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Google s'insère de manière violente et douce à la fois - Xavier Coadic

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Xavier Coadicr

Titre : Google s'insère de manière violente et douce à la fois
Intervenants : Xavier Coadic - Antoine Gouritin
Lieu : Rencontres Désinspirantes de Disruption protestante
Date : février 2019
Durée : 43 min
Écouter le podcast
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :logo No G00gle - Licence CC Attribution-Share Alike 4.0 International
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Antoine Gouritin : Bienvenue dans ce nouvel épisode des Rencontres Désinspirantes de Disruption protestante. Chaque semaine une position lucide à rebours du mythe de la start-up nation avec un acteur de l’innovation française. Je suis Antoine Gouritin.
La semaine dernière Florence Durand Tornare, déléguée générale de l’association Villes Internet1, nous racontait les relations complexes entre les collectivités et les start-ups et appelait à une décélération et au retour du bon sens. Vous pouvez écouter cette discussion dans votre application de podcast favorite, sur Spotify et sur disruption-protestante.fr. À la fin de notre conversation, Florence évoquait sa visite de l’atelier Google de Rennes : « J’ai réfléchi depuis que j’y suis allée parce que ça m’a traumatisée ! »
Aujourd’hui retour à Rennes où j’ai rencontré Xavier Coadic. Xavier est tour à tour entrepreneur, chercheur, il travaille maintenant sur le biomimétisme. Je vous mets les liens vers ses projets dans la description de l’épisode. Xavier est aussi impliqué dans le monde associatif rennais et connaît bien les structures qui travaillent sur le sujet de la fameuse inclusion numérique, terme à la mode. J’ai commencé par lui demander comment l’arrivée des ateliers Google s’insérait dans l’existant.
Bonne désinspiration !

Xavier Coadic : Tu as commencé par parler d’inclusion, je n’ai pas utilisé ce terme-là et j’y fais attention parce que depuis deux-trois ans c’est devenu un terme packagé partout en France, déjà parce qu’on parle de fracture numérique, d’exclusion. Il y une fracture sociale, je crois réelle, la fracture numérique si elle existe, peut-être qu’elle existe, elle est plus liée à la fracture sociale, elle est une conséquence de ces choses-là.
Parler d’inclusion je pense que c’est un peu too much pour utiliser les anglicismes que les gens du numérique digitalisé aiment beaucoup. Et comment Google s’insère dans cela de manière à la fois violente, massive, et à la fois douce et pernicieuse ? Ça fait un bon teaser pour continuer dans les anglicismes. Google ne s’insère pas, Google est là depuis longtemps. Le moteur de recherche, enfin l’entreprise Google et tous les services, le courriel, le moteur de recherche, plein d’autres choses, le DNS [Domain Name System] public pour entrer dans la technique. Google était et est toujours sur les ordinateurs des écoles, des particuliers, des collectivités publiques, des entreprises privées. La grande différence, c’est que Google ouvre une boutique, et je ne dirais pas atelier, je dirais bien boutique. Ils ont ouvert un store, comme aurait dit Apple il y quelques années, en plein centre-ville, rue de la Monnaie pour l’anecdote, on pourra y revenir après parce que c’est complètement incroyable. C’est pour ça que je dis que c’est intelligent, pernicieux et des fois c’est vraiment vicieux.

Google était là massivement, d’ailleurs surtout ces dernières années, de nombreuses fois a été condamné pour position de monopole qui viole les lois antitrust à l’échelle nord-américaine, à l’échelle européenne ou à l’échelle mondiale. Donc ça veut dire qu’il y a quand même un problème avec cette entreprise, ne serait-ce que sur les règles économiques, financières et position de marché.
Donc Google était là de manière massive et intrusive dans nos quotidiens parce que, s’il fallait détailler, Google, son métier, c’est de nous pomper plein de choses et pas que de la donnée, c’est de nous pomper plein de choses.
Ensuite Google fait un truc nouveau, c’est-à-dire qu’en France il s’installe gentiment, de manière cosy, en ouvrant une boutique tout à fait charmante dans le centre historique et bourgeois de Rennes. Même l’annonce de ce truc-là a été faite de manière pleine de velours et de dorures de l’Élysée, puisque c’est le président Emmanuel Macron qui recevait, en janvier 2018, des grandes stars apparemment du business et du numérique de l’Europe et de la planète. À la sortie de ces rencontres, le président de Google France, si je ne dis pas de bêtises, annonce que Google va ouvrir des ateliers numériques, il appelle ça comme ça, partout en France, très rapidement, et notamment que la première ville serait Rennes.
C’est comme ça ; c’est arrivé plein de velours et plein de velours de communicants politiques et de dorures de la République, avec des grands chiffres parce que derrière il faut marketer une annonce comme ça. C’est pour ça que je dis que Google est intelligent et les personnes qui travaillent avec Google. 100 000 personnes par an [Nombre de personnes qui seraient « formées », NdT] ! C’est énorme ! Si Rennes intra-muros atteint les 200 000 habitants ce ne serait déjà pas mal, peut-être qu’avec la métropole on les dépasse. La réalité, c’est complètement aberrant.

Antoine Gouritin : J’ai entendu 8000 finalement entre juillet et décembre.

Xavier Coadic : Déjà il faudrait s’entendre, enfin pas s’entendre, rien que ça, ça demanderait au moins un mémoire de licence, a minima, pour bien montrer qu’il y a une différence entre formation et l’espèce de speed dating, pour revenir dans les anglicismes qu’ils aiment tellement : je ne vois pas comment en 40 minutes, avec trois post-it et du langage complètement dévoyé, on peut appeler ça de la formation. Donc 8000 personnes en speed dating sur une année c’est que dalle. Et pour revenir à ce que tu demandais sur Rennes, malheureusement je n’ai pas de chiffres sourcés, détaillés, que ce soit journalistiques ou universitaires, mais la réalité est bien plus grande ; il suffit juste de cumuler les écoles, les ateliers, un groupe de travail, je ne sais pas, du GIS Marsouin [groupement d’intérêt scientifique Marsouin] pourrait le faire assez facilement ou de la FING [Fondation Internet Nouvelle Génération], de montrer qu’à Rennes ça doit être à peu près ce qui se fait par trimestre quand on cumule toutes les organisations actrices historiques du numérique rennais. Donc Google et ses chiffres !

Antoine Gouritin : Quelle a été la réaction ? À l’inauguration on a vu tous les élus locaux qui y étaient. Moi j’ai rencontré Florian Bachelier, le député de la circonscription. À ce sujet il m’avait paru, en tout cas dans l’entretien qu’on a eu, peut-être un peu plus critique sur ce qui se passait, en tout cas en en parlant avec lui. Comment est-ce que ça a été accueilli et comment tu as trouvé les discours des élus locaux de côté-là ?

Xavier Coadic : Avant l’inauguration quand même, comme je disais tout à l’heure, la négociation, l’annonce de ces choses-là se font fin janvier, début février 2018, à échelle locale, rassurons-nous, ce n’est pas comme gagner la coupe du monde foot, mais il y a un emballement politico-médiatique. Il y a eu je ne sais pas combien de papiers, en général ce sont des reprises de l’AFP, ce sont les mêmes papiers avec le même titre, aspirateurs à clics, pour rester poli : Google, les ateliers numériques, Rennes première ville en Europe ; pas d’analyse, pas de recherche, de construction de critique. Et puis il y a le personnel politique, ça reste quand même des élus, mais qui s’emballe là-dessus : « Chouette ! Google ! On va faire de l’inclusion numérique – comme tu disais – 100 000 personnes par an ! » Des chiffres délirants.
L’inauguration officielle se fait en juin et, de février à juin, il y a toute une préparation, je ne dirais pas que c’est de la guerre psychologique, mais en tout cas il y a une préparation bien marketée, bien travaillée, avec un service comm’. Et ce service comm’ – tu as raison de parler de monsieur Bachelier, mais ce n’est pas le seul – a été beaucoup alimenté par des élus, de tous bords politiques, du parti socialiste, de La République en marche, des Républicains et puis d’autres qu’on n’a pas beaucoup entendus – qui ne dit rien consent ; je ne sais pas quel était leur deal politique pour ne pas s’en prendre à leurs copains d’alliance. Mais ça a été beaucoup, beaucoup soutenu et relayé. Je ne parle même pas des associations French Tech, des acteurs historiques – enfin historiques, ils ne sont pas si vieux que ça –, mais dont on a l’habitude qu’ils aiment ce genre d’opportunité comme ils disent. Donc il y a eu une vraie préparation.

En réaction aussi on a été quelques-uns et quelques-unes, pas très nombreux, mais on l’a fait quand même, à se dire : on n’est pas d’accord. On n’est pas d’accord pour plein de raisons et à l’intérieur de ce désaccord général, on a même des désaccords entre nous. Il y a des personnes qui sont totalement contre Google, il y a des personnes qui sont, on va dire, plus modérées ; elles n’ont pas tout à fait tort, on ne peut pas interdire à une entreprise de s’installer, sauf si on prouve que cette entreprise fait vraiment des trucs qui dépassent les droits de l’homme. Mais on vit en démocratie, si une entreprise veut ouvrir une boutique elle a le droit, que ce soit le boulanger du coin ou Google boutique. On a travaillé sur nos désaccords sans forcément les allier, mais on a trouvé des points communs et l’éducation au numérique par une entreprise dont le métier est de tout voler, l’argent, les données, l’intimité ; que les élus se mettent dedans et, finalement, il n’y a pas que le langage qui a joué parce que le langage prépare des choses. Je suis en train de relire Hannah Arendt, on le sait depuis les années 50-60, toute cette préparation pour dénier l’action politique. Je crois que le politique, je ne peux pas dire qu’ils sont idiots, je pense qu’ils en ont conscience, je ne suis pas sûr qu’ils mesurent bien les conséquences.

Antoine Gouritin : C’est ça. Quand j’en ai discuté avec Florian Bachelier, c’est ce que je lui ai expliqué ; je lui ai dit : « Est-ce que vous vous rendez aussi compte qu’il va y avoir des partenariats ? » On parle avec les élus, mais il y a la CCI [Chambre de commerce et d’industrie], il y a Pôle emploi et là, lui n’avait pas saisi. Je lui ai dit : « Est-ce que vous vous rendez compte que certaines personnes vont pouvoir se dire on accueille à bras ouverts Google en disant Google va aider les demandeurs d’emploi sur Internet, Google va aider les étudiants, Google va aider les entreprises à être plus visibles, à faire plus de chiffre, à vendre, etc. Est-ce que ce n’est pas, justement, le rôle des partenaires qui soutiennent, de Pôle emploi d’un côté, la CCI pour les entreprises ? » Et là il s′est arrêté, il m’a regardé, il a fait : « Ah oui, on n’y avait pas pensé comme ça ! »

Xavier Coadic : C’est tellement, comme je disais tout à l’heure, à la fois violent et massif cette configuration de Google sur la planète et aussi fin et insidieux du côté local, que c’est super complexe de tout aborder. Tu as raison de relever que la CCI c’est loin d’être neutre, notamment la CCI Ille-et-Vilaine et Bretagne. On essaye de travailler sur les statistiques, justement, dans wiki no-google2, c’est hallucinant. Par jour d’ouverture, en tout cas pour la CCI Ille-et-Vilaine, enfin Rennes, Saint-Malo, c’est quasiment sur deux ans ou deux ans et demi, quasiment un atelier Google SEO [Search Engine Optimization] ou AdWords. En gros c’est une chambre consulaire qui, normalement, est là pour aider les entrepreneurs locaux, qui fait VRP et qui vend du produit Google à des entrepreneurs locaux qui, eux, peuvent être éloignés du numérique.
Quand tu ouvres un service de taxi, quand tu deviens cordonnier, quand tu montes ton AMAP ou ta Scop en légumes, tu n’as pas fait des études d’ingénieur en informatique. Bon ! Le problème n’est pas là. Mais ils font quand même le travail de VRP gratuitement, enfin gratuitement ! Mieux que ça, avec de l’argent public, de l’argent privé aussi, parce que c’est une CCI, mais de l’argent public, pour vendre des produits Google. Et ça, ils le font depuis longtemps pour la CCI. C’est quand même incroyable ! Depuis quelque temps effectivement, on s’est aperçu qu’en France, mais ça, la responsabilité de Pôle emploi qui est un service public sans être… – le statut de Pôle emploi est aussi assez étrange –, donc Pôle emploi suit surtout des directives qui viennent du ministère, donc de l’État. Oui, Google a bien compris ça et avait déjà dealé avec nos ministères et notre État français de pouvoir être à l’intérieur de Pôle emploi. Est-ce que c’est de la délégation de service ? Non, je crois que c’est tout bêtement basique : Google a besoin de s’accaparer et de capter les choses. Google n’aide personne. C’est normal, c’est une entreprise, son métier c’est de faire de l’argent. Google n’est pas l’assistance publique des hôpitaux du numérique. Non ! Google c’est une entreprise qui doit faire de l’argent pour vivre, comme toute entreprise. Elle en fait beaucoup plus que la plupart des entreprises, elle le fait avec un système qui est plus que dégueulasse, puisque, par moment, on sait qu’il est illicite et éthiquement, je n’en parle même pas, on pourrait peut-être en parler après, mais c’est incroyable. Et oui, elle s’insère dans les couches du service public, Pôle emploi.
C'est-à-dire le droit, c’est écrit noir sur blanc partout, les droits de l’homme et du citoyen, on va dire les droits de l’Homme avec un grand « h » ou droits de l’humain, du citoyen, pour inclure les femmes, dans notre droit français, notre droit des travailleurs, l’accès à l’emploi, à l’offre d’emploi, à la mobilité. Non, non ! On a inséré Google là-dedans dont le métier ce n’est pas de nous faciliter la vie ; le métier c’est de capter des choses. Et oui, les politiques, pour beaucoup, n’ont pas pigé ça !

Antoine Gouritin : C’est un peu une démission aussi face au monopole en se disant : ils ont les outils, pour être visibles nos entrepreneurs locaux, de toute façon, n’ont pas le choix, doivent passer par Google, donc qui mieux que Google pour leur expliquer comment marcher sur Google ?

Xavier Coadic : C’est l’argument, en général, qu’ils sortent. Ça veut dire qu’ils acceptent, à mots cachés, de démissionner de leurs responsabilités politiques voire de leurs responsabilités morales. Je renvoie à ce que je disais sur Hannah Arendt qui expliquait que l’utilisation mécanique de mots dévoyés, je n’ai pas le verbos de Arendt, je le traduis avec mes mots, permet de faciliter une acceptation de l’ordre du psychique et du psychologique, qui engendre, en fait, une action politique qui se vide de son sens ; c’est un consentement contraint pour faire le bond jusqu’à Chomsky. Sa réflexion pousse loin parce que, au final, on te fait croire que tu agis forcément pour le bien commun, pour le bien du plus grand nombre, mais, comme elle expliquait, c'est comme quand un dictateur russe finit par te faire croire que faire un faux témoignage c’est bon pour les personnes qui t’entourent, pour les dénoncer.
On en arrive là en fait. On a des politiques : le truc digital à la place de numérique c’est le truc qui fait rire tout le monde depuis des années, mais ce n’est que le côté rigolo de cette mécanique-là de langage qui crée un compromis, une dette intellectuelle.
Donc le politique démissionne lui-même, mais en faisant le VRP de Google et en faisant accepter ce truc-là, il pousse beaucoup plus loin sa démission des responsabilités politiques. Donc effectivement, ils te disent qu’ils ne savent pas ; il ne faut pas les prendre pour des idiots les politiques, ce sont des personnes, je pense, intellectuellement armées et pas si bêtes que ça. Les vraies questions qu’il faudrait leur poser c’est quels intérêts ils ont à ça. Est-ce qu’ils ne sont plus capables d’assumer une action politique publique et, dans ce cas-là, c’est une démission symbolique : ils refilent ça à Google et ça pose des problèmes graves et je pense qu’ils sont capables de les comprendre. Ou alors, et là c’est plus vicieux, mais je ne veux pas rentrer dans du complotisme à la con, ils y ont des intérêts personnels ou politiques à servir les intérêts de Google. Dans les deux cas ça ne sert ni le bien commun, ni la population, ni le problème de fracture sociale ou d’inclusion numérique ou d’éducation au numérique. C’est même tout l’inverse !

Antoine Gouritin : Tu parlais de digital. Je reviens sur une anecdote que tu m’avais racontée, peut-être qu’on peut la raconter, sur ce qu’on apprend aux ateliers numériques de Google censés former au numérique les citoyens rennais pour l’instant, on va voir après plus largement.

Xavier Coadic : Il y a un exercice très simple à faire, c’est de faire l’idiote ou l’idiot du village. C’est de se pointer avec son ordinateur dans lequel on a mis une panne volontaire, pas forcément une vraie panne ; c’est facile de dire à un ordinateur « ne démarre pas comme d’habitude », d’arriver à l’entrée de cette boutique Google et dire : « Vous pouvez m’aider parce que mon ordinateur ne démarre pas, enfin comme je veux ? » On ne va pas utiliser des termes compliqués, il ne faut les brusquer ; on ne va pas dire : « Mon ordinateur ne boote pas, peut-être que c’est le BIOS ; vous connaissez UEFI ? » Pour l’avoir fait et pour avoir d’autres personnes qui l’ont fait, la personne à l’accueil, avec le tee-shirt atelier numérique Google, répond : « Ah non ! Non, surtout pas ! Ici, nous on fait du digital monsieur, on ne fait pas du numérique. » Fin de l’histoire, je ne sais pas si elle très drôle, mais elle est super révélatrice de cet usage du langage, de ce qu’ils font réellement. Ce n’est même pas une boutique, en fait, de formation numérique. Qu’ils ne fassent pas de la maintenance d’appareil, OK ; mais c’est extraordinairement stupide !
Ce qui est marrant c’est que ça révèle aussi ce qu’on avait regardé dans ce temps latence, pour revenir à ta question de tout à l’heure, entre fin janvier-début février et quand ils ont ouvert, ce sont les offres d’emploi, parce que c’était l’un des arguments : 100 000 personnes à former, c’était l’un des arguments bien marketé, et Google va créer de l’emploi sur le territoire. OK. Toutes les offres d’emploi qu’ils ont diffusées ce n’était pas vraiment de l’emploi. Les profils c’était coach en marketing, sur tous les profils, avec forte sensibilité et formation au marketing digital. Il n’y avait rien de numérique ou d’informatique là-dedans, ni de socio dont on a tellement besoin dans le numérique, ni de philosophie, rien, c’était du coach en marketing et qu’ils prenaient au statut autoentrepreneur. En gros, c’est comme Uber et compagnie, ça ne crée pas de l’emploi.

Antoine Gouritin : Ça je peux t’en parler parce qu’il se trouve que, pour tâter un peu le terrain, j’étais allé voir et j’avais fait quelques entretiens pour voir un peu de quoi il retournait parce qu’ils te marketaient bien le truc : c’était animer, donner de la visibilité aux start-ups locales, faire des partenariats avec les entrepreneurs locaux, tous les organismes publics, etc. ; c’était bien vendu, c’était intéressant et, en fait, c’est ce que tu disais, ils cherchaient des gens spécialistes en marketing digital et c’est tout.

Xavier Coadic : Je ne sais pas s’il faut blâmer ces personnes.

Antoine Gouritin : Non, non, non !

Xavier Coadic : Je n’ai pas assez discuté avec elles. Je pense que quand tu es autoentrepreneur tu as besoin de bouffer et, dans ce domaine-là, ça ne doit pas être si simple.

Antoine Gouritin : Ceux que j’avais vu, je crois que c’était des vrais contrats, par contre.

