre.org.
Sur le site de l’April vous pouvez trouver des informations sur le groupe Sensibilisation pour le rejoindre. Je précise que le groupe Sensibilisation est ouvert à toute personne qui souhaite contribuer, pas besoin d’être membre de l’April.
Isabella, est-ce que tu veux ajouter quelque chose avant que nous passions à la pause musicale ?

Isabella Vanni : C’est tout pour moi.

Frédéric Couchet : Écoute Isabella, je te remercie pour cette première chronique qui s’appelle « Le libre fait sa comm’ » et on se retrouve sans doute le mois prochain pour une deuxième chronique.

Nous allons passer une petite pause musicale avant d’entamer le deuxième sujet. L’occasion pour moi de rappeler que toutes nos pauses musicales sont sous des licences libres qui permettent de les partager librement avec vos amis, vos familles, de les télécharger parfaitement légalement, de les remixer y compris pour des usages commerciaux. Ce sont plutôt des licences type Creative Commons partage à l’identique ou licence Art libre. En l’occurrence nous allons écouter un morceau qui s’appelle Sometimes par Jahzzar et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Sometimes par Jahzzar.

Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.10 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Vous venez d’écouter Sometimes par Jahzzar, une musique qui est disponible sous licence libre CC BY-SA, donc partage à l’identique, et vous trouverez la référence sur le site de l’April.

Nous venons de parler de sensibilisation. Nous allons continuer un petit peu, avec le sujet suivant, de parler de sensibilisation avec le sujet des distributions GNU/Linux, avec nos invités aujourd’hui : en studio Nicolas Dandrimont du projet Debian. Rebonjour Nicolas.

Nicolas Dandrimont : Rebonjour.

Frédéric Couchet : Olivier Fraysse, Ubuntu. Bonjour Olivier.

Olivier Fraysse : Re salut.

Frédéric Couchet : Re salut. Charlotte Boulanger, Ubuntu également. Rebonjour Charlotte.

Charlotte Boulanger : Rebonjour Fred.

Frédéric Couchet : Et normalement nous a rejoints au téléphone Jean-Christophe Monnard du projet Mageia. Bonjour Jean-Christophe.

Jean-Christophe Monnard : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Super. Donc tout le monde est présent ; toutes les personnes sont là. Nous allons essayer d’expliquer un petit peu ce que sont ces distributions GNU/Linux, comment s’y mettre, comment commencer à utiliser des systèmes libres, comment éventuellement contribuer. Nous allons passer une petite heure sur ce sujet. On va commencer par une première question, parce qu’en fait « distributions GNU/Linux », il y a plusieurs termes que, je pense, les gens qui écoutent, ne connaissent pas forcément. Nicolas peut-être, est-ce que tu veux faire l'introduction pour expliquer ce qu’est une distribution GNU/Linux, un système d’exploitation, on dira ?

Nicolas Dandrimont : Une distribution GNU/Linux c’est effectivement un système d’exploitation complet qu’on va pouvoir mettre sur son ordinateur par exemple. L’idée c’est qu’au lieu d’être basé sur un système classique, on peut penser par exemple à Windows de Microsoft, ça va être basé autour du noyau Linux qui est un logiciel libre, qui est développé maintenant depuis 25 ans par une communauté de développeurs. Au-dessus de ce noyau Linux on va ajouter des logiciels qui seront aussi, dans la majorité des cas, des logiciels libres, donc des logiciels qui vont permettre d’avoir un environnement de bureau, un navigateur web qui va être, par exemple, Firefox qu’on va pouvoir utiliser pour naviguer sur Internet, un client e-mail, de la bureautique, etc. Donc tous les logiciels que l’on peut vouloir utiliser sur son ordinateur vont être disponibles à travers les distributions GNU/Linux.

Frédéric Couchet : Tu as expliqué, et après je passerai la parole évidemment aux autres personnes, tu as expliqué « Linux » et « distribution ». Le terme GNU ?

Nicolas Dandrimont : Le terme GNU vient du projet GNU. En fait, le projet GNU est un projet de système d’exploitation qui a été lancé par Richard Stallman dont on a probablement déjà parlé dans cette émission.

Frédéric Couchet : Tout à fait.

Nicolas Dandrimont : Il y a maintenant 35 ans, oui, 35 ans cette année. L’idée du projet GNU c’est d’avoir un système d’exploitation qui libère les utilisateurs. L’idée c’est d’avoir un ensemble de logiciels qui sont des logiciels libres en fait, donc que tout le monde va pouvoir utiliser pour n’importe quel usage, va pouvoir diffuser, va pouvoir modifier et redistribuer, s’il en a les compétences bien sûr. Donc le projet GNU c’est vraiment l’idée d’avoir un système d’exploitation qui soit utilisable par tous pour n’importe quel usage, qui libère la personne.

Frédéric Couchet : Un système d’exploitation libre, entièrement libre, utilisable par toute personne. Olivier est-ce que tu veux compléter cette introduction ?

Olivier Fraysse : Je crois que l’essentiel a été dit. Distribution ce n’est peut-être pas forcément très clair pour tout le monde.

Frédéric Couchet : Voilà ! Vas-y.

Olivier Fraysse : On ne va pas distribuer des gnous en plastique comme on distribue des flyers. Une distribution c’est un ensemble de logiciels, on peut dire ça comme ça je pense, c’est une sélection de logiciels libres avec telle version du noyau, enfin le noyau Linux plus une interface graphique plutôt qu’une autre. Et surtout un système de packaging. Un système de packaging, je ne sais pas si je vais pouvoir l’expliquer facilement ; je ne sais pas si Nico est inspiré là-dessus.

Frédéric Couchet : Ou peut-être Jean-Christophe. Jean-Christophe, est-ce que tu veux compléter l’introduction et après peut-être que je pourrais continuer cette discussion ?

Jean-Christophe Monnard : Moi j’ai envie de parler avec un mot français : « empaquetage », donc emballage, empaquetage, c’est-à-dire qu’on prépare les morceaux de logiciels. Ce qui est important dans le logiciel libre, avec les quatre libertés, c’est d’avoir un code source, comment le logiciel a été écrit par des êtres humains ou à peu près, ce qu’on appelle des informaticiens. Donc on fabrique du logiciel libre et on peut lire son code source tel qu’il a été écrit. Ensuite, si on veut l’utiliser, il faut transformer ce code source dans un langage que les machines peuvent comprendre. Les machines ne comprennent que le binaire, les 0 et les 1. Quand on achète un logiciel propriétaire on n’a jamais que les 0 et les 1, donc on ne sait pas très bien ce qui se passe dedans. Dans un logiciel libre, il y a quelque part le code source et il faut préparer ce code source de manière cohérente. Je crois que pour chaque distribution le mot « cohérence » est important. Chaque distribution est un ensemble cohérent de logiciels qui ont été préparés, empaquetés, de manière à être cohérents entre eux pour fabriquer cette architecture qui fonctionne bien, qui est bien huilée d’habitude ; il y a parfois des petits problèmes, mais pas plus qu’ailleurs.
Donc on a cet ensemble cohérent. Donc Debian, Slackware, Ubuntu, Mageia, ce sont des ensembles cohérents où, à partir de ces codes sources qu’utilisent toutes ces distributions, ces codes sources ont reçu un empaquetage, une préparation, pour en faire des paquets de 0 et de 1 que l’ordinateur peut utiliser. Parce que l’ordinateur n’est pas capable d’utiliser ce qu’a écrit l’informaticien, il faut lui préparer. J’espère que je n’ai pas dit de bêtises.

Frédéric Couchet : Ça me paraît très clair. En fait, avant l’existence de ces distributions GNU/Linux ou d’autres systèmes libres, finalement les personnes qui souhaitaient avoir un système libre devaient composer elles-mêmes leur système en réunissant tous les éléments nécessaires. Ce qu’ont apporté les distributions c’est évidemment une sélection de logiciels libres, mais finalement, on va en reparler tout à l’heure, on retrouve à peu près les mêmes logiciels libres dans l’ensemble des distributions. La grosse différence ça va être peut-être sur l’environnement de bureau et on en reparlera peut-être tout à l’heure, peut-être aussi sur la présence de logiciels privateurs en plus, mais ce qu’apportent les distributions c’est une méthode d’installation qui varie en fonction des distributions et une méthode de mise à jour des paquets ensuite pour, effectivement, soit rajouter des paquets, soit mettre à jour les paquets dans leur cycle de vie, parce que ce sont des logiciels libres qui évoluent, donc il y a un cycle de vie. Est-ce que ça vous paraît à peu près clair comme résumé ?

Nicolas Dandrimont : Oui, c’est ça.

Jean-Christophe Monnard : Tout à fait.

Frédéric Couchet : D’accord. On va passer à la deuxième question. Tout à l’heure Nicolas Dandrimont de Debian parlait de Microsoft Windows, on pourrait aussi citer Mac OS d’Apple. Les gens qui ont l’habitude de ces systèmes se disent, enfin ont la compréhension que finalement l’ensemble des logiciels vient d’une seule structure, que ce soit Microsoft ou Apple.
Aujourd’hui, il y a une ambiance un peu particulière au studio. Je préviens si vous entendez des rires, il y a une ambiance très détendue.

Nicolas Dandrimont : C’est de ma faute !

Frédéric Couchet : Là, tout d’un coup, on va parler de distributions GNU/Linux au pluriel. Nous avons quelqu'un de Debian, deux personnes d’Ubuntu, quelqu’un de Mageia. J’ai une question assez « basique » entre guillemets, pourquoi il y a plusieurs distributions GNU/Linux et qu’est-ce qui les différencie ? Pour l’instant on va rester à un niveau un peu supérieur c’est-à-dire sans forcément rentrer dans le détail. Pourquoi il y a plusieurs distributions GNU/Linux ? Qui veut intervenir sur cette question ? Nicolas Dandrimont de Debian.

Nicolas Dandrimont : Tout à fait. J’ai une analogie. On pourrait se poser la même question : pourquoi il y a plusieurs marques de chaussures ? Eh bien parce qu’il y a plusieurs formes de pieds.

Olivier Fraysse : Il y a des pieds plus poilus que d’autres !

Nicolas Dandrimont : Je veux dire que tu ne vas pas être confortable dans toutes les paires de chaussures. De la même manière, les usages de l’informatique sont très divers donc les gens vont vouloir assembler leur univers informatique de la manière qui les intéresse. C’est pour ça qu’on a une diversité assez large dans les distributions GNU/Linux. La possibilité qui est ouverte par la publication du code source, la disponibilité des logiciels et la possibilité aussi de les modifier permet à chacun de trouver chaussure à son pied et de faire chaussure à son pied. Donc c’est comme ça qu’on se retrouve avec des centaines voire des milliers de distributions Linux qui sont différentes, qui vont toutes partir de la même base, de plus ou moins les mêmes logiciels, mais qui vont être intégrés de manières subtilement différentes pour convenir à leurs utilisateurs.

Olivier Fraysse : Donc Debian ce serait comme une grosse botte où il faut lacer pendant très longtemps et Ubuntu ce serait la chaussure à scratch. C’est ça ?

Nicolas Dandrimont : On peut le voir comme ça.

Frédéric Couchet : On ne va pas commencer le débat entre les distributions, je vous préviens. Je préviens Olivier qu’on rentrera dans le détail des débats tout à l’heure. Jean-Christophe Monnard, est-ce que tu veux ajouter quelque chose sur cette question, finalement, de l’existence de plusieurs distributions, notamment l’existence de Mageia en plus d’Ubuntu, Debian et évidemment des autres, on en citera certaines tout à l’heure ? Jean-Christophe.

Jean-Christophe Monnard : C’est à la fois la puissance et la faiblesse du Libre : la liberté ; la liberté c’est le choix. Je ne parlerais pas de tailles de pieds différentes, mais plutôt d’utilisations différentes : entre un escarpin et une chaussure de montagne, il est clair qu’il vaut mieux avoir des savoir-faire différents. Certaines distributions sont plus adaptées à faire du serveur, d’autres au grand public et ainsi de suite, plus les particularismes nationaux qui existent aussi, je crois, à partir du moment où chacun peut modifier quelque chose. Un jour, bien que n’étant pas un vrai informaticien, j’avais pris une distribution, une distribution qui tenait sur trois disquettes et je l’ai francisée ; je peux dire, quelque part, que ce jour-là j’ai fait ma distribution, or je me suis bien amusé ; ça n’a pas servi à grand-chose d’autre.
Donc le Libre permet plein de possibilités et je crois que c’est une de ses richesses. Malheureusement c’est aussi une de ses faiblesses parce qu’il n’y a peut-être pas toujours assez de monde pour telle ou telle distribution. Je me souviens, par exemple, de la distribution Zenwalk que j’adorais, mais qui n’est plus vraiment mise à jour.

Frédéric Couchet : Effectivement, comme tu le dis, après je repasserai la parole à Olivier Fraysse, c’est une des forces et une des « faiblesses », entre guillemets, du logiciel libre, mais quand tu parles de la distribution que tu t’es faite de ton côté, ça me fait penser qu’il est important de préciser, là on parle de distributions génériques, qu’il y a aussi des distributions spécialisées par exemple pour l’audio, pour la vidéo, pour l’éducation, pour la sécurité. Le but aujourd’hui ce n’est pas de les citer toutes parce qu’il y en a beaucoup et vous retrouverez des références sur le site de l’April ou sur Wikipédia. Et c’est aussi, quand même, une des grosses forces du Libre, effectivement, d’adapter par rapport à des besoins spécifiques et sans dépendre du choix d’un éditeur qui, peut-être économiquement, n’aura pas intérêt à créer une distribution ou un système d’exploitation pour une communauté dédiée, là où le Libre a cette réponse. Et aussi la force de la communauté, on y reviendra tout à l’heure, c’est un des critères de choix. Ça va être une de mes questions, évidemment : comment on choisit entre ces différentes distributions ; c’est un des critères de choix. Olivier, tu voulais réagir ?

Olivier Fraysse : Justement sur le choix. Je trouve que l’inconvénient du Libre c’est qu’il y a vraiment beaucoup de choix et, du coup, ça rend inaccessible au grand public. Plus il y a de choix, plus c’est complexe, il faut comparer tout un tas de trucs. Même dans une même distribution il y a plusieurs variantes, donc pour Ubuntu mais c’est vrai aussi ailleurs. Il y a plein d’interfaces différentes. Il y a une version pour les ingénieurs du son et de la vidéo qui s’appelle Ubuntu Studio ; il y a Kubuntu dont on ne sait pas vraiment la différence réelle avec Ubuntu sans le tester directement. Et c’est ça qui fait, d’après moi, que ce n’est pas facile pour le grand public de passer à un système GNU/Linux, c’est qu’il y a trop de choix. Déjà il faut expliquer pourquoi GNU/Linux, ce n’est pas juste Linux et ce n’est pas toujours la même chose. Pourquoi GNU ? Il faut préciser GNU. Il faut toujours tout expliquer surtout si on veut être juste. Et voilà ! Et surtout, le fait d’avoir à choisir. Je me souviens, quand j’ai installé ma première Debian, ça me demandait pourquoi s’il fallait que je mette un serveur IIRCD, je n’ai jamais compris ce que c’était, avec deux « I ». À chaque fois que j’installais ça chez quelqu’un, je disais « cette question-là tu dis oui ou tu dis non, on s’en fout ; moi-même je ne comprends pas ! » Il y avait plein de questions : il fallait choisir entre Gnome et KDE. Est-ce tu veux expliquer ça à tes potes qui veulent se passer de leur système vérolé ? Tu leur mets une Debian mais ça te pose des questions : Gnome, KDE ? Ce n’est pas la même forme des boutons ; la souris va marcher pareil, mais le curseur ne sera pas de la même couleur. Enfin !

Frédéric Couchet : On va revenir sur ces questions-là parce que sinon, là je crois qu'on va déjà perdre les gens ; Gnome, KDE. La précision que j’ai demandée au départ sur distributions GNU/Linux, comme c’est le terme, le titre du sujet, il est important de le préciser, mais j’ai parfaitement conscience que dans des évènements libristes ces questions-là ne sont pas forcément abordées au départ et ce n’est pas forcément un mal ; les personnes font ce qu’elles veulent.
Je voudrais aussi avoir un petit peu la réaction de Charlotte qui a la délicate tâche aujourd’hui d’être aussi en régie, je la remercie, sur cette multiplicité de distributions et aussi avoir un petit peu son parcours. Comment elle est venue, finalement, aux distributions libres et sa rencontre avec Ubuntu. Est-ce que tu peux nous faire un petit point là-dessus ?

Charlotte Boulanger : Effectivement mon parcours n’est pas celui d’une informaticienne parce que j’ai découvert Ubuntu par le web design de façon un peu détournée. En m’intéressant au design je me suis intéressée au développement, en m’intéressant au développement je me suis intéressée à l’informatique. Ce n’était pas lié à mon métier. En fait Linux, quand tu ne connais pas, même si tu ne connais pas, ça a une espèce d’aura de personne qui fait de l’informatique pour de vrai. En m’intéressant à ça je suis partie vers Ubuntu parce que, pour les débutants, c’est celle qui est conseillée par beaucoup de sites grand public. Moi, par exemple, j’ai découvert avec le site OpenClassrooms, anciennement le Site du Zéro. Eux, leur but du jeu, c’est d’être le plus grand public possible, donc moi j’ai commencé avec Ubuntu. J’ai essayé Debian il n’y a pas longtemps. Effectivement ça pose beaucoup questions au début mais après c’était plutôt cool. C’était plutôt une bonne surprise parce que, des fois, on a l’impression qu’il y a un gouffre entre Debian et Ubuntu alors que pas du tout !

Frédéric Couchet : Merci Charlotte. On aura l’occasion de parler tout à l’heure sur la deuxième partie, la partie contribution, de ta participation en tant que contributrice qui est également intéressante. Je vais continuer sur les questions justement. Je vais vous demander si possible d’être relativement brefs, en tout cas d’être relativement clairs, et je vais commencer par Jean-Christophe Monnard : expliquez en quelques mots votre distribution. Pourquoi elle existe, d’où elle vient, comment elle fonctionne. En tout cas essayer, entre guillemets, de la « vendre » aux personnes qui écoutent pour qu’on comprenne mieux, un petit peu, quel est le positionnement de chaque distribution et, éventuellement, les différences entre elles. Jean-Christophe sur Mageia.

Jean-Christophe Monnard : Ce qui caractérise Mageia aussi bien que ses ancêtres, c’est la facilité : la facilité d’installation, la facilité d’utilisation, de mise à jour. Il y a toute une interface graphique, il y a tout un système graphique qui permet de gérer cette distribution sans faire de ligne de commande. Je me souviens une fois, aux Rencontres mondiales du logiciel libre, il y avait un « debianeux » qui, pour se moquer d’un ancêtre de Mageia, disait : « Ça c’est une distribution pour les secrétaires, ce n’est pas une distribution pour les hommes, les vrais ». Je lui ai répondu : oui, parce qu’avec ça une secrétaire installe facilement un serveur ou un poste client sans avoir besoin d’un informaticien.
Mageia, aussi parce que j’ai rencontré une communauté qui est en grande partie francophone donc c’est assez intéressant, c’est pour ça que je l’utilise, entre autres. Quand je vais chez les gens pour installer Linux ou au cours des install-parties, c’est effectivement la distribution que je préconise pour les débutants à cause de sa grande facilité et de sa variété d’interfaces graphiques : on peut choisir en fonction des personnes et puis d’une équipe qui est assez réactive.

Frédéric Couchet : Mageia est une distribution qui existe je ne sais plus depuis combien de temps. Tu parlais des ancêtres, c’est une dérivée d’autres distributions qui existent depuis une vingtaine d’années. Ça me fait penser, d’ailleurs, que les premières distributions GNU/Linux doivent dater, je crois, de 1992, vraiment les premières à l’époque des noyaux Linux 0.90, quelque chose. Nicolas me fait un petit signe en doutant. Étant plus vieux que Nicolas j’ai à peu près confiance sur le fait que la première fois que j’en ai utilisé une c’était à peu près à cette époque-là. Je crois d’ailleurs que celle-là existe toujours, c’était Slackware ; à l’époque c’était sur des disquettes, il devait y avoir 50 ou 70 disquettes.
En tout cas Mageia a un long historique de mises à jour. Il faut rappeler que l’association qui porte Mageia est une association dont le siège social est à Paris. Il y a un forum qui a l’air très actif, en français, comme les forums d’Ubuntu. D’ailleurs c’est là que j’ai sollicité pour avoir quelqu’un de Mageia du fait que, suite au changement de date, la personne qui devait parler de Mageia, Anne Nicolas, ne pouvait plus être disponible. Voilà, ça c’est Mageia. On va passer maintenant la parole à Nicolas Dandrimont pour Debian.

Nicolas Dandrimont : Pour la distribution Debian, notre slogan c’est d’être le système d’exploitation universel. La distribution a été créée en août 1993, donc elle fait partie des toutes premières distributions Linux qui ont été créées.
Notre vision c’est d’avoir une distribution qui soit le plus proche possible de ce que vont fournir les projets amont. Donc les logiciels que l’on va empaqueter dans notre distribution vont être le moins possible modifiés par rapport à ce qui est publié par les auteurs originaux. Notre autre force c’est la diversité des architectures sur lesquelles on fonctionne, c’est-à-dire que Debian va pouvoir fonctionner du téléphone au supercalculateur en passant, bien sûr, par l’ordinateur classique de bureau ou ordinateur portable. On va pouvoir faire tourner les mêmes logiciels sur toute cette diversité de dispositifs, d’ordinateurs.

Jean-Christophe Monnard : Je voudrais intervenir sur Debian pour en dire du bien. Un jour un expert en sécurité m’a dit, à propos de Debian, que ce sont les gardiens du temple parce que non seulement la distribution utilise des logiciels libres mais le fonctionnement associatif au niveau mondial de Debian cherche à appliquer les valeurs du Libre. Maintenant je suis chez Mageia parce que nous ne sommes plus dirigés par une entreprise mais par une association. Mais je pense que c’est ça : les gardiens du temple ça correspond très bien à Debian.

Nicolas Dandrimont : Merci. Oui, effectivement, ça fait partie des choses qui sont vraiment au cœur de Debian. La philosophie du projet est très proche de la philosophie qui est à la base du logiciel libre. Je ne sais pas si tu as prévu d’en reparler après, Fred.

Frédéric Couchet : Ça dépendra évidemment du temps disponible. Debian est souvent la mère d’autres distributions plus spécialisées.

Nicolas Dandrimont : Oui, aussi.

Frédéric Couchet : C’est une distribution un petit peu, effectivement, à part. Olivier et Charlotte, sur Ubuntu-fr, qui en premier ?

Olivier Fraysse : Sur Ubuntu-fr ?

Frédéric Couchet : Sur Ubuntu, excuse-moi.

Olivier Fraysse : Parce qu'on avait une version francophone d’Ubuntu, mais on a arrêté de la faire. Elle avait de différent le fait que le français était la langue par défaut et, très momentanément, on a désactivé des fonctionnalités très contestées dans la communauté qui était la recherche dans Amazon.

Frédéric Couchet : Je n’avais pas prévu d’en parler mais c’est bien que tu le cites. Alors Ubuntu.

Olivier Fraysse : Il n’y a pas de problème. C’est aussi ça la différence avec Debian, c’est qu’Ubuntu est relativement impure. Mais Debian est aussi la mère d'Ubuntu, pas la merde, j’ai dit la mère !

Frédéric Couchet : Olivier, s'il te plaît !

Olivier Fraysse : Excusez-moi. Pardon ! On est à la radio. Sans Debian il n’y aurait pas d’Ubuntu. D’ailleurs, quand on nous demande comment contribuer à Ubuntu, généralement on renvoie vers Debian, on dit : « Contribuez à Debian, vous aiderez Ubuntu ». Je pense que Debian survivra à la fin du capitalisme beaucoup plus facilement qu’Ubuntu.

Frédéric Couchet : Je ne suis pas sûr qu’on ait le temps de traiter la fin du capitalisme dans l’heure de l’émission. Est-ce que tu peux, en quelques mots, nous donner la spécificité d’Ubuntu ?

Olivier Fraysse : Je n’avais pas prévu de rentrer complètement dans les cases que tu avais imaginées.

Frédéric Couchet : D’accord. À ce moment-là, je vais demander à Charlotte. Charlotte !

Charlotte Boulanger : Je ne pensais pas parler de la fin du capitalisme.

[Rires]

Olivier Fraysse : Notre plan tombe à l’eau !

Charlotte Boulanger : SOS ! Ubuntu, moi je veux bien parler des mauvais côtés, quelque part, parce qu’il ne faut pas hésiter.

Frédéric Couchet : Vas-y.

Charlotte Boulanger : Ubuntu, pour beaucoup de personnes qui sont dans l’univers du logiciel libre, qui sont des libristes, c'est Canonical, en fait, qui est l’entreprise qui a créé, qui a lancé Ubuntu disons, et qui prend pas mal de décisions dont les petits boutons Amazon qui sont là par défaut et ce genre de choses. Il faut entendre les critiques sur Ubuntu et quand quelqu’un me dit avec un air, comme le disait Jean-Christophe sur Mageia, quand quelqu’un d’une autre distribution vient me voir en me disant « moi je ne suis pas sur Ubuntu parce que machin, machin ! » Je dis : « C’est super cool pour toi ! » Par contre Ubuntu a cette raison d’être, d’être facile pour les débutants. En tout cas c’est une bonne porte d’entrée vers le monde des distributions libres.

Frédéric Couchet : Merci Charlotte. Très clairement, Ubuntu a joué un rôle considérable pour l’accès, la découverte par le grand public du logiciel libre, à la fois par sa facilité d’installation, d’usage, à un moment où Debian n’était peut-être pas à ce même niveau et aussi par les Ubuntu Parties dont on reparlera tout à l’heure, les évènements, c’est-à-dire la communauté, l’accueil, etc. Olivier, tu voulais ajouter quelque chose en lien avec le capitalisme ou Ubuntu ?

Olivier Fraysse : Non. C’était pour dire qu’effectivement, moi si je suis sous Ubuntu et que je participe à l’association Ubuntu francophone c’est essentiellement parce que ça permet au grand public d’accéder au logiciel libre. C’est en ça que je trouve Ubuntu génial et que c’est plus facile de le faire avec Ubuntu qu’avec Debian ou Fedora ou Mageia, d’après moi.

Nicolas Dandrimont : Je suis tout à fait d’accord avec ça.

Frédéric Couchet : D’accord. Nous allons poursuivre notre échange après une pause musicale. Nous allons écouter Lord's Mistake de l’album Not Kings par Candy Says et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Lord's Mistake de l’album Not Kings par Candy Says

Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune 93.10 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Vous écoutez l’émission de l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Nous parlons actuellement des systèmes d’exploitation libres avec mes invités : Nicolas Dandrimont pour le projet Debian, Olivier Fraysse pour le projet Ubuntu, Charlotte Boulanger aussi pour Ubuntu et Jean-Christophe Monnard, avec nous au téléphone, pour Mageia.
La pause musicale c’est Lord's Mistake de Candy Says. C’est en licence libre CC BY-SA, donc partage dans des conditions à l’identique ; vous retrouverez la référence sur le site de l’April.

Juste avant la pause nous parlions un petit peu des différences entre les distributions Mageia, Ubuntu et Debian.
Nous allons maintenant aborder le sujet, parce qu’évidemment on a parlé de distributions, mais comment s’y mettre ? Parce que l’une des difficultés aujourd’hui du monde du logiciel libre — pas aujourd’hui, d’ailleurs, mais depuis très longtemps — c’est le fait que quand on achète un ordinateur dans le commerce il est très souvent préinstallé avec un système d’exploitation privateur, que ce soit Microsoft Windows ou Mac OS d’Apple et donc, assez souvent, on doit installer une distribution GNU/Linux si on veut commencer à utiliser un environnement entièrement libre.
De ce point de vue-là, est-ce qu’aujourd’hui il est possible d’installer des distributions GNU/Linux par n’importe quelle personne ? Qui veut commencer ?

Jean-Christophe Monnard : Je veux bien parler.

Frédéric Couchet : Jean-Christophe, vas-y.

Jean-Christophe Monnard : J’ai participé à beaucoup d’installations dans les install-parties ou chez des particuliers. La plupart des gens n’installent pas Windows donc, effectivement, ils ne savent pas très bien installer un système d’exploitation. Donc il vaut mieux quand même avoir quelqu’un avec soi, ne serait-ce que pour être rassuré psychologiquement. Quelques personnes douées peuvent le faire uniquement en lisant des conseils sur le Web ou dans des livres, des revues très bonnes, mais en général il vaut mieux quand même être accompagné parce qu’il y a des questions de vocabulaire qu’on ne s’est jamais posées et là, on gagne quand même beaucoup de temps. C’est le conseil que je donnerais. Et naturellement essayer de contacter une association d’utilisateurs de logiciels libres, il y en a à peu près partout en France maintenant.

Frédéric Couchet : Nicolas Dandrimont.

Nicolas Dandrimont : Je suis tout à fait d’accord avec ça. Je pense qu’aujourd’hui c’est effectivement à la portée de tout un chacun de pouvoir installer une distribution GNU/Linux. Par contre, l’aspect communautaire est super important, l’avis de la communauté, et faire en sorte que les gens comprennent que dans le logiciel libre il n’y a pas qu’un outil technique qui est super utile, qui est un système d’exploitation, mais qu’il y a aussi une philosophie, des valeurs, et puis des gens qui sont derrière ces projets. C’est super important. Du coup, les initiatives comme les Premier Samedi du Libre de Parinux qui sont des install-parties en fait.

Frédéric Couchet : Les Premier Samedi de Parinux, Parinux est le groupe d’utilisateurs et utilisatrices de logiciels libres de la région parisienne, ça se passe à La Villette chaque premier samedi du mois. Une install-partie c’est une fête d’installation, en tout cas un évènement dans lequel il y a des personnes qui ont certaines compétences un peu avancées sur l’installation de logiciels libres et de distributions libres, qui aident d’autres personnes à se faire installer, donc accompagnent des personnes débutantes à l’installation de distributions libres.

Nicolas Dandrimont : C’est ça. À la Cité des sciences, je précise. Tu as dit à La Villette.

Frédéric Couchet : Donc à la Cité des sciences et de l’industrie, porte de La Villette à Paris.

Nicolas Dandrimont : Au Carrefour numérique.

Frédéric Couchet : Ce genre d’évènement existe, évidemment, dans d’autres régions et on les retrouve sur le site de l’Agenda du Libre.

Nicolas Dandrimont : Bien sûr. Et puis ces évènements-là ça fait aussi un point un peu fixe, un point focal, où les gens qui ont un système libre sur leur machine peuvent venir poser leurs questions. Ça fédère vraiment les communautés. Je reprends l’exemple de La Villette, je sais qu’il y a des gens qui installent des Ubuntu, des Mageia, des Fedora et d’autres distributions diverses et variées, et on est vraiment tous contents de s’entraider, en fait, et d’aider les gens à se libérer.

Frédéric Couchet : Charlotte, je lui laisse le temps d’allumer son micro, toi qui participes aux Ubuntu Parties, aujourd’hui est-ce que c’est obligatoire de venir à une Ubuntu Party pour se faire installer Ubuntu ? C’est sans doute un bon conseil.

Charlotte Boulanger : Oui. Oui !

Nicolas Dandrimont : Elle organise ! Elle organise les Ubuntu Parties.

Frédéric Couchet : Elle organise, c’est vrai !

Charlotte Boulanger : C’est quoi l’expression « prêcher pour sa paroisse » ou un truc comme ça ?

Frédéric Couchet : Est-ce que tu peux nous expliquer comment fonctionne une Ubuntu Party ?

Charlotte Boulanger : Une Ubuntu Party, il y a une install-partie et il faut avouer que c’est l’évènement central. Une install-partie, vous l’avez compris, on aide les gens à installer un système d’exploitation libre sur leur machine, c’est ce dont parlait Nicolas, je crois, ou Jean-Christophe, je ne sais plus.

Frédéric Couchet : Les deux.

Charlotte Boulanger : Les deux, c’est magnifique. Oui, Jean-Christophe parlait qu’on peut avoir besoin d’aide pour se rassurer et c’est exactement ça. Après, une Ubuntu Party c’est un peu particulier par rapport au Premier Samedi du Libre parce qu’il y a aussi des conférences à côté qui sont filmées, des ateliers aussi où on met des gens devant un ordinateur et on va dire : là on va apprendre comment prendre en main son environnement Ubuntu, par exemple et plein d’autres sujets.

Nicolas Dandrimont : Ça dure deux jours complets.

Charlotte Boulanger : Ça dure deux jours sauf s’il y a des manifestations, ça dure un seul jour dans ces cas-là, par rapport à la dernière Ubuntu Party.

Frédéric Couchet : Charlotte fait référence à l’annulation du samedi de la dernière Ubuntu Party suite à la fermeture des lieux culturels à Paris pour les manifestations gilets jaunes.

Charlotte Boulanger : C’est ça. Et pour clarifier, avec Olive on fait partie de Ubuntu-fr.

Frédéric Couchet : Explique-nous ce qu’est Ubuntu-fr.

Charlotte Boulanger : Oui, ça peut être bien. C’est l’association francophone des utilisateurs d’Ubuntu et ce sont des utilisateurs. Il y en a qui contribuent ; pas tous. Moi je n’ai jamais contribué à la distribution Ubuntu, j’ai uniquement contribué à l’association Ubuntu-fr en faisant notamment des designs, des tee-shirts, des sites internet de temps en temps. Il faut distinguer la communauté Ubuntu-fr de ceux qui font la distribution. Olive, est-ce que tu es d’accord avec moi ?

Olivier Fraysse : Oui, c’est ça. Dans Ubuntu-fr, donc Ubuntu francophone, il y a très peu de contributeurs au code de Ubuntu et des logiciels qui composent Ubuntu. C’est essentiellement les 200 000 inscrits du forum Ubuntu-fr, les organisateurs et les bénévoles des Ubuntu Parties.

Frédéric Couchet : Avant de passer la parole à Jean-Christophe et Nicolas sur la partie, justement, forums, communautés, c’est important ce point que tu évoques Charlotte. On pense que contribuer au logiciel libre ça ne passe que par la contribution au code ; c’est une des contributions, évidemment essentielle, parce que sans contribution au code il n’y aurait pas forcément de logiciel libre. Mais on peut contribuer, comme toi tu le fais, Charlotte, par du design, parce que toi, à titre professionnel, tu fais du design. Je le précise parce que je ne l’ai peut-être pas dit au début : toutes les personnes qui sont invitées aujourd’hui sont des bénévoles dans chacun des projets. Charlotte contribue par du design : tu l’as fait pour les tee-shirts et pour les plaquettes. On peut contribuer en écrivant de la documentation à laquelle faisait référence tout à l’heure Jean-Christophe Monnard de Mageia, pour expliquer aux personnes débutantes comment installer du logiciel libre ou comment utiliser tel logiciel. On peut faire de la traduction, etc. Je crois, Nicolas, que c’est là-dessus que tu voulais réagir. Vas-y. Nicolas Dandrimont.

Nicolas Dandrimont : Je ne suis pas du tout d’accord avec Charlotte qui dit : « Je ne contribue pas à Ubuntu, je ne fais que du design pour Ubuntu-fr. » Ça n’a aucun sens quoi ! Des contributions comme ça, qui permettent d’animer et de faire grandir la communauté, sont critiques à la vie de nos projets.

Olivier Fraysse : En plus c’est le seul avantage d’Ubuntu, c’est son design ! Donc !

Charlotte Boulanger : Pourtant j’ai essayé de bien préciser : la distribution. C’est vrai qu’indirectement, du coup, les gens dans la communauté, etc.

Frédéric Couchet : Jean-Christophe, justement, la communauté Mageia, je crois qu’il y a des forums Mageia en ligne, il y a des listes de discussion. Est-ce que tu peux nous en parler un petit peu, s’il te plaît ?

Jean-Christophe Monnard : Je crois comme la plupart des projets libres. On parle des distributions, je vais placer un petit mot en plus. Parfois il arrive aussi, il nous arrive à tous d’installer des logiciels libres sous Windows, qui est une première étape avant de passer aux distributions.

Frédéric Couchet : Tout à fait.

Jean-Christophe Monnard : Pour rebondir sur ce qui a été dit, j’ai vu un chiffre une fois, précisément je ne sais pas, mais que la moitié du travail d’une distribution ce sont des non-informaticiens. C’est effectivement la traduction, la documentation, c’est faire connaître, parce que cette distribution elle n’est pas autiste, elle ne va pas se limiter à être utilisée par ceux qui la font, enfin la plupart du temps, en tout cas pour Ubuntu, pour Mageia et pour d’autres.
Pour Mageia, effectivement, nous avons des listes à peu près dans toutes les langues, enfin toutes les langues utilisateurs, ça en fait beaucoup, des forums, des forums IRC, des blogs, qui permettent les remontées, les difficultés, parfois aussi les félicitations, les remerciements aux contributeurs informaticiens. Donc effectivement toute cette communauté internationale, en grande partie française mais pas exclusivement, pas du tout – il y a aussi pas mal de Brésiliens, d’Allemands et ainsi de suite –, donc toute cette communauté amène ses contributions qui ne sont pas du code pur. Chacun à son tour, à un moment de sa vie, peut contribuer et profiter.
Je crois aussi qu’un jour Michel Rocard avait dit qu’un grand avantage du logiciel libre c’est qu’on a intérêt à ce que l’autre réussisse. Je pense, en tout cas pour moi philosophiquement, que c’est une chose importante dans le Libre, ça permet plus de partage, de solidarité, on va dire même d’amour chrétien entre les êtres humains. On a intérêt à ce que les autres réussissent et ce n’est pas de la jalousie. Si l’autre fait quelque chose, fait un joli dessin, une couverture de CD ou un peu de documentation, tout le monde va en profiter même au-delà de la distribution. Il y a des contributions à telle ou telle distribution qui vont profiter aux autres. Il faut voir ça aussi.

Frédéric Couchet : Oui, tout à fait. Il y a des contributions effectivement croisées. Merci Jean-Christophe.
Je voudrais juste aborder deux petits points, je ne sais pas qui voudra en parler, parce que dans l’arrivée vers les distributions de logiciels libres, il y a deux points qui me paraissent intéressants : la notion de double amorçage, qui existe encore aujourd’hui, par quelqu’un qui veut garder par exemple son Microsoft Windows. Et la deuxième notion que je voudrais que vous explicitiez, ce sont les CD ou clef USB dites live c’est-à-dire autonomes, pour tester. Nicolas Dandrimont, Debian.

Nicolas Dandrimont : C’est vrai. Si on veut faire un premier pas vers le logiciel libre sans sauter dans le grand bain, effectivement la première solution, Jean-Christophe en parlait, c’est d’installer des logiciels libres sur son système d’exploitation existant. Il y a beaucoup de gens qui le font, notamment installer LibreOffice ou Firefox sous Windows, c’est un grand classique.
Après, si on veut tester les systèmes d’exploitation GNU/Linux, le plus simple, effectivement, c’est de prendre une clef USB qui va avoir le système d’exploitation dessus ; on va pouvoir la démarrer et tester sans rien modifier sur son ordinateur. Ça permet effectivement de tester l’environnement de bureau, de voir si on est confortable ou pas avec le système et après, une fois qu’on est prêt à sauter le pas et à avoir une installation fixe sur son ordinateur, on peut effectivement faire de la place à côté de son système d’exploitation existant ; donc on garde son système d’exploitation existant et on ajoute, en double amorçage, la distribution Linux qui nous a fait plaisir.

Frédéric Couchet : La distribution GNU/Linux.

Nicolas Dandrimont : Oui, Linux, GNU/Linux, GNU/kFreeBSD.

Frédéric Couchet : Il faut préciser qu’au démarrage de la machine, il y a aura ensuite un menu qui permettra de choisir le système d’exploitation qui démarrera.

Nicolas Dandrimont : Effectivement. On va avoir quelques secondes au démarrage de la machine pour choisir sous quel système on veut démarrer.

Frédéric Couchet : Jean-Christophe, est-ce que tu veux rajouter quelque chose sur ce point ou Olivier ?

Jean-Christophe Monnard : Oui. La plupart des distributions grand public ont des cédéroms, plutôt des DVD maintenant, autonomes. Je voudrais souligner un apport de Debian qui est fait par un professeur allemand, herr Doktor Knopper [herr Professor ou herr Ingenieur, Note de l'intervenant], qui nous a fait la fabuleuse Knoppix, que j’ai utilisée très souvent pour des démonstrations ou pour tester du matériel. Si je veux acheter un ordinateur ou quand je le récupère à la déchetterie, ce qui coûte beaucoup moins cher, je le teste d’abord avec une Knoppix qui est un cédérom live.
Au passage une chose pour parler du logiciel libre, de toutes nos distributions. Certains systèmes d’exploitation propriétaires passent beaucoup à observer ce que nous faisons et à chercher à savoir s’ils nous en donnent la permission. Ça veut dire beaucoup de puissance de calcul. Ce qui fait que très régulièrement sur des ordinateurs, disons-le que je récupère, qui ont dix ans d’âge, je retire les systèmes Windows, j’installe Linux, et ils marchent aussi vite qu’un système Windows récent. Ça c’est un grand avantage. On peut adapter Linux aussi bien à des super serveurs qu’à des ordinateurs de récupération ce qui leur évite de partir ensuite dans des déchetteries où ils seront plus ou moins bien traités.

Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe parce que ça me fait penser à un point suivant et on reviendra au point précédent sur les distributions parce que je voudrais quand même que vous parliez rapidement des environnements de bureau parce que ça me semble être une des principales différences au niveau des distributions.
Là on a parlé d’installation d’un système libre sur un ordinateur mais quid de la personne qui veut se procurer une machine avec un système préinstallé ? Je voudrais déjà citer, et je vous laisserai proposer vos propres solutions, un site qui me paraît très important, qui est en référence sur le site de l’April, c’est le site de bons-vendeurs-ordinateurs.info ; c’est bons tiret vendeurs tiret ordinateurs point info. C’est un site qui existe depuis très longtemps, sur lequel vous retrouvez en fait des vendeurs — ça peut-être des boutiques en ligne, des boutiques sur rue — qui vendent des ordinateurs soit nus, c’est-à-dire sans système d’exploitation donc vous ne payez pas la licence Microsoft, soit des systèmes préinstallés avec des versions libres, des distributions GNU/Linux, ça peut être Ubuntu ou Debian.
À l’instant Jean-Christophe parlait des vieux ordinateurs. Moi, à titre personnel, je pense qu’on est plusieurs dans ce cas-là, à la maison j’ai des ordinateurs, des laptops, donc des ordinateurs portables qui datent de 2010, pour mes enfants, que j’ai achetés chez un de ces revendeurs qui est cité, en l’occurrence Ecodair, qui est une structure qui fait du recyclage d’ordinateurs, qui fait travailler des personnes en situation de handicap et en reprise d’emploi. Il y a des versions avec Microsoft Windows, mais il y a aussi des versions avec Ubuntu, donc j’en ai acheté. Je suis désolé, la première chose que j’ai faite ensuite c’est que j’ai installé Debian à la place et ces machines fonctionnent très bien, mes enfants les utilisent au quotidien. Un autre de mes serveurs est sur une autre distribution libre, dont on parlera peut-être tout à l’heure, qui est Trisquel.
En tout cas ceci était important, ça permet effectivement d’avoir l’ordinateur soit préinstallé avec un système libre, soit éventuellement nu. Est-ce que vous avez d’autre pistes de réponses là-dessus ?

Olivier Fraysse : Moi ? Absolument pas !

Frédéric Couchet : Jean-Christophe Monnard et après Nicolas.

Jean-Christophe Monnard : Juste un petit conseil : j’ai toujours été beaucoup plus satisfait d’aller chez des assembleurs ou des petits revendeurs, des artisans qu’on trouve dans les villages, dans les petites villes, qui vous donnent, qui vous fabriquent votre ordinateur — enfin ils ne fabriquent pas, mais ils assemblent ce qu’il faut —, plutôt que dans les grandes surfaces. Parce que là, de toute façon en plus, on aura beaucoup de mal à se faire rembourser Windows, parce que ça coûtera plus cher de se le faire rembourser si on veut le retirer, et on est souvent avec des machines qui sont très captives, très propriétaires.

Frédéric Couchet : Sur le site bons-vendeurs-ordinateurs.info vous trouvez des références de vendeurs en ligne et de vendeurs dans les différentes régions. Je citais Ecodair parce qu’ils sont en région parisienne, mais ils livrent et effectivement, sans doute, il y a des revendeurs dans la plupart des régions françaises qui permettent de récupérer des machines recyclées, voire des ordinateurs nus.

Par rapport aux licences Microsoft Widows, ce qu’on appelle la vente forcée, c’est un sujet qu’on abordera sans doute un jour. Malheureusement la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que ce n’était pas une pratique déloyale en toutes circonstances, alors qu’en fait c’en est une parce que, concrètement, on ne peut pas se faire rembourser ou se faire désinstaller Microsoft Windows alors qu’il existerait des solutions techniques. Tout à l’heure, quand on parlait du double amorçage, une solution technique serait simplement que les fabricants préinstallent plusieurs systèmes et lors de l’achat de l’ordinateur, avec un code d’activation qui serait par exemple payant pour Microsoft Windows ou à un coût raisonnable pour d’autres systèmes et qui permettrait d’activer tel ou tel système. C’était une petite parenthèse. Je crois, Nicolas, que tu voulais réagir sur ce point-là.

Nicolas Dandrimont : Non !

Frédéric Couchet : Alors compléter, vas-y.

Nicolas Dandrimont : Je pense à des fabricants, là c’est plus sur du matériel neuf, du coup, qui poussent des solutions libres. Je pense à Librem, par exemple, qui est un fabricant de matériel qui fait des ordinateurs portables et qui commence aussi à faire des téléphones qui tournent sur une distribution qui s’appelle PureOS et qui est une dérivée de Debian. PureOS emploie d’ailleurs un certain nombre de développeurs Debian pour faire leur travail dans Debian. Donc en plus d’avoir du logiciel libre, on a du matériel qui est un peu meilleur au niveau du respect de la vie privée de ses utilisateurs. Ils font ce qu’ils peuvent pour essayer d’avancer sur ces questions.

Olivier Fraysse : C’est peut-être un peu plus cher comme matériel, je crois.

Nicolas Dandrimont : Oui, ça a un coût.

Olivier Fraysse : La liberté a un coût !

Nicolas Dandrimont : Malheureusement oui. Ce ne sont pas des produits de masse encore aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Pour le moment !

Nicolas Dandrimont : Pour le moment. Il y a bon espoir pour que ça se généralise mais aujourd’hui ce sont effectivement des produits qui sont plutôt sur le haut de gamme au niveau prix.

Olivier Fraysse : Et leur téléphone Purism Librem 5 tournera donc sur PureOS, effectivement, mais pourra aussi faire tourner Ubuntu Touch. Je le précise parce qu’on présente souvent la version téléphone d’Ubuntu comme abandonnée, mais ce n’est pas totalement le cas grâce à la fondation qui s’est montée autour de ce projet, Ubuntu Touch.

Nicolas Dandrimont : It's alive!

Olivier Fraysse : Yes.

Frédéric Couchet : On a parlé de Librem lors de notre sujet sur la téléphonie mobile libre, le téléphone mobile est annoncé pour avril-mai. Par rapport aux autres fabricants de téléphonie qui ont un système soit iOS pour Apple, soit Android, l’idée du Librem c’est de partir d’une distribution, on va dire générique, la distribution mère de toutes les distributions c’est-à-dire Debian, de l’adapter et d'en faire PureOS, ce qui permettra aussi de régler pas mal de problèmes techniques liés en fait à Android, pas mal de problèmes de vie privée aussi. Je vous invite à réécouter le podcast qui est disponible sur le site de l’April.

Je vois que le temps avance, je voudrais revenir sur un petit sujet qui me paraît souvent être une différence entre les distributions. Je vais solliciter Charlotte sur cette question-là mais aussi, évidemment, les autres personnes. Tout à l’heure Nicolas et Jean-Christophe disaient qu’une des premières étapes c’était d’installer des logiciels libres sur son environnement privateur parce qu’ensuite on les retrouve sur son environnement libre. On retrouve VLC, Firefox, LibreOffice. Par contre, un des gros changements, c’est l’environnement de bureau. Tout à l’heure c’était Olivier Fraysse qui parlait de KDE qui est environnement de bureau, Gnome qui est un autre environnement de bureau, moi j’ai un autre environnement de bureau. Ça me paraît être un changement vraiment important pour les personnes qui débarquent d’un environnement différent, Windows ou Mac OS. De ton expérience, Charlotte, est-ce que c’est un point bloquant ? Comment vous expliquez ça ? Est-ce que vous orientez les personnes vers tel ou tel bureau ?

Charlotte Boulanger : C’est vrai que souvent quand on dit aux gens : « On vous a installé Ubuntu et là on vous fait un atelier Gnome, Gnome qui est l’environnement de bureau », il y a un peu une incompréhension de temps en temps sur « attendez ! c’est quoi Gnome, c’est quoi Ubuntu, tout ça ? » Et là on doit expliquer que Ubuntu vous pouvez l’avoir avec un environnement de bureau. Donc là les touches sont comme ça et tout et là c’est en bas à gauche pour aller ouvrir tel menu alors que l’autre c’est en haut à droite, etc. Ce sont des petits changements pour un libriste, quelqu’un qui va voir plutôt les grosses différences entre les distributions, mais pour quelqu’un, par exemple une personne âgée qui a déjà du mal, je ne sais pas, à changer son fond d’écran, je dis ça parce que j’en connais, c’est assez important.
Moi, de mon expérience, quand quelqu’un veut installer Ubuntu et c’est sa première utilisation, je lui conseille d’utiliser ce qui est par défaut dans la dernière version. En ce moment c’est Gnome par exemple. Pourquoi ? Parce que tout simplement, à la moindre difficulté, les tutoriels les plus récents que la personne va voir seront souvent avec cet environnement de bureau-là. Après, s’il y en a qui me disent : « Moi je fais du montage vidéo, je fais du graphisme, quel environnement me conviendrait le plus ? » Et là, si la personne est à l’aise, je n’hésite pas à la rediriger vers Kubuntu.

Olivier Fraysse : Ubuntu Studio.

Charlotte Boulanger : Ubuntu Studio, que moi je n’aime pas personnellement.

Frédéric Couchet : Merci Charlotte. Jean-Christophe, est-ce que tu veux ajouter quelque chose sur cet aspect bureau, environnement de bureau ?

Jean-Christophe Monnard : Il y a effectivement un phénomène que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître c’est qu’autrefois il y avait DOS ; on tapait « win » et il y avait Windows 3.1 qui apparaissait. Pour ces générations-là, parfois, on peut montrer qu’il y a plusieurs gestionnaires de fenêtres, plusieurs windows pour Linux tandis que Windows n’en a qu’un seul. La liberté fait parfois un petit peu peur.
Au début, pour moi, ça dépend vraiment beaucoup de la puissance de l’ordinateur. Quand c’est vraiment une machine ancienne, peu puissante, IceWM, par exemple, je ne sais pas si je le prononce bien, il y a des environnements de bureau qui sont très légers, XFCE est quand même aussi assez léger.
C’est vrai que souvent, par défaut, sur Mageia nous mettons en place KDE. En général là les gens s’adaptent assez rapidement parce que ça ressemble un petit peu à Windows. Il y a un bouton en bas à gauche ; ça marche assez bien. Mais effectivement, c’est une question parfois pour les gens. Au bout d’un certain temps, ceux qui vont essayer plusieurs environnements de bureau verront que certains sont plus pour les artistes de l’informatique ou plus faciles à utiliser.
Il me semblait à propos d’Ubuntu, la version pour la vidéo, que la différence était surtout le noyau qui permettait du traitement en temps réel beaucoup plus que l’interface graphique.

Olivier Fraysse : Oui, en effet. Mais il y a aussi un changement d’interface graphique de ce dont je me souviens de Ubuntu Studio, mais j’avoue que je n’ai pas testé récemment. Il me semble que c’est sous KDE, Ubuntu Studio.

Charlotte Boulanger : Moi j’avais essayé.

Olivier Fraysse : Effectivement il y a le noyau real time.

Charlotte Boulanger : Au temps pour moi.

Olivier Fraysse : Tu avais essayé Ubuntu Studio, Charlotte ?

Charlotte Boulanger : Non Kubuntu il me semble. En fait, c’était encore quelque chose d’autre.

Olivier Fraysse : Kdenlive.

Charlotte Boulanger : Peut-être.

Olivier Fraysse : Qui est le logiciel de montage.

Frédéric Couchet : De montage vidéo.
Le temps passe vite, il va nous rester à peu près cinq minutes sur ce sujet. Avant de faire un tour de table final j’ai une question. On a parlé de distributions libres, mais, en fait, il n’y a pas forcément que des logiciels libres installés sur les distributions. Est-ce qu’on pourrait faire un petit point sur cette séparation entre les logiciels libres et non libres sur les distributions ? Aussi par rapport aux critères de la Fondation pour le logiciel libre qui a émis un certain nombre de critères pour dire que telle distribution n’installe que du logiciel libre, en allant jusqu’au BIOS, c’est-à-dire le petit bout de programme qui s’exécute au démarrage de l’ordinateur avant même le système d’exploitation. Quelle est votre politique par rapport à cette information des personnes qui les utilisent au niveau de la séparation logiciel libre-logiciel privateur ? Je vais commencer peut-être par Ubuntu. Vas-y.

Olivier Fraysse : Moi je pense que c’est très bien qu’on puisse installer une distribution GNU/Linux comme Debian sans la moindre trace de logiciel privateur, sans le moindre driver pollué.

Frédéric Couchet : Pilote de périphérique.

Olivier Fraysse : Pardon, sans le moindre pilote pas libre. C’est nécessaire que ça existe. Après, je pense que si on veut diffuser des solutions libres au plus grand monde il faut accepter des compromis comme le fait Ubuntu avec des drivers Wifi, notamment, qui ne sont pas libres sur la version d’installation. En fait, quand tu installes Ubuntu, il te permet de te connecter à ton Wifi avec des pilotes pas libres pour pouvoir faire l’installation correctement. Mais surtout, après, il t’informe et une fois que tu as installé il te dit : « Tu veux des drivers ou tu ne veux pas Internet ? »

Frédéric Couchet : D’accord.

Olivier Fraysse : Voilà. Ça me semble super nécessaire de faire ce genre de compromis. Après j’ai une question pour toi : est-ce qu’on va parler des distributions payantes qui sont libres mais payantes, comme Red Hat ?

Frédéric Couchet : Non, parce que là on s’adresse aux distributions directement accessibles pour le grand public. On fera un deuxième sujet, de toute façon, sur ces distributions, on abordera d’autres sujets dont les distributions pour entreprises, etc.

Olivier Fraysse : Avant de passer la parole à Nico, justement, il me semble que Debian aussi a touché à des pilotes pas libres, il fut un temps, mais ce n’est peut-être plus le cas.

Frédéric Couchet : Nicolas Dandrimont pour Debian et après Jean-Christophe.

Nicolas Dandrimont : Effectivement, si on fait une installation par défaut de Debian aujourd’hui on a 100 % de logiciel libre. Il y a beaucoup de travail qui a été fait notamment au niveau du noyau Linux pour séparer la partie noyau logiciel et tous les petits micros logiciels qu’on va mettre dans divers périphériques pour qu’ils puissent fonctionner, qui sont, eux, justement, pas forcément libres. Ce travail-là a été pas mal poussé par Debian.
On a la possibilité, par contre, d’ajouter effectivement les pilotes de périphériques et les micros logiciels qui sont nécessaires pour le fonctionnement du matériel qui sont, du coup, des logiciels qui ne sont pas libres. On ne met pas trop ça en avant sur nos pages web, sur notre documentation. Par contre ce sont des choses qui sont vraiment disponibles publiquement et qui sont assez proches. En fait, ils sont dans la même archive que les logiciels libres et c’est d’ailleurs le reproche qui nous est fait pas la Free Software Foundation.

Frédéric Couchet : La Fondation pour le logiciel libre.

Nicolas Dandrimont : C’est que la partie non libre de Debian n’est pas assez bien séparée de la partie libre. C’est un peu la position orthodoxe de la FSF là-dessus.

Frédéric Couchet : Jean-Christophe Monnard pour Mageia. Quelle est la politique de Mageia par rapport à cette séparation logiciel libre ou cette information ?

Jean-Christophe Monnard : Fondamentalement, tous ces paquets de logiciels sont séparés sur différentes étagères, pour prendre un terme commun. Il y a des étagères pour les logiciels libres, des étagères pour les logiciels qui ne sont pas libres et là on prévient au moment de l’installation. C’est vrai qu’au début j’étais très puriste, je ne les mettais pas, mais pour le plus grand public j’ai vite compris qu’effectivement on peut les mettre comme étape intermédiaire. Je ne les mets pas pour moi.
Il y a aussi, on va dire, une étagère pour les logiciels qui sont gratuits ou libres mais qui posent des problèmes dans certains pays. Parce que là aussi les problèmes de brevet logiciel, par exemple, font que certains logiciels sont utilisables dans certains pays et pas dans d’autres. Donc on a des miroirs qui, en fait, sont des espèces d’étagères ou tiroirs où on range tous ces paquets de logiciels et, à l’installation, il y a un avertissement : « Est-ce que vous voulez installer aussi des logiciels non libres ? », mais c’est vrai que c’est un peu discret et c’est surtout pour des utilisateurs avertis. C’est vrai que quelqu’un du grand public va faire OK, OK, il les aura. On sait bien que pour les débutants c'est nécessaire.

Frédéric Couchet : D’accord. Cette partie va se terminer. Je vais vous laisser chacun et chacune une minute si vous avez quelque chose à ajouter. Jean-Christophe, puisque tu avais la parole, est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose sur ces distributions GNU/Linux ?

Jean-Christophe Monnard : Je trouve excellent qu’il y ait beaucoup de distributions GNU/Linux. On n’a pas peur d’aborder des sujets qui fâchent. Quand le fondateur d’Ubuntu a dit publiquement qu’il voulait qu’on remplace Linux par Ubuntu c’est vrai que ça m’a beaucoup énervé et c’est pour ça aussi que je n’utilise pas Ubuntu même si c’est une distribution qui est techniquement tout à fait au point. Effectivement sa facilité d’utilisation est très bonne.
Utiliser des logiciels libres, eh bien c’est participer à un monde de liberté et d’entraide et c’est ça le plus important. Et, comment dire, Mageia est une distribution communautaire, associative, qui, quelque part, procède de la liberté du côté non marchand de Debian, mais aussi avec une facilité d’utilisation très grand public que j’apprécie tous les jours.

Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe, Olivier pareil, Oliver Fraysse en moins d’une minute.

Olivier Fraysse : Je ne me souviens pas de cette parole de Mark Shuttleworth sur Linux qui devrait être remplacé par Ubuntu, mais je ferai des recherches. Apparemment Nico non plus ne s’en souvient pas.

Charlotte Boulanger : Shuttleworth qui est le fondateur de Canonical.

Olivier Fraysse : Le fondateur de Canonical qui sponsorise Ubuntu, qui est donc le créateur d’Ubuntu, en fait. Je n’ai pas grand-chose à ajouter si ce n’est que : n’hésitez pas à tester. J’invite toutes les personnes qui souhaitent avoir un peu plus de liberté sur leur ordinateur, avoir moins de virus voire pas de virus du tout — c’est un débat qu’on peut avoir — à essayer ne serait-ce que Ubuntu ou Debian ou Fedora ou Mageia ou autre, mais il faut tester.

Frédéric Couchet : Nicolas Dandrimont pour Debian.

Nicolas Dandrimont : Je pense qu’effectivement les tester c’est les adopter. Et surtout, surtout, surtout, rapprochez-vous des structures locales, de vos groupes d’utilisateurs de logiciels libres locaux, que ce soit à Paris, Parinux, ou en région, ou ailleurs dans le monde, parce que le point clef du logiciel libre c’est la communauté. Que ce soit les distributions ou le reste de la communauté du logiciel libre, ce sont vraiment les gens qui constituent ça qui sont la clef.

Frédéric Couchet : Et vous trouvez l’annuaire de ces groupes d’utilisateurs sur le site de l’Agenda du Libre. Charlotte Boulanger, pour conclure également.

Charlotte Boulanger : Un petit mot si jamais vous êtes séduit par l’orthodoxie, c’est ça qu’on a dit ?, de la Free Software Foundation, la Fondation pour le logiciel libre, ils ont une page qui liste les distributions agréées par la Free Software Foundation. Donc vous pouvez aller faire un tour et en essayer une si vous avez un cœur de libriste pur. Aucune de nos distributions dont on a parlé n’est présente sur cette page-là.

Frédéric Couchet : Comme l’émission est très bien préparée cette page de références est déjà sur le site de l’April.

Charlotte Boulanger : C’est génial !

Frédéric Couchet : Il y a deux pages en fait : il y a la page qui liste les distributions reconnues comme 100 % logiciel libre par la Fondation pour le logiciel libre dont la principale est sans doute la distribution qui s’appelle Trisquel. Ça me fait penser qu’il y a une société qui s’appelle Minifree qui, je crois, est basée en Angleterre, qui vend des laptops, des ordinateurs portables préinstallés avec Trisquel.
Et la deuxième page qui est citée c’est pourquoi certaines distributions ne sont pas référencées comme distributions 100 % logiciel libre par la Fondation pour le logiciel libre. Donc vous verrez pourquoi Debian, mais tout à l’heure Nicolas Dandrimont l’a expliqué : c’est la séparation effectivement du paquet libre et non libre.
Évidemment il y a beaucoup d’autres distributions dont on aurait pu parler. Il y aussi d’autres familles de systèmes d’exploitation notamment nos amis de BSD : NetBSD, FreeBSD, OpenBSD.
C’était une première introduction sur les distributions GNU/Linux.

Avant de changer de sujet, mais en gardant quand même deux des intervenants, nous allons écouter une pause musicale. Le morceau s’appelle Passagère de KPTN et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Passagère de KPTN.

Frédéric Couchet : Vous êtes de retour dans l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.10 en Île-de-France et partout ailleurs sur causecommune.fm. Libre à vous ! c’est l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Juste avant la pause musicale nous parlions des distributions GNU/Linux avec plusieurs personnes invitées et deux d’entre elles sont restées en studio parce que le sujet suivant les concerne également : Nicolas Dandrimont de Debian et Olivier Fraysse d’Ubuntu-fr, la communauté Ubuntu.
Nous allons parler de la boutique en ligne En Vente Libre qui met à disposition des produits de sensibilisation pour des projets libres, des associations libres. Qui veut commencer déjà par nous présenter succinctement, succinctement non, nous présenter simplement la boutique En Vente Libre ?

Olivier Fraysse : Je ne sais plus en quelle année on a lancé ça. C’était Framasoft et Ubuntu-fr.

Frédéric Couchet : En 2009.

Olivier Fraysse : Voilà, en 2009. C’était l’année où c’était vraiment la folie, on faisait des Ubuntu Parties avec 5000 personnes. Framasoft avait une Framakey, c’était une clef Ubuntu avec des logiciels libres pour Windows et pour Ubuntu. Tu pouvais démarrer sur la Framakey et tu avais les mêmes logiciels sur Ubuntu et pour Windows.
Ça c’était un partenariat Ubuntu-fr/Framasoft et on avait du coup, par la même occasion, lancé cette boutique en ligne qui permettait d’acheter des produits : des goodies de Framasoft et des produits de Ubuntu-fr comme des tee-shirts, des badges, des trucs de cou [des colliers, NdT] et des dons. On pouvait faire des dons. Après, du coup, on s’est dit : on va en faire profiter d’autres assos. Je n’ai pas du tout l’historique en tête mais assez rapidement l’April a rejoint le mouvement ; je crois qu’il y a d’autres gens avant l’April.

Nicolas Dandrimont : Debian France aussi est rentrée assez tôt, en fait, dans En Vente libre.

Olivier Fraysse : Dans le site.

Nicolas Dandrimont : On avait pas mal de goodies, de tee-shirts, de sweat-shirts.

Olivier Fraysse : De produits dérivés.

Nicolas Dandrimont : De produits dérivés, voilà, avec la magnifique spirale Debian.

Frédéric Couchet : Ou cadeaux publicitaires, on peut dire, à la place de goodies, même si certaines personnes n’aiment pas ce terme.

Olivier Fraysse : Et que ce ne sont pas des cadeaux, parce qu’on les vend.

Nicolas Dandrimont : Ce ne sont pas des cadeaux, c’est de la publicité, il n’y a pas de doute !

Olivier Fraysse : On va appeler goodies, ça vous va ?

Nicolas Dandrimont : Surtout pour les gens qui s’en occupent, ce ne sont pas des cadeaux !

Olivier Fraysse : Ouais. Il y a aussi La Mouette qui nous a rejoints rapidement.

Nicolas Dandrimont : Oui. La Mouette c’est l’association francophone qui porte LibreOffice aujourd’hui.

Olivier Fraysse : Notamment avec leur tee-shirt OpenOffice.

Frédéric Couchet : Notamment OpenOffice et LibreOffice, les suites bureautiques libres. L’April c’était en 2012, au bout de deux-trois ans. Donc quatre-cinq associations au début. Ça permet aussi, pour les structures, de mutualiser les coûts. Par exemple à l’instant tu parlais des dons. Forcément quand on fait des dons, notamment par un site bancaire, on paye des frais et puis ça nécessite des compétences pour le mettre en place. Donc là ça permet aussi pour les associations de mutualiser leurs coûts.

Olivier Fraysse : Le coût humain aussi.

Frédéric Couchet : Le coût humain est plus important.

Olivier Fraysse : La maintenance d’un site, en logiciel libre, la boutique en ligne, on a utilisé plusieurs outils. Aujourd’hui c’est PrestaShop ; avant c’était « Drupoil ».

Frédéric Couchet : Drupal ! Pense aux personnes qui écoutent, qui vont chercher sur un moteur de recherche « drupoil » !

Olivier Fraysse : Elles vont trouver, surtout si elles utilisent le même moteur de recherche que tout le monde !

Frédéric Couchet : C’est-à-dire DuckDuckGo. C’est ça ?

Olivier Fraysse : Non Justement.

Frédéric Couchet : Vas-y, poursuis.

Olivier Fraysse : Oui, je poursuis. PrestaShop c’est bien sympa, c’est assez facile à mettre à jour et tout. Mais si chaque association dont on va donner la liste incessamment sous peu avait un PrestaShop à maintenir, il y en aurait forcément qui auraient plusieurs années de retard. Dans toutes les assos, OK, on est motivé un jour pour monter une boutique et puis qu’est-ce qui va rester trois mois après ? Est-ce que le bénévole qui a monté ça est encore là ? Est-ce que quelqu’un a vraiment envie de s’en occuper ? Est-ce que quelqu’un a les codes d’accès ? Dans les petites assos, parce qu’on est toutes des petites assos, sauf Debian qui est énorme !

Frédéric Couchet : Humainement on est toutes des petites assos.

Nicolas Dandrimont : Même Debian. Debian France en tout cas au niveau bénévole, on est tout petit aussi.

Olivier Fraysse : Même l’April qui a des salariés. Je me souviens, comme j’étais au conseil d’administration à l’époque, on n'était pas chauds pour maintenir une boutique. On avait une boutique, on ne savait même pas comment elle fonctionnait !

Frédéric Couchet : Oui, parce qu’on n’a pas de salariés qui s’occupent de la partie technique. Le système d’information est maintenu par des bénévoles. C’est vrai que maintenir un site ! Tu parlais de Drupal. C’est une activité à part entière de maintenir un Drupal quand on change de version. Après il y a des sites qui sont plus simples comme SPIP ou autres, mais bon !

Olivier Fraysse : Après, il y a aussi l’aspect communication. Il faut faire de la pub pour chaque boutique. Si chacun fait la pub de sa boutique c’est du travail qui est inutilement multiplié.

Frédéric Couchet : Ça permet aussi pour la personne qui achète, si on se met du point de vue de la personne qui veut soit faire des dons soit acheter des goodies, comme on dit.

Nicolas Dandrimont : Ce sont plusieurs projets à soutenir. Elle peut, effectivement, faire son panier et avoir l’ensemble de ses goodies envoyé avec un seul frais de port. Pour les dons c’est pareil. Ça permet de faire un don où on va donner 5 euros à l’April, 5 euros à Debian France, 5 euros à La Quadrature du Net.

Olivier Fraysse : Et si vous ne faites que des dons on vous offre les frais de port. On est comme ça nous ! On est sympas !

[Rires]

Nicolas Dandrimont : C’est cool.

Frédéric Couchet : Sur en En Vente libre on trouve donc des tee-shirts, des autocollants, des outils de communication…

Olivier Fraysse : Des supers tee-shirts de Charlotte, justement, pour Ubuntu.

Frédéric Couchet : Il y a les supers tee-shirts de Charlotte. Il y a les guides Libre Association.

Charlotte Boulanger : Des jolis dessins.

Frédéric Couchet : Des jolis dessins. Des guides Libre Association. J’en ai apporté certains parce qu’il faut aussi savoir qu’aujourd’hui une partie du matériel est stocké dans les locaux de Cause Commune. Aujourd’hui il y a combien ? Il y a une dizaine de structures participantes. Est-ce que vous êtes capables de me les citer ou c’est moi qui le fais ?

Olivier Fraysse : Tu vas le faire.

Nicolas Dandrimont : Je peux commencer avec : Framasoft, Ubuntu-fr, Debian France, Mageia, Borsalinux qui est Fedora francophone.

Frédéric Couchet : La distribution GNU/Linux Fedora.

Nicolas Dandrimont : C’est ça. L’April, je n’ai pas cité l’April, La Mouette qui donc, du coup, s’occupe de bureautique.

Olivier Fraysse : Alionet.

Nicolas Dandrimont : Alionet qui est openSUSE.

Frédéric Couchet : Une autre distribution.

Nicolas Dandrimont : Une autre distribution. LILA qui est un ensemble, un collectif de graphistes il me semble.

Frédéric Couchet : Et une des personnes travaille notamment sur le projet GIMP aussi. C’est « libre comme art » [« Libre comme L'Art »], je crois.

Nicolas Dandrimont : C’est ça.

Olivier Fraysse : Il y Khaganat aussi.

Frédéric Couchet : Khaganat c’est quoi ?

Olivier Fraysse : Aucune idée.

Olivier Fraysse : Khaganat C’est un MMORPG [massively multiplayer online role-playing game] complètement libre. C’est un jeu de rôle en ligne.

Frédéric Couchet : C’est un jeu de rôle en ligne massivement multi joueurs.

Olivier Fraysse : Un MMORPG.

Frédéric Couchet : OK. Les sigles. Il y a La Quadrature du Net aussi.

Nicolas Dandrimont : Il y a Quadrature du Net qui nous a rejoints en décembre. J’ai réussi à tout citer.

Frédéric Couchet : En Vente Libre ce n’est géré que dans un mode bénévole. De quoi avez-vous besoin ? Est-ce que vous avez besoin d’aide ?

Olivier Fraysse : Oui.

Frédéric Couchet : De quelle aide ?

Olivier Fraysse : On a besoin de bénévoles pour faire les envois parce qu’on est actuellement super à la bourre. Des fois on est très réactifs et on envoie les colis le jour même voire le lendemain, enfin le lendemain voire le jour même, plutôt dans ce sens-là. Parfois on a jusqu’à dix jours de retard juste parce que les bénévoles qui le font habituellement ne sont pas dispos ou sont débordés, pas dispos ou petits problèmes techniques genre il manque des papiers collants ou des enveloppes, mais ça c’est très rare. Donc on a besoin de bénévoles. Vous pouvez écrire si vous êtes volontaire. Écrivez à contact@ enventelibre.org avec votre CV et votre lettre de motivation.

Frédéric Couchet : Dans un format ouvert.

Olivier Fraysse : Oui en ODT ou en PDF ou en .txt.

Frédéric Couchet : Ce qui est encore mieux. Sur le site de l’April vous trouvez une référence avec un billet qu’a posté Magali Garnero qui est multi-casquettes dans le monde du logiciel libre.

Olivier Fraysse : Oui, notre actuelle trésorière.

Frédéric Couchet : Qui est trésorière d’En Vente Libre, qui est membre du CA de l’April, de Framasoft, entre autres, qui a publié récemment sur linuxfr un billet expliquant un petit peu les différentes façons de contribuer à En Vente Libre et aussi, pour les structures qui veulent participer, comment récupérer une copie de la convention pour voir, pour s’intégrer dans ce projet.

Nicolas Dandrimont : Exact.

Frédéric Couchet : On va rappeler peut-être le point le plus important.

Nicolas Dandrimont : enventelibre.org.

Frédéric Couchet : Il y en a un qui suit, donc enventelibre.org

Olivier Fraysse : Tout attaché.

Frédéric Couchet : Tout attaché. Je vous remercie tous les deux pour cette présentation et pour votre échange sur les distributions GNU/Linux.

Olivier Fraysse : C’était un plaisir. Merci à toi.

Frédéric Couchet : Vous entendez le générique, l’émission va bientôt se terminer.
Je vous l’avais annoncé déjà la semaine dernière, mais je vais le refaire : vous pouvez utiliser la boîte vocale de la radio Cause Commune pour faire connaître votre travail, parler d’un projet important. Vous pouvez appeler le 01 88 32 54 33, je répète 01 88 32 54 33, vous laissez un message jusqu’à dix minutes maximum et ensuite il passera à l’antenne plusieurs fois de suite, sans doute, dans les différentes émissions.
Je regarde s’il y a d’autres annonces. On les a faites tout à l’heure.
La semaine prochaine nous ferons un point sur la directive droit d’auteur suite aux évènements qui se sont passés cette semaine, c’est-à-dire l’échec du « trilogue », la négociation entre le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européenne. Donc nous parlerons de ce sujet-là, donc on se retrouve mardi prochain.
Je remercie évidemment Charlotte Boulanger qui était à la régie et pour Ubuntu-fr, Jean-Christophe Monnard qui était au téléphone pour Mageia, Nicolas Dandrimont pour Debian, Olivier Fraysse dit Olive pour Ubuntu-fr. On se retrouve mardi prochain à 15 h 30 et d’ici là, portez-vous bien.

Commission des affaires culturelles : École de la confiance - Discussion amendements AC265 AC385 et AC311

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Députés

Titre : Commission des affaires culturelles : École de la confiance - Discussion des amendements AC265, AC385 et AC311
Intervenants : Michel Larive, député - Sabine Rubin, députée - Bruno Studer, président - Fannette Charvier, rapporteure - Anne-Christine Lang, rapporteure
Lieu : Assemblée nationale
Date : 30 et 31 janvier 2019
Durée : 2 min et 6 min 5 s
Visionner la commissionà partir de 2 h 23 min 00 pour l'amendement AC265
Visionner la commissionà partir de 1 h 25 min 52 pour les amendements AC385 et AC311
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Jebulon - Pont de la Concorde Palais Bourbon Paris. Wikimedia Commons, licence Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Amendement AC265

Bruno Studer, président : Le suivant, Madame Rubin, le 2651.

Sabine Rubin : C’est un amendement qui précise que les partenariats, les expérimentations de partenariat, ne peuvent se faire avec des personnes morales privées. Pourquoi ? Si l’école publique est laïque c’est effectivement pour protéger les consciences d’une influence telle ou telle. On sait bien que le partenariat avec les entreprises imprime forcément une marque, enfin les entreprises impriment leur marque dans la tête des enfants. Ça se passe déjà dans les rues et à la télé, que cela se passe en plus dans l’école, véritablement ça ne nous semble pas conseillé et, en tout cas, c’est une certaine manière d’influencer les enfants au sein d’une école ce qui n’est certainement pas le lieu pour le faire. Donc avec cet amendement on précise tout simplement que ces partenariats ne peuvent être passés avec des personnes morales privées.

Bruno Studer, président : Merci Madame Rubin. Madame la rapporteure.

Anne-Christine Lang, rapporteure : Oui, Madame la députée nous partageons votre préoccupation de ne pas voir l’irruption de publicité sauvage dans les établissements. Il se trouve qu’il existe déjà des textes qui encadrent l’intervention des entreprises en milieu scolaire, notamment une circulaire de 2001. Votre amendement, tel qu’il est rédigé, concernerait éventuellement également les mutuelles qui font de nombreuses actions de prévention dans les établissements scolaires dont il serait dommage de se priver.
J’ajouterais que dans la rédaction actuelle, « dans le domaine associatif ou culturel » n’est pas suffisamment précis, donc avis défavorable.

Bruno Studer, président : Je mets donc aux voix cet amendement. Qui est pour ? Qui est contre ? Il n’est pas adopté.

Amendement AC385

Bruno Studer, président : Nous avons ensuite le 3852. Monsieur Larive.

Michel Larive : Oui.
Les outils numériques occupent une place de plus en plus grande dans la vie quotidienne, comme dans la vie professionnelle ou les relations administratives. Leur maîtrise est devenue indispensable ; de plus en plus de services nécessitent la possession d’une adresse courriel. Aussi, l’Éducation nationale lors des cours de technologie, ou à travers les matériels mis à disposition des élèves dans les établissements, que ce soit dans les classes ou dans les centres de documentation et d’information (les CDI), participe à cet apprentissage du numérique.
Toutefois, cet apprentissage se fait souvent sur des matériels comportant des logiciels privés. L’important contrat passé entre l’Éducation nationale et Microsoft en témoigne. Mais une telle mainmise des entreprises privées, notamment les GAFAM, est dangereuse pour l’indépendance et la souveraineté de la France. En effet, les enfants apprennent très jeunes à se servir de ces logiciels et seulement ceux-là. En conséquence, dans leur vie d’adulte, ils ont tendance à acheter des matériels pourvus des logiciels qu’ils connaissent déjà et dont ils savent se servir. Les entreprises privées s’assurent ainsi d’une clientèle quasi captive.
Cet amendement propose donc que l’Éducation nationale ne fasse pas la promotion d’une entreprise plutôt que d’une autre, en remplissant ainsi sa fonction de service public et de neutralité de l’enseignement dispensé sans publicité aucune. Ainsi il propose que l’enseignement scolaire se fasse en logiciel libre, que ce soit au niveau des systèmes d’exploitation, des moteurs de recherche, ou encore des logiciels de traitement de texte et de données. Ces logiciels peuvent par ailleurs être gratuits, ce qui permettrait de faire faire des économies utiles à l’Éducation nationale et de dégager des fonds pour d’autres projets. Voilà ! Merci.

Bruno Studer, président : Merci Monsieur Larive. Madame la rapporteure.

Fannette Charvier, rapporteure : Il existe d’ores et déjà des dispositions dans le code de l’éducation qui favorisent l’utilisation des logiciels libres dans l’enseignement public. Dans le service public de l’enseignement et du numérique éducatif, l’article L 131.2 prévoit déjà que le choix des ressources utilisées tient compte de l’offre de logiciels libres et de documents aux formats ouverts, si elle existe – c’est issu de la loi de 2013 de refondation de l’école – et, dans l’enseignement supérieur, l’article L 123.4 – 1 prévoit que dans le service public de l’Enseignement supérieur les logiciels libres sont utilisés en priorité, là encore une disposition issue de la loi 2013 de refondation de l’école. Par ailleurs la loi pour une République numérique de 2016 a aussi introduit des dispositions qui encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts dans les administrations. Pour autant, la disposition que vous proposez au travers cet amendement me semble trop générale pour être applicable en pratique en imposant un recours systématique aux logiciels libres. J’aurai donc un avis défavorable sur l’amendement.

Bruno Studer, président : Merci. Monsieur Larive.

Michel Larive : Oui, madame la rapporteure, c’est justement parce qu’elle est générale que nous la proposons. Vous ne niez pas qu’il y a effectivement une mainmise de Microsoft sur les produits notamment administratifs de l’Éducation nationale et puis je vous donne un exemple : dans les livres de maths de terminale S, vous avez la programmation de deux calculatrices ou calculettes, je ne sais pas comment vous voulez dire, américaines ; seulement deux. On vous dit comment programmer pour pouvoir établir toutes les fonctions du programme de terminale S. Vous voyez ! C’est-à-dire qu’on a là, quelque part, une entrée de la sphère commerciale dans le service public qui, pour moi, va très, très loin et qui touche même, peut-être, à une entrave à la laïcité in fine.

Bruno Studer, président : Merci Monsieur Larive. Je mets aux voix cet amendement qui a reçu un avis défavorable. Qui est pour ? qui est contre ? Il n’est pas adopté. Continuez à lever les mains chers collègues.

Amendement AC311

Bruno Studer, président : Le 3113, Madame Rubin

Sabine Rubin : Je vais le défendre ; c’est dans le prolongement de l’amendement précédent. Simplement, je voudrais faire quand même une remarque sur ce qui est réglementaire ou ce qui n’est pas réglementaire. Franchement, moi je propose des amendements de bonne foi, on me répond réglementaire, on me répond que tout va bien ! Bon ! Je vais vous dire pourquoi. Parce qu’on a fait quand mème une loi sur le téléphone portable. Il n’y a pas plus réglementaire que le téléphone portable. Si on fait confiance aux chefs d’établissement, ils le mettent ou ils ne le mettent pas en place. Vous voyez ce que je veux dire ? Qu’est-ce qu’il y a de réglementaire là-dedans ? Je tiens à le dire parce que sinon on a l’impression d’être balayés ! Il y a des discussions comme ça : ça c’est réglementaire, ça c’est une loi. Non ! Un téléphone portable c’était déjà de l’ordre réglementaire et ça suffisait ! Il a fallu le faire passer dans la loi ! Voilà ! Je pense que les amendements que j’ai défendus et notamment sur la démocratie lycéenne mériteraient, dans une loi soi-disant de confiance, de rentrer dans la loi. Je m’exprime parce que sinon on fait semblant de se parler.

Bruno Studer, président : Allez-y Madame Rubin. Vous avez une minute.

Sabine Rubin : Là il s’agit d’une loi [d’un amendement] qui vise à renforcer les garanties de protection des établissements scolaires et du service public de l’éducation vis-à-vis des intérêts lucratifs en général. Je sais, il existe des dispositions en vigueur, notamment la circulaire de 2001 tiret 053 portant code de bonne conduite des interventions des entreprises en milieu scolaire et vous les avez mentionnées hier lors d’un amendement, déjà, eh bien écoutez, elles sont insuffisantes. Elles sont insuffisantes et pas que pour Microsoft. Là je prends l’exemple du lait, d’un cours qui a été fait sur le lait et, bien sûr, les marques en ont profité pour faire leur publicité. Donc cet amendement vise tout simplement à être plus exigeants face à ces phénomènes, finalement, de promotion commerciale des entreprises.

Bruno Studer, président : Merci madame Rubin. Madame la rapporteure.

Fannette Charvier, rapporteure : Défavorable. Vous l’avez dit vous-même en fait en présentant l’amendement, c’était du ressort du réglementaire et on a déjà un code de bonne conduite des interventions des entreprises en milieu scolaire. Donc mon avis sera défavorable.

Bruno Studer, président : Bien. Avis défavorable de madame la rapporteure. Qui est pour ? Qui est contre ? L’amendement n’est pas adopté.

Échec des négociations sur la réforme du droit d'auteur - Décryptualité du 28 janvier 2019

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Christian - Manu - Luc

Titre : Décryptualité du 28 janvier 2019 - Échec des négociations sur la réforme du droit d'auteur
Intervenants : Christian - Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 28 janvier 2019
Durée : 15 min
Écouter ou télécharger le podcast
Revue de presse pour la semaine 4 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Giandrea, Wikimedia Commmons, Logo non officiel de l'Union européenne. Public domain.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Après l'échec des négociations du texte final de la directive sur la réforme du droit d'auteur, la bataille contre les articles 11 et 13 semble gagnée. Retour sur une tentative des ayants droit de mettre la main sur l'argent de Google en piétinant les libertés de tous.

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 4. Salut Manu.

Manu : Salut Christian.

Christian : Salut Luc.

Luc : Sommaire.

Manu : Six jolis articles cette semaine avec pas mal d’informations.

Christian : Contrepoints, « 10 façons de remercier les responsables de logiciels libres et open source », par Moshe Zadka.

Manu : Un article original qui dit qu’il faut remercier et ça fait toujours plaisir. Il y a toute une liste de choses que l’on peut faire pour aider les projets libres.

Christian : Merci, merci, merci ! Usbek & Rica, « Aaron Swartz, martyr éternel de l’Internet libre », par Vincent Lucchese.

Manu : C’est à la suite d’un livre enquête qui sort ce janvier et qui parle d’Aaron Swartz, effectivement un martyr parce qu’il s’est suicidé à la suite d’un jugement qui était en cours aux États-Unis.

Christian : De pressions.

Manu : Et Qui l’embêtait beaucoup, forcément, notamment parce qu’il avait sorti plein d’articles scientifiques sur Internet ; c’était du piratage, en tout cas c’était considéré comme ça.

Christian : Le Monde.fr, « Droits d’auteur : les négociations européennes sur l’article 11 et l’article 13 patinent ».

Manu : On en reparle juste après parce que ça va être le sujet d’aujourd’hui.

Christian : Numerama, « La CNIL inflige à Google une amende record de 50 millions d’euros pour violation du RGPD ? », par Julien Lausson.

Manu : Tu rappelles ce que ça veut dire RGPD ?

Christian : Règlement général pour la protection des données.

Manu : Donc là Google se fait taper sur les doigts, 50 millions c’est énorme. Enfin ! Peut-être pas pour eux !

Christian : En tout cas c’est un symbole fort et la CNIL a été très, très, très réactive et très forte sur ce coup-là !

Manu : Beaucoup d’articles et des articles secondaires qu’on a remontés aussi ; c’était un gros sujet cette semaine.

Christian : Libération, « Sécurité informatique : tous connectés, tous responsables », par Guillaume Poupard.

Manu : Ça parle de sécurité informatique et effectivement, c’est un sujet dont on n’arrête pas de parler parce que c’est presque drôle de voir toutes les failles qui sortent de semaine en semaine et on est sûr et certain qu’il en ressortira encore. Malheureusement le Libre est parfois impliqué, donc il faut y travailler et améliorer constamment les logiciels.

Christian : Le Monde.fr, « La très difficile transparence des administrations en France », par Maxime Ferrer.

Manu : Ça parle d’open data et la France est en tête, normalement sur ce sujet, au niveau international, mais jamais assez ! Jamais assez du point de vue de l’April qui se démène pour faire sortir des documents administratifs, des algorithmes, des logiciels. Parce que, normalement, on a le droit d’accéder à tout cela en tant que citoyen français, on a le droit de voir comment nos administrations fonctionnent. Il y a un gros boulot et il y a une émission Libre à vous !, une émission de l’April, une autre, sur une radio parisienne, que vous pouvez aller écouter : Libre à vous !

Luc : On va éviter de faire trop de pub à d'autres radios sur toutes les radios !

Manu : Donc on reprend. Eh bien Google.

Christian : Ah ! Alors qu’est-ce qui leur arrive ?

Luc : Article 13, article 11, ou article 11, article 13, il faut choisir le sens. on avait fait un podcast sur le sujet, ces démarches législatives au niveau européen.

Manu : Une réforme du droit d’auteur.

Luc : Voilà. En tout cas elle se nomme réforme du droit d’auteur, on peut trouver ça un petit peu contestable, parce que l’objectif c’est de faire cracher Google au bassinet.

Christian : Et qui est-ce qui demande cette loi ?

Luc : Ce n’est pas moi !

Manu : Vraisemblablement c’est tout un pan de l’industrie audiovisuelle, les médias, les ayants droit et les centres de presse de différents journaux qui diffusent et qui sont notamment indexés par Google ou ceux qui produisent des contenus qui sont repris sur YouTube.

Luc : On parle de réforme du droit d’auteur, ça ne ressemble pas tellement à une réforme, c’est plutôt un truc sur mesure pour récupérer de l’argent. Il y avait notamment deux articles qui posaient problème à pas mal de monde : l’article 11 et l’article 13. L’article 11 touche plutôt la presse. C’est ça ?

Manu : C’est le référencement des articles. C’est-à-dire qu’avec Google vous pouviez assez facilement voir tous les articles qui vous intéressaient sur un certain sujet. Il y avait une petite image directement sur la page de Google avec un petit texte, en général le chapô ou l’introduction des articles et, vraisemblablement, il y a plein de gens qui allaient ensuite lire les articles en partant de Google. Donc c’était le référenceur.

Christian : C’est positif ça ! Ça amène des lecteurs !

Manu : Exactement. Ça amène beaucoup de lecteurs et vraisemblablement ça amenait tellement de lecteurs,ça doit être estimé à 90 % je crois, des chiffres énormes, des nouveaux lecteurs qui arrivent sur les médias.

Luc : Sur Internet.

Manu : Par Internet, qui venaient vraisemblablement de Google, ce qui peut être gênant aussi quand on est un peu dépendant. En tout cas c’est ce que réclament les gens qui produisent ces articles, c’est que, vraisemblablement, il y a plein de gens qui lisaient juste l’introduction et qui n’allaient pas plus loin dans la lecture des articles, qui se contentaient de passer rapidement et dans ces cas-là, eh bien Google leur faisait, dans leur esprit, perdre de l’argent.

Christian : Rappelons : en général Google n’affiche pas des trucs à côté ? Des vraies informations ?

Manu : Des trucs ?

Luc : De la publicité tu veux dire ? C’est ça ?

Christian : Voilà, des trucs qui lui rapportent de l’argent. Du coup ça lui rapportait de l’argent et ça ne rapportait pas de l’argent aux…

Manu : Disons que ça ne rapporte que quand il y a un clic. Quand les gens ont cliqué sur l’article pour aller le lire, là les publicités du journal sur lequel on aboutit eh bien elles sont éventuellement consultées, les gens les voient et ça génère de l’argent.

Luc : Sauf si on a un bon bloqueur de publicité.

Manu : Eh oui ! On recommande à tout le monde : installez un, même plusieurs bloqueurs de publicité, ça ne peut pas faire de mal et puis ça rend Internet vivable sinon c’est insupportable ! Dans tous les cas Google se faisait beaucoup d’argent parce que son business modèle c’est d’afficher de la publicité et donc en répertoriant, en indexant, en référençant tous ces articles de nouvelles eh bien ça leur permettait de montrer pas mal de choses payantes.

Luc : On sait que la presse, ça fait des années que ça dure, ils ont du mal à trouver l’argent avec l’arrivée d’Internet. Ils proposent des abonnements mais les gens n’en veulent pas nécessairement et puis c’est quand même des sommes non négligeables quand on veut lire plusieurs journaux différents, ça revient un peu cher. Ça fait des années que les audiences baissent, qu’ils ont de moins en moins d’argent et qu’ils sont en train de pleurer pour savoir comment ils vont réussir à survivre. Google à la fois leur apporte des lecteurs, mais, en même temps, capte une bonne partie de l’argent qu’ils estiment pouvoir se faire dans l’opération.

Manu : Si on parle de l’état des journaux, on peut même aller plus loin en parlant du fait qu’ils ont été rachetés par des grandes fortunes, des groupes militaires en France souvent, mais pas que.

Luc : Dassault qui possède Le Figaro par exemple.

Manu : Voilà et d’autres. Je crois qu’on parle souvent de 7 milliardaires qui posséderaient une bonne partie des médias officiels, des médias classiques. On peut dire aussi que l’État pourvoit financièrement aux journaux en donnant tous les ans des subsides pour leur permettre de survivre.

Luc : Je crois également qu’il y a des avantages fiscaux pour les entreprises et les gens qui possèdent… Il me semble. À vérifier, parce qu’on n’est pas experts là-dessus.

Christian : Alors il n’y a pas que dans le logiciel libre qu’il y a la problématique du financement ?

Luc : Partout ! C’est un peu le principe. Du coup, il y a toujours cette envie de trouver le modèle génial qui va permettre de gagner de l’argent. On rappelle que Apple avait réussi à profiter de la crédulité des médias.

Manu : Oh ! C’est moche ce que tu dis ! Mais tellement vrai !

Luc : Moi j’aime bien me moquer. Voilà !

Christian : Raconte-nous.

Luc : Quand l'iPad est sorti la presse avait encensé l’iPad. Steve Jobs avait bien fait comprendre à tout le monde que lui était très fort pour faire beaucoup d’argent et que, grâce à l'iPad, les médias allaient pouvoir arriver là-dessus et être nécessairement payants, qu’ils allaient pouvoir engranger le pognon. Enfin ! Toute la presse était très positive envers l’iPad en disant « c’est vraiment génial, c’est super ». Ils ont fait les investissements nécessaires pour pouvoir publier sur l’iPad et, une fois que c’est fait, Apple a dit : « On va changer les conditions d’utilisation ; désormais on prendra 30 % sur tout ce que vous gagnez et, en plus de ça, votre grille tarifaire ça va être ça, donc vous devez choisir une position sur la grille tarifaire que nous avons décidée. Ce qui fait que certains journaux étaient soit trop chers, soit pas assez ; soit ils perdaient de l’argent, soit ils étaient tellement chers que personne ne venait chez eux, donc ils n’étaient plus maîtres de rien du tout ! Ça n’a pas été le raz-de-marée financier qu’on leur a promis. Par contre, ils se sont bien fait rincer dans l’opération !

Christian : Encore une fois, on constate qu’il y a un grand système qui essaye d’avoir le pouvoir sur ses utilisateurs. C’est récurrent comme approche.

Luc : C’est la question d’avoir la main sur le robinet à informations, quel que soit le réseau. On peut avoir une analogie là-dessus : il y a longtemps j’avais un patron qui me disait que la base du business, notamment des grandes entreprises françaises, c’était tuyau-robinet, que ce soit de l’eau, de l’information, du gaz ou des autoroutes ; c’était robinet-compteur-tuyau. Il faut le compteur.

Manu : Oui. Le compteur pour percevoir.

Luc : Voilà ! Les gens pensent dans cette logique-là et Google, finalement, est un petit peu à côté, d’une certaine façon, parce qu’il laisse passer l’information, il la récupère et il la diffuse assez largement. Il ne fait pas payer l’information en elle-même, mais il prélève avec sa pub et il se débrouille pour que ce soit lui qui touche l’argent de la pub et pas l’information qu’il va diffuser.

Manu : Sans oublier qu’il a une position dominante. Je ne sais plus, ça doit être dépendre de chaque pays, mais plus de 90 % des gens qui vont sur Internet pour rechercher des choses passent par Google. C’est juste incroyable comme position d’intermédiaire.

Christian : Donc ça c’est l’article 11 qui était très motivé par la presse. Et l’article 13 ?

Manu : Ça concernerait plutôt YouTube, c’est ça qui est visé. En gros sur YouTube, quand il y a des diffusions de musique, de vidéos, d’extraits de film, et ça les youtubeurs ne se dérangent pas, notamment ceux qui font des analyses de jeux, qui font des analyses de films au cinéma, souvent ils mettent des petites images par-ci par-là, des photos.

Luc : De la musique.

Manu : Eh bien les ayants droit, eux, ne sont pas enchantés par ça ! Ils accusent de piratage, tout simplement, et ils revendiquent les finances qui vont être générées derrière, notamment par la publicité, encore une fois, et même, parfois, ils bloquent et ils demandent à ce que les plateformes qui offrent ces contenus mettent en place un filtre automatique qui soit en communication avec les ayants droit, une grosse base de données : soit ils bloquent, soit ils orientent l’argent qui va être gagné vers les ayants droit. C’est déjà arrivé à certains youtubeurs qui n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer parce qu’ils s’étaient rendu compte que leurs vidéos qui parlaient d’un certain sujet, dans lesquelles il y a avait peut-être 10 secondes d’une musique ou 20 secondes d’une image, eh bien ils se faisaient zapper tout l’argent.

Luc : Quelques secondes ça suffit ; deux-trois secondes suffisent.

Manu : Donc ils ont bien pleuré.

Luc : Après, c’est potentiellement le choix de Google d’avoir dit « on met tout le pognon pour les ayants droit, même pour deux secondes de vidéo ».

Manu : Histoire de bien faire le scandale.

Luc : Voilà. Et c’est une des choses par rapport à cette idée des articles 13 et 11 qui n’arrange pas du tout Google, qui était de dire : eh bien ils ont joué au con en mettant en place le système pour pourrir tout le monde en disant « regardez ce qui va se passer si on n’est pas contents ». Eh bien c’est toute la force de quelqu’un qui est en position de monopole et qui a la main sur le robinet, c’est que quand il coupe le robinet c’est la fin du monde. Du coup, on découvre que tout le système est entièrement dépendant de Google et quand on est dépendant, eh bien on obéit et on se tait.

Manu : Et c’est déjà arrivé !

Christian : En Espagne.

Manu : Exactement.

Christian : L’actualité d’aujourd’hui c’est que Google recommence la même menace.

Manu : Donne le chantage. Vas-y !

Christian : C’était de couper les tuyaux, de ne plus parler d’articles de presse dans le moteur de recherche.

Manu : De ne plus référencer la presse.

Christian : De ne plus donner les en-têtes d’articles sur les résultats de recherche et donc plus personne n’allait lire les journaux.

Manu : La presse était certaine qu’en proposant une loi au niveau européen, l’Europe étant tellement importante et tellement grosse, Google n’allait pas arrêter son service de référencement de la presse.

Christian : Bras de fer international. C’est grandiose !

Manu : Peut-être un bluff ! Mais il semblerait que là, dans l’immédiat, Google a appelé le bluff et a dit : « Si vous voulez jouer avec ces règles-là, nous on rentre avec nos petits chevaux et on arrête de référencer votre presse. Débrouillez-vous ! »

Christian : Est-ce que Google, lui, a du mal à survivre ? Est-ce qu’il a des problèmes financiers ? Est-ce qu’il a des problèmes de fin de mois ? On en parlait la dernière fois.

Luc : On va te renvoyer la question parce que c’est toi l’expert !

Christian : Dans mes recherches, il avait 100 milliards de dollars en cash, bon ! dans les paradis fiscaux à priori, mais 100 milliards de dollars en cash, ce n’est pas à la bourse.

Luc : Donc ils ont le temps de voir venir et, si on est dans une logique de bras de fer, eh bien eux ils ont du biscuit, ils peuvent attendre. Je ne pense pas que la plupart des ayants droit puissent se permettre de poireauter et aient des tas de réserves.

Manu : Sans oublier que je ne suis pas convaincu que le référencement des articles de presse soit indispensable à Google. Par contre, les gens qui viennent par ce référencement et les médias qui reçoivent des visiteurs grâce à ce référencement, si du jour au lendemain ça se tarit, je pense qu’ils vont faire la tête.

Christian : Donc voila à quoi sert l’argent que vous donnez à Google quand vous utilisez les services de Google !

Luc : L’idée c’est que ces articles 11 et 13 qu’on n’aime pas parce que derrière il y a des tas de trucs louches pour faire payer les liens, etc., c’est plutôt liberticide, ça va plutôt contre la logique d’Internet.

Christian : Et ça impacte énormément de monde autre que la presse et les youtubeurs.

Luc : Potentiellement.

Manu : Juste pour faire cracher au bassinet une grosse boîte.

Luc : Ces deux articles et les négociations qui devaient avoir lieu sont très mal parties. On en parlait la semaine dernière avec un petit peu trop d’enthousiasme.

Manu : Oui, tu étais enchanté !

Luc : Puisqu’en fait ce n’est pas mort, mais c’est très mal parti puisqu’il y a plein de pays qui ont voté contre. Julia Reda qui est une députée européenne.

Manu : Pirate !

Luc : Du parti Pirate a dit : « C’est quasiment dans la poche parce que là, pour revenir, il va falloir se lever de bonne heure ! »

Christian : Ça arrive souvent ça. Quand il y a un truc dont ils pensent qu’il ne va pas y avoir d’accord, qu’il ne va pas y avoir assez de votes, tout d’un coup c’est : on en reparle un peu plus tard ! Ça va prendre plus de temps. Et hop ! on oublie !

Luc : Ou ça revient sous une autre forme. Donc effectivement, le problème de ce truc-là, c’est liberticide, etc., mais c’est surtout qu’il n’y a pas la fiscalité adaptée pour taxer Google et d’autres, parce qu’il y en a d’autres qui ne payent pas grand-chose.

Manu : Google c’est l’exemple parce que c’est gros.

Luc : Voilà. Donc plutôt que d’adresser le problème tel qu’il est en réalité, eh bien on passe par des biais en parlant de réforme du droit d’auteur et le droit d’auteur a bien besoin d’être réformé. Sauf que ce n’est pas une réforme du droit d’auteur, c’est un moyen détourné pour parvenir à un résultat qu’on n’arrive pas à obtenir de façon normale, tel que ça devrait se faire, ce qui démontre une faiblesse de l’Europe dans ce domaine-là.

Christian : Depuis dix ans on a vu les offres de presse, etc., qui ne proposaient pas franchement grand-chose. Est-ce que ce n’est pas aussi un de leurs torts ?

Manu : Oui. La diversification des business modèles, la façon de s’organiser. Les médias aujourd’hui, et la presse, dépendent souvent de la publicité et la publicité ce n’est pas la meilleure qualité. Et ceux qui essayent de se mettre derrière un abonnement obligatoire, je pense à Mediapart, ils sont rares aujourd’hui.

Christian : Mediapart, Le Canard enchaîné, ce sont au moins deux exemples qui existent et qui montrent que c’est possible même si ce n’est pas facile.

Luc : Dans le domaine qui nous intéresse il y a Next INpact qui parle de technique, beaucoup de droit autour de l’informatique.

Manu : Ils ont des journalistes assez brillants.

Luc : Et ils sont sur abonnement ; ils ont des articles qui passent gratuits une fois de temps en temps. Effectivement ils arrivent à vivre ; ils ont souffert un certain temps, mais ils ont réussi, par la qualité, à se développer. Après, toute la problématique de truc-là derrière, c’est que chaque abonnement coûte cher et peut-être qu’on a envie de lire des articles de différentes sources et se dire que payer 60 euros là, 50 euros là, 60 euros là, ça fait quand même un gros budget à la fin de l’année.

Christian : Je confirme et je rêve d’une offre qui pourrait être un peu globale si les acteurs s’unissaient et arrivaient à nous proposer quelque chose.

Luc : Du côté de Next Inpact il y a ça. Ils se sont associés avec d’autres médias indépendants et ils ont fait une formule qui, à mon sens, n’est pas celle que j’aurais espérée parce qu’en gros c’est : on a des réductions sur les autres abonnements ; il y a Arrêt sur images, notamment, et d’autres médias indépendants, mais il s’agit encore de s’abonner, c’est juste que ça coûte moins cher.
Moi j’aurais préféré un truc où on puisse payer au nombre d’articles qu’on lit en se disant on paye en fonction de sa consommation ; comme ça on a un budget maîtrisé et on rémunère tout le monde de façon correcte.

Christian : Espérons qu’il y a aura des offres qui nous donneront envie de ne pas regarder la publicité mais de soutenir de vrais acteurs de la liberté.

Luc : En tout cas ça démontre bien, et c’est le credo du logiciel libre et de l’informatique libre, qu’il faut maîtriser son informatique, y compris ses réseaux de communication et que sans ça, eh bien pff ! on est juste des pantins et là on en a une parfaite démonstration.

Manu : On dirait que ça se passe bien. Je pense qu’il aura encore d’autres rebondissements, parce que l’argent, la taxe Google ! La taxe Google on n’en a pas parlé aujourd’hui mais, au niveau européen, il y avait de gros débats pour faire payer les GAFAM d’une manière générale et la France, finalement, a l’air d’être partie sur le sujet toute seule. Mais il y a encore d’autres choses à faire là-dessus, je pense.

Luc : Et puis, on l’a évoqué pendant la revue de presse, la CNIL vient de mettre 50 millions d’amende à Google.

Manu : Ce qui est considérable pour la CNIL parce que d’habitude elle n’avait pas le droit de monter à des sommes aussi grosses.

Luc : Et pour montrer le courage politique qu’il y a derrière, le jour même où la CNIL a mis cette amende, l’Élysée a twitté en disant « Google a formé — je ne sais plus combien — 30 000, 300 000 personnes au numérique », donc en soutien à Google en quelque sorte ; c’est comme ça qu’il faut le comprendre. Donc on se dit que ce n’est franchement pas gagné, qu’on va dans un sens, dans un autre, et qu’il n’y a pas de courage, pas de volonté, pas de vision et qu’ils en payent le prix.
On se retrouve la semaine prochaine ?

Manu : À la semaine prochaine.

Christian : Salut.


L'écologie et le numérique - Le club de la presse numérique

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Frédéric Martel

Titre : L'écologie et le numérique
Intervenants : Elliot Lepers - Amaelle Guiton - Zoé Sfez - Frédéric Martel
Lieu :Émission Le club de la presse numérique - France Culture
Date : septembre 2018
Durée : 15 min
Site de l'émission ; télécharger le podcast
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : View on Earth, Heikenwaelder Hugo, Wikimedia Commons. Licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.5 Generic.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Logo France Culture

Description

Data center, consommation d'électricité… Moins tangible que nos déchets organiques, le numérique a aussi un impact écologique important. La pollution numérique représente un réel défi. On en parle avec Eliott Lepers, fondateur du Mouvement et Amaelle Guiton, journaliste à Libération.

Transcription

Voix off :Soft Power, Le club de la presse numérique, Frédéric Martel.

Frédéric Martel : Vingt heures passées de treize minutes, Le club de la presse numérique, notre nouveau rendez-vous, comme chaque dimanche. On parle ce soir d’écologie et de numérique et nous sommes, pour en débattre, avec Eliott Lepers, entrepreneur, fondateur de l’ONG lemouvement.ong1. Bonsoir.

Eliott Lepers : Bonsoir.

Frédéric Martel : Et Amaelle Guiton de Libération, qui êtes restée avec nous ce soir.

Amaelle Guiton : Je vais m’installer une Quechua dans le couloir, je pense…

[Rires]

Frédéric Martel : Les outils numériques… Une Quechua, c’est particulièrement écolo ? C’est ce que vous voulez dire ?

Amaelle Guiton : Je ne sais pas.

Frédéric Martel : Il faut citer deux autres marques pour que ce soit légal.

Amaelle Guiton : Ah mince !

Frédéric Martel : Allez-y !

Amaelle Guiton :Ça ne me vient pas là ! Au vieux campeur et Lafuma… On y est ?

Frédéric Martel : Bien ! les outils numériques ont permis, d’une part, de faire de nombreuses économies d’énergie pour la sauvegarde de la planète. On pense, par exemple, aux écrans qui réduisent les besoins en papier, la poste qui distribue moins de lettres ou encore aux voitures électriques qui roulent sans essence. Pour autant, la multiplication de ces objets pose de nouveaux problèmes, de nouveaux débats. Les données qui circulent en masse sur Internet sont stockées dans des centres, des data centers très énergivores. C’est vrai aussi de la blockchain et, en particulier, du bitcoin ; les appareils sont difficiles à recycler et sont sujets à l’obsolescence. Ce soir, on s’intéresse aux liens entre écologie et numérique. Pour lancer ce débat, Eliott Lepers.

Eliott Lepers : Oui. On a des usages numériques qui évoluent et on peut parler du streaming ou des accès au nuage, notamment, ce fameux système de cloud, qui font qu’on est connecté, en fait en permanence à des serveurs ; ces pratiques sont de plus en plus exponentielles. L’usage c’est 63 %, je crois, du trafic mondial, qui est utilisé pour le streaming vidéo et le streaming vidéo contribue le plus, à une consommation évidemment d’énergie, d’électricité, donc à une production de gaz à effets de serre.
Il y a des mouvements en cours chez les géants du Web pour s’engager à acheter directement de l’énergie propre auprès de fournisseurs d’électricité propre. Ça a été fait, ce sont des engagements qui ont été pris par Google, par Facebook, par Apple notamment. Mais il y a d’autres acteurs, comme Netflix dont vous parliez juste avant, qui utilisent encore des énergies fossiles pour fournir ces services-là.

Frédéric Martel : Quels sont, concrètement, les problèmes nouveaux qui émergent de cette utilisation de données et de transport de ces films ou autres que nous utilisons chaque jour ?

Eliott Lepers : Je ne sais pas si le problème est nouveau. Il se trouve qu’on utilise à la fois des machines et des données : quand on utilise Internet, en fait, c’est qu’on utilise son ordinateur qui effectivement consomme de l’électricité, mais derrière il y a tout un tas d’autres systèmes qu’on ne voit pas, qui sont actionnés par notre action. Le moindre clic sur un lien actionne des serveurs parfois à l’autre bout du monde.

Frédéric Martel : Et ces serveurs sont très nombreux. On sait que pour Google, Amazon ou Facebook, pour chacune de ces trois sociétés, c’est plusieurs millions de serveurs connectés entre eux.

Eliott Lepers : Notamment pour avoir accès à un Internet rapide. C’est-à-dire que plus on a un Internet rapide et plus ça veut dire qu’il faut que l’information soit dupliquée partout dans le monde pour qu’elle soit le plus proche de soi, pour qu’elle soit le plus rapidement accessible. Simplement, les usages évoluent. On est de plus en plus d’êtres humains à être connectés, on consomme de plus en plus de données parce que les flux sont de plus en plus rapides et parce que les usages et le temps passé sur les écrans sont de plus en plus importants, donc on arrive à un moment où on a une sorte de goulot d’étranglement parce qu’effectivement la consommation globale d’électricité pour Internet au niveau mondial équivaut à certains des plus grands pays du monde en termes de consommation.

Frédéric Martel : Il y a le problème de ces data, mais il y a aussi le problème du refroidissement des serveurs. Autre question importante.

Eliott Lepers : D’ailleurs il y a des initiatives intéressantes. Effectivement, un serveur ce sont des centaines ou des milliers de petits ordinateurs qui sont connectés à Internet, qui permettent de stocker du contenu et de le délivrer à tous les utilisateurs et utilisatrices, donc il y a des initiatives pour placer ces data centers dans des endroits qui sont froids pour réduire la nécessité en refroidissement électrique.

Frédéric Martel : Donc en Islande, au Canada, au Groenland.

Eliott Lepers : Voilà. Par exemple Facebook s’est installé en Suède. Il y a aussi une initiative intéressante qui est de réutiliser la chaleur produite par ces machines. C’est le cas en France : il y a, je crois, trois sites aujourd’hui, notamment à Marne-la-Vallée et Aubervilliers, qui utilisent la chaleur et qui l’introduisent dans le réseau de chaleur urbain. Et puis il y a, par exemple, la piscine de la Butte-aux-cailles, à Paris, qui est chauffée intégralement par un data center.

Frédéric Martel : Donc on envoie un émail, on chauffe la piscine de la Butte-aux-cailles.

Eliott Lepers : C'est ça.

Frédéric Martel : Amaelle Guiton.

Amaelle Guiton : Il n’y a pas que le problème des données. Ceci étant il y a avait eu, il n’y a pas très longtemps, un rapport2 de l’Institut du développement durable et des relations internationales en commun avec le WWF qui expliquait que le premier impact écologique de la technologie ce sont plutôt les terminaux en fait; c’est l’extraction de métaux, le fait qu’ils ne sont pas tous recyclables. Je crois que pour fabriquer un smartphone il faut 60 métaux différents ; il faut 32 kilos de matière première pour fabriquer une puce électronique de 2 grammes. Donc on voit que là ! Avant même de se poser la question des data centers ou de l’impact de l’empreinte écologique du bitcoin, il faudrait probablement commencer par se poser la question de l’impact des terminaux eux-mêmes et du fait qu’ils sont assez peu ré-employés, assez peu recyclés. Je crois que dans le même rapport, il y a seulement 16 % des téléphones portables qui sont collectés à des fins soit de ré-emploi, soit de recyclage. On voit bien que ce ne sont pas que les données, ce sont aussi les objets eux-mêmes.

Frédéric Martel :Ça veut dire qu’il ne faut pas seulement moins les utiliser, il ne faut plus les utiliser du tout, il ne faut plus de smartphones ! Zoé Sfez.

Zoé Sfez : Effectivement. Question très rhétorique, parce que je pense que vous allez me répondre oui, mais feu le Conseil national du numérique avait fait un livre blanc3 l’année dernière [il s'agit du livre blanc déjà cité, NdT].

Frédéric Martel : Le Conseil été recréé depuis ; il existe toujours.

Zoé Sfez : Je dis feu ; en l’occurrence celui-ci n’est plus. Il y avait toute une foule de préconisations pour que, je crois, transitions numérique et écologique se rejoignent dans un même mouvement. Il y avait la question, par rapport à ce que vous disiez Amaelle, d’appliquer une TVA réduite pour les gens qui recyclent. Parce que, vous avez raison, il y a très peu d’acteurs aujourd’hui qui recyclent ces matériaux. Comment on peut expliquer on va dire un tel trou, même économique ? Parce qu’il y a des choses à faire, quand même !

Amaelle Guiton : Effectivement. Je pense qu’on manque à la fois de politique incitative et de politique punitive. Il peut y avoir débat là-dessus, mais, en tout état cause, il manque aussi un influx de la part des politiques publiques sur cette question-là comme sur d’autres, alors que oui, effectivement, il y aurait des choses à faire.

Zoé Sfez : Et peut-être de pédagogie aussi, parce que tout simplement, moi je pense que je l’ai appris assez tard : quand vous ne triez pas vos mails, que vous ne les supprimez pas, que vous en avez trois mille, quatre mille sur Gmail que vous n’avez pas ouverts depuis des années !

Frédéric Martel : Et c’est quelque chose qui arrive chez vous, Zoé Sfez ?

Zoé Sfez : Effectivement. Plus vous gardez de mails, plus il y a de serveurs qui continuent à tourner pour rien. On a l’impression qu’il y a quand même aussi, évidemment, mais c’est toujours le cas en matière de numérique, des vraies lacunes en termes de pédagogie.

Frédéric Martel : Eliott Lepers.

Eliott Lepers : De pédagogie, oui. Après il y a des campagnes. On se souvient qu’il y a quelques mois un grand opérateur de téléphonie avait lancé une grande campagne d’affichage pour, effectivement, inciter à supprimer ses mails stockés. En fait il y a l’enjeu du stockage, donc la quantité de données qu’on stocke qui, effectivement aujourd’hui, est croissante et comme on ne supprime pas ses données, comme on en crée systématiquement de plus en plus, eh bien on a besoin de plus en plus de place pour les stocker. Ça c’est un problème qui va continuer. Ça veut dire comment est-ce qu’on miniaturise le stockage. Comment est-ce qu’on arrive à mieux compresser les données pour effectivement qu’elles prennent moins de place et qu’elles nécessitent moins de surface, parce qu’elles sont écrites sur des surfaces physiques. Et après il y a combien est-ce qu’on en consomme. Donc il y a ces deux éléments-là et ces deux éléments-là sont croissants.

Frédéric Martel : Sont croissants. Et aussi parce que là on parle d’un problème national avec ce qu’on pourrait faire, mais c’est un problème global avec, aujourd’hui, sur huit milliards et quelques de citoyens, déjà plus de la moitié qui sont connectés et probablement six ou sept milliards prochainement qui seront connectés. Donc c’est un problème qui n’est qu'au début.

Eliott Lepers : C’est ça qui est vertigineux. C’est qu’effectivement on a un enjeu qui est massif aujourd’hui, qui n’est presque pas adressé, alors qu’on a la majorité de la population mondiale qui n’est pas encore connectée, donc qui n’est pas encore entrée dans le calcul.

Frédéric Martel : L’autre idée c’est de mettre des serveurs sous l’eau. Il paraît que ça marche !

[Rires]

Frédéric Martel : Parce que, du coup, ils se refroidissent automatiquement, c’est ce que je voulais dire.

Amaelle Guiton : Ceci dit, je pense que c’est un peu la même logique quand Facebook va installer ses serveurs près du cercle polaire. Effectivement oui, la question du refroidissement. Après, pour le coup, je ne sais s’il y a déjà vraiment des initiatives qui commencent à se développer de ce côté-là.

Frédéric Martel : Absolument. Ça pose aussi la question des voitures électriques qui, certes, ne consomment pas d’essence, mais il faut créer des batteries qui sont extrêmement, elles aussi, difficiles à recycler par exemple.

Eliott Lepers : Difficiles à recycler, qui, elles-mêmes, nécessitent de l’énergie pour être produites. C’est la fameuse histoire des éoliennes qui en fait, théoriquement selon certaines études, consommeraient plus d’énergie fossile à produire qu’elles ne produiront d’énergie renouvelable tout au long de leur vie.

[Rires]

Cette problématique-là, évidemment, on y fait face. Il y a la question diplomatique aussi des métaux rares qui sont exploités dans des pays en guerre, qui donnent lieu à de l’esclavage, à des pratiques de torture et ça, ce sont toutes les entreprises du numérique aujourd’hui.

Zoé Sfez : Qui, comme toutes les autres, sont finies. Enfin, il y en a une quantité déterminée, donc qui va finir.

Eliott Lepers : Voilà. Il y a l’enjeu du silicium pour les capteurs solaires également. Donc on est aux balbutiements de la recherche à la fois sur la question hardware qu’on a expliquée plus tôt, donc hardware ce qui est dur solide, c’est-à-dire ce qui est tangible ; ce sont les objets.

Frédéric Martel : Les ordinateurs, les smartphones.

Eliott Lepers : Effectivement ces matériaux-là, comment on arrive à faire plus efficient ?

Frédéric Martel : Avec l’idée du Fairphone4, par exemple, ce téléphone en kit qu’on peut remplacer pièce par pièce ; des hypothèses sont faites dans cette direction-là.

Amaelle Guiton : C’est la question de la réparabilité, y compris du réemploi. Là, pour le coup, moi je suis beaucoup utilisatrice de logiciels libres. Il se trouve que le logiciel libre permet, par exemple, de donner, d’offrir une durée de vie plus longue à un ordinateur parce que c’est moins gourmand en ressources, ce qui veut dire que, du coup, on peut l’utiliser quand même pendant plus d’années que ce qui était prévu. Ça c’est pareil.

Frédéric Martel : Mais face à l’ampleur du problème, on a l’impression que tout ça ce sont un peu des petites choses, des petits pas, et qu’on ne risque pas de régler le problème avec ce type de propositions.

Amaelle Guiton : En même temps, ce qui est intéressant c’est que c’est finalement assez récent qu’on commence à s’intéresser à tout ça ; enfin que la question de l’empreinte écologique du numérique commence à se poser avec acuité. Il y a cinq-six ans ce n’était pas forcément des choses qui étaient très grand public à l’époque. Il y a des gens qui ont pris la question à bras-le-corps assez tôt. Je me souviens d’avoir croisé, notamment, un hébergeur néerlandais qui s’appelle Greenhost.

Frédéric Martel : Qui porte bien son nom.

Amaelle Guiton : Oui, mais pareil, ils savent qu’il y a certains modes de stockage qui sont effectivement moins gourmands, qu’il y a des technologies qui permettent d’avoir une empreinte écologique beaucoup plus limitée et ils sont assez conscients qu’aujourd’hui c’est probablement, d’ailleurs, un plus-produit et un moyen de se brander, comme on dit.

Frédéric Martel : Eliott Lepers, ça veut dire qu’il faut aller plus vite. Vous avez lancé il y quelque temps une application5 qui permettait de devenir écolo en 90 jours ; d’ailleurs pourquoi pas 90 minutes ? Il faut accélérer tout ça ?

Eliott Lepers : Oui, il faut accélérer. Il y a deux enjeux : il y a la dynamique individuelle, c’est-à-dire comprendre que nos pratiques, que nos usages, que nos modes de consommation ont une influence sur les enjeux mondiaux. Effectivement, l’application 90 jours vise à trouver ce que, dans son comportement, on peut faire pour réduire son impact. Par exemple un truc basique, sans parler de high-tech, mais un appareil qui est branché, un appareil en veille, il consomme, il continue de consommer. Donc sur un temps d’usage, même une télévision qu’on va utiliser une heure, deux heures, peut-être quatre heures par jour, ça veut dire que le reste du temps elle reste branchée et elle continue de consommer 365 jours par an.

Frédéric Martel : Comme le chargeur qui, même s’il ne charge pas, il consomme parce qu’il est branché.

Eliott Lepers : Exactement. Il y a des choses, effectivement, qu’on peut faire à un niveau individuel. Après ça ne suffit pas ! Le niveau individuel permet de créer un mouvement, il permet surtout de montrer qu’il y a un enjeu politique et il y a un enjeu économique et là, effectivement, les individus ne sont pas l’ensemble de la solution, loin de là.

Frédéric Martel : Amaelle Guiton.

Amaelle Guiton : Il faut surtout, d’ailleurs, que les grands acteurs du numérique eux-mêmes prennent véritablement conscience de ça. Ceci étant, je pense qu’effectivement si un acteur comme Facebook va s’installer près du cercle polaire c’est qu’il doit aussi y trouver son intérêt à diminuer son empreinte écologique de cette manière-là.

Frédéric Martel : Ce sont aussi des coûts moins élevés.

Amaelle Guiton : Absolument !

Eliott Lepers : Après il y a une autre approche aussi qui est de voir la question, par exemple, des hypermarchés. Imaginez individuellement des familles qui, tous les dimanches, prennent leur voiture pour se rendre dans un hypermarché, chargent le coffre et retournent chez elles. On peut imaginer qu'en optimisant la commande en ligne puis la livraison, en optimisant l’itinéraire d’un seul camion qui livrerait plusieurs familles ou bien, potentiellement, des livreurs à vélo qui seraient plus équipés, eh bien on peut imaginer que le numérique permette de diminuer l’impact énergétique et l’impact carbone parce qu'il permet de nouvelles pratiques. le numérique permet aussi, Internet permet de synchroniser des voitures avec BlaBlaCar, avec le covoiturage et donc permet, effectivement, d’avoir une influence positive sur la question des émissions de carbone.

Frédéric Martel : Mais pour l’instant, on manque d’études sur les plus et les moins que ça peut engendrer, générer de part et d’autres finalement.

Eliott Lepers : On manque d’études. Ce sont souvent, d’ailleurs, des études qui sont compliquées à déterminer, qui sont lacunaires parce qu’il y a des influences sur différents pays dans le monde. Quand on appuie sur un bouton sur son ordinateur, en fonction de son matériel individuellement, en fonction du niveau de connexion dont on dispose, eh bien les résultats ne sont pas les mêmes.

Frédéric Martel : Un petit mot pour terminer Amaelle Guiton : le bitcoin, alors là c’est terrible !

Amaelle Guiton : Eh bien oui. L’année dernière j’avais vu passer beaucoup de gros titres effectivement absolument effarants du type, en gros, « une transaction en bitcoins consomme autant d’énergie que votre foyer en une semaine », ça c’était Motherboard6. Là on a effectivement un bon exemple de la manière dont une technologie très innovante – parce que honnêtement, sur le papier, le fonctionnement de bitcoin c’est absolument fascinant –, mais ça produit des effets dans le réel que personne n’avait forcément envisagés. C’est-à-dire qu’effectivement les transactions sont gourmandes parce qu’elles sont validées par l’ensemble du réseau et puis il y a toute la question de la production même de la monnaie, ce qu’on appelle le minage.

Zoé Sfez : Les mines !

Amaelle Guiton : Au tout début du réseau c’était encore à la portée de vous et moi de faire tourner son ordinateur pour produire des bitcoins. Ça fait quand même très longtemps que tout ça est très éloigné et aujourd’hui ce sont ce qu’on appelle des fermes de minage donc ce sont des ordinateurs qui tournent sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt, pour justement produire du bitcoin et ça, évidemment, c’est extrêmement énergivore.

Frédéric Martel : Le mot de la fin Eliott Lepers.

Eliott Lepers : On n’est pas sorti de l’auberge ! Je pense effectivement que le constat qu’on peut dresser est plutôt accablant.

Frédéric Martel : On était très optimistes ce soir, il faut bien le dire.

Eliott Lepers : Tout à fait. On est à un moment où, effectivement, de toute manière vu l’état de nos ressources…

Frédéric Martel : Et de la planète !

Eliott Lepers : Et de l’enjeu climatique avec la COP24 qui arrive et de l’absence d’engagement notamment des États-Unis d’où viennent la plupart de ces services qu’on a mentionnés aujourd’hui, eh bien tout reste à inventer pour avoir un Internet qui soit potentiellement neutre en carbone.

Frédéric Martel : Tout reste à inventer.
On en reste là pour ce soir. Merci infiniment Amaelle Guiton de Libération, Eliott Lepers, entrepreneur, fondateur de l’ONG lemouvement.ong.

Eliott Lepers : Merci beaucoup.

Frédéric Martel : Merci à vous, Zoé Sfez, d’avoir été présente tout au long de ce Soft Power ce soir.

Zoé Sfez : Merci Frédéric.

Frédéric Martel : Vous pouvez vous abonner au podcast de Soft Power sur notre site France Culture ; sur iTunes c’est sur l’application podcast de votre smartphone, tout ça consommant de l’énergie. En attendant bonne soirée à l’écoute de notre chaîne. Bonne fin de week-end.

Qui sont les nouveaux internautes ? Sommes-libres sur le Net ? Le rendez-vous avec Pouhiou

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Célia Petroni

Titre : Qui sont les nouveaux internautes ? Sommes-libres sur le Net ? Le rendez-vous avec Pouhiou
Intervenants : Pouhiou - Éric Ferrari - Marie-Jo Arrighi Landini - Célia Petroni
Lieu : France 3 Corse . Via Stella
Date : septembre 2018
Durée : 26 min
Visionner l'émission
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : L.L. de Mars, Flypenguin. Licence Art Libre
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Célia Petroni : Bonjour à tous. Soyez les bienvenus au Rendez-vous, votre magazine culture et société où la liberté de ton est de mise.
La liberté, justement, est-elle en péril sur le Net ? Nous en parlerons avec Pouhiou, le représentant du logiciel libre le plus haut en couleur. Il nous parlera de Framasoft, l’association qui veut « dégoogliser » Internet. Les chatons s’organisent pour notre liberté individuelle. Décryptage nécessaire avec Eric Ferrari. Enfin copyleft, liberté d’enrichir et de partager, ce sera la chronique de Marie-Jo Arrighi Landini.
Pouhiou bonsoir et bienvenue. Je en vous prie, vous pouvez me rejoindre.

Pouhiou : Bonsoir. Merci.

Célia Petroni : C’est un véritable plaisir de vous recevoir sur le plateau du Rendez-vous. Alors Pouhiou, Pouhiou c’est un pseudo évidemment.

Pouhiou : Bien sûr.

Célia Petroni : On va essayer de savoir qui se cache derrière ce nom amusant. Je vous ai « googlelisé » forcément. Vous ne m’en voulez pas ?

Pouhiou : Aucun souci.

Célia Petroni : Vous êtes écrivain.

Pouhiou : Oui.

Célia Petroni : Homme de théâtre, conférencier français, vous avez intégré Framasoft1 depuis plus de six ans et vous êtes un néonaute [NoéNaute, NdT]. Expliquez-nous ce que ça veut dire.

Pouhiou : Un NoéNaute. En fait, techniquement, je ne suis même pas un NoéNaute. Les NoéNautes sont les personnages de mes romans et ils voyagent dans la Noétie, la sphère des idées, donc ce sont des télépathes, tout simplement. Les personnages de mes romans m’en veulent d’ailleurs beaucoup parce qu’ils savent qu’ils sont les personnages d’un roman, ils en veulent beaucoup à leur auteur.

Célia Petroni : Vous leur faites des misères ?

Pouhiou : Oui, quand même ! Je les fais un peu souffrir.

Célia Petroni : Dans la vie ce n’est pas du tout le cas.

Pouhiou : Non, tout va bien.

Célia Petroni : Vous essayez d’aider les autres. Quelle est la vocation justement de l’association Framasoft ?

Pouhiou : Framasoft, à l’origine, c’est vraiment une bande de potes qui s’émerveillent devant le logiciel libre. Ce n’est pas le logiciel qui est libre, c’est nous ; c’est vous, c’est moi, ce sont les utilisateurs et les utilisatrices. Ce sont des logiciels qui respectent l’humain et qui veulent que l’humain reste maître de la machine et non pas l’inverse. Donc Framasoft ce sont des personnes qui vont être très enthousiastes par rapport à ça, qui ne sont pas forcément développeurs ou développeuses et qui se disent : comment contribuer ? Eh bien en se faisant le trait d’union entre le monde du logiciel libre, qui est peut-être parfois une sphère un peu technicienne, et les gens comme vous et moi.

Célia Petroni : Comment s’organise l’association ?

Pouhiou : L’association c’est 35 membres, 8 salariés aujourd’hui, dont les fonds proviennent quasi exclusivement, à 97 %, de donations. En fait, c’est une asso où il n’y a pas besoin d’être membre pour venir et contribuer au projet. N’importe qui d’entre nous peut venir et contribuer d’une manière ou d’une autre. Il y a plein de manières : en traduisant, en rédigeant, en parlant tout simplement, en partageant. En fait, n’importe qui peut être contributeur ou contributrice. Bien évidemment on a besoin de donateurs et de donatrices pour continuer nos actions et puis, surtout, n’importe qui peut utiliser les outils que nous proposons en ligne.

Célia Petroni : Ça se décline Framasoft ?

Pouhiou : Oui.

Célia Petroni : Vous avez évidemment des logiciels libres, mais vous avez aussi la possibilité d’accompagner des auteurs comme vous et d’autres catégories.

Pouhiou : Il y a une maison d’édition. En fait, il y a trois grandes catégories :

  • le logiciel libre, le logiciel qu’on installe sur son ordinateur à l’ancienne. Par exemple il y a un annuaire pour trouver : je veux une alternative libre à Photoshop ou à d’autres logiciels comme word ou excel. Il va y avoir ça ;
  • il va y avoir de la culture libre avec un blog, un groupe de traduction, une maison d’édition, comme vous l’avez dit, où sont édités mes romans, entre autres,
  • et enfin il y a toute une partie de services libres. Les services libres ce sont les logiciels que l’on n’installe pas sur son ordinateur, qui sont dans le fameux cloud, qui est en fait l’ordinateur de quelqu’un d’autre.

Célia Petroni : D’accord. L’un des slogans c’est « Dégooglisons Internet ». Pourquoi « dégoogliser » Internet ?

Pouhiou : « Dégooglisons Internet »2 est une campagne qu’on a menée entre 2014 et 2017, mais dont les fruits sont toujours présents aujourd’hui. « Dégoogliser Internet », eh bien Google est un symbole en fait. Aujourd’hui on va parler des GAFAM, Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft ; ce sont les gens du Web. Il y a même d’autres noms : les NATU [Netflix, Airbnb, Tesla et Uber], les BATIX [Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi]. Voilà ! On ne va pas tous les faire.

Célia Petroni : Dignes de vos romans.

Pouhiou : Exactement. Ces géants du Web nous proposent des services extrêmement pratiques, souvent gratuits. En fait, si c’est gratuit, c’est qu’on n’est pas vraiment le client. Souvent on est un peu le bétail de ces géants du Web et ça pose un grand problème de domination ; une domination à la fois technologique, économique et politique et culturelle. Donc nous, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose par rapport à ça d’où « Dégooglisons Internet ».

Célia Petroni : Est-ce que ce n’est pas un peu utopique de « Dégoogliser Internet » ?

Pouhiou : Évidemment que c’est utopique. Nous revendiquons le fait que nous sommes utopiques et, en même temps, c’est utopique, mais c’est de l’utopie réaliste. Évidemment on ne va pas aujourd’hui, du jour au lendemain, détrôner Google ou, soi-même, on ne va pas abandonner tous les produits des gens du Web, mais on peut faire un pas après l’autre. Vous savez, on a un slogan dans l’association, c’est : « La route est longue mais la voie est libre », un pas après l’autre.

Célia Petroni : Et on va y arriver ?

Pouhiou : Exactement. Regardez : une petite association de 8 salariés, de 35 personnes, avec un budget qui est magnifique pour une association, 400 000 euros par an c’est très beau, mais c’est tout petit, aujourd’hui, nous changeons les vies numériques de centaines de milliers de personnes par mois. Chaque mois on aide des centaines de milliers de personnes à se libérer un peu plus. C’est magique !

Célia Petroni : Vous avez parlé tout à l’heure des GAFAM. Pourquoi parle-t-on de triple domination des GAFAM ? Qu’est-ce que c’est ?

Pouhiou : En fait, parce que c’est une réalité qui est étudiée, notamment quand on parle du capitalisme de surveillance tel que décrit par l’universitaire Shoshana Zuboff.
La triple domination c’est à la fois une domination économique. Aujourd’hui ces cinq géants du Web sont les cinq plus grandes capitalisations boursières au monde. Donc il y a une puissance économique et financière qui est phénoménale et qui est une puissance équivalente à celle d’États comme le Luxembourg par exemple. Très importante.
C’est aussi une domination technologique. C’est-à-dire qu’aujourd’hui la technologie est principalement développée par eux. Internet et tout ce qui se passe sur Internet est développé par ces géants du Web. Et s’il y a des innovations qui se font à côté, ils sont en capacité soit de les faire mourir, soit de les acheter pour les développer eux-mêmes ou les faire mourir. Ça c’est la domination technologique.
Et la domination politique et culturelle qui est la moins visible et la plus importante. Tout simplement, vous connaissez peut-être le scandale qui a eu lieu sur Facebook avec L’Origine du monde de Gustave Courbet qui représente un sexe féminin en gros plan. C’est une peinture de notre culture.

Célia Petroni : Une peinture, oui.

Pouhiou : De notre culture classique et qui a été interdite sur Facebook.

Célia Petroni : Censurée.

Pouhiou : Censurée avec un procès où déjà la personne qui avait mis cette image sur Facebook a eu gain de cause, mais il va y avoir encore des rebondissements. Et ça c’est typique ! Facebook est une entreprise qui vient de sa propre culture qu’on appelle une culture WASP [White Anglo-Saxon Protestant], une culture américaine, blanche, hétéro protestante et cette culture-là est aujourd’hui diffusée au travers du monde, mais ça n’est peut-être pas ma culture, votre culture. Notamment quand on parle d’identités plus spécifiques comme des identités, je ne sais pas, LGBT ou une identité régionale comme la Corse, elle n’est pas forcément représentée par ces géants du Web, alors que dans le logiciel libre, il y a la possibilité.

Célia Petroni : D’être ce qu’on a envie d’être.

Pouhiou : D’être ce qu’on a envie d’être et d’être représenté. Typiquement on a une alternative à Doodle, vous savez, l’outil qui permet de décider de la date de la prochaine réunion ou de la prochaine bouffe qu’on fait ensemble. L’alternative s’appelle Framadate. Cette alternative, parce que c’est un logiciel libre et donc contributif, elle est traduite en breton, en occitan ; pas encore en corse et là je fais appel aux Corses qui nous écoutent pour venir contribuer et qu’elle soit traduite en langue corse, disponible en langue corse.

Célia Petroni : Voilà ! Si on a des contributeurs, c’est le moment d’y aller.

Pouhiou : Exactement.

Célia Petroni : Comment on s’organise concrètement par des vraies actions au sein de Framasoft pour lutter, justement, contre cette domination qui fait peur ?

Pouhiou : Tout simplement on s’organise, un pas après l’autre, comme je l’ai dit. C’est hyper important d’être de manière progressive.
C’est simple : qu’est-ce que vous avez envie de faire ? Il faut s’organiser dans le plaisir et dans la joie, parce que c’est un moteur qui fonctionne. Nous on le voit bien au sein de l’association. Donc qu’est-ce que vous avez envie de faire ? Typiquement vous connaissez la langue corse ; je ne la connais, je suis occitan, je ne la connais pas ! Vous avez envie de traduire, eh bien vous venez nous parler. On est présents sur de nombreux médias sociaux, on a évidemment une page contact@framasotf.org ; vous venez nous parler : « J’ai envie de faire ça » et on vous dira : « C’est super, viens, on va aller là, etc. »

Célia Petroni : Et vous accompagnez cet élan.

Pouhiou : Exactement. On accompagne l’élan. On va aussi à la rencontre de nombreuses personnes dans des conférences, des stands, des ateliers, partout où on nous invite.

Célia Petroni : Où qu’on soit dans le monde, c’est possible ?

Pouhiou : Plutôt en francophonie. De toute façon on travaille principalement en francophonie. Mais oui ! Après on croule un peu sous les invitations. On essaie justement de donner l’outil aux gens pour en parler elles et eux-mêmes.

Célia Petroni : Pour être libre faut-il encore tout simplement comprendre où se situent les limites de notre liberté. Le problème sur le Web, c’est que ça n’est pas toujours très clair. Je vous propose d’en parler avec Éric Ferrari, il nous attend côté salon, c’est la rencontre.

Pouhiou : D’accord.

Célia Petroni : Bonsoir Éric. Vous nous attendiez.

Éric Ferrari : Bonsoir. Oui.

Pouhiou : Bonsoir.

Célia Petroni : Messieurs, est-ce que vous vous connaissez ?

Pouhiou : On s’est rencontrés tout à l’heure. On a déjà eu une très belle discussion. J’espère que ça va continuer.

Célia Petroni : Petite piqûre de rappel, on va faire les présentations pour ceux qui, éventuellement, ne vous connaîtraient pas. Éric, vous êtes en charge de l’aménagement numérique à la collectivité de Corse. Vous avez contribué au déploiement de la fibre optique sur L’île et vous êtes surnommé monsieur Internet. Ça pose les bases ! Voilà à qui vous avez faire !
S’organiser contre les GAFAM, c’est ce dont nous parlions tout à l’heure, prôner le logiciel libre, tout ça n’est pas vain à condition qu’une pédagogie s’organise autour de ce logiciel libre et on n’y est pas encore.

Éric Ferrari : On n’y est pas encore mais aujourd’hui l’émission contribue justement à faire de la pédagogie autour du logiciel libre. Je crois qu’il y a un enjeu fondamental de liberté individuelle. D’ailleurs, à chaque fois, on prêche sur ce plateau. Tout à l’heure j’entendais les propos du représentant de Framasoft et je buvais un peu du petit lait, puisque c’est vraiment une vision réaliste et aussi optimiste de ce que l’on peut faire en créant de vraies alternatives sur le Net. Aujourd’hui on est confrontés, et tous les jours en témoignent, des scandales apparaissent, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. On est confrontés, justement, à des effets de prédation notamment sur les données individuelles et on s’aperçoit que lorsqu’on utilise ces plateformes, on utilise la plateforme gratuitement mais que, finalement, on n’est pas client de cette plateforme ; la plateforme consomme l’information que nous produisons sur cette plateforme et en fait sa propriété.

Célia Petroni : De la marchandise.

Éric Ferrari : Et là il y a vrai problème de société sur lequel, eh bien il faut débattre, autour duquel il faut débattre et effectivement, on aimerait bien que ce débat ait lieu là où on éduque, c’est-à-dire dans les universités, dans les écoles, et qu’on n’essaye pas aussi de recopier des modèles de la Silicon Valley. Lorsqu’on va créer une start-up, qu’on ne dise pas : « Le modèle aujourd’hui c’est la Silicon Valley », parce qu’il existe d’autres modèles, des modèles alternatifs et qu’il faut peut-être réfléchir à ces nouveaux modèles.

Célia Petroni : Est-ce que honnêtement, objectivement, le grand public saurait utiliser des logiciels libres ou sait déjà utiliser des logiciels libres ?

Pouhiou : Il le fait déjà, tous les jours ! Est-ce que vous connaissez VLC3, vous savez le petit cône de chantier pour les vidéos ? C’est du logiciel libre, c’est du logiciel libre français en plus ; donc quand même, cocorico ! La suite LibreOffice4, le navigateur Firefox5 qui aujourd’hui, c’est reconnu par les gens de Google, est plus performant que Google Chrome ; il est plus rapide et plus performant. En fait ils le font déjà.

Célia Petroni : Sans le savoir.

Pouhiou : Sans le savoir, parce que tous les sites web où vous naviguez ou tous les services que vous utilisez sont en général sur des serveurs ; ce sont des ordinateurs. D’accord ? Et ces ordinateurs ne fonctionnent pas sous Windows ou Mac OS pour la plupart, ces serveurs fonctionnent sous Linux donc aussi sous du logiciel libre. Donc en fait, le logiciel libre il y en a déjà partout et en effet, il n’est pas aussi confortable et pratique, de manière générale — ce n’est pas tout le temps cas — que le logiciel propriétaire, parce qu’il n’a pas les mêmes moyens. Mais en même temps, aujourd’hui, on est dans cette espèce de dichotomie entre : veut-on être consommateurs et perdre nos libertés ou veut-on être contributeurs, contributrices et perdre un peu de confort, mais y gagner en liberté et en émancipation, en autonomie ?

Célia Petroni : Logiciel libre ça ne veut pas forcément dire logiciel gratuit.

Éric Ferrari : Non.

Pouhiou : Non.

Célia Petroni : Alors qui paye ?

Éric Ferrari : Le logiciel libre c’est aussi un état d’esprit et ce sont des valeurs qui sont défendues autour, effectivement, de cet esprit de liberté, de transparence et de neutralité. Et autour, aussi, d’une communauté agissante. Donc on n’est pas dans l’individualisme, dans le consumérisme. On est dans une stratégie qui est alternative et qui doit trouver sa place ici en Corse comme ailleurs et aujourd’hui on peut regretter, effectivement, que la communauté du logiciel libre soit peu active dans notre région.

Célia Petroni : Ça repose sur du don ?

Pouhiou : Pas forcément. Ce qui est très important c’est la question que vous avez posée : qui paye ? Elle est magnifique cette question. Framasoft repose sur du don, Wikipédia aussi, que l’on connaît, qui est à la fois du logiciel et de la culture libres, ça repose sur du don.
Maintenant, si vous utilisez par exemple Ubuntu ou, pour les professionnels, Red Hat, ce sont des entreprises qui sont derrière ; ce sont des distributions Linux donc ce sont des systèmes d’exploitation et ce sont des entreprises qui sont derrière, qui ne vendent pas leur logiciel vu que leur logiciel est diffusé de manière gratuite, sans paiement, mais, par contre, elles vendent leur expertise via des formations, via des productions de code spécifique à des besoins demandés, à des commandes, etc.
En fait, c’est juste un autre modèle économique.
Mais qui paye pour notre Gmail ? Qui paye pour YouTube ? Puisque finalement, quand on se fait un compte, ce n’est pas nous qui payons et ce sont les entreprises les plus riches du monde, donc d’où vient l’argent ? Et si nous ne sommes pas leurs clients puisque ce n’est pas nous qui payons, qu’est-ce que nous sommes ? Et aujourd’hui, clairement, nous sommes le bétail. Ils nous prennent des données, pour moi ce ne sont même pas des données personnelles, ce sont des données sociales, parce que la donnée la plus importante c’est la relation que nous avons ensemble ; c’est ça qu’ils vendent à des publicitaires. Donc ils prennent nos données et, derrière, ils nous vendent leur foin de publicité. On est vraiment du bétail !

Célia Petroni : Qui se cache derrière les algorithmes qui vous font tellement peur, Éric ?

Éric Ferrari : Eh bien les appétits qui viennent d’être décrits, c’est-à-dire qu’aujourd’hui il y a une vision de la donnée comme vraiment un patrimoine marchand. La donnée, qu’elle soit de nature sociale, qu’elle soit personnelle, devient propriété dans des contrats qui sont noués par celui qui utilise la plateforme. Maintenant, ces contrats sont un peu éclairés par le RGPD, le Règlement européen pour la protection des données, mais en tout état de cause le contrat reste le même, même aujourd’hui. Donc ces entreprises font commerce de ces données.

Pouhiou : Des traces de nos vies.

Éric Ferrari : Et des traces de nos vies.

Célia Petroni : Justement, une hérésie pour vous : porter une montre connectée.

Éric Ferrari : Oui.

Célia Petroni : Pourquoi ?

Éric Ferrari : Aujourd’hui effectivement, je pense que porter une montre connectée c’est donner des gages à un certain nombre d’entreprises pour vendre vos données et pour dire demain…

Pouhiou : Je me permets. Souvent ces bracelets connectés collectent des données sur notre rythme cardiaque, sur notre température, sur notre rythme de sommeil ; des données biométriques, donc des données de notre corps, et ces traces de nos corps sont ensuite enfermées chez l’entreprise qui les collecte. Nous n’avons même pas accès à ça. Ce n’est pas un peu effrayant ?

Célia Petroni : Qu’est-ce qu’on en fait de ces données ?

Pouhiou : C’est ça ! Et aujourd’hui qu’est-ce qu’on en fait, eh bien on en fait des réductions sur l’assurance maladie.

Éric Ferrari : Exactement.

Pouhiou : Aujourd’hui et on n’est pas en dystopie, je ne parle pas uniquement aux États-Unis, je parle aujourd'hui en Europe, les données de vos comptes Facebook, Google, etc., sont utilisées pour déterminer certains taux de vos polices d’assurance ou certains taux de vos prêts immobiliers. Donc l’accès au logement et l’accès à la santé, par exemple, peuvent être déterminés par vos navigations. Et nous n’avons pas de maîtrise là-dessus.

Éric Ferrari : Y compris un recrutement.

Célia Petroni : C’est pour ça que les chatons s’organisent sur le web.

Pouhiou : Oui, les chatons.

Éric Ferrari : Demain, à travers les données collectées qui seraient vendues à des chasseurs de tête, le chasseur de tête pourra dire « vous êtes un homme quand même stressé, vous avez un rythme cardiaque assez rapide et, en même temps, vous avez le sommeil agité ». Puisque ces montres, je le rappelle, surveillent votre sommeil en détectant les mouvements pendant la nuit. Et ils font des simulations pour savoir si vous avez un bon sommeil ou pas. Donc on n’est pas dans une utopie, on est dans la réalité aujourd’hui.

Célia Petroni : On en parlait tout à l’heure, les chatons, les mignons petits chatons d’Internet. Ce n’est pas du tout de ceux-là dont on va parler, mais plutôt du Collectif. Quel est l’objectif du Collectif CHATONS6.

Pouhiou : Déjà, pour les gens qui nous écoutent, CHATONS c’est le Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires d’où l’acronyme CHATONS.
L’idée c’est de dire qu’avec Framasoft nous proposons aujourd’hui plus de 32 services libres et en ligne, mais c’est un peu comme si on avait créé la première supérette du Bio du numérique, vous savez, ou numérique éthique, sauf qu’il y a plein de gens qui viennent chez nous et on ne veut pas devenir un hypermarché. Comment faire ? Eh bien créons un réseau d'AMAP pour filer la métaphore.
Les chatons, ce que nous faisons, ça existait déjà. En Bretagne par exemple l’association INFINI [INternet FINIstère] le faisait déjà ; à Marseille Marsnet le faisait déjà. Donc ce que nous faisons ça existait déjà dans le monde du logiciel libre. Regroupons-nous et aidons les personnes qui veulent devenir chaton, qui veulent héberger les données. Et plutôt que de donner nos données, d’offrir notre travail numérique et notre vie numérique aux géants du Web, relocalisons l’hébergement de services en ligne pour avoir des petites structures locales, proches, qui pourront, en plus, nous expliquer ce qu’elles font, avec qui on pourra intervenir ; peut-être qu’on pourra, dans une association, intervenir dans la gouvernance.
C’est ça le principe derrière les chatons, c’est de dire qu'on va créer, comme ça, ce réseau d’hébergement de services éthiques. Il suffit d’aller sur chatons au pluriel point org.

Célia Petroni : On a des chatons en Corse ?

Éric Ferrari : Non. On voudrait bien. En tout cas c’est un sujet qui est à la réflexion. Effectivement, le principe éthique du CHATONS est un sujet quand même qui nous interpelle et qui, aujourd’hui, interroge l’action publique.

Pouhiou : Il faut dire que les CHATONS c’est un manifeste donc des valeurs partagées et une charte, donc des engagements et ce sont des engagements assez durs, assez importants, pour assurer que derrière le service soit éthique pour les gens ; ce sont vraiment les personnes qui sont au cœur du système.

Célia Petroni : Messieurs, si je vous dis copyleftça vous parle ?

Pouhiou : Oui, évidemment.

Célia Petroni : Forcément. Copyleft ou la liberté de partager et d'enrichir, c’est la chronique de Marie-Jo Arrighi Landini qui arrive sur notre plateau. Bonsoir Marie-Jo, merci de nous rejoindre.

Marie-Jo Arrighi Landini : Bonsoir.

Célia Petroni : Le copyleft c’est le sujet de ce soir, avec des experts..

Marie-Jo Arrighi Landini : Voilà ! Avec des experts donc vous allez me corriger à chaque ligne.

Pouhiou : On va contribuer.

Marie-Jo Arrighi Landini : Contribuons, exactement améliorons.

Célia Petroni : Bravo !

Marie-Jo Arrighi Landini : Copyleft déjà qu’est-ce qui se cache derrière ce terme. C’est vrai qu’il est un petit peu particulier. Mais quand même copyleft, copyright. Right, left peut-être droite, gauche, peut-être droit, peut-être laissé, peut-être abandonné. Il s’agit effectivement d’une question de droit évidemment.
C’est une idée, en fait, qui ne va pas complètement à l’inverse du copyright mais qui est quand même extrêmement différente. Le copyright assure donc toujours une protection d’une œuvre et s’applique normalement à prélever des droits qui, dans un monde idéal, iraient surtout aux auteurs.

Pouhiou : Ouais !

Marie-Jo Arrighi Landini : Bon ! Dans la vraie vie, dans la réalité, les droits payants enrichissent beaucoup, beaucoup les sociétés qui exploitent en fait ces logiciels, ces œuvres en général, qui ont parfois financé leur développement et qui mettent surtout à disposition, en tout cas pour les logiciels, ces logiciels mais avec des abonnements. Donc on sait que, finalement, l’auteur n’est pas forcément le mieux loti dans l’affaire.
Le copyleft7 c’est une conception du partage, vraiment avec logiciel libre. C’est, nous dit-on, une méthode générale pour rendre libre un programme ou toute autre œuvre avec l’accord de son concepteur. Mais ça ne s’arrête pas là. Il y a un corollaire, c’est-à-dire que le copyleft oblige aussi toutes les versions modifiées ou étendues à être aussi libres. Donc c’est quelque chose qui est tout à fait intéressant. L’idée, en fait, vient d’un programmeur américain qui s’appelait, qui s’appelle Richard Stallman, et qui avait voulu récupérer son programme qui était d’ailleurs passé dans le domaine public. Il a dit « Super ! Je récupère mon programme avec les modifications et les améliorations ! » Et la société lui a dit : « Mais non ! Les modifications et les améliorations ne sont pas dans le domaine public. » Donc ça lui a été refusé. Il a trouvé la situation quand même un peu ubuesque et, du coup, il a trouvé que le copyleft avait tout son sens et il a inventé cette manière de faire.
Il ne s’agit donc pas de rendre une source complètement gratuite et ouverte au détriment des concepteurs, mais de partager, avec leur accord, ça c’est vraiment toujours très important, et de faire évoluer tout ça sans contrainte.
On parle de logiciel aujourd’hui puisque, évidemment, c’est votre cheval de bataille.

Pouhiou : Je me permets juste d’ajouter que, on parle de logiciel, ce qui est juste au niveau des États-Unis ce n’est pas exactement le même principe légal en France. Par contre, ça peut s’adapter en France aux œuvres culturelles, par exemple.

Marie-Jo Arrighi Landini : Voilà, c’est ça. C’est vrai que c’est dans tous les domaines, la propriété intellectuelle particulièrement et il y a notamment en art la licence Art Libre8, l, a, l, ou LAL, lol !

Célia Petroni : Bravo Marie-Jo.

Marie-Jo Arrighi Landini : Elle est bien ! C’est une licence qui a été rédigée en 2000 et qui fait suite à des rencontres Copyleft Attitude organisées par des artistes autour de la revue Allotopie, une revue évidemment libre, parfois affichée sur les murs, complètement disponible sur le Web. Et cette licence autorise la copie, la diffusion, la transformation d’une œuvre à condition toujours évidemment de laisser d’abord l’accès à l’original, ça aussi c’est important, et de laisser aussi accès à toutes les modifications.
La question, vous l’avez un petit peu abordée tout à l’heure, mais le problème c’est évidemment les droits d’auteur parce qu’on ne sait pas exactement comment, justement, les auteurs vivent dans cette affaire-là et aussi cette liberté. Est-ce qu’elle n’a pas une petite contrainte ? C’est-à-dire qu’à un moment, quand votre logiciel ou votre œuvre est utilisée par quelqu’un dont, par exemple, les engagements politiques sont complètement à l’opposé de vos convictions ?

Pouhiou : Il y a deux questions là. D’une part la première question.

Marie-Jo Arrighi Landini : Sur les droits. Comment les concepteurs gagnent leur vie avec… ?

Pouhiou : Comment les concepteurs gagnent leur vie ? Dans le logiciel, on en a parlé, il y a des modèles économiques qui ne sont pas liés à la vente du logiciel lui-même, mais le logiciel va être une espèce de produit d’appel pour vendre, notamment, des services et de l’expertise autour. Parce que si c’est nous qui avons produit le logiciel, eh bien on est le plus expert ou la plus experte pour vendre ces services autour et donc c’est là, en général, qu’est le modèle économique.
En ce qui concerne la production culturelle, je peux vous parler en tant qu’auteur, comment vivent les auteurs et les autrices aujourd’hui ? Absolument pas avec le droit d’auteur. En fait, dans la chaîne du livre, le parent pauvre ce sont les personnes qui créent le livre et ça va de même pour la musique, etc.
Et c’est normal. Beaumarchais, quand il a créé le droit d’auteur au moment de la Révolution française, l’a créé, en fait, pour que les auteurs donnent leurs droits à la commercialisation du livre papier, du produit livre. Voilà ! Et il pensait qu’un auteur devrait être aussi, comme lui, éditeur et imprimeur libraire. Bref !

[Grimace de Clélia Petroni]

Pouhiou : C’est clairement comme ça que ça s’est passé. Finalement le droit d’auteur n’a jamais été fait pour faire vivre les auteurs et ça n’est pas le bon principe.

Marie-Jo Arrighi Landini : C’est vrai.

Pouhiou : Finalement, utiliser ses droits d’auteurs pour que l’œuvre vive encore plus vite et encore plus loin ce n’est peut-être pas une si mauvaise idée.

Célia Petroni : « La route est longue mais la voie est libre. »

Pouhiou : Mais la voie est libre.

Célia Petroni : Ce sera le mot de la fin. Merci infiniment d’être venu Pouhiou. Merci Éric évidemment. Merci à vous Marie-Jo et merci à tous de nous avoir suivis en direct ou en replay, c’est à vous de choisir votre écran. C’est où vous voulez, quand vous voulez Le rendez-vous. À très vite. Bonne soirée. Ciao.

Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 29 janvier 2019

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Frédéric Couchet

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 29 janvier 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Vincent Calame, April - Anne-Catherine Lorrain, Parlement européen - Pierre-Yves Beaudouin, Wikimedia France - Patrick Creusot, April - Étienne Gonnu, April - Frédéric Couchet, April
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 29 janvier 2019
Durée : 1 h 30 min
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Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

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Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web, rendez-vous sur le site de la radio et cliquez sur « chat » ; vous pouvez ainsi nous retrouver sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 29 janvier 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, son délégué général.
Mon collègue Étienne Gonnu, en charge des affaires publiques à l’April, est également présent. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Le site web de l’April est april.org et vous pouvez déjà y retrouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission. Nous mettrons à jour cette page évidemment après l’émission si nécessaire.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Je vous souhaite une excellente écoute.

Nous allons maintenant passer au programme de l’émission.
Nous allons commencer dans quelques secondes par une intervention de Vincent Calame, informaticien et bénévole à l’April, qui va nous proposer une nouvelle chronique intitulée « Jouons collectif ». Bonjour Vincent.

Vincent Calame : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur le désormais célèbre projet de directive droit d’auteur , un échange qui sera animé principalement par mon collège Étienne Gonnu. Nous avons le plaisir d’avoir avec nous en studio Pierre-Yves Beaudouin, président de Wikimedia France. Bonjour Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Et au téléphone, tout à l’heure, nous rejoindra Anne-Catherine Lorrain, qui est conseillère politique à la commission parlementaire affaires juridiques au Parlement européen pour le groupe des Verts européens.
En fin d’émission nous aborderons notre dernier sujet qui concernera les activités d’un de nos groupes de travail, trad-gnu, qui a pour objectif de présenter l’informatique libre et la philosophie GNU en français. Nous expliquerons évidemment ce qu’est GNU à ce moment-là et j’aurai l’occasion d’échanger avec Patrick Creusot qui participe bénévolement à ce groupe.

Tout de suite place au premier sujet. Nous allons commencer par une intervention de Vincent Calame qui est informaticien et bénévole à l’April, qui fait beaucoup de choses pour le logiciel libre, j'y reviendrai à la fin, et qui nous propose une chronique intitulée « Jouons collectif ». Déjà Vincent est-ce que tu peux te présenter rapidement ? Ton profil ? Ton parcours ?

Vincent Calame : Oui. Je suis donc informaticien. Je conçois et je code des logiciels libres. J’ai ma propre petite société et je travaille étroitement, depuis plus de 15 ans, avec une fondation, la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, ce qui m’a amené à travailler pour eux mais aussi pour de nombreux collectifs et associations militantes, en France et à l’international.

Frédéric Couchet : On va préciser tout de suite que la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme est située dans le 10e arrondissement de Paris et qu’elle accueille très souvent des évènements libristes, notamment grâce à ta présence, Vincent Calame : il y a des réunions April, il y a des soirées de contribution le jeudi soir, il y a beaucoup d’évènements qui se passent dans cette fondation qui est donc située dans le 10e arrondissement de Paris.

Vincent Calame : Dans le 11e.

Frédéric Couchet : Dans le 11e, excuse-moi. Tu vois, quand je ne prépare pas je confonds le 10e et le 11e ; donc dans le 11e, à côté de Bastille.
Ta chronique s’appelle « Jouons collectif » et la description c’est : choses vues, entendues et vécues autour de l’usage du logiciel libre au sein des collectifs donc associations, mouvements, équipes en tout genre. En gros c’est le témoignage d’un informaticien « embarqué » au sein de groupes de néophytes. Est-ce que tu peux déjà nous introduire la chronique et le premier sujet que tu souhaites aborder aujourd’hui ?

Vincent Calame : Oui. Informaticien « embarqué » parce que, effectivement, je me retrouve souvent dans le cadre d’évènements ou pour des projets plus long terme de sites web ou d’organisations, comment un groupe travaille, notamment quels sont les meilleurs outils en particulier à l’international, quels sont les meilleurs outils de travail à distance pour ces collectifs-là, et je me retrouve souvent le seul informaticien. Donc informaticien de service qui peut gérer aussi bien des petits problèmes de branchement d’ordinateurs que des problèmes de disque dur ou mon cœur de métier qui est quand même de coder. Mais en fait, pour les gens qui ne s’y connaissent pas, une fois qu’on a touché un peu à l’informatique on est censé tout savoir et pouvoir intervenir sur tous les sujets. Voilà !
Je voulais profiter de cette chronique pour témoigner de comment on passe le logiciel libre à des non informaticiens mais dans le sujet du monde associatif.
Il y a plein de manières, de lieux ou passer le logiciel libre auprès du grand public, mais ça ce sont plutôt des actions de sensibilisation. Moi c’est plutôt quand je suis confronté à un groupe, essayer de proposer du logiciel libre et le faire adopter, ce qui n’est pas toujours simple.

Frédéric Couchet : Justement, c’est un peu le point de départ de ta chronique, ce n’est pas toujours simple ! Et pourtant, le logiciel libre devrait aller finalement de soi dans les milieux associatifs et notamment les collectifs militants. Et pourtant, finalement de ton expérience, ça ne va pas de soi aussi facilement. Quelles sont les raisons ?

Vincent Calame : Les raisons. Il y a une raison pratique, au début, qui est le poids de l’habitude et des pratiques. Il faut dire, quand on est face à Google, il y a également la force de frappe financière et technique de ces grands groupes ce qui fait qu’il est difficile de lutter, parfois, contre des outils qui marchent très bien. C’était à la limite plus facile il y a une dizaine d’années quand on était face à Microsoft et ses problèmes récurrents. Là, quand on est face aux GAFA, c’est plus compliqué de proposer des outils alternatifs quand les gens ont déjà leurs habitudes.

Frédéric Couchet : Tu as parlé des GAFA, on peut parler des GAFAM, c’est-à-dire Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft. En gros ce sont les géants d’Internet dont le modèle économique est basé sur la captation des données des personnes qui utilisent ces services.

Vincent Calame : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Je te laisse poursuivre.

Vincent Calame : Donc il y a beaucoup de raisons pratiques. Je précise qu’il y a aussi de ma part, de mon expérience au début, quand on est militant du logiciel libre on a une petite naïveté quand on aborde ces collectifs en pensant que ça va aller de soi, qu’ils allaient se mettre au logiciel libre parce qu’on est les gentils, ce sont les méchants, qu’il y a des proximités de valeur, de partage et ainsi de suite. En fait, ce dont on se rend compte, enfin moi ce dont je me suis rendu compte — c’est pour moi une des raisons assez profonde — c’est qu’au fond, pour beaucoup de gens, l’informatique c’est quand même quelque chose d’hostile ; c’est un outil hostile et aliénant, notamment dans un cadre professionnel. Je ne pense pas au quotidien, je veux dire que pour un usage privé ça peut être très agréable, mais je pense que pour beaucoup de gens, dans le monde professionnel, l’informatique est quelque chose de pénible qui fait perdre de la maîtrise. Je prends un exemple qui est hors du cadre associatif mais pour les garagistes maintenant, réparer une voiture c’est brancher un ordinateur et regarder ce que fait le tableau de bord. Il n’y a plus du tout la noblesse du métier, on va dire, de réparer le moteur ce qui, sans doute, faisait la passion des gens qui aimaient la mécanique.

Frédéric Couchet : Il faut disposer d’une mallette qui est fournie par le constructeur de la voiture, sinon effectivement, la plupart des interventions ne peuvent pas être faites aujourd’hui sur des voitures.

Vincent Calame : Voilà ! Je pense qu’il y a énormément de métiers qui ont perdu cette maîtrise de leur outil. Nous, informaticiens, on reste beaucoup devant notre écran mais, au fond, quand on regarde dans un milieu professionnel, tout le monde reste devant son écran, face à des logiciels qu’il ne contrôle pas, qu’il ne maîtrise pas et qui lui imposent des choses qui peuvent même le freiner ; qui sont censés l’aider et qui peuvent le freiner ou le contrôler.
Pour moi, l’informatique a mauvaise presse auprès des gens et c’est pour ça que c’est considéré comme quelque chose à part.

Frédéric Couchet : Tu as parlé d’aspects pratiques, d'habitudes, du côté aliénant de l’informatique. L’informatique libre, le logiciel libre vise, justement, à libérer les personnes. Quelles sont les conséquences du constat que tu fais par rapport à tes pratiques de sensibilisation de ces collectifs au logiciel libre et d’installation de logiciels libres ?

Vincent Calame : Il y a presque, pour moi, un paradoxe. Effectivement, le logiciel libre c’est un message d’émancipation puisqu’il s’agit de retrouver, justement, le contrôle de sa machine, le contrôle de ses logiciels, savoir ce qui fonctionne réellement. Simplement, c’est aussi un message très exigeant puisqu’il s’agit d’aller vers l’absolu, il s’agit d’aller regarder le code et regarder comment c’est possible, évidemment ce qu’on ne fait pas quand ce n’est pas son métier surtout, je dirais, dans un cadre professionnel. Un amateur peut le faire sur son propre ordinateur, mais quand on est face à un logiciel comptable ou n’importe quoi, un comptable n’a pas cette capacité, n’a pas cette connaissance, n’aura pas la formation ; on ne lui donnera même jamais la formation, d’ailleurs, pour le faire !
Donc au fond, je dirais que le message du logiciel libre est presque culpabilisant. J’ai eu le témoignage, l’expérience avec quelqu’un qui m’avait dit il y a une dizaine années : « Quand j’ai un problème avec Microsoft et que j’ai un écran bleu, eh bien je me dis que c’est la multinationale, méchant Microsoft, et ça permet, finalement, de se défouler ». Alors que quand le problème venait d’un logiciel libre ça renvoyait aussi à la propre incapacité de la personne de contrôler son environnement et, finalement, l’hostilité vis-à-vis de l’informatique était encore accrue vis-à-vis du logiciel libre qui avait presque une image encore plus technique et informatique que le reste. Au fond, on avait l’impression qu’on avait plus d’efforts à faire pour montrer que non, l’ordinateur ne veut vous pas du mal quand il se plante ; il y a l’apprivoisement, il y a un apprentissage et c’est possible. C’est l’impression que j’ai qu’au fond on était encore plus identifiés comme une race à part, on va dire.

Frédéric Couchet : D’accord. En tout cas c’est surtout une image parce que, finalement, si on réfléchit bien et quand on explique aux gens, le logiciel libre vise aussi à expliquer plus concrètement comment fonctionne l’informatique et que les bugs ça existe, que ce n’est pas forcément la faute de la personne qui utilise l’ordinateur, que cela peut être corrigé et que quelque part, justement, ça change ce modèle de relations entre la personne qui utilise un ordinateur et les logiciels qu’il n’y avait pas dans le logiciel privateur comme Microsoft.
Quand tu parles, oui c’est Microsoft, c’est machin, ça me fait aussi penser qu'à l’époque quand, dans les grandes entreprises, il y avait des problèmes avec IBM, on disait : « De toute façon ce sont les hommes en bleu — parce qu’à l’époque les personnes étaient souvent habillées avec des costards — et ce n’est pas de notre faute, etc. » Pourtant le logiciel libre essaye de renverser un petit peu cette tendance. Mais toi tu constates que dans les collectifs, en fait, ça demande quand même beaucoup de travail d’explication. Quelles seraient les perspectives ou les pistes pour l’avenir ?