Xavier Coadic : Pour l’instant de ce qu’ils ont affiché, j’ai beau essayer de creuser, mais il y a deux personnes salariées dans cette boutique et sept personnes sous…

Antoine Gouritin : D'accord. OK !

Xavier Coadic : Après, à voir avec un tribunal administratif ou des personnes compétentes là-dessus pour voir si on requalifie le truc en salariat déguisé. Je ne veux pas blâmer la personne avec le tee-shirt qu’on n’a pas piégée parce que ce n’était pas une caméra cachée ou un micro caché, c’est juste qu’on voulait savoir. Qu’on soit entrepreneur, qu’on soit chercheur en éducation populaire, qu’on soit chercheur à l’université, on va tâter le terrain, on essaye de comprendre comment ça fonctionne. C’est la démarche qu’on a faite en disant « notre appareil bug, aidez-nous ! »
On a aussi été quelques-uns et quelques-unes à se rendre dans différentes formations qu’ils proposaient.

Antoine Gouritin : En fait, ce ne sont pas vraiment des formations. C’est proposé par des partenaires. Pour en connaître quelques-uns, je ne sais pas si c’est le cas de tous, mais en tout cas ceux que je connais, en fait, c’est de l’échange de visibilité. Ce sont des petits entrepreneurs locaux qui viennent faire une conférence sur leur cœur de métier, mais, en gros, ils viennent se faire de la pub ; c’est à moitié de la pub, à moitié de la formation et c’est gratos. Google ne paye pas, en tout cas ceux que je connais, ne paye pas les intervenants puisque c’est de la visibilité, en fait, d’aller faire sa conférence à l’atelier numérique.

Xavier Coadic : J’espère que quand ils payent leur loyer ou leurs courses alimentaires ils payent en visibilité aussi. Je ne sais pas si le gouvernement Macron et Mounir Mahjoubi ont prévu le chèque visibilité, après le chèque accessibilité.

Antoine Gouritin : Ce n’est pas mal. Il faudrait leur soumettre.

Xavier Coadic : Je pense qu’ils ont déjà eu l’idée.

Antoine Gouritin : Surtout pour Google. Il y a des nouveaux ateliers qui vont ouvrir sous peu. C’est aussi un travail que vous avez commencé de regarder un petit peu les endroits. Au départ, vous aviez peut-être l’idée que c’était des territoires plutôt République en marche, apparemment. En étudiant d’un peu plus près — on va parler du cas de Montpellier qui est assez intéressant, sinon c’est Montpellier, Nancy et Saint-Étienne les trois prochains — c’est plus compliqué que ça finalement.

Xavier Coadic : C’est même encore plus balaise. Je vais revenir à ce que tu disais sur les ateliers, qu'il y a quelques entrepreneurs locaux qui y vont gratuitement, parce que c’est révélateur du système, de la stratégie d’implantation sur un territoire qui est, en général, métropolitain en termes de classification.
Donc Google choisit Rennes comme première ville pionnière, les arguments que j’ai dits : 100 000 formations, créer de l’emploi et puis Rennes pionnière des Télécoms. Ils nous ont tartiné ça avec du miel qui était, en fait, juste de l’eau et du sucre bien frelaté.
Et puis, très vite, on a été quelques-un.e.s à ne pas être d’accord, à mettre en place le wiki2, parce que face à une surveillance généralisée et une espèce de marketing de la psyché, des esprits, on trouvait que la documentation en termes encyclopédiques, même si elle peut prendre plusieurs formes, c’était sympa, et puis avec des outils libres et open source, de la donnée accessible, de la contribution vraiment citoyenne. Donc on a mis ça en place et on s’est mis à surveiller plusieurs pans et notamment les ateliers et les formations qu’ils proposent à l’intérieur. Donc oui il y a des entrepreneurs, mais il y a aussi des associations. Ce qui est assez drôle c’est qu’il y a des associations qui ont touché des chèques plus que conséquents de Google il y a deux ans ou trois ans, qui sont plutôt des associations d’éducation populaire. Tu vois, Google avait bien préparé le terrain, a acheté sa sympathie et puis c’est très dur, derrière, d’ouvrir ta gueule, il faut dire ce qui est, ou de râler, ou de prouver qu’il y a des choses dangereuses voire dégueulasses qui se font sur ce que tu aimes bien, la ville où tu aimes bien vivre, les gens avec qui tu aimes bien vivre ; c’est compliqué quand tu as touché un gros chèque, quand tu es une association, une Scop ou un entrepreneur qui a sa visibilité qui en dépend. Mais il y a tout type de structures.

Le tableau des partenaires à l’entrée chez Google, d’ailleurs je pense qu’ils font un peu de forcing à Rennes. On s’est rendu compte au départ, enfin on a continué à faire toute la liste, que des organisations n’avaient pas signé réellement de partenariat. C’est juste qu’une fois, quelqu’un de l’organisation était venu participer à l’un des ateliers de Google. C’est le cas des universités, par exemple. Il y en d’autres c’est contractualisé, effectivement c'est partenaire, ça c’est contractualisé : tu retrouves Pôle emploi, tu retrouves deux ou trois grandes banques française mais c’est l’échelle régionale qui a signé, tu retrouves la CCI, la Chambre des métiers, l’Artisanat et les métiers ; c’est assez hallucinant leurs partenariats. Donc il y a ça.

Quand on avait un peu espionné dedans, le jour de l’inauguration par exemple, on avait taupé des conversations et on avait compris aussi en avant, parce qu’on a essayé de rencontrer des personnes, pour Google, en fait, Rennes était un symbole fort. On sait très bien que Rennes c’est une ville militante et notamment le campus Rennes-II, mais les lycéens aussi, Rennes-I aussi, Rennes peut très vite entre guillemets « mettre des bâtons dans des roues ». Et Google avait et a toujours l’expérience de ça, du quartier Kreuzberg à Berlin, sauf que c’était un campus qu’ils voulaient ouvrir, c’était plus gros, donc ils se méfiaient un peu.
Ils savaient très bien et ils ont dit, des mots de l’ancien du Carrefour numérique qui a aujourd’hui un rôle soi-disant éthique à Google et du président de Google France, que c’était un gros test de passer à Rennes et qu’en gros, si ça passait à Rennes, s’il n’y avait pas de rébellion, pas de grèves, de manifs et pas de vitrines cassées, après c’était open bar en France. Et Rennes est principalement une ville de gauche. En tout cas la mairie et la métropole sont à gauche. Le département qui a son siège à Rennes, même s’il est plus grand, plutôt gauche aussi, même si ça peut se discuter sur la répartition. Donc attention avant de dire République en marche.
Par contre, la réalité qu’on a observée, ça va faire sept mois maintenant, c’est que, effectivement, il y a beaucoup de députés qui viennent ici, ce n’est même pas forcément de la circonscription, il y en a qui viennent de loin, de Nice et tout, il y en a qui viennent plusieurs fois par mois, qui font de la pub réellement sur les réseaux sociaux pour Google ; ce sont des minis reportages qu’ils font. On dirait des blogueurs YouTube ou des personnes sur Instagram. Et puis ils invitent d’autres députés d’autres circonscriptions et là, c’est plutôt la République en marche, à Rennes.
Effectivement, on savait que Google allait dans d’autres villes, on a commencé à regarder quelles étaient les villes potentielles. On n’était pas dans la confidence, on se doutait un peu. Et puis ils ont annoncé au mois de décembre, au début de l’hiver, de nouvelles villes, donc Nancy, Montpellier et Saint-Étienne. Donc on a regardé quel était le profil des élus en mairie, en métropole, dans les conseils généraux ; quels étaient les premiers à déclarer « on est trop contents que Google arrive ». Les éléments de langage étaient les mêmes qu’il y a un an à Rennes, quasiment mot pour mot : 100 000, digital, marketing, atelier. Oui, on est principalement sur des élus de droite, alors la République en marche c’est toujours difficile à classer, mais en général, avant d’adhérer à la République en marche ils étaient plutôt de droite, sinon ce sont des Républicains.

Antoine Gouritin : Tu parles d’éléments de langage. Moi j’ai noté le maire et président de la métropole à Montpellier dans un communiqué de presse : « L’arrivée de Google à Montpellier nous permet de devenir partenaire d’un projet qui représente un véritable levier d’insertion, de développement économique ou même de développement personnel puisqu’il permettra à des milliers de Montpelliérains d’utiliser le numérique pour se former gratuitement et à tous les niveaux ». Ça rejoint exactement ce que tu disais.

Xavier Coadic : Il faut féliciter le service comm de chez Google, qui a une capacité à influencer les services comm, donc les spin doctors des politiques, de celui du président de la République en passant par le secrétaire d’État au numérique jusque, et tu viens de les citer, aux maires de métropoles. Montpellier et Rennes sont de taille pas tout à fait comparable, mais il n’y a pas trop de différences, ce n’est pas le petit village du coin ! Ils arrivent quand même à refourguer le même discours avec les mêmes éléments de langage qui sont répétés, martelés, de manière incroyable. Il n’y a même pas de différence. C’est tellement gros qu’il n’y a même pas besoin d’enquêter. Il suffit de prendre les déclarations, de les coller les unes à côté des autres, ce sont les mêmes !

Antoine Gouritin : Jusqu’au patron de Google France qui, en début d’année, a squatté le compte Twitter de l’Élysée. Ça ce n’était pas mal aussi !

Xavier Coadic : On ne parle pas beaucoup, en fait, des misères que Google fait sur les personnes, déjà, et ensuite dans les villes. Je pense que le véritable sujet est là parce que, à un moment, quand on veut convaincre des élus ou qu’on veut dire aux élus « le prochain mandat ce ne sera pas vous parce que vous avez participé à nous faire du mal », il va falloir leur faire comprendre, mais ça, ça vaudrait une émission à part entière. Pour en avoir fait une conférence dessus à Pas Sage en Seine3 je sais et je sais ce que ça coûte, il y a réellement du danger à le faire.
Donc Google nous fait des misères et fait aussi des misères aux entreprises, augmente ses prix. Mais c’est normal, c’est une boîte qui est là ! C’est comme le dealer : la première dose est gratuite, la deuxième est un peu moins gratuite et quand vous êtes tous bien accros, on augmente les prix de Maps, de Google Adwords, d’autres et puis tout le monde pleure en disant « oui, mais on ne sait pas faire autre chose. » Donc Google a besoin de gagner du terrain.
On a quand même un truc qui s’appelle la CNIL en France, la Commission nationale informatique et libertés, avec des lois qui viennent de 1978, donc qui ne sont pas nouvelles ! On a quand même des belles choses même si c’est loin d’être parfait. Donc il y a une semaine, après un gros dossier, La Quadrature du Net4 notamment qui est une association française, qui ne vit quasiment que de dons, même que de dons si je ne dis pas de bêtises, avait lancé une procédure juridique à la fois en France mais aussi remontée jusqu’à la Cour européenne contre Google notamment, mais d’autres entreprises. Bref ! La procédure se fait, Google est reconnue coupable ; cette fois ce n’est plus de l’optimisation fiscale, ce n’est plus position dominante sur le marché, c’est reconnu de nous espionner, de nous piquer nos données : 50 millions d’euros. C’est une première en France, il n’y a jamais eu plus cher. Google a eu d’autres amendes pour d’autres raisons dans le monde beaucoup plus chères. Ils nous doivent encore, depuis un an et demi, quatre milliards deux ou quatre milliards un en Europe, deux milliards et quelques il y a deux ans. Ils n’ont toujours pas payé. Là ils prennent 50 millions, ils sont condamnés pour faire du mal à nos intimités, à voler nos vies privées.
L’annonce tombe genre à 14 heures, le jour même à 17 heures, sur le fil Twitter officiel de l’Élysée, c’est-à-dire de la maison, le service qui gère pour la présidence française, quoi ! une pub pour Google en France. Rien que d’en reparler j’en ai les bras qui m’en tombent. On ne peut pas dire que les personnes de l’Élysée, quel que soit le gouvernement qui y est, quels que soient les services qui y travaillent qui, des fois, restent selon les gouvernements quel que soit leur bord politique, on peut ne pas les aimer, on ne peut pas les traiter de personnes complètement idiotes et de services idiots.
On peut ne pas l’aimer du tout, Google est loin d’être une entreprise idiote. Je pense que des fois elle va même trop loin dans son humour : on ne paie pas d’impôts, mais on s’installe rue de la Monnaie à Rennes. On vous espionne partout sur la planète et puis, quand on se fait virer d’un quartier, Kreuzberg en Allemagne, on va certainement squatter les locaux de la Stasi, l’ancienne police est-allemande. Donc ils utilisent le compte de l’Élysée le jour où ils prennent une amende record pour infraction aux lois informatique et libertés, pour faire leur pub, avec le soutien de l’Élysée ! Est-ce que c’est le patron qui a eu les clefs ? Enfin c’est hallucinant, c’est un mépris de tout ! C’est un mépris des règles, c’est un mépris de l’humain, c’est un mépris de l’éthique.

Antoine Gouritin : On parle de Google, mais évidemment ça ne s’arrête pas à Google. Je voulais finir là-dessus.

Xavier Coadic : Il n’y a pas que Google dans l’affaire.

Antoine Gouritin : Il n’y a pas que Google. Quand on voit Emmanuel Macron il y a quelques mois, qui voulait l’aide de Zuckerberg et de Facebook pour contrôler les fake news ; quand on voit Facebook qui finance de plus en plus de thèses à l’université, des recherches dans l’intelligence artificielle, mais Amazon aussi, IBM aussi.

Xavier Coadic : Google aussi investit largement.

Antoine Gouritin : Amazon, enfin tout le monde. Ça c’est pareil, il nous faudrait un épisode et puis avoir un épisode un peu plus tard pour parler de souveraineté numérique et de tous ces sujets-là. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? On parle souvent, que ce soit sur ces questions-là ou sur l’écologie ou autre, de solutions personnelles. À mon avis, c’est plutôt souvent des problèmes de système que de solutions personnelles, mais là il y a quand même des choses qu’on peut faire. Qu’est-ce qu’on peut faire de ce côté-là ?

Xavier Coadic : Oui, il y a des choses qu’on peut faire et qu’on doit faire individuellement : aiguiser sa curiosité, son esprit critique. Ça parait si simple à dire et tellement compliqué à faire, encore plus aujourd’hui dans ce système technicien — c’est Ellul, je crois, qui passe là-dessus — et ce système d’information à la fois généralisé, rapide mais hyper-individualisé. Voilà ! Il faut aller creuser. Là on est dans l’ordre de la survie, mais il faut avoir conscience qu’on ne le fait pas que pour soi. Comme je le disais au début, les données personnelles et l’intimité c’est bien gentil, mais si ça a autant de valeur c’est parce que ça appartient à nous mais au reste de notre humanité proche, les personnes qu’on aime, les personnes qui sont de notre famille et faire juste cette activité-là, d’aiguiser son esprit critique, c’est aussi se protéger soi mais protéger les personnes qui nous sont chères.

Effectivement, faire ça tout seul ça ne résoudra pas le problème, parce qu’on ne vit pas dans des îles isolées, et quand bien même on vivrait sur des îles isolées ça ne fonctionne pas comme ça, on est tous interdépendants les uns des autres ; c’est le principe d’un système. Donc oui, c’est politique. Faire du logiciel libre, faire de la donnée libre. Si on fait de la donnée libre c’est pour protéger la donnée, l’intimité des personnes ; c’est politique.
Framasoft5, en France, fait un travail extraordinaire là-dessus et notamment pourquoi c’est politique et pourquoi c’est compliqué. Et on le voit, comme tu le disais très bien, on a des élus au niveau de la nation, au niveau du président de la République, au niveau des secrétaires d’État, au niveau des ministres, qui nous sortent des trucs ! C’est dix par jour, c’est impossible à suivre ou à combattre. Oui, c’est un système politique qu’il faut repenser. Ça passe par le langage.

Il y a quelque temps, aux ex-Assises de la médiation numérique renommées pour le coup, beaucoup de pinceaux de langage, Numérique en Commun[s], j’avais enfin croisé physiquement, parce qu’Internet me permet de croiser et beaucoup de lire, Alain Giffard qui est une personne assez extraordinaire, qui fait des travaux là-dessus depuis des années, qui travaille aussi sur l’éducation populaire numérique, qui, au niveau universitaire est respecté, qui parlait de cette dette du langage qui est faite. Il prenait l’exemple de ce Numérique en Commun[s], des personnes de la médiation numérique qui sont en première ligne sur ces problématiques-là, qui, au passage, est l’un des métiers rendus les plus pauvres en France, et le secrétaire d’État ne voulait pas parler des médiateurs et des médiatrices numériques, il ne voulait parler que de médiation numérique. Tu vois, il y a tout un jeu de langage comme ça , et puis il y en avait plein d’autres, digital/numérique. Giffard avait très bien analysé ça. On revient à Arendt, on ne peut pas dire qu’il y a une surprise, Arendt, Jürgen Habermas et les années 60, l’idéologie de la science, enfin la science et la technique comme idéologies ; ce ne sont pas les seuls, il y en eu plein d’autres, Ellul ; ce n’est pas nouveau ce qui nous arrive, on ne peut pas être surpris, en tout cas pour des intellectuels, des universitaires et des politiques qui sont au contact d’eux, voire le sont.
Je pense que ce n’est pas complètement inconscient ou par faute de ne pas savoir, mais ils utilisent un langage qui nous bourre le mou, qui nous bourre le cerveau. En gros c’est du marketing, c’est du coaching, c’est du management, ça convient très bien à la start-up nation, à beaucoup d’élus ou de responsables politiques mais aussi de responsables de chambres consulaires qui sont aussi en responsabilité là-dessus, qui nous vendent un discours… Ce n’est même pas qu'ils nous lavent le cerveau, ils ne nous rendent pas complètement bêtes, mais ils nous préparent à ce qui arrive : à se faire complètement dévorer à tous les niveaux, du niveau universitaire. On a cité les villes, mais il en a une qui n’est pas citée dans le truc, mais en réalité c’est qu’ils s’y implantent : c’est à Nantes, l’université, et le double discours est magnifique.
Pour l’arnaque, Google signe avec la Fondation de l’université de Nantes. Le vice-président, mais je crois qu’il est encore monté en grade, en tout cas à l’époque où c’est signé, le vice-président de la Fondation de l’université de Nantes est aussi président de l’université. Le mois A, la Fondation de l’université signe un partenariat avec Google pour faire des formations, c’est-à-dire les coachs Google en marketing vont remplacer les profs, les intervenants, les universitaires pour venir raconter des conneries à des universitaires. Quand ils vont avoir des diplômes ils ne vont jamais être embauchés s’ils ne sont pas formés, et intellectuellement c’est dramatique. Ça pose des problèmes de privatisation du service universitaire, de remplacement d’intellectualité. Je pense que tu imagines bien tous les problèmes que ça pose, il faudrait une heure pour en parler. Et puis le mois A + 1, l’université, pas la Fondation, l’université de Nantes fait tout un plan marketing en disant « on quitte le moteur de recherche Google parce qu’on fait du made in France qui respecte la vie privée, on va chez Qwant6 ». Mais c’est incroyable ! En termes de stratégie et de marketing c’est poudre de perlimpinpin et compagnie et c’est tout le temps comme ça.
En fait, Google s’implante aussi à Nantes en plus des ateliers dans les autres villes. Est-ce que c’est plus grave un atelier bourgeois dans le côté cosy du centre-ville X, Y, ou Z ou de s’implanter dans l’université ? Je crois qu’il ne faut même pas chercher lequel est le plus grave, c’est pareil. C’est juste révélateur d’un envahissement de la pensée ; ça faisait longtemps, mais là c’est vraiment affiché. C’est assumer complètement qu’on vous espionne de A à Z et, finalement, on installe les petites bases d’espionnage à l’intérieur de vos villes, de vos villages, de vos universités.