Vincent Calame : La situation a quand même bien évolué depuis que je suis dans ce milieu. On sent une sensibilisation accrue. Je pense que les gens ont conscience que l’informatique n’est pas un monde à part, de moins en moins, et notamment avec toute la question des communs numériques ce n’est plus réservé, ce n’est pas isolé par rapport au reste. Je pense que les gens, les collectifs, sentent mieux cette importance, le fait que c’est un fait de société essentiel. Je sens aussi qu’il y a une demande qui commence à s’exprimer, de manière presque spontanée, des gens autour de ces questions-là. C’est de plus en plus intégré dans la démarche des gens et des collectifs. Donc je suis très optimiste là-dessus. Simplement, effectivement, je pense qu’il faut juste prendre son bâton de pèlerin et c’est un travail de long terme qui porte ses fruits, mais ça ne se fait pas dans un claquement de doigts. Le problème de l’informatique c’est que c’est très facile de créer, de mettre en place des choses, d’installer quelque chose, le plus dur c’est de maintenir et c’est souvent, d’ailleurs, dans ce défaut de maintenance que se pose le problème. C’est pour ça que c’est un travail de longue haleine.
Moi, ce que je vois, c’est que les gens comprennent bien les avantages. Je programme des logiciels qui sont utilisés et je suis en contact direct avec les utilisateurs ; ça ils apprécient, effectivement, le fait de pouvoir me remonter immédiatement les problèmes et les voir corriger. Quand le logiciel libre c’est le système d’exploitation et que, effectivement, on ne sait pas trop à qui s’adresser, là c’est plus compliqué.

Frédéric Couchet : D’accord. D’où l’importance aussi de l’accompagnement physique que tu fais auprès des collectifs. Ça sera un peu la thématique récurrente de ta chronique. Là on a parlé, on a échangé en terme général, mais dans les prochaines chroniques tu prendras des points particuliers, des exemples. Tu parleras aussi des fonctions cachées de certains logiciels, des fonctions magnifiques qu’on découvre totalement par hasard ou, au contraire, des rajouts de fonctionnalités qui perturbent la personne qui utilise l’ordinateur parce qu’elle a été habituée à autre chose. Ce sont tous ces sujets-là que tu aborderas de par ton expérience d’accompagnement de collectifs.
Je crois qu’Étienne veut poser une question ou rajouter quelque chose.

Étienne Gonnu : Je trouve très intéressant, en fait, ce que tu dis, la manière dont tu l’abordes et je trouve que ça fait vraiment écho à ce dont j’ai l’impression. Je ne suis pas informaticien et pourtant, au sein de l’April, je défends le logiciel libre. Je trouve que ça fait vraiment écho à ce que je ressens dans la manière dont j’ai l’impression de le défendre et ce pourquoi je me bats.
C’est-à-dire de réfléchir que le logiciel libre c’est une manière, en fait, de réfléchir politiquement la place de l’informatique. Savoir que le logiciel, libre ou non, quand il est imposé aux gens, quand il conditionne les usages, quand il est imposé et que les gens doivent adapter leur manière de collaborer, de travailler, au logiciel qu’on leur impose, forcément c’est aliénant. Toute la réflexion c’est de repartir des besoins effectifs et c’est comme ça que ça va se construire avec toujours aussi ces notions de confiance. Moi, en tant que non informaticien, je n’ai pas besoin de mettre les mains dans le cambouis parce qu’il y a des gens en qui je fais confiance qui m’ont recommandé un outil, par exemple, et je sais qu’il y a une sorte de manière vertueuse de produire, enfin de créer de l’informatique et c’est pour ça aussi que je peux avoir confiance.
Je trouve que c’est très intéressant la manière dont tu renverses, justement, tout ça, toute cette réflexion.

Vincent Calame : Oui. Je pense que l’informatique est un objet technique mais ne doit pas être seulement ça. C’est toute la question de la maîtrise sociale de la technique et des sciences, de montrer que ce n’est pas qu’un sujet d’experts et c’est un sujet qui nous concerne tous au quotidien.

Frédéric Couchet : Écoute on te remercie, Vincent, pour cette première édition de la chronique « Jouons collectif ». On va sans doute se retrouver le mois prochain.
Nous allons passer une pause musicale avant de passer au sujet suivant. La pause musicale c’est Side effect par Fog Lake et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Side effect par Fog Lake.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Side effect par Fog Lake. L’occasion pour moi de rappeler que toutes nos musiques sont diffusées sous des licences libres, nous faisons ce choix volontaire, qui permettent de les partager librement avec vos amis, votre famille, de les télécharger, de les mixer. Donc Side effect est sous licence Creative Commons BY, c’est-à-dire Attribution.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Vous écoutez l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et défense du logiciel libre. J’entends qu’au téléphone notre invitée Anne-Catherine Lorrain nous a rejoints. Bonjour Anne-Catherine.

Anne-Catherine Lorrain : Bonjour tout le monde.

Frédéric Couchet : Nous allons passer à notre sujet principal. L’échange va principalement être animé par mon collègue Étienne Gonnu. C’est le projet de directive droit d’auteur. Nous avons avec nous en studio Pierre-Yves Beaudouin président de Wikimedia France. Rebonjour Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : Rebonjour.

Frédéric Couchet : Au téléphone nous avons Anne-Catherine Lorrain conseillère politique pour le groupe des Verts européens. Étienne je te passe la parole pour ce sujet donc le projet de directive droit d’auteur.

Étienne Gonnu : Merci Fred.
Si vous êtes un auditeur, auditrice réguliers de Libre à vous !, vous savez que nous avons déjà plusieurs fois abordé cette question. Je vous propose peut-être déjà un petit récapitulatif des épisodes précédents, on va dire, de la directive. Tous les liens seront sur la page dédiée, sur le site, pour amener notamment aux transcriptions et aux détails de ces émissions.
Effectivement le 5 juin 2018, d’ailleurs Anne-Catherine avait déjà participé à cette émission aux côtés de Marc Rees qui est journaliste et rédacteur en chef du journal d’investigation en ligne Next INpact, et avec eux nous étions revenus sur la genèse de cette directive et surtout de son article 13 dont l’objet serait de rendre responsables les plateformes de partage de contenus des contenus qu’elles hébergent. Elles devraient donc s’assurer qu’aucun contenu non autorisé par les ayants droit ne soit mis en ligne.
En gros ça remet en cause un principe structurant d’Internet qui est qu’un intermédiaire technique n’a pas à surveiller les contenus que ses utilisateurs et utilisatrices mettent en ligne.
Il y a l’inverse : seul un éditeur qui, par essence, à vocation à connaître les contenus publiés, est directement responsable de ces contenus.
Clairement la cible du texte c’est YouTube, c’est Facebook, mais même si on peut débattre de leur modèle, de leur manière de fonctionner, la loi s’applique à tous. Il ne s’agit pas non plus de faire n’importe quoi et c’est un peu, finalement, l’objet qui anime notre combat contre ce texte très dangereux.

Dans notre émission du 3 juillet, aux côtés de Pierre Beyssac qui est un militant de longue date des libertés informatiques et qui est notamment cofondateur de Gandi, un des principaux hébergeurs de noms de domaine français, on parle de Registrar, nous avions justement discuté plus en détail des dangers des systèmes de filtrage automatisé que pousseraient et forceraient finalement les plateformes à adopter en vertu de l’article 13 et de leur impact sur les libertés informatiques, de leur impact sur la manière dont fonctionnent les plateformes de partage. Nous avions notamment parlé plus spécifiquement de l’impact que ces systèmes pourraient avoir sur les plateformes de développement et de partage de logiciels libres et pourquoi nous nous battions : pour qu’une exception soit prévue et intégrée au texte, on reviendra d’ailleurs un peu plus en détail plus tard sur ce point. Sachez que pour le moment l’exception est plus ou moins acquise, donc au moins, déjà, une petite victoire sur ce sujet.

Enfin le 2 octobre, là c’était plus court, mais j’avais partagé avec vous une triste nouvelle on va dire, celle du vote du 12 septembre par le Parlement européen, vote par lequel le Parlement donnait mandat au parlementaire Axel Voss pour porter le projet de directive dans une version particulièrement inquiétante en ce qui concerne l’article 13, donc pour porter un projet de directive au niveau de ce qu’on appelle les « trilogues ». Je vous rappelle que le « trilogue », en gros, c’est une négociation entre les représentants des trois principales institutions européennes : la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ; le Conseil de l’Union européenne c’est la représentation directe des États membres, des gouvernements si vous voulez. Derrière des portes closes ils discutent ensemble pour obtenir un texte, on va dire un texte de compromis qui, au final, sera voté par les parlementaires européens.

Nous, quand on avait préparé cette émission, il devait y avoir une dernière discussion le 21 janvier. On préparait cette émission avec le but, finalement, de détailler ce qu’il allait ressortir de cette dernière négociation.
Mais surprise, le 18 janvier il s’est passé quelque chose qui a tout remis en cause. Le mandat a été rejeté et là j’ai envie de passer peut-être la parole à Anne-Catherine puisque tu es directement, on va dire, dans les coulisses des institutions européennes, du moins tu as un regard privilégié sur ces questions. Peut-être que tu peux nous en dire plus sur ce qui s’est passé le 18 janvier, tout le contexte qu’il y a autour.

Anne-Catherine Lorrain : Oui, effectivement. Le 18 janvier, ce qui s’est passé c’est que la présidence roumaine qui venait juste de prendre son mandat à la tête du Conseil, à la présidence du Conseil à partir du 1er janvier, n’a pas réussi à dégager une majorité sur l’article 13, exactement sur l’article 13.
En fait une minorité de blocage, parce que toutes les décisions sont prises à une majorité simple et il suffit qu’il y ait une minorité de blocage pour qu’il n’y ait aucun mandat, aucun accord au sein du Conseil.
La Roumanie n’a pas réussi à convaincre notamment l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, la Suède, la Finlande, la Belgique, les Pays-Bas, la Slovénie, la Pologne, la Croatie, le Luxembourg, le Portugal j’en ai déjà parlé. Donc tous ces pays, en fait, étaient contre ce que la présidence roumaine a mis sur la table. En gros, ce que la présidence roumaine a mis sur la table, c’était des textes qui étaient déjà là en décembre à l’issue du cinquième « trilogue » qui a eu lieu le 14 décembre à Strasbourg.

Étienne Gonnu : D’accord. Si je comprends bien, comme tu disais par rapport à Axel Voss, la Roumanie devait obtenir suffisamment de soutiens pour son texte et tous les pays que tu nous as cités n’ont pas donné ce soutien et ça faisait une masse suffisante pour que le texte ne soit pas adopté ?

Anne-Catherine Lorrain : C’est ça. Ça a constitué une minorité de blocage pour qu’il n’y ait pas de texte à mettre sur la table par la présidence du Conseil.

Étienne Gonnu : D’accord.

Anne-Catherine Lorrain : La France était du côté de la Roumanie, c’est-à-dire voulait continuer les négociations sur le texte existant. On est assez contents, en fait, que l’Allemagne ait permis ce blocage puisque, vous le savez, en Allemagne l’exception pour les petites et moyennes entreprises, les micros entreprises et les PME, l’exception à l’application de l’article 13 est quelque chose de très important pour le gouvernement allemand. Ça a été à l’issue de discussions, de tractations impliquant les partis majoritaires du gouvernement dont la CDU [Union chrétienne-démocrate d'Allemagne] qui ont vraiment insisté pour avoir cette exception, la France, elle, ne partageait pas ce souci. Ce qui a fait que, eh bien, il n’y a pu avoir d’accord.
Évidemment, on présente les choses comme une opposition France-Allemagne ce qui est très simpliste parce que ce n’est pas ça ! Comme je l’ai dit, il a beaucoup d’autres pays qui partagent les vues de l’Allemagne, mais c’est un peu comme ça qu’ont été présentées les choses de manière un petit peu facile, notamment au sein de la commission JURI la semaine dernière.
Donc on en est là pour l’instant et le « trilogue », le sixième « trilogue » qui devait avoir lieu le 21 janvier a été annulé plus ou moins à la dernière minute et nous n’avons pas de date de remplacement. Donc on ne sait pas ; on entend parler d’une prochaine réunion dite COREPER, c’est-à-dire des représentants des gouvernements précisément sur ces questions de propriété intellectuelle et de copyright, peut-être le 6 février.

Étienne Gonnu : D’accord.

Anne-Catherine Lorrain : Et si ça a lieu le 6 février on aurait un « trilogue » très rapidement après, avant la prochaine session plénière du Parlement qui a lieu la semaine du 11 février. Tout au conditionnel. On n’a absolument aucune confirmation, ce qui rend tout à fait possible une non-adoption de la directive avant les élections du Parlement européen, donc avant la fin de la législature.

Étienne Gonnu : C’est tout l’enjeu. D’ailleurs on reviendra plus tard sur comment se mobiliser et ce qu’il faut faire ; forcément ça s’adaptera au contexte. Ce que je trouve peut-être intéressant dans ce que tu disais c’est que c’était présenté – on peut imaginer que c’est important l’opposition France-Allemagne – mais ce dont on avait quand même l’impression c’est qu’avant ce vote du 18 janvier tout n’allait pas forcément bien. Au contraire, on voyait déjà peut-être que la directive et notamment autour de l’article 13 commençait à prendre l’eau. Est-ce qu’il n’y avait pas déjà, justement, des tensions qui existaient, des difficultés à aboutir à un texte ? On parle de « trilogues », donc ces négociations, de mémoire, justement, il y en avait déjà eu cinq ; il y a des dates qui ont été rajoutées parce qu’il me semble qu’ils n’arrivaient pas, justement, à aboutir à des négociations. Je crois que c’est le cinéma hollywoodien qui est revenu en arrière en disant « finalement ce texte est dangereux on n’en veut pas non plus ». Peut-être que tu peux nous donner ton sentiment par rapport à ce qu’on a pu percevoir de l’extérieur comme vraiment une situation de tensions et de difficultés à aboutir à quelque chose, à aboutir à des négociations.

Anne-Catherine Lorrain : Effectivement. De toute façon ce texte donne lieu à des tensions parmi tous les acteurs concernés, les acteurs du secteur culturel, d’Internet. Évidemment, au niveau gouvernemental c’est très tendu depuis le départ ; pour la Commission, ils marchent aussi sur des œufs ; leur service juridique a été réticent envers certaines choses. On a entendu dire qu’ils n’étaient pas tout à fait d’accord avec ce qu’a proposé la Commission sur l’article 11 par exemple. Donc c’est très délicat depuis le départ.

Étienne Gonnu : C'est vrai que nous on s’est beaucoup focalisés sur l’article 13, on va plutôt essayer de rester focalisés sur l’article 13. L’article 11 pour les personnes, pour ceux et celles qui nous écoutent, concerne les publications de presse, notamment ça visait Google News, l'autre pan de monétisation de Google, et finalement donner des droits particuliers au fait de référencer des liens en ligne.

Anne-Catherine Lorrain : Oui, ce qu’on appelle la Link tax aussi. D’accord, je ne vais pas m’étendre sur l’article 11, mais c’est difficile de séparer exactement parce que toute la dynamique, tout est assez imbriqué. C’est juste pour dire que la Commission aussi marche sur des œufs depuis le départ.
La lettre dont tu parlais tout à l’heure, c’est cette lettre qui a été envoyée en décembre par Motion Picture of America et aussi d’autres lobbies du secteur audiovisuel qui se disent que finalement, qui se rendent compte qu’à force d’ajouter plein de conditions sur les filtres, d’ajouter plein de considérants ! Il y a des articles dans la directive, mais il y a aussi ce qu’on appelle les considérants, c’est-à-dire des paragraphes avant les articles qui permettent d’éclairer le juge et le législateur national quand il s’agira de transposer la directive en droit national, d’éclairer sur l’application des articles. Donc c’est très important parce que ça donne beaucoup de contexte, de justifications et, rien qu’autour de l’article 13, il y a dix considérants ; c’est énorme ! Énorme pour justement essayer de justifier ce contournement de la directive e-commerce de 2000 qui était vraiment la pierre angulaire, le cadre juridique d’Internet en Europe depuis 2000, que contourne ce nouvel article 13, puisque cet article 13 crée des règles spécifiques, ad hoc, pour les contenus de droit d’auteur en disant que l’exception pour non-responsabilité dont peuvent bénéficier les plateformes ne s’appliquerait pas concernant ce genre de contexte. Donc il y a dix considérants pour expliquer comment, finalement, c’est possible, etc. Ça prouve bien aussi la délicatesse du sujet et la difficulté du législateur de justifier l’article 13.

Étienne Gonnu : C’est ce qu’on défend aussi. Effectivement le texte, dès le départ, est très mal rédigé, le nombre de considérants est un fort indice ; le nombre d’exceptions est un autre fort indice. Une bonne loi n’a pas besoin de tant d’exceptions. Juste préciser, peut-être, que la directive e-commerce que tu mentionnais précise justement ce dont je parlais au début sur l’équilibre des responsabilités, le fait que si on ne connaît pas les contenus, on n’a pas à aller les vérifier, on ne peut pas en être responsable et ça gère toutes ces difficultés.

Anne-Catherine Lorrain : Et un principe de non-responsabilité. La directive e-commerce est un principe de non-responsabilité avec exceptions de responsabilité dans tel et tel et tel cas.
Ici c’est un principe de responsabilité avec, par exception, des fois non-responsabilité. Donc là on inverse complètement le système pour un type particulier de contenus. Juridiquement c’est très problématique. Je suis juriste de formation et ça pose problème aussi à beaucoup de gens.

Étienne Gonnu : Tu mentionnais, et je pense que c’est un point important, l’exception, et on sentait vraiment le point névralgique ; c’est intéressant que ça tourne autour des petites et moyennes entreprises, mais c’était une exception, effectivement, parmi beaucoup d’autres ; c’est là-dessus que ça a basculé. On voit que ce n’est pas l’argument des libertés, forcément, qui a prédominé mais à partir du moment où la directive s’écroule, surtout son article 13, on est preneurs.
On va peut-être demander le point de vue d’un type de plateforme qui a obtenu une exception et c’est Wikipédia. On imagine bien l’importance qui est de ne pas préserver Wikipédia des tentacules de ce texte. Peut-être peux-tu, Pierre-Yves, nous donner ton regard en tant que président de Wikimedia France sur ce texte et sur l’exception qui a été accordée, ou non peut-être, à Wikipédia.

Pierre-Yves Beaudouin : Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’au niveau de la communication, de la publicité, on prétend que la directive européenne est une loi anti GAFA, donc anti plateformes privatives des géants du Web, mais en fait, au tout départ, le texte de la Commission visait tout l’Internet, quasiment tout l’Internet et il a fallu se mobiliser pour obtenir des exemptions petit à petit. La première, à ma connaissance, c’était Wikipédia, sachant que ça pose des problèmes ; dans le mouvement Wikimedia il n’y a pas que l’encyclopédie. Donc après coup, finalement, elle a été élargie pour prendre en compte un peu tous nos projets à but non lucratif, non-commercial, qui visent le savoir, la connaissance et l’éducation au sens large, mais ça pose un problème de fond.
En 2001, quand est créée Wikipédia, peut-être qu’on ne l’aurait pas obtenue étant petits, voire avant sa création ; on ne peut pas exempter quelque chose qui n’existe pas encore. Il faut bien voir que la directive va s’appliquer pendant dix, vingt ans, dans toute l’Union européenne. Donc c’est un peu dommage de n’exclure que des services qui existent déjà sur le Web ou qui sont suffisamment forts pour pouvoir faire du plaidoyer à Bruxelles et comprendre un peu tous les arcanes et qui sont aussi bien vus par les parlementaires et par les membres de la Commission pour avoir une exemption.
En fait, il y a aussi toute cette mobilisation. C’est aussi grâce à la mobilisation des internautes que certains secteurs comme le logiciel libre ou Wikimedia ont obtenu des exemptions. Les députés, après coup, se plaignent un peu de recevoir massivement des coups de fil, des mails, mais malheureusement ils l’ont un peu cherché en ne définissant pas au tout début ce qu’ils entendaient par donnée et par plateforme, par site web, donc il a fallu batailler pour restreindre un peu à ça.
Il ne faut pas tomber dans le piège. Même encore maintenant, avec toutes les exemptions, cette directive n’est pas juste une loi anti GAFA. Elle vise bien plus large.

Étienne Gonnu : Bien sûr. La loi s’applique aussi finalement à tous. On ne fait pas des lois ad hominem. Fred.

Frédéric Couchet : Petite précision par rapport au timing. La précédente directive droit d’auteur date de 2001. Quand tu dis, effectivement, que cette directive, si elle est votée, va s’appliquer pendant dix ou vingt ans, on le constate de façon très claire.
Et le deuxième point c’est que quand que des citoyens et des citoyennes s’expriment et contactent leurs députés, qu’ils soient députés européens ou députés français, c’est la démocratie, surtout quand ils s’expriment avec leur propre expérience et on en parlera tout à l'heure quand on parlera du projet de loi éducation en France. C’était juste une petite incise.

Pierre-Yves Beaudouin : Ensuite, un autre point qui est un peu gênant, c’est de croire que les sites web sont sur des îlots isolés, notamment les sites sous licence libre comme Wikipédia. En fait on ne peut pas fonctionner tout seul. On réutilise des contenus qui sont publiés en premier sur d’autres plateformes à but non-commercial, voire commercial. Flickr, notamment, représente 10 % de la médiathèque Wikimedia Commons parce que, notamment des institutions françaises, les ministères, des musées, l’École polytechnique, préfèrent publier là-dessus. Ils publient quand même sous une licence compatible avec Wikipédia, avec Wikimedia Commons, donc le contenu est remis, après, sur nos serveurs et permet d’illustrer Wikipédia.

Étienne Gonnu : Si un site tiers comme Flickr était finalement censuré ou ne pouvait plus fonctionner correctement, Wikipédia perdrait… ?

Pierre-Yves Beaudouin : On serait directement impactés. Beaucoup de gens dans le débat ces dernières semaines, ces derniers mois, notamment les lobbyistes pro-directive, pro-article 13, s’étonnent que le mouvement Wikimedia reste mobilisé. Il faut bien voir qu’on n’est pas une entreprise commerciale, on ne cherche pas à ce que public consulte à tout prix Wikipédia. Notamment grâce aux licences libres, le contenu est aussi amené à être diffusé ailleurs sur d’autres plateformes, par d’autres moyens, c’est le principe de la connaissance. Idéalement on aimerait que les gens consultent énormément Wikipédia, mais il y aussi beaucoup de gens qui consultent des sites commerciaux, à but tout à fait profitable, donc ça rentre aussi dans notre mission d’aller jusqu’à l’utilisateur final, jusqu’à l’internaute et tout seul on n’y arrive pas forcément.
Là aussi la directive, en fait, va empêcher. Par exemple, à l’heure actuelle, on le voit : on avait publié sur notre blog un chercheur qui avait tenté de diffuser sur une plateforme vidéo telle que YouTube des enregistrements de Bach ; le filtre les avait refusés. À l’avenir, comme le filtrage va s’étendre, on peut prévoir que des textes de Victor Hugo ou les peintures de Léonard de Vinci vont aussi être supprimés de ces plateformes.

Étienne Gonnu : C’est très inquiétant, effectivement, ce que tu dis. Deux choses. Moi ça m’évoque une citation que j’ai trouvée, je vais prendre le risque de l’attribuer à Marc Rees, il me semble bien que c’est lui qui avait pris cet exemple-là, d'une vision d'Internet : « Les rédacteurs de ce texte voudraient qu’Internet soit comme les rayons de la Fnac dans les années 80 ». Ils oublient de voir, justement, toute cette interdépendance, tous ces systèmes de partage. Il ne faut pas juste faire une exception à Wikipédia, ça n’a pas de sens puisqu’il y a, finalement, toute cette interconnexion qui existe, tout ce que tu dis aussi. Il y a peut-être une exception formelle, mais en réalité Wikipédia ne peut pas être épargnée par ce texte, on l'imagine bien. Ne serait-ce que dire qu’une directive met en danger Wikipédia — et je pense qu’on voit tous l’intérêt collectif, social, que revêt Wikipédia maintenant —, le simple fait de menacer ça devrait d’ailleurs disqualifier, à mon sens, un texte de loi. Je parle d’un point de vue libriste.
Anne-Catherine, peut-être que tu voulais donner ton point de vue.

Anne-Catherine Lorrain : Oui. Je voulais rebondir là-dessus. Parce que, comme vous l’imaginez, on a déjà eu cinq « trilogues » et peut-être dix ou douze réunions techniques de « trilogue », juste le staff, pas au niveau politique et notamment toute cette discussion, cette négociation pour exclure des plateformes, des sites tels que Wikipédia, ça a été assez long. D’ailleurs techniquement ce n’est pas dans l’article 13 même mais dans l’article 2 qui est sur les définitions.

Étienne Gonnu : Tout à fait.

Anne-Catherine Lorrain : Il y a un paragraphe sur la définition des plateformes et l’article 13 s’y réfère indirectement.
C’est très difficile de faire comprendre ce que veut dire commercial, non-commercial ; que l’adjectif non-commercial n’est peut-être pas très pertinent sur Internet parce que comment qualifier cela puisque sur Wikipédia il y a un appel au don, donc ce n’est pas forcément non-commercial. Donc il faut mettre le curseur à d’autres endroits et ça donne lieu à des discussions très longues. Il a fallu vraiment batailler pas mal au niveau technique et politique.
Ce qui s’est passé cet été, l’été 2018, donc toute cette campagne qui a permis aux députés, quand même, de voir qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas dans cette directive, y compris tous les députés du Parlement qui ne travaillent pas sur le dossier directement. On a réussi, le groupe des Verts et d’autres, mais on y est beaucoup pour quelque chose à challenger, excusez-moi pour l’anglicisme, le mandat du Parlement qui allait tout simplement adopter le texte comme une lettre à la poste suite au vote de la commission JURI en juin pour juste commencer le « trilogue ». On a réussi à mettre les choses en suspens pour permettre aux députés de se rendre compte que ça n’allait pas et donner l’opportunité de déposer certains amendements. En septembre on a voté sur ces quelques amendements et notamment il y a eu ces amendements sur l’exception pour les PME. C’est pour ça que c’est très important pour le Parlement aussi, parce que, en septembre, c’est ce que le Parlement a dit ; il a dit : « Attendez, on va changer un peu l’article 13, il y a quand même quelques aspects qu’il faudrait prendre en compte. »
Et là on voit qu’au niveau du Conseil c’est aussi ça qui fait achopper le processus.

Étienne Gonnu : Pour ceux qui ne suivent pas forcément le dossier, effectivement le 20 juin il me semble bien, le texte avait d’abord été rejeté puis, plusieurs modifications, mais une des principales c’était cette exception pour les petites et moyennes entreprises qui a été rajoutée et c’est ça qui a fait la bascule et permis au texte d’être adopté finalement en septembre. Et pourtant c’est remis en cause maintenant. Donc on voit bien aussi les effets boule de neige que ça peut provoquer par la suite.

Anne-Catherine Lorrain : Oui c’est ça, exactement. Mais c’est aussi pour ça qu’on insiste sur cette exception. Pour le Parlement au niveau du contexte politique, c’est important de le garder.

Étienne Gonnu : Pour ceux qui le défendent ! Nous, après, on regrette que ça ne soit pas, comme je disais, sur les notions de liberté, sur les valeurs qu’on défend, effectivement. À nouveau je pense, comme tu disais tout à l’heure, qu'il ne faut pas voir uniquement l’opposition France-Allemagne, voir uniquement ce point d’achoppement précis. C’est plutôt révélateur, à mon sens, de la pauvreté on va dire intrinsèque du texte et même de son incompatibilité avec les valeurs fondamentales puisqu’il est impossible de tout faire rentrer, de s’assurer à la fois du principe de la liberté d’expression : on ne peut pas garantir la liberté expression avec du filtrage automatisé ; c’est fondamentalement incompatible !

Anne-Catherine Lorrain : Oui. Par exemple il y a dans l’article 13 un paragraphe qui dit, évidemment, que le filtrage automatique est interdit. Mais quand vous avez dans les autres paragraphes précédents quelque chose qui dit le contraire, parce que tout ce qui est prescrit dans l’article 13, en fait, sous-entend un filtrage automatique de fait. Et cette interdiction de filtrage automatique, de toute façon, ne s’appliquerait pas parce qu’elle provient de la directive e-commerce et quand on regarde la directive e-commerce, cette interdiction de filtrage automatique dépend du safe harbor, de l’exception pour non-responsabilité. C’est vraiment la pierre angulaire de la directive e-commerce.
Mais cette exception ne s’applique pas. Il est dit dans l’article 13 de la directive droit d’auteur que cette exception de la directive e-commerce ne s’applique pas. Donc de fait, par un jeu de dominos juridiques, cette interdiction de filtrage ne s’applique pas non plus. Et ça c’est une interprétation qui a été confirmée par le service juridique du Parlement. Ils peuvent faire des déclarations de principe mais juridiquement, mécaniquement, elles ne peuvent pas s’appliquer en réalité.

Étienne Gonnu : Oui. Et je trouve que le texte est juridiquement est très compliqué, il est très difficile à lire. Pourtant, en sortant juste du point de vue juridique, en rentrant finalement dans le domaine du bon sens, on voit bien que si on demande à des plateformes qui doivent gérer des millions de contenus tous les jours d’être capables de détecter, d’empêcher certains contenus qui n’auront pas reçu une certaine autorisation d’être mis en ligne, on imagine bien tout de suite que ça nécessite de fait la mise en place de filtres automatisés ; ça se comprend assez simplement et les risques ensuite sous-jacents se comprennent très bien. Il y a des outils qui existent, on en avait parlé comme je vous le disais avec Pierre Beyssac, d’ailleurs il avait écrit un billet qui sera en ligne, qui est très intéressant, et qui explique cela très bien : il est impossible de mettre en place des filtres satisfaisants. Je trouve que ça illustre très bien à quel point ces filtres sont inadmissibles : sur des millions de contenus passés tous les jours il suffit qu’il y ait finalement même 0,01 % et ça représenterait quand même des milliers de personnes. Il paraît inacceptable de censurer quotidiennement des milliers de personnes sur des bases automatiques.
Parlant de ces milliers de personnes potentiellement censurées par cet outil, je pense qu’il est du coup peut-être important de mobiliser sur ces sujets. Si le texte paraît compliqué, finalement ce qu’il menace est très clair : c’est notre capacité à partager, c’est la liberté d’expression, c’est la capacité à croiser des contenus, à créer de nouveaux contenus, à interagir ensemble et à s’informer, à partager le savoir, tout ce qu’on défend finalement au quotidien, je pense à l’April comme chez Wikimedia en général.
Du coup ça nous ramène peut-être à ce que tu évoquais sur les prochaines échéances qui vont venir assez rapidement. Je pense qu’on peut revenir à ça après une petite pause musicale, revenir sur la manière de se mobiliser et sur les prochaines échéances à attendre.

Frédéric Couchet : Effectivement. Nous allons faire une petite pause musicale. Le morceau que nous allons écouter c’est Age of Feminine par Kellee Maize et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Age of Feminine par Kellee Maize.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. J’espère que vous avez dansé, comme nous, en écoutant Age of Feminine par Kellee Maize. Ce morceau est disponible en licence CC BY-SA, c’est-à-dire Attribution, Partage à l’identique, et les références sont sur le site de l’April, april.org.

Avant la pause, nous étions sur le sujet du projet de directive droit d’auteur. Nous allons poursuivre avec mon collègue Étienne Gonnu en charge des affaires publiques, avec Pierre-Yves Beaudouin président de Wikimedia France et au téléphone Anne-Catherine Lorrain, conseillère juridique pour le groupe des Verts européens au Parlement européen. Je repasse la parole à Étienne.

Étienne Gonnu : On parlait effectivement de cette question de la mobilisation parce que là on va revenir dans une période où la mobilisation sera peut-être possible. On va revenir peut-être sur les pronostics.
On parlait de « trilogues », ces négociations entre les principales institutions de l’Union européenne qui discutent du texte de manière un peu technique, derrière des portes closes on va dire. Nous, pendant cette période, on n’est pas restés les bras croisés, on a essayé d’agir pour obtenir, comme je le mentionnais plus tôt, une exception très satisfaisante pour les plateformes de développement et de partage de logiciels libres.
On en avait parlé, c’est GitHub qui avait fait beaucoup de bruit, parce que, comme Pierre-Yves disait, il faut être en mesure de faire du bruit pour être entendu. On a fait partie de ces secteurs, pour reprendre le terme souvent employé, qui ont réussi à se faire entendre. Pour ceux qui avaient suivi, on en est arrivé à ce que je trouve assez satisfaisant. Au départ ça n’excluait que les plateformes de développement à but non lucratif ; dans un premier ils ont fait sauter ce critère de lucrativité qui n’a aucun sens. Donc toutes les plateformes de développement de logiciels libres étaient effectivement exclues sur le papier et, nouvelle amélioration à notre sens, l’ajout de la notion de partage. Parce qu’il n’y a pas que les forges logicielles à proprement parler, comme GitHub, pour faire du développement de logiciels. Il y a aussi les dépôts et aussi les archives de logiciels, là je pense à Software Heritage qui est un superbe projet d’archivage de l’ensemble des codes. On fera une émission, je pense, dans un futur proche.

Frédéric Couchet : Software Heritage, le 12 février. Non le 19, excuse-moi, le 19.

Étienne Gonnu : Nous vous en parlerons en détail. C’est un magnifique projet, d’ailleurs, qui aurait pu être impacté alors que je crois que l’Unesco a reconnu l’utilité pour le bienfait de l’humanité, dans d’autres termes peut-être, mais dans cette idée-là. Donc le terme de partage a été rajouté et permet d’avoir une définition qui nous paraît suffisamment sûre juridiquement. À cette fin, nous avions notamment rencontré des membres du ministère de la Culture français qui ne sont pas les moins, on va dire, stricts en ce qui concerne l’application rigoureuse du droit d’auteur.

Frédéric Couchet : Extrémistes !

Étienne Gonnu : Extrémistes, oui, je pense qu’on peut utiliser ce terme effectivement, parfois on entend aussi maximalistes. Ils comprenaient nos arguments, ils avaient l’air sur cette longueur d’onde de partage et de développement, sans le critère de lucrativité.
Donc nous arrivons sur la fin de ces négociations.

Frédéric Couchet : Ce que tu veux dire par là, en fait, c'est qu'au niveau des gouvernements et notamment du gouvernement français il y a un soutien sur cette exception pleine et entière des plateformes logicielles ?

Étienne Gonnu : Ça n’a pas l’air de faire débat pour eux. C’est acté.

Frédéric Couchet : En tout cas c’est important.

Étienne Gonnu : C’est toute la difficulté de ces négociations. Tant que le texte final n’est pas connu, rien n’est acté encore, mais sur ce point je pense qu’on peut être assez confiants sur un résultat possible. Maintenant, pour nous, ça c’est juste une exception et clairement le combat reste de faire tomber cette directive et surtout de faire tomber l’article 13.
Donc cette situation est un peu inattendue et Anne-Catherine ou Pierre-Yves pourraient me corriger. Pour reprendre, finalement les négociations devaient se terminer le 21 juin comme on disait. Le 18 janvier un des participants, donc le Conseil de l’Union européenne n’a pas obtenu le mandat pour pouvoir continuer ces négociations. Maintenant on ne sait pas si les négociations vont continuer, si elles vont réussir à aboutir ; ça c’est la première question. Et savoir qu’est-ce qui se passera ensuite.
Sur ce point, peut-être Anne-Catherine d’abord ensuite Pierre-Yves, est-ce que vous pensez que les négociations vont aboutir ?

Anne-Catherine Lorrain : Comme je disais tout à l’heure, les élections européennes arrivent à grands pas, au mois de mai, ce qui veut dire techniquement qu’aucun texte ne peut être adopté par le Parlement après début avril, vraiment au dernier moment. Mais la plupart des choses seront votées, actées par le Parlement fin mars, ce qui rend les choses vraiment difficiles maintenant puisqu’on n’aura pas eu de « trilogue » en janvier. Donc effectivement une possibilité d’absence d’accord pendant cette législature du Parlement est tout à fait possible. Oui.

Étienne Gonnu : En plus de mémoire, à la fin, s’ils arrivent à négocier, il faut au moins un délai d’environ deux mois pour que le texte puisse finalement être voté ensuite, donc ça réduit d’autant plus.

Anne-Catherine Lorrain : Oui. Ça veut dire qu’en fait le mieux ça aurait été d’avoir le dernier « trilogue » le 21 janvier, une autre réunion technique, ou deux, pour finaliser la rédaction, et ensuite ça passe vers les services dits des jurys linguistes qui doivent vérifier tous les détails des textes déjà rien qu’en anglais puisqu’il faut que tout soit cohérent entre les articles, entre les considérants aux articles ; quand même une vingtaine d’articles dans cette directive, c’est un dossier prioritaire, donc ça prend du temps. Ensuite, il faut que ce soit traduit dans toutes les langues européennes, en principe, sauf si c’est un dossier vraiment hautement prioritaire et que les circonstances exceptionnelles de fin de mandat font qu’on peut peut-être sauter quelques traductions, mais normalement tout doit être traduit et ensuite soumis au vote. Donc dernière possibilité ce serait en avril. Après il n’y a plus de vote pendant la session sous ce Parlement.

Étienne Gonnu : On voit qu’effectivement le calendrier est serré. Si en plus on rajoute la perspective du Brexit qui, j'imagine, va prendre beaucoup d’énergie ! Tu disais que le mieux était que les négociations aient abouti le 21 janvier. Nous on était assez contents qu’elles soient repoussées, que tout ça commence à s’écrouler. On voit bien que le timing est très serré. Pierre-Yves, peut-être ton avis sur ce point.

Pierre-Yves Beaudouin : Je suis loin d’être un expert de Strasbourg et de Bruxelles, mais on voit que ce qui compte et ce qui énerve vraiment les partisans de la directive et notamment de l’article 13, c’est la mobilisation des citoyens, des internautes, qui continue mois après mois et, en fait, depuis un an, deux années voire plus, d’élaboration du texte. On peut le percevoir avec la pétition qui a dépassé les 4,5 millions de signataires, avec sans arrêt de nouvelles plateformes, la dernière en date ce sont les youtubeurs qui ont fait des mobilisations.
C’est vraiment ça qui est le point fort ; ça a étonné tout le monde, même chez nous, Wikimedia. C’est difficile de le maintenir sur des sujets très compliqués qui changent sans arrêt : il y a trois versions du texte qui sont en cours de négociation et qui changent d’un mot, d’une virgule qui modifient tout le texte. Donc c’est très compliqué. Il faut maintenir un peu la pression parce qu’en fait l’idée du filtrage, si elle ne passe pas dans cette directive, elle peut passer aussi dans d’autres textes. Je ne sais pas si vous avez évoqué la réforme en cours pour lutter contre les contenus terroristes, il y a aussi la même idée. Donc tout un tas d’acteurs, en fait, et de politiciens veulent étendre cette idée de filtrage à tout un tas d’autres secteurs que le droit d’auteur.

Étienne Gonnu : Tout à fait. Avoir un rapport de force important est essentiel sur ce texte, mais il est essentiel globalement pour lutter contre ce genre de vision très sécuritaire, on va dire, de nos échanges. Fred ?

Frédéric Couchet : Sur le sujet évoqué par Pierre-Yves Beaudouin on peut renvoyer sur le site de La Quadrature du Net qui a publié, hier ou aujourd’hui, je crois, un nouvel article concernant cet autre projet au niveau européen.

Étienne Gonnu : Tu parlais de mobilisation. C’est vrai que là, tout de suite, c’est difficile de se mobiliser parce qu’on est encore un peu dans cette tambouille difficilement compréhensible. Mais si ces négociations finissent par aboutir, s’ils arrivent à se mettre d’accord et que le texte finit par être envoyé au vote des parlementaires c’est là où justement, ce dont tu parlais, l’importance de ces mobilisations va se faire ressentir à nouveau. Ça avait porté ses fruits en juin, ce n’est pas quelque chose qui est inatteignable.
Appeler les parlementaires, leur faire comprendre que c’est une inquiétude qui ne vient pas seulement de Google ou de Facebook, qu’il y a une vraie inquiétude populaire, que les gens se mobilisent sur ces sujets, sont sincèrement inquiets, ça c’est quelque chose qui est essentiel. Effectivement il y a eu la pétition, le site SaveYourInternet — on va vous mettre le lien également — qui était une belle plateforme, qui avait facilité ces prises de contact et qui a d’ailleurs été repris en main par EDRI qui est une association européenne de défense digital rights donc droits numériques, pour traduire littéralement, qui est aussi très active sur ce sujet. D’ailleurs je mentionne qu’ils ont publié une lettre ouverte dont l’April et Wikimedia France sont signataires pour, à nouveau, appuyer au rejet de cet article 13, rappeler l’importance des mobilisations, rappeler l’importance des critiques qui ont été formulées.
Peut-être toi, Anne-Catherine, qui travailles au Parlement européen, ils en sont où les parlementaires ? Comment ils ressentent ce texte ? Est-ce que tu as un ressenti ? Quelle lecture fais-tu d’un point de vue Parlement européen de la situation ?

Anne-Catherine Lorrain : Je peux dire que le rapporteur, monsieur Voss, est extrêmement nerveux et déçu qu’il n’y ait pas eu de sixième « trilogue ». Il espérait même que tout soit bouclé avant Noël. Il y croyait vraiment, donc il devient de plus en plus nerveux. Je suis incertaine, je ne sais pas s’il se présente pour les prochaines élections, mais en tout cas si les négociations continuent après les élections avec un nouveau parlement, le texte restera entre les mains de ce groupe politique, PDE [Parti démocrate européen], donc plutôt libéral de droite.

Étienne Gonnu : Je pense qu’on peut dire l’équivalent des Républicains au niveau du Parlement européen.

Anne-Catherine Lorrain : Voilà. S’il se représente ce serait toujours lui et si ce n’est pas lui ce sera quelqu’un du même groupe. Nous on est plutôt contents, comme je disais tout à l’heure, on vous rejoints là-dessus, on est contents que les négociations soient ralenties parce que ça prouve, eh bien voilà, la difficulté de la chose. Surtout que les négociations buttent sur cet article 13 qui est vraiment le point névralgique de toutes les difficultés engendrées par la directive qui veut, soi-disant, tout régler et faire payer Google de tous les maux qu’elle fait endurer à l’industrie de la culture, en gros. Eh bien c’est beaucoup plus compliqué que ça et la plupart des députés deviennent très nerveux. Je parle aussi d’autres groupes politiques comme les libéraux ADLE [Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe], monsieur Cavada aussi qui est leur rapporteur fictif. Oui, la plupart des gens sont inquiets.

Étienne Gonnu : On parlait d’extrémiste du droit d’auteur, je pense que tu viens d’en citer un en particulier.
Il me semble que j'ai vu que Julia Reda disait sur Twitter, de mémoire — Julia Reda est une députée du groupe des Verts et qui a fait beaucoup pour apporter de la transparence pendant le « trilogue », elle a participé à communiquer des textes — qu’elle voyait de plus en plus de collègues regretter leur vote de septembre en faveur de l’article 13. Est-ce que tu as eu des échos similaires ?

Anne-Catherine Lorrain : Oui, tout à fait.

Étienne Gonnu : Donc c’est intéressant.

Anne-Catherine Lorrain : Oui parce qu’ils voient bien justement ! Ce qui est intéressant c’est de voir comme un coup de théâtre si on veut.
Je me suis rendu compte qu’on n’a pas eu le temps de vraiment finir. On avait commencé à parler de cette lettre du secteur de l’audiovisuel qui dénonçait maintenant l’article 13, alors qu’au début c’était les premiers défenseurs de cet article, ils disaient que c’était ça qui allait permettre de régler ce qu’on appelle le value gap, ce fossé de valeur entre les grandes plateformes américaines, Google qui dégage trop d’argent du contenu culturel notamment européen, qui étaient les grands défenseurs de cette idée et là ils se rendent compte, à force de discussions, de tractations sur toutes les conditions de mise en œuvre de cet article, que finalement ce n’est pas si terrible que ça, c’est trop compliqué, c’est une usine à gaz. Il y a déjà des systèmes mis en place par le secteur audiovisuel pour reconnaître automatiquement les contenus en ligne, donc ils sont assez contents de ce qui est déjà en place, ils ne voudraient pas que tout soit chamboulé. Et ils se rendent compte très justement, ça on l’a toujours dit, que seules les grosses plateformes comme Google, qui ont déjà des systèmes Content ID de reconnaissance automatique de contenus peuvent se permettre d’appliquer cet article 13 qui oblige à mettre en œuvre des conditions drastiques et que seul Google peut mettre en œuvre.
Donc les acteurs du secteur audiovisuel avaient envoyé une lettre en décembre, dont la Motion Picture of America qui, par ailleurs, ne représente pas des intérêts vraiment européens – c’est intéressant de le voir : finalement ils préféreraient ne pas avoir d’article 13.
Donc les députés qui ont finalement voté pour cet article en septembre malgré toute la discussion qu’il y a eue, les campagnes médiatiques, les appels téléphoniques des citoyens qu’ils ont reçus, ils regrettent finalement d’avoir voté pour cet article 13. Effectivement, beaucoup d’entre eux !

Étienne Gonnu : C’est dommage que quand les citoyens appellent on parle de lobby de Google, mais je sais que ce n’est pas l’ensemble des parlementaires.

Anne-Catherine Lorrain : Oui, c'est très énervant d’entendre ça. Oui c’est un raccourci de dire que tous ceux qui contre la création sont pro-Google.

Étienne Gonnu : Ça finit par les rattraper. Un terme qui résume bien ce que tu dis, c'est cette situation un peu d’usine à gaz, et c’est vrai que du coup, quand on essaye de revenir un peu dans le fond et d’expliquer tout ça, ça peut paraître un peu confus mais le texte l’est par ailleurs. Je pense que ce qu’il faut garder en tête c’est qu’on a eu un sacré coup de pouce là, en notre faveur. Bien sûr le combat n’est pas fini mais si jamais un vote doit avoir lieu, on est vraiment dans de très bonnes dispositions pour se mobiliser et si on se mobilise on a vraiment toutes les chances d’être entendus. On a déjà été entendus une fois et ça converge ; là les situations convergent. Il semble bien que nos interlocuteurs, que les parlementaires quand il faudra les appeler, entendent bien que l’inquiétude est réelle et qu’elle vient de nombreuses voix. Je pense qu’on a toutes les chances de faire renverser cette directive et je pense que c’est surtout ça qu’il faut retenir.

Anne-Catherine Lorrain : Et l’alignement d’étoiles peut vraiment être parfait si on prend en compte les élections européennes qui arrivent.

Étienne Gonnu : Bien sûr.

Anne-Catherine Lorrain : Il y a quand même l’enjeu d’élections qui fait que l’intervention, la mobilisation citoyenne est regardée d’un œil plus attentif par les députés.

Étienne Gonnu : Le temps presse pour eux ; nous on a tout notre temps. Le temps presse pour eux, et plus le temps presse pour eux, plus c’est difficile pour eux, je pense, d’aboutir.
Je pense qu’on arrive au bout du sujet, mais vous avez peut-être un mot de fin, une dernière réflexion. Pierre-Yves ?

Pierre-Yves Beaudouin : Il ne faut pas perdre espoir. C’est un marathon qui a débuté il y a deux ans et demi et là il ne reste plus que quelques semaines : continuer à s’informer, continuer à présenter. Tous ceux qui sont opposés sont de plus en plus nombreux. On voit qu’il y a de nouveaux secteurs comme l’audiovisuel américain, le sport : il y a aussi le syndicat du foot anglais qui n’est pas un petit acteur du numérique et un petit lobby. Donc il faut mettre en avant tout ça. Si on remonte à deux ans il y avait déjà les chercheurs, les pionniers du Web ; il y a vraiment tout un tas de secteurs différents, les associations de consommateurs qui sont opposées à cet article. Donc continuez à diffuser leurs messages et on devrait gagner.

Étienne Gonnu : Anne-Catherine.

Anne-Catherine Lorrain : On a l’habitude de critiquer le Conseil puisque bon, ils sont très protecteurs des intérêts nationaux ce qui ne fait pas forcément avancer les choses du bon côté, mais là, au moment présent, on voit le Conseil qui nous offre une fenêtre d’opportunité pour réveiller un petit peu cette mobilisation autour de l’article 13.

Étienne Gonnu : C’est vrai qu’on ne pensait pas que ça viendrait d’eux, mais voilà ! Comme quoi !

Anne-Catherine Lorrain : Voilà !

Étienne Gonnu : Eh bien merci beaucoup Pierre-Yves Beaudouin pour Wikimedia France et Anne-Catherine Lorrain conseillère politique pour le groupe des Verts à la commission JURI du Parlement européen. Je pense qu’on sera sûrement amenés à reparler de ce sujet passionnant.

Anne-Catherine Lorrain : Merci.

Pierre-Yves Beaudouin : Merci.

Frédéric Couchet : Merci Anne-Catherine Lorrain conseillère au Parlement européen et qui se souvient, comme bien d’autres, de la victoire contre ACTA il y a quelques années, le traité anti-contrefaçon et, plus loin encore, la directive brevet logiciel qui avait été rejetée. Donc quand on se mobilise, quand les citoyens et citoyennes se mobilisent, on peut agir et renverser des textes si on n’arrive pas à les corriger, comme c’est le cas actuellement. Donc on espère que ce projet de directive subira le même sort.
Je remercie aussi Pierre-Yves Beaudouin président de Wikimedia France.

Nous allons passer une petite pause musicale avant d’aborder notre dernier sujet. Nous allons écouter Les files d’attente par Law', je ne sais pas comment ça se prononce, et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Les files d’attente par Law'

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur causecommune.fm. Nous venons d’écouter Les files d’attente par Law', qui est diffusé sous une licence libre Creative Commons Partage à l’identique. Vous retrouvez évidemment la référence sur le site de l’April, april.org.

Nous allons désormais passer à un nouveau sujet avec Patrick Creusot qui est bénévole à l’April et qui fait partie d’un de nos groupes de travail dont le nom code est « trad-gnu ». Le but de ce groupe de travail est de présenter l’informatique libre et la philosophie de GNU en français. Bonjour Patrick.

Patrick Creusot : Bonjour Frédéric et bonjour à tous ceux qui nous écoutent.

Frédéric Couchet : Première question c’est quoi GNU, G, N, U, je précise.

Patrick Creusot : G, N, U, donc GNU, qui se prononce « gnou ». C’est un système d’exploitation qui a une particularité : c’est un système d’exploitation libre qui a été créé par Richard Stallman en 1983, si je ne me trompe pas, qui est maintenu par une association qu’on appelle le projet GNU et qui soutenu par la Fondation du logiciel libre.

Frédéric Couchet : La Fondation pour le logiciel libre.

Patrick Creusot : La Fondation pour le logiciel libre, la Free Software Foundation.

Frédéric Couchet : Le projet GNU a été développé à partir de 1983, 84, en fait, et la Fondation pour le logiciel libre a été créée en 1985. C’est un projet qui est en cours de développement, qui vise donc à créer un système d’exploitation entièrement libre. Je renvoie les personnes qui nous écoutent à l’émission de la semaine dernière dans laquelle nous avons notamment discuté des distributions GNU/Linux qui, de nos jours, permettent d’avoir un système d’exploitation entièrement libre.

Patrick Creusot : Tout à fait. Il faut peut-être préciser la signification de GNU ?

Frédéric Couchet : Oui.

Patrick Creusot : GNU’s Not UNIX, GNU est un acronyme, évidemment, c’est un acronyme qui est un petit peu particulier puisqu’il est ce qu’on appelle…

Frédéric Couchet : C’est un acronyme récursif.

Patrick Creusot : C’est un acronyme récursif, effectivement, puisque dans la définition on a le terme GNU : GNU’s Not UNIX.

Frédéric Couchet : GNU n’est pas Unix.

Patrick Creusot : GNU n’est pas Unix. Ça permet aussi de comprendre que c’est un système d’exploitation qui est inspiré d’Unix, mais avec cette différence fondamentale que c’est un système d’exploitation libre.

Frédéric Couchet : Unix, qui est ancien système d’exploitation multitâche, multi-utilisateurs, propriétaire. Le but du projet GNU était d’en écrire une version avec les mêmes concepts, mais en logiciels libres au niveau technique.

Patrick Creusot : Tout à fait. En dehors de ce côté purement technique d’un logiciel libre, on a beaucoup insisté aussi : il y a toute une philosophie qui est autour de GNU. GNU c´est libre, pas seulement pour des questions techniques. Il y a beaucoup de gens, beaucoup de développeurs, qui estiment que rendre un code logiciel libre, ça a un intérêt surtout sur le plan technique parce que, du coup, ça permet de le faire connaître par une multitude de codeurs et donc possibilité d’améliorations. Or l’idée autour de GNU, ce n’était pas ça l’essentiel. Effectivement il y a un côté technique, un côté efficacité technique est très important, mais l’essentiel ce n’était pas ça. C’est qu’à un moment où l’informatique, que ce soit le logiciel, le software, ou le matériel, le hardware, est partout dans la vie des citoyens, il était important qu’il y ait un symbole de liberté. La liberté était plus importante que l’efficacité vu l’importance que prenait l’informatique dans la vie sociale.

Frédéric Couchet : Ce que tu précises c’est que le projet de Richard Stallman, à travers le projet GNU et la Fondation pour le logiciel libre, c’est avant tout pour lui un objectif éthique, social, de partage de la connaissance. Et là où tu fais référence aux aspects techniques, c’est plus le mouvement qu’on va appeler open source ; on en a également parlé, je crois, lors de la précédente émission, nous aurons l’occasion d’y revenir. En tout cas le projet GNU est un projet fondateur dans le mouvement du logiciel libre. Donc l’April a un groupe de travail dont l’objectif est de présenter cette philosophie du projet GNU en français. Ce groupe existe depuis quand ?

Patrick Creusot : Tu es mieux placé que moi pour répondre ! Je crois que c’est le premier groupe de travail de l’April en fin de compte.

Frédéric Couchet : Je souris parce que j’ai été évidemment à l’origine.

Patrick Creusot : Et pas moi !

Frédéric Couchet : Étant à l’origine de l’April avec quatre camarades, j’ai des informations très précises. C’est le premier groupe de travail que nous avons créé au sein de l’April en 1996, pour une bonne raison c’est qu’à l’époque on crée l’April en 1996 avec pour objectif de faire connaître le logiciel libre et on s’est dit on va écrire des textes pour faire connaître, mais on s’est dit aussi il existe un site de référence qui est le site, on va le citer, gnu.org.

Patrick Creusot : gnu.org.

Frédéric Couchet : g, n, u point org, dont la quasi-totalité des textes était disponible exclusivement en anglais. On s’est dit à l’époque qu’une première action à mener c’est de traduire les textes de l’anglais vers le français et de les proposer au site de gnu.org pour qu’ils mettent en ligne la version française de leurs textes.
Et c’est un premier contact que nous avons eu avec le projet GNU et avec Richard Stallman car, pour la petite anecdote, à l’époque nous avons envoyé un courriel aux web-masters, donc webmasters@gnu.org, et nous avons eu l’incroyable plaisir de recevoir une réponse de Richard Stallman lui-même qui nous expliquait comment on allait pouvoir faire et qui était évidemment ravi.
Donc c’est un groupe qui existe depuis 1996, qui est toujours actif et qui permet à un public francophone qui visite le site de gnu.org d’avoir accès quasiment à toutes les pages en français.

Patrick Creusot : Oui, pratiquement. L’essentiel vraiment du contenu écrit dans gnu.org est maintenant disponible en français. Ça s’est fait au cours des années. À l’heure actuelle il y a des remises à jour, il y a des mises à jour, il y a des ajouts selon les évènements, selon l’actualité, et il y a peut-être un point qui constitue l’essentiel de l’activité de notre fameux groupe « trad-gnu » qui est, en fin de compte, la traduction en français d’une lettre électronique, en fait, de la FSF, qu’on appelle le Supporter, qui est un mensuel.

Frédéric Couchet : C’est le Free Software Supporter, donc c’est la lettre d’information de la Fondation pour le logiciel libre.

Patrick Creusot : Qui sort tous les mois, en général en début de mois. Évidemment, il sort à l’origine en langue anglaise. On reçoit ce Supporter donc ce texte anglais et le groupe « trad-gnu » s’efforce de le traduire dans les meilleures conditions possibles et de le rendre disponible rapidement à des gens qui ne comprennent pas la langue anglaise.

Frédéric Couchet : De mémoire il doit y avoir 120 000 ou 130 000 inscrits à cette lettre d’information [195 000 personnes, NdT]. Je ne connais pas la répartition sur le lectorat francophone.

Patrick Creusot : Je ne voudrais pas dire de mensonge.

Frédéric Couchet : Et de mémoire aussi, la seule autre langue qui est disponible c’est l’espagnol.

Patrick Creusot : L’espagnol, tout à fait.

Frédéric Couchet : Visiblement, encore aujourd’hui, le site de GNU et de la FSF, fsf.org pour Free Software Foundation, a quand même du mal à recruter des gens pour traduire dans d’autres langues, donc on peut saluer le remarquable travail qui est fait par « trad-gnu ». Alors « trad-gnu » simplement parce que c’est traduction GNU. On appelle ça trad tiret gnu, c’est un nom de code.
Comment le groupe fonctionne à la fois pour les traductions, pour les relectures, pour la mise en ligne sur le site de gnu.org ? Et, seconde question, est-ce que vous utilisez des outils spécifiques ?

Patrick Creusot : Le mode de fonctionnement. L’essentiel de notre activité, à l’heure actuelle, est, disons, divisé en deux grandes parties. Une activité qui est très régulière, chaque début de mois, c’est la traduction du Supporter.

Frédéric Couchet : Free Software Supporter.

Patrick Creusot : Du Free Software Supporter, tout à fait, qui arrive systématiquement en début de mois, dans les premiers jours du mois. Et puis, de façon très irrégulière, dans le courant du mois il peut y avoir soit des mises à jour d’anciens textes qui avaient déjà été traduits par « trad-gnu » mais qu’il faut légèrement modifier ou, parfois, des textes tout à fait nouveaux qui arrivent suite à une conférence, une activité de popularisation de quelque nature que ce soit de Richard Stallman, ou bien liés à l’actualité.

Frédéric Couchet : Ce sont souvent des textes écrits par Richard Stallman, très souvent.

Patrick Creusot : Très souvent. Très, très souvent !

Frédéric Couchet : Est-ce que tu sais combien il y en a par mois ?

Patrick Creusot : C’est très irrégulier. Il peut y avoir trois ou quatre un mois et puis, pendant plusieurs mois, ne pas en avoir. De même qu’on peut avoir parfois des textes complètement nouveaux et parfois de simples mises à jour. Parmi les textes nouveaux je sais qu’on a eu il n’y a pas très longtemps — oui c’était un texte nouveau, ce n’était pas une mise à jour — des règles. Ce sont des textes très divers. Il y en avait un c’était des règles de conduite de débats au sein du projet GNU, sur des idées un peu basiques mais qu’il est toujours bien de rappeler, à savoir qu'on discute d’idées et pas de personnes, on peut critiquer des idées, mais on ne critique pas les personnes. Voilà ! Une espèce de protocole de comportement correct au sein des discussions. Il y a eu un texte sur les problèmes de vie privée posés par les smartphones ; les smartphones disons non libres, puisqu’on se dirige quand même vers les smartphones libres même s’ils sont assez peu répandus. Donc ce sont des textes très variés.

Frédéric Couchet : D’accord. Je renvoie les personnes qui nous écoutent à une émission passée de Libre à vous ! qui a eu beaucoup de succès, qui était consacrée justement à la téléphonie mobile et aux libertés. Vous retrouvez ça sur le site de l’April, je ne me souviens à quelle date c’était.

Patrick Creusot : Et qui est disponible en podcast.

Frédéric Couchet : Et qui est disponible, évidemment, en podcast !

Étienne Gonnu : 6 novembre de mémoire.

Frédéric Couchet : 6 novembre de mémoire. On verra si Étienne a une bonne mémoire !

Patrick Creusot : Donc tous les mois on a ce fameux Supporter ; on a une responsable de « trad-gnu » qui le reçoit.

Frédéric Couchet : C’est Thérèse Godefroy.

Patrick Creusot : Thérèse Godefroy, tout à fait, qu’on salue, je ne sais pas si elle nous écoute.

Frédéric Couchet : Elle ne souhaitait pas intervenir à la radio, c’est pour ça que c’est toi qui interviens, je te remercie.

Patrick Creusot : Elle est en liaison avec une responsable à la FSF, donc la Free Software Foundation, qui lui donne le sommaire ; en fait c’est un sommaire détaillé, le sommaire détaillé du Supporter. Tu me demandais les outils qu'on utilise ?

Frédéric Couchet : Est-ce que vous utilisez des outils en particulier ?

Patrick Creusot : Ce qui se passe c’est qu’elle le reçoit sous forme de fichier, je crois, genre HTML, et elle le met sur un pad. L’outil de travail qui va être vraiment essentiel pour le groupe, ça va être un pad.

Frédéric Couchet : C’est quoi un pad ?

Patrick Creusot : Un pad, comment est-ce qu’on peut définir ça ? C’est une sorte d’éditeur collaboratif, disons.

Frédéric Couchet : C’est une page sur un site web, sur laquelle n’importe qui peut contribuer en écrivant du texte, en corrigeant, en mettant un petit peu en forme, sans avoir besoin de se créer un compte. C’est d’une simplicité redoutable.

Patrick Creusot : Tout à fait, c’est très simple. Ça permet surtout le travail collaboratif ; on va être plusieurs à intervenir là-dessus.

Frédéric Couchet : En même temps.

Patrick Creusot : Quelqu’un qui n’a pas beaucoup de temps peut traduire, je ne sais pas, un dixième peut-être du texte, une plus grande partie s’il le peut, donc c’est très souple. Si jamais on se retrouve à plusieurs à travailler en même temps il y a, en plus, un petit module chat.

Frédéric Couchet : Pour discuter et échanger.

Patrick Creusot : Pour discuter, voire, éventuellement, si on a des avis différents sur une traduction, s’il y a un problème ; ça permet de discuter en direct.

Frédéric Couchet : D’accord. Ce point, avant la prochaine question, est important parce que ça permet de préciser qu’une personne qui souhaiterait contribuer au groupe de travail, en termes techniques, n’a pas besoin de compétences poussées. Juste simplement de pouvoir se connecter sur ce pad et contribuer. Le travail de mise en ligne sur le site de gnu.org, derrière, est effectué par la responsable du groupe de travail donc Thérèse Godefroy. Et pour le Free Software Supporter, donc la lettre d’information de la Fondation pour le logiciel libre, c’est une personne de la Fondation qui met en ligne sur le site de la Fondation.
Quelles compétences et quel temps faut-il pour participer à ce groupe ?

Patrick Creusot : Les compétences. Il s’agit de traduire quelque chose de l’anglais en français donc il faut quand même connaître un petit peu l’anglais. Ceci dit, ce n’est pas de l’anglais littéraire, il ne s’agit pas de traduire Shakespeare. Ce sont plutôt des petits articles soit d’actualité soit, éventuellement, techniques, donc ça ne demande pas une licence ou une agrégation d’anglais. Il faut un minimum de connaissances d’anglais, si possible avoir une connaissance du logiciel d’abord parce que je pense que si on ne s’intéresse pas du tout au logiciel et pas au logiciel libre en particulier, je ne vois pas très bien ce qu’on viendrait faire dans ce groupe. En plus, parfois, certains articles sont un peu techniques. Ça ne demande pas des connaissances très poussées, parce que, tout simplement, on peut faire appel à d’autre personnes ; ça m’est arrivé. Parfois, pour certains paragraphes particulièrement compliqués, eh bien on demande à quelqu’un de nous expliquer ; on dit « attendez, là on parle de telle chose. Je ne vois pas très bien de quoi il s’agit. Est-ce qu’on peut nous expliquer de façon à le rendre correctement en français ? »

Frédéric Couchet : Et une compétence possible c’est simplement la relecture en français une fois que c’est traduit de l’anglais.

Patrick Creusot : Donc il y a deux phases : il y a une phase de traduction proprement dite et une phase de relecture. Phase de traduction qui peut être faite par plusieurs personnes, on l’a dit, grâce à l’utilisation du pad. Quand tout est terminé, celui qui termine envoie en général un petit message sur la liste en disant « ça y est, la traduction est terminée. S’il y a des gens qui sont disponibles pour faire de la relecture allez-y, c’est le moment ».
Tu avais une question sur le temps, sur l’investissement en terme de temps ; c’est, du coup, extrêmement variable.

Frédéric Couchet : La contribution peut nécessiter relativement peu de temps.

Patrick Creusot : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Pour finir sur cette partie-là, sur les termes qui pourraient poser question ou autres, il faut rappeler aussi l’avantage que Richard Stallman parle très bien français donc il peut être éventuellement sollicité pour préciser sa pensée.

Patrick Creusot : Absolument.

Frédéric Couchet : Dernière question : que t’apporte personnellement le fait de contribuer à ce groupe ?

Patrick Creusot : Je suis arrivé en 2015, je crois, à l’April. J’avais expliqué un petit peu d'où je venais, mon parcours professionnel : les quinze dernières années j’ai été prof d’anglais en lycée professionnel. Comme je voulais contribuer et apporter quelque chose à l’April, je vous ai demandé dans quel secteur vous auriez une demande qui correspondrait à ce que je peux faire. C’est là qu’on m’a parlé du groupe. Donc ça a été un grand plaisir, parce que ça me permet d’avoir un certain apport, même s’il est très limité, à la promotion du logiciel libre. En plus, comme je disais tout à l’heure, un des gros intérêts c’est le travail collaboratif ; ça c’est quand même très sympa !

Frédéric Couchet : Ce n’est pas limité comme contribution, c’est une contribution très importante car tout le monde ne lit pas l’anglais couramment, donc c’est important et, en plus, ça permet pour les personnes qui contribuent, finalement, d’enrichir leurs connaissances sur cette philosophie du projet GNU, parce que quand on traduit on doit effectivement comprendre ce que l’on traduit.

Patrick Creusot : Tout à fait. Ça permet de pousser certaines choses sur lesquelles j’avais des connaissances très limitées et puis ça me permet de travailler mon anglais, en plus !

Frédéric Couchet : C’est excellent. Je précise que ce groupe de travail est ouvert à toute personne qu’elle soit membre ou pas de l’April. Sur le site de l’April, april.org, dans la page consacrée à cette émission vous retrouvez les références vers le site de ce groupe de travail et surtout le lien le plus important, le lien pour s’inscrire à la liste de discussion ; c’est la façon la plus simple de commencer : vous pouvez vous inscrire et envoyer un petit courriel. Est-ce que tu as quelque chose à ajouter Patrick ?

Patrick Creusot : Non.

Frédéric Couchet : Non ! En tout cas je te remercie. Donc c’était Patrick Creusot, bénévole à l’April et notamment membre du groupe de travail de la traduction de la philosophie GNU.

Comme vous entendez la musique qui a commencé en mode tapis, il nous reste très peu de temps. Je vais juste parler d’un dernier sujet parce qu’on parlait tout à l’heure de la mobilisation des personnes sur la directive droit d’auteur, il y a aussi, en France, des projets qui arrivent, c’est le projet de loi pour une école de la confiance dont l’examen va commencer dès ce soir à 21 heures à l’Assemblée nationale. Il y a un certain nombre d’amendements qui ont été déposés, notamment par le groupe parlementaire La France insoumise avec notamment l’un qui propose un nouvel article que je vous lis : « Les logiciels mis à disposition des élèves dans le cadre du service public de l’enseignement sont des logiciels libres. » Nul besoin de vous expliquer qu’on est plutôt en faveur de cette chose-là qui se rapproche très fort de notre notion de priorité au logiciel libre. Dans l’après-midi ou assez rapidement nous allons mettre sur le site de l’April des éléments d’information concernant ce projet de loi que vous pouvez suivre. Vous pouvez contacter des parlementaires pour les encourager à soutenir cet amendement. Il y a d’autres amendements sur la neutralité commerciale, pour renforcer la neutralité commerciale et mettre un terme aux « accords de partenariat », entre guillemets, avec des sociétés comme Microsoft, Google et autres qui sont des portes d’entrée de ces mastodontes auprès de nos élèves et écoliers.

L’émission se termine. Je remercie l’ensemble des personnes qui sont intervenues aujourd’hui : Anne-Catherine Lorrain, Étienne Gonnu, Vincent Calame, Patrick Creusot, Pierre-Yves Beaudouin. À la régie Olivier Grieco.
Le podcast sera disponible assez rapidement.
Sur le site de l’April vous avez la page avec les références citées, qui va être mise à jour juste après.
On se retrouve le 5 février 2019 à 15 h 30. Nous nous quittons en musique avec Wesh Tone de Realaze. Bonne journée.

Réglement de compte entre GAFAM, entreprises ou acteurs de pouvoir - Décryptualité du 04 février 2019

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Christian - Nolwenn - Nico - Luc

Titre : Décryptualité du 04 février 2019 - Règlement de compte entre GAFAM, s'agit-il encore d'entreprises ou doit-on les considérer comme des acteurs de pouvoir ?
Intervenants : Christian - Nolwenn - Nico - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 04 février 2019
Durée : 13 min
Écouter ou télécharger le podcast
Revue de presse pour la semaine 5 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : A colored Emoji from Phantom Open Emoji, Wikimedia Commons - Licence Creative Commons 3.0 Unported.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Apple a temporairement révoqué les certificats de Facebook et de Google, mécontent d'une application de collecte de données sur d'utilisateurs. Assiste-t-on à un conflit entre entreprises ou bien, compte tenu de l'importance financière et de l'enfermement des utilisateurs, devrait-on les considérer comme des acteurs de pouvoir ?

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 5. Salut Christian.

Christian : Salut Nico.

Nico : Salut Nolwenn.

Nolwenn : Salut Luc.

Luc : Pas de Manu cette semaine, pas de Mag non plus. C’est la semaine 5 et au sommaire, qu’est-ce qu’on a ?

Christian : Plein d’articles. ZDNet France, « Du Libre pour fêter les 50 ans des premiers humains sur la Lune », par Thierry Noisette.

Luc : C’est un article qui fait une liste de logiciels libres qui permettent d’explorer l’espace et ce genre de choses, un peu dans la thématique des 50 ans des premiers pas sur la lune.

Christian : ZDNet France, « Firefox doit-il rejoindre le navire Chrome, comme le soutient un cadre de Microsoft ? »

Luc : Microsoft a récupéré pour son navigateur le même moteur que Chrome ; ils voudraient embarquer tout le monde dans la même galère, donc la question est posée.

Christian : Le Monde.fr, « Grand débat en ligne et démocratie : l’analyse et la transparence des données en question ? », par Claire Legros.

Luc : Un article qui revient sur le grand débat fortement critiqué, qui explique à quel point ça ne fonctionne pas bien et il fait un petit tour d’horizon des moyens disponibles pour la démocratie directe.

Christian : Numerama, « Apple vs Facebook et Google : pour défendre sa doctrine, Tim Cook a-t-il raison de sortir les armes ? », par Victoria Castro.

Luc : Ça sera notre sujet du jour en partie. On ne va pas s’étendre dessus, mais en gros Apple a sorti ses gros muscles, cassé la gueule à tout le monde et ensuite ils ont discuté. On reviendra en détail dessus.

Christian : internet ACTU.net, « Des effets des outils sur nos pratiques : pourquoi les médecins détestent-ils leurs ordinateurs ? », par Claire Richard.

Nolwenn : C’est une tribune, en fait, qui est parue dans The New Yorker, si je ne me trompe pas, écrite par le journaliste et chirurgien Atul Gawande qui revient sur, justement, l’utilisation des outils informatiques dans le cadre médical, donc tout ce qui va être des outils comme ceux qu’on connaît, Doctolib par exemple, et pourquoi est-ce que n’est pas forcément une solution idéale quand on est médecin et qu’on veut s’occuper correctement de ses patients.

Christian : Le Monde.fr, « L’irrésistible ascension du lecteur vidéo "VLC", une révolution française », par Corentin Lamy.

Luc : VLC qui est le lecteur de médias qui fait tout et plus. Il vient de dépasser les quoi ? Deux milliards, c’est ça, d’utilisateurs ? Bravo !

Christian : Bravo ! Bravo ! Usbek & Rica, « Et si le monde numérique devenait vraiment "libre" ? », par Chrystèle Bazin.

Luc : Un sujet très intéressant je trouve, qui questionne le logiciel libre en disant qu’il est trop centré sur les geeks, qu’il est trop centré sur le fait que le code soit disponible et qu’au final il n’arrive pas à sortir de ce milieu-là, à emmener du monde avec lui et à construire une dynamique qui dépasse son périmètre actuel.

Christian : De vraies questions très intéressantes dans tous ces articles cette semaine à nouveau.

Luc : C’est une sélection de Manu donc forcement c’est bien !

[Grognement]

Luc : On sent que je suis hypocrite, c’est ça ?

Nolwenn : Non, mais les absents ont toujours tort.

Christian : Et donc ? Et donc ?

Luc : On voulait revenir cette semaine sur Apple, Facebook et Google, gros clash entre les GAFAM. C’est un sujet d’actualité.

Christian : Qu’est-ce qui s’est passé ?

Luc : Qu’est-ce qui s’est passé ?

Christian : Ils sont potes normalement ?

Nico : Oui, mais là pas vraiment, en fait. Facebook a un peu abusé de ses pouvoirs sur une de leurs applications qui s’est mise à espionner un peu trop les gens.

Luc : Ils n’ont pas abusé parce qu’ils ont proposé ça !

Christian : Ils donnaient de l’argent, non ?

Nico : Il y a vraiment beaucoup de scandale là-dessus et Apple n’a pas du tout apprécié les applications de Facebook qui faisaient ça, donc et ils ont tout annulé.

Luc : Les applications en question, Google a fait la même donc eux aussi ont été coupés. En gros, l’application c’est : en premier Facebook est allé voir des gens en leur disant « si vous avez entre 20 et 35 ans on vous propose 20 dollars par mois pour vous surveiller tout le temps. Donc on va installer un logiciel sur votre téléphone et on va récolter toutes vos données, etc. », vraiment une surveillance extrêmement étroite. Pourquoi Apple a réagi là-dessus ?

Nico : Parce que Apple, eux se placent comme des grands défenseurs de la vie privée des gens, donc ils n’ont pas apprécié que les données de leurs utilisateurs se retrouvent dans les griffes de Facebook. Ils ont dit : « Vous avez violé nos conditions générales d’utilisation donc on vous radie complètement » et là ils ont été plus loin. D’habitude ils aiment bien supprimer les applications et là ils ont carrément supprimé le certificat de Facebook, c’est-à-dire que Facebook n’avait plus accès du tout à l’Apple Store et donc ne pouvait plus mettre à jour, ne pouvait plus proposer de nouvelles applications.

Luc : Il y avait même des fonctions qui ne marchaient plus. C’est-à-dire que les fonctions de messagerie de Facebook ne fonctionnaient plus. Les gens ne pouvaient même plus échanger et se sont retrouvés du jour au lendemain avec des applis Facebook sur iOS qui ne marchaient plus, en tout cas qui ne permettaient plus notamment de dialoguer, toute une série d’autres choses qui ne fonctionnaient pas.

Christian : Du coup aux États-Unis, il y a beaucoup de gens qui ont un iPhone ?

Nico : Malheureusement c’est la majorité des Américains.

Luc : À peu près la moitié.

Nico : La moitié utilise des iPhones et des Apple en général.

Christian : Ça fait beaucoup !

Nico : C’est vraiment l’arme de destruction massive qu’ils ont sortie cette fois-ci.

Luc : Google a fait le même genre d’appli que Facebook, ils ont sorti ça au même moment et ils se sont également fait tacler par Apple. L’article qui parle de ça est assez intéressant parce qu’il fait un parallèle entre la guerre froide et cette situation-là. Il compare le fait de tout couper – c’est quand même bien violent de dire je te dégage de tout mon écosystème de téléphone et autre – à l’utilisation de la bombe atomique, en disant on peut l’utiliser mais pas trop. Ça n’a pas duré très longtemps, une journée, après ils ont négocié. En même temps, si on ne l’utilise pas et qu’on ne montre pas qu’on en est capable, du coup ça ne fait peur à personne.

Christian : On sait bien que c’est juste un coup de com' pour mieux négocier.

Luc : Effectivement. Sur cette question la protection des données par Apple, il y a un certain nombre de gens qui disent que Apple…

[Toux insistante de Nolwenn]

Luc : Il y a un certain nombre de gens qui disent que Apple c’est finalement le bon choix et c’est ce qu’il y a de plus raisonnable et de plus disponible pour protéger ses données.

Christian : On ne va pas re-citer le nombre d’affaires qu’il y a eues avec Apple, des affaires de censure de la part d’Apple.

Luc : Ça, ça protège ; la censure n’est pas une question de données personnelles.

Christian : Oui, c’est le droit d’expression effectivement.

Nolwenn : Ça va être, par exemple, quand le FBI avait attaqué Apple pour pouvoir déverrouiller un smartphone parce que le FBI n’arrivait pas à déverrouiller un smartphone dans le cadre d’une enquête et il avait demandé à Apple « aidez-nous à le déverrouiller » et Apple a dit « non ».

Nico : Après Apple est quand même le seul qui a un business modèle qui n’est pas fondé sur la pub et la revente des données. Ils vendent leur matériel tellement cher qu’ils n’ont pas besoin de revente de données pour être rentables. C’est vrai que la différence par rapport aux autres GAFAM c’est qu’ils n’ont aucun intérêt à l’espionnage des utilisateurs et à collecter des données par rapport à a du Google, Facebook ou autres.

Luc : Oui, mais ils n’ont pas les fesses tout à fait propres, d’une part parce qu’ils ont collaboré et ils étaient obligés de le faire avec la NSA comme tous les autres. C’est notamment suite aux déclarations de Snowden qu’ils ont pris ce positionnement en disant nous on ne vous donnera pas les données, etc.

Nico : De mémoire c’est même le premier qui soit tombé dans les filets de la NSA.

Luc : Non, je crois que c’est Microsoft qui est arrivé en accourant en disant « nous on est supers partants ». Mais en tout cas ils ont participé. Après ça il y a d’autres affaires que j’ai vues, notamment sur leurs services hébergés, où il y avait un truc qui moi me choque terriblement où les gens qui mettaient de la musique dans leur cloud personnel fourni par Apple, si leur musique était dans le format Apple tout se passait bien, si c’était un autre format, la musique était ré-encodée dans le format de compression plus dégueulasse. Ça veut dire que Apple, sciemment, et ils ont des ressources pour ça, dégradait la qualité de la musique des gens et dégageait toutes les métadonnées. Ce qui fait qu’en gros ils dégradaient la musique qui avait le malheur de ne pas être dans leur format à eux.

Nolwenn : C’est sympa pour les artistes qui font eux-mêmes leurs propres chansons et essayent de mettre ça.

Luc : Oui. Et puis c’est sympa pour toi aussi. Quand tu dis : « On est là pour protéger les données personnelles des gens », si tu commences par défoncer leur musique, je n’appelle pas ça vraiment du respect. J’avais vu aussi un autre cas qui n’est pas prouvé parce que c’était difficile à faire, d’un scénariste américain qui envoyait son scénario à des gens pour relecture, etc., par des services de messagerie de mails d’Apple et un certain nombre de mails se perdaient. Dans son scénario il y avait des mots crus, il y avait des trucs pas terribles et il dit, mais ce n’est qu’un témoignage puisque ce n’est pas prouvable, qu’il a fait des tests avec un pote journaliste à lui, qu’ils ont mis des mots clefs typiques de la pornographie dans des échanges qui n’étaient pas pornographiques et effectivement les messages n’arrivaient plus. Dès lors que l’affaire est devenue un petit peu publique, ces évènements, semble-t-il, ont cessé d’exister.

Christian : On connaît aussi les affaires précédentes de censure d’applications. Donc on voit qu’un grand système comme Apple a beaucoup de pouvoirs. Est-ce qu’il n’a pas trop de pouvoirs ?

Nico : Ça dépend de comment on le considère en fait. Le problème c'est que les gens vont le voir comme une entreprise privée qui fait ce qu'elle a envie. On ne peut pas reprocher à une entreprise d’avoir une certaine vision du monde et du coup d’orienter ses choix technologiques ou fonctionnels par rapport à ce qu’elle a envie. En l’occurrence, là, censurer tout ce qui va être pornographique ou contraire à des chartes d’éthique assez draconiennes.
Mais si on les considère comme des États ou comme des choses en tout cas équivalentes d’un État, qui commencent à toucher des milliards de personnes avec des moyens de communication qui passent obligatoirement par eux, eh bien on est plus proche d’un service public, en tout cas de quelque chose qui dépasse complètement le cadre d’une entreprise. Et là ils ont des pouvoirs qui deviennent vraiment dangereux.

Christian : On sait qu’ils ont, du point de vue financement, des milliards et des milliards de dollars, c’est l’équivalent du budget de beaucoup d’États sur la planète. On sait aussi que les chefs des GAFAM discutent directement avec les États, ils sont même reçus à Élysée ou à Versailles.

Luc : Oui. Et on l’avait évoqué il y a quelques semaines quand la CNIL a mis les 50 millions d’amende à Google récemment, le soir même l’Élysée twittait en disant Google a formé 300 000 français au numérique. À priori c’est une coïncidence puisque l’État avait reçu toute une série de grosses boîtes et donc ce n’est probablement lié, enfin, en gros, ce n’était pas un désaveu de ce que la CNIL avait fait, mais c’est quand même, d’une certaine façon, un aveu d’échec. C’est-à-dire que quand on est l’État on est censé avoir l’Éducation nationale, donc si on se dit c’est Google qui a formé 300 000 personnes, ça veut dire 300 0000 personnes qui n’ont pas été formées par l’Éducation nationale.

Christian : Belle contradiction !

Luc : Et on a l’État qui achète des licences à Microsoft Irlande avec des systèmes d’enfermement, etc.

Nico : Et ils n’ont pas le choix quand ils passent des accords avec Microsoft. Pour l’Éducation nationale, Microsoft leur a imposé de faire de l’évasion fiscale avec l'Irlande.

Christian : Et rappelons le contrat Open Bar aussi qui passe plusieurs millions de dollars en Irlande !

Luc : C’est sûr. On a effectivement des GAFAM qu’on considère comme des entreprises, mais on devrait peut-être plutôt les considérer comme des acteurs de pouvoir et des acteurs de pouvoir internationaux, qui sont différents des États parce qu’ils sont sur plein de pays différents en même temps, c’est très transversal. Ils ont des budgets très importants et il y a d’autres domaines. Il y a la fondation Melinda et Bill Gates qui donne de l’argent pour le développement, en le plaçant à droite, à gauche.

Christian : Comme beaucoup d’entreprises, de fondations sauf qu’eux…

Luc : Sauf qu’ils ont tellement d’argent qu’aujourd’hui, dans le domaine du développement, etc., eh bien ce sont eux qui donnent le pognon, donc au final les associations vont faire des politiques qui sont compatibles avec ce que veut la fondation. Donc au final, la politique de développement international devient dirigée et décidée par une fondation de la fondation de Bill Gates.