Antoine Gouritin : Est-ce que le discours critique arrive à prendre auprès du grand public ? Comment tu l’as senti, toi, depuis l’ouverture des ateliers avec tout le travail de fond que vous faites ?

Xavier Coadic : Pour qu’il prenne il faut qu’on arrive, et moi le premier, à se détacher de nos travers militants. Quand on part dans ce discours critique, on essaie d’amener de la rationalisation et de la radicalité. Même aujourd’hui, le radicalisme et tout ça, tout le monde est suspecté de radicalisme ; tu mets un gilet jaune, qu’on les aime ou qu’on ne les aime pas, ils sont radicaux, il faut les emprisonner, il faut les surveiller. Tu dis que Google c’est mal, il faut te surveiller, il faut te mettre des bâtons dans les roues. C’est une société complètement de l’aberration dans laquelle à la fois on accepte un langage, comme j’essaye d’expliquer, qui ne veut plus rien dire et qui crée de l’endettement et de la compromission intellectuelle, mais de l’endettement moral et éthique. Et de l’autre côté, dès que tu essaies d’avoir une approche un peu radicale ou critique, tu deviens dangereux.
Effectivement, dans ces mécanismes-là, on embarque de l’émotion et de l’émotionnalité. J’ai souvent dit, depuis un an maintenant, qu’au départ on a réagi de manière épidermique à Google. On faisait des trucs depuis des années à Rennes, mais on aurait dû sortir du bois avant. On porte aussi notre part de responsabilité que Google ait choisi, ait réussi à s’installer. On aurait dû être plus radicaux, plus critiques avant. On était des gentils gnous, trop dociles, et des pingouins du Libre, des Tux. Voilà !

Comment tu le vis au quotidien ? Comment tu le rapportes ? Je ne vais pas faire toute une conférence gesticulée dessus, mais comme il y a le Festival des Libertés Numériques et c’est une chouette chose qu’on a à Rennes et qui nous permet de faire pas mal de trucs depuis deux ans maintenant. Pour faire une conférence gesticulée il faut prendre ce qu’on appelle les savoirs chauds, c’est-à-dire ce que tu as vécu dans ta vie perso. Ce n’est pas facile à faire, en tout cas pour moi, donc je vais le faire à la radio, en podcast en avant-première, j’ai pris un exemple des rapports et des discussions avec mon père. Je pense qu’on a des rapports et des discussions qui sont chouettes, sains, qui peuvent aller dans tous les sens, mais sur le côté vie privée, informatique, mon père typiquement sortait : « Je n’ai rien à cacher ». Ça me mettait en boule ! Et là tu peux mettre de côté la capacité à intellectualiser, à réfléchir, à rationaliser ; tu es purement dans l’affect.

Antoine Gouritin : J’ai des élèves ingénieurs en informatique qui m’ont sorti ça il y a quelques mois ; c’est incroyable !

Xavier Coadic : Oui. Quand j’interviens en école sup, j’arrive, je me prépare, je fais du yoga avant et je prépare mon cours pour répondre à ça. Mais quand ça touche à la famille, je n’arrive plus à réfléchir. Par contre, avec le temps, ça m’a amené à dire : mais attends, on ne peut pas sauter à la gorge. Comme je disais tout à l’heure, protéger sa vie privée, son intimité, c’est aussi vouloir du bien et protéger les personnes autour de nous ; on ne va pas leur sauter à la gorge toutes les 30 secondes. J’étais assez à l’aise d’aller dans les arrêts de bus et j’adore ça, comme j’expliquais, faire des ateliers improvisés, ou des petits tips de cinq dix minutes avec des inconnus ou dans des cafés, ou aller chercher des élèves ingénieurs d’une école vraiment tech, et puis ingénieurs marketing et dire venez trois ou quatre ensemble, et d’autres de l’université. En fait on fait un groupe mixte ou trans-écoles, appelle ça comme tu veux, je les fous dans un café et on fait une journée complète dédiée au numérique, on fait comme si c’était un hackerspace, on fait plein de trucs chouettes et ils en découvrent.

Mais avec la famille ou les proches c’est plus compliqué, mais c’est révélateur, peut-être, des démarches qu’on doit avoir. On vit une période, on ne prend pas doucement le chemin : on est complètement en train de glisser ou on a déjà mis les pieds dedans, dans une forme de totalitarisme politique, intellectuel et technologique. Il va falloir qu’on mette nos égos ou nos émotions de côté, enfin pas complètement parce que c’est ce qui fait de nous des êtres humains et pas des machines, mais trouver de nouvelles manières d’aborder nos proches directs pour les protéger. Même si on n’aime pas nos proches, déjà protège-toi toi-même, et si tu ne t’aimes pas toi, protège tes proches, tes amis, ta famille. Et là, il faut trouver des nouvelles manières de dire et de faire et souvent c’est par une prise de conscience. Il n’y a pas de modèle parfait. Il y a des personnes à qui tu vas dire : « On va t’installer tel truc sur ton ordinateur ou ton smartphone, on va faire autrement » OK. Ou de faire regarder une conférence ou un film comme Nothing to Hide qui fait vite prendre conscience. Ou la conférence à Sud Web du mec qui travaille sur le système d’exploitation Eelo pour smartphones7, qui explique très bien : « Vous allez tous flipper si la poste et si des marketeux ouvraient votre courrier, mettaient des petits messages dedans ». Mais c’est ce qui se passe dans vos smartphones et vos mails. Et pas que le mail, tout, le SMS, le MMS, Facebook, Messenger, enfin !
On ne peut pas dire « je n’ai rien à cacher ». Déjà si tu le dis et que tu le penses c’est que ce fameux discours du marketing qui t’a répété des trucs, eh bien ça y est, il a marché. Et finalement, depuis 1950-60, on n′a toujours pas intégré Hannah Arendt dans l’éducation populaire, ce qui est dramatique. En tout cas ça fait flipper, on a raté une marche. Et si tu le penses vraiment, au moins essaie de virer cette pensée pour protéger les gens qui te sont proches.

Antoine Gouritin : Comment tu en as parlé à ton père alors ?

Xavier Coadic : On en parle toujours. J’ai appris à être moins sur l’émotion, moins épidermique aussi pour être plus pédagogique, pour lui expliquer les choses. Mon père est entrepreneur depuis de longues années, donc il y a plusieurs manières de lui aborder. Il y a des choses de famille, personnelles, qu’il veut cacher, mais il y a des choses de l’entreprise. Ce n’est pas mon père qui défiscalise 20 milliards comme Google je ne sais pas où. Ça va ! Là-dessus, il est plutôt l’entrepreneur dont on n’entend jamais parler, qui ne défiscalise pas, qui en a chié, qui continue à se battre. Je ne parle pas tout de suite de menaces numériques ou de modèles de menaces, mais il comprend qu’il n’a pas envie, typiquement, qu’on ait accès à des comptes bancaires ou, aussi, la sécurité de ses clients. Il travaille avec des collectivités publiques, il est urbaniste, il travaille sur l’aménagement du territoire. Il y a des choses un peu sensibles qui transitent entre serveurs et tout ça. Ça il comprend. J’ai trouvé un ordinateur très jeune dans mes mains parce que mon père s’est intéressé à ça. Ça fait des années qu’il y avait un serveur, un NAS [Network Attached Storage], un répétiteur, il y avait tout ce qu’il fallait dans la maison, donc j’étais plus étonné qu’il n’ait pas franchi le pas de « faisons attention à notre hygiène numérique ». C’était une discussion du coin de table ou au café, quand on mange ensemble, quand on discute, de dire aussi que ça touche directement dans leur quotidien, dans leur intimité la plus profonde, parce que maintenant il sait que je travaille sur des trucs un peu… avec de l’ADN, des empreintes digitales, de la reconnaissance morphologique donc il commence à comprendre que sur un serveur il n’y a pas que ton adresse mail, le montant de ton compte bancaire et le mot de passe du truc où tu t’es inscrit. Il y a des choses quand même beaucoup plus intimes et beaucoup plus hards. Mais ça aide, après, pour en discuter avec d’autres.

Par contre, bizarrement d’un autre côté, ça me rend plus sévère sur le jugement des personnes dont on parlait tout à l’heure, qui sont en responsabilité économique ou politique. J’arrive plus à faire des choses ouvertes et détendues avec les personnes qui me sont proches, mais du coup j’en suis d’autant plus sévère avec les autres parce que je me rends compte à quel point ce qu’elles font… Avant j’appelais ça de la pollution. Non, elles participent à un endoctrinement et, comme je disais, je ne pense pas que ça soit des personnes idiotes. Je pense qu’elles le font avec une certaine conscience du truc auquel elles participent.

Antoine Gouritin : C’était les Rencontres Désinspirantes de Disruption protestante. Retrouvez toutes les informations sur la série et écoutez les autres épisodes sur disruption-protestante.fr et abonnez-vous dans votre application de podcast favorite pour ne rien rater.
Disruption protestante est une série produite par Antoine Gouritin. La musique originale du générique est de Julien Soler.


Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 5 mars 2019

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Frédéric Couchet

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 5 mars 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Xavier Berne - Pierre-Yves Beaudouin - Nadine Le Lirzin - Noémie Bergez - Frédéric Couchet
Lieu : Radio Cause commune
Date : 5 mars 2019
Durée : 1 h 30 min
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Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web, rendez-vous sur le site de la radio et cliquez sur « chat » pour nous rejoindre sur le salon.
Nous sommes mardi 5 mars 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April. Le site web de l’association c’est april.org, a, p, r, i, l point org et vous trouvez déjà sur le site une page qui indique les références de ce dont on va parler au cours de l’émission ; elle sera mise à jour après l’émission, évidemment, en fonction de nos échanges. Je vous souhaite une excellente écoute.

On va passer maintenant au programme de cette émission. Nous allons commencer dans quelques secondes par un échange avec Xavier Berne, journaliste pour Next INpact, site d’actualité et d’enquêtes qui traite d’informatique mais aussi de l’actualité politique liée à l’informatique libre. Normalement Xavier est avec nous au téléphone.

Xavier Berne : Absolument. Je suis là. Bonjour.

Frédéric Couchet : Bonjour à toi, on se retrouve dans quelques secondes. D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur Wikipédia, l’encyclopédie libre ; nos invités, aujourd’hui, Nadine Le Lirzin, secrétaire de Wikimédia France.

Nadine Le Lirzin : Bonjour.

Frédéric Couchet : Bonjour Nadine. Et Pierre-Yves Beaudouin, président de Wikimédia France. Bonjour Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : Bonjour Frédéric.

Frédéric Couchet : Nous expliquerons évidemment en détail ce qu’est Wikipédia et ce qu’est Wikimédia France.
En fin d’émission nous aurons la première chronique juridique de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, qui nous parlera du concept d’originalité dans le droit d’auteur.
À la réalisation aujourd’hui Patrick Creusot, bénévole à l’April. Bonjour Patrick. Je salue également Charlotte Boulanger, bénévole à Cause Commune, qui l’aide dans cette mission de régie.

Tout de suite nous allons passer au premier sujet, un échange avec Xavier Berne. Je rappelle que Xavier Berne est journaliste pour Next INpact, donc nextinpact.com, et Xavier souhaite nous parler de Parcoursup. « Parcoursup est une application web destinée à recueillir et à gérer les vœux d’affectation des futurs étudiants de l’enseignement supérieur public français, mise en place par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en 2018 dans le cadre de la loi orientation et réussite des étudiants. Elle remplace l’ancien système d’Admission Post-Bac (APB), qui avait été vivement critiqué en 2017. » Je précise que cette source c’est Wikipédia, pour faire le lien avec le sujet d’après. Xavier, tu vas nous parler notamment d’un jugement récent concernant Parcoursup. Xavier on t’écoute.

Xavier Berne : Absolument. Effectivement le 4 février dernier, le tribunal administratif de Guadeloupe a ordonné à l’université des Antilles de communiquer à l’UNEF, le syndicat étudiant, son algorithme local de sélection des étudiants. En fait, algorithme c’est quand même un bien grand mot parce que, en réalité, les universités recourent à des tableurs excel qui leur permettent, tout simplement, d’opérer un pré-classement des candidats notamment par exemple à partir de leurs notes, avant que se tienne un jury où là seront sélectionnés les candidats retenus pour des formations, ensuite, de type licence, BTS, etc.
Sur le fondement de la fameuse loi CADA dont on a déjà parlé dans cette émission, relative aux documents administratifs, l’UNEF avait demandé l’année dernière à plusieurs dizaines d'universités de rendre publics leurs algorithmes locaux afin, tout simplement, que les candidats sachent sur quels critères leurs dossiers allaient être examinés.

Frédéric Couchet : Pourquoi ce jugement est important ?

Xavier Berne : Il s’agit d’un jugement qui est hautement symbolique parce que c’est le premier qui a été rendu sur ce sujet et, surtout, le tribunal va à rebours de la position du ministère de l’Enseignement supérieur mais aussi des universités. En fait le juge, dans le détail, a retenu que la divulgation de cet algorithme local ne portait pas atteinte à ce qu’on appelle le secret des délibérations du jury, une notion qui avait été introduite l’année dernière par le gouvernement sans que celui-ci, d’ailleurs, n’avoue réellement pourquoi il a voulu introduire cette notion lors des débats sur le projet de loi Parcoursup. Le juge a donc ordonné la communication des procédés algorithmiques utilisés par l’université des Antilles ainsi que les codes sources afférents, sous un mois, avec astreinte. Ce qu’il est important de retenir aussi c’est que le tribunal a clairement suivi l’analyse du Défenseur des droits qui, au mois de janvier, avait estimé que se plier à cet effort de transparence n’obligeait pas les universités à dévoiler le contenu de l’appréciation portée sur chaque candidature mais, en fait, uniquement les critères pris en compte pour l’appréciation des candidatures.

Frédéric Couchet : Oui. D’ailleurs tu précises que c’est important parce que ça va à l’encontre de la position du gouvernement mais aussi de la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, qui avait pris position pour dire qu’il y avait une non-communicabilité, si je me souviens bien, justement parce que ça pouvait apporter des éléments d’identification, en tout cas d'explication sur des décisions particulières individuelles, alors qu’en fait, la publication qui était demandée, c’est vraiment les règles générales, ce qu’on appelle un peu les algorithmes qui sont, quelque part, une suite finie d’opérations qui permettent d’arriver à une décision ou à mettre en place une procédure. Donc ce jugement est important parce qu’il va à l’encontre de ce qu’affirmaient le gouvernement, la CADA.
Tout à l’heure tu parlais d’un amendement en 2018, si je me souviens bien, et je crois que c’est bien indiqué dans un de tes articles, le gouvernement avait bien dit que ça ne remettrait pas en cause, justement, l’accès à ces documents administratifs, à ces algorithmes locaux, et pourtant, de facto, la réalité est contraire. C’est pour ça que ce jugement est très important. Et pourtant, il semblait que le gouvernement avait promis la transparence sur Parcoursup, justement pour mettre un terme aux critiques qui avaient concerné Admission Post-Bac.

Xavier Berne : Effectivement. Sur ce dossier on peut vraiment parler d’un bal des faux-culs. J’ai exhumé quelques citations intéressantes lors de la préparation de cette émission. L’année dernière devant le Sénat, lors de l’examen du projet de loi sur Parcoursup, Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, avait par exemple assuré que les codes sources de tous les algorithmes de Parcoursup seraient rendus publics. Promesse à nouveau formulée quelques semaines plus tard, en avril 2018, sur Public Sénat, je cite : « La totalité des algorithmes sera publiée ». Même Mounir Mahjoubi, son collègue secrétaire d’État chargé du Numérique, s’y était engagé cette fois dans les colonnes de L’Ètudiant, voilà ce qu’il disait, je cite : « Le code source de l’algorithme national de Parcoursup sera rendu public. L’algorithme d’affectation utilisé par chacun des établissements le sera également. »
On voit clairement, aujourd’hui, que ce n’est pas le cas vu que les algorithmes d'affectation utilisés par chacun des établissements n’ont pas été rendus publics. En revanche, il faut quand même souligner que le code source de la plateforme nationale de Parcoursup a, lui, été rendu public, mais pas les fameux algorithmes locaux et c’est un petit peu le problème, parce qu’en fait, pour de nombreux observateurs il s’agit du cœur de la machine Parcoursup, là où se joue en grande partie la sélection des étudiants.

Frédéric Couchet : Oui. Parce qu’il faut expliquer que l’accès au code source ne suffit pas. Le code source peut être accompagné de documents externes, de documentation externe ou de procédures externes et c’est un peu ce dont on parle avec ces algorithmes. Il y a la partie nationale et puis il y a, évidemment, la partie locale, donc les algorithmes locaux. Par rapport à ce jugement, c’est un jugement en première instance, est-ce que ça signifie que désormais toutes les universités vont devoir divulguer leurs algorithmes locaux ?

Xavier Berne : Non effectivement. Déjà il faut savoir que seules certaines universités ont recours à ces outils d’aide à la décision.

Frédéric Couchet : Ces fameux tableurs.

Xavier Berne : Oui. Il y a environ une université sur quatre qui y a eu recours. Et surtout, comme tu l’as déjà dit il me semble, l’université des Antilles veut se pourvoir en cassation.

Frédéric Couchet : Je ne l’avais pas dit.

Xavier Berne : OK, pardon ! Il me semblait. Autant dire que les universités, les étudiants et le gouvernement vont scruter cette décision du Conseil d’État avec la plus grande attention et la bataille s’annonce vraiment rude parce qu’il y a des positions très fermes de la part du ministère mais aussi de la technicité, en fait, dans cette matière. Les textes sur lesquels cette bataille est lancée sont très peu intelligibles et j’ai l’impression qu’il y a une confusion de certains acteurs, justement, entre ce que tu disais : algorithme, code source et il y a aussi une nouvelle notion qui a été introduite par la loi numérique de 2016, c’est sur les principales règles de fonctionnement, en fait, des algorithmes qui ressemblent un peu plus, comment dire, à une sorte de notice, de mode d’emploi de fonctionnement des algorithmes utilisés par les administrations.

Frédéric Couchet : Tu veux dire qu’au-delà du code source de la plateforme, il y a les algorithmes locaux et ensuite il y a des documents qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement de l’algorithme. C'est ça ? En fait il y a trois types de documents quelque part.

Xavier Berne : Exactement, c’est tout à fait ça. Depuis la loi numérique de 2016, alors c’est une mesure qui est entrée en vigueur en septembre 2017, toutes les administrations, donc ça ne concerne pas uniquement Parcoursup, même si c’est là que c’est intéressant parce que, ironie de l’histoire, ces dispositions avaient été taillés pour APB, le prédécesseur de Parcoursup, donc toutes les administrations, à partir du moment où il y a une décision individuelle qui est prise à l’égard d’un citoyen, doivent être capables d’expliquer comment elles en sont arrivées à ce résultat, en décrivant, par exemple, quelles données ont été traitées, quelles opérations ont été effectuées par le traitement.

Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que ces réticences sont surprenantes, je parle par rapport aux deux types d’acteurs, on va dire, les universités et le gouvernement ? Est-ce que c’est vraiment si surprenant que ça ? Je vais prendre un exemple par rapport au gouvernement, et tu es bien placé pour le savoir, la première version du code source réclamée, je crois que c’était APB ou Parcoursup, mais tu me corrigeras, avait été envoyée en format papier. C’était quand même montrer une certaine… !

Xavier Berne : C’était APB.

Frédéric Couchet : C’était APB ?

Xavier Berne : Oui, c’était sur APB, c’était l’association Droits des lycéens qui avait à l’époque saisi la CADA.

Frédéric Couchet : Donc ça ne montre pas forcément une volonté de contribuer, parce qu’envoyer un code source par papier c’est quand même un peu absurde ou, en tout cas, c’est une volonté de ne pas vraiment contribuer. Est-ce que ces réticences sont les mêmes côté gouvernement et côté université d’après toi ?

Xavier Berne : Oui. J’ai quand même l’impression que c’est le ministère de l’Enseignement supérieur qui a remonté, d’une certaine manière, les craintes des universités. Moi je vois un peu ça comme une caisse de résonance.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc c’est un relais du gouvernement qui, finalement, contraint les universités. On peut peut-être supposer que le fait que l’université des Antilles aille devant le Conseil d’État a été fortement encouragé par le ministère ; on peut le supposer.

Xavier Berne : Oui, en tout cas c’est ce que m’ont indiqué certaines sources. D’ailleurs j’ai été très surpris parce que, quand j’ai contacté l’université, le lendemain du jugement, ils avaient déjà un communiqué de presse prêt, vraiment bien taillé, expliquant qu’ils allaient former leur pourvoi en cassation. Donc je pense qu’il y avait pas mal de préparation derrière tout ça.

Frédéric Couchet : De ton point de vue, si on a compris. On va rappeler, peut-être, qu’en 2016 il y a la fameuse loi pour une République numérique qui avait fait un certain nombre d’avancées. L’an dernier, en 2018, il y a un amendement, dont tu as parlé au départ, qui, finalement, vise à vider d’une partie de sa substance la loi Lemaire, en tout cas en ce qui concerne Parcoursup. On va attendre, évidemment, ce que va dire le Conseil d’État parce que je suppose que l’UNEF va poursuivre devant le Conseil d’État et va défendre cette position.
Toi, tu attends quoi ? Des clarifications, par exemple législatives dans le cadre d’un nouveau projet de loi que pourrait porter le ministre Mounir Mahjoubi ? Est-ce que tu crois que c’est la CADA ? Il me semble qu'on a déjà parlé dans notre émission, justement avec le président de la CADA, Marc Dandelot, de certains reculs quand même de la CADA récemment, parce que visiblement la CADA soutient la position du gouvernement et des universités. D’après toi, la solution est plutôt législative ? Elle est plutôt autour de la CADA ? Ou finalement c’est le Conseil d’État qui va trancher ?

Xavier Berne : Ça dépend si on veut avancer à droit constant ou pas. Le législateur s’est prononcé, il y a eu le vote de certaines dispositions. Il faut aussi rappeler que cet amendement a été voté dans un contexte un petit peu particulier.

Frédéric Couchet : Lequel ?

Xavier Berne : Le gouvernement a attendu, en fait, la dernière ligne droite des débats, c’est-à-dire l’examen en séance publique au Sénat, juste avant ce qu’on appelle la commission mixte paritaire, à un moment où, une fois que ça a été voté, derrière, après, on ne pouvait plus changer grand-chose.

Frédéric Couchet : Donc c’était bien volontaire du gouvernement. Une pratique habituelle on va dire !

Xavier Berne : On va dire que ce n’était pas la première fois et je pense que les sénateurs qui n’étaient pas forcément très avertis, très alertes sur ce sujet, se sont fait enfumer. Derrière ils ont essayé de reprendre la main sur ce sujet, mais ils n’ont jamais réussi. Les députés ont toujours soutenu le gouvernement dans cette entreprise. Les sénateurs avaient essayé de revenir, en fait, sur cet amendement lors du projet de loi sur le RGPD, dans les mois qui ont suivi ; les députés ont toujours suivi l’initiative du gouvernement donc ça n’a pas été modifié.

Frédéric Couchet : D’accord.

Xavier Berne : Je pense, pour répondre à ta question, je vois que le temps passe, que le Conseil d’État pourrait faire une précision, pourrait peut-être clarifier un petit peu les choses. C’est ce qu’on peut attendre, en tout cas dans l’immédiat, sinon, effectivement, il faudrait plutôt, à mon avis, repasser par la case Parlement.

Frédéric Couchet : D’accord. Juste avant de terminer on a une petite question sur le salon web dont j’avais donné les références tout à l’heure : vous allez sur causecommune.fm, vous cliquez sur « chat » ; la question : y a-t-il aussi des acteurs privés qui contribuent à créer les algorithmes de Parcoursup ? Est-ce qu’à ta connaissance il y en a ?

Xavier Berne : À ma connaissance non, mais j’avoue que je ne suis pas forcément bien au fait de ce point de détail-là.

Frédéric Couchet : D’accord. OK. De toute façon on vérifiera. Moi non plus ; ça me paraît non, mais on vérifiera ; en tout cas il y avait cette question-là. Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose en conclusion ?

Xavier Berne : Non, je pense qu’on a à peu près fait le tour du sujet sur les principaux éléments. Merci.

Frédéric Couchet : En tout cas je renvoie les personnes qui nous écoutent aux deux articles qu’a publiés Xavier Berne sur nextinpact.com récemment. Les titres c’est « Transparence de Parcoursup, un an de mensonges », notamment du gouvernement ; le deuxième article c’est « Retour sur le jugement imposant à une université de divulguer son "algorithme local" Parcoursup ». Ces deux références sont sur le site de l’April, sinon vous allez sur nextinpact.com et vous les trouverez. Xavier Berne, je te remercie pour cette première chronique et je te souhaite de passer une belle fin journée.

Xavier Berne : C’est bon, merci Fédéric. Au revoir.

Frédéric Couchet : Au revoir. Nous allons passer à une pause musicale. C’est un groupe français qu’on a déjà écouté. Le groupe s’appelle Demi-sel et le titre s’appelle Polka du père Frédéric/Kubipolka.

Pause musicale : Polka du père Frédéric/Kubipolka par le groupe Demi-sel.

Voix off : Cause Commune 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Demi-sel, le titre s’appelle Polka du père Frédéric/Kubipolka. J’en profite pour signaler que, bien sûr, les musiques diffusées ici sont sous licence libre et le groupe Demi-sel, je crois qu’il a un site web, je le rajouterai sur la page de références sur le site de l’April, tourne actuellement, en tout cas il tourne régulièrement en concert.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Libre à vous ! c’est l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Nous allons maintenant poursuivre avec le sujet suivant, notre sujet principal qui va porter sur Wikipédia, l’encyclopédie libre. Je vais représenter nos invités : Pierre-Yves Beaudouin, président de Wikimédia France. Rebonjour Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : Rebonjour.

Frédéric Couchet : Nadine Le Lirzin, secrétaire de Wikimédia France. Rebonjour Nadine.

Nadine Le Lirzin : Bonjour.

Frédéric Couchet : Wikipédia, on peut supposer que la plupart des personnes qui écoutent l’émission connaissent de nom. On peut même supposer que la plupart ont déjà été sur Wikipédia rechercher des informations, que ce soit pour faire son devoir d’école, quitte à copier-coller sauvagement des pages ou, simplement, pour avoir la réponse à la question qu’on se pose à midi à table par exemple : on sort le téléphone et on regarde sur Wikipédia.
Le but de l’émission c’est d’expliquer un peu plus ce qu’est Wikipédia et surtout d’expliquer que Wikipédia ce n’est pas simplement un site web que l’on peut consulter, que l’on peut lire, c’est un site web qui a notamment un bouton absolument magique, dont on va parler tout à l’heure, qui est le bouton « Éditer ».

Nadine Le Lirzin : « Modifier ».

Frédéric Couchet : « Modifier », excuse-moi, tu as tout à fait raison, ça dépend, effectivement, des types de wiki ; on expliquera ce qu’est un wiki. Donc le bouton « Modifier » sur lequel une personne peut appuyer et ainsi contribuer à Wikipédia, mais on va en reparler.
Première question : un petit point sur l’historique de Wikipédia qui fête aujourd’hui ses 18 ans, donc Wikipédia est majeure. Pourquoi à l’origine ce projet a été lancé et par qui ? Quel était le problème à résoudre, en fait ?

Pierre-Yves Beaudouin : Sur ce point exact je n’ai pas vraiment de réponse. En fait il faut se remettre dans le contexte. Wikipédia a vu le jour le 15 janvier de 2001, a été créée par deux américains, Jimmy Wales et Larry Sanger. Mais, en fait, leur idée initiale était de créer Nupedia qui avait vu le jour un an avant. C’était une encyclopédie assez classique, assez traditionnelle, ça ressemblait à ce qu’on avait l’habitude de connaître, Universalis et Britannica, sauf que là c’était sur Internet. Les rédacteurs de l’encyclopédie étaient triés sur le volet grâce à leur CV.

Frédéric Couchet : Une sorte de cooptation à l’époque sur Nupedia, en fait, pour pouvoir contribuer.

Pierre-Yves Beaudouin : Oui. Un an après, parce que ce projet vivotait, je crois que c’est Larry Sanger qui a entendu parler des wikis, donc des sites facilement modifiables par tout un chacun et par n’importe quel internaute notamment, sans avoir de connaissances en informatique, et qui a convaincu Jimmy Wales de se lancer dans l’aventure et donc de créer un peu en annexe, en projet annexe à Nupedia, le véritable projet Wikipédia qui servait un peu de bac à sable, de brouillon, pour la véritable encyclopédie. Tous les internautes pouvaient proposer des articles sur Wikipédia et après ils étaient validés par les sachants.

Frédéric Couchet : D’accord. À l’origine, en fait, Wikipédia était un bac à sable, comme tu le dis, pour que les gens, en gros, s’amusent, mettent des choses, fassent des brouillons et qu'ensuite le comité d’experts et d’expertes, quelque part, valide pour mettre sur Nupedia. Donc c’était ça ?

Pierre-Yves Beaudouin : Voilà !

Frédéric Couchet : Je ne savais pas.

Pierre-Yves Beaudouin : Ce n’était pas très disruptif ; il y avait quand même une élite qui sélectionnait les articles. Mais très vite, Wikipédia s’est mise à rédiger des milliers d’articles, et de qualité, donc en fait a tué le père ; 18 ans après c’est le seul projet qu’on connaisse et plus personne n’a entendu parler de Nupedia.

Frédéric Couchet : Et plus beaucoup de monde a entendu parler des autres encyclopédies qui pouvaient exister. La partie clef qui a permis, peut-être, cette explosion de Wikipédia c’est justement le transfert de modèle, d’un modèle où, en fait, les personnes qui pouvaient écrire étaient cooptées avec un comité de validation à l’ancienne, machin, etc., à un modèle où n’importe qui peut contribuer, et avec l’explosion aussi d’Internet. Un petit peu, d’ailleurs, comme dans le monde du logiciel libre où le logiciel libre s’est considérablement développé à partir du moment où il y a eu la démocratisation d’Internet et, en 2001, Internet était de plus en plus accessible par toute personne. Donc ces deux choses-là, finalement : de plus en plus de personnes qui ont des choses à partager en commun et des outils qui leur permettent facilement de modifier des pages et de contribuer.
Comme tu l’as dit tout à l’heure, la base de Wikipédia en termes de logiciel, c’est un logiciel qui s’appelle MediaWiki, mais il en existe plein d’autres. Donc un wiki, comme l’as dit tout à l’heure, c’est un site web sur lequel une personne peut modifier directement et, avec certains mots clefs, peut mettre du texte en gras, en italique, etc., comme on le fait sur un traitement de texte classique sauf que là c’est en ligne et sauf que là c’est de façon collaborative. C’est bien ça ?

Pierre-Yves Beaudouin : Oui, c’est exactement ça, et il y a quelques fonctionnalités en plus, notamment la gestion des révisions sur Wikipédia qui s’appelle l’« historique », qui permet à tout un chacun de voir l’article depuis sa création, même des articles qui ont été créés il y a 18 ans, par exemple, vous pouvez voir : au départ il y avait un paragraphe, même une seule phrase, et maintenant ils peuvent faire 40 pages.

Frédéric Couchet : D’accord. Outre le fait que ce soit un wiki, il y a un point essentiel c’est que c’est diffusé sous licence libre. Je ne sais pas si c’était le cas de Nupedia, je ne me souviens plus, en tout cas ce qui n’était pas le cas des encyclopédies qui existaient à l’époque. Le fait que ce soit sous licence libre apporte clairement quelque chose. Nadine Le Lirzin, est-ce que là-dessus c’est pour toi un point essentiel le fait que l’encyclopédie soit disponible sous une licence libre, en l’occurrence c’est Creative Commons Partage à l’identique ?

Nadine Le Lirzin : Oui, c’est indispensable. Ça permet une véritable diffusion, sans arrêt. Quand on contribue sur Wikipédia, on a le premier message qui apparaît, qui vous dit : « Les contributions que vous allez faire vont être partageables par tous, même pour des buts commerciaux ». La licence est libre. Ça ne concerne pas le droit d’auteur, bien sûr, un auteur est toujours propriétaire de son œuvre de l’esprit, mais elle est librement réutilisable, elle est librement copiable, il suffit de citer la source, de diffuser sous la même licence, bien sûr – on ne peut pas s’approprier un travail qui est libre pour ensuite lui mettre des droits et se l’approprier dans son coin. Donc c’est l’ouverture vers plus de liberté et puis un appui à la créativité, c’est-à-dire qu’on peut vraiment faire ce qu’on veut. Je pense à Wikipédia mais aussi à d’autres projets Wikimedia comme Commons.

Frédéric Couchet : Justement, qu’est-ce que c’est que Wikimedia Commons ?

Nadine Le Lirzin : Commons c’est une grande médiathèque qui accueille principalement des photos mais aussi beaucoup de vidéos maintenant, enfin ça bouge. Sur Commons on peut utiliser les photos, on les voit d’ailleurs circuler ; il suffit de citer l’auteur, mais on peut les modifier, on peut les vendre, on peut faire des mashups.

Frédéric Couchet : Parce qu’en fait, ce qui est important aussi dans ce que tu cites sur Wikimedia Commons, c’est qu’en fait il y a d’autres projets que Wikipédia, donc Commons ; il y en a plein d’autres, on ne va pas tous les citer, mais si vous allez sur Wikipédia vous les retrouverez. Commons permet, quand par exemple on recherche une illustration pour un article, qu’on souhaite utiliser quelque chose qui est sous licence libre, c’est l’une des sources principales de référence. Ça me fait penser aussi que souvent une façon de contribuer à Wikipédia c’est, sur les pages qui concernent des personnalités, de proposer des photos sous licence libre, parce que souvent ça manque en fait, on ne voit pas de photo et il y a un petit message qui dit : « Une photo sous licence libre serait la bienvenue ». Ça c’est important, et ce succès de Wikipédia et le succès du logiciel libre sont un peu concomitants en termes de temps, de durée.
Comme je disais tout à l’heure, c’est arrivé à un moment où il y avait des gens qui, effectivement, avaient envie de partager. Les licences libres permettent de partager dans un cadre juridique qui est bien défini et qui permet des réutilisations y compris commerciales. Effectivement, dans Wikipédia il n’y a pas de restrictions à l’usage commercial, ce qui permet aussi le succès, de la même façon qu’il y a ça dans le logiciel libre. C’est important de le préciser parce que les gens qui pensent aux licences Creative Commons, les licences Creative Commons permettent, pour certaines, des restrictions commerciales et d’autres pas. Wikipédia a fait le choix de Creative Commons Partage à l’identique, c’est, en gros, vous pouvez partager ce contenu mais sous les mêmes termes de la licence, vous ne pouvez pas retirer des libertés et vous pouvez partager quelles que soient les conditions c’est-à-dire en modifiant, en refaisant un mashup comme tu le disais, y compris en le vendant par exemple sur un CD, sur un DVD, etc. Et c’est le même choix qu’on a fait dans la radio : toutes nos musiques sont sous ce type de licence. Oui, Nadine.

Nadine Le Lirzin : Très important ça veut dire qu’on ne peut mettre sur l’encyclopédie que quelque chose dont on est l’auteur. On ne peut pas aller piller d’autres auteurs pour mettre leurs textes en ligne et les offrir au monde, même si on pense que ces textes sont merveilleux.

Frédéric Couchet : Même si on pense que c’est bien.

Nadine Le Lirzin : Voilà, exactement.

Frédéric Couchet : D’ailleurs ça me fait penser dans les fondamentaux, dans les principes fondateurs de Wikipédia, il y en a cinq, il y en a certains dont on a déjà parlé : le fait que ce soit une encyclopédie, le fait que ce soit publié sous licence libre. Il y en a un dont on n’a pas parlé mais dont on peut parler éventuellement maintenant, c’est la neutralité du point de vue. C’est-à-dire que les articles ne doivent pas promouvoir un point de vue particulier, mais on doit pouvoir présenter plusieurs points de vue, chacun étant libre de défendre plus ou moins fidèlement ses points de vue. Est-ce que c’est à peu près ça ?

Nadine Le Lirzin : Non. Ce n’est pas ça du tout, parce que c’est une encyclopédie, ce n’est pas une tribune. Ce n’est pas que chacun vient défendre ses points de vue, c’est que chaque sujet peut être abordé de différents points de vue.

Frédéric Couchet : De différents points de vue. D’accord.

Nadine Le Lirzin : On ne vient pas défendre les siens obligatoirement. On vient dans un esprit encyclopédique communiquer comment ces sujets ont été traités, sont traités actuellement par les spécialistes, par ceux qui, finalement, ont autorité, plus ou moins autorité, pour en débattre.
Sur les sujets d’actualité c’est vrai qu’on peut aussi avoir des contributeurs qui arrivent avec des idées très fortes sur ce qu’ils ont envie de faire passer, mais les véritables contributeurs, ceux qui sont là depuis longtemps, ceux qui restent, ceux qui vraiment le font dans un esprit de partage de la connaissance, finalement arrivent tous à la même conclusion à un moment, c’est qu’on est tous là pour la même chose. On peut ne pas être d’accord, on peut travailler, on peut, par exemple, être d’extrême gauche et travailler avec des gens peut-être d’extrême droite. On s’en fout d’ailleurs, ce n’est pas le débat. On ne vend rien en fait ! Si les gens sont tous de bonne foi, si vraiment leur but c’est de défendre une encyclopédie, de porter à la connaissance des choses qui aident les autres à réfléchir, qui aident les autres à avancer, à se faire une idée d’un sujet, il y a un respect qui s’installe, je dirais, entre contributeurs, peu à peu. Ce ne sont pas leurs idées qui passent. On arrive à un équilibre. Mais attention ! On parle beaucoup de consensus, ce n’est pas non plus une mollesse de point de vue, le consensus n’est pas quelque chose qui dissout tout. Le consensus se fait sur une base d’argumentation, de la littérature existante, les sources, la discrimination entre les sources aussi, c’est-à-dire qu'une source ne vaut pas une autre. Ça s’apprend peu à peu, il faut lire beaucoup, il faut être patient. Certains wikipédiens vont en bibliothèque. Moi je suis allée à la bibliothèque pendant des années. Je disais même : si vous avez quelque chose à vérifier sur tel ou tel sujet, je suis à la bibliothèque toute la journée, demandez-moi, je peux chercher n’importe quelle revue incroyable ou livre introuvable aujourd’hui, je vérifierai vos sources.