Christian : Alors ce sont des influenceurs, mais avec une dimension tellement énorme que du coup ce sont,,, ?

Luc : Pour moi ce sont des acteurs politiques. Pour moi le terme d'« influenceur » est un buzzword, je préfère plutôt l’éviter. Mais ce sont des acteurs politiques qui ont vrai poids sur la façon dont les choses se passent. Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, ça fait un bout de temps qu’on dit qu’il veut se présenter aux présidentielles des États-Unis.

Nico : Et puis on voit bien qu’il s’en fout ! Quand il est convoqué devant le Sénat ou autre, il fait son petit jeu à lui et il n’en a rien à foutre des conséquences. Il sait que d’un claquement de doigts il peut, de toute façon, changer le court des choses, donc il s’en fout et il en rigole.

Luc : Du coup à continuer à parler d’eux comme des entreprises et non pas comme des institutions de pouvoir, c’est assez dangereux. Je trouve assez symptomatique qu’en Chine, par exemple, qui est l’empire concurrent et la puissance internationale qu'on confronte aux États-Unis, ils ont leur propre réseau, ils n’ont pas laissé entrer tous ces réseaux-là parce que c’est un enjeu de pouvoir énorme. Ce qui veut dire aussi que par rapport à toutes les ambitions et tous les thèmes de régulation du numérique qui sont très à la mode ces temps-ci, ça passera très probablement par les GAFAM. De la façon dont je vois les choses, il va y avoir des sortes d’intégration des GAFAM comme une extension de systèmes de pouvoir.

Nico : De toute façon, on voit aujourd’hui que tous les systèmes régulés ancestraux on va dire, la poste, le courrier papier et autres

Luc : Le téléphone.

Nico : Le téléphone, il y a des lois aujourd’hui qui les régulent en France. Par contre aujourd’hui, tout le monde passe des systèmes qui ne font plus ceux-là ; ça va être WhatsApp, ça va être Facebook, ça va être Google+ même si c’est à mourir, du coup ils échappent complètement aux lois. Ce sont eux qui vont imposer les lois et les politiques des États vont sûrement imposer de passer par les GAFAM qui eux vont avoir les moyens de contrôle ou autre. On aura de moins en moins la possibilité d’utiliser des systèmes tiers ou les vrais systèmes qui fonctionnement hors GAFAM.

Christian : On pourrait citer comme solution alternative le logiciel libre, mais on s’aperçoit aussi que les acteurs des GAFAM s’immiscent dans le monde du Libre, disent qu’ils font de l’open source, mettent beaucoup d’argent. Donc va-t-il encore rester de la place pour de la vraie liberté ? Suspense !

Nolwenn : Quelque part, le fait de mettre de l’argent quand on a les moyens c’est aussi un moyen de contrôler la concurrence. Le fait que dans le monde du Libre souvent ce sont des gens qui sont bénévoles, qui font ça sur leur temps libre, ça peut aussi les inciter à tiens ! Voir que Microsoft est intéressé par ce qu’ils sont en train de développer, eh bien oui on va accepter un peu d’argent et, comme ça, on va pouvoir prendre plus de temps pour pouvoir le faire, voire, peut-être, démissionner de son propre travail à ce moment-là, pour pouvoir continuer et se faire plus ou moins acheter sans le vouloir.

Luc : OK. Eh bien voilà, maintenant on va aller tous pleurer sur nos sorts. On se retrouve la semaine si on a survécu.

Christian : Salut.

Nico : Salut.

Nolwenn : Salut.

Pertinence du libre face à l'informatique qui nuit au fonctionnement des hôpitaux - Décryptualité du 11 février 2019

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Christian - Manu - Luc

Titre : Décryptualité du 11 février 2019 - La pertinence du libre face à l'informatique qui nuit au fonctionnement des hôpitaux
Intervenants : Christian - Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 11 février 2019
Durée : 15 min 50
Écouter ou télécharger le podcast
Revue de presse pour la semaine 6 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Soporte Técnico Informatico. Licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.5.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

En réaction à un article de la semaine dernière où un chirurgien américain critique les effets d'une solution logiciel de gestion d'hôpital sur la pratique de la médecine1, Décryptualité évoque toute l'étendue de la nécessité de maîtriser son informatique, notamment dans un milieu professionnel.

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 6. Salut Manu.

Manu : Salut Christian.

Christian : Salut Luc.

Luc : Sommaire.

Manu : Huit jolis articles.

Christian : 24 heures, « Achats publics : L’informatique de l’État jugée pas assez écolo par les Verts », par Lise Bourgeois.

Manu : Ça parle du canton de Vaud, en Suisse, et effectivement les Verts veulent pousser à utiliser du logiciel libre encore plus et ils revendiquent que c’est une bonne informatique ; donc on aime bien, on applaudit.

Christian : Le Journal du Centre, « L’association Nevers [prononcé never par Christian, NdT] libre promeut l’informatique et les logiciels libres ? » par Gwénola Champalaune.

Luc : Never ?

Manu : Oui, c’est un jeu de mots.

Luc : D’accord.

Manu : De la ville de Nevers et effectivement ils font pas mal de choses là-bas, il y a plein de petits gars très motivés qui font la promotion du Libre. Même s’ils font des jeux de mots sur le nom de la ville ce n’est pas grave !

Luc : Excellent. Moi je suis très fan.

Christian : Developpez.com, « Microsoft rejoint le projet Openchain aux côtés de Google », par Stéphane le calme.

Manu : J’ai super hésité à le mettre parce que c’est un article plein de buzzwords, je n’ai pas bien suivi tout le truc. OpenChain c’est en gros qu’ils veulent vérifier que tous les logiciels libres utilisés dans les grosses entreprises, comme Microsoft, mais il y en a d’autres, Google, Facebook, ils sont tous dans l’OpeCchain on dirait et ils veulent garantir la chaîne de certification du Libre et s’assurer que c’est bien libre et qu’ils ont le droit de l’utiliser.

Luc : Qu’on peut utiliser différentes briques logicielles ensemble et qu’il n’y aura pas d’incompatibilité juridique.

Manu : Sur le principe c’est intéressant, mais effectivement les noms qui sont mis en avant, les GAFAM en gros, ça fait un peu peur.

Christian : Le Monde.fr, « Parcoursup : la justice enjoint à une université de publier son algorithme de tri », par Camille Stromboni.

Manu : On applaudit, là encore, parce qu’il faut ouvrir les algorithmes pour savoir ce qui se passe exactement. Parcoursup, il y a eu tout un scandale parce que c’était la sélection ou pas la sélection à l’entrée des universités. Donc avoir accès à ces algorithmes c’est utile, ça permet d’avoir une vision de ce qui se passe à l’intérieur et les algorithmes ne vont pas diriger nos vies sans qu’on le sache.

Luc : On rappelle : Parcoursup c’était le logiciel qui gérait les lycéens. En gros il allait interroger les universités, les grandes écoles, etc., ce sont elles qui donnaient une réponse et, en fait, on ne savait pas sur quel critère la réponse était donnée. Donc ça c’est la suite.

Manu : Ça s’ouvre petit à petit. Probablement que ça va prendre un peu de temps.

Christian : Developpez.com, « La France et l’Allemagne s’associent pour rendre la directive copyright plus néfaste », par Michael Guilloux.

Manu : On en a parlé, ce sont les articles 11 et 13 des évolutions du droit d’auteur qui sont en train d’être travaillées pour s’implanter en Europe.

Luc : Avec quand même cette perspective plutôt positive qu’ils vont arriver nulle part, parce que, à priori, il y a quand même un certain nombre d’autres pays européens qui ont voté contre.

Manu : Voilà ! Donc ils ne voulaient pas censurer Internet ; ils ne voulaient pas bloquer les mèmes et faire plein de saloperies. Mais la France et l’Allemagne, vraiment d’une seule voix, disent : « Si, si, si, on veut une directive droit d’auteur », et effectivement, ce qu’ils ont l’air de proposer c’est encore pire que ce qu’il y avait avant, notamment les critères sur le temps de vie d’une entreprise avant qu’elle doive implémenter les filtres obligatoires, des choses comme ça. C’est un peu ridicule et on espère que ça va se planter !

Christian : France Culture, « Vasarely : vendre aux riches pour donner aux pauvres », par Mathilde Serrell.

Manu : C’est un artiste, Vasarely, qui a fait plein de tableaux avec des ronds et des carrés.

Christian : Tout le monde les connaît.

Manu : Oui, parce qu’ils ont été réutilisés et justement, c’est pour ça qu’on en parle, c’est parce que cette réutilisation-là avait l’air d’être encouragée par l’artiste lui-même, qui appréciait qu’on reprenne son œuvre et il y a un rapport qui est fait avec le Libre et l’open source.

Luc : Et l’Art libre, puisqu’il y a des gens qui reprennent les principes du Libre dans le domaine de l’art.

Christian : Developpez.com, « GNU/Linux : après plus de 25 ans d’existence », par Coriolan.

Manu : Ça reprend un peu l’histoire, effectivement 25 années pour le noyau Linux qui a donné son nom, dans une certaine mesure, au système d’exploitation et il y a plein de choses à voir. Il y a une petite frise chronologique qui est dans l’article. Allez jeter un œil, c’est sympa.

Christian : Les Echos, « Données personnelles : Cisco rejoint Apple dans sa lutte pour une loi aux États-Unis », par Lucas Mediavilla.

Manu : Une loi et quelle loi ! Là il est question du RGPD.

Luc : Une traduction du RGPD aux États-Unis, c’est ça ?

Manu : Exactement ! Une traduction ou en tout cas une implémentation de quelque chose qui y ressemblerait. Le RGPD [Règlement européen pour la protection des données] est supposé défendre les droits à la vie privée des consommateurs et des citoyens européens. Les États-Unis n’ont pas ce genre de chose-là aujourd’hui. Et là, même des grosses boîtes comme Cisco et Apple, auraient peut-être un intérêt et pousseraient à mettre ça en place là-bas.

Luc : On en parlait la semaine dernière. Apple a fait les gros yeux à Facebook et Google ; eux sont moins intéressés aux données personnelles, ce n’est pas pour ça qu’ils les respectent. En tout cas c’est un mouvement intéressant et on va voir ce que ça donne. Sujet du jour Manu ? Tu voulais revenir sur un article de la semaine dernière.

Manu : Oui, qui m’avait paru intéressant. Ça parle d’informatique et ça prend un point de vue – c’est une synthèse qui nous a été rendue accessible par l’intermédiaire d’une traduction d’un article américain – et c’est un point de vue de l’usage de l’informatique dans le milieu médical et de la manière dont les médecins ont un peu chamboulé leur manière de travailler et pas en mieux, à l’aide ou à cause ou malgré l’outil informatique. Et c’est une évolution qu’on a l’air de constater un peu partout.

Luc : C’est un chirurgien américain qui aurait fait une tribune là-dessus, un type assez impliqué dans les questions de santé de publique, donc un type qui a quand même une dimension politique. Comment s’appelle-t-il ?

Christian : Atul Gawande et il se dit journaliste en plus d’être chirurgien.

Luc : On apprend, à la fin de l’article, qu’il est parti bosser avec Amazon et d’autres pour faire des supers solutions disruptives dans le domaine de l’informatique médicale.

Manu : Mais ça n’empêche pas qu’il a fait des trucs bien avant. On peut faire malgré tout des trucs bien. Il est aussi connu pour avoir fait tout un système qui permet de sauver des vies.

Christian : Absolument. Aujourd’hui on sait que, comme dans les avions, il y a des checklists maintenant dans les blocs opératoires. Il y a des checklists pour les opérations et il a été un des moteurs pour que ça se réalise et que ça se généralise.

Luc : Je crois que c’est surtout le contenu de la checklist parce que le principe même de la checklist n’est quand même pas tout neuf. L’article, en gros, est un sorte de témoignage de ce qu’il a pu vivre dans l’hôpital dans lequel il bossait où on leur a changé leur système informatique, il y avait déjà de l’informatique avant, pour un système qui gérait tout et qui devait, en gros, résoudre tous les problèmes, leur faciliter la vie et augmenter la productivité et qui, en fait, a plutôt freiné leur boulot.

Manu : Vraisemblablement c’est un gros logiciel qui a été mis en place par une entreprise qui est venue spécialement pour ça, qui a été spécifié, contrôlé, recetté par pas mal d’équipes, mais pas par les médecins. Les médecins se sont retrouvés ensuite à utiliser le logiciel, ça leur est tombé dessus et ils ont dû s’adapter à un logiciel qui n’avait pas été fait vraiment pour eux.

Christian : Et ça ne concerne pas que quelques médecins puisque dans ce logiciel épique il y a la moitié des Américains qui ont leurs données médicales dedans.

Luc : Manifestement ce machin est déployé dans beaucoup d’hôpitaux. Dans les chiffres qui sont avancés il y a en un que je trouve très significatif où une étude avait révélé que les professionnels de santé passaient deux heures sur le logiciel pour une heure passée avec le patient, donc effectivement c’est assez énorme !

Manu : C’est disruptif, c’est hyper disruptif pour le boulot ! Là le boulot était disrupté à fond.

Luc : Ce qui est intéressant c’est que le gars en question, Atul, c’est ça son prénom ?

Christian : Atul Gawande.

Luc : L’Atul en question lui était plutôt fan d’informatique, etc., disant on ne va pas jeter l’outil nécessairement par principe, ou en tout cas le principe de l’informatique, ce n’est pas l’idée de l’article, sans quoi effectivement ce serait un peu moins intéressant. Effectivement c’est ce problème qu’il peut y avoir et qui dépasse très largement la question de la médecine d’avoir un outil qui a vocation à tout gérer, qui va être spécifié, dont on va définir les fonctionnements, sans nécessairement prendre en compte les contraintes du terrain.

Manu : Et c’est le logiciel qui est implémenté, qui vient d’en haut en quelque sorte. On leur impose ce logiciel-là et ils n’ont pas moyen d’en sortir. C’est un logiciel propriétaire fait par des sociétés qui vont gagner de l’argent sur ses évolutions et qui vont faire payer, certainement très cher, ce genre de chose. Effectivement ce n’est pas un logiciel qui a été fait pour les médecins et pour les patients. Vraisemblablement c’est un logiciel qui a été fait par les administratifs.

Luc : Il dit que c’est quand même beaucoup pour les patients puisqu’ils sont nombreux à se connecter, à récupérer leurs données, etc., mais qu'effectivement il y a la dimension administrative qui est importante et qu’il y a énormément de données à saisir qui, dans certains cas, peuvent être utiles ; le chirurgien lui-même disait que ça l’aidait à suivre ses dossiers, mais que pour d’autres spécialités ça faisait énormément d’infos non utiles pour eux à saisir, du coup, ce sont plus des agents de saisie que des médecins, puisqu’ils y passent deux heures, et que c’est peut-être un peu problématique. Par contre ça faisait gagner beaucoup de temps à l’administratif.

Christian : La question à nouveau se pose : est-ce que l’informatique est là pour enfermer les utilisateurs ou pour être un outil de liberté et qu’ils puissent eux-mêmes progresser et partager les avancées ?

Luc : C’est un enfermement un peu différent de celui dont on parle d’habitude. On a tendance à beaucoup parler des GAFAM, de l’idée de faire du business sur les données personnelles des gens et de les enfermer parce qu’on ne veut pas qu’ils aillent ailleurs et qu’on veut capter tout leur argent. Là c’est un peu différent, c’est-à-dire que l’outil a été spécifié avec un point de vue qui est celui des administratifs, le corps médical n’a pas eu le temps ou pris le temps de se pencher là-dessus.

Manu : Ils sont trop occupés et maintenant ils ont encore moins de temps.

Luc : Donc ils ont fait un outil qui était centré sur leur propre problématique. Et comme l’outil est obligatoire, effectivement les utilisateurs se retrouvent coincés dedans. Ça reste un logiciel propriétaire donc on ne peut pas le faire évoluer.

Manu : Il a un seul fournisseur.

Luc : Voilà ! Après ça il y a même une problématique qui dépasse la question du Libre ou pas, qui est également évoquée, qui est que dès lors qu’on veut un logiciel qui fasse tout et qui couvre 100 % de nos usages, eh bien on arrive sur une usine à gaz, parce que dans la vie et dans n’importe quel travail, il y a toujours des cas particuliers, il y a des trucs qui ne tombent pas les cases, etc. Donc indépendamment du fait que les administratifs ont fait un truc où les médecins devaient saisir énormément de données, ce qui faisait gagner du temps aux autres et ça sans tenir compte des contraintes et des enjeux qu’on peut avoir sur le terrain, on a quand même cette idée qu’on est coincé avec le logiciel puisque, hiérarchiquement, on doit l’utiliser parce que tout le système marche comme ça. C’est-à-dire que si on veut faire des ordonnances, si on veut que l’hôpital puisse récupérer ses sous, etc., tout fonctionne par le logiciel donc on n’a pas d’autre choix que de le faire fonctionner. Donc ils ont pris des solutions comme embaucher des gens.

Manu : Oui. Ils ont fait venir des secrétaires, en fait, dont la seule responsabilité était de gérer l’informatique et la saisie informatique, ce qui avait le gros avantage de permettre au docteur de discuter avec son patient et pas de discuter avec l’ordinateur et éventuellement d’obtenir des informations du patient. Ils ont même l’air de faire évoluer ça. Finalement les docteurs étaient assez contents de cette mise en place-là, qui coûte plus cher, parce qu’il faut employer quelqu’un de plus.

Luc : On dit qu’il y a beaucoup d’erreurs aussi, parce que ce sont des gens qui sont en général pas chers, qui ne sont pas des spécialistes, qui ne savent pas trop de ce dont on parle.

Manu : Exactement. Saisir des médicaments, saisir des éléments en anatomie ça peut être compliqué et il était même question de délocaliser cette partie-là dans d’autres pays, l’Inde par exemple.

Luc : Il y a des services qui sont vendus.

Manu : Il y avait une chose qui était intéressante c’est que les médecins avaient envie de faire évoluer l’outil.

Luc : Comme c’est propriétaire ils n’ont pas pu, c’est le principe.

Manu : Ils sont bloqués, il n’y a qu’un seul fournisseur et le fournisseur est le seul à avoir des droits sur le code.

Luc : Même si ce n’était pas le cas, ce n’est pas dit que ce soit possible. C’est-à-dire que quand on a un logiciel qui gère tout et qu’il arrive comme une solution toute faite, c’est une montagne, enfin c’est un château fait de briques, et si on veut retirer la brique du dessous, eh bien c’est compliqué, ce sont les fondations, on ne pas tout faire et ça devient extrêmement lourd. Donc même s’ils avaient la possibilité de le faire, il n’est pas dit que ce soit faisable.

Manu : Ce n’est pas dit, mais il y avait une optique qui était quand même intéressante, c’était l'interopérabilité, c’est-à-dire le code est fermé, mais il y a parfois moyen quand c’est bien prévu, et ce n’est pas toujours le cas, de rentrer par des portes qui sont prévues pour ça. Et si ces portes sont bien mises en place ça permet, éventuellement, de mettre des étudiants informaticiens, des stagiaires ; on va leur demander de faire des prototypes, de faire des tests, de faire des évolutions d’interface et de faire évoluer l’IHM [Interaction Homme-machine] par exemple, pour que les médecins puissent mieux gérer leur logiciel, pour qu’ils aient moins à faire de répétitions. Mais ça n’avait pas l’air d’être le cas, ce n’était pas permis par le fournisseur initial.

Christian : Et l’un des grands enjeux de pouvoir quand même décentraliser vers les utilisateurs l’évolutivité des logiciels et des applis.

Luc : Il y a quelques mois la Cour des comptes, je crois, avait publié un truc sur l’usage de l’informatique dans l’administration et qui encourageait à rentrer en mode start-up, en quelque sorte, en disant ce sont les services qui doivent maîtriser l’informatique et pas simplement aller voir des fournisseurs et faire des petits projets. Donc pas des grosses usines à gaz comme Louvois2 ou d’autres machins qui coûtent des centaines de millions et qui ne fonctionnent pas.

Manu : Et qui sont des échecs !

Luc : Et il y a quand même cette idée aussi que quand on veut faire un outil qui soit adapté aux besoins, c’est par petites itérations qu’on progresse. Quand on arrive avec le monolithe, le machin où tout est prévu à l’avance, on va dire tout est pensé, etc., on a à peu près toutes les chances d’être à côté, ne serait-ce parce que d’un service à un autre les gens ne bossent jamais pareil.

Manu : Non seulement d’être à côté, mais en plus, comme tu disais, d'avoir à faire à un château fort où chaque brique est interconnectée à l’autre et où on ne peut rien bouger au risque de tout faire tomber, que tout l’édifice s’écroule ; un château de cartes !

Luc : Un autre truc que je trouve très intéressant aussi, il dit que les gens, les professionnels de santé, discutaient moins entre eux puisqu’ils étaient plus centrés sur l’ordinateur et discutaient également en fonction de la structure de ce qu’ils avaient à remplir dans les formulaires. Du coup ils n’étaient plus en train de parler de médecine et de leurs patients. De la même façon qu’on a des étudiants ou des lycéens qui ne s’intéressent pas à la matière qu’ils étudient mais à est-ce qu’ils vont avoir une bonne note. Du coup l’intérêt ce n’est pas d’apprendre, c’est d’avoir une bonne note.

Christian : Et la solution a été de rajouter des humains pour pouvoir…

Luc : Oui, mais au final pour prendre en charge le boulot pénible. Après il y a des côtés positifs qu’il peut y avoir dans l’informatique aussi.
J’avais des discussions ; j’avais lu un vieux bouquin de sociologie sur la profession médicale, qui était assez critique. J’ai un copain qui est biologiste dans un hôpital universitaire, donc d’un certain niveau, et qui avait lu le bouquin. Il était assez convaincu par le truc et il y avait notamment cette notion dans la médecine – lui était assez critique par rapport au milieu – que les médecins s’appuyaient beaucoup trop sur leur expérience personnelle : est-ce qu’ils ont déjà vu le cas ou pas ? Or, en médecine, il y a des tas de choses qui peuvent se passer, des cas qui sont rares. Il disait qu’il existe des outils informatisés, notamment, qui disent « en présence de tel et tel symptômes, les probabilités de telle maladie sont de tant, de tant, de tant «, qui sont quand même des références vachement intéressantes. Lui me disait à l’époque, ça remonte un petit peu, que les médecins avaient tendance à ne pas utiliser ce truc-là et à s’appuyer uniquement sur ce qu’ils avaient déjà vu, déjà connu. Du coup on peut imaginer aussi qu’il y ait plein de choses qui peuvent être apportées par l’informatique, mais une informatique intelligente et adaptée aux besoins et aux enjeux, plutôt que d’avoir une espèce de gros monolithe qui, en fait, est un outil de gestion et pas un outil de médecine.

Christian : Du coup il souligne le fait que l’application monolithique énorme a beaucoup de mal à s’adapter, que l’informatique en général ne s’adapte pas. Par contre que les humains, eux, s’adaptent énormément et que, du coup, il faut arriver à composer les deux éléments pour faire de bonnes solutions.

Luc : D’où l’intérêt d’avoir des petites briques et de l’interopérabilité.

Manu : Et des petits logiciels qui sont faits éventuellement par leurs utilisateurs. On connaît un médecin qui fait ça en France, qui a un logiciel qu’il met en avant et qu’il produit.

Christian : Citons-le parce que depuis – on est en quelle année ? – 20 ans, il a fait un énorme travail magnifique, le docteur Gérard Delafond qui, depuis le début des années 2000, a fait des conférences autour du Libre et puis s’est dit : moi je n’ai pas le logiciel qui va bien pour gérer mon cabinet médical, donc je vais le faire. Il est très talentueux et comme il est très talentueux, qu’il connaît ses limites et qu’il connaît son métier, eh bien il a fait appel à une entreprise avec laquelle il a continué à développer l’application MedinTux3 entre autres.

Manu : Et c’est une application en logiciel libre.

Christian : Tout à fait. Oui.

Manu : Qui est mise en avant sur des forges de développement de logiciels libres, sur l’ADULLACT4, notamment. Donc il faudrait le recommander aux États-Unis. Maintenant c’est une petite solution, j’imagine qu’eux ont une usine à gaz démesurée ; ça va être compliqué d’introduire ce genre de disruption à l’intérieur.

Luc : En cette période d’épidémies de grippes et de gastros, on va souhaiter une bonne santé à tout le monde. On se retrouve la semaine prochaine.

Manu : À la semaine prochaine.

Luc : Salut.

Christian : Salut.

Tout est faux - Décryptualité du 18 février 2019

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Christian - Manu - Luc

Titre : Décryptualité du 18 février 2019 - Tout est faux
Intervenants : Christian - Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 18 février 2019
Durée : 13 min 30
Écouter ou télécharger le podcast
Revue de presse pour la semaine 7 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : faux2, Martin Winckler quelques conseils. Licence Creative Commons Attribution 3.0 non transposé.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Métriques bidons, notoriété montée de toute pièce… et si tout sur internet était faux ?

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 7. Salut Manu.

Manu : Salut Christian.

Christian : Salut Luc.

Luc : Sommaire.

Manu : On a six jolis articles cette semaine.

Christian : Le Telegramme, « Logiciels libres. Des participants avides de connaissances ».

Manu : Ça discute de réunions de présentation d’associations qui abordent les logiciels libres, qui montrent un peu à tout le monde comment ça fonctionne. C’est plutôt sympa, il y a des install-parties notamment. Allez jeter un œil parce que c’est toujours sympa.

Christian : Partout en France ! ZDNet France, « Non, vous ne pouvez pas reprendre du code open source » par Steven J. Vaughan-Nichols.

Manu : C’est une traduction d’un article anglais qui parle d’une problématique qu’on s’était posée : est-ce qu’un auteur, un programmeur peut dire a posteriori : « Non ! Ce code source vous ne pouvez plus l’utiliser, je vous en enlève l’autorisation ». Eh bien vraisemblablement non. En tout cas ce sont les analyses qui sont mises en avant dans l’article ; c’était une problématique qui était un peu gênante.

Luc : Attention parce que c’est un article traduit, donc rien ne dit que cette analyse est valable dans notre droit.

Manu : Exactement ! À creuser, toujours.

Christian : Developpez.com, « Directive copyright : la version finale est enfin prête. L’EFF explique comment les entreprises US pourraient en profiter », par Stéphane le calme.

Manu : Ça parle des fameux articles que l’on n’aime pas, les articles 11 et 13 du droit d’auteur qui est en train de se mettre en place en ce moment. Il y a des hauts et des bas sur cette directive. On a cru qu'elle était…

Luc : On a pensé que c’était mort !

Manu : Mais non ! C’est relancé par la France et l’Allemagne qui, d’un même pas, ont décidé d’empirer le système et d’attaquer tout Internet en bloquant beaucoup de choses liées au droit d’auteur, à cause du droit d’auteur, pour le droit d’auteur. On regarde un peu ce qui se passe. Il y a plein d’articles sur le sujet, plein d’articles secondaires. Vous pouvez aller jeter un œil et on attend de voir les résultats de ce genre de délibérations.

Christian : Numerama, « UFC-Que Choisir fait condamner Google sur la collecte et l’utilisation des données personnelles », par Maxime Claudel.

Manu : Ah ! Ça ce n’est pas mal ! Les grosses entreprises se font condamner parce qu’elles font des choses pas très sympas du point de vue de la vie privée. Il y a des règles maintenant, le RGPD [Règlement général sur la protection des données] notamment, un outil fort, et on peut voir, ça ce sont des articles secondaires, que le RGPD est aussi utilisé dans d’autres pays européens pour faire bouger notamment Microsoft sur sa suite Office.

Christian : Silicon, « Open Source : Linux domine le top 5 des compétences les plus prisées », par Ariane Beky.

Manu : Ça fait plaisir. Les développeurs qui font du logiciel libre sont très appréciés en entreprise ; on en manque, on en recherche, il en faut. Donc les écoles, écoutez ; les universités, entendez : il faut former des informaticiens qui font du logiciel libre.

Christian : Developpez.com, « Un hacker lance FreedomEV, un projet open source qui apporte de nouvelles fonctionnalités aux voitures Tesla » par Bill Fassinou.

Manu : Je crois qu’on peut appeler ça un mod, un module, une modification. En gros les voitures Tesla, les voitures électriques qui embarquent tout un système d’exploitation intégré qui permet de contrôler plein de choses dans la voiture électrique, eh bien ce développeur, ce hackeur est en train de bidouiller sa voiture électrique pour y installer des nouvelles fonctionnalités, notamment des fonctionnalités liées à la vie privée. Il ne veut pas que sa voiture enregistre exactement partout où il va et notamment, il a fait des blocages qui vont permettre de contrôler ce qui se passe de ce point de vue-là. On attendra de voir ce que fait Tesla. Est-ce que Tesla va apprécier ces modifications ?

Christian : Sachant qu’il y a de plus en plus d’informatique dans les voitures aujourd’hui et que c’est de plus en plus fermé, ça serait un beau signe, une belle voie à suivre.

Luc : Pour le sujet de la semaine, moi je ne sais pas trop en fait, parce que tout est faux !

Manu : Tout est faux ! Comment ça tout est faux ? Ben alors ?

Luc : Oui. En fait mes angoisses sont parties d’un groupe, j’avais lu ça il y a quelques mois, j’avais trouvé ça assez rigolo. C’est un groupe qui s’appelle Threatin du nom…

Manu : Threatin.

Luc : Manu, c’est toi qui es anglophone.

Manu : Threatin.

Luc : Une sorte de groupe métal, de rock, tout ça, du nom du leader charismatique du groupe qui s’appelle Jered Threatin. Ce groupe c’est une histoire assez fabuleuse où le gars et sa femme ont fait, pour commencer, un album. Le type a fait l’album, avec des chansons.

Manu : Ça paraît être un bon démarrage !

Luc : Voilà, ce n’est pas mal pour commencer à faire de la musique et, dans le clip, on le voit jouer de la guitare et de la batterie. C’est un petit peu cheap, mais on voit quand même des trucs avec des noms de villes, il a tourné dans plein d’endroits, etc., il y a de la foule, il a joué devant plein de gens. Le nom de la chanson c’est quoi ? Manu, je sais que tu es fan.

Manu : Living is dying.

Luc : Voilà, donc on rigole un petit peu.

Manu : Oui, la profondeur de la parole. C’est lui qui est chanteur.

Luc : Il chante.

Christian : Il est relativement jeune quand même.

Manu : À cheveux longs, bien sûr.

Luc : Ils ont fait ça, ils ont organisé une tournée et, pour ça, ils ont fait plusieurs trucs. Ils ont commencé par faire le site web d’un faux label qui prétend exister depuis super longtemps et avoir plein de groupes qu’ils ont inventés et le leur. Ils ont inventé une fausse agence de promotion, avec un site web correspondant.

Manu : Ouais. Ça semble pas mal !

Luc : Ils ont inventé et créé le site web d’un faux tourneur, ensuite ils ont acheté des followers sur Twitter, je suppose sur Facebook, etc.

Christian : Jusque-là situation tout à fait classique.

Manu : C’est sûr que ça ne fait pas plaisir. Le groupe, il a fallu qu’il le constitue à un moment donné.

Luc : Oui. Il a embauché des musiciens en leur expliquant que ses anciens musiciens avaient tous quitté le groupe précipitamment.

Manu : Bon ! Ça arrive ! Ça s’est déjà vu.

Luc : Et il a monté une tournée, notamment en Grande-Bretagne, en allant solliciter avec tout ce bagage-là des salles de concert. En Angleterre et même dans d’autres pays d’Europe il y a plusieurs salles qui ont dit : « Ça a l’air pas mal. Il a des gens derrière lui ». Il y a des gens qui ont écouté la musique et qui ont trouvé ça suffisamment crédible pour dire « OK, c’est bon, tu vas remplir ma salle ». Lui parle de 1500 personnes quoi, donc pas des petites salles minuscules !

Christian : Ça se voit au bout d’un moment si la salle va se remplir ou pas !

Luc : Mais il a vendu les tickets ! Il a vendu je ne sais plus combien, 250, 300 tickets.

Manu : Qu’il y a achetés lui-même !

Luc : Ils les a vendus à lui-même. Il a acheté lui-même ses tickets de prévente et le jour du concert ! Ah ! Personne !

Manu : Mince !

Luc : Il avait oublié que c’est bien joli de faire illusion avec les réseaux sociaux, avec tout est faux, mais à un moment il faut que le public, si on veut qu’il vienne, il faut quand même qu’il entende la musique.

Christian : Il n’a pas été jusqu’au bout de sa démarche ; il n’a pas acheté les spectateurs !

Luc : C’est ça le problème ! Ce que je trouve complètement fou dans cette histoire, c’est que la somme de travail, la somme de pognon investi – il a quand même mis beaucoup d’argent dans le truc –, la somme de talent parce que le type il arrive quand même à faire de la musique qui arrive à convaincre quelqu’un, il arrive quand même à faire des sites web qui arrivent à convaincre des gens.

Manu : Il a réussi à recruter du monde qui était d’accord pour venir bosser avec lui.

Luc : Il les a un petit peu entubés quand même parce que quand ils sont arrivés ils ont découverts qu’ils seraient payés rien, en fait, puisque c’était 300 dollars pour la tournée ce qui n’est rien du tout et, qu’en plus de ça, ils devaient payer leur nourriture, donc ils les a quand même entubées là-dessus. Mais ce type et sa femme ont quand même du talent, ils ont réussi à faire plein de choses, mais pour monter cette espèce de ballon de baudruche qui s’est instantanément volatilisé.

Manu : Et on dirait que là tu es en train de parler d’autre chose que d’un groupe de musique. J’ai l’impression que ça pourrait s’appliquer à tellement d’autres domaines : le marketing.

Christian : Les métriques sur Internet, des choses comme ça, parce qu’ils n’ont fait qu’utiliser les moyens à leur disposition qui sont utilisés par plein d’autres domaines.

Luc : Effectivement. Le fait d’acheter des followers, le fait d’acheter des amis sur Facebook et ce genre de choses, il y a plein de gens qui le font. Il y a des groupes partout qui ont fait ça, il y a des politiciens ; tout le monde le fait !

Christian : Est-ce que tout est faux ?

Luc : Moi je pense que oui. Dans cet exemple-là tout est faux.

Manu : À mon avis, il y a des endroits où toi-même tu traînes et qui se traînent pourtant des réputations de fausseté. Je sais que Reddit1 qui est un de tes sites préférés, ils se sont montés en mettant en place plein de faux comptes et une fausse activité, initialement.

Luc : Reddit c’est une sorte de gros forum dont on parle de plus en plus et effectivement, au démarrage, c’est toi Manu qui me l’a appris…

Manu : Eh bien ce n’était que de la baudruche, ce n’était que du marketing. Les mecs ont créé une fausse activité sur leur site pour initier.

Luc : Ils faisaient comme s’il y avait des gens qui publiaient des choses pour montrer qu’il se passait quelque chose sur leur site et que c’était bien de s’inscrire.

Manu : Pour le coup ça a marché.

Luc : De fait, il se passait effectivement quelque chose sur leur site. Ils ne se sont pas contentés de dire on a un million de personnes qui ne font rien. Ils ont eu des gars qui ont fait des trucs.

Manu : Mais je crois comprendre qu’encore aujourd’hui Reddit a fait parler de lui. On a vu passer des articles.

Christian : Effectivement, il y a un article sur Developpez.com dont le titre est « Tout est faux. L’ancien PDG de Reddit confirme que les métriques du trafic internet ne sont pas réelles et explique en quoi »2. Une belle accroche !

Luc : L’auteur de l’article ?

Christian : Stéphane le calme.

Luc : Parce que là on est en train de tout lui piquer quand même, ou presque.

Christian : Oui, effectivement. Une accroche vraiment forte et, en fait, le contenu est aussi fort que l’accroche.

Manu : Donc la directrice.

Christian : La PDG dit.

Luc : Ex-PDG.

Christian : Ellen Pao dit carrément, je la cite : « C’est vrai tout est faux. De plus, les comptes d’utilisateurs mobiles sont factices. Personne n’a compris comment compter les utilisateurs mobiles déconnectés comme je l’ai appris chez Reddit. Chaque fois que quelqu’un change d’antenne cellulaire, cela ressemble à un autre utilisateur et gonfle les statistiques d’utilisateurs de l’entreprise. » C’est hallucinant !

Manu : En gros, si vous êtes en train de consulter Reddit depuis un TGV, vous allez être compté peut-être des centaines de fois, parce qu’au moment où ça bouge vous changez de cellule, eh bien Reddit vous compte comme un nouveau visiteur.

Luc : Ça c’est super intéressant quand on sait qu’il y a des tas de gens qui disent : « Aujourd’hui les gens utilisent le mobile pour aller sur Internet, l’ordinateur fixe est mort ! » Eh bien, avec ce genre d’info, on se dit que les chiffres sont peut-être complètement bidons.

Christian : Il semblerait effectivement que la plupart des statistiques fournies et utilisées reposent comme ça sur des mesures alors pas forcément trafiquées, mais mensongères, mal étayées et que les professionnels du domaine le savent parfaitement mais s’en servent quand même pour vendre, pour faire du buzz.

Luc : Ou vendre de la pub. On sait également, c’est cité dans l’article, qu’il y a des estimations qui disent qu’au moins 40 % du trafic sur Internet ce sont des bots, c’est-à-dire ce sont des ordinateurs qui communiquent, qui envoient des machins dans tous les sens. Quand on sait que, par ailleurs, une grosse partie du trafic c’est de la pub.

Manu : La grande majorité des e-mails ce sont des spams.

Christian : Et qui envoie les spams ?

Luc : Des robots !

Christian : Des robots. Donc on construit des robots pour se faire passer pour des humains et, du coup, on a des followers, on a des inscrits sur Instagram, sur Facebook. Il y a combien de comptes sur Facebook aujourd’hui ?

Luc : Je crois que c’est de l’ordre de deux milliards. On estime que la moitié sont bidons, enfin ce sont certains chiffres qui sont avancés. Mais comme la base est bidon comment on sait que le chiffre lui-même est bidon ? C’est pour ça que je dis que tout est faux.

Christian : Ici, dans l’article, il cite aussi le cas du nombre de vues de vidéos qui était faramineux, qui faisait payer très cher le visionnage des vidéos, mais qui, en fait, ne disait pas que les vidéos étaient considérées vues s’il y avait trois secondes de visionnage qui étaient effectives et non pas les trois minutes ou les dix minutes qu’il y avait derrière.

Luc : Il y avait ça et les publicités avant, puisque, pour ceux qui ont le malheur de ne pas avoir de bloqueur de publicité, quand il y a une pub sur YouTube « passer l’annonce au bout de quelques secondes ». Je crois qu’ils avaient également un peu pipeauté, en tout cas on les a accusés d’avoir pipeauté sur ce nombre de vidéos de pubs vues en entier.

Manu : Les annonceurs s’étaient plaints de Google, notamment parce que Google leur faisait payer des publicités très chères. Les annonceurs avaient découvert que le nombre de vues, le nombre de clics était faux. Je crois que ça avait été assez loin et Google avait dû repayer de l’argent.

Luc : Sur ces questions des IA, des intelligences artificielles, parce que ça c’est un des sujets super à la mode, eh bien il y a également l’inverse. Il y a tous ces trucs qui disent : « On a super une IA qui fonctionne du feu du Dieu » et en fait, derrière, on a des gens derrière des claviers et c’est vieux comme l’informatique. Il y a des années de ça j’avais discuté avec un type qui avait connu l’époque du Minitel et il me disait qu’il avait des potes qui avaient monté des minitels de rencontre et il y avait un gros barbu derrière le clavier qui disait : « Coucou, je m’appelle Pamela, je suis super chaude, etc. » Donc ça a toujours été le cas, quoi !

Christian : Donc on fait des bots pour imiter des humains et on achète des humains pour imiter des IA ! Waouh !

Luc : Dans le domaine du tout est faux, il y a également ce qu’on appelle le deepfake.

Manu : Le deepfake.

Luc : Le deepfake.

Manu : En anglais c’est le « faux profond ».

Luc : Le « faux profond », effectivement.

Manu : Non, ce n’est pas une dick pic, c’est encore autre chose.

Luc : On ne va pas en parler ce soir. Aujourd’hui on a des outils informatiques qui arrivent à faire des photos notamment de visages, il y a un site qui fait ça à la demande - on rafraîchit l’image et on a à chaque fois une nouvelle tête - et qui arrive à faire des photos, photos réalistes de visages de gens qui n’existent pas.

Manu : J’ai regardé pendant tout un moment : on ne peut pas savoir si c’est du faux ou du vrai, il faut regarder les détails pour avoir une idée.

Luc : Du coup, si on ne méfie pas, c’est foutu. Il faut vraiment se dire je sais que c’est faux, donc je vais regarder ça et ça.

Manu : Il y a des deepfakes qui mettent en scène Trump ou Obama, où on leur fait dire n’importe quoi.

Luc : Oui puisqu’on peut le faire avec de la vidéo. Aujourd’hui ça demande encore un peu de talent et beaucoup de moyens puisque ça demande beaucoup de puissance de calcul, mais on sait que dans les années à venir ça va s’améliorer à très grande vitesse. Donc si on ne peut plus se fier aux images et aux vidéos et ce genre de choses, comment fait-on ?

Manu : Où va-t-on ?

Christian : Et même le sujet d’actualité qui est le harcèlement sur Internet, c’est du fake aussi ?

Luc : Effectivement c’est un des trucs qui date de la semaine dernière. Dans le cadre du procès intenté par Denis Baupin à des médias et à ses accusatrices, Duflot a témoigné. Dans la foulée de son témoignage, elle a été victime d’une campagne de harcèlement, sur Twitter notamment, avec menaces de viol et des trucs bien dégueux. Il y a un type qui s’est penché sur la question, je ne connais pas son nom malheureusement, et qui a commencé à analyser tout ça. En fait, il s’avère que, selon son travail, c’est toujours le même message donc manifestement c’était fait automatiquement et les comptes sont des comptes achetés. Donc ça veut dire qu’il y a quelqu’un, quelque part, qui a mis des sous sur la table pour faire une campagne de harcèlement de Cécile Duflot sur des bases où ce ne sont même pas des vrais gens qui la détestent.

Christian : Tout le monde est gentil sur Internet alors ?

Luc : Si ça se trouve oui !

Manu : Il n’y a pas de haine, il n’y a pas d’entourloupe, ce n’est que des gens sympathiques partout, partout.

Christian : Même les harceleurs sont faux sur Internet !

Luc : Peut-être !

Manu : Oui, parce qu’au final on ne sait pas ! On ne peut pas savoir exactement.

Luc : Je pense qu’il y a quand même, malheureusement, une constante de l’humanité, quand même un bon paquet de connards.

Christian : Mais alors Luc, si tout est faux, toi aussi tu es faux ? Nous aussi nous sommes faux ?

Luc : Eh bien oui, je pense que tu as mis le doigt dessus. Maintenant que le pot aux roses est découvert nous allons disparaître et nous vaporiser. Nous reviendrons la semaine prochaine avec une illusion plus convaincante. Salut.

Christian : Salut.

Manu : À la semaine prochaine.

Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 12 février 2019

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Frédéric Couchet

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 12 février 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Roberto Di Cosmo, Software Heritage - Jean-François Clair, SNES - Jean-Christophe Becquet, April - Frédéric Couchet, April
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 12 février 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web, connectez-vous sur le site de la radio, cliquez sur « chat » et rejoignez-nous sur le salon web.
Nous sommes mardi 12 février 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je m’appelle Frédéric Couchet, je suis le délégué général de l’April.
Le site web de l’April est april.org, a, p, r, i, l point org et vous y trouvez déjà une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission. Vous pouvez également nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Je vous souhaite une excellente écoute.

Nous allons passer maintenant au programme de cette émission.
Nous allons commencer dans quelques secondes par une chronique de Jean-Christophe Becquet, président de l’April, intitulée « Pépites libres ». Normalement Jean-Christophe est avec nous au téléphone, bonjour Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour Fred. Bonjour à tous.

Frédéric Couchet : On se retrouve d’ici quelques secondes.
D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur le projet Software Heritage avec Roberto Di Cosmo qui est avec nous en studio. Bonjour Roberto.

Roberto Di Cosmo : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Et en fin d’émission, nous parlerons du projet de loi pour une école de la confiance et des amendements proposant d’inscrire dans la loi la priorité au logiciel libre dans l’Éducation.

Je salue à la réalisation de l’émission, pour sa première, notre camarade Patrick Creusot sous la surveillance et l’aide d’Étienne Gonnu, de Charlotte Boulanger et d’une autre personne dont je ne connais pas le prénom, j’en suis désolé.

Tout de suite nous allons passer au premier sujet avec la seconde édition de la chronique de Jean-Christophe Becquet, président de l’April, chronique qui s’appelle « Pépites Libres ». Dans cette chronique, Jean-Christophe nous présente une ressource sous une licence libre – texte, image, vidéo ou base de données – sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile et les auteurs de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public.
La chronique du jour, Jean-Christophe, porte sur le dessin animé de Nina Paley, Copier n’est pas voler.

Jean-Christophe Becquet : Oui. Dans ma chronique du mois de janvier je vous invitais à découvrir la conférence Un Faible Degré d’Originalité d’Antoine Defoort dont la vidéo est disponible sous licence libre. Parmi ses sources d’inspiration j’évoquais Nina Paley et c’est sur elle que j’aimerais revenir aujourd’hui.
Nina Paley est une artiste américaine auteur de bandes dessinées et de dessins animés.
J’ai donc choisi de vous parler d’un dessin animé de Nina Paley Copier n’est pas voler ou Copying Is Not Theft en anglais. Il s’agit d’une vidéo très courte, elle dure à peine une minute. De manière ludique et en chansons, Nina Paley dénonce l’amalgame entre le vol et la copie.
En effet, le vol concerne des objets matériels alors que la copie s’applique aux idées et aux œuvres de l’esprit qui, elles, sont intangibles et immatérielles. Et c’est cette escroquerie intellectuelle que dénoncent les petits personnages de Nina Paley.
Dans le code pénal français, le vol est défini comme la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ; c’est l’article 321.1. Donc le vol est une soustraction, c’est-à-dire qu’il prive sa victime de l’objet dérobé, alors que pour la copie c’est complètement différent : copier c’est multiplier. Je sais que le logiciel libre préserve vos libertés et je vous le dis. Alors nous sommes plusieurs à le savoir sans que je sois privé de ma connaissance initiale. On voit bien qu’il n’y a pas soustraction ! Les idées que je partage à travers cette chronique sont multipliées par le nombre d’auditeurs. En faisant le choix d’une licence libre pour ses émissions, Cause Commune encourage cette multiplication.

Les héros du dessin animé de Nina Paley s’amusent à comparer le vol et la copie d’un vélo. En effet, dans leur monde immatériel, il est possible très facilement de faire des copies : un simple coup de crayon, deux clics de souris, et chacun peut enfourcher une copie du vélo. Ils échappent à ce qu’on appelle la rivalité des biens matériels, c’est-à-dire le fait que chacun prenne une copie d’un objet nécessite une quantité importante de ressources et d’énergie.
À l’inverse, depuis l’avènement d’Internet, la copie est grandement facilitée et son coût est devenu marginal. C’est un problème pour les défenseurs de l’ancien système basé sur des rentes indexées sur le nombre de copies. C’est une formidable opportunité pour l’humanité. De plus en plus d’auteurs choisissent de partager leur travail sous licence libre.
Aujourd’hui j’ai envie de dire : copions et multiplions toutes ces pépites libres !

Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe. Donc ce dessin animé de Nina Paley dure à peu près une minute. Les références sont sur le site de l’April avec la version originale qui est en anglais, une version française ; il y aussi un lien vers des versions modifiées parce que dès le départ, Nina Paley qui a diffusé ce dessin animé sous licence, de mémoire, CC BY SA, Creative Commons Partage à l’identique, a encouragé les personnes à faire des modifications, à mettre leurs propres musiques. Donc il y a un certain nombre de versions modifiées avec des musiques assez sympas.
Ces petits personnages rappelleront les cartoons qu’on connaît avec notamment les petits personnages qui ont quatre doigts au lieu de cinq doigts. Ce dessin animé date de quelle époque ? Est-ce que tu te souviens ?

Jean-Christophe Becquet : C’est relativement ancien, en fait, ça date de 2010.Ça a dix ans et effectivement, comme tu l’as dit, parce que Nina Paley a choisi une licence libre, ce dessin animé a fait l’objet d’un grand nombre de reprises, d’adaptations, de traductions d’abord. On le trouve dans un grand nombre de langues. On a mis le lien vers la version française, mais il y aussi des versions en espagnol, en allemand. Il y a des adaptations avec d’autres styles de musique et on peut aussi télécharger les paroles, la partition. L’intérêt de la démarche de Nina Paley c’est que toutes les briques de sa création sont libres et qu’elle encourage effectivement la création et la réutilisation. Du coup, en dix ans d’ancienneté de cette vidéo, il y en a eu un grand nombre.

Frédéric Couchet : Et ce n’est pas la première animation que Nina Paley a libérée parce qu’en 2006 ou 2008, peut-être, elle avait distribué un dessin animé beaucoup plus long, son animation Sita Sings the Blues sous licence Creative Commons Partage à l’identique et, en plus, elle avait explicitement interdit la pause de verrous numériques, les DRM qu’on a déjà évoqués dans une précédente émission. Donc Nina Paley est une personne qui milite vraiment, on va dire depuis 2008-2010 au moins, pour un mouvement de ce qu’on peut appeler la culture libre. Sur son site ninapaley.com on peut retrouver ses différentes productions en plus, effectivement, de ce dessin animé Copier n’est pas voler dont tu nous as parlé. Quel est le lien avec le logiciel libre ?

Jean-Christophe Becquet : En fait c’est que ces licences libres qui sont aujourd’hui utilisées pour les œuvres de Nina Paley, donc les licences Creative Commons, sont les héritières des licences du logiciel libre. C’est-à-dire que le Libre est né avec le logiciel libre, Richard Stallman en 1984 et, en fait, avec le temps, d’autres personnes ont eu envie de libérer d’autres ressources que des logiciels et se sont mises à réfléchir à des licences adaptées à des ressources non-logicielles. Donc ça a donné la licence Art libre, par exemple, qu’on utilise à l’April, les licences Creative Commons dont certaines sont considérées comme libres et d’autres licences qui s’inspirent des libertés du logiciel libre, mais pour les transposer à d’autres œuvres comme des textes, des images, des livres ou des films et dessins animés dans le cas de Nina Paley.

Frédéric Couchet : Et le principe de non-rivalité que tu as expliqué et qui est explicité dans cette vidéo est évidemment valable pour toute œuvre de l’esprit qui est une ressource non exclusive et non rivale, c’est-à-dire que tout le monde a un libre accès à cette ressource, non exclusif, et il n’est pas possible d’exclure quelqu’un de l’usage d’une telle ressource sauf, évidemment, à recourir soit à des principes juridiques, soit à des principes techniques comme les mesures techniques qui, des fois, enfin souvent, sont également protégées par des principes juridiques.

Jean-Christophe Becquet : Oui. Tout à fait. C’est ce que j’ai appelé les tenants de l’ancien système qui, eux, utilisent des verrous juridiques et techniques pour lutter contre cette facilité de copie des ressources qui pose bien des problèmes à leur modèle économique archaïque.

Frédéric Couchet : Exactement. Et pour finir, je te laisserai le mot de conclusion, ça explique aussi pourquoi nous refusons le terme de « propriété intellectuelle », pour deux raisons principales. Déjà le terme « propriété intellectuelle » laisserait supposer qu’on peut, en fait, réfléchir aux œuvres de l’esprit comme on peut réfléchir à des objets matériels alors que ce n’est pas le cas, ce n’est pas la même propriété notamment ce que tu as expliqué, la non-rivalité. Et deuxième chose, c’est que le terme de « propriété intellectuelle » dans le droit englobe des domaines très différents qui vont du droit d’auteur aux brevets et à plein d’autres choses qui sont très différentes dans leurs principes. C’est pour ça que nous on préfère parler spécifiquement d’un droit particulier, par exemple le droit d’auteur et que, dans son ensemble, le terme « propriété intellectuelle » ne doit pas être utilisé parce qu’il pousse à réfléchir sur les œuvres de l’esprit comme on réfléchirait sur des œuvres matérielles.
Est-ce que tu as une phrase de conclusion ? Est-ce que tu veux rajouter quelque chose cher Jean-Christophe ?

Jean-Christophe Becquet : Oui. Juste dire que Nina Paley a fait, comme tu l’as dit, d’autres dessins animés, notamment un autre dessin animé de sensibilisation au Libre qui montre à quel point toute œuvre créée s’inspire des œuvres existantes. Je vous invite à découvrir ça et puis, dans l’attente, eh bien je me mets en recherche d’une nouvelle ressource libre pour la chronique « Pépites libres » du mois prochain. Un grand merci et bonne écoute pour la suite de l’émission.

Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe et on se retrouve le mois prochain.

Nous allons passer par une petite pause musicale qui va être relativement courte vu qu’elle dure 59 secondes. Évidemment, c’est la bande son du dessin animé de Nina Paley Copier n’est pas voler.

Pause musicale : Copier n’est pas voler, bande son du dessin animé de Nina Paley.

Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur Cause commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. Nous venons d’écouter la bande son du dessin animé de Nina Paley Copier n’est pas voler dont les références sont sur le site de l’April, april.org, vous avez une page qui est consacrée à l’émission.

Nous allons passer à notre sujet principal avec notre invité du jour et c’est un grand plaisir de recevoir Roberto Di Cosmo pour parler de l’initiative Software Heritage, archive mondiale du logiciel. Donc rebonjour Roberto.

Roberto Di Cosmo : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Roberto tu es italien, installé en France, professeur d'informatique ; tu es un libriste depuis très longtemps.

Roberto Di Cosmo : Depuis plus de 20 ans.

Frédéric Couchet : Je pense qu’on se connaît depuis une petite vingtaine d’années. Tu as été rendu célèbre notamment par un pamphlet en 1998 qui s’appelle Piège dans le cyberespace et ensuite par un livre coécrit avec Dominique Nora la même année, donc 1998, qui s’appelait Le hold-up planétaire : la face cachée de Microsoft, sur les problèmes posés par le monopole de Microsoft et aussi ses méthodes pour contrer toute concurrence et, en premier, le logiciel libre.
Depuis septembre 2010 tu es directeur du laboratoire IRILL, Initiative pour la Recherche et l’Innovation sur le Logiciel Libre et, depuis septembre 2016, tu es détaché auprès de l’Inria, l’Institut national de recherche en informatique et en automatique, et tu es directeur de l’initiative Software Heritage depuis 2016.

Roberto Di Cosmo : Oui. Tout à fait.

Frédéric Couchet : Est-ce que cette présentation te paraît correcte ou est-ce que tu veux ajouter quelque chose ?

Roberto Di Cosmo : On pourrait ajuster quelque petite chose par ci ou par là…

Frédéric Couchet : Ajuste !

Roberto Di Cosmo : Mais globalement on y est.

Frédéric Couchet : D’accord. Avant de te laisser la parole et avant d’échanger sur le projet Software Heritage, en préparant l’émission évidemment je me suis renseigné et j’ai trouvé qu’en fait, le plus simple, c’était de prendre des extraits de l’annonce officielle de l’Inria en 2016 qui annonce « Software Heritage, archive mondiale du logiciel ». Annoncée le jeudi 30 juin 2016 l’ouverture au public du projet Software Heritage : « Ce projet a pour objectif de collecter, organiser, préserver et rendre accessible à tous et à toutes le code source de tous les logiciels disponibles. Un enjeu de portée mondiale. » Antoine Petit, PDG de l’Inria, précise : « Les logiciels sont aujourd’hui au cœur de toutes les activités humaines, de la médecine aux loisirs, des communications à l’agriculture. » Je poursuis la présentation du communiqué de l’Inria : « En construisant une archive universelle et pérenne du logiciel, Software Heritage vise à mettre en place une infrastructure essentielle au service de la société, de la science et de l’industrie. Software Heritage vise à construire à la fois une moderne bibliothèque d’Alexandrie du logiciel, le référentiel unique du code source et un grand instrument de recherche pour l’informatique. Le projet va permettre de préserver et diffuser la connaissance aujourd’hui encodée dans le logiciel et augmentera notre capacité d’accéder à l’ensemble de l’information numérique. La base s’appuiera notamment sur une infrastructure distribuée — on y reviendra — de manière à garantir la robustesse et la disponibilité des données. » Lors de l’annonce, deux premiers partenaires internationaux s’étaient déjà engagés à soutenir le projet et l’aider à grandir, Microsoft, dont on vient de parler, ainsi qu’une institution publique au service de la recherche scientifique, le DANS de la Royale Académie des Pays-Bas.

Roberto Di Cosmo : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Une fois cette introduction faite, j’ai envie de te poser la première question pour entrer un peu dans les détails, quels problèmes cherche à résoudre l’initiative Software Heritage lancée en 2016 par l’Inria ?

Roberto Di Cosmo : Tout d’abord merci de m’avoir invité, c’est vraiment un plaisir de passer échanger un peu sur ce sujet, de prendre un peu de temps, un peu de calme. Comme tu sais, Fred, ça fait longtemps qu’on s’occupe de logiciels, de logiciels libres, de codes, d’informatique en général donc on a vu pas mal d’évolutions de notre société. Aujourd’hui on est tous d’accord que le logiciel est quelque chose d’essentiel. Par contre, il faut dire que les personnes qui ne sont pas très techniques donc qui ont plutôt l’habitude de voir les logiciels juste comme des outils : tu prends ton téléphone, tu appuies sur une icône, ça lance une petite application, ça fait quelque chose ; on peut envoyer des bisous à quelqu’un qu’on aime, on peut acheter quelque chose, on peut regarder une vidéo, c’est très bien. Par contre, on a tendance à ne pas savoir, à oublier que derrière ces logiciels qui sont exécutables, qu’on utilise comme des outils, en vérité il y a tout un travail humain de conception super important. Ces logiciels ne tombent pas du ciel, ils sont écrits, c’est vraiment le terme qu’on utilise quand on développe – les développeurs écrivent du logiciel –, on les écrit dans des langages de programmation en produisant ce qu’on appelle le code source. C’est le code source du logiciel qui contient vraiment la connaissance qui est nécessaire pour faire fonctionner ce logiciel-là.

Frédéric Couchet : Tu peux expliquer peut-être juste ce qu’est le code source aux personnes qui nous écoutent.

Roberto Di Cosmo : On peut prendre l’analogie habituelle qu’utilise aussi Richard [Stallman] à un moment donné, l’histoire de la recette de cuisine. Par exemple vous avez un gâteau que vous aimez beaucoup, ça c’est un peu l’exécutable, vous coupez des tranches et vous mangez, c’est super. Par contre, s’il faut le refaire, c’est un peu compliqué si on ne vous a pas expliqué comment on l’a fait. En général on s’échange des recettes de cuisine dans lesquelles on dit dans quel ordre on a mis quel ingrédient, pendant combien de temps, etc. C’est un peu la même idée. Dans la musique aussi : vous pouvez écouter de la musique qui est fantastique mais pour refaire cette musique-là normalement on a besoin d’une partition et ce n’est pas facile de reconstruire la partition juste en écoutant la musique telle qu’elle est.
Il faut savoir que dans le cas des logiciels c’est un peu la même histoire, sauf que c’est énormément plus compliqué. À partir d’un binaire – un binaire c’est ce qu’on utilise pour les exécutables, les applications qu’on voit – reconstruire ce qu’on appelle le code source qui est la représentation du logiciel, qui est préféré pour un développeur pour le modifier, c’est vraiment la définition formelle, c’est énormément difficile en partie aussi parce que, très souvent, dans ce logiciel on a plein de commentaires ou d’annotations qui sont faites pour les êtres humains, pour les relire, et qui disparaissent.

Frédéric Couchet : Qui sont supprimés dans la phase de cuisson, quelque part.

Roberto Di Cosmo : Voilà ! Dans la phase de cuisson ça disparaît, on ne les retrouve pas dans l’exécutable qui tourne sur la machine donc on a complètement perdu de l’information.
C’était un peu le préalable. Effectivement on parle souvent de logiciels, mais on oublie que ces logiciels sont fabriqués à travers une forme qui est ce code source, qui est vraiment précieuse, qui est une forme d’écriture nouvelle, technique, une sorte de littérature technique du 21e siècle qu’on est en train de mettre en place.

Frédéric Couchet : Ça ressemble quand même à un langage quelque part naturel parce qu’il y a une grammaire, il y a un vocabulaire et en fait, n’importe quelle personne, y passant du temps, peut apprendre à écrire du code ou à le comprendre.

Roberto Di Cosmo : Absolument. Tu fais très bien de le dire. Il ne faut pas non plus se sentir rebuté par le code source. C’est la même chose que dans la littérature. On utilise tous le français, moi avec un peu d’accent, mais normalement on utilise tous la langue française. Pourtant il y a des textes qui sont très faciles à lire, il y a des textes qui sont beaucoup plus compliqués donc il faut passer du temps pour comprendre ce que ça veut dire.
Dans le cas des programmes c’est un peu similaire : il y a des programmes qui sont très simples à aborder et des programmes qui sont plus complexes, qui nécessitent plus de temps pour comprendre des notions plus avancées. C’est quand même à la portée, pas de tout le monde, mais en y mettant un peu d’énergie on arrive à comprendre ce qui se passe derrière. Et c’est vraiment une production humaine.

Frédéric Couchet : Donc ce premier point et je te laisse continuer, c’est l’importance du code source quand on parle de logiciels et donc ça sera l’un des points central de Software Heritage. Je te laisse poursuivre.

Roberto Di Cosmo : Absolument. Les auditeurs ne peuvent pas le voir, mais moi j’ai un peu la barbe blanche, je commence à avoir un certain âge, n’empêche que comme informaticien je pense toujours au futur, on est toujours projeté vers le futur, on a du mal à se confronter avec l’idée de perdre, de disparition, de mort, d’échec, de perte d’informations. Donc on ne réfléchit pas trop, on est toujours dans la dynamique de construire des choses nouvelles, mais après, si on se pose un instant, on se rend compte qu’il y a énormément de cette connaissance, énormément de logiciels qu’on a construits, de codes sources qu’on a écrits qui sont en réalité en danger ; personne ne s’occupe vraiment de les préserver, de les protéger, de les indexer, de les rendre facilement disponibles. Il y a énormément d’initiatives pour archiver des informations numériques, par exemple l’Internet Archive qui est une initiative magnifique.

Frédéric Couchet : C’est archive.org ou archive.org.

Roberto Di Cosmo : C’est parti il y a plus de 20 ans cette archive. Elle archive le Web, les pages web qu’on connaît. Il y a d’autres initiatives qui essaient d’archiver des vidéos, qui essaient même d’archiver des exécutables de logiciels, Internet Archive fait ça aussi, un peu. Donc on archive tout ce que vous voulez dans le monde numérique sauf, et c’était ça qui était surprenant, le point de départ du projet, sauf le code source qui est quand même la brique fondamentale de la révolution numérique dans laquelle on vit aujourd’hui. C’était étonnant ! Quand on s’est aperçu de ça et d’ailleurs on s’en est aperçu de façon un peu…

Frédéric Couchet : En fait, peut-être que les gens pensaient que comme le code source était dupliqué sur plein de machines qu’il ne pourrait jamais disparaître. Peut-être que les gens pensaient ça !

Roberto Di Cosmo : Tu sais, le même argument on peut le faire pour la vidéo, pour les images, etc. Pourquoi les archiver si elles sont bien dupliquées sur l’ordinateur de quelqu’un ?

Frédéric Couchet : Oui, tout à fait.

Roberto Di Cosmo : On a tendance à confondre plusieurs activités qui sont très importantes. D’ailleurs j’ouvre une petite parenthèse mais qui est importante en termes de terminologique : quand on développe du logiciel, souvent aujourd’hui quand on fait du logiciel libre on travaille de façon collaborative, en réalité on a besoin d’infrastructures qui font trois choses différentes.
Il y a un premier type d’infrastructures qui sont ce qu’on appelle souvent les forges logicielles. Ce sont des endroits dans lesquels une communauté de développeurs travaille de façon collaborative pour mettre au point un logiciel ou le faire évoluer. On travaille ensemble, on commente, on décide, on trouve les erreurs, on les corrige, etc. C’est très dynamique. Ça ce sont les plateformes de développement.
À un certain moment on peut dire : tiens, cette version-là du logiciel est quand même la version stable, celle qu’on veut vraiment distribuer, que tout le monde puisse la réutiliser facilement, etc. À ce moment-là on a envie de le diffuser, de le partager, de le rendre plus facilement accessible à tout le monde et là on passe dans une deuxième catégorie de plateformes qui sont normalement des plateformes de distribution.
Et après il y a un troisième type de plateformes qui n’existent pas, qui sont des plateformes d’archivage. C’est quoi une archive ? C’est un endroit dans lequel quand on a versé un objet dedans, on a déposé un objet dedans, on repasse six mois, deux ans, trois ans, dix ans, cent ans après, si on est tous vivants, et on retrouve le même objet.
Ce sont trois missions très différentes.

Frédéric Couchet : Je vais juste préciser par rapport aux personnes qui écoutent régulièrement l’émission qu’on a parlé des distributions GNU/Linux il y a une semaine ou quinze jours, je ne sais plus, notamment avec Nicolas Dandrimont qui travaille avec toi sur Software Heritage et qu’on a parlé plusieurs fois des forges logicielles, alors pas d’un point de vue technique, mais on en a parlé dans le cadre du projet de directive européenne sur le droit d’auteur qui peut mettre justement en danger ces forges logicielles. Vous retrouvez ces références sur le site de l’April, podcast et transcriptions. Je te laisse poursuivre Roberto.

Roberto Di Cosmo : Parfait, merci.
Donc là, finalement ce qui manquait dans le panorama, c’était une plateforme qui fasse vraiment l’archivage de ces logiciels. Donc c’était vraiment quelque chose qui manquait et, en regardant un peu plus, on s’était rendu compte qu’effectivement il y a plein de logiciels, il y a plein de codes sources de logiciels qui sont disponibles ; cela dit, on n’a pas un vrai catalogue. Ils sont éparpillés sur plein de ces autres plateformes, soit sur les plateformes de développement, soit sur les plateformes de distribution, on ne sait pas où chercher. Donc la meilleure approche, en général, c’est un moteur de recherche, demander à un copain à la machine à café : où est-ce que je trouve telle librairie, telle bibliothèque pour faire telle application. Finalement on a découvert qu’il n’y avait pas d’archive.
Fred, par exemple quand on a commencé ça, parce que tu as bien fait de mentionner le 30 juin 2016, c’est le moment où on a annoncé le projet de façon publique…

Frédéric Couchet : Mais le projet avait commencé avant.

Roberto Di Cosmo : Le projet avait commencé bien avant !

Frédéric Couchet : Quand ça ?

Roberto Di Cosmo : Les premières idées ont commencé à circuler dans l’été 2014.

Frédéric Couchet : Donc deux ans avant en fait.

Roberto Di Cosmo : Deux ans avant.

Frédéric Couchet : Quand il y a l’annonce de l’Inria vous avez déjà commencé à travailler depuis deux ans, vous avez déjà commencé à archiver des logiciels. Tu te souviens au moment de l’annonce de l’Inria combien il y en avait déjà ?

Roberto Di Cosmo : Je pense qu’on avait déjà archivé peut-être un milliard de fichiers sources différents.

Frédéric Couchet : Un milliard de fichiers sources. D’accord !

Roberto Di Cosmo : Ce qui est quand même remarquable ; ce sont des fichiers sources tous différents, uniques. Il faut savoir que justement dans cette période pendant laquelle on était en mode un peu sous-marin, parce qu'on ne voulait pas… Je déteste vendre du slideware, vendre de la fumée.

Frédéric Couchet : Du slideware. En français on traduit ça comment ?

Roberto Di Cosmo : Je ne sais pas comment traduire ça.

Frédéric Couchet : C’est-à-dire uniquement des diaporamas avec des listes à points.

Roberto Di Cosmo : Des diaporamas avec quelques idées et après on ne sait pas comment c’est fait. Je préfère arriver avec un prototype, montrer des choses qui fonctionnent. On avait mis en place une petite équipe, commencé à construire un premier prototype pour donner de la crédibilité à ce qu’on faisait. C’était une démarche pas évidente. Mais tu vois, dans cette période-là où on était en souterrain, c’est-à-dire entre 2014 et 2016, il y a eu deux événements qui ont montré clairement pourquoi c’était important d’avoir une archive. Parce que, comme tu dis, plein de gens se disent pourquoi faire une archive ? Après tout il y a plein de copies à droite, à gauche, il n’y a pas de problème.

Frédéric Couchet : Eh bien oui, c’est sur Internet !

Roberto Di Cosmo : C’est sur Internet, on le trouve, etc. Il faut savoir qu’au mois de mars 2015, c’est assez intéressant, il y avait deux plateformes de développement très populaires à l’époque, une qui s’appelait Gitorious et l’autre qui était Google Code, pas exactement la même quantité d’argent derrière, les deux étaient très populaires. Sur Gitorious il y avait à peu près 120 000 projets de développement logiciel, sur Google Code il y en avait un million et demi. Au mois de mars 2015, il y a deux annonces : d’un côté l’annonce de Gitorious qui se fait racheter par une autre entreprise qui est GitLab. Comme il y a ce rachat-là, ils décident de fermer l’ancienne forge Gitorious, ils ne font pas de transfert de données, ils ont juste donné une annonce.

Frédéric Couchet : Ils ferment sans laisser accès, c’est ça ?

Roberto Di Cosmo : Ils ferment sans laisser l’accès et ils disent tout simplement aux gens : « Écoutez on ne va quand même pas maintenir deux plateformes ; vous avez trois semaines pour tout transférer et après on ferme. » Alors ça a duré un peu plus de trois semaines, heureusement, parce que les gens ont un peu protesté, mais vous voyez un peu le topo. Maintenant effectivement c’est fermé. Si vous allez regarder là-dedans il n’y a plus rien et, en parallèle, Google avait annoncé que bon, bref ! Il y avait d’autres solutions, que Google Code n’était plus forcément justifié à maintenir. Ça c’est leur décision, c’est leur droit de faire ce qu’ils veulent, c’était mis à disposition de façon gratuite, gratuite mais pas libre, justement, et là c’était un milliard et demi de projets qui étaient mis en danger sauf que Google est un peu plus seigneurial donc il a donné un an.

Frédéric Couchet : Donc ils ont laissé plus de temps ! Un an.

Roberto Di Cosmo : Un an, pas trois semaines et ils ont quand même gardé une sorte de version d’archive dans un coin.
Ça c’est arrivé un peu à point nommé parce que ça montrait que le message qu’on envoyait, c’est-à-dire que c’est important de construire une archive — qu’est-ce que c’est une archive ? C’est vraiment une plateforme dont la finalité est l’archivage et pas autre chose — que c’était nécessaire. Après ces deux évènements c’est devenu relativement clair pour tout le monde que c’était nécessaire d’aller dans cette direction-là.

La troisième chose qu’on avait observée c’est qu’effectivement aujourd’hui, non seulement le logiciel est au cœur de toute la transformation numérique de notre société, mais le logiciel libre est au cœur des logiciels qui transforment notre société. Presque toutes les entreprises utilisent du logiciel libre de façon massive encore aujourd’hui, donc il est devenu super important, par exemple, de se doter d’une plateforme qui permette d’analyser systématiquement le code source de ces logiciels pour essayer de repérer les erreurs, les vulnérabilités, rendre plus facile l’analyse des codes, aider les développeurs à mieux réutiliser leurs codes, etc. Pour ça on a besoin d’une plateforme commune qu’on n’a jamais réussi à construire avant.
Par exemple j’ai plein d’amis qui sont dans le monde de la physique : un de mes copains, parti aux États-Unis il y a très longtemps, s’occupe d’un gros projet de télescope spatial. Je suis très admiratif de mes collègues en physique qui sont capables de mobiliser des ressources très conséquentes, là on parle de milliards, de dizaines de milliards d’euros pour chercher à comprendre l’origine de l’univers, regarder les étoiles, regarder l’infiniment petit. Ça c’est super important, je n’ai rien contre, au contraire, je suis très admiratif du fait qu’ils arrivent à le faire. Par contre nous, dans le monde de l’informatique qui est pourtant le moteur de la transformation numérique, jusque-là on a été un peu incapables de fédérer le même type d’effort pour avoir une plateforme commune qu’on puisse, de façon mutualisée, réutiliser pour travailler ensemble, pour améliorer la qualité des logiciels que nous développons.
Évidemment chaque grosse entreprise a son propre système interne. Dans le monde associatif chacun essaie de mettre en place son propre outil technique à tel ou tel autre endroit. Le rêve serait d’arriver à faire quelque chose comme le CERN pour la recherche nucléaire ou les grands réseaux de télescopes spatiaux pour explorer les galaxies. Eh bien nous on a besoin d’une infrastructure pour explorer la galaxie du logiciel. Aujourd’hui ça n’existe pas.
Donc c’était vraiment ces trois constats : pas de catalogue, pas d’archive, pas d’infrastructure de recherche, la situation n’était pas idéale, donc il fallait essayer de faire quelque chose. En mettant en place le projet Software Heritage on essaye, très humblement parce qu’on n’est pas Google, on n’a pas de dizaines de milliards comme certains de mes copains qui travaillent ailleurs, mais on essaye très humblement de construire une réponse à ces trois besoins et de le faire en essayant de mettre de notre côté tous les atouts pour minimiser les risques que le projet échoue, c’est-à-dire pour maximiser les chances de succès.

Frédéric Couchet : Tu dis « on ». Le projet a été annoncé par l’Inria et, comme je l’ai dit tout à l’heure, tu es détaché à l’Inria depuis quelques années.

Roberto Di Cosmo : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Qui est ce « on » ? C’est-à-dire qui a lancé ce projet en dehors de l’Inria s’il y en a d’autres ? Qui sont les partenaires ? Comment est financé ce projet ? Tu as parlé d’une équipe. Je suppose que tu as une équipe, je ne sais pas, de 500 personnes pour travailler avec toi.

Roberto Di Cosmo : J’aimerais bien ! Dans le monde de l’informatique, comme tu le sais bien, très souvent la révolution est faite par un tout petit nombre, on grandit plus tard.

Frédéric Couchet : C’est quoi l’équipe Software Heritage ? Essaye de nous expliquer qui est ce « on ».

Roberto Di Cosmo : Je vais vous expliquer. Tu as mentionné l’IRILL. Effectivement dans cette structure qu’on avait mise en place en 2010 pour essayer de tisser des liens entre des communautés de développeurs, des entreprises, des chercheurs qui s’intéressent au problème nouveau, scientifique, qui vient quand on fait du développement de logiciel libre, dans l’été 2014, autour de la machine à café, tu sais qu’on dit souvent que les développeurs sont des machines qui convertissent du café en code, mais des fois on le convertit en idées plutôt qu’en code directement.

Frédéric Couchet : Ou des pizzas en code, des fois.

Roberto Di Cosmo : Ou des pizzas ou des boissons socialisantes quelconques, ça dépend, il n’est pas nécessaire de prendre de la caféine tout le temps. Là on discutait de plein de choses. À partir d’autres idées, d’autres projets de recherche qu’on avait en tête, on s’est aperçu qu’il y avait ce problème et on a passé plusieurs mois à discuter à plusieurs. Moi à l’origine, il y avait Guillaume Rousseau, il y avait Stefano Zacchiroli, il y avait d’autres personnes qui se sont greffées dessus petit à petit et on a identifié le problème, on a écrit des notes d’opportunité, on pourrait dire, qui faisaient un bilan de la situation. Parce que, même si le problème existe, ça ne veut pas dire que nous sommes capables de le résoudre, n’est-ce pas ! La question est de se dire : le problème est là, est-ce que vraiment on a les reins solides pour essayer d’aller dans cette direction-là et comment on peut faire, qu’est-ce qui existe ? Sur la base de ces notes-là, on a pensé qu’il y avait une opportunité de faire quelque chose de bien avec un peu de ressources initiales.
Avec ça j’étais allé voir le directeur de l’Inria à l’époque qui était Antoine Petit, et là il faut dire qu'effectivement, ça fait des fois partie de la chance, qu'il a été convaincu de l’opportunité de cette mission donc il a pris la décision de donner cette impulsion initiale.
Tu vois quand on dit « on », il y a des gens qui ont des idées, mais des idées sans les ressources pour les implémenter, il y a plein dans les tiroirs !

Frédéric Couchet : Le soutien du directeur a été un grand atout évidemment.

Roberto Di Cosmo : Un grand atout, mais aussi toute l’institution. L’Inria est une institution qui à l’origine avait été capable, il y a 22 ans, de soutenir le lancement du W3C, le World Wide Web Consortium qui est le consortium mondial qui maintient les standards du Web et qui a permis au Web de devenir ce qu’il est devenu maintenant. Donc ils ont déjà montré leur capacité à soutenir un projet sur le long terme et de façon partenariale, pas en disant : c’est à moi, c’est à l’Inria.

Frédéric Couchet : Pas tout seul.

Roberto Di Cosmo : Mais en disant : OK on travaille à plusieurs. Ça c’était un peu le début. Là on a commencé à avoir un peu de ressources pour travailler. Quand je dis un peu de ressources c’était juste un ingénieur, Antoine Dumont qu’on avait recruté comme premier ingénieur. Il y a Nicolas Dandrimont, qui était dans l'émission la semaine passée, qui nous a rejoints quelques mois après et là on a commencé un petit peu à construire. Mais la mission, dès le départ, était de ne pas être tout seuls, de ne pas être juste Inria. Il fallait avoir d’autres partenaires autour. Donc là c’était un travail énorme, si tu regardes l’historique on n’est pas encore public, on est en train de parler 2015, avant l’annonce en 2016 et là on essaye de contacter plein d’entités : la Free Software Foundation, on a contacté l’Open Source Initiative, on a contacté Creative Commons, on a contacté des sociétés savantes, françaises, européennes, internationales ; on a contacté des fondations comme la fondation Linux, la fondation Eclipse, plein d’autres instituts comme ça pour leur dire ce qu’on allait faire, pour savoir si elles allaient nous soutenir.

Frédéric Couchet : Si elles voulaient soutenir, participer.

Roberto Di Cosmo : Là on a obtenu un soutien qui était important mais qui était un soutien moral, pas financier, il faut quand même payer le développeur à la fin du mois, ça ne suffit pas d’être un soutien moral, mais c’est très important.

Frédéric Couchet : En tout cas ces structures qui sont des structures importantes dans le monde du logiciel libre ont considéré que ce projet était fondamental, donc qu’il fallait le soutenir au moins moralement, déjà.

Roberto Di Cosmo : Exactement. Donc là si tu vas sur le site de Software Heritage aujourd’hui, wwww.softwareheritage.org, tu vas regarder dans la partie soutiens, il y a des témoignages. Il y a une cinquantaine de lettres officielles de tout un tas d’entités diverses et variées qui disent pourquoi elles considèrent que le sujet est important et pourquoi le projet est structurant pour elles.
Là on avait déjà commencé à avoir des premiers contacts avec l’Unesco, parce que c’est quand même une mission universelle, c’était bien de travailler avec eux. Mais ça ne suffisait pas, il fallait chercher des partenaires qui partagent la charge financière d’un tel projet avec Inria, dont la vocation est de lancer le projet mais pas, quand même, de le maintenir pendant 50 ans en payant tout, tout seul. Ce n’est pas, comment dire, ce n’est pas soutenable et ce n’est pas souhaitable non plus si tu veux minimiser les risques d’échec.

Frédéric Couchet : Pour la pérennité du projet il faut qu’il y ait plusieurs acteurs, plusieurs partenaires.

Roberto Di Cosmo : Il faut plusieurs partenaires autour de la table. Et c’est là que ça devient paradoxal, parce qu’on avait contacté, je ne vais pas donner les noms, mais un certain nombre d’acteurs, même des grandes entreprises qui utilisent massivement du logiciel libre, même des grands acteurs industriels du logiciel libre, mais, grande surprise, au mois de juin au moment où il fallait devenir public, personne de ceux-là n’avait répondu présent. Peut-être qu’ils considèrent que développer du logiciel libre ça suffit, ce n’est pas la peine de s’occuper de le maintenir sur le long terme. Et, à ma grande surprise, c’était par contre Microsoft qui avait répondu présent.

Frédéric Couchet : Donc tu vas renouer des liens avec Microsoft à cette époque-là !

Roberto Di Cosmo : Et ça c’était drôle, parce que je n’aurais jamais dit il y a 20 ans que je me serais retrouvé à Redmond, à Seattle au siège de Microsoft avec tout le top management de Microsoft pour leur dire pourquoi c’était intéressant de soutenir un tel projet. Mais c’était quand même une expérience intéressante parce que là j’ai découvert un Microsoft qui n’est pas tout à fait le même que celui que j’avais connu il y a 20 ans. Il y a eu un changement complet de direction et j’ai découvert qu’il y a, je ne sais pas si je peux dire ça, mais je pense que ça doit être facile avec toi.

Frédéric Couchet : Nous sommes en direct, je te préviens !

Roberto Di Cosmo : Je ne vais pas le dire, il y avait un nombre très conséquent d’ingénieurs à Microsoft, déjà en 2015, qui travaillaient en faisant seulement du logiciel libre. Après c’est devenu public. Dans l’été 2016, Microsoft a été l’un des premiers contributeurs à des projets logiciel libre sous GitHub à la grande surprise de tout le monde, c’est devant tout le monde ! Qu’est-ce qui se passe ? Tout le monde a le droit de changer d’idée, n’est-ce pas, de temps à l’autre !

Frédéric Couchet : Au moins partiellement on va dire !

Roberto Di Cosmo : Je vais y venir. Au moins sur la partie technique, le développement technique, stratégie industrielle à long terme, ils ont vraiment complètement changé d’attitude, complètement. Après il reste tout un tas d’autres choses sur lesquelles on pourrait débattre longuement. Restons sur la partie positive. On a retrouvé un point d’intérêt commun, donc ils ont été les premiers acteurs industriels à répondre présent.
Par contre le deuxième acteur qu’on avait mentionné, l’Archive nationale de l’Académie des sciences hollandaise, c’est une institution publique donc c’était tout à fait naturel de la retrouver à nos côtés parce que leur mission c’est d’archiver les données de la recherche en Hollande ; ils ont énormément de demandes de la part de chercheurs qui disent : « Bon, très bien, archiver des données c’est très bien, mais qu’est-ce que je fais avec mes logiciels ? Où est-ce que je mets mes codes sources ? » Ils avaient des demandes comme ça, ils ne savaient pas exactement comment les traiter. Quand ils ont découvert ce qu’on faisait dans Software Heritage, ils ont sauté immédiatement sur l’occasion en disant : il faut qu’on travaille ensemble. Maintenant on travaille ensemble dans un projet européen, par exemple. C’est naturel de trouver ces deux-là, mais ça ne suffisait pas, il fallait élargir. Si vous regardez sur le site aujourd’hui il y a un certain nombre de sponsors qui sont arrivés : on s'est retrouvé Intel aussi qui est devenu sponsor ; on a retrouvé GitHub, évidemment.

Frédéric Couchet : Une archive d’hébergement de code.

Roberto Di Cosmo : GitHub qui est une plateforme de développement de code.

Frédéric Couchet : Et une société aux Pays-bas, si je me souviens bien.

Roberto Di Cosmo : GitHub est à San Francisco.

Frédéric Couchet : San Francisco d’accord.

Roberto Di Cosmo : Et a été racheté par ailleurs, c’est le monde à l’envers ; ça a été racheté par Microsoft cet été pour 7 milliards de dollars, c’est assez intéressant.

Frédéric Couchet : Ah ! Tu parlais de GitHub, excuse-moi.

Roberto Di Cosmo : GitHub, oui, tout à fait.

Frédéric Couchet : D’accord. Je croyais que c’était GiLab, excuse-moi.

Roberto Di Cosmo : Non, GitLab c’est autre chose. On a des contacts avec GitLab aussi, on a archivé aussi GitLab. Donc on a élargi petit à petit disons l’ensemble des partenaires, des sponsors, qui sont tous des mécènes. C’est-à-dire que ce qu’ils font ce sont des donations, il n’y a pas de contreparties. Ils font vraiment des financements qui servent à faire grandir le projet parce qu’ils trouvent que c’est une infrastructure…

Frédéric Couchet : Donc c’est de la contribution financière ou est-ce que c’est aussi de la contribution humaine avec la mise à disposition de personnel ?

Roberto Di Cosmo : Pour l’instant c’est essentiellement de la contribution financière, il n’y a pas de mise à disposition de personnel.

Frédéric Couchet : D’accord.

Roberto Di Cosmo : La mise à disposition de personnel c’est compliqué.

Frédéric Couchet : Oui, mais ça aurait pu être.

Roberto Di Cosmo : Ça aurait pu être, mais ça commence à arriver : on commence à avoir des contributions qui viennent de certaines entreprises, mais pas vraiment du personnel qui est mis chez nous.

Frédéric Couchet : Donc ça permet de financer une équipe de combien de personnes aujourd’hui, pour Software Heritage ?

Roberto Di Cosmo : Aujourd’hui si tu regardes sur le site de Software Heritage tu trouveras, je ne veux pas dire de bêtises, mais je pense que tu vas trouver probablement 14 ou 15 photos.

Frédéric Couchet : D’accord.

Roberto Di Cosmo : Peut-être un peu plus parce que sur le site web on a mis aussi le conseil scientifique. Donc ça fait quand même une dizaine de personnes qui travaillent sur le projet à temps plein. On a un peu grandi depuis l’époque où on était deux-trois.

Frédéric Couchet : La machine à café s’est un peu agrandie.

Roberto Di Cosmo : La machine à café est toujours là, elle s’est un peu agrandie, et on est accueilli dans de très bonnes conditions chez Inria pour pouvoir travailler sur le projet

Frédéric Couchet : Donc l’équipe est physiquement, toutes les personnes sont ici à Paris ?

Roberto Di Cosmo : Physiquement ici à Paris, dans les locaux d’Inria, pour l’instant accueillis là, ce n’est pas forcément la position définitive. Ce qu’il faut quand même remarquer c’est que les dix à temps plein qui sont là maintenant – c’est seulement maintenant qu’on est arrivés à dix, on s’est agrandis petit à petit – on fait quand même un travail qui est énorme. On peut penser que dix c'est beaucoup, mais en réalité on est tout petits par rapport à la mission monstre qu’on s’est donnée. Effectivement il y a tout un tas de questions à se poser : quelle garantie d’y arriver à long terme ? Quelle stratégie mettre en place pour pouvoir travailler sur tout ça ? Je dois dire quand même que la première étape est d’avoir toutes les personnes qui sont dans l’équipe qui sont extrêmement motivées pour travailler là-dedans. Nicolas qui était là la semaine passée est un ancien acteur du monde du logiciel libre, Stefano Zacchiroli était leader du projet Debian pendant trois ans,

Frédéric Couchet : Leader du projet Debian.

Roberto Di Cosmo : C’est un chercheur magnifique. Il y a d’autres personnes qui sont motivées. Des fois il n’y a pas que l’argent qui fonctionne.

Frédéric Couchet : Tout à fait.

Roberto Di Cosmo : Des fois il y a une vraie motivation et c’est ça qui aide beaucoup.

Frédéric Couchet : C’est une bonne conclusion pour cette première partie d’émission. On va faire une pause amicale. Nous allons écouter Mountains par Cud Eastbound et on revient juste après ça.

Pause musicale : Mountains par Cud Eastbound.

Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. Vous écoutez l’émission Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Nous venons d’écouter Mountains par Cud Eastbound qui est disponible en licence Creative Commons Partage à l’identique. J’en profite pour rappeler que toutes les musiques que nous diffusons sont librement partageables, y compris pour des usages commerciaux. Vous retrouvez la référence sur le site de l’April donc april.org.

Je suis toujours en compagnie de Roberto Di Cosmo, professeur d’informatique et directeur de l’initiative Software Heritage. Nous allons poursuivre la discussion. Nous avons parlé, avant la pause musicale, un petit peu d’où venait le projet, les raisons pour lancer ce projet, où ce projet en est, où cette initiative en est aujourd’hui avec une équipe certes réduite mais de gens très motivés et de libristes de longue date, on a cité plusieurs noms. Maintenant on va parler un petit peu du fonctionnement de Software Heritage du point de vue technique et puis du futur.
Peut-être première question, Roberto, Software Heritage est une archive, tout à l’heure tu disais que le but c’était de garantir la pérennité de ces codes sources, patrimoine culturel, économique, industriel et scientifique. Cette archive est hébergée sur les internets, comme on dit, quelque part. Est-ce qu’elle est sur plusieurs sites ? Comment techniquement ça fonctionne ?

Roberto Di Cosmo : Effectivement c’est une très bonne question. Quand on réfléchit à un projet comme Software Heritage on se place dans une logique de long terme. La question de comment maintenir l’information à long terme est cruciale. Il y avait essentiellement deux choix qu’on pouvait faire au début. Un premier choix aurait été de dire : on construit un super datacenter, un centre de données ultra-sécurisé, complètement caché.

Frédéric Couchet : Une solution à la française quoi !

Roberto Di Cosmo : Pas à la française. On prend les meilleurs ingénieurs du monde, on cache tout et on dit à tout le monde : « C’est secret il n’y a rien à voir, on est les meilleurs du monde, on ne sera jamais piratés, on ne perdra jamais de données, on ne fera jamais d’erreurs, etc. » À nouveau, comme j’ai un peu de poils blancs dans la barbe, je sais très bien qu'en général ce type d’approche marche peu. Donc j’ai dit : je ne suis pas capable de le faire fonctionner comme ça. Donc on a préféré prendre une stratégie différente qui est de dire : on sait qu’il y aura des erreurs, on sait qu’il y aura des pertes de données, on sait qu’il y aura des problèmes. Il peut y avoir un centre de données qui brûle, il peut y avoir un tremblement de terre, il peut y avoir un pirate qui rentre dedans qui détruit des données, on peut avoir des problèmes, c’est inévitable, ça fait partie de la vie donc il faut structurer le projet de telle façon qu’il résiste à ce type d’erreurs, qui soit résilient sur le long terme. Qu’est-ce que ça veut dire ?
La base de notre stratégie est :
un, de faire en sorte que toute l’infrastructure qu’on construit, nous, soit entièrement faite en logiciels libres pour rendre plus facile à d’autres de la répliquer ailleurs ;
deux, d’avoir un réseau de miroirs au niveau planétaire dans lesquels l’ensemble des données que nous collectons est réparti et distribué. Et là on utilise en particulier une terminologie qui est un peu particulière dans notre projet, on ne l’a pas formalisée, mais on peut la partager dès aujourd’hui, on utilise le terme copie pour une copie entière de toutes les données qui sont dans l’archive mais qui sont sous notre responsabilité.
Donc par exemple aujourd’hui, Software Heritage dispose de trois copies de l’archive : deux qui sont dans les locaux de l’Inria, chez nous, et une qui est sur une plateforme Azure qui est sponsorisée par Microsoft.

Frédéric Couchet : Donc ce sont les mêmes données.

Roberto Di Cosmo : Ce sont les mêmes données mais sur trois endroits différents.

Frédéric Couchet : Qui sont sur trois infrastructures physiques différentes.

Roberto Di Cosmo : Sur trois infrastructures différentes, mais les infrastructures, toutes les trois, sont sous notre contrôle, sous le contrôle de l’organisation Software Heritage aujourd’hui. Le fait que ça soit à trois endroits physiquement différents et pas forcément la même technologie — si tu vas sur Azure, même si c’est une base Debian, en réalité la techno qui est derrière (les machines, etc.) c’est différent de chez nous —, c’est un peu rassurant. Mais imagine qu’on devienne tous fous, les dix de l’équipe décident de tout détruire et de tout brûler, une sorte de Samson « Que je meure avec les Philistins », comme on dit, on pourrait le faire. Donc il faut quand même se protéger de ce dommage-là. Donc là on a besoin de ce qu’on appelle des miroirs. Qu’est-ce que c’est un miroir ? Un miroir, pour nous, c’est une copie mais qui est sous le contrôle administratif et technique de quelqu’un d’autre. Sous une entité qui n’est pas Software Heritage, mais avec qui, évidemment, on a passé des accords pour les questions d’éthique, juridiques, etc., mais qui n’est pas nous.
C’était dans notre plan depuis le départ et en décembre passé, il y a quelques semaines, on a annoncé qu’on a signé le premier accord pour la création d’un miroir. Ça sera en Suède, ça sera porté par une société qui s’appelle FOSSID. Ce n’est pas encore fait, la partie technique est à développer, mais au moins l’accord est là, et on met la première pierre de ce réseau de miroirs qui va nous protéger de la perte de données.
C’est très intéressant d’en parler aujourd’hui. Tu as mentionné la réforme du droit d’auteur. Il y a plusieurs dangers qui guettent un projet comme le nôtre. Il y a des dangers techniques, par exemple tu as cassé un disque, tu as perdu des choses, tu t’es trompé dans le logiciel qui a corrompu toutes les données, ce sont des choses qui peuvent arriver, mais il y a des risques, d’une certaine façon, plus subtiles, plus néfastes qui sont des risques juridiques. Il se peut qu’un miroir, une copie de l’archive, se trouve dans un pays ou dans une zone géographique dans lesquels, à un moment donné, sont passés des textes de loi qui rendent difficile voire impossible, voire illégal, de faire ce travail d’archivage. Et c’est effectivement ce qui est en train d’arriver avec cette fameuse réforme du droit d’auteur, un article 13 qui oblige toutes les plateformes qui partagent du contenu couvert par le droit d’auteur de mettre en place des filtres avec des autorisations, il y a un droit qui est très contraint, on ne va pas rentrer dans ça, ce n’est pas le sujet aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Je précise qu’on en parlera la semaine prochaine avec Anne-Catherine Lorrain qui travaille pour le groupe des Verts au Parlement européen parce que cette semaine il y a une négociation interministérielle au niveau européen qui se déroule donc on en saura plus à la fin de la semaine et la semaine prochaine on fera un point là-dessus.

Roberto Di Cosmo : Absolument. Donc effectivement ce débat-là nous a pris, côté Software Heritage, pas mal de temps parce qu’on le voyait comme un danger : pour le travail qu’on est en train de faire c’est un vrai danger ! Donc le fait d’avoir des miroirs dans d’autres juridictions ça protège aussi de ces risques juridiques ; il n’y a pas seulement les risques techniques. Cela dit, ça c’est l’objectif, il faut y arriver. Ça prend un peu de temps d’y arriver, je vous signale.

Frédéric Couchet : Ça c’est l’objectif. Donc le principe technique, on va le répéter pour que les personnes comprennent bien : il y a trois archives sous le contrôle du projet Software Heritage : deux sont sur une infrastructure Inria, une sur une infrastructure Azure Microsoft et, en plus de cela, il y a un principe de miroirs sur lesquels Software Heritage n’a pas d’accès on va dire direct de contrôle.

Roberto Di Cosmo : En écriture.

Frédéric Couchet : À part un contrat et le premier projet de miroir c’est FOSSID. FOSSID ça veut dire free open source software ?

Roberto Di Cosmo : Non. C’est une entreprise qui est en Suède qui fait de l’analyse de code pour des questions de licences.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc ils sont intéressés. Donc on voit l’intérêt du projet : ce sont des gens qui sont intéressés aussi par rapport à l’analyse de code qui est un point très important. On pourrait imaginer que des universités soient intéressées pour les étudiants, pour mettre à disposition, parce qu’on sait très bien – on a appris l’informatique tous les deux, toi peut-être un petit peu avant moi, comme tu le dis assez, avec ta barbe un peu blanche – que souvent la meilleure façon d’apprendre eh bien c’est de regarder ce qui a été fait par d’autres personnes. Donc des universités pourraient être intéressées par cette masse de code disponible.
D’ailleurs j’ai une question avant de poursuivre sur la partie archive miroir, est-ce que ce ne sont que des logiciels libres ? Est-de que ce ne sont que des codes sources de logiciels libres qui sont hébergés dans le projet ou est-ce que ça peut être des codes sources d’autres logiciels ?

Roberto Di Cosmo : C’est une très bonne question. Je vais même généraliser la question. La question est de savoir comment on décide de ce qui mérite d’être archivé dans l’archive de Software Heritage. Effectivement la position qu’on a prise dans Software Heritage c’est quelque chose qui fait un peu dresser les cheveux sur la tête quand j’en parle avec des gens qui sont habitués à de l’archivage traditionnel, que ça soit dans des bibliothèques ou ailleurs. Nous on a pris une position très particulière : on essaye d’archiver tous les codes sources qui sont publiquement disponibles, c’est-à-dire auxquels on peut avoir accès, donc on ne filtre pas spécialement sur le fait qu’ils soient des beaux logiciels ou des logiciels pas très beaux, ou que la licence permette explicitement la redistribution donc qui soient vraiment des logiciels libres, ou que ça soit juste des codes qui ont été mis à disposition dont la licence n’est pas super claire, etc.

Frédéric Couchet : Mais elle permet au moins de faire la copie du code.

Roberto Di Cosmo : Au moins de faire la copie. L’idéal ça serait à terme d’arriver à avoir vraiment tous les logiciels, même les anciens, parce si tu veux les logiciels qui sont propriétaires aujourd’hui, tant qu’on ne change pas encore une fois le droit d’auteur.

Frédéric Couchet : Qu'on n’étend pas le droit d’auteur.

Roberto Di Cosmo : Au-delà de ce qui est raisonnable.

Frédéric Couchet : Au-delà de ce qui est raisonnable, ce qui est déjà le cas, nous sommes d’accord.

Roberto Di Cosmo : Normalement au bout de 70 ans ils deviennent du domaine public.

Frédéric Couchet : Après la mort de l’auteur.

Roberto Di Cosmo : Oui. En réalité pour les logiciels industriels c’est à partir de leur mise sur le commerce.

Frédéric Couchet : Ah pour les logiciels industriels, d’accord.

Roberto Di Cosmo : Oui, les logiciels industriels. Et effectivement après la mort de l’auteur c’est un peu compliqué, mais l’idée ça serait mieux de les avoir, question de pouvoir les mettre à disposition plus tard. Là j’aurais plein d’anecdotes à raconter, mais je ne vais pas les raconter maintenant.

Frédéric Couchet : Oui, parce que sinon on n’aura pas le temps dans l’émission. Ce sera pour une deuxième émission. Donc c’est tout le code, en fait, qui est disponible sur Internet.

Roberto Di Cosmo : Voilà. On essaye de le collecter et maintenant on a ouvert plein de pistes c’est-à-dire techniquement, je vais donner quelques éléments techniques supplémentaires. Pour les grandes plateformes de développement comme GitHub qui est très populaire aujourd’hui ou GitLab ou même la forge Inria ou même Framagit qui est la forge mise à disposition par Framasoft ici en France, ce qu’on fait on met en place un mécanisme de moissonnage automatique. C’est-à-dire qu’on va collecter tous les logiciels qui sont disponibles là-dessus et on les intègre automatiquement. Par contre on a aussi rajouté des pistes pour pouvoir, de façon explicite, déposer des logiciels, par exemple des logiciels développés dans la cadre de la recherche académique, pouvoir les déposer. Là on a fait un partenariat avec un portail national qui s’appelle HAL.

Frédéric Couchet : HAL, H, A, L ?

Roberto Di Cosmo : H, A, L, c’est une sorte de portail open access pour l’accès ouvert aux publications et maintenant il y a un mécanisme pour déposer aussi du code scientifique dedans. Et plus récemment on a ouvert un mécanisme qu’on appelle, tu me passeras l’anglais, save code now.

Frédéric Couchet : Sauvegardez votre code maintenant.

Roberto Di Cosmo : Maintenant. Donc c’est possible de nous indiquer qu’il y a certains endroits dans lesquels il y a du code important et, en nous indiquant cette piste-là, nous, après, on le rajoute aux moissonneurs.

Frédéric Couchet : Oui, parce qu’évidemment Software Heritage ne peut pas avoir connaissance de tout le code qui existe sur Internet, ça paraît compliqué. J’ai une question sur les plateformes d’hébergement de logiciels que tu as citées, est-ce que ces plateformes donnent un accès complet, exhaustif, à l’ensemble des codes qui sont hébergés ? C'est-à-dire est-ce que Software Heritage a une certitude, en fait, de pouvoir récupérer tout le code que ces plateformes hébergent, d’un point de vue technique ?

Roberto Di Cosmo : D’un point de vue technique la réponse est oui. Disons que techniquement c’est compliqué, on ne va pas rentrer dans les détails, mais oui on peut y arriver. Par exemple tout ce qui est disponible publiquement sur GitLab ou sur GitHub, etc., techniquement on pourrait être capables d’obtenir absolument tout et d’être à jour même très rapidement. Après il ne faut pas oublier qu’on est une petite équipe, qu’on a commencé avec des ressources relativement limitées ; si on avait des milliards on ferait beaucoup plus. On n’a pas des milliards !

Frédéric Couchet : Ma question n’est pas forcément sur l’équipe.

Roberto Di Cosmo : Est-ce qu’il y a un filtre qui nous a empêche de l’obtenir ?

Frédéric Couchet : Est-ce que la plateforme d’hébergement propose déjà une liste exhaustive de ces projets en disant là c’est facile de récupérer ?

Roberto Di Cosmo : Les plateformes plus récentes comme GitLab ou GitHub fournissent effectivement une interface accessible pour les machines, ce qu’on appelle des API, c’est-à-dire une interface de programmation qui permet de lister les contenus. Donc on a au moins accès à la liste des contenus qui sont disponibles et après, si on peut suivre les évènements, on peut télécharger les choses de façon plutôt raisonnable. Les anciennes plateformes comme SourceForge qui existait déjà il y a 20 ans et qui sont un peu…

Frédéric Couchet : Sur le déclin !

Roberto Di Cosmo : Pas sur le déclin, il y encore des logiciels très importants qui sont développés dedans.

Frédéric Couchet : Oui, il y en a plein !

Roberto Di Cosmo : Par contre ils n’ont même pas ça, ils n’ont même pas une interface qui permet de lister les contenus. Donc là c’est assez compliqué, il faut aller travailler avec eux pour obtenir les choses, on ne l’a pas encore fait, ça fait partie de la roadmap et c’est beaucoup d’efforts pour pas grand-chose comme résultat.

Frédéric Couchet : Ça pourrait être un effort de SourceForge ou des personnes qui maintiennent SourceForge de proposer ça.

Roberto Di Cosmo : Exactement. De proposer cette interface.

Frédéric Couchet : Effectivement, peut-être que quand ils ont créé ce genre de plateforme ils ne sont pas mis en tête : tiens il y a un Roberto Di Cosmo qui arrivera un jour pour pouvoir archiver tout ce qu’il y a dessus, donc ils n’ont pas proposé cette simple information sur l’ensemble des projets qui sont disponibles sur la plateforme. Donc c’est à ces structures-là de faire ce travail.

Roberto Di Cosmo : Là, au passage, j’en profite pour dire merci à l’ADULLACT, on a travaillé avec elle.

Frédéric Couchet : L’association des développeurs et utilisateurs de logiciels libres dans l’administration et les collectivités territoriales françaises.

Roberto Di Cosmo : Très bien. Je vois que tu te rappelles l’acronyme, c’est super, et qui a aidé à développer une sorte de plugin, un greffon qui a été rajouté sur la technologie des forges qui s’appelle FusionForge qui est une évolution de SourceForge et qui fait en sorte que maintenant il est possible de moissonner les contenus qui sont une instance de FusionForge, en particulier celle de l’ADULLACT a mis en place ça. Donc ça fait partie de ce travail collaboratif dans lequel je vais essayer juste d’arriver à dire ça clairement : la mission qu’on s’est donnée est quand même énorme, herculéenne et on n’y arrivera jamais si on le fait tout seuls. Donc toute la stratégie du projet est de rendre facile et possible à tout le monde de participer.

Frédéric Couchet : Tu parles de l’ADULLACT. Le 8 janvier on recevait Laurent Joubert et Mathilde Bras de la DINSIC, la Direction interministérielle du numérique et de la société de l’information et de la communication, j’ai un petit doute sur l’acronyme [Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication], en tout cas on va dire la direction informatique de l’État et Laurent Joubert avait annoncé qu’il y avait un partenariat qui se créait entre la DINSIC et Software Heritage pour que Software Heritage archive les codes sources publiés par l’administration.

Roberto Di Cosmo : Absolument. Ça c’est l’objectif, ce qu’on fera. Si tu veux dans l’État français, normalement, il y a une obligation d’archivage des données publiques en particulier, donc il y a des Archives nationales ; maintenant quand on passe dans le monde numérique, il faut avoir des archives numériques. Il y a tout un tas d’initiatives pour archiver plein d'informations numériques de l’État français. Pour ce qui concerne les codes sources des logiciels l’idée que tout ça soit archivé dans Software Heritage qui est une plateforme qui n’archive pas seulement les codes sources de l’administration mais aussi les codes sources de l’administration française ; pas la peine d’en faire 42 ! L’idée c’est de les remettre ensemble et de travailler en bonne entente avec les services de l’État pour faire en sorte que les différentes plateformes de développement qui sont un peu éparpillées dans les différents ministères, dans différents endroits, soient toutes tracées, indexées, pour permettre l’archivage systématique dans Software Heritage.

Frédéric Couchet : Tout à l’heure tu as dit que quand le projet a été lancé en 2016 il y avait, si je me souviens bien, un milliard de codes sources ou de lignes.

Roberto Di Cosmo : Un milliard de fichiers.

Frédéric Couchet : Un milliard de fichiers. Aujourd’hui est-ce qu’il y a des statistiques sur le nombre de projets qui sont archivés par mois pour donner un ordre d’idée de la progression ?

Roberto Di Cosmo : Bien sûr. Nous on est très logiciel libre, très transparents, très ouverts. Si tu vas sur le site web qui est www.softwareheritage.org/archive, donc tu vas dans l’archive, tu trouveras des jolis graphiques qui sont à jour, qui montrent que maintenant on doit être à 88 ou 89 millions de projets indexés. À peu près 5 milliards et demi de fichiers sources uniques. Il y a de jolis graphiques qui te montrent comment ça évolue dans le temps.

Frédéric Couchet : Comme on a Internet et que j’ai un ordinateur devant moi, effectivement les fichiers sources c’est 5 milliards, 6, visiblement ; ça représente 23 millions de personnes différentes, 88 millions de projets. On regarde et on voit un certain nombre de plateformes qui sont automatiquement archivées, tout à l’heure tu as cité GitLab, GitHub, il y a aussi Framagit que tu as cité, Debian, le projet GNU et puis d’autres projets. C’est sur softwareheritage.org/archive. Donc c’est une grosse progression.

Roberto Di Cosmo : Absolument.

Frédéric Couchet : Et je suppose que ça a un impact, tout à l’heure on parlait des données, sur la taille de l’archive. D’ailleurs j’ai une question peut-être un peu technique, le temps passe : est-ce que vous avez pour la conservation de ces fichiers qui viennent pour beaucoup, en fait, de plateformes d’hébergement qui utilisent Git, est-ce que vous êtes partis sur la même architecture technique ou est-ce que vous avez développé quelque chose de spécifique pour Software Heritage ?

Roberto Di Cosmo : C’est une très bonne question. L’idée, à nouveau, c’est qu’il faut se placer dans une logique de long terme. L’idée c’est d’essayer de ne pas réinventer des choses qui existent. Si tu inventes encore des standards différents c’est un peu compliqué, mais, par contre, essayer de réutiliser les meilleurs qui existent à chaque moment donné.
En particulier sur l’architecture technique des modèles de données qu’il y a derrière l’archive de Software Heritage c’est essentiellement le même modèle de données que tu as derrière Git mais avec une grosse différence c’est qu’on utilise ce même modèle de données pour tous les projets mélangés. Effectivement, peu importe d’où vient un fichier source, un répertoire, un commit, une release, etc., on mélange tout dans un énorme graphe dans lequel s’il y a un bout de projet qui a déjà été utilisé dans un endroit et on le trouve à un deuxième endroit on ne le copie pas, on ne le duplique pas, on garde juste la trace que c’est le même objet.

Frédéric Couchet : Ce qui permet de sauvegarder de l’espace disque.

Roberto Di Cosmo : Ça permet de réduire le coût, parce qu’un espace disque c’est monstrueux. Tout ce que vous voyez maintenant sur l’archive fait un peu plus de 200 téraoctets de données et quelques téraoctets de base de données pour le graphe central, ce qui est microscopique par rapport à ce que ça archive.

Frédéric Couchet : Par rapport à ce que ça archive.

Roberto Di Cosmo : Parce qu’il y a énormément de duplications dans le travail de développement d'un logiciel. On réutilise énormément des fichiers qui existent déjà dans d’autres projets, on fait ce qu’on appelle des forks, etc. Donc nous on a un modèle d’archivage qui est structuré exactement pour passer à l’échelle de ce mécanisme de fortes duplications diverses et variées.

Frédéric Couchet : Un fork c’est qu’on part d’un projet et on va en faire une version modifiée donc évidemment la version modifiée va avoir une bonne partie du code original parce que c’est le principe et c’est aussi l’un des principes du logiciel libre. Je précise juste que Git dont on parle depuis tout à l’heure c’est, en gros, un logiciel de gestion de versions décentralisé qui est très utilisé, qui date peut-être d’une quinzaine ou d’une vingtaine d’années maintenant.

Roberto Di Cosmo : Je ne veux pas dire de bêtise, je pense que c’est 2005-2006, c’est Torvalds qui avait fait ça.

Frédéric Couchet : Et c’est initialement développé par Linus Torvalds qui est aussi le développeur original du noyau Linux et qui est toujours, je crois, à la tête, du développement du noyau. Donc 200 téraoctets, ça peut paraître beaucoup, mais en fait, par rapport à ce que ça sauvegarde, c’est…

Roberto Di Cosmo : Mais attention quand même ça grandit, ça va grandir.

Frédéric Couchet : Oui, ça s’agrandit. Même si on peut espérer peut-être qu’une bonne partie des codes existants ont déjà été archivés. Le temps passe vite à la radio et le sujet est passionnant, mais tout à l’heure tu parlais des problèmes juridiques dont, notamment, la directive droit d’auteur et c’est vrai que dans le passé on a dû aussi passer pas mal de temps ensemble et avec d’autres à se battre pour nos libertés que ce soit contre les brevets logiciels ou d'autres trucs dans le genre. Quels sont les deux grands défis, on va dire technique et juridique peut-être, s’il y en a encore, pour Software Heritage aujourd’hui ?

Roberto Di Cosmo : Sur la partie technique effectivement, je prends une petite parenthèse mais ça vaut vraiment la peine. Au moment où on a lancé le projet on se disait bon, bref ! On construit cette infrastructure, on utilise un peu la technologie qu’on connaît aujourd’hui, on essaye d’utiliser la meilleure, bien sûr, avec des gens motivés et de très bon niveau, et après on utilisera tout ça pour faire de la recherche sur ces informations. Après on s’est aperçus, petit à petit, que l’infrastructure même que nous sommes en train de construire est un projet de recherche lui-même parce qu’il y a tout un tas de défis techniques qu’on n’imaginait pas tout à fait au moment où on a commencé. Finalement c’est une architecture distribuée dans laquelle on stocke une énorme quantité de fichiers qui sont relativement petits, on ne sait pas exactement ce qui est nécessairement standard dans le monde industriel d’aujourd’hui. Il y a des questions de réplication, de sûreté, il y a énormément d’indexation dans ces graphes très grands, comment construire des moteurs de recherche là-dessus, donc effectivement il y a énormément de défis ; il y en a plein. En même temps c’est un problème amusant parce que ça permet de faire venir, j’espère, d’attirer un certain nombre d’équipes de recherche qui cherchent des problèmes intéressants. Là il y en a plein ! Il faut qu’elles viennent.

Frédéric Couchet : C’est une base de données à gérer qui est monstrueuse, donc c’est intéressant.

Roberto Di Cosmo : Il y a plein de problèmes. Il faut juste savoir, et tu le sais bien, que dans le monde académique, on prend du temps. Entre le moment où tu intéresses quelqu’un au problème, le moment où les gens commencent à y travailler il se passe déjà un an, peut-être deux, et le moment où il y a un résultat que tu puisses industrialiser, mettre dedans, ça peut mettre quatre ou cinq ans. Mais ce n’est pas grave parce que nous on est dans une logique de long terme. L’idée c’est de créer vraiment une activité de recherche autour qui améliore l’infrastructure petit à petit. Après je ne veux pas rentrer trop dans la partie super technique.

Frédéric Couchet : Non. Et la partie juridique, à part le projet de directive droit d’auteur qui est un gros problème juridique mais dont on espère que ça sera terminé bientôt, est-ce qu’il y a d’autres défis juridiques ?

Roberto Di Cosmo : Je ne sais pas si j’appellerais ça vraiment des défis juridiques, c’est plutôt organisationnel. Je résume un peu cette idée. On se place dans une logique de long terme : comment construire quelque chose qui est vraiment résistant aux risques sur le long terme ? On l’avait déjà dit avant, on veut avoir plusieurs partenaires, on ne veut pas construire une entreprise qui peut-être rachetée ou peut faire faillite, on ne veut pas dépendre d’un seul acteur qui peut changer d’avis même s’il est très riche, comme c’était le cas de Google quand il a fermé Google Code, ce n’est pas juste une question d’argent, c’est aussi une question de stratégie.

Frédéric Couchet : Ça permet de rappeler que même si ce sont des grandes structures comme Google ou autre des fois ça peut fermer du jour au lendemain. On peut le rappeler à pas mal de personnes dont la vie informatique dépend de ces géants.

Roberto Di Cosmo : Oui ! C’est juste une décision qui est prise par une gestion. Ils ont sûrement leurs raisons. Il est important d’avoir une structure qui contrôle le projet, qui pilote le projet avec exactement la mission de faire seulement ce qui est dit dans le projet c’est-à-dire collecter, préserver, rendre disponibles les codes sources de toute la planète.
On réfléchit maintenant à la mise en place d’une stratégie pour devenir pérenne. Au début c’était un projet hébergé par Inria qui continue de nous soutenir. Maintenant on est dans une phase de transition, on commence à construire une infrastructure juridique qui est une fondation, en vérité, et à terme on veut arriver sur l’équivalent d’une structure de fondation dans laquelle on pourra avoir justement plusieurs partenaires qui travaillent ensemble avec une dotation pérenne pour faire en sorte que le projet soit viable à très long terme, que moi je puisse partir à la retraite, le plus vite possible, en allant pêcher tranquillement sans avoir à courir après les sponsors toutes les deux minutes !
Donc là c’est construire vraiment la bonne structure, ça prend effectivement du temps. Mettre en place la bonne organisation pour que ça fonctionne bien, ça prend du temps.
Une autre partie de la stratégie qui est très intéressante : quand on construit une infrastructure comme Software Heritage on ne s’intéresse pas seulement au monde de l’industrie, on ne s’intéresse pas seulement au monde de la recherche, on ne s’intéresse pas seulement au monde de la culture, on ne s’intéresse pas seulement au monde associatif, aux administrations publiques, en réalité on construit une infrastructure qui est au service de tous. Donc c’est vraiment important d’arriver à amener autour de la table — comme tu disais le cas de la DINSIC est très important — des administrations publiques, d’amener autour de la table des entreprises, d’amener autour de la table des entités comme l’Unesco qui sont intéressées à préserver le patrimoine logiciel, mais aussi énormément d’autres contributeurs. Par exemple l’année passée on a fait l’effort de mettre en place sur le site web du projet de Software Heritage un gros bouton rouge qui dit Donate. Même si quelqu’un veut donner dix euros pour soutenir le projet, c’est bienvenu, même si c’est petit ce n’est pas très grave ; l’important c’est diversifier au maximum.

Frédéric Couchet : Les sources de financement.

Roberto Di Cosmo : Les sources de financement pour minimiser le risque engendré par le fait que l’un ou l’autre des partenaires parte.
Et l’autre chose aussi c’est trouver un discours qui soit suffisamment audible auprès des entreprises, auprès d’autres entités, qu'elles soutiennent ce projet. Heureusement la France a sauvé la face parce que maintenant on a la Société Générale parmi les sponsors donc on a au moins un grand acteur français qui est présent. Par contre c’est vrai, ça aurait été sympa d’avoir d’autres acteurs qui utilisent énormément et massivement des logiciels libres qui deviennent partenaires du projet. Finalement c’est un super projet mondial qui a la cabine de pilotage à Paris, c’est assez étonnant de ne pas en trouver d’autres.

Frédéric Couchet : Finalement, si je reviens effectivement à ce que tu disais au début, les grands acteurs du logiciel libre que tu as contactés au début n’ont toujours pas embarqué le projet.

Roberto Di Cosmo : N’ont toujours pas répondu présent !

Frédéric Couchet : Est-ce que ces structures ont donné une raison, une explication ?

Roberto Di Cosmo : C’est toujours compliqué. Quand tu demandes aux gens de donner de l’argent gratuitement tu sais bien que ce n’est pas facile, ils ont toujours d’autres choses. Ils peuvent financer des évènements dans lesquels leur logo apparaît, ils peuvent financer d'autres choses. Mais là on est vraiment en train de construire une infrastructure au service de tous, donc il faut un petit peu de vision pour être capable de voir que l’investissement initial va rapporter beaucoup plus dans l’intérêt commun.
Et là, paradoxalement, à nouveau je suis assez étonné, mais Microsoft et Intel qui étaient quand même mes ennemis historiques il y a vingt ans, qui sont les deux premiers qui ont répondu présent, c’était surprenant. Au moins ils montrent qu’ils ont une vision. Après, la Société Générale, c’est un super partenariat.

Frédéric Couchet : Donc la Société Générale avoir un investissement dans le Libre très fort. Il faut le saluer.

Roberto Di Cosmo : C’est incroyable. Ils sont vraiment en train de changer leur stratégie interne dans laquelle ils mettent en place une stratégie pour le logiciel libre qui est remarquable. Dans ce cadre-là, le fait qu’ils soutiennent le projet ça me semble génial, mais je pense qu’il y a beaucoup plus à faire. Il faudrait que bien d’autres participent. On peut participer en donnant dix euros, mais on peut aussi participer en allant rajouter dans « sauver le code aujourd’hui » les bons pointeurs.

Frédéric Couchet : En proposant des sites sur lesquels il y a un code à archiver.

Roberto Di Cosmo : Des sites. Et on peut aussi, pour des gens qui veulent développer, contribuer, contribuer à construire les briques logicielles qui aident à tracer d’autres plateformes. C’est-à-dire on fait vraiment un effort maintenant pour essayer de documenter le code, rendre facile la participation ; ce n’est pas évident, c’est une grosse infrastructure, mais là aussi la contribution de la communauté est fondamentale pour que le projet prenne son essor à long terme.

Frédéric Couchet : Écoute Roberto, je te remercie. Ça me paraît être une belle conclusion un appel à soutien, en espérant que plein de gens y répondront et, en premier, que les structures qui développent des logiciels libres participent à ce projet. Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose avant qu’on passe à la pause musicale et qu’on change, pas tellement de sujet vu qu’on va parler un peu d’éducation après.

Roberto Di Cosmo : Je veux juste dire ça, je pourrais ajouter un élément : pour moi c’est très émouvant de me retrouver un peu dans la cabine de pilotage de ce projet, avec d’autres, je ne suis pas tout seul, il y a Stefano, il y en a plein d’autres qui aident, parce que c’est un moment magique. L’informatique est une discipline qui m’a toujours passionné et là on est à un point charnière dans cette histoire parce que le logiciel est né il y a une cinquantaine d’années, à peu près 50-60 ans. On a l’occasion unique de pouvoir reconstruire l’histoire de l’informatique, l’histoire de tous les logiciels qui sont arrivés à aujourd’hui et d’avoir l’infrastructure qui va permettre pour le futur de faciliter le développement des logiciels. Je pense qu'on est à point charnière. On a commencé il y a quatre ans à mettre en place ce qu’est Software Heritage, aujourd’hui on montre que c’est possible d’y arriver. Je pense que c’est la chose la plus passionnante qu’il ne m’est jamais arrivé de faire et j’espère, évidemment, que d’autres personnes se passionnent pour cette infrastructure et qu’on comprenne bien que ce n’est pas le projet de Roberto Di Cosmo, ce n’est pas le projet de l’équipe Software Heritage, ce n’est pas le projet d’Inria, ce n’est même pas le projet des sponsors du projet. C’est le projet de tout le monde, de toute une communauté qui trouve qu’il y a quelque chose qui est commun. Donc plus grand sera le nombre de personnes qui s’approprient le projet mieux ce sera dans l’intérêt de tous !

Frédéric Couchet : En tout cas j’espère qu’on a contribué modestement à faire connaître ce projet culturel, industriel, de recherche, d’éducation.

Roberto Di Cosmo : Merci de m’avoir fait venir.

Frédéric Couchet : Le point d’entrée c’est softwareheritage.org. Vous pouvez contribuer, Roberto a proposé pas mal de pistes de contribution et on aura sans doute l’occasion de refaire un point dans quelques mois sur la radio ou ailleurs.

Roberto Di Cosmo : Avec plaisir.

Frédéric Couchet : On va maintenant faire une pause musicale, mais Roberto reste avec nous parce que le sujet de l’éducation l’intéresse évidemment. Le morceau s’appelle Quand nous sommes à la taverne et le groupe s’appelle Ceili Moss. On revient juste après ça.

Pause musicale : Quand nous sommes à la taverne par le groupe Ceili Moss.

Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur l’émission Libre à vous ! sur Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur causecommune.fm. Nous avons écouté le morceau Quand nous sommes à la taverne, le groupe s’appelle Ceili Moss. J’en profiterais pour préciser qu’évidemment il faut consommer avec modération, surtout quand dans la bouteille il y a de l’alcool.

Nous allons aborder le dernier sujet. Nous allons faire un point rapide sur le projet de loi pour une école de la confiance et plus précisément sur des amendements visant à inscrire la priorité au logiciel libre dans l’Éducation. Normalement au téléphone Jean-François Clair est avec nous. Jean-François est-ce que tu es là ?

Jean-François Clair : Oui. Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Bonjour Jean-François. Jean-François Clair, tu es professeur de mathématiques en collège REP+ à Paris et tu es responsable du groupe numérique au SNES qui est le principal syndicat du secondaire. Je t’ai invité à intervenir avec deux questions de base en fait. Je précise que le SNES est de longue date impliqué, a un engagement de longue date en faveur des logiciels libres dans l’Éducation. Pour quelle raison le SNES a cet engagement à la fois dans l’Éducation et dans sa pratique syndicale ?

Jean-François Clair : C’est essentiellement parce que, contrairement à ce que disent de nombreux médias, le SNES est quand même un syndicat très progressiste et, dès le tournant des années 80, lorsque la micro-informatique est apparue, de très nombreux enseignants, dont les enseignants du SNES, se sont emparés de l’outil informatique. Au fur et à mesure que les années ont passé eh bien ils ont développé une expertise, une connaissance et ils se sont très rapidement rendu compte au moment où Microsoft a pris possession, on va dire, du monde de la micro-informatique, il y avait aussi Apple de son côté, qu’on courait quand même vers une forme de marchandisation de l’école puisque, finalement, on a mis très longtemps à arriver à faire comprendre aux gens qu’il fallait parler de tableur, qu’il fallait parler de traitement de texte, de messagerie électronique et même maintenant, d’ailleurs, de moteur de recherche, plutôt que d’employer les noms qu’on utilise traditionnellement parce que c’est l’outil le plus courant à utiliser, de la même manière que dans les années 50 il y avait frigidaire qui avait remplacé le nom de réfrigérateur.
Ensuite, pourquoi le logiciel libre ? Eh bien tout simplement parce que le logiciel libre correspond à une philosophie, une façon finalement de penser le monde, où on est propriétaire de ce que l’on fait et on le met en commun puisque c’est le principe du Libre, le code est ouvert. C’était pour nous une façon de se dire que c’était peut-être la meilleure manière d’amener à ce que les élèves puissent apprendre, à un moment ou à un autre, l’informatique, en particulier le codage puisque, quand on parle de logiciel libre, il y a quand même cette dimension de codage, et surtout à pouvoir fabriquer par nous-mêmes ou améliorer par nous-mêmes les logiciels de façon à ce qu’ils correspondent à nos besoins pédagogiques. Voilà en gros comment je pourrais présenter les choses.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est un engagement de longue date. Je précise que le SNES est membre de l’April. Il y a aussi un autre syndicat qui est membre de l’April qui est le SGEN-CFDT ; il y a aussi une section du Bas-Rhin du SNUIPP-FSU qui est membre de l’April. C’est aussi intéressant en termes de soutien de nos actions parce que c’est relativement récent ces adhésions à l’April, mais ça ne cache pas le fait, au contraire, ça renforce le fait que ces syndicats, depuis de longue date, essayent de promouvoir le logiciel libre à la fois dans leur pratique syndicale et aussi dans l’enseignement.
Aujourd’hui on va parler, assez rapidement parce que la fin de l’émission approche, d’un projet de loi qui a été déposé à l’Assemblée nationale début décembre, qui est le projet de loi pour une école de la confiance. Initialement, le projet de loi pour une école de la confiance ne visait pas spécifiquement le logiciel libre, mais il se trouve que des députés ont déposé des amendements. Sans refaire tout l’historique, notamment en commission et avant que je te pose la deuxième question pour qu’on comprenne, là actuellement le projet de loi est étudié à l’Assemblée nationale en séance publique, donc ça a commencé lundi, ça va se poursuivre tout à l’heure après la séance des questions du gouvernement donc ça a peut-être commencé.
En fait il y a deux types d’amendements qui ont été déposés par des parlementaires pour la séance publique. Il y a premier type d’amendements qui a été déposé par les députés de la France insoumise qui vise à imposer l’usage du logiciel libre dans l’Éducation, je lis l’amendement : « Les logiciels mis à disposition des élèves dans le cadre du service public de l’enseignement sont des logiciels libres » , c’est l’amendement 571.
Et de son côté le groupe communiste, notamment le député Stéphane Peu, a déposé deux amendements qui visent à inscrire la priorité au logiciel libre, ce qui est différent d’imposer l’usage du logiciel libre. Le lis l’amendement 836 de Stéphane Peu : « Les logiciels mis à disposition des élèves dans le cadre du service public de l’enseignement sont en priorité des logiciels libres ». On voit deux approches différentes. Nous, l’approche priorité au logiciel libre c’est celle que l’on défend depuis de nombreuses années, notamment pour gérer la phase de transition nécessaire, parce que évidemment, dans le monde de l’Éducation malheureusement, Microsoft, Apple et autres sont très présents. Quelle est la position du SNES sur ces deux options priorité ou imposition du logiciel libre ?

Jean-François Clair : On ne peut pas imposer. On ne peut absolument pas imposer le logiciel libre pour une bonne et simple raison c’est qu’il existe un certain nombre de choses qui relèvent de codes propriétaires. Je vais prendre un exemple tout simple : pendant des années les collègues ont développé des petites animations Flash qui sont basées sur Adobe Flash, c’est du code complètement propriétaire, ce n’est pas du Libre.

Frédéric Couchet : Ce n’est pas du libre. Flash c’est propriétaire.

Jean-François Clair : C’est mis gratuitement à disposition de, mais ce n’est pas du Libre. Donc on ne peut pas imposer à tout prix le Libre surtout dans une société qui n’est pas encore prête à, comment dire, réfléchir publiquement sur la protection des données, comme on l’a vu l’année dernière avec la loi qui a été votée au moment de l’entrée en vigueur définitive du RGPD [Règlement sur la protection des données]. Pour nous, il s’agit de donner la priorité au logiciel libre. De toute façon il existe aussi un certain nombre de solutions qui ont été développées en code propriétaire et qui n’ont pas leur équivalent dans le monde du Libre.

Frédéric Couchet : Qui n’ont pas encore leur équivalent.

Jean-François Clair : Et qui sont, malgré tout, utilisées par un certain nombre de collègues.

Frédéric Couchet : D’accord. Ça rejoint notre position.
Je répète que les débats ont lieu en ce moment. Pour les personnes qui nous écoutent, la meilleure façon d’agir c’est de contacter des parlementaires, un courriel ou un coup de téléphone, c’est encore plus efficace, avec vos propres arguments : expliquer pourquoi vous considérez que le logiciel libre doit être prioritaire dans l’Éducation ; vous pouvez employer les arguments qui vous parlent et les parlementaires, les députés, sont sensibles à ces questions-là. En termes d’agenda il est probable que ces amendements seront discutés mercredi ou jeudi parce qu’en fait ils sont après l’article 24, donc c’est vraiment en fin de discussion. Contactez vos parlementaires. En commission, des amendements un peu équivalents avaient été proposés et le ministre Jean-Michel Blanquer avait indiqué qu’en fait, déjà dans la loi, il y avait un encouragement à utiliser du logiciel libre dans l’administration. Il faut savoir que dans la loi il y actuellement une phrase, de mémoire « l’offre logicielle tient compte de l’offre logiciel libre. »

Jean-François Clair : Ce n’est pas suffisant !

Frédéric Couchet : Ce n’est pas suffisant, c’est-à-dire qu’on ne fait pas une politique avec des encouragements ou une injonction à tenir compte. On fait une politique avec des priorités, donc entamer dès maintenant une démarche de transition vers les logiciels libres en inscrivant dans la loi la priorité aux logiciels libres et aux formats ouverts dans l’Éducation nationale. Jean-François est-ce que tu veux rajouter quelque chose sur ce point ?

Jean-François Clair : Je ne vois pas trop. En fait, tu as déjà tout dit.

Frédéric Couchet : On avait relativement peu de temps, enfin peu de temps à consacrer, mais c’est qu’en fait l’émission se termine bientôt et il y avait plusieurs sujets, mais il était important de parler de ce sujet-là. Je suis personnellement convaincu que l’inscription dans la loi de la priorité au logiciel libre n’est qu’une question de temps. Il y a déjà eu de nombreux débats. Pour les personnes qui avaient suivi le projet de loi République numérique en 2016, à l’Assemblée nationale en séance publique, il y avait eu un long débat, près de 45 minutes ce qui est beaucoup sur un seul amendement, et on voyait qu’il n’y avait pas l’opposition classique qu’on connaissait, mais au contraire il y avait vraiment des liens qui se faisaient entre députés de différents bords. Le gouvernement de l’époque s’y était opposé. On espère que ce nouveau gouvernement ne s’y opposera pas, parce que, par rapport aux débats en commission, nous on a apporté des arguments justement sur la nécessité de la priorité. Ce qui est intéressant c’est qu’il y a deux types d’amendements qui sont proposés ce qui va permettre d’avoir un échange intéressant en séance. C’est sans doute plutôt mercredi ou jeudi et j’encourage chacun et chacune à contacter des députés. Sur le site de l’April, april.org, vous avez une page qui récapitule le dossier, qui précise les amendements et qui vous donne des pistes pour contacter des parlementaires.
Écoute Jean-François je te remercie de ton intervention et je pense qu’on aura l’occasion prochainement dans l’émission de faire un sujet beaucoup plus général sur le logiciel libre, l’Éducation, les formats ouverts, les données personnelles des élèves et des enseignants et enseignantes. Je te remercie Jean-François et à bientôt.

Jean-François Clair : Merci beaucoup Fred, à une prochaine fois.

Frédéric Couchet : L’émission va bientôt se terminer je vais juste faire une petite annonce qui est en lien, en fait, avec ce sujet-là, tout simplement.
Ce week-end à Beauvais auront lieu les PrimTux Days donc les journées Primtux. PrimTux est un système d’exploitation complet et libre qui propose un environnement de travail qui est adapté aux cycles de l’école primaire. On est toujours dans le domaine de l’école. C’est à Beauvais du samedi 16 février à 10 heures au dimanche 17 février à 17 heures. Vous retrouvez les informations détaillées sur le site de l’Agenda du Libre, donc agendadulibre.org et évidemment, sur le site de l’Agenda du Libre, vous trouvez tous les évènements du Libre qui se passent à Paris et ailleurs, les soirées de contribution au Libre, on a parlé tout à l’heure de contribuer à Softfware Heritage. On peut contribuer aux projets libres directement, les différents apéros, l’occasion de rencontrer des gens.

Notre émission se termine. Vous allez bientôt avoir le plaisir d’entendre notre générique de fin qui est Wesh Tone de Realaze.Vous retrouvez sur notre site web april.org toutes les références utiles que nous avons citées aujourd’hui. La page sera mise à jour s’il y a des références qu’on a oubliées. Vous retrouvez aussi sur le site de la radio causesommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
On va se retrouver le 19 février donc mardi prochain à 15 heures 30. Nous parlerons du Pacte de la Transition avec Aliette Lacroix, nous ferons un point sur la directive droit d’auteur avec Anne Catherine Lorrain qui travaille au Parlement européen pour le groupe des Verts et notre sujet principal, là c’est aussi un grand plaisir, j’aurais le plaisir d’échanger avec Stéphane Bortzmeyer dans le cadre du livre qu’il vient de publier Cyberstructure. L'Internet, un espace politique.

Je vous souhaite de passer une belle journée et on se retrouve la semaine prochaine. D’ici là portez-vous bien.


Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 19 février 2019

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Frédéric Couchetr

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 19 février 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Stéphane Bortzmeyer, Cyberstructure. Internet, un espace politique - Aliette Lacroix, Pacte pour la Transition - Frédéric Couchet, April
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 19 février 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, vous pouvez utiliser votre navigateur web, vous rendre sur le site de la radio, cliquer sur « chat » et nous rejoindre sur le salon web.
Nous sommes mardi 19 février 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être un podcast ou une rediffusion.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Mon collègue Étienne Gonnu est actuellement en régie pour sa première donc merci Étienne et bonjour.
Je suis en studio avec Stéphane Bortzmeyer que j’aurai l’occasion de présenter d’ici une quinzaine de minutes et bientôt nous aurons au téléphone Aliette Lacroix pour parler du Pacte pour la Transition.

Le site web de l’April est april.org, a, p, r, i, l point org et vous retrouvez d’ores et déjà une page consacrée à l’émission du jour avec les références que nous allons citer dans l’émission et, si nous en citons des non prévues, eh bien on les rajoutera ultérieurement après l’émission. Vous pouvez aussi en profiter pour nous faire des retours, pour nous signaler ce qui vous a plu ou des points d’amélioration. Je vous souhaite une excellente écoute.

Voici maintenant le programme de cette émission.
Nous allons commencer par un échange avec Aliette Lacroix du collectif Pour une Transition Citoyenne qui va vous présenter le Pacte pour la Transition. Normalement Aliette est avec nous par téléphone. Bonjour Aliette. Non, donc Aliette n’est pas avec nous par téléphone pour le moment ; elle va sans doute appeler d’ici quelques instants.
D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur le livre de Stéphane Bortzmeyer. Stéphane sourit un petit peu parce que juste avant la prise d’antenne il nous disait qu’il préférait venir en studio plutôt qu’être par téléphone pour éviter les problèmes. Évidemment on va retrouver Aliette assez rapidement je pense. Notre sujet principal portera sur le livre de Stéphane Bortzmeyer Cyberstructure. Internet, un espace politique, Stéphane est avec nous en studio. Bonjour Stéphane.

Stéphane Bortzmeyer : Bonjour.

Frédéric Couchet : En fin d’émission nous ferons un point sur le projet de directive droit d’auteur et également un point sur le projet de loi pour une école de la confiance et notamment les amendements proposant d’inscrire dans la loi la priorité au logiciel libre dans l’Éducation.
Comme je le disais tout à l’heure, à la réalisation de l’émission mon collègue Étienne Gonnu assisté du directeur d’antenne Olivier Grieco.

Tout de suite place au premier sujet si nous avons Aliette Lacroix au téléphone. Non ! À ce moment-là ce qu’on va faire, on va changer l’ordre du jour.
Stéphane, tu es ingénieur réseau informatique, militant des libertés numériques et donc auteur du livre Cyberstructure. Internet, un espace politique qui parle des relations entre l’architecture technique de l’Internet et la politique dans le sens vie de la cité et notamment les droits humains.
Je cite tout de suite le site web sur lequel vous pouvez trouver les informations concernant le livre, cyberstructure.fr. Il est publié aux éditions C&F Éditions, le site des éditions c’est cfeditions avec un « s » point com. Environ 270 pages, autour de 22 euros dans toutes les bonnes librairies et notamment les librairies de quartier, il y en a beaucoup à Paris et ailleurs. La version ePub devrait être disponible en mars 2019 donc bientôt. Stéphane le confirme.

Stéphane Bortzmeyer : Devrait.

Frédéric Couchet : Devrait et évidemment vous pourrez l’obtenir directement sur le site de l’éditeur.

Stéphane Bortzmeyer : Et sans DRM.

Frédéric Couchet : Et sans DRM, donc sans menottes numériques qui empêchent un certain nombre de libertés fondamentales.
L’objectif de Stéphane, à travers ce livre, c’est de parler des parties moins visibles de l’Internet, celles dont on parle un peu moins souvent et notamment de son infrastructure. C’est forcément un peu technique, mais ce livre n’est pas, normalement, destiné justement aux informaticiens et aux informaticiennes, mais il est destiné à l’ensemble du grand public. Il comporte une première moitié d’explications sur le fonctionnement de l’Internet et la seconde moitié est composée d’une série d’études de cas sur des sujets politiques dont tu trouves qu’ils ne sont pas forcément suffisamment traités, perdus aujourd’hui dans les débats entre Google, Facebook, Twitter et autres.
Stéphane, tu tiens un blog de références depuis je ne sais pas combien d’années d’ailleurs.

Stéphane Bortzmeyer : Sous sa forme actuelle, hou là, ça doit bein faire 15 ans, mais certains textes étaient déjà faits avant.

Frédéric Couchet : Une quinzaine d’années. Le site c’est bortzmeyer.org. C’est un site de référence parce que, pour tous ceux, pour toutes les personnes qui s’intéressent aux sujets techniques de l’Internet, on trouve des explications très détaillées et très accessibles qui vont souvent même jusqu’au détail pour que ça intéresse les personnes les plus pointues de la ligne de commande.
Première question : finalement pourquoi as-tu eu envie de publier un livre qui plus est un livre papier alors que tu tiens un blog depuis une quinzaine d’années sur ces sujets-là ?

Stéphane Bortzmeyer : En fait l’idée ne vient pas de moi, mais de mon éditeur Hervé Le Crosnier. Ça fait plusieurs années qu’il insiste pour que je publie un livre parce que quand il m’entend, quand il m’entendait me plaindre du fait qu’on ne parlait pas bien d’Internet ou pas assez ou pas des bonnes choses ou pas de la bonne façon, il me disait : « Mais justement, il ne tient qu’à toi que ça change, tu devrais faire un livre et je l’éditerai ». J’ai hésité pendant longtemps, ça fait du travail et puis c’est un monde que je ne connais pas bien. Mais je crois que ce qui est surtout intéressant dans le processus d’un livre c’est que c’est un travail collectif. Le livre est écrit par l’auteur, mais il est discuté avec l’éditeur, il est relu par plusieurs relecteurs et relectrices qui ont fait un très bon travail, très incisif. Il est mis en page par un professionnel. C’est donc un objet différent d’un blog où il y a une seule personne qui fait tout, ce qui limite un peu la qualité du travail qui peut être produit. Pour un livre, indépendamment du fait qu’il soit sous forme papier ou numérique, c’est surtout un contenu qui reflète un travail d’équipe.

Frédéric Couchet : OK. Et en plus ça permet d’atteindre un public qui ne consulte pas forcément, en fait, ton blog ; c’est un peu aussi l’objectif de ce livre : c’est de mettre à portée de tout le monde des concepts techniques sur Internet et les relations avec la partie, on va dire politique et les droits humains.

Stéphane Bortzmeyer : J’espère que ça sera comme ça mais malheureusement le marché du livre et la façon dont il est structuré c’est difficile. On peut commander ce livre dans toutes les librairies, effectivement, mais il faut le commander, à part dans quelques librairies exceptionnelles comme A Livr'Ouvert.

Frédéric Couchet : Qui est dans le 11e arrondissement de Paris.

Stéphane Bortzmeyer : Oui. Mais sinon il n’est pas disponible directement, donc il ne peut pas y avoir d’achat d’impulsion ou de gens qui, en traînant, en surfant, tombent dessus. Il faut que les gens le commandent, ça limite les possibilités de diffusion, mais bon ! Tout le monde ne peut pas être Michel Houellebecq donc ce n’est pas grave.

Frédéric Couchet : En tout cas on encourage les personnes qui écoutent cette émission et qui auront envie de lire le livre à le commander auprès de leur libraire de quartier car, comme tu le dis, on ne le trouve pas forcément en rayon directement.
Je comprends bien, évidemment, l’intérêt d’écrire un livre sur ce sujet-là qui est un complément de ce blog et ce travail collectif avec Hervé Le Crosnier qui est quelqu’un qui est depuis très longtemps impliqué dans, on va dire, le mouvement de la culture libre et qui, en plus je crois, était récemment interviewé dans un documentaire qui va passer sur Arte autour de la révolution justement Internet ou la révolution du partage, je dis le titre de mémoire, donc peut-être que je me trompe. Première question : comment tu définirais, justement, Internet, pour des gens pour qui, en fait pour beaucoup, le mot-clef c’est Web ou les autres mots-clefs c’est Google, Facebook, Amazon ?

Stéphane Bortzmeyer : Du point de vue de l’utilisateur c’est le réseau sur lequel il peut y avoir des services comme le site web de la radio causecommune.fm qui permet de l’écouter en ligne ou d’autres services plus ou moins sympathiques ou plus ou moins utiles.
Maintenant, du point de vue des gens qui le construisent, la caractéristique principale d’Internet et qui est à la base de beaucoup de questions politiques qui sont liées, c’est que c’est un réseau de réseaux. Ça n’est pas un réseau qui aurait été fait d’en haut par une entreprise ou un État qui aurait dit « tiens ! faisons un réseau, embauchons des gens, faisons des plans, trouvons un budget, faisons des réunions et finalement réalisons-le ». C’est plein de gens, plein d’acteurs qui ont construit leur bout de réseau et tous ces bouts sont fédérés entre eux, échangent du trafic et peuvent communiquer. Aujourd’hui quelqu’un qui en France est abonné à SFR peut regarder le site web de l’université d’Oulan-Bator en Mongolie, ça fonctionne et on ne s’étonne même plus que ça fonctionne ! En fait le miracle de l’Internet c’est qu’on ne s’étonne même plus que ça fonctionne alors que quand on sait ce qu’il y a derrière, on va au bureau tous les matins en se disant « c’est quand même dingue, ça marche encore ! »

Frédéric Couchet : Ça marche encore ! Le réseau construit d’en haut tu pensais par exemple au Minitel, à quelque chose comme ça ?

Stéphane Bortzmeyer : Par exemple, oui, ou au réseau téléphonique traditionnel, fait d’en haut et géré d’en haut. Internet lui ne l’est pas et ça a un tout un tas de propriétés qui viennent de là, alors des bonnes et des mauvaises. Les bonnes c’est par exemple l’innovation sans permission. On va fêter le mois prochain le trentième anniversaire du Web ou, plus exactement, le trentième anniversaire de la première publication parlant du Web. Tim Berners-Lee et Cailliau n’ont pas eu à demander une autorisation particulière.

Frédéric Couchet : Ils ont eu une idée, ils l’ont mise en œuvre et ça a fonctionné.

Stéphane Bortzmeyer : Ils ont eu une idée, ils la réalisent. Et ça c’est fait également avec beaucoup d’autres grands succès de l’Internet, je cite BitTorrent, par exemple, le système de distribution de fichiers. Ça ce sont les aspects positifs.
Il y a des aspects négatifs aussi ou, en tout cas délicats, c’est qu’il n’est pas possible d’avoir une décision prise une bonne fois pour toutes et qui serait appliquée par tout le monde. Il faut convaincre tout un tas d’acteurs qui n’ont pas les mêmes intérêts, qui peuvent même être concurrents et donc dans des domaines comme la sécurité, par exemple, c’est extrêmement difficile d’obtenir que tout le monde fasse quelque chose.
C’est un avantage aussi : ça rend difficile à certains d’appliquer à l’Internet le niveau de contrôle qu’ils voudraient. Mais c’est aussi un inconvénient et régulièrement les professionnels d’Internet se disent « ah zut ! Ça serait quand même plus simple s’il pouvait y avoir un dictateur et que tout le monde applique ses ordres », mais l’Internet, pour le meilleur et pour le pire, ne fonctionne pas comme ça.

Frédéric Couchet : D’ailleurs c’est un des intérêts du livre de voir ces points de tension entre côtés positifs et négatifs de la technique, on va y revenir, et aussi du mode de fonctionnement. Internet est un réseau de réseaux géré par de multiples organisations, comme tu le dis, et non pas par une seule organisation.
Il y a un deuxième point qui me paraît important et que tu cites dans le livre, je crois, ou c’est dans l’introduction, la préface qui a été écrite par Zythom, c’est qu’Internet est un réseau qui relie des gens, des êtres humains entre eux et ça c’est fondamental, des gens qui ont envie de faire des choses, de lancer des projets, de partager. Ça c’est quelque chose, c’est sans doute le premier outil, mais on pourra y revenir tout à l’heure, qui permet de redonner le pouvoir et notamment la liberté d’expression et de créer des choses grâce à Internet. Sans Internet il n’y aurait sans doute pas de logiciel libre ou de Wikipédia. Sans logiciel libre il n’y aurait peut-être pas aussi l’Internet tel qu’on le connaît. Mais en tout cas c’est sans doute une des forces d’Internet cette mise en relation de personnes.

Stéphane Bortzmeyer : Oui. Pour le logiciel libre, ça existait avant.

Frédéric Couchet : Ça existait avant.

Stéphane Bortzmeyer : Je me souviens de l’époque où Richard Stallman mettait des bandes magnétiques dans une enveloppe qu’il envoyait moyennant un paiement couvrant les coûts. Ce n’était pas super pratique. Je me souviens aussi d’un collègue qui m’avait raconté comment il avait rapporté de Berkeley deux bandes magnétiques avec Unix BSD pour les installer sur une machine en France. Il fallait prendre l’avion et ramener les bandes magnétiques. L’Internet a changé tout ça. Ça n’a pas inventé le logiciel libre qui existait avant.

Frédéric Couchet : Non, mais ça a permis sa diffusion.

Stéphane Bortzmeyer : Ça a permis une diffusion beaucoup plus large et beaucoup plus grande et ça a contribué à son développement important.
Mais il y a aussi d’autres réalisations collectives de l’Internet qui touchent peut-être un public plus large ; l’exemple classique c’est Wikipédia, c’est un exemple un peu facile, mais en même temps c’est vrai que c’est remarquable.

Frédéric Couchet : Qui a fêté récemment ses 18 ans je crois, 2001.

Stéphane Bortzmeyer : Donc il est majeur maintenant !

Frédéric Couchet : Voilà !

Stéphane Bortzmeyer : Il est responsable maintenant.

Frédéric Couchet : Dans ce livre, il y a une bonne part de technique et ton point de départ c’est qu’il faut un minimum de compréhension de la technique pour pouvoir comprendre la deuxième partie qui est la partie politique et la partie sociale. Un peu de façon provocatrice, mais tu emploies la comparaison dans le livre, en quoi Internet est différent d’un réfrigérateur ? Pourquoi il faut comprendre un peu la technique, et tu rentres quand même assez dans les détails de la technique, pourquoi il est important de comprendre la technique de l’Internet ?

Stéphane Bortzmeyer : Nos réfrigérateurs, en général on ne sait pas du tout comment ils fonctionnent, mais on connaît quand même deux ou trois trucs sur le réfrigérateur : quelque chose d’aussi simple que le fait qu’il doit être branché, par exemple, pour fonctionner. Souvent en informatique, malheureusement, on a un niveau de non-connaissance qui est abyssal ; une vielle blague est que quand on signale une panne il faut d’abord demander : « Vérifiez si l’ordinateur est bien branché ». On n’en est plus vraiment là mais pendant longtemps ça a été le cas. Mais surtout, la grosse différence avec le réfrigérateur, c’est qu’une partie de nos vies, toutes nos activités ne passent pas par le frigo. Il y a une activité importante, manger, qui dépend du frigo, et encore pas dans tous les cas, tout ce qu’on mange n’est pas passé par un frigo et le frigo n’a que peu de possibilités d’action. Il peut refroidir plus ou moins, mais il ne peut pas donner son avis sur ce qu’on y met ou décider d’accepter certaines choses ou pas ; ça changera peut-être dans le futur d’ailleurs ; la tendance à des objets connectés est assez inquiétante de ce point de vue là parce que, dans le futur, on pourrait avoir effectivement, on pourrait imaginer un frigo qui, par exemple, signale à la police ce qu’on mange, des choses de ce genre, ou le genre de médicaments qu’on stocke. Pour l’instant ce n’est pas le cas, pour l’instant le frigo est un objet passif, donc qu’on ait un frigo de telle marque ou telle autre n’a pas une grande importance sur la vie.
Internet c’est complètement différent. D’abord toutes nos activités passent par là : le travail, la distraction, le militantisme, toutes les activités de relations simplement sociales, discussions avec les gens, tout passe par Internet. Donc déjà il a un rôle dans notre vie beaucoup plus important que le frigo. L’autre différence aussi c’est que pour accéder à Internet on passe par tout un tas d’acteurs intermédiaires, des fournisseurs d’accès à Internet aux plateformes de services que certaines personnes utilisent pour communiquer, en passant bien sûr par les logiciels qu’on utilise qui sont aussi un intermédiaire, et ces intermédiaires peuvent, et en pratique des fois, interviennent dans la communication, autorisant certaines, bloquant d’autres, modifiant les informations. Donc on est dans un rôle très différent du frigo. Le frigo qui poserait les mêmes genres de problèmes politiques ça serait par exemple celui qui, je l’ai dit, refuserait certains aliments ou modifierait les aliments qu’on a mis. L’Internet en est là. Le fait qu’on soit obligé de passer par ces intermédiaires est un peu au cœur de tout un tas de problèmes de l’Internet.

Frédéric Couchet : Le rôle des intermédiaires, on va y revenir dans les exemples qu’on va aborder ultérieurement, est évidemment un rôle fondamental.
Dernière question plus générale sur le livre avant d’aborder trois-quatre sujets en détail. Ce livre s’adresse à toute personne à priori ? Est-ce qu’il faut des connaissances techniques préalables ? Ou une personne qui n’a pas de connaissances spéciales peut lire ce livre, selon toi ?

Stéphane Bortzmeyer : Normalement il est fait pour pouvoir être lu par des gens qui ne sont pas du tout informaticiens ; c’est l’objectif. Maintenant tous les gens qui ont essayé de faire de la vulgarisation savent que c’est un art très difficile. L’autre jour je discutais avec l’auteur d’un livre qui parle d’informatique, en l’occurrence de cybersécurité, et où il y avait beaucoup d’énormités dans le livre. Je lui reprochais ça et il me disait : « C’est pour un grand public ! » Je trouve cette excuse très mauvaise parce que précisément, quand on écrit pour des gens qui ne connaissent pas, il faut être plus rigoureux et non pas moins rigoureux parce que la personne en face ne pourra pas corriger d’elle-même et croira aveuglément tout ce qu’on raconte. La vulgarisation c’est très difficile parce qu’il faut être à la fois extrêmement rigoureux, plus même que quand on s’adresse à des experts, tout en étant pédagogique, tout en expliquant ce qui se passe.
La partie de mon livre qui explique la technique pour qu’on comprenne la partie politique est à l’origine prévue pour être le tiers du livre, elle a grossi, elle en fait plutôt la moitié, au fur et à mesure que mon éditeur ou des relecteurs me disaient : « Là tu parles d’adresse IP trois fois et tu n’as jamais expliqué ce que c’est qu’une adresse IP ». Ma première réaction c’était : « Ah bon ! Il faut expliquer ça aussi ? »

Frédéric Couchet : Tout le monde sait ce qu’est une adresse IP !

Stéphane Bortzmeyer : Eh ben non ! Tout le monde ne sait pas, donc il faut l’expliquer aussi. Et quand on explique un concept, il y en a un autre qui vient. Une des conséquences de ce livre c’est que j’admire beaucoup plus les gens qui font de la vulgarisation, de la bonne vulgarisation, parce que je savais que c’était difficile, mais je me rends compte que c’est vraiment difficile.
Savoir si j’ai atteint l’objectif, que ça soit lisible par un vaste public, je ne sais pas. L’auteur est mal placé pour en juger, j’attends l’avis des lecteurs là-dessus.

Frédéric Couchet : D’ailleurs sur le site de Stéphane, donc bortzmeyer.org, n’hésitez pas à faire des retours. Moi j’ai lu le livre, mais j’ai quelques connaissances techniques ; j’ai appris quand même beaucoup de choses parce que tu abordes énormément de sujets. Franchement je ne sais pas si tu abordes tous les sujets que tu voulais aborder, mais en tout cas tu abordes énormément de sujets avec des exemples très précis à chaque fois. Quand il a fallu sélectionner quels sujets on allait aborder aujourd’hui je me suis dit « tiens, de quoi on va parler ? », parce qu’il nous faudrait trois ou quatre heures si on veut tout aborder ». Donc n’hésitez pas à faire des retours et, en tout cas, à conseiller ce livre aussi à d’autres personnes parce que je pense que notamment toute l’explication sur la partie adresse IP et autres ou le routage des paquets sur Internet c’est quand même assez essentiel. Dans ton livre il y a cyberstrucure, droits humains. Les droits humains, en quelques mots, c’est quoi les droits humains ?

Stéphane Bortzmeyer : L'incarnation la plus évidente des droits humains c’est la Déclaration universelle qui s’appelait des droits de l’homme à l’époque, on l’appelle plutôt des droits humains aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Des droits humains aujourd’hui. 1948 si je ne me trompe pas,

Stéphane Bortzmeyer : Votée en 1948 par les Nations-Unies et qui, en théorie, est partagée par tout le monde puisque tous les pays membres des Nations-Unies, c’est-à-dire à peu près tout le monde, l’ont signée. Ça c’est la théorie.
Les points importants des droits humains c’est qu’ils fixent des limites à ce qu’un État, ou un autre groupe d’ailleurs, pourrait faire. C’est important, ça permet d’éviter par exemple la tyrannie de la majorité ou un groupe qui dise : « On est majoritaire donc on a droit de faire ce qu’on veut et on va persécuter voire massacrer les autres ». Le principe des droits humains c’est qu’il y a des droits qui sont universels, qui concernent tous les êtres humains indépendamment de leur couleur de peau, de leur culture, de leur pays, de leur genre, et qui sont automatiques : du seul fait qu’on est un être humain on a ces droits-là.

Frédéric Couchet : Du fait qu'on est un être humain, qu'on est né, on a ces droits-là.

Stéphane Bortzmeyer : Voilà. La politique ne se réduit pas à ça, il y a des domaines vastes et il y a bien d’autres aspects, mais il me semble qu’aujourd’hui c’est un socle minimum qui permet de regarder les problèmes politiques qui se passent sur Internet en ayant une certaine cohérence, c’est-à-dire est-ce que tel ou tel changement qu’on envisage de faire, tel ou tel progrès ou telle ou telle nouveauté, est-ce que ça aide et renforce les droits humains ou est-ce qu’au contraire ça les menace ?
C’est clair que les droits humains ne sont pas tout. La Déclaration universelle est rédigée en des termes assez vagues, assez généraux, forcément puisqu’elle est faite par des pays qui sont très différents, mais c’est un point de départ et, malheureusement aujourd’hui, plutôt menacé.

Frédéric Couchet : Il y a un vieux débat dont tu parles dans le livre, c’est la neutralité de la technique, c’est-à-dire est-ce que la technique est neutre ? Est-ce que l’infrastructure d’Internet doit jouer un rôle dans la protection de ces droits humains ou ne doit pas jouer un rôle ? Tu expliques, d’ailleurs, qu’il y a un document officiel donc de l’IETF, tu nous expliqueras ce qu’est l’IETF [Internet Engineering Task Force], où il y a différentes positions par rapport à ça.
Quelle est ta position par rapport à ce rôle que doit jouer l’infrastructure, la technique, les outils, les logiciels par rapport, justement, à cette protection de ces droits humains ? Est-ce que ça doit jouer un rôle, un rôle mineur, majeur, fondamental ?

Stéphane Bortzmeyer : En caricaturant on peut dire qu’il y a deux positions extrêmes : l’une qui dit que la technique est complètement neutre et donc, par exemple, les ingénieurs, les gens qui écrivent des logiciels, ne doivent pas se soucier de la question ; quelqu’un qui programme, il programme et il ne pense pas aux droits humains puisque, de toute façon, son logiciel pourra être utilisé par des gentils et par des méchants.

Frédéric Couchet : Donc la responsabilité est sur la personne qui utilise.

Stéphane Bortzmeyer : Voilà. Ça c’est une position extrême. Il y en a une autre qui serait de dire qu’il faudrait faire une infrastructure technique, une cyberstructure, qui rendrait impossibles certaines actions et qui, par exemple, dans le cas des droits humains, rendrait impossible leur violation. Ou au contraire, si on a un point de vue plus fasciste, rendrait impossible de critiquer le pouvoir en place.
Quelque part les deux positions sont fausses parce qu’elles oublient qu’il y a une interaction entre les outils et ce qu’on en fait. D’abord on ne crée pas des outils au hasard, ça prend du temps de développer du logiciel, développer une infrastructure comme Internet encore plus, donc on ne crée aussi que ce qu’on demande et ce pourquoi il y a une demande des gens prêts à travailler. Ensuite les outils qu’on fait, à leur tour, changent le point de vue qu’on a, changent ce qu’on pouvait faire. Bien sûr que ni les inventeurs de l’Internet, enfin en admettant que la notion existe, ni les gens qui ont travaillé au début de l’Internet, ni ceux qui ont travaillé au début du Web, là on voit un peu mieux qui c’est, je ne pense pas qu’ils prévoyaient tout ce que ça donnerait.
Les premiers plans qui étaient faits explicitement pour l’usage de l’Internet au début c’était de se connecter à distance sur un gros ordinateur pour y taper des commandes et, à l’extrême rigueur, de se passer des fichiers.
Le succès d’une invention se mesure souvent au fait qu’elle a dépassé ses inventeurs et qu’elle est utilisée dans un but imprévu. Donc cette interaction compliquée entre les outils et l’usage qu’on en fait, fait que les deux positions extrêmes sont aussi fausses l’une que l’autre. La technique n’est pas neutre parce qu’elle influence, déjà, ce qu’on peut faire, ce qu’on permet qu’on ne pouvait pas avant Internet. Quelqu’un qui avait des idées dans un pays donné ne pouvait pas diffuser ses idées sur toute la planète ; c’était tout simplement impossible. Donc la technique l’a rendu possible, mais elle n’a pas non plus fait que ça marcherait automatiquement. Les gens peuvent ne pas se saisir de cet outil, ne pas s’en servir.
Donc la réalité est quelque part dans une interaction entre l’outil et l’usage et qui fait, en tout cas, qu’on ne peut pas dire que la technique soit neutre. On ne peut pas dire que la technique soit neutre puisque si elle l’était on ne pourrait pas justifier tout le budget qu’on développe, qu’on dépense pour développer ces techniques. Si on dépense autant d’argent c’est bien parce que ces techniques servent à quelque chose. Elles ont un rôle, donc elles ne peuvent pas être neutres.

Frédéric Couchet : Donc elle est souple quelque part, je crois que tu emploies ce terme à un moment dans le livre, et finalement la responsabilité est partagée entre les personnes qui créent cette technique et les personnes qui l’utilisent donc entre les techniciens, techniciennes et les utilisateurs, utilisatrices. C’est un petit peu ta position.

Stéphane Bortzmeyer : Oui. Par exemple les auteurs de logiciels ne sont pas responsables de tout ce qui est fait avec leurs logiciels, mais ils ne peuvent pas non plus dire je suis complètement irresponsable.

Frédéric Couchet : On va continuer sur la neutralité, peut-être un peu en détail, parce que c’est sujet important dont beaucoup de gens parlent, c’est un sujet vaste et je crois que beaucoup de gens le résument souvent au fait de faire payer Google, comme tu le dis ou comme d’autres, notamment le gouvernement actuel et les précédents, enfin pas que Google, d’ailleurs tous les autres. Il y a tout un chapitre dans le livre avec une analogie, notamment, que je n’avais jamais entendue, que je ne connaissais pas, sur l’époque de Cro-Magnon et de la rivière. Donc cette notion de neutralité des réseaux, est-ce que tu peux nous la présenter, notamment les impacts que ça a concrètement aujourd’hui pour les personnes qui utilisent Internet ?

Stéphane Bortzmeyer : Si je me souviens bien en plus, l’histoire de Cro-Magnon venait d’une discussion avec Andréa Fradin qui était journaliste à Rue89, je crois que c’était elle qui l’avait suggérée.

Frédéric Couchet : Et qui s’est reconvertie en développeuse depuis.

Stéphane Bortzmeyer : Oui. Le mot neutralité, effectivement, désigne beaucoup de débats différents. Je voudrais déjà partir de ce qui est le plus évident et le plus souvent oublié : la base de l’idée de neutralité de l’Internet, de neutralité du réseau, c’est de dire que l’intermédiaire ne doit pas abuser de son pouvoir, ne doit pas modifier la communication ou l’arrêter selon ses intérêts à lui. Ça sera plus facile à expliquer par un contre-exemple : il y a quelques mois, les internautes clients d’Orange en Tunisie se sont aperçus qu’Orange modifiait les pages web qui étaient envoyées d’une machine à l’autre en y insérant des publicités. Petit aparté technique : pour les pages qui n’étaient pas en https, bien sûr, les autres ça aurait été plus difficile ; fin de l’aparté technique. Donc quelqu’un, le gérant du site web, décidait d’envoyer un certain contenu vers l’internaute ; l’internaute voulait accéder à ce contenu et, sur le trajet, un troisième homme, un intermédiaire, se permettait de modifier ce qu’il y avait, comme si la poste qui envoie les exemplaires de mon livre en province enlevait certaines pages, rajoutait des notes, raturait, des choses comme ça.

Frédéric Couchet : Ou comme s’ils ouvraient le courrier des gens pour ajouter de la publicité ; c’est exactement ça.

Stéphane Bortzmeyer : Exactement. Ça c’est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire et l’idée de base de la neutralité c’est que ce genre de chose ne doit pas être permis. Ça ne devrait même pas avoir besoin d’être expliqué parce que quand on dit aux gens : « C’est comme si la poste ouvrait les lettres, mettait un prospectus publicitaire, refermait la lettre », les gens disent : « Ça serait scandaleux ! » Eh bien oui, c’est aussi scandaleux pour Internet ! Comme beaucoup de débats complexes, l’intensité du débat, le nombre d’arguments échangés, fait qu’on oublie souvent les fondamentaux et là, les fondamentaux sont extrêmement simples pour la neutralité de l’Internet c’est : bas les pattes ! Bas les pattes ! Je veux que le réseau transporte mes données d’une machine à l’autre, d’une personne à l’autre, et que la personne ou l’organisation qui est en position d’intermédiaire n’en profite pas pour le modifier. Ça c’est le premier point important dans l’histoire de neutralité et qu’on oublie toujours parce que le débat, après, se complexifie, il y a plein d’autres aspects, mais ça ne doit pas faire perdre de vue le socle de base.

Frédéric Couchet : L’intermédiaire ne doit pas sortir de son rôle qui est un rôle d’intermédiaire, donc de transporter de l’information sans y toucher.

Stéphane Bortzmeyer : Exactement.

Frédéric Couchet : D’accord. Il y a plusieurs catégories de neutralité, on parle de la neutralité de l’Internet, des plateformes, est-ce que tu peux nous prendre un exemple ? Tu viens de nous prendre un exemple concret avec Orange en Tunisie, mais est-ce qu’il y a d’autres exemples de remise en question, justement, de cette neutralité ? Et deuxième question : quelle est la position au niveau gouvernement français, au niveau européen ? Est-ce qu’il y a une défense de la neutralité des réseaux ou, au contraire, est-ce qu’on laisse faire les intermédiaires techniques ?

Stéphane Bortzmeyer : Il y a d’autres aspects derrière le discours sur la neutralité. Il y a par exemple le problème, effectivement, de : est-ce qu’on peut faire une offre d’accès à Internet qui ne donnerait accès qu’à certains services qui, par exemple, auraient payé pour ça ? D’ailleurs des projets dans ce genre-là ont eu lieu, il y en a eu beaucoup. Le plus connu est le projet de Facebook, internet.org, rebaptisé Free Basics après, qui était de faire un accès à Internet qui soit gratuit mais qu’on ne puisse accéder qu’à Facebook.
Après, dans la deuxième itération, Facebook a dit : « Ah non ! Facebook et Wikipédia », pour pouvoir répondre aux critiques qui avaient eu lieu. On peut aussi imaginer un fournisseur d’accès qui ne donnerait accès non pas à tout l’Internet mais simplement à certains services qui ont payé le fournisseur d’accès. Ce qui permettrait au fournisseur d’accès d’être payé à la fois par ses clients et par les services auxquels il donne accès. Et ce genre de projets risque d’arriver. Il aurait des conséquences très graves, notamment parce qu’il bloquerait cette innovation qui est la caractéristique de l’Internet. C’est-à-dire que si on veut demain qu’il y ait une meilleure solution que Google, par exemple, au début ça sera un truc petit, pas capable de rivaliser directement avec Google et pour qu’il ait des chances, il faut que cette future organisation puisse être présente, accessible par les internautes. Aujourd’hui si je crée un système concurrent de Google, j’ai à peu près les mêmes possibilités : les internautes peuvent accéder à mon service comme à celui de Google et ils peuvent choisir. Si on n’a pas la neutralité de l’Internet, on pourrait avoir des fournisseurs d’accès qui n’offrent accès qu’à ceux qui les ont payés pour ça et, de ce point de vue-là, les gros en place payeront et ils seront accessibles et les petits, rien du tout ! C’est un autre aspect de la neutralité de l’Internet.