Frédéric Couchet : D’accord. Tu parlais de ces différentes personnes qui contribuent. L’un des derniers principes fondateurs dans Wikipédia c’est le savoir-vivre, dans ce projet collaboratif. Ça c’est un point essentiel parce que, comme tu le dis, les contributeurs, les personnes qui contribuent, viennent de profils très différents et, des fois, peuvent aussi avoir d’autres objectifs que la partie encyclopédie libre qui devrait normalement être, effectivement, l’objectif principal. Donc ce savoir-vivre il s’exprime comment en fait, ces règles de savoir.vivre ? Il y a des règles précises ? Comment ça s’exprime ?

Pierre-Yves Beaudouin : Tout à fait. Déjà il faut réaliser, par exemple, la Wikipédia en langue française donc la Wikipédia francophone c’est une petite ville, c’est 18 000 personnes, qui viennent forcément d’horizons très divers.

Frédéric Couchet : Tu dis que c’est une petite ville par rapport à, prenons les États-Unis. Est-ce que tu sais combien il y a de personnes qui contribuent ?

Pierre-Yves Beaudouin : Sur la Wikipédia anglophone ça doit être 50 000.

Frédéric Couchet : D’accord.

Nadine Le Lirzin : Elle est anglophone, elle n’est pas seulement américaine.

Frédéric Couchet : D’accord. Parce que 18 000 ça ne paraît pas forcément petit, mais bon ! Peut-être qu’à l’échelle de Wikipédia c’est petit.

Pierre-Yves Beaudouin : Je disais une ville de taille moyenne pour la France, par exemple. Du coup, forcément, comme les personnes viennent d’horizons différents, il peut y avoir un grand universitaire qui collabore avec un adolescent, par exemple, donc il faut tout un tas de règles. C’est vrai que l’aspect collaboratif est très important et malheureusement, on le voit régulièrement, il y a des bons wikipédiens qui seraient très utiles à l’encyclopédie pour partager leurs connaissances mais qui sont incapables d’accepter de collaborer avec d’autres personnes, qui essayent de s’approprier les articles. Donc il y a tout un tas de règles, d’us et coutumes qui se sont mis en place pour que les gens puissent collaborer et s’entendre même en étant très différents et de points de vue divers et variés.

Frédéric Couchet : Ce que tu dis est intéressant parce que c’est vrai que le fait de retrouver quelqu’un qui est un spécialiste, une personne qui est spécialiste d’un sujet, commencer à débattre, à discuter sur le contenu d’une page avec une personne qu’elle ne connaît pas, qui est peut-être jeune ou qui, peut-être dans son esprit, manque de connaissances, c’est une remise en question, en tout cas personnelle. Il faut pouvoir dialoguer ; on peut être très bien expert dans son domaine sans être capable de dialoguer avec les autres pour contribuer. Et Wikipédia c’est quand même une encyclopédie collaborative, libre mais collaborative. J’ai une question plus personnelle : comment vous êtes venus, vous, à Wikipédia. Nadine ?

Nadine Le Lirzin : Comment j’y suis venue ?

Frédéric Couchet : Qu’est-ce qui a été le déclic ? Tu t’en souviens ?

Nadine Le Lirzin : Mon horreur des fautes d’orthographe, je crois. Il me semble que mes premières modifications ça me démangeait de venir corriger. Je voyais une faute dans un texte, parce que je consultais déjà l’encyclopédie, bien sûr, elle était vraiment petite à ce moment-là, beaucoup d’ébauches, beaucoup d’articles très courts, mais ces articles très courts existaient, ils avaient ce mérite d’exister, on sentait quand même le potentiel qui était là. Oui, peut-être que c’est ça au départ. Et puis des références. Il se trouvait aussi qu’à l’époque je travaillais comme traductrice d’un grand érudit, donc j’étais plongée dans des domaines d’érudition qui étaient merveilleux, que je découvrais, j’apprenais chaque jour ; chaque page que je traduisais j’apprenais plus qu’en une année de fac. Et puis j’avais envie de transmettre, je me disais : mais c’est fou, parce que ça va être dans un livre, bon, je vais le traduire, qui va acheter ça ? Personne ! Ça ne va pas être lu, ça va s’empoussiérer quelque part alors que c’est formidable. Ah bon, cet auteur existait ! Etc. Enfin l’envie de faire connaître plus.

Frédéric Couchet : D’accord.

Nadine Le Lirzin : Et puis plus égoïstement, c’est assez valorisant en fait. On est content ! Même si c’est une petite chose, même si c’est un petit paragraphe, même si c’est une petite phrase, on est content de soi.

Frédéric Couchet : Que cette phrase soit sur l’encyclopédie, ça apporte une satisfaction personnelle et ça c’est essentiel.

Nadine Le Lirzin : Mais oui, c’est très important !

Frédéric Couchet : Bien sûr.

Nadine Le Lirzin : Et puis ça va peut-être être traduit d’ailleurs, parce que Wikipédia ce n’est pas en une seule langue, c’est mondial, donc peut-être qu’on va pouvoir ajouter une information à un article et puis ça va être traduit dans je ne sais combien de langues, des langues tellement rares qu’elles n’ont presque plus de locuteurs. On a quand même des Wikipédia formidables pour ça. Certaines Wikipédia, avec très peu de contributeurs, sont des réceptacles de la langue en ce moment. Il y a des langues dans lesquelles il n’y avait pas de dictionnaire écrit. C’est un travail de… ! Oui, je suis très admirative du projet.

Frédéric Couchet : Ça se voit.

Nadine Le Lirzin : Je n’ai pas perdu l’enthousiasme. Pour moi c’est une cathédrale, c’est un endroit où on est tous, on n’est pas anonymes entre nous parce que, finalement, on arrive à se connaître. C’est une ville de 18 000 personnes. Moi j’ai vécu en province en France, une ville qui faisait beaucoup plus d’ailleurs que 18 000, on arrive à connaître le monde. J’ai commencé sur l’encyclopédie en 2008 ; oui, on commence à connaître les personnalités, sans avoir besoin de connaître leur identité civile.

Frédéric Couchet : Exactement. Et Pierre-Yves, toi comment tu es venu à Wikipédia ?

Pierre-Yves Beaudouin : Moi je ne me souviens plus exactement, c’était en 2004, c’était durant l’été, au lieu de rédiger mon mémoire de DEA pour aller en thèse ensuite, je m’ennuyais et j’ai commencé à améliorer les articles d’économie, donc ma passion. Ce qui est marrant c’est qu’au départ je pensais ne pas avoir assez de diplômes donc je laissais des commentaires en page de discussion.

Frédéric Couchet : Pour qu’on comprenne bien, donc tu modifiais des pages où tu rajoutais en discussion ?

Pierre-Yves Beaudouin : Je suggérais des améliorations.

Frédéric Couchet : Tu suggérais des améliorations mais, ne te sentant pas suffisamment à la hauteur, tu les suggérais simplement en disant : quelqu’un d’autre de mieux placé que moi va intégrer ça dans la page principale. C’est ça ?

Pierre-Yves Beaudouin : Oui. Comme quoi la première étape c’est d’oser modifier une encyclopédie. C’est vrai que le terme, avoir appelé Wikipédia « encyclopédie » peut faire peur. Même en ayant bac + 5, je ne me sentais pas capable et avoir le droit de modifier ce wiki, qui était en libre accès, en plus.

Frédéric Couchet : Qu’est-ce qui a apporté le fait qu’à un moment tu t’es senti capable de modifier directement la page ? Est-ce que c’est parce que les gens ont mis en ligne tes propres modifications et t’ont dit : « Vas-y directement » ?

Pierre-Yves Beaudouin : Je ne crois pas. J’ai été bien accueilli et après, assez vite, j’ai vu qu’en fait j’étais plus diplômé et qualifié que les autres wikipédiens donc il fallait que je me mette à modifier, à améliorer l’encyclopédie.

Frédéric Couchet : D’accord.

Nadine Le Lirzin : C’est beau ce que dit Pierre-Yves parce que c’est une forme de respect aussi. Moi aussi j’ai beaucoup hésité. Au départ j’avais peur qu’on voie mon adresse IP.

Frédéric Couchet : Ton adresse IP c’est l’adresse de la machine depuis laquelle tu te connectes. Tu avais peur pourquoi ?

Nadine Le Lirzin : Parce que je n’avais pas choisi de pseudo, je n’avais aucune idée du pseudo à prendre d’ailleurs, et chaque fois que j’allais pour modifier, on me disait : « Attention, on va voir votre adresse IP » et là j’imaginais qu’on allait me tracer, qu’on allait savoir qui j’étais. Un jour j’ai finalement créé un compte avec un bon pseudonyme, mais je n’osais pas ! Ça a duré des semaines, je regardais, j’ouvrais, je voyais les articles après modification, je voyais l’apparence que ça avait en Wiki Code, parce que maintenant il y a un éditeur visuel. C’est quand même beaucoup plus facile.

Frédéric Couchet : On n’est plus obligé de saisir manuellement les codes wikis, pour modifier la page ; il y a un éditeur visuel qui permet par exemple de mettre en gras en sélectionnant le texte, en cliquant.

Nadine Le Lirzin : Comme si on était dans un traitement de texte un petit peu.

Frédéric Couchet : Exactement.

Nadine Le Lirzin : C’est devenu plus simple. Mais au départ on ouvrait et on voyait des signes un peu bizarres, un peu étranges. Moi je suis pas informaticienne du tout, je trouvais ça un peu étrange, alors j’observais, j’allais voir un autre article, je regardais comment c’était fait ; j’ai beaucoup hésité. Il y a une forme de respect du travail des autres, de ce qui est déjà écrit.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est très intéressant. On va justement essayer, après la pause musicale qu’on va faire, d’entrer un peu plus dans le détail pour les personnes justement comme toi, quelque part, qui se disent : j’ai un peu peur de modifier, d’utiliser ce fameux bouton « Modifier ». On va en parler un peu plus en détail juste après la pause.
On va écouter un groupe qu’on a déjà écouté dans l’émission mais qui a eu un grand succès, en tout cas vu les retours qu’on a eus. Le groupe s’appelle Ceili Moss et le titre s’appelle The next market day.

Pause musicale : The next market day par Ceili Moss.

Voix off :Cause Commune 93.1.

Frédéric Couchet : Vous êtes toujours sur Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 et sur causecommune.fm. Nous venons d’écouter Ceili Moss, le titre s’appelle The next market day et, si je me souviens bien, c’est un groupe belge qui lui aussi tourne, comme Demi-sel. Je vous encourage à aller les voir aussi sur scène.
Nous sommes de retour pour continuer notre sujet sur Wikipédia, toujours avec Pierre-Yves Beaudouin et Nadine Le Lirzin de Wikimédia France et on expliquera tout à l’heure ce qu’est Wikimédia France. On va poursuivre d’abord sur Wikipédia et ce fameux bouton « Modifier », cette crainte de vouloir contribuer à Wikipédia.
J’ai envie de dire, comment une personne qui est sur une page Wikipédia, sur laquelle elle peut se dire : tiens il y a des fautes d’orthographe, même s’il y en a beaucoup moins maintenant, évidemment, mais peut-être des améliorations à apporter, comment cette personne peut faire ? Est-ce qu’il y a des compétences particulières à avoir, techniques ou autres ? Comment on peut s’y mettre pour contribuer à Wikipédia ? Qui veut intervenir là-dessus en premier ? Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : Je vais commencer. Ce qui est conseillé quand on est un nouveau contributeur, c’est d’améliorer un article, ne pas commencer par créer un nouveau sujet. En fait, ce qu’il faut garder en tête, c’est que le travail d’encyclopédiste est un travail de synthèse. On ne veut pas l’avis des wikipédiens, s’ils sont fans de foot ou de musique ou d’extrême gauche par exemple, non ! Ils doivent synthétiser les ouvrages qui font référence ou les articles de presse qui font référence sur le sujet. C’est ça la principale qualité, en fait : savoir faire de la recherche bibliographique, faire le tri entre la bonne et la mauvaise presse, les fake news et le travail universitaire de qualité, et ensuite synthétiser l’information sans la plagier, c’est là où ça peut devenir complexe.

Frédéric Couchet : La difficulté, peut-être.

Pierre-Yves Beaudouin : Mais il faut bien savoir aussi que la communauté fait un effort pour documenter l’aide. Elle n’est pas forcément à jour – toutes les communautés du Libre ont ce problème –, mais il y a tout un tas de pages qui permettent d’apprendre à contribuer petit à petit à Wikipédia. Il y a aussi des vidéos ; au sein de l’association Wikimédia France on a fait un MOOC.

Frédéric Couchet : Un MOOC, c’est quoi ?

Pierre-Yves Beaudouin : C’est un cours massif en ligne [massive open online course], ce sont des sortes de vidéos interactives qui permettent d′en savoir un peu plus sur la façon de contribuer à Wikipédia.

Frédéric Couchet : C’est une formation en ligne à base de vidéos et d’autres outils. C’est ça ?

Pierre-Yves Beaudouin : Oui.

Frédéric Couchet : D’accord. J’en profite pour préciser que sur la page Wikipédia, comme tu le dis, en fait les premiers liens qui apparaissent ce sont des liens aidant à contribuer, soit en vidéo, soit en texte, les questions-réponses les plus fréquentes. Tout de suite on est dans le bain. Si on a envie de contribuer on va sur wikipedia.fr, on n’utilise pas un moteur de recherche pour rechercher quelque chose et arriver sur Wikipédia, on va tout de suite sur wikipedia.fr et ensuite on suit les liens qui permettent de contribuer. Je te laisse poursuivre.

Pierre-Yves Beaudouin : Oui, c’est la particularité. On essaye, même si on a un ratio très disproportionné entre lecteurs et rédacteurs de l’encyclopédie. Par exemple, à l’heure actuelle, en France il y a 30 millions de visiteurs uniques par mois et la Wikipédia francophone est constituée de 18 000 personnes. Mais la communauté essaye : idéalement on aimerait que chaque lecteur devienne aussi contributeur de l’encyclopédie. Donc on peut commencer juste par corriger des petites fautes d’orthographe ou des petites erreurs factuelles de dates, ou rajouter un ouvrage, mettre à jour l’article aussi. L’article peut avoir quelques années, peut commencer à vieillir ; il manque des informations sur la biographie de la personne. Un bon conseil, en fait, c’est de commencer par ses passions.

Frédéric Couchet : Les sujets où on se sent à l’aise, justement, pour pouvoir contribuer.

Pierre-Yves Beaudouin : Oui. Les wikipédiens estiment que tout le monde a quelque chose, a un savoir à apporter, soit du point de vue de sa formation, soit ses passions – si on fait de la guitare ou du chant ou on joue à un sport –, soit ses lectures, soit ses études, soit le village ou la ville où on a grandi, etc. Forcément on a quelque chose à apporter à l’encyclopédie. Maintenant il y a plusieurs millions d’articles déjà créés, donc vous trouverez forcément un sujet qui vous intéresse et sur lequel vous avez des choses à apporter et où vous êtes capable de synthétiser de l’information soit qui se trouve ailleurs sur Internet, si elle est sous licence libre vous pouvez carrément la copier-coller, si la licence est compatible avec celle de Wikipédia, soit, sinon, aller en bibliothèque pour synthétiser ces informations.

Frédéric Couchet : Avant de passer la parole à Nadine qui hochait la tête et qui, forcément, veut intervenir, je vais citer le cinquième principe fondateur de Wikipédia, je vais lire : « Wikipédia n’a pas d’autres règles que les cinq principes fondateurs énoncés sur la page. » Et ça se poursuit par : « N’hésitez pas à être audacieux dans vos contributions puisque l’un des avantages de pouvoir modifier Wikipédia est que tout n’a pas à être parfait du premier coup ». C’est le droit à l’erreur dont tu parlais tout à l’heure, Nadine.

Nadine Le Lirzin : Exactement. C’est très important. On ne peut pas faire de grosse bêtise, en fait, sur un wiki puisque dans l’historique on peut revenir très facilement à la version précédente ou encore celle d’avant. On ne fait rien d’irréparable. Si on vient et qu’on fait les choses de bonne foi, quelqu’un va venir derrière et améliorer ou donner un conseil. Il y a des gens de très bonne volonté. Par exemple il y a un service – service, je ne devrais pas dire ça – d’accueil des nouveaux.

Frédéric Couchet : Explique-nous ça.

Nadine Le Lirzin : L’accueil des nouveaux, ce sont des wikipédiens ou des wikipédiennes qui se proposent parrain, marraine des nouveaux, si vous avez envie d’être encadré, mais ce n’est pas du tout une obligation non plus. Le wiki est très transparent, c’est une société panoptique comme décrivait Foucault, c'est cette société où tout le monde peut voir tout le monde. Tout ce qu’on écrit est vu presque à la seconde ; dès qu’on appuie sur « Publier », quelqu’un regarde, peut-être ne regarde pas, on ne sait pas. On peut aussi travailler dans son coin et ne rien demander à personne, c’est tout à fait faisable. Mais on peut aller demander de l’aide et là il y a vraiment des gens de très bonne volonté. Ils font ce qu’ils peuvent dans les sujets qui les concernent ou qui les intéressent ou le temps qu’ils ont à y consacrer aussi. C’est du bénévolat, ça prend beaucoup de temps quand même.

Frédéric Couchet : Comment se passe cet échange ? C’est par courriel ? C’est sur des pages spéciales du wiki ?

Nadine Le Lirzin : Non. Tout se fait sur le wiki.

Frédéric Couchet : Tout se fait sur le wiki. D'accord.

Nadine Le Lirzin : Tout se fait sur le wiki. On peut passer par un échange plus privé, certaines personnes le font peut-être, mais non, tout se passe visiblement, soit sur la page de discussion d’un utilisateur, la page de discussion d’un article, le lieu de rencontre d’un projet. Vous pouvez, par exemple, vous intéresser à l’histoire militaire et puis vous retrouvez, je ne sais plus comment ça s’appelle, le bistrot de l’histoire militaire. Il y a quelques contributeurs-contributrices qui s’intéressent à ce sujet et qui seront ravis de vous accueillir si vous avez une passion pour ce sujet-là.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc c’est l’onglet discussion qu’il y a sur toutes les pages Wikipédia.

Nadine Le Lirzin : Surtout, ce qu’il faut savoir, c’est facile en fait. Il ne faut pas hésiter et on a tous quelque chose à apporter. L’histoire des sources, d’aller en bibliothèque, etc., il ne faut pas s’arrêter à ça, parce qu’on dirait qu’on sort de la faculté et puis qu’il y a un prof qui nous demande d’aller faire des recherches, je ne sais quoi. Ce n’est pas vrai ! On peut aussi avoir un monument historique dans sa commune de 200 habitants, la croix, le calvaire, je ne sais quoi, et qui n’est toujours pas illustré sur Wikipédia. On peut prendre la photo avec son téléphone, on essaie de la faire nette plutôt que floue, c’est mieux. Ça, ça va documenter, on a le droit ! On fait soi-même la photo, on a le droit de la poser. On a déjà moins le droit d’aller prendre un livre paru sur le sujet, de prendre la photo du photographe même si elle est magnifique, puis de la mettre ; ça on n’a pas le droit. On doit mettre des choses qui sortent de nous, mais ça peut être des très petites choses.
Je me rappelle d’un jeune garçon qui contribuait sur le catch et qui était dyslexique. Il avait vraiment un enthousiasme à communiquer ce qu’il savait sur le catch, ça le passionnait complètement. Il revenait sans arrêt, il fallait passer derrière lui, il fallait corriger, c’était un peu fastidieux pour ceux qui suivaient les articles, mais c’était merveilleux de voir à quel point son envie de partager passait au-delà de ce handicap qu’est la dyslexie. Tant pis ! Ça ne fait rien, c’est dyslexique, mais j’y vais parce que je veux trop le dire, il faut que je le dise.