Frédéric Couchet : Est-ce que cette neutralité de l’Internet est mise plus en danger sur les mobiles que sur l’informatique telle qu’on la connaît anciennement ? Parce que j’ai l’impression que sur les mobiles il y a plus, justement, de violation de cette neutralité des réseaux.

Stéphane Bortzmeyer : Oui, beaucoup plus. La grande majorité des cas documentés de violation de la neutralité l’ont été sur les réseaux mobiles ou sur les abonnements au réseau mobile. Il y a plusieurs raisons à ça. Il y en a une qui est que les machines terminales – l’ordiphone, le smartphone dans le cas du mobile – c’est beaucoup plus fermé que ce qui existe dans le monde de l’informatique traditionnelle sur le bureau ou sur les genoux. Donc étant plus fermé, il y a moins de possibilités pour l’utilisateur de voir ce qu’il fait. Il y a aussi des arguments, une rhétorique différente qui est que l’espace dans lequel se font les communications sur le mobile, la radio, est un espace partagé, donc il est nécessaire de prendre des mesures, évidemment faites par le fournisseur à accès à Internet, par l’opérateur, décidées tout seul sans concertation et des mesures pour assurer une meilleure gestion de cet espace. Donc on a effectivement des menaces plus grandes là-dessus. C’est aussi qu’il y a moins de compétition. En France il y a quatre opérateurs de réseau mobile ; les opérateurs virtuels ne comptent pas puisqu’ils ne peuvent pas décider de ce qui se passe sur le réseau, alors que des fournisseurs d’accès à Internet sur des réseaux fixes il y en a beaucoup plus. À la limite même, chaque université est un fournisseur d’accès pour ses étudiants. Donc il y a beaucoup plus de possibilités qu’il n’y a pas dans le monde du mobile. Quand il n’y a pas de vraie concurrence, la tentation est forte de s’entendre pour bloquer ensemble. Donc oui, globalement la neutralité est beaucoup plus menacée en accès mobile sans qu’il n’y ait aucune raison technique valable pour ça.

Frédéric Couchet : Dernière question avant la pause musicale, est-ce qu’il y a une défense de la neutralité du Net par les gouvernements, français, européens ou, est-ce qu’au contraire, il y a un laisser-faire ?

Stéphane Bortzmeyer : Un des éléments du problème c’est que les fournisseurs d’accès, les opérateurs de mobiles sont plutôt locaux, alors que les services auxquels accèdent les internautes sont souvent étrangers, souvent étasuniens. Donc il y a souvent une tentation de favoriser ses capitalistes nationaux plutôt que les capitalistes étrangers ce qui peut mener, effectivement, à des violations de la neutralité. Quand j’entends des gens dire qu’il faut prendre des mesures pour éviter que Google capte trop de la valeur, de la part de gens qui, par ailleurs, dans leurs discours politiques, se prétendent libéraux, c’est-à-dire disent qu’il faudrait qu’il y ait moins de règles, qu’il y ait moins de contraintes et qu’ils donnent explicitement comme justification à leur politique un résultat – on veut favoriser telle entreprise et pas telle autre – c’est effectivement un peu inquiétant. D’autant plus que c’est aussi parfois justifié par les mauvaises pratiques bien réelles des gros opérateurs de service étasuniens, mais, comme on l’a vu, les opérateurs nationaux ne font pas mieux quand ils en ont la possibilité.

Frédéric Couchet : D’accord. Nous allons faire une pause musicale, nous allons écouter Energía Fulminante de Javiera Barreau Ensamble et on se retrouve après.

Pause musicale : Energía Fulminante de Javiera Barreau Ensamble.

Voix off : Cause Commune 93.1.

Frédéric Couchet : Vous venez d’écouter Energía Fulminante de Javiera Barreau Ensamble ; j’espère que je le prononce bien mais ça ne doit pas être le cas. C’est donc une musique libre comme toutes les musiques que nous diffusons sur Libre à vous !, cette musique est en licence Creative Commons Partage à l’identique. Les références sont sur le site de l’April, april.org.

Vous écoutez l’émission Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis toujours avec Stéphane Bortzmeyer pour parler de son livre Cyberstructure. Juste avant la pause musicale nous parlions de neutralité, on en a parlé rapidement. Je précise d’ailleurs que nous abordons rapidement deux-trois sujets aujourd’hui dans l’émission, c’est pour vous donner envie de lire le livre parce qu’il y a beaucoup de sujets qui sont abordés beaucoup plus en détail et que, probablement dans d’autres émissions, ultérieurement, nous reviendrons sur chacun de ces sujets-là pour les détailler un peu plus avec plusieurs personnes invitées.
On va aborder un nouveau sujet qui est important par rapport aux droits humains, c’est l’internationalisation. Qu’est-ce que signifie l’internationalisation en informatique ?

Stéphane Bortzmeyer : Ça désigne l’ensemble des techniques et procédés qui font qu’un logiciel ou un système informatique plus qu’un simple logiciel, puisse être utilisé par des gens de cultures différentes, de langues différentes. Il y a un aspect évident c’est que, par exemple, les messages qu’affiche le logiciel doivent pouvoir être traduits dans plusieurs langues et des aspects moins évidents, par exemple le fait que les codes couleurs qui sont utilisés dans certaines interfaces graphiques peuvent être dépendants de la culture et peuvent devoir s’adapter.
Historiquement l’informatique est issue de pays anglophones, ça se reflète dans le vocabulaire et, encore aujourd’hui, j’ai bien peur qu’on enseigne aux programmeurs débutants à écrire des programmes sans intégrer ça, sans intégrer l’ensemble des techniques qui permettent de faire une vraie internationalisation. Un exemple que je cite dans mon livre, je crois, c’est que sur le service de développement de logiciels libres Microsoft Hub qui s’appelait GitHub avant, sur Microsoft Hub on ne peut pas créer un dépôt avec des caractères qui ne soient pas ceux utilisés dans l’anglais. Donc même simplement des lettres avec accent, je ne parle même pas de caractères chinois, Microsoft Hub les refuse. GitHub déjà avant les refusait.

Frédéric Couchet : L’exemple que tu cites, tu as voulu créer un projet qui s’appelle Café avec un « e » accentué et ça ne passe pas.

Stéphane Bortzmeyer : Ça ne passe pas alors qu’aujourd’hui, contrairement à ce qu’il y avait il y a 20 ans, on a des outils techniques permettant de faire ça proprement, notamment le jeu de caractères Unicode qui est un grand succès de l’informatique mondiale puisque c’est un jeu de tous les caractères utilisés dans toutes les écritures actuellement vivantes et même pas mal d’écriture qui sont maintenant mortes.

Frédéric Couchet : Ça existe depuis combien de temps Unicode ?

Stéphane Bortzmeyer : Unicode, waouh, bonne question ! Quinze ou vingt ans. C'est assez ancien.

Frédéric Couchet : Quinze ou vingt, donc techniquement aujourd’hui, ça fonctionne.

Stéphane Bortzmeyer : Les innovations en informatique ne diffusent pas : il faut qu’elles passent dans les logiciels, il faut qu’elles passent dans les livres, dans la documentation, il faut qu’elles passent dans les cours. Je pense que beaucoup de programmeurs, quand ils apprennent à programmer, on ne leur apprend jamais Unicode ; on ne leur apprend que le jeu de caractères restreint ASCII qui convient juste pour l’anglais et on ne leur enseigne pas les bases de l’internationalisation. Ça c’est est embêtant parce qu’une fois qu’un programmeur est formé il va ensuite travailler pendant 20 ans, 30 ans, avec ce qu’il a appris sans toujours se mettre à jour.

Frédéric Couchet : Et le jeu de caractères ASCII, de mémoire c’est 128 caractères. Unicode, est-ce que tu sais combien de caractères c’est ? Ce que ça peut représenter ?

Stéphane Bortzmeyer : Oui. On en est à 100 000 et des poussières.

Frédéric Couchet : 100 000 et des poussières. Donc on compare les caractères ASCII, enfin le jeu de caractères ASCII donc 128 caractères, par rapport aux 100 000 caractères que propose Unicode. Évidemment l’internationalisation c’est important et puis c’est vrai, tu le dis, l’anglais est ultra dominant dans l’informatique et on dit souvent : « Vous devez apprendre quelques mots d’anglais pour faire un peu d’informatique ». Mais, comme tu le dis dans le livre, si on vous disait que c’est du swahili ou du chinois, par exemple, vous le prendriez différemment, vous diriez « non, ce n’est pas possible ». Donc c’est un enjeu essentiel aujourd’hui. D’ailleurs est-ce que dans la culture logiciel libre parce qu’on est quand même assez proches, on est quand même très culture logiciel libre, est-ce que cette prise en compte de l’internationalisation est plus forte que dans, on va dire, la culture du logiciel privateur ? C’est une vraie question.

Stéphane Bortzmeyer : Je crains que non, voire pire, parce qu’il y a certains logiciels privateurs qui ont fait un gros effort d’internationalisation pour des raisons de simple marketing. Quand on veut vendre quelque chose eh bien c’est mieux si on peut le vendre dans tous les pays. Par exemple, les entreprises les plus actives dans le Consortium Unicode sont Microsoft, Apple, IBM, Google, qui ne sont pas toujours connues pour leur amour du logiciel libre. Les motivations commerciales les poussent souvent à faire un effort d’internationalisation, ce qui n’est pas toujours le cas dans le monde du logiciel libre. Il y a un travail à faire là-dessus. Mais c’est un travail qui est à faire pour tout le monde et qui nécessite aussi de lutter contre ses propres préjugés. Une des pages web les plus amusantes sur Unicode c’est le même texte écrit en des dizaines de langues différentes et le texte dit à chaque fois, par exemple en français le texte dit : « Mais pourquoi ils ne peuvent pas simplement parler français comme tout le monde ! »

Frédéric Couchet : Excellent !

Stéphane Bortzmeyer : Ensuite il y a le même texte traduit dans chaque langue avec le nom de la langue modifié à chaque fois. Ça sert à la fois à tester techniquement les capacités Unicode de votre navigateur et les polices disponibles et aussi à décentrer le regard pour qu’on s’aperçoive que l’étranger croie que l’étranger c’est nous.

Frédéric Couchet : Voilà ! Il faut se mettre à la place de l’autre. En tout cas je ne connaissais pas cette page. Tu m’enverras l’adresse, on l’ajoutera dans la page des références sur le site de l’April.
On va passer à un nouveau sujet parce que, malheureusement, le temps passe vite à la radio, un sujet peut-être un peu plus technique, tu voulais parler des points d’échange et de l’interconnectivité, j’ai du mal à le dire. Je crois que c’est vraiment lié à une notion que tu as expliquée tout à l’heure, d’Internet réseau de réseaux. Est-ce que tu peux expliquer ces notions de points d’échange et d’interconnectivité et la problématique que cela peut poser à la fois en France et, je crois que, surtout dans d’autres pays, elle est beaucoup plus importante ?

Stéphane Bortzmeyer : Le titre du livre Cyberstructure fait évidement référence à la notion d’infrastructure parce que je trouvais dommage que sur Internet on parle beaucoup des services que certains utilisent – Facebook, Google et tout ça – et pas de l’infrastructure qui elle est partagée, commune à tout le monde. On peut choisir de ne pas utiliser Facebook, on ne peut pas se passer de l’infrastructure d’Internet, c’est sur elle que tout repose. Et cette infrastructure repose sur beaucoup de choses matérielles et humaines : les câbles qui connectent tout le monde, les machines qui sont à l’intersection des câbles, les humains qui s’en occupent. Cette infrastructure a des propriétés qui peuvent aggraver ou, au contraire, faciliter certains usages. Par exemple si deux internautes français veulent communiquer et qu’ils sont chez des opérateurs Internet différents, il faut que ces deux opérateurs soient connectés quelque part entre eux et que les messages passent directement de l’un à l’autre. S’ils passent par un pays tiers, au hasard les États-Unis parce qu’en pratique, quand la communication entre deux pays étrangers passe par un pays tiers c’est souvent les États-Unis, si ça passe par les États-Unis ça se traduit par des problèmes politiques : capacité d’espionnage ou de contrôle, voire de coupures de l’Internet accrues, soit pas des problèmes plus techniques comme l’augmentation du temps d’acheminement des données qui peut se traduire par des ralentissements.
Donc pour ça il faut que les opérateurs soient massivement connectés et connectés le plus près possible. S’il y a deux opérateurs à Paris, il faut que ce soit connecté à Paris ou, à la rigueur, à Lyon ou à Rennes mais, en tout cas, pas à New-York. Et ça, ça se fait techniquement par plusieurs moyens. Internet c’est vaste et il y a plein de solutions. L’un des moyens étant ces points d’échange. Parce que, que tous les opérateurs soient connectés à tous les autres, ça nécessiterait beaucoup de câbles et beaucoup de complications. Le plus simple c’est d’avoir un endroit neutre où tous les opérateurs peuvent amener un câble, se connecter au point neutre, le point d’échange, et après être mis ainsi en rapport avec tout le monde. Ce sont ces points d’échange qui font qu’aujourd’hui un trafic entre deux opérateurs français pratiquement toujours reste en France ou en tout cas ne va pas très loin.
À l’inverse c’est le manque de ces points d’échange qui fait que dans beaucoup de pays du monde la communication entre deux opérateurs du même pays passe par l’étranger.

Frédéric Couchet : Donc sort du pays. En fait il faut que les gens comprennent parce que les gens s’imaginent, effectivement comme tu le dis, que si d’un point A à un point B dans un même pays normalement la communication reste dans le même pays, en fait, dans de nombreux pays, ça sort du pays pour aller souvent donc aux États-Unis avant de revenir dans le pays. Les gens doivent être assez surpris d’entendre ça.

Stéphane Bortzmeyer : C’est ce qu’on appelle le tromboning.

Frédéric Couchet : Tromboning !

Stéphane Bortzmeyer : Oui. Ça a la forme d’un trombone et effectivement, par exemple en Amérique latine c’est courant que la communication entre deux opérateurs du même pays… Ça dépend des pays, mais il y a beaucoup pays où la communication entre deux opérateurs du même pays passe par Miami ou Houston avant de revenir, avec les conséquences politiques et techniques qu’on voit.
Et là la solution est techniquement bien connue, ce sont les point d’échange. Les points d’échange c’est intéressant parce que techniquement c’est quelque chose de relativement simple ; les gens qui passent leurs journées à gérer des points d’échange ne vont pas être d’accord, évidemment.

Frédéric Couchet : En gros, techniquement, c’est un bâtiment dans lequel il y a des câbles, des gros câbles qui arrivent et à l’intérieur il y a… ?

Stéphane Bortzmeyer : Ce qu’on appelle un commutateur, c’est-à-dire un appareil sur lequel on branche les câbles et qui redistribue ensuite le trafic, permettant à tout le monde d’entrer en communication avec tout le monde. La difficulté n’est pas seulement technique, il faut quand même qu’il y ait des gens qui s’en occupent, des gens compétents qui s’en occupent, mais la difficulté est surtout, après, plus liée aux décisions business, encore faut-il que tout le monde ait envie de se connecter, avec des opérateurs qui peuvent être des concurrents, voire des gens qu’on n’aime pas. Donc il faut aussi une volonté délibérée de se connecter pour que le trafic se passe dans les meilleures conditions. Or souvent, et là on en revient un peu au problème des GAFA, des gros opérateurs comme Google, Amazon, Facebook, c’est que souvent le raisonnement de l’opérateur c’est de se dire « mais je m’en fiche que mes utilisateurs communiquent avec les utilisateurs de mon concurrent ; ce qui m’intéresse c’est qu’ils aient un accès facile à Google, Facebook et tout ça. » Donc on néglige le point d’échange ou les interconnexions locales au profit de connexion vers les centres de données de Facebook et autres gros intermédiaires et le phénomène s’auto-renforce. Si ça va plus vite d’aller chez Amazon que chez le voisin…

Frédéric Couchet : Les gens iront chez Amazon.

Stéphane Bortzmeyer : Les gens iront chez Amazon. Par exemple dans beaucoup de pays du monde, un gouvernement qui veut mettre des ressources qui sont pour tous les habitants du pays, des ressources publiques qui sont pour tous les habitants du pays, souvent la solution la plus rationnelle techniquement c’est de les mettre chez Amazon.

Frédéric Couchet : Aux États-Unis.

Stéphane Bortzmeyer : Eh bien oui ! De manière à avoir un service moyen qui soit le meilleur alors qu’en les mettant chez un seul opérateur on favorise : ça ne sera pas mal pour cet opérateur et moins bon pour les autres.
Le problème vient aussi du fait que souvent les communications directes entre utilisateurs sont négligées. On se dit on va passer par Facebook ou par Dropbox. Quand je vois dans une université en Afrique l’enseignant qui met les ressources pédagogiques sur Dropbox si bien qu’entre l’enseignant et l’étudiant qui sont à quelques mètres l’un de l’autre, le fichier va partir jusqu’aux États-Unis et retour sur des lignes internationales qui sont très encombrées, je me dis qu’il y a un problème. C’est à la fois un oubli de ce que permet l’Internet, qui permet les communications pair à pair et aussi, dans certains cas, une diabolisation du pair à pair qui, après des années de propagande, finit par être assimilé comme un outil de pirates, de marginaux, de gens dangereux.

Frédéric Couchet : Tout à l’heure quand tu parlais de BitTorrent, qui doit avoir peut-être une vingtaine d’années aujourd’hui, avec tout le travail, malheureusement, de l’HADOPI et compagnie qui ont consacré beaucoup de temps à faire croire que cette technologie était une technologie néfaste alors qu’au contraire c’est une technologie de l’Internet pour justement… Je crois d’ailleurs qu’il y a un moment où tu l’expliques dans le livre de façon assez détaillée par rapport à cette centralisation des GAFAM et compagnie que ce qu’il faut développer c’est cette décentralisation, cette a-centralisation, justement avec ces points d’accès et d’autres méthodes techniques dont tu parles, que c’est la vraie solution plutôt que d’essayer d’aller taper sur les gros. Il faut permettre, comme tu le dis, aux petits de pouvoir exister et aux échanges locaux d’avoir lieu directement.

Stéphane Bortzmeyer : Surtout que l’Internet permet techniquement ces communications pair à pair. Donc utiliser l’Internet pour que tout le monde aille se connecter à un gros service centralisé, c’est vraiment ne pas utiliser l'Internet correctement, c’est ne pas l’utiliser pour ce qu’il sait faire. C’est avoir un mode d’utilisation Minitel avec un réseau qui, justement, n’est pas architecturé pareil et est conçu pour le pair à pair.

Frédéric Couchet : Tu es optimiste sur ce point de vue-là, sur cette compréhension, notamment au niveau des politiques, des entreprises et autres ?

Stéphane Bortzmeyer : Je crois que je vais citer Alan Kay qui disait à propos du développement logiciel, mais ça peut s’appliquer à beaucoup d’autres choses, qu’il ne faut pas se demander de quoi sera fait le futur, il faut le faire. Je ne sais si ça se fera ou pas, je sais que c’est ça qu’il faut faire et qu’il faut consacrer des efforts pour expliquer ça aux gens pour le rendre possible, plus facile ; lutter contre cette diabolisation du pair à pair, avoir plus de logiciels qui permettent de faire ça, par exemple dans le domaine de la communication interpersonnelle, des systèmes décentralisés comme ceux autour du protocole ActivityPub plutôt que Facebook ou Twitter. C’est ce genre de choses qu’il faut faire et est-ce que ça réussira ou pas, c’est une autre histoire.

Frédéric Couchet : Justement, je n’avais pas forcément prévu d’en parler aujourd’hui, mais tu parles d’ActivityPub, l’un des outils, un des services en tout cas qui se développe de plus en plus autour de ça c’est Mastodon. Est-ce que tu peux expliquer un petit peu ce qu’est Mastodon par rapport, justement, à Twitter ? Est-ce que tu penses que c’est quelque chose qui va vraiment prendre, qui va pouvoir recréer, réellement, cette relation pair à pair ?

Stéphane Bortzmeyer : Mastodon est un logiciel, un logiciel libre en plus, qui permet de la communication interpersonnelle, l’échange de messages, de photos, de vidéos, enfin rien d’extraordinaire de ce point de vue-là. Ce qui fait son intérêt c’est que ce n’est pas un service avec ses règles d’utilisation, avec sa politique qui s’impose aux utilisateurs. C’est un logiciel qu’on peut installer chez soi, qu’un groupe peut installer ou qu’une organisation peut installer ; ce n’est pas forcément monsieur Michu qui le fait lui-même, ça peut passer par n’importe quel groupe ou organisation. Ensuite, une fois qu’on a fait ça, les gens peuvent communiquer non seulement chez ceux qui utilisent le même service avec le logiciel Mastodon mais aussi avec les autres, donc en utilisant ce protocole ActivityPub. D’ailleurs ce n’est pas juste Mastodon, il y a d’autres logiciels qui mettent en œuvre ce protocole et qui communiquent entre eux. C’est encore, pour l’instant, un petit peu rude des fois, il y a quelques problèmes, mais globalement ça fonctionne déjà pas mal.
Savoir si ça s’imposera, je n’en sais rien. Mais c’est ce que je disais tout à l’heure, je n’en sais rien et ce n’est pas ça qui est important. Ce qui est important c’est de faire en sorte que ça soit connu, utilisé, sans faire de pronostics sur l’avenir. Les pronostics sont très…

Frédéric Couchet : Surtout en informatique.

Stéphane Bortzmeyer : Voilà ! En informatique c’est très incertain et on s’est souvent plantés. À chaque fois que j’entends quelqu’un me dire sur un ton assuré : « Mais non jeune homme, voyons, votre truc ça ne marchera jamais ! Tout le monde utilise Facebook, vous ne voudriez pas que madame Michu utilise votre truc ActivityPub, ça n’a pas de sens ! » Chaque fois que j’entends un monsieur sérieux, un éditorialiste, un ministre qui parle comme ça, je repense à ce que ces gens-là disaient de l’Internet il y a 25 ans : « Non, non ! C’est un jouet, ça ne marchera pas ! C’est un réseau expérimental, ça ne sera jamais utilisé ! » Clairement ils se sont complètement trompés donc il n’y a pas de raison que ça soit mieux aujourd’hui.

Frédéric Couchet : En parlant d’ActivityPub, il y aussi un nouveau service, notamment porté par l’association Framasoft, nos amis de Framasoft, qui est PeerTube, qui permet d’héberger des vidéos sur le même principe de pair à pair. L’enjeu va sans doute être d’arriver à convaincre les gens d’aller ou, en tout cas, d’utiliser aussi ces réseaux-là. Je pense que ton livre y participe grandement, justement en expliquant l’importance de ce pair à pair, de mettre un terme à cette diabolisation. On en discutait tout à l’heure en arrivant en métro avec mon collègue Étienne Gonnu : l’HADOPI va fêter ses dix ans aujourd’hui, dix ans néfastes. On peut espérer que maintenant on va pouvoir revoir le bon côté de ces échanges directs entre personnes, ce qui est la base même d’Internet.

Le temps passe, on va essayer d’aborder les derniers sujets qu’on souhaitait aborder. Un autre sujet qui est évoqué dans le livre et tu en parlais au tout début je crois, c’est la tension entre la sécurité et les autres droits humains, notamment le rôle que peut jouer un certain type d’intermédiaires. Tout à l’heure, quand on parlait de la neutralité, tu parlais du rôle de l’intermédiaire qui devait rester dans son rôle. Il y a aussi un autre intermédiaire, ce sont les personnes qui développent des logiciels, qui mettent en place des applications. De ce point de vue-là, quelle est la situation notamment sur les magasins d’applications sur téléphone mobile ?

Stéphane Bortzmeyer : La question est compliquée. Dès qu’il s’agit de sécurité c’est compliqué sauf si on est ministre de l’Intérieur et qu’on assène « la seule qui compte c’est la sécurité, les libertés tout le monde s’en fiche. Monsieur Michu s’en moque. De toute façon ce que veulent les gens c’est être en sécurité » et pouf ! on empile loi liberticide après loi liberticide. Dans ce cas-là la situation est simple !
Si, par contre, on a une approche plus centrée sur les droits humains, la situation est compliquée parce qu’on souhaite de la sécurité, tout le monde en souhaite, par exemple on n’a pas envie que son ordinateur se fasse pirater, mais ça ne doit pas être à n’importe quel prix et surtout ça doit être fait intelligemment, c’est-à-dire est-ce que vraiment les mesures dites de sécurité, nous apportent vraiment de la sécurité ou pas ? Et ça ce n’est pas garanti du tout.
Prenons Apple pour prendre un exemple : quand vous achetez un Mac vous pouvez mettre dessus les logiciels que vous voulez, en tout cas pour l’instant. Quand vous achetez un iPhone, de la même société, vous ne pouvez pas ! Vous ne pouvez mettre que ce qui est sur le magasin d’applications d’Apple, l’App Store, et c’est Apple qui décide ce qui peut y aller ou pas. Des fois Apple laisse entendre que ça serait pour des raisons de sécurité. Ils ne le disent pas trop fort parce qu’ils n’ont pas envie d’être considérés comme responsables si une application sur l’App Store se révèle, en fait, être une application dangereuse. Donc Apple ne matraque pas trop cette histoire de sécurité mais le laisse entendre. Et en fait c’est bidon, évidemment, parce que faire un audit de sécurité sérieux de toutes les applications ça serait un énorme travail.
Donc Apple contrôle, en fait, ce qu’on peut installer sur son téléphone. L’argument qui est donné c’est l’argument classique de tous les gens qui regardent monsieur Michu de haut en disant « il est bête, il ne peut rien comprendre, on le fait pour lui. On gère ça pour lui, on lui fait un environnement bien propre, bien sûr, bien rassurant, avec des choix bien balisés ». C’est une approche courante qui est, en fait, qu’on voudrait réduire le choix à un petit nombre de choix inoffensifs dans ce qu’on a décidé.
Le vrai problème n’est pas : est-ce que c’est bon pour la sécurité ou pas, c’est déjà qui décide ? Dans le cas de l’App Store c’est simple, c’est Apple tout seul !
On pourrait estimer que ça serait effectivement intéressant pour monsieur Michu qu’il y ait un système de tri, de curation pour utiliser des grands mots, des applications, qui permettrait d’éviter qu’on installe n’importe quoi. D’ailleurs il y a des tas de logiciels libres qui fonctionnent comme ça. La notion de magasin d’applications ce n’est pas Apple qui l’a inventée.

Frédéric Couchet : C’est le logiciel libre avec les projets Debian et compagnie.

Stéphane Bortzmeyer : Un système comme Debian est un bon exemple où il y a des dépôts officiels, on peut en rajouter d’autres si on veut, mais il y a par défaut des dépôts officiels où il y a un minimum de vérification et une infrastructure à la fois technique et humaine qui permet de traiter le cas d’une application qui s’avérerait buguée ou malveillante, etc. Là le système fonctionne et on sait surtout sur quels critères c’est décidé. Après, en pratique, c’est évidemment plus compliqué que ça. Mais au moins, sur le papier, on a une politique de ce qui va ou pas dans le magasin d’applications Debian qui est claire et qui est transparente dans le sens où on voit ce qui se passe, on voit les problèmes ; on ne peut pas être d’accord, mais on les voit. C’est ce qui manque complètement dans les systèmes de contrôle comme l’App Store d’Apple où il n’y a aucune supervision extérieure, on ne sait pas ce qui est fait, ce qui est décidé. On peut soupçonner, probablement à juste titre, qu’Apple n’est pas juste motivée par le bien des utilisateurs mais aussi par ses propres intérêts.
Donc là on a une question qui est importante. Pour reprendre l’exemple du logiciel libre, la question s’était posée récemment avec l’affaire de ce paquetage malveillant qui avait été mis dans npm, le système des applications JavaScript pour Node, où il y avait apparemment un mainteneur qui avait confié la maintenance de son projet – il a arrêté, ce qui est courant dans le monde du logiciel libre –, il avait confié la maintenance à un volontaire, quelque chose qui arrive tous les jours dans des tas de logiciels libres, mais il se trouve que le volontaire était en fait malveillant, il avait mis du code malveillant et que, après, des tas d’utilisateurs, sans s’en rendre compte, téléchargeaient.
On a entendu à ce moment-là beaucoup d’appels, beaucoup de mouvements de mentons, de coups de poings sur la table disant « c’est intolérable, il faudrait faire quelque chose, il faudrait qu’il y ait quelque chose ». Alors ça serait l’HADOPI, je ne sais pas, qui vérifie tous les paquetages npm. Sans même parler de l’aspect irréaliste de la question, la plupart du temps, ça omet complètement l’aspect politique : qui va décider ? Qui va décider et sur quels mécanismes ? Quand il s’agit de sécurité en informatique c’est toujours présenté comme quelque chose d’apolitique : ce sont juste des décisions techniques. En fait non ! Les décisions prises pour des raisons de sécurité sont toujours politiques : on va exclure certaines choses ou pas, et c’est ça qui devrait être transparent et visible à tout le monde. Ce qui n’est pas du tout le cas avec l’App Store ou son concurrent de Google qui n’est pas mieux.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Dernière question : quelles pistes tu donnerais aux personnes aujourd’hui qui auraient envie, une fois qu’elles auront lu ton livre, d’en savoir plus justement sur la technique ? Est-ce qu’il y a des formations qui existent ? Est-ce qu’il y a des sites à consulter ? Est-ce qu’il y a des choses à faire pour essayer d’aller un peu plus loin, pour devenir, peut-être, un peu plus acteurs et actrices de ce mouvement et de cette construction de ce futur Internet dont on a parlé un peu ? On ne sait pas ce que ça va donner mais au moins il faut agir.

Stéphane Bortzmeyer : Sur l’aspect technique, non, il n’y a pas une bonne solution simple. La meilleure pour l’instant, curieusement pour une technique du 21e siècle, elle est assez traditionnelle, c’est l’échange avec les pairs, p, a, i, r, les pairs humains, pas pair du pair à pair, les pairs humains, les associations, les organisations comme RIPE (Réseaux IP Européens), NANOG [North American Network Operators' Group], FRnOG [FRench Network Operators Group] en France, les associations, tous les mouvements autour du logiciel libre où les gens se rencontrent, discutent, échangent et c’est comme ça qu’on acquiert des informations.
J’étais à Bruxelles au FOSDEM il n’y a pas très longtemps. Le FOSDEM [Free and Open Source Software Developers' European Meeting] est un endroit où se réunissent tout un tas de gens qui travaillent, entre autres, sur les réseaux. J’ai surtout suivi les sessions qui avaient un rapport avec l’Internet. Il y a énormément de gens qui se rencontrent, qui échangent et c’est là qu’on acquiert les compétences, qu’on approfondit les questions.
Sur les aspects un peu plus politiques, malheureusement en France, il faut bien constater que les questions liées à l’Internet sont souvent dépolitisées, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas reconnues comme des questions politiques même quand elles le sont. Par exemple la défense des droits et libertés sur Internet qui devrait la tâche de tous les partis politiques que se prétendent défenseurs des libertés, en pratique c’est surtout pris en charge par des organisations spécialisées comme La Quadrature du Net qui fait un excellent travail, mais ça n’est pas normal que ça soit une association spécialisée Internet qui fasse ça. C’est un problème plus général qui devrait être pris en charge par tous ceux qui disent défendre les droits humains.

Frédéric Couchet : D’ailleurs ça me fait penser que dans le projet de loi pour une école de la confiance dont je parlerai tout à l’heure, il y a eu des amendements qui ont été proposés justement pour introduire une sorte de formation aux humanités numériques, je crois que c’est le terme qui était employé dans un des amendements, parce que traditionnellement, malheureusement dans les écoles on informe plus sur méfaits ou les dangers de l’Internet plutôt que sur les possibilités offertes, justement, par Internet.
Écoute Stéphane, cette discussion va bientôt se terminer. J’en profite pour signaler à la régie qu’on va bientôt passer une pause musicale. Est-ce que tu as quelque chose à ajouter sur le livre ou sur autre chose ?

Stéphane Bortzmeyer : Je pense que c’est bien de terminer avec, effectivement, les humanités numériques parce que c’est vraiment quelque chose d’essentiel. Aujourd’hui une partie importante de nos vies est passée sur Internet ou se fait via Internet. Si on ne comprend rien, si on est complètement largué par l’Internet, on ne peut pas vraiment exercer ses droits de citoyen, on ne peut pas vraiment comprendre les débats ou comprendre les enjeux. Donc il y a là-dessus un gros effort à faire. Ce n’est pas de mode d’emploi dont on a besoin, les utilisateurs savent parfaitement utiliser Internet ; ce n’est pas non plus de leçons effectivement moralisatrices du genre « oh là, là ! Internet c’est dangereux il vaut mieux ne pas s’en servir ! » C’est plutôt de comprendre ce qui se passe derrière, comprendre les choix qui ont été faits. Comprendre, par exemple, que le tri qui est fait par Google quand on tape une recherche n’a rien d’innocent, il reflète des opinions et des choix. C’est comprendre qu’en matière de sécurité, effectivement, les choix qui sont faits en matière de cybersécurité comme tous les choix en matière de sécurité peuvent être discutés, ils sont contestables, ils peuvent et ils doivent être discutés. C’est comprendre qu’on ne doit pas être passif vis-à-vis de l’Internet avec l’argument « oh ! c’est de la technique je n’y comprends rien », mais qu’au contraire c’est toute notre vie et donc c’est pour ça qu’il est important de la comprendre et d’y participer.

Frédéric Couchet : En tout cas j’espère qu’on a contribué à ça. J’encourage évidemment toutes les personnes à acheter le livre Cyberstructure de Stéphane Bortzmeyer. Dans toutes les bonnes librairies n’hésitez pas à le commander. Vous pouvez aussi le commander sur le site des éditions C&F Éditions.
Tout à l’heure j’ai parlé de l’HADOPI, je voulais aussi rappeler qu’en 2009, justement dans le cadre de la loi HADOPI, le Conseil constitutionnel avait fait de l’Internet « une composante de la liberté d’expression, considéré comme un droit fondamental auquel seul un juge peut porter atteinte et en aucun cas le pouvoir administratif ». Les personnes qui suivent les dossiers actuellement sur Internet, enfin du gouvernement, verront à quoi je fais référence. En tout cas ça fait dix ans que le Conseil constitutionnel a rappelé ce point essentiel.
Nous allons faire une pause musicale avant de passer à notre prochain sujet. Nous allons écouter le morceau Oublier de Prince Ringard.

Pause musicale : Oublier de Prince Ringard.

Voix off : Cause commune 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Prince Ringard, le titre s’appelle Oublier, les références sont sur le site de l’April. C’est en licence Art Libre et, sur le site de l’artiste, Prince Ringard, vous pouvez retrouver les dates de ses concerts.

Vous êtes toujours sur l’émission Libre à vous !, sur radio Cause Commune, 93.1 en Île-de-France et causecommune.fm partout ailleurs dans le monde sur Internet. Nous avons discuté avec Stéphane Bortzmeyer de son livre Cyberstructure aux éditions C&F Éditions je rappelle. Nous allons maintenant aborder un sujet assez rapidement : un point sur le projet de directive du droit d’auteur dont on avait… En fait non, on va parler d’autre chose parce que, visiblement, nous avons récupéré Aliette Lacroix. Bonjour Aliette.

Aliette Lacroix : Bonjour.

Frédéric Couchet : Aliette, qu’est-ce que le Pacte pour la Transition ?

Aliette Lacroix : Le Pacte pour la transition c’est un projet qui a vocation à favoriser et à organiser la participation citoyenne pour permettre le changement vers la transition citoyenne, écologique, solidaire et démocratique dans toutes les communes. Concrètement, les municipales de 2020 c’est dans un peu plus d’un an, juste un peu plus de un an, ce sera en mars 2020 ; une cinquantaine d’organisations se sont réunies pour essayer de définir des mesures concrètes et applicables à l’échelle d’une commune, pour qu’elles soient portées par des citoyens qui définiront les mesures les plus pertinentes selon leurs contextes locaux et qu’ils les portent auprès des candidats. L’idée étant que les municipales de 2020 permettent de faire progresser le sujet de la transition dans les communes.

Frédéric Couchet : Donc ce Pacte pour la Transition a été impulsé par le collectif Pour une Transition Citoyenne. Tu as parlé de partenaires, est-ce que tu peux nous en citer quelques-uns ?

Aliette Lacroix : Oui, bien sûr. Il y a quasiment la totalité des membres du collectif Transition Citoyenne plus pas mal d’autres structures notamment Emmaüs, les Colibris, Greenpeace ; on va retrouver également France Nature Environnement et, dans les membres du collectif Transition Citoyenne, on a les fondateurs historiques du collectif : Enercoop, La Nef, Alternatiba, Terre de Liens, Le Mouvement des AMAP…

Frédéric Couchet : Ça fait beaucoup de monde ! Je précise que l’April est aussi partenaire de ce Pacte comme nous sommes partenaires de la Fête des Possibles que le collectif organise également, en septembre 2019. Ce Pacte présente des mesures. Sur la procédure, il y a eu des premières mesures qui ont été proposées par les partenaires et, actuellement, une consultation est ouverte jusqu’au 28 février, si je me souviens bien, qui permet aux gens de soutenir ou, au contraire, d’amender les propositions qui sont déjà en ligne et également de faire leurs propres propositions. C’est bien ça ?

Aliette Lacroix : Exactement, oui tout à fait. On a eu presque mille contributions depuis le début du mois et effectivement, les personnes ont encore jusqu’au 28 février pour soumettre leurs avis sur les mesures initiales ou bien, comme tu le disais, proposer de nouvelles mesures.

Frédéric Couchet : Après le 28 février, quelles sont les prochaines étapes ? Il va y avoir une sélection de nouvelles mesures pour finaliser le Pacte, c’est bien ça ?

Aliette Lacroix : Exactement. On est en train de mobiliser un comité d’experts.

Frédéric Couchet : D’accord.

Aliette Lacroix : Qui sera composé à la fois de citoyens qui ont été tirés au sort, de partenaires associatifs, d’élus et puis de scientifiques. Ce comité d’experts, composé d’une vingtaine de personnes, interviendra pour valider la synthèse de cette consultation puisque l’idée est de retenir seulement 30 à 40 mesures pour avoir un catalogue. Pour le moment il y a un peu plus de 120 mesures sur la consultation, c’est un peu long. Il y aura des regroupements à faire et on va essayer de faire une synthèse de 30 à 40 mesures.

Frédéric Couchet : Et cette synthèse sera publiée à quelle période à peu près ?

Aliette Lacroix : On va sans doute publier mi-avril une liste définitive de mesures et, en même temps, une nouvelle plateforme qui permettra aux citoyennes et aux citoyens qui souhaitent porter le Pacte dans leur commune de s’inscrire sur une cartographie pour commencer à s’organiser localement, à trouver des partenaires locaux, à définir les revendications prioritaires et, pourquoi pas, commencer déjà à prendre contact avec les candidats déjà déclarés, etc.

Frédéric Couchet : D’accord. Pour les soutiens, les personnes qui soutiennent l’April depuis longtemps, ça rappellera des campagnes que nous menons depuis 2007 autour du Pacte du Logiciel Libre. Je précise que la contribution, la participation notamment de l’April, c’est notre proposition un petit peu phare depuis quelques années sur la priorité au Logiciel Libre dans le secteur public et aussi à titre individuel. Je précise aussi que la plateforme de consultation utilisée par le Pacte pour la Transition est un logiciel libre, contrairement aux autres plateformes actuellement existantes, en tout cas pour certaines ; le grand débat utilise la plateforme totalement privatrice de Cap Collectif et je pense d’ailleurs que nous ferons très rapidement un sujet sur ce point-là. Ce que tu dis c’est qu’à partir d’avril/mai, il y aura une plateforme qui permettra aux personnes de se saisir de ce Pacte et d’aller porter d’ici les municipales de 2020, soit l’ensemble des mesures, soit les mesures qui, finalement, leur parlent le plus directement à elles au quotidien.

Aliette Lacroix : Exactement. Et ce sera aussi, bien sûr, une plateforme libre. On va rester avec les développeurs actuels qui ont développé la plateforme de consultation.

Frédéric Couchet : Super. Donc pour contribuer aujourd’hui, au mois de février, le mieux c’est d’aller sur transition-citoyenne.org/pacte pour proposer des mesures, pour soutenir ou amender des mesures, parce qu’on peut aussi amender des mesures, de façon totalement ouverte et transparente jusqu’au 28 février 2019.

Aliette Lacroix : Exactement.

Frédéric Couchet : D’accord. Eh bien écoute Aliette, à moins que tu aies quelque chose à ajouter sur le Pacte ?

Aliette Lacroix : C’est tout bon pour moi, je pense.

Frédéric Couchet : C’est tout bon pour toi ! Écoute, on aura l’occasion d’en reparler par téléphone ou de vive voix dans une prochaine émission quand les prochaines étapes arriveront. Je rappelle qu’il y a également la Fête des Possibles, alors je n’ai pas les dates exactes en tête, mais, de mémoire, c’est en septembre.

Aliette Lacroix : Du 14 au 29 septembre.

Frédéric Couchet : Tu es merveilleuse, donc du 14 au 29 septembre 2019. Ça se passe partout en France, c'est pour montrer qu’il est possible de migrer vers des énergies alternatives, la nourriture, les logiciels libres, etc. Voilà ! La Fête des Possibles, septembre 2019. Je ne pense pas que le site soit déjà en ligne, mais il le sera courant 2019.

Aliette Lacroix : Il l’est déjà !

Frédéric Couchet : Il l’est déjà ?

Aliette Lacroix : On ne peut pas encore soumettre d’événements, mais ce sera possible très bientôt.

Frédéric Couchet : Eh bien écoute, je te remercie Aliette, je te dis à bientôt et je te souhaite une bonne journée.

Aliette Lacroix : À très bientôt, merci beaucoup à toi aussi.

Frédéric Couchet : Au revoir.

Frédéric Couchet : Nous allons maintenant aborder les deux derniers sujets. Nous n’allons pas faire de pause musicale, la prochaine musique ce sera le générique.

D’abord, un petit point sur le projet de directive droit d’auteur, je précise d’ailleurs déjà que ça va être un point relativement rapide. Je précise que Marc Rees, rédacteur en chef à Next INpact, était tout à l’heure l’invité de Pause Commune. Pause Commune c’est de 12 heures à 14 heures sur la même radio, radio Cause Commune. Il a été interviewé pendant à peu près une demi-heure. Je crois que le podcast sera disponible, si mes informations sont bonnes, vers 18 heures, donc vous aurez l’occasion d’avoir un peu plus de détails sur cette directive droit d’auteur, et je crois qu’il avait aussi commencé par un petit historique sur l’HADOPI dont on a parlé tout à l’heure.

Je vous rappelle que le projet de directive droit d’auteur contient un certain nombre de dispositions dont des dispositions très néfastes, notamment l’article 13 qui met en place un filtrage généralisé, une censure. Où en est-on ? La dernière fois qu'on en avait parlé c'était avec Anne-Catherine Lorrain et Pierre-Yves Beaudouin — Anne-Catherine Lorrain travaille pour le groupe des Verts au Parlement européen et Pierre-Yves Beaudouin est le président de Wikimedia France —, nous avions dit qu’il y avait des négociations interinstitutionnelles sur la proposition de directive, donc entre le Parlement européen ou plutôt les représentants du Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil des ministres de l’Union européenne.
Ces négociations ont eu beaucoup de mal à aboutir, ce qui montre bien, évidemment, que le sujet est loin de faire l’unanimité. Malheureusement, mercredi 13 février 2019, ce qu’on appelle le « trilogue », cette négociation, cette réunion, s’est terminé par un accord avec une version de l’article 13 qui est sans doute la pire qui ait pu, pour l’instant, être mise en ligne, qui ait pu exister : la généralisation du filtrage automatisé, rendu de facto obligatoire, avec une responsabilisation disproportionnée des plateformes de partage sur les contenus publiés par les utilisateurs et utilisatrices. Il y a quelques garde-fous mais qui sont plus de l’ordre des injonctions contradictoires et qui sont un peu hors-sol, on pourrait dire. Une nouvelle version a été mise en ligne tout à l’heure par la députée Julia Reda, donc ça sera évidemment sur le site de l’April. Il faut savoir que pour la partie concernant les plateformes logicielles, le développement logiciel, l’exception est toujours là, donc quelque part on pourrait dire qu’on est contents. Oui, on est contents qu’il y ait cette exception, mais nous, ce que nous voulons, c’est que ce principe même de censure soit repoussé donc que cette directive ne voit pas le jour.

Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Il va se passer qu’il va y avoir une ultime étape qui va être entre les mains des eurodéputés au Parlement européen. Selon le texte que Julia Reda a mis en ligne, le vote devrait avoir lieu au plus tôt entre le 24-25 mars et au plus tard entre le 15 et le 18 avril ; c’est relativement proche donc il est vraiment indispensable de se mobiliser d’ici là.
Je vous rappelle que dans le passé, c’était le 5 juillet 2018 lors d’une première lecture au Parlement européen, en quelque sorte le texte avait été repoussé ou, en tout cas, le mandat donné au rapporteur du texte, Axel Voss, avait été repoussé, donc il n’y a pas forcément une majorité des eurodéputés en faveur de ce texte, bien au contraire, donc il faut se mobiliser, il faut contacter des eurodéputés. Pour cela vous pouvez aller sur le site saveyourinternet.eu, c’est un site de campagne sur lequel il va y avoir l’ensemble des eurodéputés avec leurs coordonnées. Pour l’instant c’est uniquement en anglais mais bientôt ça sera disponible en français. Vous pouvez aussi aller simplement sur le site du Parlement européen et vous trouvez assez facilement le site des eurodéputés français, donc contactez-les, envoyez-leur des courriels, appelez-les pour leur demander ce qu’ils vont faire, pour exprimer vos craintes par rapport à ce texte. Il est toujours possible de repousser ce texte lors du vote en séance plénière qui aura lieu soit en mars, soit en avril, et qui sera sans doute l’un des derniers votes avant les élections européennes de mai 2019.
En juillet 2018 on avait déjà démontré qu’une majorité était possible contre une mauvaise proposition de texte ; il est toujours possible de démontrer la même chose et donc de se mobiliser.
saveyourinternet.eu et sur le site de l’April, donc a, p, r, i, l point org, vous retrouvez la référence vers le site de Julia Reda qui a posté un article avec la nouvelle version du texte, une analyse et les actions possibles à mener.

Frédéric Couchet : Maintenant dernier sujet, peut-être qu’on a un petit jingle musical ?

Jingle musical : extrait de Sometimes par Jahzzar.

Frédéric Couchet : Merci Étienne pour ce petit jingle musical qui est une première, et je remercie aussi PG qui est une personne du salon de la radio, du webchat, qui nous a fait ce petit jingle musical ; c’est une première ?

Nous allons terminer l’émission par un point sur le projet de loi pour une école de la confiance. Nous en avions parlé la semaine dernière, notamment avec Jean-François Clair qui est responsable du groupe numérique du SNES, le principal syndicat du secondaire.
Pour vous rappeler, le projet de loi pour une école de la confiance, il y a évidemment beaucoup de choses dans ce projet de loi, et il y avait notamment des amendements visant à inscrire dans la loi la priorité au logiciel libre. Il y avait aussi des amendements visant à obliger l’usage, le recours à l’usage logiciel libre. Le recours c’était plutôt des amendements déposés par la France insoumise et la priorité c’était des amendements déposés par le groupe communiste.
Lors des premiers débats en commission, le ministre Jean-Michel Blanquer avait rejeté ces amendements disant qu’il y avait déjà un encouragement au logiciel libre dans le Code de l’éducation, et c’est vrai qu’il y a un article de loi qui dit qu’on doit tenir compte de l’offre logiciel libre. « Tenir compte de l’offre logiciel libre » ça ne veut strictement rien dire et on ne construit évidemment pas une politique avec des « tenir compte » ou avec des « modestes encouragements » mais plutôt avec des priorités. Donc il avait exprimé ça et, en commission, il y avait eu un rejet de l’amendement visant à imposer l’usage du logiciel libre dans l’Éducation.
En séance plénière, cet amendement a été redéposé par le groupe de la France insoumise et le groupe communiste, comme je l’ai dit, a déposé deux amendements qui visent à inscrire la priorité. C’est une démarche que l’on défend, notamment pour gérer une période de transition évidemmentabsolument nécessaire, et c’est la position qui était aussi défendue la semaine dernière par Jean-François Clair du SNES.
Le débat a eu lieu. Malheureusement quelque part, il est arrivé en fin de débat, c’est-à-dire que les débats sur le projet de loi ont commencé lundi à 9 heures, de mémoire, ou 15 heures, je ne sais plus, et les échanges sur les amendements priorité au logiciel libre ont eu lieu vendredi à partir de 22 heures 30 ou 23 heures, au moment où les parlementaires commençaient quand même à fatiguer. Néanmoins il y a eu une défense des amendements. Jean-Michel Blanquer a redit qu’il y avait un encouragement au logiciel libre. Les parlementaires, en l’occurrence la parlementaire qui défendait les amendements pour le groupe communiste c’était Elsa Faucillon et Bastien Lachaud pour la France insoumise, ont réexpliqué qu’il fallait aller plus loin que ça.
Ensuite le ministre Blanquer a expliqué qu’il y avait, en gros, une incertitude juridique par rapport au code des marchés publics. Pour les personnes qui ont suivi les échanges lors de la loi pour une République numérique en 2016, eh bien ça vous rappellera quelque chose parce qu’à l’époque déjà, la secrétaire d’État pour le numérique, Axelle Lemaire, nous disait qu’il y avait une note de la Direction des affaires juridiques de Bercy qui expliquait, en gros, qu’il y avait une incompatibilité juridique de mettre une priorité au logiciel libre dans la loi. À l’époque nous avions demandé la publication de ces éléments, ce qui n’avait pas été obtenu, manque de transparence ! Nous-mêmes nous avions publié une analyse démontrant, de notre point de vue, qu’il est tout à fait possible de mettre dans la loi une priorité au logiciel libre. Le Conseil national du numérique de l’époque, instance consultative auprès du gouvernement, avait de son côté publié une analyse cohérente avec la nôtre disant qu’on pouvait mettre en place une priorité. Même le Conseil national du numérique appelait pour une priorité au logiciel libre ! Donc c’est assez étonnant de voir que Jean-Michel Blanquer ressort ces arguments-là.
Évidemment, on a redemandé communication de cette note. Il faut préciser qu’à l’époque on avait fait une demande auprès de Bercy pour avoir communication de cette note. Cette communication nous avait été refusée sous le prétexte, alors c’est la loi, que ça remettait en cause le secret des délibérations du gouvernement. En effet, c’est une des exceptions qui permet de ne pas communiquer un document administratif et il faut savoir que, combiné avec un article de loi sur les archives, il faut attendre 25 ans pour avoir la publication de ce genre de document. Ça fait un peu long d’attendre 25 ans pour connaître la note juridique de la Direction des affaires juridiques de Bercy qui démontrerait, quelque part, qu’il est incompatible de mettre la priorité au logiciel libre dans la loi.
Évidemment nous demandons au ministre de publier ces documents, en tout cas les documents qu’il a en sa possession. Nous sommes évidemment à sa disposition et nous allons lui envoyer un message officiel pour échanger avec lui.
Nous espérons que le projet de loi va gagner en transparence lors de son arrivée au Sénat, parce qu’évidemment il y aura des sénateurs et des sénatrices qui vont redéposer des amendements priorité au logiciel libre. Je rappelle que la première fois qu’une priorité au logiciel libre a été inscrite dans la loi c’est en 2013 grâce, notamment, à des actions de sénateurs et sénatrices, dans le projet de loi Enseignement supérieur et de la Recherche.
Pour l’instant les amendements ont été repoussés. Le projet de loi va arriver au Sénat sans doute en mars/avril. Évidemment vous aurez toutes les informations sur le site de l’April. Actuellement, sur la page consacrée à l’émission, vous avez les informations concernant les débats qui ont eu lieu, les échanges qui ont, sans doute depuis, été transcrits et mis en ligne. On vous encouragera évidemment, le moment venu, à contacter sénateurs et sénatrices pour que ce débat ait lieu de nouveau et, si possible, pas à 23 heures ou minuit, un peu plus dans des horaires classiques, classiques en fait non, parce que pour l’Assemblée nationale c’est assez classique ce genre d’échange, mais qu’on y passe un peu plus de temps et surtout que le gouvernement arrête avec les arguments d’autorité en disant « ce n’est pas possible ! » S’il pense que ce n’est pas possible, qu’il nous le démontre !

Ceci dit, nous arrivons à la fin de l’émission, le générique va bientôt partir. Je regarde si j’ai quelques annonces à faire. Oui.

Notre groupe de travail Sensibilisation, qui vise à créer des outils de sensibilisation, a une réunion le 21 février à la FPH [Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme] à Paris dans le 11e ; l’accueil est à partir de 18 heures 30.
À Montpellier, ce même jour, il y a un apéro April, je crois que c’est à 19 heures. Vous retrouvez évidemment ces informations sur le site de l’April.
Sur le site de l’Agenda du Libre vous retrouvez évidemment toutes les autres informations sur les évènements qui ont lieu dans le Libre, en France et dans d’autres pays.

Je vais rappeler aussi que la radio a une boîte vocale. Vous pouvez utiliser la boîte vocale de la radio pour faire connaître votre travail, parler d’un projet important ou simplement déclamer un poème. Vous pouvez appeler, je vais donner le numéro : 01 88 32 54 33, je répète, 01 88 32 54 33, vous laissez un message, maximum dix minutes, et il passera à un moment à l’antenne après sélection par les personnes de la radio. On ne peut pas savoir quand le message va passer mais en tout cas n’hésitez pas ; je crois qu’il y a aussi de moments où il y a des compilations de la boîte vocale.

Je remercie les personnes qui sont intervenues aujourd’hui : Aliette Lacroix qui était avec nous il y a quelques instants ; Stéphane Bortzmeyer, et je vous encourage à acheter et lire son livre Cyberstructure. Internet, un espace politique aux éditions C&F Éditions ; j’en profite pour faire un petit message amical à Hervé Le Crosnier, pour le féliciter pour son magnifique travail.
Je remercie évidemment mon collègue Étienne Gonnu pour cette première régie qui a été un peu chaotique pour lui parce qu’on a eu des problèmes de téléphone, mais en tout cas ça s’est très bien passé. Je remercie aussi Olivier Grieco pour son coup de main.

Vous retrouvez sur notre site web, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio Cause Commune donc causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez aussi nous suggérer des sujets, nous intervenons toutes les semaines, il faut qu’on remplisse le programme, donc n’hésitez surtout pas.

La semaine prochaine, 26 février 2019, ça sera une émission spéciale, nous n’aurons pas de sujet long, nous ne ferons que des sujets courts ou des chroniques. Espérons que les problèmes de téléphone seront réglés. Nous aurons ma collègue Isabella qui fera sa chronique sur la sensibilisation ; nous aurons la première chronique de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et membre du Conseil d’administration de l’April, qui fera une chronique qui s’intitule « Partager est bon » ; on peut dire que dans un sujet comme Internet cette chronique a tout son sens. Il y aura sans doute aussi Marie-Odile Morandi qui nous fera une chronique sur les transcriptions et puis deux ou trois autres personnes qui seront là soit par téléphone, soit physiquement.

On se retrouve le 26 février 2019 à 15 heures 30. Je vous souhaite de passer une belle journée et d’ici là portez-vous bien.

Générique de fin : Wesh Tone par Realaze.

En attendant les robots - Antonio Casilli - Arts et métiers

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Antonio Casilli

Titre : En attendant les robots
Intervenants : Antonio Casilli - Thomas Baumgartner
Lieu : Conférences et débats - Paroles d'auteurs - Musée des arts et métiers
Date : janvier 2019
Durée : 1 h 30 min 34
Visionner la conférence sur le site du musée ou ici
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Antonio Casilli, Wikimedia Commons - Licence Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Qu’est-ce que le digital labor?

Comment « ce travail tâcheronnisé et datafié qui sert à entraîner les systèmes automatiques » s’oppose-t-il à l’idée de progrès induite par l’intelligence artificielle ? Le livre d’Antonio A. Casilli explore la face cachée de l’innovation numérique dans laquelle l’homme est mis au service de la machine. De Uber à Amazon en passant par Google et Airbnb, les différentes plateformes numériques commercialisent les données avec l’aide de leurs usagers et des travailleurs du clic. Antonio A. Casilli nous offre une vue d’ensemble, analytique et critique, d’un dispositif opaque auquel nous participons à notre insu.

Transcription

Thomas Baumgartner : Bonsoir à tous et à toutes. Merci beaucoup d’être là, ce soir, au Musée des arts et métiers, nombreux ; on nous a dit que la salle était plus que complète. Merci d’autant plus d’être venus pour écouter ce soir cette présentation, cette conversation autour d’un livre qui paraît aujourd’hui. En fait on participe tous ce soir au lancement d’un livre En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic qui est donc rédigé par Antonio Casilli qui est là. Antonio Casilli est enseignant chercheur à Télécom ParisTech, chercheur associé à l’EHESS, sociologue et connaisseur aussi des questions économiques, ça on va le voir évidemment, c’est au cœur du livre, de ce livre-là qui est une réflexion, une enquête à la fois très concrète et en même temps on ne peut plus contemporaine.
Antonio Casilli vous mettez des mots, vous mettez des chiffres, vous nous donnez des récits au service d’un dévoilement, je dirais, derrière certains termes quasiment magiques aujourd’hui ou légendaires, surnaturels, comme deep learning, comme intelligence artificielle, comme automation, robotisation – d’ailleurs vous utilisez plus automation que robotisation –, derrière le fantasme ou les prédictions du travail robotisé, eh bien vous nous dites « voilà le dévoilement qu’il y a et qu’il y aura encore longtemps » selon vous, « la présence avant tout de l’action humaine et, pour le dire autrement, des humains, aujourd’hui et encore pour un petit moment, travaillent pour les robots ».
Le terme central du livre c’est digital labor, ça ne signifie pas seulement travail numérique, on ne peut pas le traduire uniquement comme ça et d’ailleurs, vous conservez le terme en anglais dans ce livre-là ; vous nous direz sans doute pourquoi. C’est un terme multi-facettes, qui permet de parler d’une multitude d’acceptions du travail humain, plus ou moins souterrain, avec, pour, et avant les robots.
Ce livre, En attendant les robots, fait le point sur nos activités numériques. À partir du moment où on a ce genre d’outil sur soi [Thomas brandit son téléphone portable, NdT] on est concerné par ce que vous racontez dans ce livre-là. On en est même les acteurs, en tout cas on fait partie des acteurs de livre-là à partir du moment où on touche — le mot digital—, on touche avec le doigt un écran de temps en temps. Donc vous faites le point sur nos activités numériques et sur les formes qu’elles prennent. C’est aussi, je pense, un livre sur le travail, sur ce qu’il est aujourd’hui, sur ce qu’il devient et sur ce qu’on pourrait en faire aussi. C’est une question importante, mais, pour ça, il faut prendre conscience de ce qu’est le travail aujourd’hui à l’ère numérique et c'est ce que vous nous aidez à faire grandement avec ce livre dont le titre est En attendant les robots. On peut commencer par ça : c’est une provocation, Antonio Casilli, ce titre ?

Antonio Casilli : Bonsoir à toutes et à tous. Tout d’abord, bonsoir Thomas Baumgartner. Merci pour cette introduction qui présente le sujet du livre et qui pose les bonnes questions.
Oui, bien sûr, le titre est d’abord, évidemment, une évocation beckettienne : on attend les robots comme on attend Godot ; ils ne vont jamais se concrétiser. Pourtant l’attente est cette pause interminable avant l’arrivée de ces robots fantasmatiques, j’insiste beaucoup sur cela à l’intérieur du livre. Ce qui compte aujourd’hui, c’est vraiment une expérience collective qu’on est en train de faire, celle de se concentrer sur quelque chose qui est un mirage, qui est un horizon, un horizon utopique ou dystopique, c’est selon, évidemment, qui est l’arrivée de ces robots.
De quels robots parle-t-on ? De quels robots est-ce que je parle à l’intérieur de cet ouvrage ?
Ce ne sont pas des robots anthropomorphiques même si, évidemment, il y a l’élément d’évocation d’un robot en particulier, d’un automate qui s’appelle le Turc mécanique dont on va peut-être parler dans quelques minutes, mais les robots dont je parle sont des robots de code. Finalement ce sont des logiciels, ce sont des algorithmes apprenants, surtout, ce sont des machines de code auxquelles on contribue toutes et tous. C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’on se sert par exemple d’un moteur de recherche, ce moteur de recherche apprend. À chaque fois qu’on utilise une application, cette application s’améliore, se calibre, s’adapte à nos usages, s’adapte à nos vies. De ce point de vue-là, le robot devient une sorte de métaphore d’une mise au travail des personnes qui sont invitées à participer, à chaque fois, par leurs propres usages numériques, à la mise en place d’un système qui est un système qui évidemment produit des services, produit même des marchandises dans certains cas, mais qui a besoin constamment d’une contribution humaine.
Et là j’explique aussi brièvement pourquoi j’insiste sur le fait qu’il faut parler de digital labor et non pas de « travail numérique », parce que le français est une langue merveilleuse, j’en sais quelque chose parce que je l’ai apprise il y a quelques années à peine, mais c’est une langue extrêmement polysémique : une tendance à faire converger dans le même mot, travail en l’occurrence, énormément de significations qui, dans d’autres langues, je pense à l’anglais, je pense à l’allemand, sont séparées.
Par exemple en anglais, on dirait work pour indiquer l’aspect matériel du travail, le fait de transformer notre réalité. On parlerait de job pour indiquer une profession ou un ensemble de savoir-faire liés au fait de réaliser certaines tâches au travail. Et on parlerait de labor pour indiquer le travail en tant que relation sociale, travailler avec, travailler pour. Il y a aussi des éléments, si l’on veut, de subordination ou de création de solidarité autour de la tâche productive, du geste productif. C’est pourquoi j’insiste beaucoup sur le fait qu’il faut parler de labor malgré le fait que, en français évidemment, cela évoque l’idée de labeur, donc de fatigue ingrate et il y a peut-être un petit côté de ça dans ce que je dis.
Après, j’insiste beaucoup sur le fait qu’il faut parler de digital et non pas de numérique. Pourquoi ? Parce que le numérique, en particulier, évoque constamment le savoir expert d’un numéricien, d’un data scientist, d’un scientifique, d’un ingénieur, qui n’est pas forcément la figure professionnelle sur laquelle je m’attarde dans cet ouvrage, sur laquelle je me penche, mais au contraire je travaille, ou plutôt j’effectue des recherches sur les gens qui travaillent de leurs doigts. C’est digital parce que c’est du latin digitus, c’est le doigt. Donc c’est du travail du doigt, c’est du travail du clic à proprement parler parce que c’est un geste qui est tellement simple que chacun d’entre nous le réalise.
Après, évidemment, on a aussi besoin, parce que c’est tellement abstrait de parler de digital labor, de travail du doigt, même de travail du clic, de vraiment nourrir, ce que je cherche à faire dans cet ouvrage, d’exemples concrets et donc renvoyer, par exemple, à des tas d’applications qui s’appuient sur le travail humain, ce travail digital humain comme les applications qui vous permettent d’avoir accès à des services comme la livraison express. Par exemple, chaque fois que vous commandez une pizza sur Deliveroo, eh bien vous devez effectuer un ensemble de tâches numériques et de production de données pour pouvoir effectuer cette livraison à la fin, ou pour permettre à quelqu’un d’effectuer cette livraison. Ou alors, de l’autre côté, à chaque fois que vous commandez un VTC avec Uber ou d’autres applications de ce type-là, eh bien vous êtes en train, là aussi, de produire de la donnée, d’aider le calibrage d’algorithmes qui apprennent, donc vous êtes en train, tout en réalisant des services qui sont concrets, qui sont matériels – on n’est pas dans l’immatériel, on n’est pas dans le virtuel du tout –, on est en train de produire de la data et d’aider à la mise en place de ces robots qui, je le rappelle, sont fantasmatiques mais sont aussi des robots de code qui existent.

Thomas Baumgartner : Antonio Casilli, il y a une histoire que vous racontez au tout début de ce livre-là qui est l’histoire d’une start-up qui vend une solution basée sur l’intelligence artificielle. Vous discutez avec un stagiaire de cette start-up qui vous fait comprendre qu’en fait, de solutions d’intelligence artificielle pour produire le service proposé, il n’y a pas ! Est-ce, même à travers le titre encore une fois, est-ce que vous nous dites qu’on nous ou qu’on se berce d’illusions concernant non pas les robots, parce que finalement, en dehors du titre, ce n’est un mot que vous utilisez beaucoup, mais concernant l’intelligence artificielle qui est aujourd’hui présentée comme un horizon et industriel et social quasiment présent ?

Antonio Casilli : Tout d’abord je vais raconter un peu cette histoire que je présente au tout début du livre. En même temps je vais aussi introduire des caveats parce que c’est important. Au début du livre je raconte l’histoire de Simon. Simon est une personne que j’ai interviewée dans le cadre d’une enquête qu’on est en train de réaliser – je vois aussi certains de mes collègues dans la salle ici – avec des chercheurs de Telecom ParisTech, du CNRS et d’autres universités. Il y a aussi des syndicats, il y a aussi France Stratégie qui font partie de cette enquête. À un certain moment, nous on interviewe des personnes qui, dans la plupart des cas, entraînent des intelligences artificielles, dressent des intelligences artificielles, comme si c’était des animaux.
Il faut comprendre que les applications et les algorithmes ne sont pas capables de faire ce qu’ils font d’entrée. Ils ne naissent pas déjà comme dotés de cette capacité-là à, justement, commander des pizzas ou sélectionner la bonne information. Il faut que quelqu’un enseigne, ou dresse ou entraîne véritablement ces intelligences artificielles. Donc nous, dans notre enquête, on interviewe des personnes qui réalisent, par exemple, des tâches qui sont souvent des tâches extrêmement simples, vraiment : regarder une vidéo et dire si dans cette vidéo il y a un homme ou une femme ; ou alors, je ne sais pas, regarder sept photos et compter combien de photos contiennent des chatons et combien contiennent des arbres. Voilà ! Ils sont très peu payés et, dans certains cas, on tombe aussi sur des personnes qui sont d’un type un peu particulier qui sont des whistleblowers. Ce sont des gens qui tirent la sonnette, qui disent : « Attention il y a un côté arnaque ». Ce n’est pas seulement une question d’entraînement d’intelligence artificielle, ce n’est pas seulement une question de calibrage, ce qui est, encore une fois, un aspect peu connu de la mise en place des intelligences artificielles, mais il y a carrément des entreprises qui vous disent produire des intelligences artificielles alors qu’en réalité, et c’est le cas de cette personne que j’ai interviewée au début, que j’appelle Simon même si ce n’est pas son vrai nom, qui travaillait pour une entreprise qui disait : « On produit de l’intelligence artificielle ». Mais finalement non ! Ils produisent tout simplement une plateforme qui fait réaliser les mêmes tâches que l’intelligence artificielle était censée réaliser par des personnes, on les appelle des micros tâcherons, qui sont à Madagascar. Donc des personnes qui, à Antananarivo, font semblant d’être un robot, font semblant, par exemple, de répondre à vos requêtes : « Tiens qu’est-ce qu’il y a de sympa à faire ce soir à Paris ? » Et eux, depuis Antananarivo, vont rechercher sur L'Officiel des spectacles ou sur Google, peu importe, et vous balancent un texto qui dit, par exemple : « Ce soir il y a une conférence au CNAM ». Vous êtes peut-être victimes de cette arnaque-là. Donc, grosso modo, l’idée est de montrer qu’effectivement il y a des cas qui sont dans des situations qui, même d’un point de vue légal, entrent dans un sorte de zone grise ou qui font, à la limite, et c’est la bonne manière de le voir, en anglais on dit du IA washing, c’est-à-dire on fait du recyclage en clef intelligence artificielle d’un service qui est un service très humble, très simple, réalisé par des êtres humains.

Après, je termine, c’est important de donner ces éléments-là, ces exemples-là, pour vous montrer à quoi ça revient ce travail du clic. En même temps j’insiste beaucoup sur le fait que ce livre-là n’est pas un livre de dénonciation, ce n’est pas un livre dans lequel je m’efforce, à chaque fois, de montrer les cas de personnes qui vous mettent dans des situations d’échec ou qui vous mentent ; ce n’est pas un livre pour démasquer un mensonge. C’est un livre pour insister sur un aspect peu connu et j’insiste beaucoup sur le fait d'invisibiliser des intelligences artificielles actuelles parce qu’on n’en parle pas dans la presse. C’est clair que dans la presse, quand les entreprises cherchent à communiquer avec leurs investisseurs ou avec les pouvoirs publics, elles ont plutôt intérêt à dire qu’elles ont des solutions super performantes et super smarts, super intelligentes. Elles ne vous disent pas qu’elles marchent — disons dans 70 % des cas elles ne marchent pas — et qu’elles ont besoin, à chaque fois, d’un petit coup de pouce, un petit soutien de la part d’assistants humains. Et ces assistants humains parfois sont payés très, très peu, et quand je dis très, très peu ils sont payés quelques centimes d’euro voire moins, ça dépend où ils sont. Si ces personnes-là sont en France, il y a des bonnes chances qu’elles soient payées 10 centimes, 8 centimes, etc. ; si elles sont à Madagascar, il y a de fortes chances qu’elles soient payées 0,006 centime d’euro pour réaliser cette même tâche.
Donc ça c’est quelque chose qui n’est pas un bug. Ce n’est pas une exception, c’est systémique.

Thomas Baumgartner : Ce qui est étonnant c’est que vous faites aussi la petite histoire de ce rapport magique à la machine, de cette tricherie possible. Vous en avez parlé tout à l’heure, le Turc mécanique, il faut peut-être raconter cette histoire-là parce que c’est un peu la matrice de ce qui amène aujourd’hui à une grande partie du digital labor.

Antonio Casilli : Le Turc mécanique est une autre histoire. Le mien [micro, NdT] marche, je ne sais pas pourquoi, je suis bon en technique !
Le Turc mécanique1 est une histoire qui remonte au 18e siècle en fait. C’est un automate inventé en 1769 par un monsieur qui s’appelait von Kempelen et qui pourrait bien figurer dans un musée comme celui-là. Figurez-vous que le seul Turc mécanique en fonction aujourd’hui en Europe se trouve dans une petite ville d’Allemagne qui s’appelle Paderborn, si vous voulez le visiter, le voir.
Le Turc mécanique ça ressemble à quoi ? Ça ressemble à une énorme table comme celle-ci derrière laquelle il y a un automate, un robot anthropomorphe déguisé en Turc ottoman, d’où le nom Turc mécanique. Et ce Turc est un joueur d’échecs parce que, sur cette table, il y a justement un échiquier. L’histoire ou la légende qui est un peu une triste réalité veut que ce Turc mécanique soit le premier exemple d’intelligence artificielle. Pourquoi ? Parce que c’était un robot qui était censé simuler le processus cognitif d’un joueur d’échecs pour justement challenger et battre des joueurs d’échecs humains. L’histoire veut que même Napoléon ait été battu par le Turc mécanique au jeu des échecs ce qui aurait provoqué l’invasion de je ne sais pas… Il faisait des choses, Napoléon ! Bref ! L’histoire est que, comme toute bonne intelligence artificielle — c’est pour ça que c’est une métaphore assassine — c’était une fausse intelligence artificielle. C’est-à-dire qu’à l’intérieur de ce Turc mécanique se cachait un être humain, un joueur d’échecs qui était bien physique, bien organique. Et qui était-il ? D’abord les sources, discordantes certes, s’accordent pour dire que c’était un mec, c’était un homme, mais, sur son identité il y a plusieurs hypothèses.
Certains disent qu’il s’agissait d’un soldat qui avait perdu ses jambes pendant une bataille, qui était amputé de ses jambes, et donc qui pouvait entrer dans le Turc mécanique pour l’actionner, l’activer.
D’autres disent qu’il s’agissait d’un enfant très fin et très maigre, qui arrivait à faire bouger les bras et les mains du Turc mécanique pour, justement, faire bouger les pièces de l’échec.
D’autres insistent sur le fait qu’il s’agissait d’un Italien, je ne sais pas pourquoi en particulier, et d’autres encore insistent sur le fait qu’il s’agissait d’une personne bossue.
Pourquoi je donne tous ces exemples particuliers ? Parce qu’il y a, si l’on veut, un élément commun. À chaque fois c’était des personnes qui avaient une forme de minorité physique, on va dire comme ça. L’Italien qui, à l’époque, était la quintessence du migrant ultime, peut-être aujourd’hui encore, je ne sais pas, ou alors une personne qui avait une cyphose très forte, ou alors une personne amputée de ses jambes, ou un enfant ; ce n’était pas un joueur d’échecs sublime. Ce n’était pas un master, un maître des échecs. La personne qui faisait bouger ce Turc mécanique était quelqu’un qui, finalement, n’était pas justement sublime, un maître total, absolu.
Et ça, c’est quelque chose qui revient aujourd’hui dans une manifestation récente du Turc mécanique. C’est une plateforme qui a été mise en place en 2005 par Amazon qui s’appelle Amazon Mechanical Turk2. Donc zéro ironie de la part d’Amazon qui reprend telle quelle cette métaphore.

Thomas Baumgartner : Un hommage !

Antonio Casilli : Un hommage, on va dire un hommage ! Mais après, quand on comprend exactement de quoi il est question, on se rend compte que c’est un hommage qui est un peu une manière de se tirer une balle dans le pied. Mais bref ! L’idée est la suivante. C’est une plateforme dans laquelle Amazon met en relation des entreprises ou des requérants, on les appelle comme ça, et des travailleurs. Ces travailleurs on les appelle les turkers, parce que c’est un mélange entre turk et worker. Les turkers font quoi ?

Je vais plutôt vous raconter ce que font les entreprises. Imaginez que vous êtes une entreprise qui voulez numériser un service. Imaginez que vous avez genre 15 ans de factures, de quittances à numériser et à retranscrire, à annoter, à marquer s’il y a des erreurs ou alors ce que ça veut dire du point de vue de la comptabilité nationale, etc. Qu’est-ce que vous pouvez faire ? Vous pouvez embaucher une personne qui s’occupe de la numérisation, la rémunérer pendant toute sa vie et créer un poste de travail comme il faut, un emploi classique encadré par le code du travail. Ou alors vous pouvez, par exemple, recruter 20 freelances et les payer décidément moins, pour moins de temps, et chacun s’occupe d’une partie de cette masse de documents à numériser. Ou alors vous pouvez aller sur Amazon Mechanical Turk et recruter 100 000 personnes qui s’occupent chacune de un ou deux documents. Donc chacun ou chacune a face à lui ou face à elle par exemple une quittance et doit la retranscrire. Et il est payé très, très peu ; il est payé genre quelques centimes, un centime, deux centimes pour retranscrire une facture. Grâce à ça, évidemment, vous pouvez mettre en place une solution informatique, vous pouvez mettre en place normalement la numérisation de certains aspects, de certains processus métier de votre entreprise et, de l’autre côté, vous avez évité d’embaucher une personne et, évidemment, vous avez payé très peu un service qui risquait de vous coûter très cher. La question est surtout que vous pouvez dire aussi que vous avez numérisé, alors que vous n’avez pas numérisé du tout, parce qu’en fait vous êtes tout simplement passé par une plateforme qui fait, comme le dit Jeff Bezos, de l’artificial artificial intelligence, de l’intelligence artificielle artificielle, de la fausse intelligence artificielle.
Encore une fois j’insiste sur le fait que ce n’est as un secret. Jeff Bezos n’a jamais caché cela. Il l’a déclaré haut et fort en 2005 au lancement même de la plateforme au MIT aux États-Unis ; c’était une conférence publique, vous la retrouvez aujourd’hui sur YouTube ; il n’y a rien de caché ! Mais c’est quelque chose d’invisibilisé. Et j’insiste beaucoup sur le fait qu’il y a une différence importante entre quelque chose qui est invisible et quelque chose qui est invisibilisé.
Un exemple qui me vient à l’esprit : quelque chose qui est invisible, c’est quelque chose que vous ne voyez pas. Quelque chose qui est invisibilisé ce sont les techniciens de surface, les femmes de ménage par exemple dans vos bureaux. Ce sont des personnes qui sont là, qui occupent nos espaces, les espaces dans lesquels vous êtes chaque jour et pourtant on ne les voit pas, on ne les reconnaît pas. C’est exactement la même chose qui se passe aujourd’hui avec les travailleurs du clic. On a les a sous les yeux, chacun d’entre nous en connaît, j’en suis certain, et chacun d’entre nous, d’un certain point de vue, en est, travailleur et travailleuse du clic, et pourtant on n’arrive pas à les voir. Il y a un problème de perception, il y a un problème qui est de nature optique, optique ça veut dire même carrément dans nos yeux, de cette impossibilité pour l’instant à reconnaître ce travail. Justement ça c’est le défi d’un ouvrage comme celui-là. Je vous rassure, je ne suis pas le seul à avoir écrit sur le sujet, mais je suis certainement l’un des rares auteurs français à le faire.

Thomas Baumgartner : Digital labor est un terme qui a une quinzaine d’années, c’est ça ?

Antonio Casilli : C’est un terme qui a une quinzaine d’années, un peu plus que ça. En fait, c’est au tout début des années 2000 qu’une chercheuse italienne, d’ailleurs, qui s’appelle Tiziana Terranova, a commencé à parler du digital labor. Le terme a été consacré par un colloque qui a eu lieu à New-York en 2009 et après par un ouvrage dirigé par un collègue qui s’appelle Trebor Scholz, publié en 2012.
Donc c’est un concept récent, c’est un sujet récent qui commence à avoir effectivement une résonance énorme non seulement dans les milieux universitaires, mais on commence aussi à en parler dans d’autres contextes. On commence à en parler dans le contexte des syndicats, on commence à en parler dans le contexte des décideurs publics et, plus rarement, on ose en parler dans le contexte des entreprises mêmes.

Thomas Baumgartner : Ce qu’on comprend depuis le début de notre conversation c’est que le digital labor a au moins deux modes d’existence, c’est-à-dire ce que vous disiez à l’instant, cette multitude de tâcherons, de micros tâcherons, de tâcherons du clic qui ont des tâches microscopiques, petites, hyper fragmentées d’un côté et dont on peut dire que c’est d’une certaine manière, vous avez parlé tout à l’heure du mot travail comme étant polysémique, leur métier ou un de leurs métiers et, de l’autre côté, on a ce que vous disiez tout à l’heure, on en est un peu tous aussi de ces digital labor et par exemple quand on va sur Facebook, ce que vous disiez tout à l’heure, quand on utilise la plateforme Uber, nous sommes aussi dans cette entité du digital labor. Mais comment, Antonio, Casilli, quand je mets « j’aime » sur un post d’un ami Facebook, suis-je un travailleur du numérique ?

Antonio Casilli : Pour pouvoir répondre à cette dernière question il faut remonter un peu en arrière et préciser que, en effet, le digital labor se situe sur un véritable continuum d’usages différents. Moi je dirais qu’il y a trois grandes familles et je cherche vraiment, je m’efforce de bien les présenter dans la partie centrale de cet ouvrage, il y a trois grandes familles de digital labor.
La première c’est le digital labor dont on parle énormément dans la presse, parfois certains d’entre nous sommes des utilisateurs des plateformes qu’on appelle les plateformes en temps réel ou à la demande comme Uber, comme Deliveroo. C’est ce qu’on a appelé, à un certain moment, l’économie collaborative ; je ne dis pas à quel point on a pu se tromper sur ce terme parce qu’il y a très peu de collaboratif sauf, effectivement, qu’il y a énormément de personnes qui travaillent ensemble pour produire de la donnée et qui, normalement, se présentent comme des plateformes sur lesquelles vous pouvez commander des services. Vous avez besoin de quelqu’un qui vous dépose ou de quelqu’un qui vous livre de la nourriture, eh bien vous commandez d’un clic, évidemment vous payez, et les personnes qui effectuent la tâche justement de livrer ou de conduire, eh bien elles sont payées.
Par contre on se dit : là ce n’est pas du digital labor, c’est du travail classique ; à la limite c’est seulement un problème d’encadrement interne de, justement, droit du travail. Effectivement il y a énormément de litiges, de contentieux en cours aujourd’hui partout dans le monde pour réaliser cet effort collectif de reconnaissance de ce travail des chauffeurs Uber, des livreurs Deliveroo et ainsi de suite.
Alors oui, certes, mais en même temps, si on regarde bien, la partie livraison, la partie production d’un service matériel est très limitée pour ces personnes-là. C’est-à-dire qu'on a pu estimer qu’un chauffeur Uber passe tout au plus 40 % de son temps à conduire. Le reste du temps, 60 % presque, il le passe sur l’application Uber. Et l’application Uber est le nerf de la guerre, c’est-à-dire est vraiment le véritable producteur de valeur pour Uber. Parce que, sur l’application Uber, qu’est-ce qu’ils font les chauffeurs ? Eh bien ils doivent, par exemple, publier la bonne photo pour se présenter ; ils doivent vérifier le parcours sur le GPS pour ne pas se faire arnaquer par Uber ; ils doivent répondre à énormément de messages. Bref ! Ils font un travail numérique dans la mesure où ils doivent assurer des usages d’une plateforme et ils produisent énormément de données. Ils produisent énormément de données qui servent à quoi ? Eh bien justement, à nourrir les robots. Et c’est quoi les robots de Uber, eh bien ce sont leurs véhicules autonomes. Véhicules autonomes ! C’est une façon de parler qu’ils soient autonomes ! Soyons clairs, l’idée de la voiture qui se conduit toute seule, qui n’a pas de chauffeur, est un rêve qu’on entretient depuis une quarantaine d’années et qu’on n’arrive jamais à concrétiser. La preuve la plus évidente on l’a eu au mois de mars 2018 quand on a eu le premier accident mortel qui a impliqué un véhicule de Uber, donc le premier en absolu de véhicule autonome qui a renversé un être humain, en Arizona, mars 2018, et on s’est rendu compte qu’à l’intérieur de ce soi-disant véhicule sans conducteur de Uber, il y avait bien un conducteur ! Il y avait quelqu’un qui n’était pas appelé conducteur, qui n’était même pas encadré comme conducteur de Uber, il était plutôt appelé « opérateur de conduite » et normalement, disait Uber, il ne conduit pas, non, il ne touche pas au volant.

Thomas Baumgartner : Il surveille quand même !

Antonio Casilli : Il surveille quand même, visiblement non. Non ! Pas complètement parce qu’il y a eu mort d’homme !
La question est qu’est-ce qu’on fait ? Le travail si on veut, le travail matériel de production d’un service, d’un bien, d’un produit, pour ces plateformes-là n’est, à mon sens, qu’un prétexte. Parce que le véritable travail, la véritable source de valeur, eh bien ce sont les données. Parce que les données sont utilisées parfois à des fins de monétisation publicitaire — normalement on s’en sert pour faire du ciblage publicitaire —, mais on s’en sert aussi énormément pour faire de l’entraînement d’algorithmes, de l’entraînement de systèmes apprenants, de l’entraînement de robots, de l’entraînement d’intelligences artificielles, donc on a besoin de ces données-là.
J’insiste beaucoup sur le fait qu’il y a une continuité entre cette première famille et deux autres familles.