Frédéric Couchet : D’accord. Là on est sur l’aide on va dire en ligne, la contribution en ligne. Est-ce qu’il y a des rencontres physiques entre wikipédiens et wikipédiennes, notamment en France ? On ne va parler que de la partie française.

Pierre-Yves Beaudouin : Oui notamment à l’heure actuelle. Au mois de mars il y a tout un tas d’activités parce que c’est le mois de la contribution francophone qui a lieu une fois par an au mois de mars. À l’heure actuelle il y a un peu plus de 50 ateliers de prévus dans 12 pays différents de la francophonie et notamment en France il y a énormément d’activités. Par exemple vendredi prochain, à l’Unesco, il va y avoir un très grand atelier pour un peu féminiser l’encyclopédie.

Frédéric Couchet : Qu’est-ce que tu appelles féminiser l’encyclopédie ? Féminiser les contributions ? Les personnes qui contribuent ?

Pierre-Yves Beaudouin : Il y a les biais dans les deux sens. Il y a le contenu : évidemment il y a moins de biographies, beaucoup moins de biographies de femmes que d’hommes, et aussi au sein de la communauté. Malheureusement, on n’a pas les chiffres exacts parce qu’on ne demande pas trop d’informations personnelles, on ne collecte pas trop de données personnelles sur les contributeurs ou contributrices, mais les chercheurs qui ont fait des sondages estiment autour de 15-20 % de femmes qui contribuent à Wikipédia, donc on aimerait un peu diversifier cela. Donc il y a tout un tas d’ateliers ; en France ces activités sont réunies sous le nom des ateliers Les sans pagEs qui ont lieu un peu partout en France, dans cinq ou six villes je crois, une fois par mois. N’hésitez pas à faire une recherche sur votre moteur de recherche préféré et à vous rendre dans ces ateliers. Ça permet aussi de rencontrer des wikipédiens, des wikipédiennes expérimentés, confirmés, qui vont vous aider, parce que des fois c’est vrai que les premières étapes peuvent être un peu plus compliquées ; on a toujours des questions et c’est une façon conviviale de rédiger des articles. Moi, le week-end dernier, je suis allé à un atelier, par exemple, pour rédiger Wikipédia.

Frédéric Couchet : Ce qui permet aussi une rédaction collaborative de visu en fait, dans la même pièce quelque part, ce qui complète la collaboration naturelle à Wikipédia sur le site. Ça ce sont des évènements physiques. Donc il y a des personnes spécialistes de Wikipédia, des wikipédiens et wikipédiennes, c’est comme ça qu’on les appelle, qui vont aider les personnes à faire quelque part leur première contribution ou des contributions plus importantes. Par exemple je suppose qu’il est plus difficile de créer une nouvelle page sur un sujet que de modifier une page qui existe déjà ?

Pierre-Yves Beaudouin : Oui. Ça je le déconseille vraiment pour les débutants, les grands débutants qui commencent à modifier l’encyclopédie, parce qu’il y a notamment ce qu’on appelle des critères d’admissibilité pour s’assurer la fiabilité du contenu de Wikipédia.

Frédéric Couchet : Explique-nous ça. Vas-y.

Pierre-Yves Beaudouin : En fait tout n’est pas autorisé, parce que, comme je le disais, c’est surtout un travail de synthèse. Donc s’il n’y a rien à synthétiser, là on va tomber dans ce qu’on appelle le travail inédit, la recherche originale, et, en fait, le wikipédien ne doit pas se substituer au journaliste ou au chercheur parce que, sinon, il n’y aurait aucun moyen de vérifier l’information. Ce n’est pas une encyclopédie signée, contrairement à Universalis où là c’est un spécialiste qui s’engage, qui engage son nom, sa notoriété, et il n’a pas forcément besoin de lister ses sources lorsqu’il rédige un article. Sur Wikipédia, en fait, vous allez tout en bas de l’article, il y a une grande section « références », qui permettent de vérifier toutes les informations qui sont contenues dans cet article.

Frédéric Couchet : C’est vrai que la base de sources est très importante et ça me fait penser aussi, tu parlais de biographie tout à l’heure, sauf erreur de ma part, on ne peut pas créer sa propre page pour faire parler de soi sur Wikipédia.

Pierre-Yves Beaudouin : C’est fortement déconseillé.

Frédéric Couchet : C’est fortement déconseillé. Je dis ça parce que j’ai eu des questions récemment me disant : pourquoi telle et telle personne n’ont pas de page ? Est-ce que la personne pourrait la créer ? J’ai expliqué : eh bien non, ce n’est pas le mode de fonctionnement.

Pierre-Yves Beaudouin : Ça étonne encore des gens. Mais si on pense plutôt à des politiciens ou des entreprises, on ne concevrait pas que Renault rédige la fiche sur son entreprise ou que Carlos Ghosn modifie lui-même sa biographie.

Frédéric Couchet : Justement. J’ai une petite question, je ne pensais pas en parler, mais comment est géré ce genre de cas où une entreprise, où un responsable politique tente, subrepticement, de modifier sa page en se cachant derrière un pseudo, mais dont l’adresse IP, en fait, révèle que, par exemple, c’est le siège de telle entreprise ou de tel groupe politique ? Comment c’est géré en interne ça ?

Pierre-Yves Beaudouin : Ça dépend du type de modifications. Si ce sont des modifications factuelles…

Frédéric Couchet : Je parle de modifications pas du tout factuelles, mais, au contraire, pour mettre en avant quelque chose ou, en tout cas, pour se faire de la pub ou autre.

Pierre-Yves Beaudouin : Souvent ça se passe mal parce que, déjà, ils ne maîtrisent pas les codes de Wikipédia ou même le style d’écriture. Souvent les services de communication de ces entreprises sont incapables d’écrire dans un style encyclopédique et vont forcément mettre en avant : l’entreprise est forcément première sur son marché ; on se retrouve avec plusieurs premiers sur le même marché, bien souvent. Donc c’est assez facile. Et en plus, on parlait du droit d’auteur, souvent ils se contentent de faire un copier-coller du site officiel de l’entreprise. Bien souvent ce sont des stagiaires à qui on demande, ce sont des petits jeunes qui viennent de débarquer dans l’entreprise à qui on dit : « Toi tu dois maîtriser Wikipédia donc tu vas te charger d’améliorer l’article. » Il y a aussi des points de vue. En fait ils n’ont aucune considération pour l’histoire, ils ne s’y intéressent pas du tout : même si l’entreprise a un siècle, ils vont virer toute la partie historique.

Frédéric Couchet : Ils vont carrément virer ! Ah oui, d’accord !

Pierre-Yves Beaudouin : C’est très facile à détecter, en fait, ce genre de modifications. Pareil pour les personnalités, ces articles sont très surveillés, ce qu’on appelle les biographies de personnes vivantes, parce que là c’est vrai qu’il y a beaucoup de problèmes de risques juridiques, de diffamation, tout ça, d’insultes. Donc ce qu’on appelle les patrouilleurs, ce sont des wikipédiens qui vont surveiller un peu l’encyclopédie en temps réel ; si on regarde, il doit y avoir quelques dizaines de wikipédiens bénévoles qui protègent l’encyclopédie parce que c’est un bien commun et, en fait, elle est vandalisée, soit du vandalisme bête et méchant, soit des gens un peu plus malhonnêtes, donc il faut protéger ce bien commun.

Frédéric Couchet : D’accord. Tu parlais des personnalités vivantes, je suppose que ça arrive aussi sur les personnalités qui viennent récemment de mourir et, si je me souviens bien, il y a un bandeau quand une personnalité vient de mourir, je ne sais plus quel texte est indiqué disant « faites attention, les pages vont être modifiées rapidement, il peut y avoir des choses fausses, etc. »
Le temps passe vite à la radio, ça me fait penser que tu viens de parler du mot important bénévole, mais il n’y a pas que des bénévoles. Je précise que vous êtes tous les deux bénévoles au sein de Wikimédia France. Justement, ça va nous permettre de parler un petit peu de la structure qui, entre guillemets, qui « gère », vous emploierez le terme que vous voulez, mais derrière en fait Wikipédia il y a aussi une fondation, donc Wikimedia Foundation US, et il y a des structures locales ; vous, vous êtes Wikimédia France. Deux questions : à quoi sert la fondation américaine Wikimedia et à quoi sert la version, on va dire française, Wikimédia France dont vous êtes respectivement président et secrétaire ? Qui veut commencer ? Nadine ?

Nadine Le Lirzin : Pourquoi pas. La fondation américaine gère les serveurs. Ça c’est une différence fondamentale. Ce sont des données énormes qui circulent sur toute la planète. Eux gèrent les serveurs.

Frédéric Couchet : Donc les machines physiques, les grosses machines physiques qui hébergent les données dans plusieurs coins de la planète.

Nadine Le Lirzin : Oui, exactement, qui sont des champs d’ordinateurs en fait, à droite, à gauche. Et les chapitres, ils appellent ça chapitres, enfin les associations locales sur la planète, soit géographiques donc nous Wikimédia France, ou bien des associations locales thématiques et puis plus transversales, qui peuvent aller d’un pays à l’autre, ça peut être sur un sujet, un thème, ces associations, en fait, demandent des subventions en quelque sorte, on va dire, pour fonctionner, éventuellement peuvent en obtenir de la Fondation. Et surtout, la première chose, c’est de montrer la participation qu’on a dans les projets pour obtenir le droit de s’appeler Wikimédia quelque chose : Wikimédia groupe d’utilisateurs, Wikimédia France, Wikimedia Deutschland, etc. Tout ce monde-là travaille aux mêmes choses finalement. La partie Fondation ou la partie associations n’ont aucune responsabilité éditoriale.

Frédéric Couchet : Ça c’est important de le préciser. Le contenu est produit par les wikipédiens et wikipédiennes.

Nadine Le Lirzin : Exactement. Finalement on n’a aucun droit. Si on est wikipédien soi-même, bien sûr on peut aussi écrire dedans, heureusement ce n’est pas interdit, mais on n’a vraiment aucune responsabilité là-dedans, et puis aucun mérite. Le mérite ce sont les wikipédiens, les wikipédiennes, ce sont ceux qui bossent tous les jours, les patrouilleurs, les créateurs d’articles, toutes les différentes catégories de wikipédiens, les correcteurs d’orthographe.

Frédéric Couchet : Avant de venir sur Wikimédia France, tu as dit que la Fondation Wikimedia gère les serveurs, mais elle gère aussi, je suppose, les problèmes juridiques, parce qu’il peut y avoir quand même pas mal de problèmes juridiques. Et c’est sans doute aussi un des rôles que joue Wikimédia France, parce que vous avez une équipe salariée à Wikimédia France, je ne sais plus combien de personnes mais tu vas me le dire, donc quel est le rôle de Wikimédia France à la fois sur les aspects juridiques, d’un point de vue accompagnement des personnes qui veulent débuter, et peut-être aussi des relations avec les pouvoirs publics notamment français ? Pierre-Yves Beaudouin.

Pierre-Yves Beaudouin : Le gros volet juridique, en fait, est géré par l’hébergeur, la Wikimedia Foundation, quand il y a des problèmes concernant le contenu hébergé sur les sites Wikipédia. Mais c’est vrai que l’autre aspect important, notamment de plaidoyer et de points de contact avec les autorités et avec le législateur, est assuré en France par Wikimédia France. Notamment il y a quelques semaines j’étais intervenu sur la directive européenne droit d’auteur.

Frédéric Couchet : Dans notre émission, je précise.

Pierre-Yves Beaudouin : En fait les affiliés, les organisations Wikimedia ont un rôle un peu de représentation. C’est vrai que, comme le rappelait Nadine, Wikipédia est un site autogéré qui fonctionne de lui-même, mais après il a fallu avoir un peu des représentants ou des personnes qui expliquent, qui permettent d’expliquer le fonctionnement de cette encyclopédie, notamment aux autorités. Donc c’est notamment mon travail au sein de Wikimédia France.
À l’heure actuelle on a neuf salariés qui montent des projets principalement dans deux axes, l’éducation et la culture, dans le but de favoriser la contribution, comme je le disais, que les internautes deviennent aussi acteurs et se mettent à modifier l’encyclopédie, soit un particulier de chez lui – on essaye de faciliter la contribution, notamment on a développé le MOOC qui s’appelle WikiMOOC –, soit les institutions, aussi, qui ont beaucoup de contenus soit dans le domaine public : on les incite à adopter les licences libres, comme par exemple les Archives nationales qui ont basculé il y a quelques années. Voilà ! On accompagne ces institutions parce que, même une fois qu’elles ont fait l’étape juridique, déjà convaincre leur département juridique et leur hiérarchie de choisir les licences libres, après il y a un besoin, quand même, de formation. Ce sont de nouvelles pratiques : le travail collaboratif, la contribution à Wikipédia ou aux autres projets frères du mouvement Wikimedia, donc elles ont besoin d’être accompagnées. C’est là où Wikimédia France intervient.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc vous accompagnez à la fois les personnes individuelles et les institutions françaises. D’ailleurs est-ce que vous ressentez un progrès de ce côté-là par rapport aux institutions françaises ? Pas une meilleure prise en compte mais une meilleure participation des différentes institutions françaises, que ce soit les bibliothèques ou autres ?

Pierre-Yves Beaudouin : Oui énormément. J’étais déjà président il y a dix ans et le plus frappant c’est dans le domaine de l’Éducation nationale. L’Éducation nationale voulait nous voir disparaître, essayait de faire l’autruche et ne pas parler de Wikipédia, pendant pas mal d’années. En fait, maintenant c’est incontournable : ils préfèrent encadrer l’usage de Wikipédia.

Frédéric Couchet : Notamment par les élèves dont je parlais tout à l’heure.

Pierre-Yves Beaudouin : On a notamment un projet avec notre partenaire du CLEMI dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information, maintenant ce sont les fameuses fake news, mais, en fait, ce travail existe depuis longtemps et cette problématique aussi. Donc on peut maintenant utiliser Wikipédia comme support pédagogique en fait, un peu plus sexy, qui devrait intéresser les jeunes pour les éduquer au traitement de l’information, à détecter des infox, etc. Il y a la même chose aussi dans le domaine de la culture. Et très récemment, par exemple, là je reviens à l’Éducation, il y a des parlementaires qui ont même proposé un « amendement Wikipédia » pour inciter les enseignants à contribuer, à faire contribuer leurs élèves et à enseigner Wikipédia. Et on n’était même pas impliqué, Wikimédia France n’était même pas impliquée dans cet amendement.

Frédéric Couchet : Ce n’est pas vous qui aviez suggéré cet amendement. Je suppose que c’était dans le projet de loi pour une école de la confiance. Ce qui est marrant c’est qu’on a le même retour d’expérience dans le logiciel libre parce qu’il y avait des amendements priorité au logiciel libre dans ce projet de loi qui n’étaient pas issus d’actions de l’April ou d’autres personnes ; c’était simplement des parlementaires qui ont compris, depuis quelques années, cette importance et qui ont donc déposé ces amendements. Malheureusement je pense que l’amendement Wikipédia a dû être retoqué, mais je précise que le projet de loi va arriver au Sénat très bientôt et que le Sénat montre des fois des capacités d’innovation et d’avancées beaucoup plus importantes que l’Assemblée nationale. On verra ça !
Le temps passe vite à la radio. Je vais relayer une question qu’il y a eu tout à l’heure sur le salon web. La question c’est : Wikipédia a-t-elle remplacé les encyclopédies papier ? D’après vous ?

Nadine Le Lirzin : Oui, probablement.

Frédéric Couchet : J’aurais tendance à dire, oui.

Nadine Le Lirzin : Oui. Il me semble d’ailleurs qu'au point de vue de la fiabilité, Wikipédia est finalement plus fiable. Il y a eu des études.

Frédéric Couchet : C’est un point important la fiabilité parce que ça a été souvent mis en cause.

Nadine Le Lirzin : Il y a eu des études très poussées et très étonnantes sur la Wikipédia anglophone, je pense par exemple au niveau de la médecine. La médecine, les articles de médecine, ça semble un sujet délicat, sensible, et on s’est aperçu, cette étude a montré qu’il y avait moins d’erreurs parce que, finalement, il y a une mise à jour continuelle des sujets, moins d’erreurs que dans une encyclopédie papier qui est figée. On pourrait dire sur des sujets plus littéraires qu’il y a moins de parti pris : puisque c’est écrit collaborativement, on n’a pas une personne qui vient et qui s’approprie un sujet. Lisez le Larousse du 19e siècle – je l’ai encore chez moi, je ne sais pas trop ce que je vais en faire – mais dans cette encyclopédie parfois certains articles sont vraiment à mourir de rire. On sent bien qu’il y a une personne qui l’écrit et personne n’est venu lui dire « Attends, tu as écrit n’importe quoi ». Donc oui, on remplace.

Frédéric Couchet : D’accord. Le sujet va se terminer parce que le temps passe. Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose peut-être pour encore plus encourager les personnes à devenir contributrices sur Wikipédia ? Nadine.

Nadine Le Lirzin : Moi je voudrais ajouter une chose. Bien sûr que le but et ce qu’on aimerait c’est que les gens contribuent. Il y a cet onglet « Modifier », je vous assure, modifiez, essayez de modifier, allez-y, vous avez tous quelque chose à apporter. Mais il y a aussi ceux qui resteront lecteurs et merci de nous lire. Merci, continuez à nous lire et on va continuer à bosser pour vous, mais soyez quand même bien conscients que cette encyclopédie est modifiable à tout instant. Gardez votre esprit critique. Nous, en tant que wikipédiens, on essaie d’avoir un esprit critique, on essaie de faire attention à nos sources, les comparer, les peser, et vous, en tant que lecteurs, votre mission c’est aussi de nous mettre en cause. C’est aussi de faire attention, de comparer, de revenir, d’aller dans ce bas de page, les références, et d’aller voir les sources finalement. Voilà ! Je crois qu’on a vraiment besoin d’esprit critique, tous ! Ça fait défaut.

Frédéric Couchet : D’accord. Pierre-Yves est-ce que tu veux ajouter quelque chose ?

Pierre-Yves Beaudouin : J'évoquerais peut-être un projet en cours qui destiné à mettre un wikipédien en résidence dans une institution culturelle, ça s’appelle Wikipédia en résidence. On est en train de faire un financement participatif pour financer un poste aux Archives nationales. Comme je l’expliquais, les Archives nationales ont énormément envie de collaborer avec les projets Wikimedia, mais ont besoin d’être formées, tout leur staff a besoin d’être accompagné dans ça. Donc voilà. On est en train de collecter de l’argent pour envoyer quelqu’un qui ne va pas être payé pour rédiger des articles de Wikipédia, mais qui va former le staff, l’équipe salariée des Archives, afin qu’ils le fassent eux-mêmes, notamment après le départ de ce fameux wikipédien en résidence.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc les Archives nationales à Saint-Denis ?

Pierre-Yves Beaudouin : À Pierrefitte.

Frédéric Couchet : À Pierrefitte, excuse-moi, c’est juste à la limite. Je précise que j’habite Saint-Denis, excusez-moi cette erreur. Effectivement c’est à Pierrefitte. Écoutez, merci Nadine Le Lirzin, secrétaire de Wikimédia France et Pierre-Yves Beaudouin président de Wikimédia France.
Nous allons faire une pause musicale. Le titre c’est Optimism, l’artiste c’est Minda Lacy. et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Optimism par Minda Lacy.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Vous êtes toujours sur Libre à vous! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et sur causecommune.fm partout ailleurs. Nous venons d’écouter Optimism de Minda Lacy ; c’est en licence libre également. Vous trouvez la référence sur le site de l’April.
Nous allons passer maintenant au sujet suivant : la première chronique de Noémie Bergez qui est avocate au cabinet Dune. Bonjour Noémie.