La deuxième famille c’est celle du travail qu’on appelle micro travail. Donc tout ce qui relève d’Amazon Mechanical Turk c’est du micro travail. C’est-à-dire c’est du travail fait par micros tâches par des personnes qui sont micro payées. Souvent ce n’est pas une source primaire de revenu pour ces personnes et pour ces familles, c’est une source secondaire qui accompagne un autre travail, dans la meilleure des hypothèses. Donc ce sont des personnes qui, par exemple, travaillent à mi-temps dans une entreprise classique et, le reste du temps, elles intègrent avec un petit revenu venant d’une plateforme de micro travail.

Thomas Baumgartner : C’est ça qu’on appelle les fermes à clics aussi ?

Antonio Casilli : Les fermes à clics c’est un type particulier, particulièrement louche de micro travail, qui ne sert pas pour produire des services d’automation, mais qui, normalement, sert à produire de la fausse viralité sur Internet. Il y a aussi ça. Donc des fermes à clics normalement ressemblent à quoi ? À d’énormes salles frigorifiées parce qu’elles sont remplies d’équipements, d’ordinateurs, de smartphones et ça chauffe énormément, donc vous avez besoin de faire travailler des centaines de personnes dans ces fermes à clics, dans des conditions extrêmement difficiles : c’est comme travailler dans un frigo, littéralement, pour faire quoi ? Eh bien cliquer pas au hasard du tout. Vous êtes payé pour cliquer sur des applications, sur des pages web, sur des posts sur Facebook, etc., ou sur des vidéos pour faire monter les compteurs d’une marque, une pub, une campagne publicitaire ou une campagne d’un homme politique. On sait que Donald Trump a acheté le travail de fermiers à clics figurez-vous Mexicains, ce qui est complètement ironique, pour faire monter le compteur de sa page Facebook pendant la campagne électorale de 2016 aux États-Unis. On a des exemples aux Philippines, on a des exemples en Tunisie. On a aussi des exemples qui sont un peu plus difficiles, comment dire, à pénétrer ici en France. Normalement on n’a pas vraiment intérêt à implanter, à installer des fermes à clics en France, pour la simple et bonne raison que les Français coûtent énormément. C’est-à-dire qu’un clic réalisé depuis la France par un Français est payé, on en a eu la confirmation pendant la campagne électorale, la dernière campagne électorale ; c’étaient les socialistes qui avaient acheté des clics et ils payaient 70 centimes par clic, ce qui est énorme par rapport à ce que vous pouvez payer au Pakistan où, pour 70 centimes, vous achetez 500 clics.
Donc en effet, normalement il y a des effets de délocalisation virtuelle de ces fermes à clics qui sont plutôt installées dans des pays tiers, dans des pays à faible revenu dans lesquels, visiblement, vous pouvez embaucher des personnes pour lesquelles, par contre, là il ne s’agit pas d’un revenu secondaire. Si vous êtes à Madagascar, pays qu’on étudie mes collègues et moi, c’est un pays par exemple dans lequel le salaire moyen mensuel est de 40 euros, qui, en plus, a subi une baisse vraiment importante dans le courant de l’année dernière. Donc 40 euros, si vous promettez à une personne de faire du travail du clic et de gagner 200 euros par mois, eh bien c’est l’eldorado ou, du moins, c’est quelque chose d’extrêmement intéressant du point de vue de la rémunération. Après, évidemment, le problème principal est que vous n’avez pas d’encadrement, vous n’avez pas de contrat de travail à proprement parler, vous n’avez pas d’assurance maladie, vous n’avez pas tout un tas de cotisations pour votre retraite et ainsi de suite. Donc on a énormément de problèmes d’encadrement de ce travail.

Après je termine parce qu’on a touché brièvement, enfin on y fait allusion, mais c’est un peu ça aussi le point le plus controversé, si l’on veut, de cet ouvrage, le fait que j’insiste sur le fait qu’il y a une troisième famille du travail numérique ; le travail numérique qu’on appelle le travail social, en réseau, et qu’on a tendance à considérer comme du « travail gratuit ». Travail gratuit, c’est-à-dire le travail que chacun d’entre nous réalise. Parce que nous aussi…

Thomas Baumgartner : Quand je clique sur « j’aime » sur Facebook !

Antonio Casilli : Justement. Ou alors chaque fois que j’envoie un émoji pour signifier mon sentiment vis-à-vis, je ne sais pas, d’un post, d’un message et ainsi de suite. Ou alors quand je regarde une vidéo YouTube. Là aussi on est en train de faire la même chose que les chauffeurs Uber, que les micros tâcherons du clic partout dans le monde, on est en train, en gros, de produire de la data et, par le même geste, de produire de la valeur. Pourquoi ? Parce que cette valeur, tout comme pour Uber et pour Amazon, eh bien elle produit de la data qui est utilisée, d’une part, à des fins de ciblage publicitaire et d’automation, c’est-à-dire produire des services automatiques. Quels types de services automatiques ? Par exemple à chaque fois que Facebook ou Twitter vous suggère quelque chose à regarder ou YouTube vous dit : « Vous avez regardé une vidéo de Lady Gaga peut-être que vous allez aimer – je ne sais pas – une autre vidéo d’une artiste ou d’un artiste proche de celle-là ». Comment savent-ils que c’est proche et que ça pourrait coller à mes goûts et à mes intentions ? Eh bien d’abord parce qu’il y a déjà énormément de travail de qualification de ces vidéos. C’est-à-dire qu’il y a énormément de personnes qui passent leur vie à ajouter des labels, à labelliser ces vidéos, et après parce que moi-même je suis en train de labelliser les vidéos. Chaque fois que je mets un pouce sur YouTube, eh bien je suis en train d’enseigner, de dire, de déclarer à YouTube : « Je suis intéressé par ce service-là ».

Thomas Baumgartner : On travaille pour la machine ; on ne travaille pas simplement pour nos propres recommandations plus tard.

Antonio Casilli : La question est justement de voir quelle est la part de travail pour nous et quelle est la part de travail pour la machine. Le pari théorique que je fais dans cet ouvrage et que mes collègues qui s’occupent de la même chose, du même sujet que moi, font, est qu’on est largement en train de réaliser ce que Marx aurait appelé du Mehrwerk, c’est-à-dire du surplus de travail qui va à la machine, qui sert à la machine. Et par la machine je veux dire, finalement, la structure capitaliste qui régit la machine. Donc c’est la grande plateforme. C’est pourquoi je m’efforce énormément, dans cet ouvrage, de préciser vraiment ce qu’est une plateforme. Si on continue de penser que Amazon, Google, Facebook, sont la même chose qu’une entreprise classique, on se trompe de combat. On se trompe même d’analyse, bêtement, parce qu’une plateforme est autre chose qu’une entreprise du 20e siècle. Le 20e siècle nous avait habitué à des entreprises qui étaient… D’abord les entreprises n’étaient pas des marchés ; c’est autre chose que le marché. Vous avez le marché et vous avez l’entreprise qui vend ses services, ses biens sur le marché. Or avec Amazon, typiquement, c’est l’opposé. C’est une entreprise qui est en même temps un marché.

Thomas Baumgartner : D’ailleurs le mot market place pour ces plateformes existe et devient de plus en plus visible et quasiment synonyme. Vous dites que le terme revient, arrive, a été utilisé au 17e siècle ; il a été détourné, en fait, par ces entreprises.

Antonio Casilli : Oui. L’idée est que le mot plateform, encore une fois, est un mot qui nous vient de l’anglais ou plutôt un concept d’une branche particulière des sciences politiques qui s’appelle la théologie politique ; c’est une sorte de métaphysique politique qui était très développée entre la fin du Moyen Âge et le début de l’époque moderne. Donc autour du 17e siècle anglais, en gros entre les deux révolutions anglaises, se réalise une sorte d’utilisation du mot plateforme pour désigner un concept politique précis qui est un concept de programme politique. Une plateforme, comme aujourd’hui on dit la plateforme d’un parti, en anglais on l’utilise encore plus qu’en français, mais c’est pour dire une intention programmatique ; c’est la promesse de ce qu’on va faire. Si l’on veut Google, Facebook, nous déclarent à chaque fois, chaque jour, par leur prise de parole, par leur interface même, ce qu’ils vont faire ; ce sont des programmes véritables et des programmes qui ont un impact politique ; après Cambridge Analytica on a vu à quel niveau ! Mais en même temps, il y a aussi un élément important qui a été détourné.
Au 17e siècle, à l’époque anglaise, la plateforme était un concept, si l’on veut, qui renvoyait à la mise en commun des biens. C’était un concept qui a vraiment été bien travaillé par un mouvement politique de l’époque qui s’appelait les Bêcheux3, les Diggers, en anglais. C’était un mouvement proto-communiste du 17e siècle qui opérait des collectivisations de terrains et de parcelles de terre qui étaient la propriété de seigneurs féodaux. Donc là, d’une part, ils renvoyaient à l’idée qu’il faut créer une richesse qui soit un trésor commun pour toute l’humanité. En plus, ils insistaient beaucoup sur un autre élément : il faut casser la logique du travail ; il faut empêcher à tout prix le travail en termes de pénibilité du travail. Il faut que le travail soit libéré. Vous voyez comme ce sont des concepts puissants. D’une part vous avez abolition de la propriété privée, abolition du travail, mise en commun des biens et tout ça on le retrouve dans l’idée de la plateforme numérique aujourd’hui, mais détourné, transformé dans quelque chose de complètement hybride et complètement méconnaissable, parce qu’à chaque fois que vous entendez Google qui dit « nous on fait du open », ou alors « on cherche à aider, par exemple, tout un tas de services, de mise en commun des biens », eh bien c’est la même idée de la mise en commun mais, en même temps, qui donne un profit à un capitaliste. Ou alors quand vous dites « Uber est en train de ubériser le code du travail », là aussi ils sont en train de dire non au travail subordonné, pénible et, en même temps, au nom de quoi ? Au nom d’un travail précarisé, au nom d’un travail sans encadrement légal, sans protection, sans tutelle.

Donc encore une fois il y a une manière de récupérer, une véritable récupération politique et économique de ce concept qui est central, crucial, pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine des intelligences artificielles. Ce sont les plateformes numériques qui ont désormais pivoté, c’est-à-dire changé complètement leur modèle d’affaires pour s’orienter de plus en plus sur les intelligences artificielles aujourd’hui et ce sont elles qui portent ce programme politique de l’automation généralisée, effectivement de la machine learnisation du monde.

Thomas Baumgartner : Ce qu’on entend aussi dans ce que vous dites, Antonio Casilli, c’est qu’il y a un rapport géographique, aussi, dans cette affaire. C’est-à-dire que les plateformes sont au Nord, les travailleurs du clic, en tout cas une partie de ceux que vous désignez – vous parliez du Pakistan, vous parliez de Madagascar – sont dans des pays en développement, pour le dire comme ça plus généralement ; il y a une tension qui se crée là. Vous parlez d’une forme de colonialisme technique.

Antonio Casilli : J’en parle justement pour dire que je ne suis pas d’accord avec la définition de colonialisme. Je considère plutôt ça comme une sorte de manifestation de migration virtuelle si on veut. C’est-à-dire d’une migration sans déplacement voire, à la limite, de forme de délocalisation non matérielle. À quel point de vue ?
Si on regarde, en effet, la géographie du travail du clic, tout en insistant beaucoup sur le fait qu’il y a certains services qui sont des services liés à des lieux : vous ne pouvez pas faire du Uber à distance, c’est-à-dire que vous ne pouvez pas faire du Uber justement depuis Madagascar. Vous avez besoin que quelqu’un soit en train de conduire dans votre quartier ; la même chose avec Foodora et la livraison express.
Par contre, il y a des services qui peuvent être délocalisés et délocalisés très, très loin. Typiquement tout le travail du clic, tout le travail d’entraînement d’intelligence artificielle et tout le travail de production de fausse viralité, eh bien vous pouvez, justement, le faire depuis n’importe où. Et on a tendance à le faire, figurez-vous, depuis les endroits qui sont les pays dans lesquels ça coûte moins. Typiquement donc, des pays émergents et des pays en voie de développement. Quoiqu’on insiste beaucoup sur le fait qu’il y a désormais une très forte différence entre un pays comme l’Inde et un pays comme le Kenya. D’abord parce que ce sont des pays qui sont déjà positionnés sur certains types de services à distance. C’était ce que, dans les années 90, on appelait le téléservice, qui était par exemple des services administratifs ; c’était des gens qui faisaient de la comptabilité depuis la Tunisie pour des entreprises françaises. Ou alors les call centers qui étaient installés en Tunisie, en Turquie, en Roumanie dans certains cas, en Bulgarie, et qui assuraient le service après-vente pour les entreprises. Ces mêmes téléservices, ces mêmes call centers se sont recyclés maintenant en fermes à clics ou en fermes à tâches, à micros tâches, et aujourd’hui sont là en train de, que sais-je, classer et reconnaître des images pour l’imagerie médicale ; ça sert pour entraîner des intelligences artificielles appliquées au système de la santé.

Thomas Baumgartner : Justement, est-ce qu'entre les années 90 et ces téléservices et aujourd’hui ces clics à distance, est-ce que les conditions sociales du travail ont changé ?

Antonio Casilli : Les conditions sociales ont changé dans la mesure où on a eu une explosion démographique qui a fait en sorte, quand même, qu’énormément de personnes se sont présentées sur le marché du travail. Donc ces marchés du travail au niveau mondial doivent absorber de plus en plus de personnes.
D’une part elles sont effectivement absorbées par l’encadrement formel et, soyons clairs, il y a de plus en plus de personnes partout dans le monde, au niveau de masses, qui sont aujourd’hui employées formelles. En même temps, il y aussi encore plus de personnes qui ne le sont pas. Justement, si vous regardez les statistiques de l’OIT [Organisation Internationale du Travail], eh bien vous vous rendez compte qu’effectivement il y a une montée exponentielle de tous les travaux atypiques, précaires, précarisés, etc., dont les micros tâcherons du clic représentent, si l’on veut, la version extrême dans la mesure où il s’agit souvent de personnes qui versent dans des situations extrêmement difficiles, qui vivent dans des zones rurales ou périurbaines, dans des pays en voie de développement, ou parfois qui cherchent désespérément à mettre un pied dans la porte du marché du travail dans des villes ou dans des clusters industriels de pays émergents. Je pense par exemple à Bangalore ou à Hyderabad en Inde qui sont les Silicon Valley indiennes dans lesquelles, effectivement, vous avez une poussée de talents en informatique, en sciences de l’ingénieur. Oui, bien sûr, mais où vous avez aussi une masse énorme de millions de personnes qui cherchent désespérément à travailler avec eux. Elles aussi veulent avoir accès au rêve de la Silicon Valley indienne et pourtant n’y arrivent pas et qu’est-ce qu’elles font ? Eh bien elles se réduisent à travailler en tant que micros tâcherons payés au lance-pierre voire moins, à la micro pierre, pour pouvoir effectivement entraîner des intelligences artificielles ? Pour qui ? Parfois pour des entreprises locales, lesquelles entreprises locales font partie de chaînes de sous-traitance qui, si on regarde bien, remontent jusqu’à nos pays du Nord.
Finalement les personnes qui, comme notre collègue de Oxford Mark Graham, qui est un géographe qui étudie depuis des années ces flux de données, de micros tâches d’un continent à l’autre, eh bien se rendent compte qu’il y a, en effet, un véritable passage de micro travail. Les micros tâcherons sont recrutés dans des pays comme les Philippines, l’Inde, l’Indonésie, la Chine parfois et, par contre, les entreprises qui achètent ce micro travail via des chaînes de sous-traitance interminables, eh bien sont plutôt aux États-Unis, Royaume-Uni, France, Australie, donc des pays à hauts revenus. Et là on se rend compte, effectivement, qu’il y a un découpage très fort entre un Nord global et un Sud global et pas mal de personnes commencent à se dire que, finalement, cela reproduit des formes de colonialisme ou des formes de néo-colonialisme.
Personnellement je ne suis pas complètement d’accord avec ça. Il y a des personnes qui poussent l’analyse encore plus loin. Il y a un chercheur taïwanais qui s’appelle Jack Lichuan qui parle, par contre, de « i-esclavagisme », comme iPhone,doc « i-esclavagisme ». Moi je trouve qu’il faut faire attention à ne pas banaliser, à ne pas galvauder des notions qui sont fortes et surtout qui sont liées à des crimes contre l’humanité qui ne se sont pas arrêtés. L’esclavagisme n’a pas disparu et le colonialisme continue, d’un certain point de vue, haut et fort, à marcher comme avant.

Thomas Baumgartner : D'autant que la continuité, pardon, elle existe aussi par rapport à une activité industrielle traditionnelle, par exemple le textile, et là, ça se déporte ; c'est une question technologique !

Antonio Casilli : Moi je pense vraiment qu’il faut regarder l’aspect économique de tout ça, par-delà évidemment les déséquilibres importants et les asymétries politiques importantes entre le Nord et le Sud. Mais il faut regarder le côté économique. Si on regarde bien il n’y a pas une superposition complète entre les pays qui étaient des ex-colonies et des pays qui étaient les colonisateurs.
D’abord on se rend compte que, par exemple, il y a des axes linguistiques ; oui, c’est certain, les entreprises françaises ont tendance à délocaliser et à acheter ou plutôt à recruter des micros tâcherons dans des pays francophones, qui se trouvent en plus à être des ex-colonies. Si vous regardez par exemple les États-Unis, c’est vers les Philippines qui était un gouvernorat ; si vous regardez le Royaume-Uni c’est vers l’Inde, évidemment.
Bien sûr il y a ça, mais il n’y a pas une superposition totale parce qu’il y a certains pays comme la Pologne, comme l’Ukraine, comme la Russie même, qui sont des pays de micros tâches, ce sont des pays de fermes à clics. En Russie, vous connaissez peut-être la plus célèbre ferme à clics russe qui est l’usine à trolls de Saint-Pétersbourg dont vous avez peut-être entendu parler, certainement ! Ils sont actifs depuis un moment ! Bref ! Ce ne sont pas des pays qui sont identifiés au bloc des colonisés.

De quoi on parle ? On parle en réalité, à mon sens, et j’insiste beaucoup sur ce fait-là, d’une sorte de manifestation de flux migratoires face à un contexte de barrage aux frontières. Nous sommes en train de militariser nos frontières aux États-Unis, en Europe ; l’Europe est devenue une forteresse impénétrable, pour une large partie, sauf si vous voulez vraiment mettre votre vie en danger. Donc face à ça quelle est la meilleure manière pour travailler, pour avoir accès à la prospérité promise par les entreprises européennes ? Eh bien c’est de s’insérer dans ces chaînes de sous-traitance, être payé 0,0006 centime pour réaliser la même tâche qui serait réalisée peut-être à la limite, dans la meilleure des hypothèses, par quelqu’un qui est reconnu et salarié.
Donc là on est en train, d’une part, de fragiliser la force de travail mondiale, ensuite de créer des formes de délocalisation et ensuite, en plus, de faire quelque chose avec nos flux migratoires qui ont à faire beaucoup avec les politiques xénophobes et anti-migrations qui s’installent, hélas, un peu partout dans le monde.

Thomas Baumgartner : Pour ce livre-là, Antonio Casilli, vous aboutissez à des propositions, des idées, vous proposez en tout cas des pistes d’évolution de cette situation-là. La première chose est déjà, tout simplement, la prise de conscience. C’est-à-dire que cet objet du digital labor que vous posez au centre de votre livre c’est l’idée d’en faire un objet à penser et qui soit connu du public. Mais avant d’aller vers ça, j’aurais une question : est-ce que le public n’est pas, au moins en partie parce que parfois sans le savoir, au courant de ça ? Et cette fameuse chose : quand un service est gratuit c’est que c’est toi qui es le produit, c’est une chose qui est connue, qui est sue, c’est une sorte de proverbe, de devise, et finalement on y va quand même !

Antonio Casilli : Je vous remercie Thomas pour avoir sorti, justement, la devise qui est un peu devenue le refrain de nos usages numériques des dernières années.
Moi j’ai tendance à reformuler ce même proverbe en disant que si c’est gratuit, ce n’est pas que tu es le produit, mais tu es le travailleur du service. Ça c’est la prise de conscience qui n’a pas eu lieu.
Je pense qu’il y a une prise de conscience qui est beaucoup plus importante. D’ailleurs j’annonce la couleur depuis le début du livre. Il y a tout le premier chapitre qui s’intitule « Les humains remplaceront les robots », qui est une manière de renverser un dicton classique, plutôt une idée, une prophétie dystopique selon laquelle on va tous être remplacés par des robots. Moi je pense qu’effectivement, et c’est l’effort théorique de ce livre, que les intelligences artificielles ne vont pas remplacer le travail humain, les processus métier réalisés par les humains, mais elles vont le fragiliser, elles vont le fragmenter, elles vont le « tâcheronniser », elles vont le transformer en quelque chose qui est beaucoup moins payé, tout ça au nom, évidemment, du profit de certains.
En même temps, il y a des manières de sortir de là. D’une part, effectivement, la prise de conscience est cruciale et essentielle. On ne peut pas sortir de cet effet d’hallucination collective sur l’intelligence artificielle si on n’arrive pas à reconnaître que l’intelligence artificielle n’est pas si artificielle que ça.
À la limite j’aurais envie de dire, un peu comme quand Marx disait que la religion c’est l’opium des masses parce que la religion empêche de passer à l’acte, de prendre conscience de ses convictions, d’agir dans le présent ; la même chose se passe avec l’intelligence artificielle : l’intelligence artificielle est l’opium des masses qui est en train d’empêcher les travailleurs, par exemple, de prendre conscience de leur condition, du travail qu’on réalise.
Effectivement il y a un travail important, si l’on veut, de prise de conscience, de reconnaissance, c’est ça le maître mot, reconnaissance collective qui passe par trois types d’initiatives et, à la fin du livre, justement, qui s’intitule d’une manière nettement léniniste « Que faire ? », j’aurais dû ajouter « camarades », un truc comme ça. Bref !

Thomas Baumgartner : C’est ça ces petites punaises ?

Antonio Casilli : Oui. À une époque j’étais beaucoup plus « léninien » que ça, voilà. Que disais-je ?

Thomas Baumgartner : Les trois propositions.

Antonio Casilli : Les trois propositions.
La première c’est une piste qui est la plus classique, celle qui va certainement m’attirer le plus de polémiques de la part de tout un tas de personnes qui travaillaient avec moi dans une mouvance de pensée qu’on appelle la mouvance opéraïste italienne4, qui est l’idée selon laquelle il faut faire intervenir les syndicats. Il faut que les syndicats, comme ils sont déjà en train de le faire, s’activent — et ils sont déjà en train de s’activer — pour réintroduire des éléments d’une part de défense, de protection, de reconnaissance de ce travail. Parce qu’on a des outils qui sont de nature légale, qui sont de nature sociale, qui sont de nature politique pour faire reconnaître ce travail. Et on le voit déjà. On le voit énormément sur tout le travail du type Uber, Deliveroo et compagnie, parce qu’il y a justement des syndicats qui s’activent, des syndicats des chauffeurs VTC, des livreurs à vélo, donc ce sont des syndicats qui existent. Parfois ce sont des syndicats du type classique. Nous, on est en train de travailler avec FO sur le micro travail en France. Parfois ce sont des syndicats encore plus classiques que ça. En Allemagne, par exemple, il y a le syndicat des métallos allemands, qui s’appelle IG Metal, qui a lancé la première plateforme pour les travailleurs des plateformes ; c’est presque de l’homéopathie, une façon de se dire qu’on combat le feu avec le feu, mais justement c’est une manière de faire en sorte que les micros travailleurs s’expriment sur les conditions de micro travail sur les plateformes. Après, évidemment, il y a aussi des syndicats partout dans le monde qui commencent à parler de négocier l’algorithme ; de dire, effectivement, il faut admettre que l’algorithme qui décide que votre GPS va vous conduire de A à B, eh bien fait partie de votre métier. Finalement il faut négocier ça comme on négocie, comme on contractualise parfois les horaires de travail, la cotisation, etc.

À côté de ça, on a une nouvelle mouvance, une deuxième mouvance, une deuxième solution possible, ce qu’on appelle le coopérativisme de plateforme qui est une manière de dire : le problème ce n’est pas la plateforme et ce n’est pas l’automation en tant que telle, c’est le capitalisme. Le problème est qu’il faut introduire une architecture de la propriété qui ne soit pas exclusivement la priorité privée à laquelle nous habituent évidemment Facebook, Google et compagnie, les GAFAM comme on les appelle parfois. Donc il faut parler plutôt de proposer le Uber du peuple ou le Twitter collectif. Effectivement ils ont cherché, à un certain moment, à lancer une levée de fonds pour acheter Twitter ; ils se sont plantés hélas. Ou ils ont lancé tout un tas d’initiatives de coopératives sur plateformes. Parfois ce sont des coopératives classiques au sens de l’économie sociale et solidaire qui se « plateformisent » et parfois ce sont plateformes qui se « coopérativisent », qui s’inscrivent dans une mouvance mutualiste héritée du 19e et du 20e siècles.

Thomas Baumgartner : Mais il y a déjà l’équivalent de certains services sous l’égide du Libre, du logiciel libre, du monde du Libre ; ça existe déjà ça, Antonio Casilli ?

Antonio Casilli : Bien sûr. Et là, effectivement, on se heurte à mon sens à celui qui est le problème ou plutôt la limite principale de cette approche basée sur l’idée de « libérons telle plateforme », « collectivisons telle plateforme, « coopérativisons cette plateforme », le fait qu’elles ne sont jamais à l’abri d’une récupération marchande.
C’est-à-dire que, par exemple, vous avez des plateformes collaboratives qui se font constamment rachetées par des grands groupes industriels. J’ai à l’esprit, par exemple, GitHub pour les gens qui font du code, qui sont des développeurs informatiques ; vous savez que GitHub a été une expérience collective de participation bénévole pour construire des logiciels, les mettre en commun, pour faire en sorte que chacun puisse profiter de ces logiciels, jusqu’au jour où Microsoft l’a racheté. Il y a 10 000 exemples de ce type-là.
Le problème du coopérativisme de plateforme est qu’il n’est pas à l’abri de cette récupération. Je vous donne un exemple qui, encore une fois, est un exemple un peu polémique parce que c’est un collègue, un cher ami, Trébor Scholtz, le même collègue qui avait lancé le débat sur le digital labor en 2012. Il a créé un consortium qui s’appelle Platform Cooperativism, qui a très bien marché pendant deux ans, qui montait en puissance, qui avait une reconnaissance internationale, jusqu’au moment où Google s’est pointé et lui a filé un million de dollars pour, grosso modo, développer des kits de plateforme coopérative sous l’égide de Google. Moi je m’inquiète sur le futur de cette initiative dans la mesure où, effectivement, Google a une tendance, à un certain moment, à présenter la fracture.

Troisième approche, dernière approche, eh bien c’est une approche qui est vraiment naissante et qui est vraiment bien basée dans des débats qui sont européens et qui sont français dans une large partie, c’est l’approche des communs. On a aujourd’hui une réflexion en cours sur comment faire pour lancer une mise en commun des plateformes. Ce n’est pas un coopérativisme des plateformes ; c’est une manière de faire revenir la plateforme à son projet politique initial ; un projet politique qui promet, effectivement, une mise en commun de richesses.
L’idée est de considérer la plateforme comme si c’était effectivement un commun naturel, mais c’est un commun de données, par exemple, ou de connaissances ou d’algorithmes. Dans ce contexte-là, même si cette plateforme réalise de l’automation, ce serait une automation qui deviendrait une richesse collective. Richesse collective pour laquelle il faut s’inventer des nouvelles modalités de redistribution de la richesse produite. L’une de ces modalités pourrait être un revenu de citoyenneté numérique ou un revenu universel numérique, comme je l’appelle, qui est une proposition que je fais depuis un bon moment, depuis 2013 finalement, parce qu’en France on a, heureusement, une réflexion en cours, par exemple sur comment taxer les GAFAM, comment taxer les grandes plateformes même si, effectivement, il n’y a pas mal de doutes sur l’efficacité de notre gouvernement actuel sur sa capacité à les taxer. Mais l’idée, une fois qu’on les a taxées sur la base, comme disait un célèbre rapport de Bercy de 2013, du travail invisible donc du digital labor des usagers des plateformes, qu’est-ce qu’on fait avec l’argent qu’on a récupéré ? Mon idée est : il faut l’utiliser pour repayer les travailleurs que nous sommes toutes et tous grâce à un revenu universel numérique qui serait donc inconditionnel, le même pour tout le monde, et qui serait une manière de faire revenir à la collectivité un ensemble de la richesse produite collectivement.

Thomas Baumgartner : C’est le revenu social numérique. Vous faites quel lien d’ailleurs avec les débats qu’il y a eus, qui commencent à émerger depuis deux-trois ans publiquement sur le revenu minimum de base par exemple ? Il y a quelque chose en commun là forcément ?

Antonio Casilli : Il y a énormément de propositions en cours aujourd’hui et des plus intéressantes. Je ne parle pas de revenu universel parce que, par exemple, je m’inscris en faux par rapport à d’autres propositions comme l’idée du salaire à vie ou d’autres propositions similaires. Il y a des propositions qui vont dans le même sens. Parfois il y a d’énormes mensonges. Je pense à l’expérience italienne : le gouvernement pentaléghiste, donc les gens du Mouvement 5 étoiles – penta ça veut dire 5 – et léghiste vous le connaissez c’est la Ligue du Nord en partie fasciste, ce gouvernement-là a promis qu’à partir du mois d’avril les Italiens vont avoir un revenu universel. Il se trouve que ce n’est pas un revenu universel parce que un, c’est seulement pour les Italiens, deux, c’est seulement pour les Italiens au chômage, ensuite c’est seulement pour les Italiens au chômage qui se comportent bien d’un certain point de vue. Par exemple les gens qui sont divorcés ne pourront pas y avoir accès. Pourquoi ? Je ne sais pas ! Ils ont inventé des règles complètement débiles et en plus, si on regarde bien, ce n’est pas un revenu universel, c’est tout simplement un soutien, une aide pour les chômeurs qui, en Italie, normalement, n’étaient pas vraiment bien aidés comme en France ou dans d’autres pays et, en plus, c’est quelque chose qui est plutôt une aide pour les entreprises. Parce que si vous êtes une entreprise et que vous embauchez un porteur italien de revenu dit universel, c’est à l’entreprise qu’on va verser le revenu universel. Alors vous voyez bien qu’il s’agit parfois de propositions qui sont complètement loufoques voire carrément dangereuses !

Thomas Baumgartner : Là, dans votre proposition, c’est la redistribution d’une valeur créée par ce travail du clic et qui est transformée en revenu social numérique. On entend aussi dans ces propositions, Antonio Casilli, comme l’écho, on s’en souvient peut-être, de cette Déclaration d’indépendance du cyberespace5 qui avait été signée à la fin des années 90, si je me souviens bien, où justement les questions de libre-circulation, d’ouverture, de partage, tout ça était central. Et là vous amenez, à la fin de ce livre, comme un retour à cette…, ce n’est pas vraiment une utopie, c’était vraiment une sorte de programme qui avait été mis sur le papier, plutôt sur l’écran, par ces pionniers qui avaient réfléchi à ça. Comment transformer ce qui a l’air d’être disparu du fait de ces GAFAM, notamment, et de nos usages, comment finalement retourner la situation pour retourner aux fondamentaux ?

Antonio Casilli : Donc c’est un gros make Internet great again. Bref ! C’est clair, oui. Il y a un effort de ma part de me repositionner dans un contexte utopique, dans une vision utopique d’Internet parce que c’est une utopie que nous pouvons encore créer et c’est aussi une manière de répondre aux critiques, aux gens qui, constamment, s’efforcent de me présenter comme une espèce d’Unabomber. Pour les gens qui ne se rappellent pas, Unabomber était un célèbre technophobe qui poussait sa techno-phobie à l’extrême jusqu’à envoyer des bombes à des gens qui créaient des services informatiques.
Je ne suis pas un technophobe, je ne suis pas un critique d’Internet, j’insiste beaucoup sur ce fait. Je suis vraiment un utopiste extrémiste dans mon positionnement et j’insiste beaucoup sur le fait que, en effet, oui Internet est une promesse et une promesse qu’on cherche à étouffer ou alors vis-à-vis de laquelle on cherche à revenir un peu en arrière. On cherche justement à l’embrigader dans un contexte de capitalisme des plateformes, mais on a une possibilité de revenir, effectivement, pas forcément à l’Internet du début parce que l’Internet du début ce n’était pas l’eldorado justement de personnes qui ne voyaient que des projets merveilleux. Il y a énormément de limites. La première limite, évidemment, était que c’était un Internet, celui des débuts, je veux dire des années 80 et 90, le Web, un Internet d’hommes blancs, de mecs blancs, de classes moyennes et avec un niveau supérieur. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Justement il faut introduire un Internet qui soit inclusif, qui soit capable, par exemple, d’accueillir les masses travailleuses du Sud du monde sans forcément les cantonner à cette situation infâme de cliquer pour survivre, survivre en ligne et même survivre dans leur vie de tous les jours. Il y a une manière, effectivement, de proposer un Internet meilleur que celui-là.

Thomas Baumgartner : Avant de faire circuler les micros dans la salle, pour que vous puissiez poser directement vos questions à Antonio Casilli, moi j’en ai une dernière, c’est la phrase d’ouverture, la citation de Tocqueville au début du livre : « Je crois que nous nous endormons à l’heure qu’il est sur un volcan » et vous ouvrez ce livre avec ça. Alors c’est quoi ? C’est une manière souligner le trait ?

Antonio Casilli : De souligner le fait qu’en effet il y a une véritable ébullition ; c’est une réalité en ébullition. Ce n’est pas une question de dévoiler quelque chose qui était caché. C’est un effet d’endormissement généralisé. Bercés par la mélodie de l’intelligence artificielle nous sommes en train de nous endormir face au problème principal. Le problème principal ce sont les conflits sociaux qui se préparent autour des plateformes. J’insiste beaucoup sur le fait qu’ils se préparent : ce sont des conflits qui naissent, qui émergent et qui n’arrivent pas complètement à se composer. C’est aussi un peu ce que je dis plutôt vers la fin : on a un problème de subjectivité du travailleur du clic ; ce travailleur du clic est justement complètement endormi, complètement hypnotisé par l’idée selon laquelle « oui, oui, aujourd’hui vous êtes en train d’entraîner des algorithmes, vous êtes en train de travailler pour la machine, mais très vite la machine va se passer de vous. Vous êtes constamment en train de scier la branche sur laquelle vous êtes assis ». Non ! Ce n’est pas ça ! Ce n’est pas du tout ça. Au contraire, on est constamment en train de repousser l’horizon de l’automation parce que chaque jour on introduit des nouveaux services automatiques, soi-disant automatiques, qui ont besoin encore plus de travail humain et donc on est en train, à chaque fois, de demander encore plus de travail humain, d’injecter des masses de personnes qui constamment vont rester là ; elles sont là pour y rester. Et dans toute cette situation est justement créé un effet d’ébullition sociale, qu’il faut prendre en compte, qu’il faut considérer comme l’un des enjeux majeurs de la prochaine décennie.

Thomas Baumgartner : Donc il faut donner au travailleur du clic l’image de lui-même. C’est ça qu’on comprend. Y a -t-il des questions dans la salle ? Oui.

Public : Bonsoir. Je n’ai pas compris quand vous avez dit que quand j’utilise Google Maps je travaille pour Google.

Antonio Casilli : Je vais vous donner plutôt d’autres exemples liés à Google, le premier pourrait être un service qui s’appelle reCAPTCHA. Vous l’avez utilisé parce que, vous allez voir, il y a lien avec Google Maps, Google Street View surtout. reCAPTCHA est un service que vous avez utilisé certainement si vous avez cherché à récupérer un mot de passe ou à vous inscrire par exemple pour un évènement comme celui-là. Non pas celui en particulier. C’est un service dans lequel vous devez montrer que vous n’êtes pas un robot. Et comment ça se faisait jusqu’à il y a quelques années ? Eh bien vous deviez retranscrire des mots qui étaient un peu détournés, un peu difficiles à lire. Et pourquoi vous étiez en train de démontrer que vous n’êtes pas un robot ? Parce que justement les robots, plutôt les systèmes de reconnaissance textuelle de Google avaient déjà cherché à lire ces mêmes mots et ils avaient échoué. Ce sont seulement les êtres humains qui sont capables de donner un sens par exemple à quoi ? D’où sont tirés ces phrases, ces mots, etc. ? Ils sont tirés de livres de Google Books. Google Books scannérise, numérise les livres et après, par contre, a besoin pour les lire de quelqu’un qui aide, qui donne un coup de pouce à leur logiciel de reconnaissance textuelle. Eh bien c’est vous, c’est-à-dire c’est nous : à chaque fois que nous cherchons à récupérer un mot de passe, nous sommes en train de produire de la connaissance et de la valeur pour Google.
Google ne se limite pas à ça, parce qu’elle a commencé aussi à utiliser, déjà depuis 2010, ce système reCAPTCHA pour aider Google Maps et Google Street View en particulier, parce que, à un certain moment, ils vous proposaient non seulement de retranscrire des mots mais aussi de lire des adresses par exemple, ou de reconnaître, et ça c’est plus récent, des devantures de commerces, de magasins. Et pourquoi ? Parce que là vous êtes en train d’aider les systèmes de reconnaissance visuelle, ce qu’on appelle computer visual de Google.
Donc à chaque fois que nous utilisons des services de ce type-là nous sommes en train, effectivement, d’aider ces services de Google. Lequel Google est vraiment le maître de la mise au travail non reconnu de ses propres usagers. Pensez à un autre service : Google Translate. C’est basé sur un système d’apprentissage statistique qui fait en sorte, en gros, qu’il vous propose une solution. Par exemple je veux traduire le mot « en attendant les robots » en anglais, il vous propose un phrase et après il vous dit : « Est-ce que vous aimez cette traduction ? » ou alors « Vous pouvez proposer une meilleure traduction ». À ce moment-là vous pouvez saisir votre propre traduction. Après, sur la base d’une moyenne pondérée, ils arrivent à dire : effectivement cette autre phrase marche mieux que la première.
Donc il y a énormément de personnes qui, chaque jour, sont en train d’aider Google à améliorer ses services.
Son moteur de recherche même, le moteur de recherche apprend au fil de nos propres requêtes quels sont les enchaînements de mots les plus pertinents par rapport à une certaine requête. Si, par exemple, il y a une explosion de grippe, Google apprend que tout le monde, dans un certain pays ou dans une certaine ville, recherche « symptômes de la grippe ».
Donc de ce point de vue-là, effectivement, on est en train d’accompagner le travail de ces algorithmes et, par la même occasion de produire de la valeur pour les propriétaires, les patrons des algorithmes.

Est-ce que je peux ajouter un élément important ? Il y a eu un changement vraiment crucial à partir de 2016 autour de reCAPTCHA, ce service. Vous avez peut-être remarqué que Google a arrêté de vous proposer des mots et commencé à vous proposer plutôt des photos de chatons ou des images, reconnaître la signalétique, etc. Pourquoi ? Il se trouve que Google, encore une fois, ne cache rien : en 2008 ils avaient publié dans la revue Science, qui est quand même une revue très connue, un article dans lequel le créateur même de reCAPTCHA disait : « C’est le travail des foules. On met au travail nos usagers et c’est du travail qu’on ne paye pas ». Il le disait, noir sur blanc. Vous pouvez le citer. À un certain moment, les utilisateurs de ce service ont dit : « Attendez ! Là vous avez dit que c’est du travail ? — Oui, c’est du travail ! — Alors vous savez quoi ! On monte une action en justice dans un tribunal du Massachusetts pour nous faire reconnaître en tant qu’employés de Google parce que, pendant des années, on a réalisé du travail gratuit pour l’entreprise ». Donc à un certain moment il y a eu une class action, un recours collectif de quelques centaines de personnes qui, malheureusement, et ça c’est une limite du droit américain, n’a pas été acceptée. Mais Google a eu chaud. En 2015 la cour du Massachusetts a décidé de dire que non, ces personnes-là ne pouvaient pas être requalifiées en travailleurs. Pourtant Google, l’année suivante, a changé complètement le visage de son reCAPTCHA et a dit : « C’est fini, reCAPTCHA il n’y a plus de reCAPTCHA » et a lancé un service qui s’appelle aujourd’hui No CAPTCHA reCAPTCHA ; il faut vraiment être inventif ! C'est exactement le même service avec des chatons ou de la signalétique de la route, mais pas des mots. Donc c’est aussi au fil des conflits, des litiges et des contentieux liés au travail que ça change au sein des plateformes.

Thomas Baumgartner : Une autre question.

Public : Bonsoir. Vous avez beaucoup évoqué dans vos propos le lien qu’on pouvait faire entre la capacité des plateformes à accéder à des données, leur capacité à s’enrichir ou à accroître leur puissance. Est-ce que, sur un autre plan, on ne pourrait pas aussi parler d’une relation qui existerait entre la capacité des États et de leurs opérateurs à accéder à des données et l’optimisation de la gestion de la relation à l’usager, au citoyen ; leur capacité aussi à se défendre par rapport à d’autres pays, à maintenir un rapport de puissance voire à être indépendants par rapport à ces mêmes plateformes, ces grandes compagnies, ces GAFA ?

Antonio Casilli : En effet, il y a une mouvance actuelle de plus en plus développée, surtout d’où nous parlons, depuis la France, de ce qu’on appelle l’idée de l’État plateforme. L’idée de l’État plateforme qui, à mon sens, est un peu le cousin un peu plus intelligent de l’État start-up, si on veut, l’idée selon laquelle, effectivement, il faut faire revenir la plateforme à son esprit politique justement en reconnaissant que c’est un programme politique et qu’il faut en plus l’ancrer à l’action d’un gouvernement, d’un pays, d’un État-nation au sens moderne du terme. Et comment le réaliser ? Effectivement, d’une part l’idée est de faire en sorte que l’État soit une espèce de plaque tournante à laquelle on peut rattacher tel ou tel service et parfois le service peut être réalisé par des collectivités, par la société civile, par des corps intermédiaires, parfois par des entreprises, parfois par la fonction publique classique. Effectivement vous avez, que sais-je, la santé, eh bien vous pouvez le faire faire par une start-up ou par les Hôpitaux de Paris et ainsi de suite. Où est le problème là ? Le problème est évidemment la convergence de logiques privées et de logiques publiques, ce qui pose problème pour certains. Derrière l’État plateforme quelle est la limite qu’on pose entre, effectivement, la logique publique et la logique privée ? Et ça, en réalité, c’est un débat, une controverse qui est beaucoup plus ancienne que les plateformes aujourd’hui.
Après j’insiste justement beaucoup sur le fait que la plateforme, le mot plateforme est en soi un concept politique, mais un concept politique lié à une certaine mouvance politique de laquelle un État-nation, avec en plus ses exigences de gestion de pouvoir régalien, s’éloigne. Parce que c’est clair que les Diggers, les Bêcheux anglais du 17e siècle n’étaient pas en train de penser aux cyberattaques, à comment se défendre en créant notre propre cyberarmée dans le cyberespace. Au contraire, ils étaient des pacifistes figurez-vous, et ils prônaient l’idée selon laquelle il fallait plutôt œuvrer pour la paix dans le monde, la paix éternelle et généralisée et non pas taper sur les Ukrainiens comme le font les Russes ou sur les Américains comme le font les Chinois.
Du coup, effectivement, on est en train de resituer complètement l’idée de la plateforme en tant qu’entité politique dans un contexte qui, à mon sens, est beaucoup plus sombre et très éloigné de l’idée initiale. Donc on risque de faire un détournement qui est un peu du même type mais sous un signe différent, très proche de celui que les plateformes propriétaires, capitalistes, ont déjà réalisé.

Public : Bonsoir. On constate tous que le gratuiciel n’existe pas, mais que, en parallèle, nous profitons quand même de services tout à fait performants, qu’ils s’appellent Google ou autres, peu importe, si vous voulez. Comment résoudre cette adéquation en se disant le gratuiciel n’existe pas mais, d’un autre côté, on ne paye pas ! On ne paye pas ces services performants que l’on a. Il faut bien résoudre cette équation un peu compliquée.

Antonio Casilli : Je suis complètement d’accord. J’aime beaucoup le fait que vous ré-exhumiez ce terme gratuiciel c’est très beau. Moi j’ai tendance à mettre le mot gratis entre beaucoup de guillemets. Quand je parle dans cet ouvrage de « travail gratuit », je le fais toujours entre guillemets, parce que, à mon sens, le problème de la gratuité est un malentendu foncier de nature économique.
Sur les plateformes, la gratuité n’existe pas. On a tout simplement des architectures des prix qui peuvent changer selon les groupes d’usagers. Je vous donne un exemple. Deliveroo, plateforme de livraison de nourriture, a trois catégories d’utilisateurs : des utilisateurs qui payent pour accéder, ce sont les restaurateurs et aussi évidemment les mangeurs, donc nous-mêmes, et après il y a des catégories pour lesquelles il n’y a pas de gratuité, mais au contraire il y a carrément un prix négatif, ce sont les livreurs. Ils ont un prix négatif c’est-à-dire que pour accéder ils sont payés, ils reçoivent une incitation économique pour participer.
Changeons un peu l’analyse et regardons plutôt du côté de Facebook, Facebook a au moins deux catégories d’utilisateurs, je dirais même trois : des annonceurs qui payent pour accéder à Facebook et, de l’autre côté, il y a des personnes qui ne payent pas pour accéder à Facebook ; c’est nous toutes et nous tous. De ce point de vue-là vous voyez que c’est tout simplement un choix de la plateforme de décider qui paye quoi, mais il n’y a jamais de gratuité. Il y a tout simplement un prix qui peut être majeur, mineur ou égal à zéro et le reste c’est seulement du calcul circonstanciel, c’est-à-dire lié vraiment aux circonstances, au type de public que vous cherchez à attirer vers votre plateforme ou au type de service. Mais de ce point de vue-là la gratuité, à mon sens, il faudrait carrément s’en débarrasser. Tout comme il faudrait se débarrasser de l’idée selon laquelle c’est gratuit parce qu’on reçoit un service ; bien sûr on reçoit un service. D’abord il faudrait vraiment s’interroger sur la qualité du service, ce que vous dites, par exemple, « Facebook marche très bien ». Moi j’ai des doutes ! Facebook est sujet à des critiques depuis sa naissance sur son mauvais fonctionnement en termes de gestion des données personnelles, en termes de monétisation des dites données personnelles, en termes de sécurité informatique, en termes, évidemment, de création de faits dysfonctionnels de nature sociale et, en plus, Facebook est aussi sujet à une critique très âpre sur sa manière de sélectionner l’information. Si on considère Facebook tout simplement comme une plateforme, un média social, un média comme les autres qui produit des contenus et qui les classe, eh bien il y a des doutes sur la qualité de son classement, de ce qu’on appelle l’algorithme de Facebook, donc le ranking du mur de Facebook. Celui qui décide par exemple que telle information remonte et que telle redescend est basé sur des éléments qui sont arbitraires, qui changent selon les lubies et les caprices de Mark Zuckerberg ou les craintes de Mark Zuckerberg. Vraiment il faudrait faire un effort pour dire que c’est de la qualité ! J’ai vraiment hâte d’être en 2050, peut-être que je serai mort ou peut-être que je serai cryogénisé, je vivrai comme un cerveau dématérialisé dans serveur, mais pour regarder comment on se servait de cette information classée par des algorithmes de ranking dans les années 10 ; on dira « c’était terrible, c’était atroce » comme on peut parler, je ne sais pas, des années 60 et dire à quel point on fumait à l’époque dans les espaces publics.

Thomas Baumgartner : Tout cet amiante.

Antonio Casilli : Voilà ! Quelque chose de ce type-là

Thomas Baumgartner : Il reste une dizaine de minutes. Madame devant.

Public : Bonsoir. Je suis Véronique Bonnet, je suis vice-présidente de l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Comme il a été question du logiciel libre tout à l’heure, il me semble que vos propos invitent à faire la différence entre ce qu’on appelle l’open source, c’est-à-dire on ouvre le code source de façon à optimiser, de façon à faire en sorte que le grand nombre de rapports de bugs permette d’éclairer, permette donc d’arriver à une formule algorithmique qui soit optimale et ce qu’on appelle le free software c’est-à-dire ce qui vise l’autonomie de l’utilisateur. Or, dans vos trois points, il me semble qu’il y a un mot qui pourrait éventuellement être souligné. Vous vous êtes référé à l’éducation. Effectivement l’autonomie, la compétence à donner à soi-même une loi, passe par des mesures éducatives. Êtes-vous confiant dans les mesures éducatives, par exemple de l’informatique pour tous, qui vont être développées dans notre pays ? Merci beaucoup.

Antonio Casilli : Merci Madame. Merci à vous. Vous savez très bien que, disons, mon activité est celle d’éducateur. Évidemment j’ai une confiance, je ne dirais pas aveugle, mais très développée dans les outils de l’éducation. Vous savez aussi que dans mes activités militantes je fais partie d’une association qui est très proche de la vôtre, qui s’appelle La Quadrature du Net6, dans laquelle on travaille justement aussi pour introduire des éléments d’éducation aux libertés numériques et même à la reconnaissance de certains usages vertueux du numérique.
D’une part, effectivement, il faut aider une dynamique d’éducation et d’apprentissage collectif. J’insiste plutôt sur le côté apprentissage et un côté d’apprentissage collectif qui se fait d’une part grâce à des initiatives, d’une part grâce à des mouvements qui se mettent en place tel le vôtre et aussi d’une manière, je ne dirais pas spontanée ni organique, mais basée sur les erreurs du passé.
Je vous donne un exemple qui n’est pas forcément lié à ce que vous citiez : la question de la gestion des données personnelles. Je considère qu’en 2018 on ne fait pas les mêmes bêtises avec les données personnelles qu’en 2008 et qu’il y a, surtout dans des pays européens, grâce aussi à un accompagnement de nature institutionnelle, je pense au RGPD [Règlement général pour la protection des données] et, par exemple, à la mise à disposition de certains outils légaux, qu'on est en train effectivement d’apprendre collectivement énormément de choses sur comment nos données sont utilisées.
Après la question est : est-ce que cet apprentissage peut être réduit à de l’éducation, c’est-à-dire à un programme du type le numérique inclusif, le numérique pour tous ; il y énormément d’initiatives de ce type-là partout dans le monde. Moi j’ai peur que derrière ces programmes, je ne veux pas faire de critiques circonstanciées, il y a une critique générale qu’on peut faire : il y a une certaine tendance à raisonner par solutions miracles ou par silver bullets on dirait en anglais, c’est la balle en argent qui tue le vampire ou alors qui nous débarrasse de l’élément qui nous dérange. Je pense par exemple à enseigner le code aux enfants. Ce n’est pas seulement en faisant ça qu’on va justement inciter des dynamiques vertueuses de prise de conscience sur les usages numériques, parce que, d’une part, personnellement, je considère que chacun d’entre nous fait un peu de code. Il y a énormément de choses qu’on ne reconnaît pas en tant que code, mais on est en train de coder, parfois même la manière de composer une adresse dans notre navigateur s’assimile à du code ou la manière d’enchaîner certaines requêtes dans un moteur de recherche s’assimile à du code. Apprenons plutôt à reconnaître le code que nous faisons déjà et les codeurs que nous sommes déjà et après, de l’autre côté effectivement, il ne faut pas s’imaginer qu’un enfant, grâce à l’apprentissage du code, est en train de se rebrancher complètement le cerveau d’une manière automatique et qu’il va être un super hacker capable, justement, de battre toutes les menaces cyber ou autres.
J’en suis l’exemple dans la mesure où je fais partie d’une génération qui est la première génération de personnes, malgré mon âge, qu’on a identifiées comme les enfants de l’ordinateur. Je fais partie d’une génération, même venant d’un milieu populaire en Italie, dans laquelle mon père me disait : « Tu vas faire de l’informatique ; c’est l’informatique qui va t’aider dans le monde du travail ». Et ce n’est pas, par contre, cette informatique-là qui allait être l’informatique outil de libération, outil d’émancipation, outil de meilleur positionnement dans un espace social et politique. C’était pour faire du pognon et ça a marché relativement mal, il faut le dire pour mon père !
Ce n’est pas derrière des promesses faciles et des solutions miracles qu’on pourra arriver effectivement à résoudre le problème qu’on a aujourd’hui.

Thomas Baumgartner : Une toute dernière question.

Antonio Casilli : Il y a des gens qui lèvent la main et qui, après, sont pris d’une timidité !

Public : Une petite question qui est quantitative : quand vous dites qu’il y a des masses de gens qui sont maintenant occupés à cliquer, une idée du pourcentage ? Si on prend, je ne sais pas, la totalité des travailleurs dans le monde, est-ce que c’est 0,5 ou 5 ou 10 ou je ne sais pas et, tendanciellement, où ça va ? Et la deuxième petite question qui est un petit peu plus piégeuse, c’est en tant que citoyens, les 200 personnes qu’on est là ce soir, quelle est la conduite vertueuse ? C’est quoi des petits trucs pour justement aller dans le bon sens, pour essayer de rendre vertueux ce monde qui nous échappe un peu ?

Antonio Casilli : Je réponds rapidement à la deuxième. Il n’y a pas de petits trucs, il n’y a pas de trucs, il n’y a pas de ruse, il n’y a pas d’issue facile. Non ! Il n’y a même pas une question d’écologie personnelle. Malheureusement c’est vraiment un effort collectif qu’il faut faire, c’est vraiment un parcours collectif ; il ne faut pas s’endormir tous collectivement sur le volcan. J’insiste beaucoup sur le fait que ce n’est pas en faisant les bons gestes, il n’y a pas de gestes qui sauvent : ce n’est pas comme le tri différencié.
Pour donner des éléments de réponse concrets à votre question, d’abord il faut bien comprendre que j’ai vraiment fait la distinction entre trois familles de plateformes et j’aurais tendance à dire, pour vous parler d’ordre de grandeur et après je vais entrer un peu plus dans le détail qu'on est en train de parler de quelques centaines de milliers de personnes qui travaillent sur les plateformes à la Uber partout dans le monde, donc des centaines de milliers. On parle effectivement de centaines de millions de personnes qui travaillent dans le micro travail, la deuxième famille. Et après, si on regarde le travail dit gratuit des plateformes, là ce sont des milliards de personnes. C’est pour vous donner des éléments de grandeur.
Après, cherchons à mettre un peu de chair sur ce squelette. Je vais me concentrer sur le micro travail parce qu’on est en train justement de finaliser, avec mes collègues dans la salle, notre estimation du nombre de micros travailleurs en France. Et là on se heurte à un problème. Si je vous pose la question : combien de personnes micro travaillent en France ?, d’abord il faut se mettre d’accord sur ce qu’est la France : la France métropolitaine, la France territoire hexagone, oui, OK. Donc on exclut toutes les personnes qui travaillent pour des entreprises françaises depuis Madagascar, etc. Et là on se rend compte qu’effectivement on a un problème parce que les estimations sont toujours normalement à la baisse. La banque mondiale avait publié en 2015 un rapport qui disait qu’il y avait à peine 40 millions de micros travailleurs dans le monde et encore qu’ils allaient monter jusqu’à 40 millions en 2020. C’était en 2015.
Nous, aujourd’hui, sur nos estimations partout dans le monde, on a amplement dépassé les 100 millions. Si on se fie tout simplement aux effectifs déclarés des plateformes et parfois les plateformes ont tendance à surestimer, parfois, par contre, à sous-estimer, effectivement c’est ça le type d’ordre de grandeur dont on parle.
Par contre, pensons à un pays comme la France. La France, vous vous dites que c’est un pays à hauts revenus ; c’est un pays dans lequel normalement, on se dit, il y a quand même 80 % de personnes qui ont un CDI, donc les effectifs de la force de travail sur le marché du travail, et en même temps on se rend compte que selon nos estimations — je ne vais pas vous donner les chiffres précis parce qu’on va publier dans trois jours l’article —, mais on parle effectivement de dizaines de milliers de personnes qui sont des travailleurs très actifs ; on parle de 50 000 et plus personnes qui sont plutôt des travailleurs réguliers. Après vous avez des travailleurs occasionnels qui dépassent amplement les 100 000 personnes, dans un pays comme la France. Après vous faites le calcul sur la masse des travailleurs.
J’insiste beaucoup, encore plus important que le nombre, sur le type de personnes que ce type d’activité, le travail du clic, sélectionne. Parce que la population qui semble être vraiment concernée, eh bien c’est surtout des femmes entre 20 et 40 ans qui ont déjà un travail, qui ont en plus une activité domestique et qui font, donc, une triple journée. Donc elles ont un mi-temps, un micro travail et, en plus, des tâches domestiques. Imaginez-vous, effectivement, le type de dynamique sociale, même au niveau des familles, des foyers, qu’on est en train d’introduire grâce à ce système qui, je le répète, est un système qui est nécessaire pour nourrir l’automation à base d’intelligence artificielle actuelle.

Thomas Baumgartner : Le titre c’est En attendant les robots, c’est paru aujourd’hui même dans la collection La Couleur des Idées aux éditions du Seuil. Il y en a quelques exemplaires au fond de la salle. Merci Antonio Casilli d’avoir répondu à ces questions et merci à vous.

[Applaudissements]

Les supers pouvoirs des admins sys - Décryptualité du 25 février 2019

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Nolwenn - Nico - Mag - Manu - Luc

Titre : Décryptualité du 25 février 2019 - Les supers pouvoirs des admins sys
Intervenants : Nolwenn - Nico - Mag - Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 25 février 2019
Durée : 15 min 40
Écouter ou télécharger le podcast
Revue de presse pour la semaine 8 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : réseau-entreprise, Préparer et réussir le C2I théorique, blog de Jean-Philippe Jouve. Licence CC : attribution - pas d'utilisation commerciale - pas de modification.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Les admins sys ont tout pouvoir sur leur système d'information, ce qui pose la question de leurs responsabilités.

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 8. Salut Manu.

Manu : Salut Mag.

Mag : Salut Nico.

Nico : Salut Nolwenn.

Nolwenn : Salut Luc.

Luc : On est nombreux ce soir. Qu’as-tu récupéré comme articles pour la revue de presse, Manu ?

Manu : Petite revue de presse, mais qui reste intéressante.

Mag : Ce n’est pas le nombre qui compte ! LeMagIT, « Comment la MAIF est devenue un contributeur de l’Open Source », de Alain Clapaud.

Manu : Si vous êtes une entreprise et que vous voulez montrer aux gens qui sont autour de vous comment ça peut fonctionner pour faire du Libre dans une entreprise, eh bien allez jeter un œil parce que la MAIF s’y est mise.

Mag : ZDNet France, « La bataille entre vrai open source et faux open source s’intensifie », de Steven J. Vaughan-Nichols.

Manu : C’est un article qui tourne un peu en eau de boudin et qui parle justement de récupérer, de modifier des licences sur des logiciels libres. Ce sont des vieilles discussions, les licences, eh bien là ça réapparaît une nouvelle fois.

Mag : Developpez.com, « Les États membres de l’UE approuvent la version finale de la directive Copyright », par Michael Guilloux.

Manu : On n’est pas enchantés. C’est une directive qui contient notamment les articles 11 et 13 qui nous embêtent beaucoup dans les nouveaux droits d’auteur à façon européenne. Il y encore d’autres étapes avant que ça devienne des règlements ou des lois nationales, notamment au Parlement européen.

Mag : 01.net, « Adoptez un Chatons et offrez-vous le cloud que vous méritez », par Marion Simon-Rainaud.

Manu : Ça parle de Framasoft et les Chatons ce sont les… ?

Mag : C’est un Collectif d’Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires.

Luc : Il faudra qu’on apprenne un jour !

Manu : Oui, mais elle le fait de plus en plus en vite, ce n’est pas mal aussi ! Et ensuite ?

Mag : Contrepoints, « Si un logiciel est financé avec des fonds publics, son code source devrait être ouvert », par Glyn Moody.

Manu : Donc oui, bien sûr, si c’est le public qui finance un logiciel, le logiciel devrait être public ; ça paraît naturel mais cela n’est toujours pas le cas en France.

Luc : Pour le sujet de la semaine, on va essayer de faire un truc à la mode et on va parler de supers héros, au moins de supers pouvoirs et des supers pouvoirs et des…

Nico : Grandes responsabilités.

Luc : Oui. Des choses comme ça, des admins sys. Donc les admins sys – sys comme système, pas comme le chiffre six, il n’y pas d’admin sept – et on va profiter, Nicolas, que tu sois là parce que toi, c’est ton boulot, en fait, d’être admin sys.

Nico : Oui. Il paraît que c’est un peu mon job.

Luc : Administrateur système, quand on le dit de façon complète. Est-ce que tu veux définir rapidement ? En quoi ça consiste ?

Nico : Dieu sur terre !

Manu : Rien que ça ! D’accord !

Luc : Avant d’attaquer la question des pouvoirs de l’admin sys, ça fait quoi un admin sys ?

Nico : En gros ce sont toutes les personnes que vous engueulez généralement parce que l’imprimante ne marche pas.

Luc : C’est de ta faute !

Nico : Ou Internet est cassé. C’est nous qui sommes derrière et qui maintenons les serveurs, les services, qui gérons le quotidien de toute la partie en arrière plan de l’informatique, que vous ne voyez pas, du coup, dans votre vie quotidienne. En tout cas, on essaye de faire en sorte que vous la voyiez le moins possible.

Luc : Tu es Dieu, il faut voir ! Est-ce que tu as créé le monde ?

Nico : Moi non, mais nos ancêtres, très éloignés genre en 1970 et des brouettes. La base de l’Internet a été créée par des admins sys sinon ça ne marcherait pas. Ce sont des petites mains qui ont monté tout ça. Au départ, il n’y a pas des admins sys, c’était surtout des scientifiques ou des chercheurs, mais après il faut bien des gens pour maintenir, pour monter ça, pour gérer des technos qui ne sont quasiment pas connues du grand public. Tout le monde ne voit que Internet : je lance mon navigateur, je rentre une URL et ça marche ; derrière il y de la mécanique, juste démoniaque, pour réussir à faire fonctionner tout ça.

Mag : Pourquoi démoniaque ? Là ce n’est plus un dieu c’est un démon ! Il l’a dit !

Nico : Oui. Je pense qu’on y viendra, mais malheureusement c’est un métier qui peut vite déraper et on a vraiment beaucoup, beaucoup de pouvoirs.

Manu : Oui. Vous êtes au cœur des systèmes que vous mettez en place et que vous maintenez, donc nécessairement vous avez des accès aux bases de données, aux mails, aux conversations qui passent, chiffrées ou pas chiffrées d’ailleurs, parce que, à un moment donné, il faut bien que toutes les informations qu’on échange soient traitées sur certains serveurs. Et il y a des administrateurs systèmes qui peuvent mettre les mains sur ces serveurs.

Luc : Chiffré ou pas chiffré, je pense que c’est un point important parce que moi, hop ! J’ai mon mot de passe, donc personne ne peut voir ce que je fais !

Manu : Oui, que tu crois !

Luc : Eh bien si ! J’ai un mot de passe, il est secret.

Nico : Oui ! Mais non ! En fait, nous, on aura accès à tout derrière. Il n’y a qu'une seule manière de se protéger des administrateurs systèmes c’est le chiffrement de point à point, donc de personne à personne. Quand la donnée sort de chez vous elle va être chiffrée donc quand elle va arriver chez nous on n’a accès à rien et, normalement, on n’a même pas accès à ton mot de passe, en fait il est stocké chez toi. C’est lui qui sert à faire le chiffrement ou autre, mais nous, on n’aura absolument aucune vision dessus.

Luc : Par contre, pour tout l’usage des outils, de mails, de réseaux sociaux, de ceci et cela, c’est un logiciel qui tourne sur un gros ordinateur qu’on appelle un serveur mais qui est un ordinateur et les gens qui maîtrisent cet ordinateur peuvent accéder à, à peu près tout, voire tout sur cet ordinateur-là.

Nico : Oui, parce que de toute façon au mieux on change ton mot de passe et on se connectera avec. C’est aussi débile que ça. Il n’y a pas de protection en fait ; on a vraiment accès à tout ce à quoi on a envie dans le système de la base de données, etc., donc on peut faire vraiment ce qu’on a envie. Vous avez intérêt à avoir confiance en vos admins sys.

Luc : Quel est le pire truc que tu aies fait ?

Nico : Non ! Moi je suis un gentil !

Manu : Ils disent ça, de toute façon !

Nico : On a tous fait des conneries parce que, effectivement, on manipule des données qui sont très sensibles. On fait des sauvegardes généralement. La plupart du temps ce sont des problèmes de sauvegarde : la sauvegarde on va devoir la sortir, l’envoyer quelque part. En fait les données restent dans un endroit où elles ne devraient pas être. Tout le monde s’est retrouvé avec un disque dur à la maison avec des données de l’entreprise ou autre qui n’auraient jamais dû finir là ! Quand on s’en rend compte et qu’on corrige le problème ça va bien, mais quand le disque reste là pendant dix ans et qu’après, déménagement ou autre, il finit dans une benne ! Eh bien ça finit dans la nature et il y a eu plusieurs cas comme ça où les gens ont bien rigolé en récupérant des disques dans des poubelles.

Nolwenn : Après, ce qui peut être amusant aussi, c’est quand on pense être sur sa machine de développement et on est en plein dans la base de données en prod.

[Rires]

Nico : Ça arrive aussi !

Manu : De grands pouvoirs impliquent de grandes erreurs !

Nico : Je crois que c’est bien résumé. C’est vrai que quand on merde ça se voit aussi très violemment !

Luc : Ce que voulait dire Nolwenn c’est qu’en gros on travaille dans un périmètre qu’on pensait être un périmètre de test.

Nolwenn : Oui. C’est un environnement qu’on est censé maîtriser, qui n’est pas ouvert et accessible aux autres, du coup on fait notre tambouille, on fait nos tests, on casse, ce n’est pas grave parce que c’est sur notre machine à nous, ça n’impacte pas les utilisateurs. Mais forcément, quand on est dans un terminal, qu’on a mal configuré le terminal et qu’on pense être sur sa machine, on fait un petit DROP TABLE1 et oups ! ce n’était pas ça !

Luc : Et on pète tout !

Mag : Attends ! Ça veut dire, Nolwenn, que toi aussi tu es admin sys ?

Nolwenn : D’après certaines personnes oui. Je n’ai pas vraiment de formation d’administration systèmes, mais apparemment il n’y a pas grand monde qui a vraiment de formation en administration systèmes.

Manu : Oui, ça doit s’apprendre sur le tas, à priori.

Nolwenn : Moi j’ai appris sur le tas. À priori on me fait à peu près confiance pour mettre en place les applications sur les serveurs, donc…

Manu : Ça veut dire que tu es rentrée dans la grande confrérie ou « consœurerie », la grande sororité, je crois. Non ? Comment on dit ?

Luc : Ça va être compliqué ! Tu en es quoi !

Nolwenn : Voilà ! J’en suis.

Nico : C’est vrai qu’il y a tellement de technos, en fait, et d’environnements différents. Quasiment chaque poste est précis pour un domaine ou une application dans une entreprise. Du coup il n’y a pas vraiment de formation existante. On va apprendre des grandes bases de réseaux ou de gestion de machines mais après, tout le reste, il faut l’apprendre sur le tas et s’adapter à chaque logiciel qu’on va mettre en place.

Mag : Et puis ça évolue super vite !

Nico : Oui. Deux ans en arrière c’est complètement obsolète. On compte les technos en mois ou en semaines ; ça change vraiment tous les jours.

Manu : Que ce soit suite à une formation ou sur le tas, on vous a fait signer un papier, faire une promesse ? Vous avez tendu la main sur la bible et vous avez dit : « Je jure de ne pas faire de mal » ?

Luc : On va arrêter avec le côté religieux !

Nico : Pas vraiment en fait. C’est vrai qu’on a assez rapidement les mains sur les manettes d’à peu près tout et il n’y a pas de charte de déontologie sinon ce qui est, on va dire, communément admis par le métier et qu’on essaye de nous inculquer un peu dans les écoles ou pas. Mais on n’a pas d’équivalent, par exemple, à l’ordre des médecins ou l’ordre des juristes ; il n’y a pas de prestation de serment. C’est « Tiens ! Vas-y ! Voila le mot de passe root2 et démerde-toi !

Luc : Qu’est-ce qu’un admin sys mal intentionné pourrait faire ?

Nico : Lire l’intégralité de vos mails, récupérer tous vos dossiers, modifier votre PC.

Luc : Mais moi je n’ai rien à cacher !

Nico : Dans le milieu professionnel ce n’est pas trop problématique parce que, généralement effectivement, ce sont des données professionnelles dont tout le monde est à peu près au courant. Il n’y a pas d’échange de données.

Luc : Tu pourrais les vendre à la concurrence.

Mag : Nolwenn n’est pas d’accord.

Nolwenn : Je suis sûre que mes collègues biologistes seraient ravis que je récupère les données de leurs derniers travaux de recherche et que je les balance au tout venant !

Nico : Il ne faut pas les sortir de la boîte, on est d’accord. Mais le fait d’accéder à la messagerie de quelqu’un ça ne va pas contenir des données auxquelles normalement on n’aurait jamais dû avoir accès et on ne fera pas de mal avec.
Par contre oui, si on veut revendre la base clients, si on veut faire du mal à d’autres personnes, on parle aussi de modifier les boîtes mail. Il y a déjà eu le cas d’administrateurs systèmes qui ont été mis sous pression par leur entreprise qui voulait licencier quelqu’un leur disant « vas-y, tu vas truander la boîte mail » ou « tu vas supprimer ce mail-là parce qu’il me dérange, etc. », eh bien oui, on peut le faire. Il n’y a pas d’autorité de contrôle. En théorie on est censé être indépendant de la direction. Il y a la CNIL, des fois, qui a aussi son mot à dire là-dessus. On a des contre-pouvoirs, par exemple sur les outils de surveillance dans les entreprises où, théoriquement, on doit avoir des déclarations à la CNIL ou, s’il y a des problèmes, on doit faire des remontées au CE, au CHSCT, etc.

Luc : Les salariés doivent savoir comment on les surveille.

Nico : Comment on les surveille et ce qu’on a le droit de faire ou pas.

Mag : CHSCT ?

Nico : CHSCT, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Mag : Et le deuxième que tu as cité ?

Nico : Le CE c’est le comité d’entreprise.

Mag : C’est trop simple !

Nico : Voilà ! Ou les délégués du personnel. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas d’autorité indépendante pour gérer ça et on reste en plus, de toute façon, toujours sous la direction de la direction, donc s’ils veulent nous licencier ou faire du chantage ou autre, eh bien ils peuvent.

Manu : Un administrateur système mal intentionné pourrait introduire des informations nouvelles, pas forcément à la demande de sa hiérarchie, mais juste parce qu’il envie de faire tomber quelqu’un, un de ses chefs, et il pourrait introduire des données pédopornographiques ou des choses comme ça assez facilement.

Luc : On pourrait soudain se retrouver à avoir quelque chose à cacher alors qu’on n’était même pas au courant !

Nico : C’est ça ! Ou générer du trafic par exemple vers des sites pornographiques au boulot et dire « voilà regardez ». Il n’y a pas besoin de les générer, il suffit de dire à la direction « voyez, regardez, il a consulté ce site-là à telle heure ». L’admin sys est le seul à être capable de sortir les données donc c’est facile de lui faire dire ce qu’il veut.

Nolwenn : Et un fichier texte, c’est très facile à modifier !

Nico : On a intérêt à avoir une sacrée éthique, en fait, quand on est dans ce métier-là. Malheureusement il y en a très peu. Il y a beaucoup de gens qui sont là parce que ça ramène de l’argent à la maison.

Luc : Il faut bouffer.

Nico : Voilà ! Il faut bouffer, mais on devrait avoir une éthique, normalement, s’interdire de faire quelque chose. Être lanceur d’alerte aussi en allant dire « ma boîte me demande de faire des trucs pas cools », le signaler aux forces de l’ordre ou, je ne sais même pas à qui d’ailleurs, pour éviter ces dérives.

Manu : Là on parle d’un point de vue théorique, mais il y a déjà eu des scandales réels qui se sont déroulés ?

Nico : On en a eu un. C’était dans l’affaire Snowden, en fait, où les personnes qui avaient accès aux bases de données qui étaient collectées par la NSA, donc Facebook et autres, s’en servaient pour savoir « tiens, telle personne m’intéresse », généralement c’était des nanas bien sûr, pour savoir leurs centres d’intérêt ou à quelle heure elles rentraient chez elles ou autre. Il y a eu aussi des cas de flics en France, je crois.

Luc : Il y a un cas récemment. Je ne sais plus si c’est un gendarme ou un policier.

Nico : Qui se servait de la base pour récupérer l’adresse de telle ou telle personne qui l’intéressait, qu’il avait vue sur une caméra de vidéosurveillance.

Luc : Surveiller son ex-femme aussi, l’activité de son ex-femme et avoir des infos sur les femmes qu’il voulait draguer.

Nico : Du coup, dans ces cas-là, il n’y a même pas besoin forcément d’être administrateur système, en fait il suffit juste d’avoir suffisamment d'accès sur le système pour avoir accès aux données et s’amuser avec.

Luc : La différence c’est que l’administrateur système peut créer les données de toutes pièces et il peut effacer ses traces.

Nico : Oui. Parce qu’on sait exactement comment ça marche. Comme on a accès à tout on sait aussi où vont être les journaux, par exemple, du système.

Luc : C’est ça le côté divin, c’est que tu peux créer de la réalité.

Nico : Voilà, on peut vraiment créer. C’est nous qui mettons en place le système, qui faisons l’audit, l’analyse, les extraits de données, les backups, tout, en fait ce dont on a envie. Il y a certaines solutions pour éviter que l’administrateur système ait accès à tout. Par exemple mettre les journaux systèmes sur des machines auxquelles lui n’a pas accès et que seulement les autorités ou autres vont pouvoir contrôler, en gros un contrôle des contrôleurs. Mais ce n’est généralement pas mis en œuvre parce que ça coûte cher, ce n’est pas facile d’accès, l’avantage n’est pas forcément immédiat, on ne voit pas l’utilité tout de suite. Donc ce sont des systèmes qui existent assez rarement dans l’entreprise.

Luc : Je me souviens d’une histoire qui a peut-être quelques années : dans une université américaine, le type qui maîtrisait le système d’information est parti fâché donc il avait mis des mots de passe partout et en gros, il s’est barré, et plus personne n’avait accès à rien !

Manu : Il me semble que c’était une ville genre Los-Angeles ou un truc comme ça. En fait on lui avait demandé de faire des choses avec lesquelles il n’était pas d’accord, des choses qu’il considérait dangereuses, donc il a tout bloqué en mode « il n’y a plus que moi qui aie le mot de passe et si vous voulez que je vous le relâche, eh bien il va falloir… » Il a fait tout un scandale. Effectivement, je crois que la municipalité était en tort par rapport à ce qu’elle demandait, mais lui-même était vraiment dans l’illégalité parce qu’il bloquait plein de systèmes qui étaient nécessaires au fonctionnement de la ville.

Luc : Du coup on pourrait avoir la même avec une rançon. Le type se barre à l’étranger et il demande à être payé.

Nico : On a aussi eu des cas d’administrateurs système qui sont licenciés dans des conditions pas forcément géniales alors qu’ils n’avaient rien fait. Du coup ils ont gardé leurs accès parce que derrière il n’y avait pas d’administrateur système pour les révoquer.

Manu : Et puis c’est facile de mettre une porte dérobée !

Nico : Des portes dérobées ou autres, ou un compte qui traîne dans un coin et, du coup, une fois qu'il a été licencié il s’est connecté, il a flingué toutes les machines de tout le parc, backups compris parce qu’il savait où c’était et voilà !

Luc : La porte dérobée c’est un truc. Je connaissais un admin sys qui arrive dans un nouveau boulot et, au bout de quelques mois, il soulève une dalle et là il trouve un PC, un PC entier qui était caché sous le plancher, qui était une passerelle pour un mec qui avait bossé là avant ; c’était un truc d’infrastructure pour accéder à Internet il y a longtemps, à l’époque où Internet c’était lent.

Nico : C’est vrai que c’est un métier qui est assez intéressant pour ça, mais aujourd’hui il n’y a quasiment pas de cadre législatif. C’est en autonomie, on fait avec les moyens du bord. C’est un métier qui est assez mal vu justement aussi parce que, quand ça marche bien, on a l’impression qu’on ne sert à rien et, quand ça ne marche pas, on a l’impression qu’on n’a pas fait notre boulot. Donc on a tendance à toujours être décrié ou autre.

Mag : Ou vous passez pour des sauveurs parce que vous avez réussi à sauver !

Luc : Oui, mais ça n’aurait jamais dû tomber en panne !

Nico : Voilà. On est souvent obligé de galérer pour aller récupérer de l’argent pour une nouvelle machine ou une sauvegarde ou autre. On a vraiment l’impression d’être des boulets morts, généralement, dans la boîte : peu de moyens, peu d’accompagnement, peu de formation. Ce sont métiers qui sont assez compliqués quand même.

Manu : Moi qui suis dans une autre branche et justement souvent en opposition : je suis développeur et on se bat avec les administrateurs système parce qu’ils sont très conservateurs, ils veulent que ça conserve le fonctionnement actuel. Et moi qui arrive avec des nouvelles propositions à chaque fois, des changements, des évolutions qu’on me demande de faire, bien sûr, et qui sont vachement bien, forcément, puisque c’est moi qui les fais, eh bien je me tape la tête avec les admins système en permanence parce que eux veulent que ça continue à fonctionner et mes nouvelles fonctions, pour eux, ce sont des nouveaux bugs. C’est énervant quand même !

Nico : C’était vrai il y a quelques années mais maintenant ça a un peu changé. On est quand même plus dans une mouvance un peu plus agile, mais c’est vrai que les admins sys sont très frileux au moindre changement parce que si ça pète, ça va être leur problème : ce sont eux qui vont faire les astreintes, ce sont eux qui vont devoir réparer le bordel. Donc oui, ils n’aiment pas quand on vient leur changer le système.

Nolwenn : Oui, enfin moi personnellement au travail, j’aimerais bien qu’on change mon système sur ma machine, ne serait-ce que mettre à jour les applications !

Luc : Les mises à jour ça ne sert à rien ! Tant que ça marche ! Plus sérieusement qu’est-ce qu’il faudrait ? Un droit au secret professionnel comme dans d’autres professions ?

Nico : Le secret professionnel existe déjà à moitié : l’entreprise ne peut pas demander n’importe quoi à un administrateur système. C’est vrai que concrétiser ça proprement dans une corporation comme il existe avec le serment d’Hippocrate ou le serment du barreau…

Manu : Et avoir des relations avec le droit des correspondances, le droit de la poste notamment.

Nico : Essayer d’améliorer ça pour rendre l’administrateur plus autonome et surtout avoir des vrais moyens d’alerte et de contrôle indépendants de la direction, pour ne pas subir de pressions et pouvoir faire son boulot correctement sans faire n’importe quoi.

Luc : On se retrouve la semaine prochaine. Si d’ici là vous voyez des trucs bizarres dans vos mails c’est sans doute la faute de Nicolas qui s’amuse un petit peu avec votre vie privée. Bonne semaine à tous.

Mag : Salut.

Manu : À la semaine prochaine.

Nolwenn : Salut.

L’Europe numérique c’est maintenant - Louis Pouzin - FIC 2017

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Louis Pouzin

Titre : L’Europe numérique c’est maintenant - Allocution de M. Louis Pouzin, ingénieur français à l'origine du réseau Cyclades
Intervenants : Louis Pouzin - Marc Watin-Augouard
Lieu : FIC 2017 - 9ème Forum International de la Cybersécurité - Lille
Date : janvier 2017
Durée : 14 min 50
Visionner la keynote
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Louis Pouzin, photographié par Philippe Batreau le 17 juin 2003 - Licence CC BY-SA 2.5
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Marc Watin-Augouard : Vous pouvez applaudir Louis Pouzin, parce que sans lui sans doute Internet n’existerait pas aujourd’hui. Qui le connaît en France ? Qui le reconnaît en France ? Pas grand monde ! En revanche, la reine d’Angleterre lui remet le prix d’Engineering avec qui ? Avec Vincent Cerf, avec Bob Khan, avec Tim Berners-Lee, avec Mark Andreessen, donc les grands pionniers d’Internet. Et Louis Pouzin, la France l’oublie ! Pas le FIC ! Le FIC n’oublie pas Louis Pouzin, c’est pour ça que ce matin je lui ai demandé de bien vouloir ouvrir cette table ronde, cette plénière sur la dimension européenne. Je le remercie. Rappelons-nous : réseau Cyclades1, les années 71-75, alors qu’il avait inventé le datagramme2, alors que tout était parti pour que la France soit une France connectée avec un réseau internet qui lui soit propre, eh bien on a abandonné, on a coupé les vivres pour le Minitel. Belle opération de tir dans les pieds et c’est comme ça qu’on a pris beaucoup de retard et qu'il a fallu attendre les années 2000 pour qu’on le rattrape.

Merci Louis Pouzin d’être parmi nous. Quinze minutes, vingt minutes de keynote. Vous avez la place ici et je vous remercie de votre intervention.

Petite page de publicité : nous remettrons le prix du livre cyber sur le stand Furet du Nord à 11 heures 30 à Olivier Iteanu pour son livre Quand le digital défie l’État de droit et à Philippe Trouchaux pour La cybersécurité au-delà de la technologie. Merci. Applaudissez Louis Pouzin.

Louis Pouzin : Mesdames et Messieurs, bonne journée. Le titre je ne sais pas où il est, je ne sais pas s’il est apparu, c’est : « L’Europe numérique c’est maintenant ». Vous allez voir pourquoi.
Vous avez tous entendu dans les conférences précédentes, quand vous faites le tour des stands, c’est que, d’une part, le futur immédiat est imprévisible avec Mr T. D’autre part, dans l’informatique maintenant, les vols de données, la revente, la diffusion, le rançonnage, l’espionnage, tout ça c’est partout. Nous sommes tous espionnés en permanence : tout ce que je dis en ce moment doit être enregistré dans l’Ohio, dans la NSA. Et puis, par ailleurs aux États-Unis par exemple, si vous avez un site qui est sous le contrôle américain, c’est-à-dire il est géographiquement aux États-Unis ou bien il est dans un appareil d’une société américaine, il suffit qu’un citoyen américain se plaigne que vous lui faites concurrence, que vous lui avez volé des informations, eh bien on va fermer votre site et ça peut durer un an. Et si vous avez du personnel qui travaille aux États-Unis, qui n’est pas citoyen américain ni résident, eh bien il n’y a pas d’Habeas corpus, on peut l’arrêter sans vous dire pourquoi.
Par ailleurs, les États-Unis s’attribuent un droit extraterritorial, c’est-à-dire qu’ils peuvent poursuivre une société américaine qui est établie à l’étranger, qui est simplement une filiale, il y a quelque chose qui est la règle 41, rule 41, je ne sais pas si elle a été votée, mais en principe elle devait l’être, qui donne à l’administration américaine le droit, on pourrait dire, de pirater n’importe qui dans le monde s’ils estiment que c’est lié à la sécurité nationale américaine. Évidemment il n’y a aucune limite à ce genre de définition. En plus, il y a toute une liste d’États qui sont mal vus, parce que, à un moment ou l’autre, ils étaient soit terroristes, soit ils ont joué des tours aux États-Unis, je ne sais pas comment ; ce sont des listes qui sont établies, qui des fois durent beaucoup plus longtemps que la raison pour laquelle elles ont été établies.