Noémie Bergez : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Ta première chronique va porter sur la notion d’originalité dans le droit d’auteur. Je te passe la parole.

Noémie Bergez : Exactement. Bonjour à tous. Effectivement cette première chronique est consacrée à l’originalité en droit d’auteur. Après une première présentation sur le droit d’auteur qui est une branche du droit de la propriété intellectuelle, nous nous attarderons un peu sur l’originalité en logiciel et nous finirons par quelques réflexions sur l’originalité en matière de logiciel libre.

Concernant le droit d’auteur. Le droit d’auteur c’est une composante du droit de la propriété intellectuelle. Il existe deux branches en droit de la propriété intellectuelle, la première qui est la propriété littéraire et artistique et ensuite nous avons la propriété industrielle. Le droit d’auteur se rattache à la propriété littéraire et artistique au même titre que les droits voisins du droit d’auteur, que les droits des producteurs. La deuxième branche est la propriété industrielle qui elle est composée du droit des marques, droit des dessins et modèles, droit des brevets.
Ces règles sont réunies dans le Code de la propriété intellectuelle qui est codifié depuis 1992.
Il faut savoir que pour le droit d’auteur il existait deux lois avant 1992, une loi de 1957 et une loi de 1985.

Plus spécifiquement concernant la protection par le droit d’auteur. Ce qui est vrai c’est qu’en matière de propriété industrielle, lorsqu’on veut protéger, par exemple en droit des marques, une marque, on va déposer une demande auprès d’un organisme. À la différence, en droit d’auteur, il n’existe aucune formalité, aucun enregistrement n'est nécessaire pour pouvoir bénéficier de la protection.
On a, dans le Code de la propriété intellectuelle, un article qui est L111-1 qui nous dit que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre du seul fait de sa création d’un droit de propriété incorporelle, exclusif et opposable à tous » et cet article est complété par un autre article qui dit que « l’œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur ». Ce qui signifie, en réalité, qu’il suffit qu’il y ait une forme, peu importe que l’œuvre soit achevée ou pas, mais on peut bénéficier d’une protection par le droit d’auteur si on a une forme.
Dans le Code de la propriété intellectuelle il existe des articles qui viennent un petit peu nous expliquer ce qui est protégé : « l’œuvre est protégée quels que soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » et on a aussi une liste qui est non-exhaustive d’exemples d’œuvres susceptibles d’être protégées. On va avoir les œuvres dramatiques, les compositions musicales, les logiciels. Ce qu’il faut savoir c’est que dans le Code de la propriété intellectuelle il n’existe pas d’article imposant une condition.
On a l’impression qu’il n’y a pas de critères pour que l’œuvre soit protégée ; en réalité il en existe un qui est une seule exigence, une unique, qui est l’originalité.

L’originalité on ne la retrouve nulle part dans le Code de la propriété intellectuelle, mais ce qui est marrant c’est qu’il y a quand même une référence qui concerne les titres des œuvres. L’article L112-4 dispose que le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’œuvre elle-même. Et c’est la seule référence qu’on retrouve dans le Code à la notion d’originalité. Ce caractère original a été en fait affiné, défini par les juridictions qui nous indiquent, pour les œuvres de l’esprit, que « l’œuvre est protégée si elle comporte l’empreinte de la personnalité de son auteur », ce qui signifie le reflet de sa personnalité, qui est un caractère extrêmement subjectif.

C’est vrai que par rapport à d’autres matières comme le droit des marques, j’ai indiqué tout à l’heure qu’il existait des formalités en droit des marques ou en droit des brevets, on peut trouver en droit d’auteur des moyens pour protéger un petit peu son œuvre : on pense notamment au dépôt du logiciel auprès de l’Agence pour la protection des programmes, l’APP, on pense aussi à l’enveloppe Soleau ; on peut aussi s’envoyer l’œuvre en recommandé en conservant le recommandé sans l’ouvrir.
Tous ces moyens ce sont des moyens qui vont permettre d’établir la titularité des droits, qui vont permettre d’établir la date de l’œuvre, mais en aucun cas ça ne va permettre automatiquement de bénéficier d’un droit d’auteur sur l’œuvre. Parce que c’est vrai que, finalement, ce sont seulement les juges qui sont en mesure de dire si l’œuvre est ou non originale.

En matière de logiciel, et là aussi c’est assez intéressant, parce que la notion d’originalité n’est pas exactement la même que pour les autres œuvres. En France, c’est la loi du 3 juillet 1985 qui protège le logiciel sous le bénéfice du droit d’auteur. Finalement, le législateur considère que l’originalité ne va pas résulter du seul genre de l’œuvre, c’est-à-dire que même si dans le Code de la propriété intellectuelle le logiciel est visé, il faut la condition d’originalité pour pouvoir bénéficier d’une protection. Ça, ça a été précisé par la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 mars 1986, où les juges ont jugé qu’un logiciel est original lorsque « son auteur fait preuve d’un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante » et que « la matérialisation de cet effort réside dans une structure individualisée ».

En fait, si on compare cette définition avec la définition de l’originalité qu’on a vue tout à l’heure, à savoir l’empreinte de la personnalité de l’auteur, on s’aperçoit que pour les logiciels la définition de l’originalité est assez différente et on ne retrouve pas l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

L’originalité est précisée également dans la directive du 23 avril 2009 pour les logiciels dans laquelle il est clairement dit « qu’un programme d’ordinateur est protégé s’il est original », on en revient vraiment à cette condition, « en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur » et « qu'aucun autre critère ne peut s’appliquer pour déterminer s’il peut bénéficier de la protection ».
Donc le programme d’ordinateur peut être protégé. Comme pour les autres œuvres, les idées, les principes ne sont pas protégés. Pour bénéficier de la protection sur un logiciel, eh bien on peut considérer que l’organigramme du programme va être protégé, le code source, le matériel de conception préparatoire peuvent également être protégés.

La question qui se pose c’est que généralement, quand il n’y a pas de difficulté, personne ne s’interroge vraiment sur l’originalité. L’intérêt de l’originalité va arriver au moment de litiges, puisque, quand on rédige des contrats de cession de droits d’auteur, des licences, la notion d’originalité n’apparaît pas dans ces textes. L’originalité va se poser dans le cadre d’un contentieux où un défendeur, généralement à qui on reproche une contrefaçon, va avoir à se défendre sur les faits qui lui sont reprochés, la contrefaçon, et va opposer comme moyen de défense le fait que l’œuvre n’est pas originale. Dans ce cas-là ça va être au demandeur, à celui qui est l’auteur, eh bien d’apporter la preuve devant les juges que son œuvre est originale. Ça fait partie des règles assez classiques en matière de procédure civile. Ce qu’on voit souvent c’est que l’auteur va devoir décrire dans ses conclusions, de manière très précise, en quoi l’œuvre, si on est en dehors du logiciel, « comporte l’empreinte de sa personnalité », ou, si on est dans le cadre d’un logiciel, eh bien en quoi « il a fait un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatisée ».
Ce sont vraiment ces descriptions qui vont être appréciées par les juridictions.

La question qu’on peut se poser c’est : est-ce qu’il faut spontanément démontrer cette originalité quand on saisit une juridiction ou est-ce qu’il faut attendre que finalement l’adversaire conteste l’originalité pour, éventuellement, avoir à s’en justifier ?
Là-dessus il existe un peu deux cas d’école. Parfois certaines juridictions vont dire que finalement c’est l’auteur qui se prévaut du droit d’auteur qui va devoir expliciter les contours de l’originalité, il est le seul à pouvoir le faire. Dans d’autres cas, les juridictions vont considérer que finalement, dans la mesure où l’originalité n’est pas contestée par l’adversaire, cette question n’a pas à être motivée dans la décision de justice, donc les juges vont passer outre et vont considérer qu’il n’y a pas de débat sur l’originalité puisqu’elle n’est pas contestée.

Ce sont les règles assez classiques qui s’appliquent dans le cadre de la procédure civile où, finalement, le juge va se prononcer sur tout ce qui lui est demandé et seulement ce qui lui est demandé. Il ne va pas interagir sur d’autres éléments hors du débat.

Ça m’amène justement à une réflexion en matière de logiciel libre puisque là, dans le cas du logiciel libre, on a un auteur qui décide de distribuer son œuvre sous une licence qu’il a choisie. La licence va définir les conditions dans lesquelles les autres utilisateurs vont pouvoir utiliser son œuvre. Il détermine, finalement, les droits d’auteur qui vont pouvoir être exploités par les autres utilisateurs.

Ce qui est intéressant c’est que les utilisateurs qui, finalement se soumettent à la licence en utilisant l’œuvre, eh bien on peut se poser la question : en cas de contentieux est-ce qu’ils seraient légitimes à contester l’originalité ? D’une certaine manière est-ce que, si on considère qu’il y a une violation de la licence, qu’ils n’ont pas respecté cette licence, on tomberait dans la contrefaçon et donc l’autorisation qui leur avait été initialement consentie tombe et est-ce qu’ils seraient en mesure, pour se défendre, de dire : eh bien non finalement il n’y a pas de contrefaçon parce que l’œuvre n’est pas protégée par le droit d’auteur ?
Cette question amène à réfléchir sur deux notions qui sont la responsabilité contractuelle, extracontractuelle. Les juridictions aujourd’hui sont de plus en plus concernées par cette vraie question juridique de savoir, dans le cadre d’une exploitation sur un logiciel où on a souvent des licences – c’est vrai que c’est une œuvre de l’esprit qui implique souvent la rédaction de licences et le fait qu’une licence ait été conclue – eh bien dans ce cas-là c’est vrai que les juridictions ne savent pas encore si elles doivent considérer que la violation de la licence tombe sous le coup de la simple responsabilité contractuelle où on est dans le cas d’un contrat qui n’a pas été respecté ou si on est vraiment dans la contrefaçon telle qu’elle est prévue par le Code de la propriété intellectuelle.

Dans certains cas c’est vrai que les juridictions ont bien dit que lorsqu’on avait à faire à des violations de licences, le débat sur l’originalité ne devait pas avoir lieu puisque, finalement, la question qui se posait c’était le périmètre du contrat et sa bonne ou mauvaise exécution.

Aujourd’hui on a un arrêt de la Cour d’appel de Paris d’octobre 2018 qui a saisi la CJUE, la Cour de justice de l’Union européenne, afin de savoir si le fait, pour un licencié d’un logiciel, de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence, est-ce que cela est constitutif d’une contrefaçon ou est-ce que ça peut obéir à un régime juridique distinct comme le régime de la responsabilité contractuelle ? La Cour de justice de l’Union européenne va être amenée à se prononcer sur cette question qui nous intéresse vivement parce que ça risque aussi de faire évoluer, justement, les difficultés qu’on peut avoir quand on est face à des contestations d’originalité alors même qu’il existe un contrat et que la partie s’est soumise à ce contrat.
Donc on attend avec impatience les suites qui seront apportées à cet arrêt.
Je vous remercie.

Frédéric Couchet : Merci Noémie. On attend évidemment cet arrêt de la CJUE en espérant que ça ne soit pas comme le dernier arrêt qu’on attendait, qui était sur les ventes forcées où la CJUE avait pris une position très surprenante.
En tout cas merci Noémie Bergez du cabinet Dune. J’en profite pour saluer Olivier Hugot, qui est également avocat et depuis très longtemps proche de l’April.

On va bientôt terminer l’émission. Je vais faire quelques annonces après un petit jingle musical.

Jingle musical, basé sur Sometimes par Jahzzar.

Nous approchons de la fin de l’émission. Je vais faire juste quelques annonces très rapides, mais des annonces importantes.
La campagne contre l’article 13 mais aussi l’article 11 de la proposition de directive droit d’auteur. Il y a de la mobilisation en cours, vous pouvez aller sur april.org, Wikimédia France et le site de campagne saveyourinternet.eu. On n’a pas encore de date du passage en séance publique mais probablement ce sera la dernière semaine de mars, sauf s’ils l’avancent à la semaine prochaine, à priori on saura ça demain. Voilà, la campagne contre l’article 13.
Également une autre campagne au niveau européen, la campagne contre la proposition de réglement terroriste/censure sécuritaire. Là vous allez sur le site laquadrature.net, donc le site de La Quadrature et nous aurons la semaine prochaine deux personnes de La Quadrature pour parler de ce sujet.
Dans les autres actualités un peu plus souriantes parce que là c’est pour défendre des libertés qui sont mises en danger, je vous rappelle que le Libre en Fête 2019 a commencé ce samedi 2 mars. Il se déroule jusqu’au 7 avril. Il y a déjà plus de 120 évènements référencés partout en France, donc vous allez sur le site libre-en-fete.net.
Je rappelle aussi que comme chaque jeudi soir à Paris, à la FPH dans le 11e arrondissement, il y a la soirée de contribution au Libre. Et tous les autres évènements vous les retrouvez sur le fameux site l’Agenda du Libre dont on a parlé la semaine dernière avec Emmanuel Charpentier donc agendadulibre.org.

Notre émission se termine. Je vais remercier toutes les personnes qui ont participé à l’émission : Xavier Berne, Pierre-Yves Beaudouin, Nadine Le Lirzin, Noémie Bergez.
Je remercie également Patrick Creusot à la régie, Charlotte Boulanger qui était avec lui. Je remercie également PG sur le salon pour les questions qu’il a posées et que j’ai relayées ici.

Vous retrouvez sur notre site web april.org toutes les références utiles concernant l’émission, la page va être mise à jour après l’émission pour rajouter des points.
On se retrouve, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, le 12 mars 2019. Notre sujet principal portera sur la proposition de règlement terroriste/censure sécuritaire avec nos camarades de La Quadrature du Net. Je vous souhaite de passer une belle fin de journée et d’ici mardi prochain portez-vous bien.

Wesh Tone par Realaze.

Règlement relatif à la prévention de la diffusion en ligne de contenus à caractère terroriste - Décryptualité du 4 mars 2019

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Nolwenn - Nico - Mag - Manu - Luc

Titre : Décryptualité du 4 Mars 2019 - Le règlement relatif à la prévention de la diffusion en ligne de contenus à caractère terroriste
Intervenants : Nolwenn - Nico - Mag - Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 4 mars 2019
Durée : 15 min
Écouter ou télécharger le podcast
Revue de presse pour la semaine 9 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Hourglass - Licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 2.5.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Dans la foulée de La Quadrature du Net, nous abordons le règlement relatif à la prévention de la diffusion en ligne de contenus à caractère terroriste

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 9. Salut Manu.

Manu : Salut Mag.

Mag : Salut Nico.

Nico : Salut Nolwenn.

Nolwenn : Salut Luc.

Luc : Revue de presse.

Manu : Oui. On a un joli sommaire. Sept articles principaux.

Mag : korii., « Alexa va-t-elle devenir un membre de notre famille ? », par Coralie Lemke.

Manu : Ça parle d’Alexa, l’enceinte intelligente, connectée, qui vous écoute en permanence. Effectivement, ça parle d’elle dans son rôle principal, au niveau de la famille.

Mag : Il va falloir qu’on leur explique ce qu’est réellement une famille, quand même.

Luc : Alexa est enceinte ?

Manu : Alexa ? Va savoir. Il y a eu un film et il est référencé dans l’article, qui parle de gens qui tombent amoureux de leur téléphone portable. Donc ça va dans cette direction-là !

Mag : BFMtv, « Grand débat : des algorithmes pour trier les préoccupations des Français », par Elsa Trujillo.

Manu : Ça parle du grand débat. Il y a eu plus d’un million de contributions, beaucoup trop pour qu’une ou deux personnes puissent les lire et les compiler. Ils sont en train de mettre des outils automatiques, donc des algorithmes, pour gérer un petit peu tout ça, en extraire des données. C’est toujours un peu compliqué et là, on aborde un peu le sujet.

Luc : Je suppose qu’on sait exactement comment marchent ces algorithmes !

Manu : Du tout ! Et justement, ça fait bien sûr partie du problème.

Mag : Numerama, « La réforme du droit d’auteur en Europe entre dans sa dernière ligne droite », par Julien Lausson.

Manu : Ça se passe mal. Il y a des articles qui ne nous plaisent pas dans le logiciel libre et en général sur l’Internet libre. C’est embêtant et on va devoir se battre encore pour éviter des lois liberticides.

Mag : InformatiqueNews.fr, « L’Unesco publie l’appel de Paris sur le code source ».

Manu : C’est en partenariat avec Software Heritage, donc des gens qui sont très intéressants, qui veulent conserver tous les logiciels possibles et imaginables pour le futur. Légalement ils ont surtout le droit de le faire avec le logiciel libre, ça nous arrange, parce que le logiciel libre on aime bien. Ils sont en train de constituer une grande bibliothèque d’Alexandrie de tous ces codes sources. Il y a un travail énorme, même l’Unesco s’en préoccupe.

Mag : Le Monde Informatique, « Les clouds providers sont devenus les moteurs de l'open source », par Matt Asay.

Manu : Le sujet est hyper-trollesque parce que ça met en avant les clouds providers, notamment les GAFAM, en impliquant qu’ils font des choses bien pour le logiciel libre, ils y contribuent et ils y travaillent beaucoup. Il y a une petite description des contributions qui sont faites sur les logiciels qui nous intéressent. C’est du troll énorme !

Mag : LeMagIT, « Open Core : Redis Labs en finit avec Apache et crée sa propre licence… non open source », par Cyrille Chausson.

Manu : Redis Labs je ne sais plus trop ce qu’ils font. Je crois que c’est un moteur d’indexation, un truc pointu, et effectivement ils ont arrêté d’utiliser une licence libre, open source, ils ont fait leur propre tambouille ; c’est un petit peu rageant. Ça parle de licences, de clauses, BSD notamment. Allez jeter un œil si ce sont des sujets qui vous intéressent.

Mag : Le Monde.fr, « En Suisse, on encourage les hackers à pirater le système de vote électronique », par Simon Auffret.

Manu : Un vote électronique c’est déjà embêtant au départ parce que c’est compliqué, c’est même impossible d’assurer l’anonymat et la sécurité ; tout ça c’est déjà mal démarré. Mais là c’est une bonne démarche, ils proposent d’essayer de hacker le système, de le pirater ; ce n’est pas bête.

Luc : Dans l’optique de voir s’il est solide, c’est ça ?

Manu : Dans l’optique de voir s’il tient le coup, effectivement, face à des attaques externes. On verra s’il en ressort quelque chose intéressant, notamment du logiciel libre un peu solide parce qu’il y a peut-être des moyens d’éviter quand même des gros problèmes dans le vote électronique parce qu’il est utilisé en Suisse et il va continuer de l’être encore quelque temps au moins.

Mag : Alors ce soir, Luc, on parle de quoi ?

Luc : Ce soir on va parler d’un sujet lié à l’actualité institutionnelle et européenne, non pas sur la réforme du droit d’auteur qu’on a déjà évoquée, mais sur un règlement contre le terrorisme et la propagande terroriste sur Internet. La Quadrature du Net1 a réagi là-dessus et cette disposition prévoit deux trucs.

Nico : En fait, la première chose, c’est ce qu'ils appellent l’autorité compétente ; en France ça risque d’être l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information] ou quelque chose dans ce goût-là.

Luc : Ou la police.

Nico : Ou la police, qui va notifier à un hébergeur ou à un fournisseur de contenus ou à un site internet en général, un contenu manifestement terroriste, eh bien on aura une heure pour le supprimer.

Mag : Une heure !

Nico : Oui, une heure !

Mag : Ce n’est pas beaucoup une heure !