Maintenant vous savez tous aussi, d’après tout ce que vous avez entendu sur le salon, que la grande majorité des attaques de données provient de l’intérieur de la société : les personnes qui vivent dedans ou qui sont des visiteurs, etc. Et puis évidemment, il y a aussi les attaques extérieures, ça il y en a pas mal, et, bien entendu, elles sont plus difficiles ou peut-être moins fréquentes parce qu’elles sont plus difficiles. En tout cas personne n’est à l’abri de ça. Il y a maintenant des organisations de hackers internationaux, liées ou non à des États, mais qui sont d’excellents professionnels, qui ont pratiquement tous les moyens de pénétrer n’importe quel système. Si vous n’avez jamais été pénétré c’est parce que, probablement, vous n’avez pas d’intérêt pour eux. Donc c’est comme ça. Alors que faire ?
Il y a les DDoS3 aussi ; ça c’est à la portée de tout le monde : les logiciels nécessaires pour faire ça sont disponibles sur le Net. Le principe : ça asphyxie un système parce qu’on l’attaque avec des millions de messages qui arrivent, c’est-à-dire qu’il n’a pas la bande passante pour réagir et il est mort ! Voilà ! Ça c’est à la portée de tout le monde et, avec les objets, ça va devenir épouvantable parce que la plupart des objets n’ont pas vraiment été testés du point de vue de leur sécurité et la plupart sont faits dans les usines asiatiques, c’est-à-dire qu’on ne sait pas ce qu’il y a dedans. Donc il faut s’attendre à une volée de problèmes de cette sorte.

Est-ce qu’il y a des protections ?
Eh bien oui, il y en a partout ici. Tout le problème c’est comme les médicaments. Ça peut marcher si on sait s’en servir et puis ça ne marche que pour certains types de maladies, c’est-à-dire d’attaques ou de virus.
Qu’est-ce qu’on fait quand il y a une situation qu’on pourrait comparer à une pandémie ? Quand il y a Ebola par exemple en Afrique, quand il y a le SARS en Chine, on ne sait pas très bien où est la limite alors toutes les personnes qui ont été plus ou moins en contact avec les lieux où ça se passe, on les met sous protection ou en tout cas sous examen, etc. Je crois qu’il y a une certaine similarité entre les pandémies et les systèmes informatiques à l’heure actuelle. Sauf qu’on s’aperçoit maintenant que c’est mondial : ce n’est pas limité à une région particulière loin de chez nous. Donc on est tous selon le TAC [Technologie Against Crime] sous la menace de cette pandémie.

Qu’est-ce qu’on peut faire ?
D’habitude on crée des zones de protection, des périmètres de sécurité si vous voulez. Vous me direz « oui, mais on ne sait pas faire ça, c’est trop compliqué. » Eh bien les Chinois l’ont fait. La Chine, depuis 2005, a un réseau complètement indépendant des États-Unis et ça marche assez bien. Il n’y a pas que du logiciel, bien sûr, il y a aussi beaucoup de policiers chinois, mais n’importe quelle est la raison, le fait est que si on veut créer une zone de protection, un pays comme la Chine l’a fait, ça n’est quand même pas n’importe quel pays — de très grandes distances géographiques à parcourir, multiplicité de langages et de pouvoirs —, donc c’est faisable à une échelle plus réduite. Vous me direz « mais à une échelle plus réduite ça veut dire qu’on a beaucoup plus de communications avec le monde ». Eh bien oui, c’est vrai. C’est vrai donc il faut beaucoup plus d’efforts pour se protéger, mais on peut quand même échanger de l’information pour, si on ne peut pas tout protéger, avoir des rapports avec des voisins avec qui ont est en confiance.

La protection, souvent, ça commence par le nommage. Parce qu’on ne peut atteindre quoi que ce soit dans l’Internet que si on a une adresse, une URL, enfin quelque chose qui permet d’arriver dans la proximité des données qu’on veut obtenir ou qu’on veut perturber.

Donc si on ne veut pas être soumis, si on ne veut pas être menacé par ça, ça veut dire qu’il va falloir protéger ses données, les mettre en lieu sûr. Je suppose que vous êtes tous comme moi, c’est-à-dire que vos données ne sont pas du tout en lieu sûr. Dès que vous vous servez d’une messagerie genre Gmail, par exemple, eh bien vous n’êtes pas du tout en lieu sûr. Vous êtes, on pourrait dire, presque à la vue de tout le monde. Donc je crois que rapatrier ses données dans des lieux sûrs c’est la moindre des choses qu’il faut faire si on veut avoir des chances d’échapper à la surveillance.

Ça ce sont des précautions on pourrait dire banales, mais pas aussi banales que ça, parce que c’est facile à dire mais un peu plus compliqué à mettre en œuvre. Tant que ce n’est pas un réflexe dans la vie des gens, eh bien on oublie de le faire parce qu’on est pressé et puis, il ne se passera rien de toute façon, on sait très bien, on connaît tous les gens qui sont autour ; en fait, c’est comme ça que les fuites commencent.

Le nommage, disons dans tous les systèmes, est souvent un peu centralisé dans un système qu’on appelle le DNS, c’est-à-dire Domain Name System, un système développé aux États-Unis. Il y a déjà pas mal de documentation sur le fait qu’il est activement utilisé pour faire de l’espionnage. C’est normal, à partir du moment où toutes les adresses, qu’elles soient IP ou qu’elles soient URL, sont concentrées dans certains sites, c’est tentant d’accéder à ce site ou, en tout cas, de regarder ce qui rentre et qui sort et d’en faire des collections. Donc ça c’est évidemment un point de faiblesse d’Internet à l’heure actuelle.

Vous allez dire « mais de toute façon il faut bien, quand même, qu’on ait des registres ! » Eh bien, oui, il faut avoir des registres d’adresses, de même que vous en avez dans votre poche : votre smartphone a probablement un annuaire comme tout le monde. Et puis vous pouvez aussi avoir des annuaires dans les appareils que vous ne sortez jamais de chez vous. Et puis vous avez bien des banquiers qui ont aussi des annuaires sur vos comptes. Donc il y a quand même beaucoup d’endroits où il y a des annuaires qui ne sont pas dans le DNS ; ça veut dire qu’il y a beaucoup de données qui vous concernent ou qui concernent votre société et qui sont aussi à protéger, bien sûr, parce qu’elles se recoupent. Donc si on rentre par un bord on peut, petit à petit, aboutir à la connaissance de beaucoup plus de données qu’on en cherchait.

Ça c’est quelque chose qui, je pense, va se développer. Nous, nous l’avons aussi fait à titre limité : on a dit que j’étais président d’Open-Root. Open-Root4 c’est un système, c'est un DNS en fait, mais il est indépendant de l’ICANN [Internet Corporation for Assigned Names and Numbers], ça veut dire indépendant des États-Unis donc, dans une certain mesure, il est moins accessible parce que les noms ne sont pas sur la place publique. Ça ne veut pas dire que c’est entièrement sécurisé, il ne faut pas croire aux miracles, mais, dans la mesure où c’est déjà séparé, comme les Chinois, eh bien on est beaucoup moins vulnérable. Donc je pense que cette approche va probablement se développer. C’est le vieux principe de diviser pour régner, c’est tout, on n’a pas inventé autre chose.

Comment faire ça dans la pratique ?
On peut dire : il faut le faire au niveau de l’Europe, parce que dès qu’il y a un problème on dit : « l’Europe devrait faire ceci cela ». Il n’y a pas une Europe, il y en 27 ! Avant qu’ils soient tous d’accord il peut se passer cinq à dix ans. C’est très bien pour établir des textes qui sont valables pour plus tard, mais quand il y a urgence, ce n’est pas la bonne méthode. Quand il y a urgence je crois qu’il faut commencer de manière modeste. Il ne faut pas espérer subitement rassembler une grande foule de gens qui seront d’accord avec vous ; ils peuvent être d’accord avec vous sur des textes fumeux qui ne disent rien, mais si vous voulez des textes qui permettent d’agir, eh bien il faut commencer avec les gens que vous connaissez, ce qu’on appelle souvent, dans la rubrique, des coalitions, n’est-ce pas. Il faut faire des coalitions de gens qui vont travailler ensemble et qui, petit à petit, vont donner, faire le modèle pour les autres.

Un autre système qui est en cours de production, mais qui n’est pas encore commercialisé, je le cite quand même parce que je le cite partout, c’est RINA, Recursive InterNetwork Architecture. Ça a été développé en partie à Boston il y a dix ans et maintenant ce sont des projets européens qui permettront d’avoir un Internet où les informations qui sont intéressantes sont complètement virtuelles, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas accessibles normalement de sociétés ou d’individus qui n’ont pas accès. Ça c’est dans deux-trois ans qu’on pourra en tirer usage.

Qu’est-ce qu’il faut faire ?
Eh bien évidemment il faut faire comme souvent on va vous le conseiller : il faut former des spécialistes mais ça va prendre un certain temps ! Il faut éduquer les enfants et aussi les adultes, ça va prendre un certain temps ! Donc ça c’est une culture, culture de l’hygiène, l’hygiène ça ne vient pas naturellement, il faut aussi former.
Un autre type de situation, ce sont les incendies. Par exemple la protection contre les incendies, eh bien on a fini par dire il faut des pompiers ; par exemple, quand j’étais très jeune, tous les étés il y avait d’énormes incendies dans la forêt des Landes. On a mis des coupe-feu, on a mis des tours de surveillance, on a mis des centres de pompiers pour les éteindre, etc. Finalement, maintenant il n’y a plus d’incendies dans les Landes. Donc toutes ces choses-là ça prend un certain temps, mais à un moment il faut démarrer, il ne faut pas attendre de faire des accords au niveau international pour que ce soit mis en place.

Ce que je recommande à tout le monde c’est : il faut se prendre par la main et il faut monter des opérations avec des gens qui sont d’accord avec nous. Il n’y en a peut-être pas beaucoup au départ mais c’est comme ça qu’on avancera.
Et en Europe, je crois qu’on peut commencer peut-être par essayer, au niveau de certains pays, certaines régions, certaines villes, n’importe quoi, tout ce qui peut constituer un minimum de pouvoir, de richesse et de détermination, ça peut servir de base de départ.
Merci de votre attention.

[Applaudissements]

Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 26 février 2019

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Frédéric Couchet

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 26 février 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Isabella Vanni - Véronique Bonnet - Marie-Odile Morandi - Vincent Calame - Emmanuel Charpentier - Frédéric Couchet
Lieu : Radio Cause commune
Date : 26 février 2019
Durée : 1 h 30 min
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Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

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Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web, rendez-vous sur le site de la radio causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 26 février 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, délégué général de l’April. Mon collègue Étienne Gonnu est également présent en régie. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Et je présenterai les autres invités très rapidement.

Le site web de l’April est april.org, a, p, r, i, l point org et vous pouvez y trouver d’ores et déjà une page consacrée à cette émission avec les références et les liens utiles, des détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Je vous souhaite à toutes et à tous une excellente écoute.

Maintenant on va passer au programme de cette émission. Ça va être une émission spéciale, nous n’avons pas de sujet principal mais nous avons cinq sujets courts et notamment quatre chroniques : les secondes chroniques d’Isabella Vanni, « Le libre fait sa comm' ». Bonjour Isabella.

Isabella Vanni : Bonjour.

Frédéric Couchet : Une chronique de Marie-Odile Morandi qui nous rejoindra tout à l’heure par téléphone « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » ; une chronique de Vincent Calame « Jouons collectif », Vincent est en train de s’installer. Bonjour Vincent.

Vincent Calame : Bonjour.

Frédéric Couchet : Nous aurons également la première chronique enregistrée de Véronique Bonnet intitulée « Partager est bon » et nous terminerons par un échange avec Emmanuel Charpentier sur l’Agenda du Libre, la revue de presse de l’April et Décryptualités. Bonjour Emmanuel.

Tout de suite place au premier sujet. Nous allons commencer par une chronique de ma collègue Isabella Vanni qui est coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April. La chronique est intitulée « Le libre fait sa comm' » et a notamment pour objectif d’informer sur les actions de sensibilisation menées par l’April mais également par d’autre personnes et je crois qu’aujourd’hui tu veux commencer, justement, par un sujet qui se passe à Nanterre si je me souviens bien.

Isabella Vanni : Tout à fait. Il s’agit des évènements qui ont été organisés dans le cadre du Libre en Fête à Nanterre. On va rappeler brièvement ce qu’est le Libre en Fête. Le Libre en Fête ça consiste à proposer des évènements de découverte du logiciel libre ou du Libre en général, à l’arrivée du printemps, donc autour du 20 mars. C’est une initiative nationale coordonnée par l’April, qui a lieu tous les ans depuis 2002. Donc cette année en 2019 on en est déjà à la 18e édition. En 2018 un peu moins de 200 ont été organisés dans le cadre de cette initiative. Cette année les dates sont du samedi 2 mars, donc c’est pour bientôt, au 7 avril 2019.
Pour référencer un évènement il est possible, en fait, de le soumettre sur l’Agenda du Libre dont on parlera tout à l’heure, en rajoutant le mot clef libre-en-fete-2019 avec un tiret entre chaque mot ; ça permettra de référencer l’évènement dans le cadre de l’initiative Libre en Fête.
Qui organise les évènements ? Toute structure ayant à cœur la promotion du logiciel libre, du Libre en général. Ça peut être un groupe d’utilisateurs, utilisatrices de logiciels libres, un espace public numérique, un club informatique, etc. L’April a un rôle de coordinateur, en fait : on lance l’initiative, on met à disposition un site, des ressources de sensibilisation, de communication. On envoie les appels à participation, etc.
À ce jour il y a un peu plus de 90 évènements qui sont référencés dans le cadre du Libre en Fête 2019. On aimerait bien égaliser voire dépasser le nombre d’évènements qui ont été référencés l’année dernière et on reste optimistes parce que l’expérience nous montre que beaucoup d’évènements sont rajoutés à la dernière minute.

Frédéric Couchet : On va rappeler le site de Libre en Fête tout de suite, donc libre tiret en tiret fête point net. Vous retrouvez sur le site à la fois tous les évènements référencés et la possibilité vous-même de référencer un évènement qui apparaîtra automatiquement et on fait le lien avec l’intervention de fin d’émission sur l’Agenda du Libre. Isabella, je t’invite à continuer.

Isabella Vanni : Une contribution très importante à l’édition 2019 du Libre en Fête vient du centre culturel et social P'arc en Ciel qui a son siège à Nanterre. Ils ont participé une première fois en 2017 avec un évènement. Ils ont doublé les évènements en 2018 et, cette année, ils proposent pas moins de huit évènements. Donc c’est vraiment un grand boulot d’organisation et nous avons le plaisir d’avoir avec nous aujourd’hui par téléphone les personnes qui ont monté ce riche programme d’évènements. Il s’agit d’Évelyne Jardin, formatrice et auteur en communication web, également médiatrice numérique auprès du centre social et culturel P'arc en Ciel et Salem Riahi qui est animateur auprès du centre P'arc en Ciel et en charge notamment des activités informatiques.
Éveline, Salem, merci d’être avec nous aujourd’hui. Merci et bravo pour cette contribution très importante au Libre en Fête et pour votre engagement en faveur de la promotion du logiciel libre. Vous m’entendez bien ?

Salem Riahi : Bonjour.

Évelyne Jardin : Bonjour.

Isabella Vanni : Bonjour.

Salem Riahi : Oui, on vous entend très bien.

Isabella Vanni : Super. Tout d’abord j’aimerais voir un peu plus avec vous le contenu du programme. Quelles sont les activités, les évènements qui sont proposés par P'arc en Ciel dans le cadre du Libre en Fête cette année ?

Salem Riahi : Je dirais qu’on a deux programmes : un programme propre au centre social P'arc en Ciel où ce sont plutôt des ateliers pratiques avec la journée phare qui sera le samedi 23 mars avec une Install Party, et on a un programme qui est destiné à l’ensemble de la commune où on s’adresse au plus grand nombre de Nanterriens et là, effectivement, il y a huit grands évènements un peu partout sur la commune.

Isabella Vanni : Très bien. L’accès à ces évènements est gratuit ? Il faut s’inscrire ?

Salem Riahi : Pour notre programme propre au centre social P'arc en Ciel c’est sur inscription, c’est limité, parce que, comme je vous disais, ce sont des ateliers pratiques. Sur la programmation Libre en Fête qui s’adresse à l’ensemble des Nanterriens, il n’y a pas d’inscription. Les entrées sont libres avec justement l’objectif de toucher vraiment tout le monde, le maximum de Nanterriens.

Isabella Vanni : Très bien beaucoup. Vous pouvez trouver la liste des évènements Libre en Fête qui ont lieu à Nanterre sur le site de l’initiative Libre en Fête donc libre en fete, un tiret entre chaque mot, point net et également sur le site de P'arc en Ciel, donc centreparcenciel tout attaché point wordpress point com.
Quand j’ai vu que vous aviez organisé huit évènements j’étais très surprise parce que ça demande un grand travail d’organisation, c’est beaucoup d’investissement, de temps et d’énergie. Je suis curieuse de savoir si vous aviez prévu autant d’évènements dès le départ ou s’il y a eu, peut-être, des idées qui ont émergé en cours de route ?

Salem Riahi : Avec Évelyne lorsqu’on a réfléchi à l’organisation pour Libre en Fête 2019, on s’est dit ça fait trois ans qu’en interne on fait des animations, cette année il faut vraiment essayer de toucher un maximum de Nanterriens. Donc on a contacté tous nos partenaires : Nanterre Digital, l’Electro Lab, Nanterrux, le centre social Les Acacias, le réseau des médiathèques, une association qui s’appelle Liens Intergénérations et le Parti communiste français. On les a sollicités, ils étaient partants pour s’impliquer, s’investir sur le programme, sur la programmation. On les a invités à une réunion début janvier. L’idée c’était que chacun avec ses compétences, ses moyens, puisse proposer une animation ou un débat ou…

Isabella Vanni : Très bien. Et les structures que vous avez contactées ont adhéré tout de suite ou vous avez rencontré des difficultés ? Évelyne que j’ai vu que tu es notamment le contact principal pour la plupart des événements.

Évelyne jardin : Oui. En fait on peut dire que ce travail est quand même le fruit de plusieurs années de relations avec les différentes structures qui se sont impliquées. Je connais personnellement toutes les structures puisque je fais partie d’un réseau qui s’appelle Nanterre Digitale. Ce réseau a été quand même un élément clef et facilitateur dans l’organisation de tout ce qui va se passer pour Libre en Fête cette année. On peut avoir l’impression que tout ça est sorti d’un chapeau magique, mais en fait ce n’est pas du tout le cas, il faut faire un travail de relations sur le territoire pour arriver à ce résultat-là.

Isabella Vanni : En tout cas bravo parce que c’est vraiment bien de pouvoir proposer autant d’activités sur autant de structures. Ça permet de toucher un maximum de public. J’ai une question que j’aimerais vous poser : quel conseil vous pourriez donner aux structures qui souhaiteraient organiser, comme vous, autant d’évènements ? J’imagine que le travail de terrain, justement de relations, est fondamental, mais peut-être que vous avez d’autres choses en tête.

Évelyne jardin : En effet il y a, en amont je dirais, tout le travail de terrain. Après il y a la co-organisation qu’on a portée avec Salem, tout le côté logistique, animation, organisation de réunions. Je dirais qu’en aval aussi il y a toute une aide qui vient aussi de la mairie de Nanterre sur l’aspect communication, puisqu’on va avoir les affiches du programme qui vont être installées dans les abribus de la ville.

Isabella Vanni : Parfait.

Évelyne jardin : La ville va aussi être relais des informations sur le site et sur la page Facebook de la mairie. Ça aussi c’est un aspect quand même important, on va le voir après coup, mais je pense que c’est aussi un aspect important dans la réussite de ce genre d’opération.

Isabella Vanni : Bien sûr. L’organisation est importante ; il faut aussi que le public soit au rendez-vous. Je vous souhaite vraiment un franc succès pour tous vos évènements. Est-ce qu’il y a quelque chose que vous souhaitez rajouter ? Notre temps est presque fini.

Évelyne jardin : Ce que j’aimerais rajouter c’est qu’en fait cette action c’est envers un public varié et c’est aussi pour ça qu’on a eu la volonté d’aller vers des structures très variées. Il y peut-être aussi une autre action sous-jacente, c’est le lien qui se crée entre les différentes structures impliquées qui peut donner peut-être naissance à d’autres choses qu’on ne soupçonne pas encore. Libre en Fête c’est bien mais c’est une fois dans l’année. Je pense que c’est important de sensibiliser aux outils et aux communs numériques pendant toute l’année. Donc notre objectif ce serait qu’il y ait des ateliers qui soient proposés, comme ça, dans un maximum de structures territoriales toute l’année.

Isabella Vanni : Bien sûr. Je pense que vous avez posé de bonnes bases grâce à tous ces évènements cette année. Je vous remercie beaucoup d’avoir été avec nous et bon courage pour les derniers jours pour l’organisation.

Évelyne jardin : Merci à vous.

Salem Riahi : Merci à vous.

Isabella Vanni : Merci.

Frédéric Couchet : Nous remercions Évelyne Jardin et Salem Rihai de l’organisation la partie Libre en Fête à Nanterre. Isabella je crois que tu veux finir ta chronique sur les actions de sensibilisation de l’April. Il nous reste quelques instants.

Isabella Vanni : Combien de secondes ?

Frédéric Couchet : Il nous reste deux-trois minutes.

Isabella Vanni : Super. Je souhaiterais profiter de cette chronique pour faire un court point sur les actions du groupe de travail Sensibilisation. Pour rappel, le groupe de travail Sensibilisation est l’un des groupes de travail de l’April. Tout le monde peut participer, ce n’est pas nécessaire d’être membre, il suffit de s’inscrire à la liste de discussion sensibilisation ; il suffit, éventuellement aussi, de visiter la page wiki du groupe pour voir quels sont les projets en cours.
On se réunit aussi physiquement une fois par mois, chaque troisième jeudi du mois à La Fondation pour le progrès de l’homme dans le 11e arrondissement de Paris. Si vous êtes sur Paris vous êtes, bien sûr, les bienvenus.
En ce moment les projets sur lesquels on travaille davantage c’est le jeu de Gnou. C’est un jeu de plateau qui s’inspire principalement du jeu de l’oie, mais vous l’aurez compris ça parle surtout de logiciel libre ; l’idée c’est de faire un outil pédagogique adressé notamment aux enfants mais pas que, aussi aux adultes non-initiés. Donc l’idée c’est de les faire jouer, de les faire amuser avec un plateau très sympathique qui a été conçu par deux bénévoles. L’idée c’est de leur apprendre la définition du logiciel libre, les dangers pour l’informatique libre, etc.
On a fait un premier test lors de la réunion du groupe de travail jeudi dernier ; c’était très sympa de tester en live le jeu et on s’est rendu compte, en fait, qu’il y avait plein de choses à revoir en termes de visuel, en termes de règles du jeu, mais ce n’est pas grave, c’est complètement normal. On était ravis de se questionner sur le jeu parce que c’est important de sensibiliser les autres, mais les sensibilisateurs, les sensibilisatrices aussi ont besoin de se questionner. Donc ça a été un exercice très utile pour nous.
L’autre projet en cours, si j’ai toujours le temps, c’est le catalogue de fiches. L’idée c’est de faire des fiches, donc des documents très courts, très synthétiques, à mettre à disposition des bénévoles sur les stands ou du public qui visite nos stands sur les différents évènements. L’idée c’est d’expliquer d’une façon très schématique, très simple, quelles sont les principales actions menées par l’April. On a une fiche finalisée et validée, mais il y en a trois autres qui sont en train d’être finalisées. On espère, de cette façon, faciliter le travail des bénévoles, des animateurs, des animatrices de nos stands.

Frédéric Couchet : Écoute, merci Isabella. Je vais rappeler que toutes les références sont sur le site de l’April. Il y a une page consacrée à l’émission sur laquelle vous trouverez le lien vers la page wiki du groupe Sensibilisation. Pour s’inscrire sur la liste et rejoindre ce groupe Sensibilisation, comme tu l’expliquais, il n’y a pas besoin d’être membre pour cela, vous allez sur le site de l’April, april.org et vous retrouvez toutes les références. Merci Isabella. C’était la chronique « Le Libre fait sa comm’ ». Et on se retrouvera le mois prochain. Tu veux ajouter quelque chose ?

Isabella Vanni : Tout va bien. Merci.

Frédéric Couchet : Je te voyais faire des gestes donc je me demandais si tu voulais ajouter quelque chose.

Isabella Vanni : J’allais enlever le casque.

Frédéric Couchet : Tu allais enlever le casque. Avant d’enlever le casque tu vas attendre la pause musicale qui en plus est très sympathique. Nous allons faire une pause musicale. Le morceau s’appelle Late as usual et le groupe s’appelle The Freak Fandango Orchestra. On se retrouve juste après.

Pause musicale : Late as usual par le groupe The Freak Fandango Orchestra.

Voix Off : Cause Commun 93.1

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Late as usual, le groupe s’appelle The Freak Fandango Orchestra. J’espère que vous avez dansé comme nous au studio, d’ailleurs quasiment tout le monde s’est levé, certains sont même partis téléphoner.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous !, sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Nous sommes toujours en direct. Libre à vous ! c’est l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Juste avant la pause nous avions la chronique de ma collègue Isabella Vanni « Le libre fait sa comm' ». Maintenant nous allons faire une deuxième chronique et ce sera la première chronique de cette personne, en l’occurrence Véronique Bonnet qui est professeur de philosophie, qui est également membre du conseil d’administration de l’April. La chronique nous l’avons enregistrée il y a quelques jours et, pour cette première chronique, Véronique Bonnet va nous commenter deux citations de Richard Stallman. La chronique va durer 14 ou 15 minutes et on se retrouve juste après.

Frédéric Couchet : Eh bien aujourd’hui je suis avec Véronique Bonnet, pour sa première chronique intitulée « Partager est bon ». Première question : Véronique, peux-tu te présenter ?

Véronique Bonnet : Oui. Je suis initialement professeur de philosophie. La philosophie est mon approche qui est un eu particulière de la philosophie GNU. Ça n’est pas pour rien que Richard Stallman parle de philosophie GNU puisqu’il dit d’entrée que son projet est idéaliste, que c’est un idéalisme pragmatique et tel va être l’objet de ma chronique d’aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Par ailleurs tu es aussi vice-présidente de l’April, tu as de multiples activités sans aucun doute. Comme tu viens de le dire, ta chronique d’aujourd’hui qui est la première, le sujet est « Idéalisme pragmatique » et tu enchaîneras sur « Pourquoi le logiciel doit être libre », justement. Je te passe la parole pour commencer cette chronique.

Véronique Bonnet : « Idéalisme pragmatique ». Peut-être est-il besoin de rappeler que par principe il y a un moment où Richard Stallman, que ce soit à cause d’une impossibilité de réparer une imprimante, que ce soit à cause de la vente par le MIT du travail qui est de fait par tout un labo, à Symbolics, décide, il décide à ce moment-là, par principe, d’arrêter de se situer dans la logique d’un logiciel propriétaire. Il le dit, je cite : « Idéalisme pragmatique c’est un but idéaliste qui motive mon travail pour le logiciel libre, propager la liberté et la coopération. »
Donc il me semble tout à fait important de commencer ces chroniques par ce petit texte-là, parce qu’on pourrait penser que logiciel libre c’est seulement une affaire d’écriture de code, or ça va bien au-delà. Voilà ce qu’écrit Richard Stallman : « Je veux encourager la définition des logiciels libres et le remplacement des logiciels privateurs qui interdisent la coopération et rendre ainsi notre société meilleure ». Autrement dit ça n’est pas une affaire de pure technicité qui tiendrait avec une forme affective à ce qui a été réalisé, ça n’est pas une affaire simplement de cohérence de terminer ce qu’on a commencé, l’idée est morale, « idéalisme », c’est-à-dire qu’on essaie de se représenter ce que serait une société fraternelle, ce que serait une société dans laquelle il y aurait en effet une diffusion et ce terme d’ « idéalisme pragmatique » dit à la fois que bien sûr on ne transigera pas sur les principes, mais qu’en même temps il faut se donner les moyens. Et c’est vrai que l’appel aux hackeurs qui est fait dans le projet GNU essaie d’avancer en matière d’écriture du code avec, toujours à la clef, une intransigeance extrêmement forte parce que le logiciel doit être libre. Et très vite il y a de la part de Richard Stallman l’écriture argumentée de pourquoi le logiciel doit être libre.
Simplement sur « idéalisme pragmatique », j’ajouterais qu’il y a bien dans l’idéal du free software quelque chose qui relève du sens moral. Il parle assez souvent du sens moral du programmeur. De deux choses l’une : soit le programmeur veut simplement être riche, soit le programmeur veut, d’une façon affective, développer sa chose, son code en le gardant pour lui, soit il y a quelque chose qui va au-delà et qui s’appelle la fraternité.

Frédéric Couchet : Ce texte dont tu parles, « idéalisme pragmatique », on le trouve sur le site du projet GNU, gnu.org ; la référence sera aussi sur le site de l’April dans la page consacrée à l’émission. Ce texte date d’une vingtaine d’années, de mémoire, je pense.

Véronique Bonnet : Oui. Il date du début, parce que dès le début du projet GNU, il y a cette teneur d’intransigeance idéaliste qui, bien sûr, va déboucher sur la tentative ; alors au début il essaie de maintenir Lisp indépendamment de cette session à Symbolics, ensuite il s’aperçoit qu’il ne pourra pas le faire et c’est là qu’il fédère des programmeurs ayant comme lui un sens moral, c’est-à-dire partageant cette visée d’une société qui sera meilleure.

Frédéric Couchet : Le projet GNU est donc un projet fondateur pour le mouvement du logiciel libre lancé par Richard Stallman. Lisp, Symbolics, les détails seront retrouvés sur le site de gnu.org, dans l’article « Idéalisme pragmatique ».

Véronique Bonnet : « Idéalisme pragmatique », oui.

Frédéric Couchet : C’est un texte fondateur parmi des textes importants. Ça me permet de préciser que le site de gnu.org est traduit en français principalement par le groupe de travail Traduction de la philosophie GNU de l’April, ce qui permet de mettre à disposition ces textes en français.
Cet idéalisme pragmatique implique, comme tu l’as dit tout à l’heure, que le logiciel doit être libre. Est-ce que tu peux détailler cette partie s’il te plaît ?

Véronique Bonnet : Il y a bien dans le texte intitulé ainsi et dont les références seront également sur le site de l’April, l’idée que si dans notre vie quotidienne, pour préparer un repas pour ses amis, on avait à se plier à des licences qui imposeraient de se référer à telle manière de procéder de tel cuisinier — on ne pourrait déroger à la recette, on ne pourrait pas ôter du sel, en ajouter —, vous avez d’une façon très pragmatique l’idée que les mathématiques ne sont pas, elles, sous copyright. Il n’y a aucune raison que l’informatique se trouve sous copyright, que la cuisine se trouve sous copyright. Souvent il y a deux arguments en faveur du logiciel propriétaire : l’argument affectif, l’argument économique qui bloquent complètement les choses sans qu’on voie à quel point ceci verrouille la société et notamment porte atteinte à la liberté, à l’égalité et à la fraternité des humains.
Donc dès le tout début de ce texte qui s’appelle « Pourquoi le logiciel doit être libre », vous avez à imaginer ce que ce serait si les recettes de cuisine étaient logées à la même enseigne que les logiciels : comment modifier cette recette ? Et là, si on ne peut pas le faire, si on ne peut pas ôter le sel, il va y avoir des procédures infinies pour joindre l’auteur de ce qui est sous copyright, il n’aura pas le temps de modifier. Par des formes très prosaïques et très quotidiennes, et là je crois que c’est la marque du discours de Richard Stallman, on arrive à voir l’absurdité de ce que serait une société totalement partitionnée par des contraintes qui empêcheraient donc de propager, de diffuser dans une fraternité, une inventivité qui, dans le registre humain, relève de la rencontre de plusieurs.

Frédéric Couchet : Tu parles de fraternité. Ça me permet de rappeler qu’en France, quand Richard Stallman fait une conférence, il commence très souvent par l’expression : « Je peux définir le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité » et, de temps en temps, il rajoute un commentaire par rapport au pouvoir politique présent en France qui n’est pas dans cet état d’esprit-là, quels que soient les pouvoirs politiques. En tout cas liberté, égalité fraternité.

Véronique Bonnet : Sur la liberté, il ne s’agit pas du tout d’une liberté telle que l’entendrait par exemple même ce qu’on appelle le mouvement open source, avec l’idée que s’il y a beaucoup d’utilisateurs, si on permet l’accès au code source, il y aura beaucoup de rapports de bugs et donc ça marchera mieux, ça permettra de trouver des solutions pour réparer les bugs, donc il y aura une grande puissance du programme. Il s’agit d’une liberté aussi bien ce qui m’oblige moi, c’est-à-dire une autonomie, quand je fais quelque chose j’y réfléchis à deux fois avant de voir si, par là, la société va se trouver dégradée, améliorée ; ça m’engage dans mon rapport aux autres, dans mon rapport au monde et donc il me semble qu’il est très important de bien regarder, j’en reviens à cet article « Pourquoi le logiciel doit être libre », les arguments qui font que très souvent, quand on écrit du code, on ne pense pas immédiatement aux effets sur la société.
Qu’est-ce qui se passe par exemple, là je cite Richard Stallman, lorsqu’on écrit du code propriétaire, lorsqu’on réalise un logiciel propriétaire, qu’on verrouille son usage ? Ça ressemble à, cette chose-là, l’argument affectif ressemble à ceci : « J’ai mis ma sueur, mon cœur, mon âme dans ce programme, il vient de moi, c’est le mien ! » Autrement dit liberté, ça n’est pas simplement je ne suis pas contraint à quelque chose, je fais en sorte de réaliser ce qui est mien et je me moque du reste. Il me semble que la liberté c’est ce à quoi je m’engage lorsque humain parmi les humains, effectivement je mets de ma sueur, de mon cœur et de mon âme dans quelque chose, est-ce que c’est pour le garder pour moi ? Est-ce que c’est misère affective autocentrée simplement pour empêcher que les autres l’utilisent ?

Il y a un autre argument dans « Pourquoi le logiciel doit être libre », c’est l’argument économique. C’est : je veux devenir riche et si vous ne me permettez pas de devenir riche en programmant, eh bien je ne programmerai pas. Là on est dans une liberté qui ferait également contresens, ça serait celle du libéralisme, c’est-à-dire absence d’entrave, c’est-à-dire produisez, enrichissez-vous, gardez pour vous ce que vous avez produit et que le reste du monde s’écroule ou soit privé de ce que vous faites. Il me semble que dans la philosophie GNU est affirmée une forme de prima de l’humain dans toutes ses dimensions — et c’est vrai que l’humain est peu de choses seul —, donc il me semble que ce à quoi tu faisais référence, Frédéric, c’est-à-dire liberté, égalité, fraternité, essaie de penser l’humain parmi les humains. Et ça me paraît, comme dans ma pratique philosophique, quelque chose de très essentiel.

Frédéric Couchet : En tout cas je trouve que c’est très clair et très intéressant. Est-ce que tu veux ajouter un mot de conclusion ?

Véronique Bonnet : Le mot de conclusion que je dirais c’est que le terme de philosophie GNU peut paraître intimidant, peut paraître abstrait, mais moi chaque fois que je regarde — d’où cette émission qui s’appelle « Partager est bon » ; « Partager est bon » est une phrase que dit assez souvent Richard Stallman —, moi ce qui m’intéresse dans la philosophie GNU c’est de rencontrer beaucoup de situations du quotidien, beaucoup d’analogies avec utiliser une chaise, pourquoi est-ce que n’est pas pareil d’utiliser un logiciel qu’utiliser une chaise, de manger un sandwich, quelle réécriture ça permet, quelle diffusion ça permet, il me semble que la philosophie GNU c’est aussi une philosophie du quotidien.

Frédéric Couchet : Ça me parait être une très bonne conclusion. Si je me souviens bien, quand Richard explique que « partager c’est bon », il ajoute assez souvent que « attaquer le partage c’est attaquer la société ».
En tout cas merci Véronique Bonnet, professeur de philosophie, vice-présidente de l’April, pour cette première chronique intitulée « Partager est bon » et on se retrouve bientôt. Merci Véronique.

Véronique Bonnet : À bientôt.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter la première chronique de Véronique Bonnet, professeur de philosophie, membre du conseil d’administration de l’April. Les deux textes qu’elle a commentés, donc deux textes de Richard Stallman, sont en référence sur le site de l’April, april.org.
Vous écouter toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur causecommune.fm. Nous allons faire une nouvelle pause musicale. Le morceau s’appelle Pizzicato de Ehma.

Pause musicale : Pizzicato de Ehma.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Vous venez d’écouter Pizzicato de Ehma. La référence vous la trouvez sur le site de l’April. J’en profite pour rappeler que les musiques que nous diffusons sont sous licence libre permettant une réutilisation comme vous voulez : vous pouvez les partager avec vos amis, vous pouvez les modifier éventuellement même pour des objectifs commerciaux, donc licence Art libre en général ou licence Creative Commons Partage à l’identique. Là c’était Pizzicato de Ehma.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Nous allons maintenant poursuivre par la chronique de Marie-Odile Morandi « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ». Normalement Marie-Odile est avec nous au téléphone. Bonjour Marie-Odile. Bonjour Marie-Odile.

Marie-Odile Morandi : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Quels sont tes coups de cœur aujourd’hui ?

Marie-Odile Morandi : La dernière fois j’avais parlé d’une émission qui concernait l’éducation et qui avait été pour moi un véritable coup de cœur.
Cette foi-ci j’ai prévu de présenter les transcriptions de trois interventions différentes, mais qui, je pense, se complètent et en quelque sorte se répondent.

Frédéric Couchet : Quelles sont ces trois transcriptions ?

Marie-Odile Morandi : Toutes les semaines, trois ou quatre membres de l’April se réunissent pour parler pendant une quinzaine de minutes, de façon simple et accessible à tous, d’un sujet d’actualité. La discussion est enregistrée, le podcast est transcrit. Vous pouvez donc non seulement écouter, mais lire ces « Décryptualité. »

En début d’année, le « Décryptualité » du 7 janvier était intitulé : « Donner des sous aux projets libres suffit-il à les financer ? » Les intervenants souhaitaient parler des étrennes et des sollicitations auxquelles chacun d’entre est soumis pour soutenir les causes diverses et variées qui lui tiennent à cœur. « Pourquoi soutenir le logiciel libre ? » était la question posée.
Certes dans le milieu professionnel, les développeurs qui travaillent sur le logiciel libre sont payés, mais il y a énormément de développeurs qui sont des bénévoles ou quasi bénévoles, qui travaillent avec très peu de moyens, et même qui développent des logiciels dans leur coin et il arrive que ces logiciels servent dans le monde professionnel.
Dans ce « Décryptualité » la comparaison faite avec les GAFAM souligne immédiatement le déséquilibre, la distorsion. Les chiffres concernant ces GAFAM sont hallucinants, à donner le vertige : Google, Amazon, Facebook, et autres sont assises sur des centaines de milliards de dollars. Leurs bénéfices exorbitants se comptent en dizaines de milliards de dollars.
Ce qui m’avait interpellée, c’est la question d’un des participants : « Que vont faire ces entreprises de cet argent ? Elles vont bien s’en servir pour quelque chose ? Et s’en servir pour quoi ? »

Frédéric Couchet : Justement, où peut-on trouver la réponse à cette question ?

Marie-Odile Morandi : Pour trouver la réponse je souhaite maintenant parler de l’association Framasoft et en particulier de sa campagne « Dégooglisons Internet » qui a débutée en 2014, suivie du projet « Conributopia » qui a été lancé en 2017. Plusieurs conférences sur le sujet ont été transcrites, en particulier des conférences de son directeur-délégué général Pierre-Yves Gosset.
Je voulais m’attarder uniquement sur le début des conférences de Pierre-Yves et j’ai choisi la conférence intitulée : « Contributopia », Dégoogliser ne suffit pas. », qu’il a donnée au Capitole du Libre en novembre 2017.
La domination économique exercée par les GAFAM est détaillée de façon précise : ces cinq entreprises du numérique représentent les plus grosses capitalisations boursières mondiales et contrôlent une énorme partie de l’argent qui circule. L’argent disponible sur leurs comptes en banque respectifs se compte en milliards de dollars. Et que font-elles de cet argent ? Eh bien elles investissent et Pierre-Yves parle de colonisation : petit à petit elles grignotent des parts du Web et ainsi elles s’implémentent dans Internet. Comme les noms sont différents, on a l’impression qu’il s’agit d’entreprises différentes, mais en fait les applications que nous utilisons ont, dans leurs capitaux, des fonds qui appartiennent aux GAFAM : Amazon Airbnb WhatsApp Facebook. Linkedin Microsoft.
En plus en 2015 Google est devenu le groupe Alphabet et ses filiales s’activent dans tous les domaines, d’où cette impressionnante domination économique puisque avec tant d’argent on peut acheter n’importe quelle entreprise sur la planète.
Pierre-Yves nous détaille deux autres dominations parce qu’avec une telle domination économique, on peut exercer sa domination dans plein d’autres domaines. Il nous parle de la domination technique : les produits de Google etFacebook sont utilisés par des milliards de personnes chaque jour. Mais, encore plus grave, la domination culturelle : Facebook influence la façon dont nous communiquons avec nos pairs, avec les autres êtres humains ; les objets que nous utilisons se ressemblent tous, les applications que nous utilisons sont soumises au même design, le leur, comme si sur la planète il n’existait qu’une seule culture. Et plus grave encore, notre morale est influencée et ce sera la morale de ces entreprises qui sera diffusée sur toute la planète.

Frédéric Couchet : Ça veut dire, en fait, que ces cinq entreprises, ces cinq majeures, mais il y en a bien d’autres qu’on appelle les géants de l’Internet ou du Web décident pour le reste du monde de comment on va interagir avec nos amis, comment les interfaces de nos appareils sont conçues, de ce que sera notre morale.

Marie-Odile Morandi : Effectivement ! Et elles sont en train de réussir à faire ce qu’on nous avait vanté comme le village mondial, mais ce village bâti sur leur seul modèle.
Ces entreprises enferment petit à petit tous leurs utilisateurs. Nous n’aurons plus aucune indépendance ; serons-nous encore capables de réfléchir de façon personnelle ?
Donc, comme le dit Pierre-Yves, il faut continuer à développer des alternatives, à développer du Libre. Pierre-Yves nous détaille les services proposés par Framasoft. Je vous laisse continuer la lecture, prendre connaissance de toutes ces solutions ainsi que du projet Contributopia en cours de réalisation.
Dans le Décryptualité présenté il y avait aussi des solutions alternatives proposées reposants sur des systèmes institutionnels sont avancées. Je vous propose d’aller en prendre connaissance et de méditer sur le sujet.

Frédéric Couchet : Avant de méditer sur ce sujet très intéressant, tu voulais nous proposer la lecture d’une troisième transcription.

Marie-Odile Morandi : Effectivement. Je voulais rapprocher ces deux transcriptions d’une troisième. Il s’agit d’une conférence qui a été donnée à PSES en juillet 2018 par Xavier Coadic et intitulée « L’idiot du village g00gle » ; Google est écrit en minuscules avec deux zéros à la place des « o ».
En fait, le village de Xavier c’est la planète et Rennes c’est l’endroit où il nous dit qu’il vit de temps en temps. Il nous explique qu’il y a 20 ans, il a utilisé les services de Google, qu’il y a dix ans il s’est mis au logiciel libre, mais en même temps il s’est rendu compte que Google a colonisé son pays, la planète. Il nous dit : « J’ai réussi, moi, à m’en sortir, mais il est encore là ! Cette année, Google est carrément venu dans mon village à Rennes. Ils ont ouvert un truc qui s’appelle « Atelier Numérique ».
Une boutique a été ouverte à Rennes et Xavier pense que Google va ouvrir des boutiques dans d’autres centres-ville, que cette colonisation va certainement se poursuivre.
Google prétend faire « du numérique citoyen d’éducation ». Xavier nous indique que les termes de communication employés par Google sont repris par d’autres personnes, des politiques, des associations. On leur dit : « Google va vous éduquer, vous, les idiots, au numérique. Avant je me sentais idiot du village et maintenant, on me le dit »

Frédéric Couchet : Sa révolte est passée par plusieurs phases, visiblement.

Marie-Odile Morandi : Oui effectivement. Le choc, ensuite le déni. Il nous dit qu’il appartient à un collectif, qu’il n’agit pas tout seul, et son collectif a fait un recensement de tout ce qui s’est fait à Rennes pendant ces 20 dernières années concernant le numérique. Il est passé par colère, il est passé par la résignation. Xavier nous explique qu’il a même subi « des menaces » et il évite de trop parler parce que des entités pourraient être ennuyées, des personnes dans leur travail, dans divers secteurs comme le secteur associatif, et c’est même inquiétant ! Il est passé par tristesse, par l’acceptation et maintenant il nous explique qu’il entame une phase de reconstruction.
Xavier nous propose des solutions pour cette reconstruction. Il nous faut l’écouter, si vous en avez le temps lire la transcription et, chacun selon ses possibilités, l’accompagner dans sa démarche.

Frédéric Couchet : Écoute merci Marie-Odile. Est-ce que tu veux résumer pourquoi tu nous a présenté ces trois transcriptions ?

Marie-Odile Morandi : Eh bien je pense que dans chacune des transcriptions de ces trois enregistrements, les intervenants, chacun à sa manière, parlent de la même gravissime situation que les responsables en tout genre n’ont pas encore mesurée. Il en va de notre libre arbitre, de nos libertés numériques, mais surtout de notre liberté en général.

Frédéric Couchet : Merci Marie-Odile. J’en profite pour indiquer que les références de ces transcriptions sont sur le site de l’April dans la page consacrée aux références de l’émission. Il y a également les informations pour vous informer sur le groupe Transcriptions que Marie-Odile anime parce que s’il y a des transcriptions c’est parce qu’il y a des gens comme Marie-Odile, qui transcrivent et il y a aussi des gens qui relisent. N’hésitez pas si vous avez un peu de temps pour relire ou transcrire ; des fois il y a des transcriptions qui sont un peu longues, des conférences ou même des émissions d’une heure, une heure et demie, mais des fois comme dans le cas des chroniques que nous faisons à la radio, il y a des chroniques qui durent 15 minutes et qui prennent peut-être une heure à transcrire. En tout cas ce groupe de travail Transcriptions est ouvert à toute personne. N’hésitez pas à vous rendre sur le site de l’April, a, p, r, i, l point org et vous y trouverez les références pour rejoindre ce groupe et travailler de concert avec Marie-Odile.
Marie-Odile, je remercie et je te dis au mois prochain.

Marie-Odile Morandi : Entendu. Merci.

Frédéric Couchet : Bonne journée.

Marie-Odile Morandi : Nous accueillons toutes les bonnes volontés. Soyez les bienvenus.

Frédéric Couchet : Exactement ! Nous allons passer une petite pause musicale. Un artiste qu’on a déjà écouté, Jahzzar, et le morceau s’appelle Sappy.

Pause musicale : Sappy par Jahzzar.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous venons d’écouter Sappy par Jahzzar. C’est en licence Creative Commons Partage à l’identique et vous trouvez la référence sur le site de l’April.

Nous allons passer maintenant à notre sujet suivant avec la deuxième chronique de Vincent Calame intitulée « Jouons collectif ». Vincent est informaticien, également bénévole à l’April. La description de cette chronique c’est : choses vues, entendues et vécues autour de l’usage des logiciels libres au sein de collectifs, donc associations, mouvements, équipes en tout genre ; témoignage d’un informaticien « embarqué », entre guillemets, au sein de groupes de néophytes. Rebonjour Vincent.

Vincent Calame : Rebonjour.

Frédéric Couchet : Le thème du jour de ta chronique c’est « ça fonctionnait, cela ne fonctionne plus » , en gros le couple infernal innovation-régression.

Vincent Calame : Oui, tout à fait. La grande phrase qu’on redoute d’entendre tous les jours c’est « ça marchait et maintenant ça ne marche plus ! » J’ai même eu droit il y a dix jours à « ça ne marche pas » sans aucun autre détail. Ce sont souvent effectivement les non-informaticiens qui s’adressent à vous parce que, tout d’un coup, quelque chose ne fonctionne plus sur leur poste, avec toujours, comme je disais, peu de détails sur les raisons et c’est pour ça que ce genre de phrase entraîne une vraie enquête policière pour savoir quelle est la source du problème.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc là tu parles de personnes utilisatrices qui appellent le service, en gros, informatique ou la personne qui s’y connaît un peu plus qu’elles pour lui dire : là ça ne fonctionne plus ou ça ne marche pas. Donc tu arrives et ton rôle est un peu d’essayer de comprendre ce qui fonctionnait avant et ce qui ne fonctionne plus maintenant. C’est ça ?

Vincent Calame : C’est ça. Et pourquoi ? Parfois ça vient de la personne elle-même mais souvent elle dit : « Il y a une semaine j’ai fait exactement la même chose et ça marchait et maintenant ça ne marche plus ! » Il y a parfois de vraies raisons matérielles, parce que l’informatique ce n’est pas que du virtuel c’est aussi des réseaux, de l’électricité, donc des disques durs qui flanchent, récemment on a un bloc électrique chez notre fournisseur d’accès qui a grillé, donc ça c’est la première raison qu’on peut éliminer rapidement.
L’autre piste qu’on cherche c’est souvent les serveurs puisque ce sont souvent eux qui, également, s’arrêtent inopinément soit parce qu’ils ont une surcharge et ainsi de suite, et c’est ce qu’on va fouiller parce que, maintenant, énormément des applications utilisées fonctionnent sur le serveur et c’est en général le serveur qui a un problème.

Frédéric Couchet : Il faut peut-être expliquer ce qu’est un serveur ; peut-être qu’il y a des gens qui ne savent pas exactement ce qu’est un serveur informatique.

Vincent Calame : Oui. En fait un serveur c’est un ordinateur qui est connecté en permanence à Internet, qui fonctionne en permanence sur Internet et qui attend la sollicitation des utilisateurs, qui va fournir un service, d’où le nom serveur. L’exemple le plus typique c’est le site web. Les sites web sont fournis par des serveurs. Quand vous êtes sur votre navigateur, que vous allez sur une adresse, sur arpil.org, il y a un serveur derrière qui répond à votre demande.

Frédéric Couchet : Ou dans une association, par exemple, ça peut être le serveur de fichiers. C’est-à-dire que les fichiers ne sont pas physiquement, par défaut, sur votre ordinateur local, à vous, mais sur un serveur donc une machine qui est localisée ailleurs dans l’espace, peut-être que ça va être au même endroit physiquement mais dans une pièce fermée, ou sur Internet, et vous récupérez ces fichiers depuis ce serveur de fichiers. Effectivement une cause de dysfonctionnement dont tu parlais, ce sont les causes de dysfonctionnement matérielles du serveur : un disque dur qui « tombe en rade » entre guillemets, donc il faut le remplacer.

Vincent Calame : Voilà. Le serveur est très pratique parce que tout est concentré à un endroit mais évidemment, une fois qu’il a une panne, c’est terminé. Quand on recherche les causes de la panne c’est ce qu’on recherche en premier parce que ce sont les plus courantes, mais une fois qu’on a exploré ces pistes et qu’on se rend compte qu’il n’y a pas de problème matériel, il faut se pencher un peu plus et là on affronte le dernier suspect, qui est le principal suspect et le plus sournois, qui est une mise à jour qui a mal tourné.

Frédéric Couchet : Une mise à jour de logiciel.

Vincent Calame : De logiciel. C’est-à-dire qu’il y a eu un changement dans le code et ce changement dans le code a entraîné des erreurs qui n’ont pas été remarquées avant : pendant la phase de développement du code cette erreur n’avait pas été relevée.

Frédéric Couchet : C’est-à-dire qu’il n’y a pas suffisamment de tests qui ont été faits ou que tous les cas de figure n’ont pas été testés et finalement, la personne qui s’en rend compte, c’est l’utilisateur ou l’utilisatrice qui a un besoin et qui, tout d’un coup, suite à un rajout de code, ce besoin ne fonctionne plus ou fonctionne différemment qu’avant.

Vincent Calame : Tout à fait. Quand on produit soi-même son code et qu’on a des utilisateurs, on sait d’où ça arrive : c’est qu’on a introduit une nouvelle fonction, qu’on a oublié un cas de figure isolé, qu’on n’avait pas cliqué. Mais ça arrive, en fait, pour tous les logiciels, qu’ils soient libres et également privateurs, on y reviendra. C’est quelque chose qui est dur à identifier.
Je reviens sur le concept des mises à jour. Les mises à jour sont permanentes. Quand on a un système d’exploitation installé sur son ordinateur, on a toujours des mises à jour proposées sur une foultitude de logiciels. Le logiciel incriminé, qui est la source du problème, est parfois difficile à identifier.
Dans les exemples que j’ai connus de problèmes de mises à jour, même pour des logiciels très grand public, logiciels libres très grand public comme Firefox, c’est souvent lié aux questions des extensions. Les extensions c’est quoi ? Beaucoup de logiciels proposent un noyau dur, on va dire, et offrent la possibilité à d’autres codeurs de programmer des extensions qui résolvent un cas particulier. C’est à la fois un système très efficace parce qu’il peut proposer beaucoup de nouvelles fonctions pour un logiciel, mais le problème de ce système c’est que souvent l’extension n’est pas développée au même rythme que le noyau principal du logiciel et on se retrouve, tout d’un coup, avec une extension qui ne marche plus parce que le logiciel principal a été mis à jour. Souvent ça peut aussi ne pas marcher pour de très bonnes raisons. Si je reprends l’exemple de Firefox, il y a un an et demi ou deux ans, ils ont sorti une nouvelle version.

Frédéric Couchet : La version Quantum.

Vincent Calame : Oui, avec beaucoup de changements, mais également des changements dans la gestion des extensions. Il y des extensions utiles qui n’ont pas été adaptées ou qui ont pris quelques mois avant d’être adaptées à la nouvelle version.

Frédéric Couchet : Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’on peut s’imaginer qu’un même logiciel est développé par une équipe unique, mais pas forcément ! Le cas de Firefox, comme tu dis, il y a le cœur de Firefox qui est développé principalement par la Mozilla Foundation, mais tous ses greffons, ses extensions sont développées par des personnes à l’extérieur. Il y a deux ans, à peu près, il y a eu la sortie de Firefox Quantum. Mozilla a décidé de revoir son mode de développement des extensions pour les rendre compatibles avec d’autres systèmes, donc la volonté était très positive, il y a eu une annonce très tôt en avance, mais, effectivement, toutes les équipes extérieures n’ont pas forcément mis à jour leurs extensions pour s’adapter à ce nouveau mode de communication, on va dire, avec Firefox. Donc aujourd’hui, je crois que chacun d’entre nous le vit régulièrement, il y a des extensions qui nous plaisaient bien qui n’ont pas été migrées sur cette nouvelle version.

Vincent Calame : Quand on est informaticien, on comprend, on l’accepte.

Frédéric Couchet : On ne l’accepte pas forcément mieux des fois !

Vincent Calame : Ce qui est plus compliqué, justement, c’est d’expliquer à des non-informaticiens pourquoi l’extension qui leur était utile dans leur travail quotidien tout d’un coup n’a pas fonctionné, n’est plus disponible. Donc il y a des efforts de pédagogie à faire et il y a des efforts de recherche, parce qu’un de mes rôles c’est justement de trouver aussi une solution pour résoudre ce problème : soit trouver une extension équivalente qui a à peu près les mêmes fonctions mais qui, elle, est à jour, soit en cherchant dans les forums, en cherchant dans les sites des pistes. J’ai eu récemment un problème assez rigolo entre deux logiciels assez importants puisque c’est Thunderbirtd, logiciel de messagerie et Nextcloud qui est un logiciel de…

Frédéric Couchet : D’hébergement de données.

Vincent Calame : D’hébergement de données, notamment de calendrier partagé. J’utilisais dans le cadre de mon travail, enfin de l’équipe que j’aide, Nextcloud comme lieu de partage de calendrier lu directement dans Thunderbird. Tout marchait. Nous étions sur ownCloud, nous sommes passés à Nextcloud, le même logiciel mais un peu différent et il se trouve que cette version de calendrier ne fonctionnait plus avec la nouvelle version de Thunderbird. En plus c’est difficile à identifier parce que ça fonctionnait toujours pour des gens qui n’avaient pas leur Thunderbird à jour, alors que pour les nouveaux ça ne fonctionnait plus. Et là, en cherchant sur Internet, d’abord on découvre très vite qu’on n’est pas le seul dans le cas.

Frédéric Couchet : C’est ça qui est quand même très intéressant : à partir du moment où on fait une recherche sur Internet on se rend compte qu’on est plusieurs à avoir le même souci et assez souvent on trouve soit la solution, la correction, soit ce qu’on peut appeler, des fois, le bricolage, le contournement.

Vincent Calame : Voilà ! Ça évidemment c’est la force du logiciel libre et de la culture de partage. Il y a une pratique, effectivement ancrée dans les mœurs, de publicité des problèmes. On assume aussi, dans le logiciel libre, qu’il peut y avoir des problèmes, des anomalies, on ne les cache pas. Les plus gros logiciels, presque tous d’ailleurs, ont des lieux de rapports où on peut pointer les anomalies pour les communiquer à l’équipe de développement. Et ça ce sont des sources très précieuses quand on fait des recherches où on tombe sur ces rapports d’anomalies qui nous permettent, parce que c’est souvent dans ces rapports d’anomalies qu’il y a la solution. Dans cet exemple Thunderbirtd/Nextcloud, c’est là que j’ai trouvé qu’il y avait un paramètre à changer dans Thunderbird.

Frédéric Couchet : D’où l’importance, quand on rapporte une anomalie, que ce soit sur un site web via un forum ou quelqu’un qui est un professionnel, de bien décrire l’anomalie. C’est un travail important de discussion entre la personne technique, on va dire, et la personne utilisatrice parce que la personne utilisatrice a ses propres mots, elle voit ses propres problèmes, mais le fait de l’accompagner pour expliquer exactement ce qui se passe, notamment pas à pas, permet de qualifier l’anomalie et ensuite de rendre plus simple de trouver, finalement, soit la correction, soit le bricolage.

Vincent Calame : Oui. Plus il y a de détails mieux c’est pour le codeur. Parce que, effectivement, comme je disais, quand on dit « ça ne marche pas », on ne va pas très loin. En fait il y a une chaîne de causalités à « ça ne marche pas ». Il y a une phrase qui dit que le problème est entre l’écran et la chaise.

Frédéric Couchet : Entre la chaise et le clavier.

Vincent Calame : Pour dire que c’est l’utilisateur. Mais je trouve que c’est souvent faux, d’ailleurs, ce n’est pas souvent l’utilisateur ce sont effectivement les logiciels qui ont un problème, mais il faut repérer et souvent il faut comparer. Ce qui est souvent intéressant c’est de dire pourquoi ça marche sur un poste et pas sur l’autre, par exemple.

Frédéric Couchet : Emmanuel Charpentier.

Emmanuel Charpentier : Moi qui suis informaticien aussi, je vois ça régulièrement le « ça ne marche pas » et à chaque fois j’ai l’impression que c’est un crime qui vient d’arriver et c’est une enquête policière qui va démarrer à partir de ce moment-là. Qu’est-ce qui ne marche pas exactement ? Dans quel contexte ? Quand ? Est-ce que c’est renouvelable ? Est-ce que j’arrive à le renouveler dans d’autres environnement ? C’est une vraie enquête policière et il faut trouver le coupable et malheureusement c’est souvent soi-même, le développeur, qui est le coupable donc on regrette d’avoir fait ça.

Frédéric Couchet : Le côté renouvelable c’est le côté reproductible. Est-ce que la personne qui va essayer de résoudre le problème peut le reproduire sur un environnement identique ? Des fois, ce qui perturbe les utilisateurs et les utilisatrices, c’est que ′on n’y arrive pas, parce que l’environnement n’est pas exactement le même ou que la personne qui a rapporté le bug n’a pas décrit totalement l’opération, donc la personne qui tente de le corriger fait autre chose et ne voit pas forcément le problème. Moi je l’ai eu récemment sur un site web de commande de chocolats en ligne où la personne ne faisait pas exactement la même chose que celle que moi je faisais. Elle me disait : « Ça fonctionne ! — Mais non regardez ! » Finalement on a réussi à tomber d’accord qu’il y avait un problème qu’ils ont réussi à corriger.

Vous êtes tous les deux informaticiens, d’ailleurs logiciel libre, tu as commencé à en parler, mais, pour finir la chronique, l’avantage du logiciel libre par rapport au logiciel privateur ce n’est pas simplement le fait qu’en tant qu’informaticien tu as accès au code source et, potentiellement, tu peux corriger, parce que là on parle de gros logiciels donc c’est compliqué, c’est aussi cet aspect de transparence : on ne cache pas les bugs on les affiche. Sur ces forums soit dédiés, spécialisés sur un logiciel, soit des forums plus généralistes où avec des mots clefs, on trouve assez rapidement, enfin on arrive à trouver des éléments qui nous permettent de progresser. Ça c’est une des forces du logiciel libre par rapport à cette problématique de « ça fonctionnait, ça ne fonctionne plus ! »

Vincent Calame : Complètement. Une des autres forces c’est que parfois on peut revenir en arrière. Je l’ai vécu aussi dans le cas de logiciels privateurs, d’un logiciel compta, où une nouvelle version du logiciel n’offrait plus une fonction d’exportation qui nous était bien utile. Dans ce cas-là la mise à jour était faite, nous avons dû payer l’entreprise pour avoir à nouveau cette fonction et c’était effectivement compliqué de revenir en arrière là-dessus ; on était pieds et poings liés sur ce point. On a abandonné le logiciel ensuite, mais ça sera l’objet d’une autre chronique sur la question des migrations qui ne sont pas toujours évidentes.
J’ai pu le vivre aussi avec notre système d’imprimante où il y avait un pilote pour Linux mais propriétaire et j’ai réussi à tomber sur un site qui montrait comment ça fonctionnait, mais pas du tout cette diversité de résultats qu’on peut avoir quand il s’agit d’un logiciel libre.

Frédéric Couchet : Oui. Tu parles d’imprimante. Pour les personnes qui cherchent à acheter des imprimantes, il y a des fabricants qui listent très précisément les imprimantes qui sont compatibles avec des systèmes libres. À chaque fois que nous on en achète c’est ce qu’on fait : on vérifie de manière à pouvoir, effectivement, piloter une imprimante de manière totalement libre.
Et le point dont tu parlais, le fait qu’on peut revenir en arrière, c’est-à-dire qu’on peut soit réinstaller une version ancienne du logiciel, l’autre point c’est qu’on n’est pas obligé de mettre à jour tout le temps. C’est vrai que dans le monde du logiciel privateur il y a une « course à l’armement » entre guillemets : « Mettez à jour, mettez à jour ! ». Dans le logiciel libre on n’est pas forcément obligé, mais un point essentiel c’est que quand on fait une mise à jour on anticipe, on essaye de voir quelles problématiques il pourrait y avoir et là ça prend du temps. Ce n’est pas une migration en tant que telle, mais finalement, une mise à jour majeure d’un logiciel c’est quasiment une migration, donc il faut la réfléchir dans ces termes-là.

Vincent Calame : Oui. Il ne faut pas la faire à la légère. C’est toujours bien de pouvoir tester sur un autre serveur ou sur un autre ordinateur. Dans mes équipes tous nos ordinateurs sont identiques, donc je commence toujours par en faire une, puis on fait le point au bout d’une semaine. Ces logiciels sont très testés donc c’est souvent dans les petits détails, les petites fonctions auxquelles on ne pensait pas, parce que soi-même on ne les utilise pas, que se cache le problème.

Frédéric Couchet : Exactement. Tu voulais ajouter quelque chose Emmanuel.

Emmanuel Charpentier : Moi j’ai une autre approche, c’est l’approche du baby steps : on fait des petites étapes et des petites migrations dans un parc hétérogène. C’est une autre philosophie, une autre façon de voir la chose, donc j’aurais tendance à faire des migrations quasiment dès qu’on peut, tous les jours, autant que possible, mais pas forcément tout le monde, pas forcément sur tous les postes et sur des postes hétérogènes. Ce qui permet de voir les problèmes au fur et à mesure, de les corriger sur la prochaine mise à jour et on peut faire ça tous les jours. J’utilise un système d’exploitation qu’on met à jour régulièrement, Debian par exemple, et qui me permet de mettre à jour très souvent mes logiciels. Effectivement je vois des bugs arriver et repartir assez rapidement aussi.

Vincent Calame : C’est ton système d’exploitation à toi. Ton ordinateur.

Emmanuel Charpentier : Oui, bien sûr !

Vincent Calame : Ce n’est pas du tout la même chose quand il s’agit de gérer les ordinateurs de tes camarades qui, eux, veulent que ça marche.

Emmanuel Charpentier : Cette philosophie aussi, par exemple, pour un serveur web, quelque chose qui va vous fournir un service. Vous voulez commander des chocolats, cette commande, le système qui permet de commander les chocolats on peut envisager le Big Bang, c’est-à-dire une fois par an on fait une nouvelle mise à jour du système ou, au contraire des baby steps, des pas de bébé, c’est-à-dire que régulièrement, toutes les semaines, toutes les deux semaines, on fait un sprint, on travaille dessus et on fait une mise à jour partielle du système. Effectivement il y aura des bugs, il y aura des problèmes, il faut les envisager, mais ! Philosophie de déploiement, ce n’est pas toujours simple.

Frédéric Couchet : Ce sont deux philosophies de déploiement. On pourrait laisser Vincent et Emmanuel parler pendant deux heures. Emmanuel va avoir l’occasion de reprendre la parole après pour sa chronique. Mais même les baby steps peuvent entraîner des régressions ailleurs.

Emmanuel Charpentier : Ah, mais terriblement ! Bien sûr !

Frédéric Couchet : C’est l’intérêt aussi de faire comprendre aux personnes que l’informatique ce n’est pas magique, que ça ne fonctionne pas par magie, et que quand ça ne fonctionne plus il y a des raisons qui ne sont souvent pas liées, effectivement, à la personne qui utilise l’ordinateur, parce que dans le logiciel privateur, malheureusement c’est quelque chose qu’on avait eu tendance à pousser, en tout cas à faire croire aux gens « Ah, j’ai fait quelque chose de mal », alors que c’est un logiciel qui a eu simplement un problème.
Vincent est-ce que tu as quelque chose à ajouter avant qu’on passe à la pause musicale.

Vincent Calame : Non, pour la prochaine chronique.

Frédéric Couchet : Non. On se retrouve le mois prochain pour la prochaine chronique de Vincent Calame « Jouons collectif ». On va faire une petite pause musicale avant le dernier sujet. Nous allons écouter un morceau qui s’appelle A Delicate Assignment par Exchanger et on se retrouve juste après.

Pause musicale :A Delicate Assignment par Exchanger

Frédéric Couchet : Vous êtes toujours sur Cause Commune 93.1 en Île-de-France et sur causecommune.fm.
La référence musicale que nous venons d’écouter vous la trouvez sur le site de l’April et j’en profite pour faire un petit coucou à notre admin sys bénévole Quentin Gibeaux, vu que c’est un de ses camarades qui a fait cette musique.

Nous allons terminer l’émission par un échange avec Emmanuel Charpentier qui a commencé à parler sur le sujet précédent.

Emmanuel Charpentier : Je n’ai pas pu m’en empêcher !

Frédéric Couchet : Voilà ! Vous l’avez compris, Emmanuel est informaticien et bénévole à l’April. Il s’occupe notamment de trois sujets : l’Agenda du Libre, la revue de presse, Décryptualité dont Marie-Odile a parlé tout à l’heure. On va commencer par l’Agenda du Libre. Emmanuel est-ce que tu peux nous présenter ce qu’est l’Agenda du Libre ?

Emmanuel Charpentier : C’est un site web avec un serveur derrière, justement, qui présente et qui essaye d’agglomérer, d’amalgamer un petit peu toutes les activités qui touchent le Libre et pas que le logiciel libre mais le Libre en général. Ça peut concerner des graines libres, des musiques libres, de l’Art libre ou du matériel libre et autres, d’autres choses encore. Vous voulez organiser quelque chose, une rencontre, une installe-partie par exemple, vous allez sur agendadulibre.org et vous proposez cette activité en indiquant sur quel lieu elle se déroule, à quel moment ; s’il y a des conditions particulières d’accès par exemple. Ensuite les gens peuvent s’abonner au flux, peuvent faire des recherches dans leur région, voir un petit peu ce qui se passe autour d’un lieu en particulier ; il y a des cartographies qui permettent de remonter un petit peu tout ça. On peut aussi enregistrer des organisations, des associations, des GULL, des groupes d’utilisateurs de logiciels libres, des administrations, des EPN.

Frédéric Couchet : EPN, espaces publics numériques.

Emmanuel Charpentier : Exactement. Des entreprises. Et toutes ces organisations qui font du Libre de près ou de loin peuvent indiquer à quel endroit elles sont. Si vous, vous voulez installer sur votre ordinateur un système d’exploitation libre, eh bien il n’y a rien de mieux que d’aller voir une association qui est un petit peu connaisseuse du domaine, qui va vous aider, vous prendre par la main et mettre en place un petit peu tout ça.
Sur l’Agenda du Libre on essaye de regrouper et de proposer vraiment un panel de tout ce que vous pouvez trouver comme activités. En ce moment, notamment, on fait Libre en Fête 2019 dont Isabella parlait tout à l’heure.

Frédéric Couchet : Libre en Fête dont a parlé tout à l’heure Isabella. Sur l’Agenda du Libre, les évènements Libre en Fête sont reconnaissables, je crois, par une petite pâquerette si je me souviens bien, vu que c’est un peu le logo de Libre en Fête. L’Agenda du libre ce n’est pas un projet que tu as lancé !

Emmanuel Charpentier : C’est un vieux projet.

Frédéric Couchet : C’est un vieux projet. Je vais faire appel à ta mémoire parce que je n’ai pas vérifié avant l’émission : est-ce que tu te souviens de quand date ce projet ?

Emmanuel Charpentier : Ça doit être au moins 2003, je pense.

Frédéric Couchet : J’aurais dit 2003/2004, lancé par Thomas Pettazzoni.

Emmanuel Charpentier : Rodolphe Quiedeville

Frédéric Couchet : Rodolphe Quiedeville, Excuse-moi.

Emmanuel Charpentier : Mais tu as raison sur le fait qu’il y a eu un passage de flambeau à un moment donné.

Frédéric Couchet : Mon ami Rodolphe Quiedeville

Emmanuel Charpentier : Oui, en plus c’est un ami à toi.

Frédéric Couchet : Qui existe donc depuis une quinzaine d’années. Il y a combien d’évènements par an qui sont référencés à peu près ? C’est 2000 ?

Emmanuel Charpentier : On doit être à 2000, quelque chose comme ça. J’ai les statistiques sous les yeux.

Frédéric Couchet : Je précise qu’Emmanuel est en train de regarder sur son téléphone mobile pour les statistiques.

Emmanuel Charpentier : Oui, parce que ça marche !

Frédéric Couchet : Mais en gros ?

Emmanuel Charpentier : On a dépassé les 2200, on arrive à 2200 en ce moment par année.

Frédéric Couchet : Donc 2200 par année. C’est quand même beaucoup d’évènements, Comme le dit Emmanuel on retrouve aussi les structures qui permettent d’aider les personnes à découvrir le logiciel libre.

Emmanuel Charpentier : Il y en a plusieurs centaines aujourd’hui qui sont enregistrées.

Frédéric Couchet : Donc on peut faire une recherche par mot clef ou par région. On trouve les groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres, des espaces publics numériques et je pense qu’on fera une émission prochainement justement sur le rôle que jouent les espaces publics numériques ou les espaces multimédias dans la découverte de l’informatique libre.
Toi, ton rôle particulier, on va peut-être finir là-dessus avant d’entamer les deux autres sujets parce que le temps passe, ton rôle particulier c’est d’avoir quand même considérablement amélioré, tout à l’heure on parlait « ça fonctionnait, ça ne fonctionne plus » ; avec l’Agenda du Libre il y a de plus en plus de fonctionnalités et très peu de régressions.

Emmanuel Charpentier : Oui. Alors que tu ne vois pas.

Frédéric Couchet : Que je ne vois pas, en tout cas en tant que personne qui soumet des évènements.

Emmanuel Charpentier : Parce que sache qu’il y en a pas mal, vraiment très régulièrement.

Frédéric Couchet : Comme dans tout logiciel, comme dans tout site web. En tout cas le fait de pouvoir mettre des évènements récurrents, c’est-à-dire, par exemple, l’évènement qui annonce l’émission Libre à vous ! est un évènement récurrent, le fait de pouvoir dupliquer un évènement. Par exemple quand je rajoute l’évènement pour l’apéro de l’April dont je vais parler juste après, je duplique le précédent évènement en changeant juste les informations essentielles, donc la date. Il y a vraiment des fonctionnalités importantes qui ont été rajoutées au fur et à mesure des années. Aujourd’hui tu es la seule personne qui travailles, qui développes dessus ?

Emmanuel Charpentier : Oui. Essentiellement je suis le développeur unique du projet, c’est du Ruby on Rails.

Frédéric Couchet : Techniquement c’est du Ruby on Rails.

Emmanuel Charpentier : Exactement. C’est hébergé sur une forge de développement gérée par Framasoft.

Frédéric Couchet : Framagit.

Emmanuel Charpentier : Exactement, donc un super endroit pour travailler et le serveur lui-même c’est un serveur April.

Frédéric Couchet : Qui est géré par l’April.

Emmanuel Charpentier : Je fais des mises à jour régulièrement, je suis en mode baby steps. Dès que je fais une petite évolution ou une correction, j’essaye de déployer aussitôt et j’ai des utilisateurs qui me rendent compte des éventuels bugs. Régulièrement on m’indique « attention il y a telle chose qui est cassée. Il y a un bouton qui fonctionnait avant ! Si, si, il fonctionnait avant, il ne fonctionne plus ! » Donc c’est une enquête judiciaire : je trouve, je corrige, je redéploie. On a un partenaire, un collaborateur, Christian Delage, qui fait les modérations d’évènements parce qu’on n’accepte pas n’importe quoi, on ne publie pas…

Frédéric Couchet : Ce n’est pas mis automatiquement.

Emmanuel Charpentier : Exactement. Ça nous évite les problèmes de spams qui seraient sinon incroyables. Donc on a Christian qui se lève très tôt le matin pour faire des mises à jour. Il améliore un petit peu, il rajoute des petites images de temps en temps parce que c’est plus joli, simplement. Grâce à lui on arrive à monter vraiment en quantité d’évènements ; c’est assez sympa !

Frédéric Couchet : Je précise que vous êtes bénévoles, parce que comme tu as employé certains termes on pourrait penser que les gens sont… Non, vous êtes vraiment bénévoles ; Christian Delage est aussi un bénévole ; il se lève tôt parce qu’il a envie de se lever tôt, il n’y a aucune obligation.

Emmanuel Charpentier : C’est son plaisir.

Frédéric Couchet : C’est son plaisir.

Emmanuel Charpentier : Il y a une compétition avec moi, à une époque, pour faire de la modération, c’était assez rigolo.

Frédéric Couchet : Voilà ! Les personnes qui veulent soit contribuer ou, en tout cas, rendre ce site utile, si vous êtes organisateur ou organisatrice d’évènement, n’hésitez pas à soumettre votre évènement sur le site, à vous inscrire au flux RSS qui vous permet d’être au courant des nouveaux évènements. Et si vous avez des talents de développeur ou de développeuse, évidemment Emmanuel Charpentier est preneur de toute contribution. C’est pareil, vous allez sur le site agendadulibre.org, vous trouverez la référence utile. Vincent ?

Vincent Calame : Je voulais juste préciser que c’est aussi facile de l’intégrer sur son propre site web. Je l’ai fait pour le site parinux.org et pour le site de Libre en Fête aussi. Il y a des mécanismes que les informaticiens connaissent bien qui permettent de valoriser cette information chez vous aussi.

Emmanuel Charpentier : De plusieurs manières différentes. Notamment on peut intégrer une cartographie assez simplement autour d’un lieu ou autour d’un mot clef.

Frédéric Couchet : OK. En tout cas on rappelle l’adresse du site agendadulibre.org. On va passer au deuxième et troisième sujets en même temps parce que, quelque part, c’est assez lié. La revue de presse et le Décryptualité. La revue de presse déjà ?

Emmanuel Charpentier : C’est en gros toutes les semaines. Ça doit dater de 2003, je crois, dans les mêmes eaux, on essaye de publier un petit peu un panorama de ce qui se dit dans les médias, les médias écrits essentiellement, qu’est-ce qui se dit sur l’April et ce qui se dit sur les logiciels libres et le Libre de manière générale, même si les logiciels sont quand même le cœur du sujet.
On a pas mal d’articles qui sont publiés toutes les semaines. On suit un petit peu l’actualité. À une époque on avait beaucoup d’articles par exemple sur HADOPI et beaucoup moins maintenant, ce qui fait plaisir, parce que HADOPI, on aime détester. C’est quand même sympa de voir que ça a diminué.

Frédéric Couchet : HADOPI existe toujours pour pas grand-chose et en pompant beaucoup d’argent public quand même ! Bon !

Emmanuel Charpentier : N’est-ce pas ! Donc on a toutes les semaines des sujets qui reviennent. On organise ça par thèmes pour éviter, justement, un déluge en fonction de l’actualité. Il y a des fois des grosses news qui viennent de sortir et qui nous submergent d’articles à lire, à regarder et à essayer d’organiser. En organisant tout ça, on a six-sept sujets chaque semaine qui remontent. Par exemple des articles sur des associations locales qui font des installations d’ordinateurs ou qui font du bricolage, des Repair Cafés par exemple, c’est assez sympa. On va remonter ça dans la revue de presse et le publier. Tout comme l’Agenda du Libre d’ailleurs, toutes les semaines on fait une petite publication sur linuxFR et april.org.

Frédéric Couchet : LinuxFR et april.org.

Emmanuel Charpentier : Donc on valorise un petit peu. On envoie aussi un mail aux adhérents de l’April. Ça permet un petit peu de voir ce qui s’est dit. Je trouve que ce n’est pas mal, même s’il y a toujours un défaut dans ce qui se dit, c’est qu’il se dit beaucoup, beaucoup de bêtises.

Frédéric Couchet : On précise que c’est une revue de presse non commentée, parce que ça nous donnerait beaucoup de travail de commenter, mais on publie effectivement, y compris les bêtises, parce qu’elles sont aussi révélatrices de ce qui se dit dans la presse.

Emmanuel Charpentier : Et pourtant cela ne t'enchante pas.

Frédéric Couchet : En régie on me précise que le générique va bientôt partir en mode tapis. On va poursuivre et terminer. Ça c’est la revue presse de l’April, pareil c’est publié sur le site de l’April, .aprilorg, sur le site de LinuxFr, linuxfr.org. Il y a des flux RSS qui vous permettent de suivre ça de façon automatique.
Décryptualité ? En 30 secondes, une minute.

Emmanuel Charpentier : Eh bien c’est la même chose que cette émission mais en beaucoup plus court et en beaucoup plus bordélique. On prend un sujet d’actualité ou un sujet qui nous intéresse, ce qui peut être la même chose, ça dépend vraiment. On est au moins deux, parfois jusqu’à six autour d’une table et on discute le lundi soir. C’est rediffusé ensuite dans la semaine notamment sur cette radio.

Frédéric Couchet : C’est effectivement rediffusé sur cette radio. Ça dure une quinzaine de minutes, c’est disponible dès le lundi soir ou le mardi matin sur le site de l’April et c’est fait principalement par une équipe bénévole donc Emmanuel Charpentier, Magali Garnero, Christian Momon, Luc Fievet, Nicolas Vinot et Nolwenn…

Emmanuel Charpentier : Je n’ai plus son nom en tête.

Frédéric Couchet : Je n’ai plus son nom en tête Nolwenn [Lavielle], son nickname est norore si je me souviens bien. Don c’est très complémentaire et vous pouvez écouter ça, on va dire, chaque lundi soir, mardi. Écoute merci Emmanuel.

Emmanuel Charpentier : Merci à toi.

Frédéric Couchet : On a dû speeder parce qu’on avait pris un peu plus de temps sur d’autres sujets, mais c’est très intéressant, on aura évidemment l’occasion d’en reparler.

Je vais faire juste deux-trois annonces. Vu qu’on était sur l’Agenda du Libre, évidemment les évènement dont je vais parler sont sur l’Agenda du Libre.
D’abord apéro April à notre local à Paris ce vendredi à partir de 19 heures. Toutes les personnes sont les bienvenues, membres ou pas de l’April.
Tout à l’heure on parlait d’évènements pour se sensibiliser aux logiciels libres et découvrir les logiciels libres de façon pratique. Eh bien à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris, samedi 2 mars, il y a le Premier samedi du Libre ; c’est chaque premier samedi, c’est à partir de 14 heures. Bien sûr vous retrouvez le programme sur l’Agenda du Libre.
Je précise aussi qu’à Limoges commence, à partir de ce vendredi, le mois du logiciel libre. C’est la treizième édition ; il y a des évènements chaque samedi. Il y a également l’Expolibre de l’April qui est présente. Ça se passe à la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges. Pareil vous retrouvez les évènements sur le site de l’Agenda du Libre.

Notre émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission, beaucoup de personnes aujourd’hui : Isabella Vanni, Évelyne Jardin, Salem Riahi, Vincent Calame, Marie-Odile Morandi, Véronique Bonnet, Emmanuel Charpentier. Et je remercie bien sûr Étienne Gonnu à la régie.

Vous retrouverez sur notre site web, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio Cause Commune donc causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration ; il n’y a pas que les logiciels qu’on peut améliorer.

Je vous souhaite de passer une belle fin de journée. On se retrouve le mardi 5 mars 2019, notre sujet principal portera sur Wikipédia et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin : Wesh Tone par Realaze.

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