Nico : Non, ce n’est pas beaucoup. Bien sûr les GAFAM et autres ne vont pas avoir trop de problèmes parce qu’ils ont des astreintes, ils ont déjà plein de gens qui sont opérationnels 24 sur 24.

Mag : Oui, mais nous, les petites associations on dort la nuit !

Nico : Les petites associations, les blogs personnels ou autres.

Manu : Les entreprises, la plupart des entreprises.

Nico : Elles ont des astreintes aussi, normalement. Mais bon ! Ça risque d’être compliqué encore pour les petits et, en plus de ça, ils aiment bien en ce moment tout ce qui est l’automatisation, donc il y aura un contrôle à priori des données : vous devrez avoir des algorithmes pour détecter du contenu terroriste et l’enlever avant même qu’il apparaisse ou pour interdire de republier des données suite à une suppression.

Nolwenn : Et les algorithmes en question, on a une idée de qui ou quand ou comment ils seront faits ? Par qui ? Pour quoi ?

Nico : Aucune idée. On risque encore de voir les mêmes revenir, parce que les GAFAM ont déjà des outils de ce type-là, plutôt accès pour la publicité ou des choses comme ça ou quelques petits mesurettes à droite à gauche. Mais il y a de grandes chances que ce soit eux qui vont encore développer ces outils-là. On verra bien, mais ça risque encore d’être du Google ou autres à fournir ces algorithmes.

Luc : On rappelle que les sites web utilisent beaucoup ce genre d’outils, notamment pour établir qu’on n’est pas un robot. Tous les machins où il fait cliquer les photos.

Mag : Les CAPTCHA.

Luc : Les CAPTCHA. On travaille pour Google à faire de l’identification sur ces photos-là. C’est typiquement ce genre de services qui, aujourd’hui, sont déjà très largement répandus sur énormément de sites internet.

Nolwenn : Il y a aussi un certain nombre de sites web, pour ne pas dire la majorité, qui utilisent tout ce qui est les Google Fonts, les Google Statistics et autres, ne serait-ce que pour mesurer leur trafic, avoir l'affichage des polices qui leur plaît, tout ça.

Luc : Là on parle de police de caractères, pas la police antiterroriste ! Quoique ça vaudrait peut-être le coup de créer une police qui s’appelle antiterroriste ! Comme ça on pourrait…

[Rires]

Manu : Donc les deux mesures c’est un, il faut retirer ce qui est manifestement terroriste en moins d’une heure et deux, avoir des algorithmes qui essayent d’automatiser l’impossibilité de publier.

Nico : C’est ça. Ça pose plein de questions. Ce sont des lames de fond qui existent aujourd’hui. Il y en a déjà eu avec les droits d’auteur, là avec le terrorisme ; ils aiment bien tout ce qui est contrôle automatique, suppression, et là surtout, le gros danger, c’est qu’on ne sait pas qui va demander les retraits. Le texte de loi est assez flou, c’est une autorité compétente.

Luc : À chaque pays de s’organiser comme il le souhaite.

Nico : À chaque pays de s’organiser un peu comme il veut. Qui ça va être ? Si c’est l’ANSSI on peut espérer qu’ils fassent bien leur boulot parce qu’ils sont quand même relativement indépendants et ils savent de quoi ils parlent. Mais si c’est à la discrétion du ministère de l’Intérieur ou de n’importe quel flic qui passe par là, qui a envie de supprimer un contenu, on ne sait pas trop ce que ça peut donner.

Mag : Tu veux dire que ça ne passe plus par un juge comme avant ?

Nico : Pas forcément, en tout cas. Après, chaque pays décidera. Peut-être qu’ils demanderont à un juge ou autre. Il y a quand même des espèces de gardes-fous en disant qu’il faut quand même un minimum de contrôle sur ce qui est censuré et que ce n’est pas censé remettre en cause la liberté d’expression – c’est répété pas mal de fois dans le texte –, ça doit être des mesures proportionnées, ça doit respecter la diversité et autres. Mais bon ! S’ils ont envie de nommer un dictateur à la place, pour cette autorité compétente, ils pourront très bien le faire.

Nolwenn : Mais justement, s’il y a ce système de mesure pour vérifier s’il y a du contenu qui fait l’apologie ou non du terrorisme, j’ai envie de dire dans quelle mesure est-ce qu’on a encore un minimum de liberté d’expression ? Parce que si on est journaliste indépendant, par exemple, et qu’on écrit sur le terrorisme, que ce soit les terrorismes actuels qu’on a eus récemment ou un autre type de terrorisme, qu’est-ce qui empêcherait la police de communiquer là-dessus et donc de prévenir les gens de se méfier ou autre ?

Manu : À priori il y a un mot clef qui est bien mis en avant et qui doit être assez clair c’est « manifestement ». Donc ce « manifestement », il faut vraiment que tout le monde soit d’accord sur le fait que le contenu ciblé, le contenu dont on a demandé le retrait, soit « manifestement » pro-terroriste. À priori il suffirait de quelqu’un qui dise : « Eh bien non, pour moi ça ne l’est pas », pour qu’on n’ait pas à le retirer.

Luc : Pas tout à fait, parce que ton « manifestement » ça reste une notion floue et on est bien dans un déséquilibre de la décision avec d’un côté une autorité qu’on suppose administrative parce que la mode n’est pas tellement, en fait, de passer par les juges, nos gouvernements n'ont fait que des lois qui passent par des trucs administratifs.

Manu : En plus un juge au milieu de la nuit ça va être compliqué !

Luc : Voilà ! Et puis il y a quand même un déséquilibre énorme entre quelqu’un, une institution, la police comme ça qui interdit et dans l’instant, dans l’heure, dans un instant extrêmement bref et quelqu’un qui est en face, qui n’a pas nécessairement les moyens – on va parler des chatons juste après – et qui du coup se dit : si je dis non à quoi je m’expose ? Je m’expose à des mesures de rétorsion de type saisie, etc., intimidation ; je m’expose à des procès qui vont durer des années et qui vont me coûter des milliers d’euros d’avocat alors que j’ai n’ai pas nécessairement les moyens si je suis un particulier ou une petite association. Donc il y a un déséquilibre de forces qui est énorme et des abus de pouvoir on en a vus un certain nombre. Pendant l’état d’urgence après les attentats du Bataclan, François Hollande et son ministre, je ne sais pas qui exactement, mais François Hollande s’en est vanté dans son livre, a fait assigner à résidence des écolos qui voulaient contester la COP21, d’ailleurs sans se justifier en disant juste « c’est l’état d’urgence, vous êtes assignés à résidence, vous ne sortirez pas ». Et puis dans les lois par rapport à ces questions de surveillance, on a la loi de surveillance, me semble-t-il, ou renseignement, qui permet d’espionner à peu près n’importe qui ; il y a une vague commission qui est censée encadrer le truc, mais qui est consultée à posteriori et qui donne vaguement son avis et, si elle n’est pas d’accord, on passe outre. C’est ce genre d’ambiance dans laquelle on navigue aujourd’hui.

Nico : On a vu récemment une affaire où un fab laf a été incendié. Il y a eu une revendication de postée sur un blog, un peu anarcho-gaucho-extrémiste, et tout de suite le gouvernement est arrivé en disant « c’est du contenu terroriste » avec notification, demande de suppression, etc. Et le site a dit : « Eh bien non ! » En plus c’était un peu un site de journalisme associatif, il a dit : « On ne peut pas retirer ça ». Du coup ça a été très loin. Même la CNIL, la personne qualifiée de la CNIL s’est portée caution pour eux en disant « je vais m’opposer à cette suppression-là ». Au bout de la bataille, effectivement, le juge a tranché : « Non, ce n’était pas du contenu terroriste », parce que ça ne rentrait pas dans les caractéristiques du terrorisme habituel. Mais il a fallu aller jusqu’à un juge.
La plupart des petits sites vont courber l’échine parce qu’ils ne voudront pas prendre le risque et les gros sites vont être noyés sous les contenus, il y aura toujours du contenu terroriste parmi l’intégralité de leurs données, donc ils vont bloquer plus que de raison parce qu’ils n’ont pas envie de se faire attaquer pour avoir laissé passer du contenu illégal.

Mag : C’est quoi du contenu terroriste ?

Nico : Il y a un article de loi, apparemment européen, qui définit ce qu’est le groupe terroriste. Il doit y avoir un certain nombre de critères ou autres. C’est vrai que c’est un terme qui est assez mal défini, qu’on a tendance à utiliser partout dès qu’on a des mesures un peu extrêmes. Effectivement, l’incendie d’un fab lab, ce n’est pas tous les jours non plus qu’on le fait, mais de là à ce que ça tombe dans le terrorisme ! Normalement il y a des notions de menaces de la population vraiment par la peur et d’essayer de faire passer ses messages par la peur ; ça reste vague et ça peut-être la porte ouverte à toutes les fenêtres.

Luc : Dans les trucs qui peuvent justifier la mise hors ligne des contenus, il y a cette idée de soutenir les actions terroristes, d’appeler à des actions terroristes, donc pour moi ça ouvre la possibilité à des tas d’interprétations. C’est-à-dire que si, par exemple, on conteste la façon dont la politique antiterroriste est menée, je pense toujours à notre état d’urgence où la police est allée défoncer les portes des fichés S pour retourner leur appartement et ne rien trouver ou presque, ce qui est, à mon sens personnel, totalement stupide et contre-productif.

Mag : Tu es un terroriste si tu dis ça !

Luc : Peut-être ! Oui ! À partir du moment où je conteste la politique, la façon dont elle est menée, peut-être qu’il n’y a pas un grand pas à franchir avant de dire que je suis moi-même terroriste.

Manu : Ceci dit, indépendamment de la définition exacte de ces termes et de la limite exacte, on est tous d’accord qu’un contenu qu’on trouverait, nous, pro-terroriste ou qui encourage ou qui fait un appel au terrorisme, on est tous d’accord qu’on ne voudrait pas l’héberger soi-même !

Luc : Non, bien sûr, bien entendu !

Manu : C’est important à expliciter ça, quand même ! Tu dis : « Attention, attention, il ne faut pas de lois antiterroristes ». On est d’accord qu’il est normal de retirer un contenu terroriste.

Nico : Les politiques jouent là-dessus, justement ; tout le monde sera d’accord qu’il faut absolument supprimer les contenus terroristes sauf que la définition de terroriste n’est pas claire ; les gens vont penser effectivement à Daesh, vont penser à l’attentat du Bataclan, vont penser à tous ces trucs-là. Mais il y a toute la zone grise où ça ne va pas être définissable. On a eu le problème de l’affaire de Tarnac où ça a mis dix ans avant de se décider : non, en fait il n’y a avait rien et pendant dix ans ils ont gueulé au terrorisme !

Mag : Ou Notre-Dame-des-Landes : les gens qui allaient manifester ont aussi été considérés comme des terroristes.

Luc : Combien de politiciens ont dit : « Terroriste, terroriste » à la première occasion en disant « vous faites ça », même sur les trucs de droit d’auteur. Il y a des gens qui ont été dire : franchement, les mecs qui piratent de la musique ou des films sur Internet c’est un peu des terroristes.

Manu : On avait un terme à une époque, parce que le concept est quand même beaucoup plus général, il date de loin, c’est « pédonazi », donc maintenant « pédonazi terroriste » ; ce sont vraiment des gens qui sont méchants-méchants, il faut les interdire.

Mag : Tu as oublié « porno » : « pédo porno nazi ».

Manu : Terroriste de Daesh.

Luc : Il faudrait un acronyme, c’est trop long.

Nico : C’est vrai qu’on est à peu près tous d’accord que si on voit une vidéo de décapitation de Daesh il va falloir la supprimer, mais ça va représenter un contenu qui est plus que minimaliste et en plus ces sites-là, généralement, sont planqués au fin fond d’Internet et de toute façon, si vous leur envoyez une notification, ils ne supprimeront pas.

Luc : Le truc c’est aussi que si c’est sur tes serveurs, que tu offres un service, et là je pense aux chatons2, on en parle régulièrement, c’est une initiative de Framasoft pour avoir des hébergements associatifs et éthiques, potentiellement n’importe qui peut venir sur ton hébergement et poster un truc comme ça. Mais si tu dois t’en rendre compte, toi, ça veut dire que tu surveilles ce que postent tous les gens Ça veut dire que tu as un boulot ! Tu es constamment en train de regarder tout ce qui se passe.

Mag : C’est impossible ; c’est totalement impossible !

Luc : Donc c’est impossible et en plus ça te met dans une dynamique assez différente. Ce que je trouve assez important aussi dans cette affaire c’est qu’avec cette histoire de contrôle automatique et cette contrainte de temps, ça veut dire qu’on favorise les GAFAM, encore une fois. On a vu sur la question de la réforme des droits d’auteur qu’en essayant de leur piquer du pognon on favorise les GAFAM parce que, finalement, on les met toujours au centre et là on favorise encore les GAFAM. L’État et le pouvoir en général d’un côté disent : « Ils ne sont pas gentils, les GAFAM ont trop de pouvoir », mais en même temps ils font tout pour qu’ils en aient de plus en plus !

Manu : Pour le coup, ça risque de s’étendre à plus que le terrorisme, parce qu’il y a d’autres sujets qui sont sur la table. Non ?

Nico : Il y a déjà un article de loi qui est en cours de préparation sur le pédopornographique ; ce sont à peu près les mêmes termes, c’est quasiment un copier-coller, on remplace terrorisme par pédopornographie et on retrouve la même chose : du contrôle, de la censure, des outils d’automatisation de détection. Voilà ! On est en train de tourner en rond entre droits d’auteur, terrorisme, pédophilie ; c’est ticket gagnant pour tous les politiques !

Luc : Vaste sujet épineux on a quand même la sensation et l’impression que ces sujets réellement importants sont instrumentalisés pour obtenir d’autres résultats. C’est ce que dit d’ailleurs La Quadrature. Le vote sur ce sujet se fait le 21 mars. La Quadrature du Net appelle à contacter les députés européens et on peut les appeler directement ou leur envoyer un mail sur leur page : il y a tout un élément qui permet de voir les 60 députés européens qui doivent se prononcer là-dessus. Donc allez-y, envoyez des messages, soyez polis, précis, fermes, et faites entendre votre voix. On se retrouve la semaine prochaine.

Mag : La semaine prochaine on va parler d’un sujet qui nous a été conseillé par Marcos.

Luc : Oui. Un auditeur qui nous a écrit, donc sur les données personnelles. Comment on peut gérer ses données personnelles, ce genre de choses. Donc merci à lui de son petit mail et de cette suggestion. On en parle la semaine prochaine.

Mag : Salut.

Nico : Salut. Bonne semaine à tous

Pourquoi une bibliothèque universelle des logiciels ? Roberto Di Cosmo sur RFI

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Roberto Di  Cosmo - Caroline Lachowsky

Titre :« Pourquoi une bibliothèque universelle des logiciels ? »
Intervenants : Roberto Di Cosmo - Caroline Lachowsky - Thomas Hervé Mboa Nkoudou en off - François Héran en off
Lieu :Émission Autour de la question - RFI
Date : septembre 2018
Durée : 48 min 30
Présentation de l'émission - Télécharger le podcast
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Photo prise le 13 janvier 2017, Encuentro con Roberto Di Cosmo: “Software Libre: Desafíos y contexto internacional” - Licence CC Attribution-NonCommercial 2.0 Generic
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Notre invité du jour, le chercheur en informatique Roberto Di Cosmo, s'interrogera autour de la question suivante : « Pourquoi une bibliothèque universelle des logiciels ? » Pourquoi une bibliothèque universelle (une bibliothèque d’Alexandrie) des logiciels ? Comment collecter, préserver et rendre accessible à tous, ce nouveau patrimoine commun de l’humanité ? Comment partager nos logiciels en toute liberté ? Avec Roberto Di Cosmo, chercheur en informatique détaché auprès d'Inria, directeur de l'initiative Software Heritage, professeur d'Informatique de l'Université Paris Diderot, et membre de l'IRIF [Institut de recherche en informatique fondamentale].

Transcription

Voix off : Autour de la question. D’où ça vient ? Qu’est-ce que ça va changer ? C’est pour qui ? À quoi ça sert ? Caroline Lachowsky.

Caroline Lachowsky : Bonjour. Ravie de vous retrouver chers amis auditeurs pour une nouvelle saison avec Hugo Violasse à la réalisation cette année, autour de toutes les questions qui nous animent. J’en profite pour vous remercier de votre interactivité et de votre curiosité. Nous ferons d’ailleurs encore plus appel à vous pour nourrir nos échanges. Je vous en reparle très vite, car nous sommes concernés et tous contributeurs aujourd’hui et c’est précisément cette réflexion qui a amené notre invité. Le chercheur en informatique Roberto Di Cosmo, ardent défenseur de la diffusion des savoirs, a initié une bibliothèque universelle des logiciels. Une véritable bibliothèque d’Alexandrie pour collecter, préserver et rendre accessibles à tous les codes sources de tous les logiciels disponibles dans le monde. Soutenue par l’Unesco, cette initiative essentielle, Software Heritage1, arrive à point nommé pour préserver et mettre en commun ce nouveau patrimoine de l’humanité. Autour de la question pourquoi et comment partager nos logiciels en toute liberté ? Bienvenue.
Bonjour Roberto Di Cosmo.

Roberto Di Cosmo : Bonjour Caroline.

Caroline Lachowsky : Merci d’être en direct avec nous. Vous êtes chercheur informaticien, professeur à l’université de Paris Diderot, détaché auprès d’Inria, l’Institut national de recherche en informatique, ardent défenseur des logiciels libres et de la diffusion de tous les savoirs. Vous êtes à l’initiative de ce fantastique projet de grande bibliothèque du code source, Software Heritage, inauguré à l’Unesco en juin dernier : la bibliothèque d’Alexandrie des logiciels a pour mission de collecter, d’organiser, de préserver et de partager tous les logiciels disponibles. C’est une initiative formidable, assez monumentale ; comment vous est venue cette idée Roberto Di Cosmo ?

Roberto Di Cosmo : Tout d’abord je vous remercie beaucoup Caroline de m’accueillir pour parler de ce projet ; c’est quelque chose que je trouve passionnant. Pour comprendre effectivement il faut que je vous dise comment cette idée est née. Je suis un chercheur en informatique, avec les gens qui travaillent avec moi comme Stefano Zacchiroli et d’autres personnes de mon équipe, je travaille sur l’analyse et l’évolution des codes logiciels. Il y a à peu près quatre ans on avait commencé un certain travail d’analyse sur des logiciels, qui avait l’air de fonctionner plutôt bien, et c’était tout naturel de se poser la question et de dire comment on peut faire ce travail-là sur tous les logiciels qui existent ? Donc on a juste commencé à chercher en se disant il doit bien y avoir un endroit dans lequel il y a bien tous les codes sources de tous les logiciels ; il y a sûrement quelqu’un qui y a pensé. Et on a bien cherché, on a bien cherché à droite, à gauche, on n’a rien trouvé et, du coup, on a pris conscience d’un problème qui est quand même incroyable, c’est-à-dire que l’informatique est une discipline qui a changé, transformé, révolutionné notre monde, il y a des logiciels partout, ils sont nécessaires pour communiquer, pour transférer, pour acheter, pour s’entretenir, pour tout faire – et ils sont assez récents, ça fait une cinquantaine d’années que les logiciels ont commencé vraiment à transformer notre monde – et pourtant, personne jusque-là ne s’est soucié de préserver ce nouveau patrimoine des connaissances technologiques.

Caroline Lachowsky : Un nouveau patrimoine de connaissances technologiques. Rappelons, on va y revenir, que les logiciels, les tout premiers sont toujours valables aujourd’hui. J’ai envie de vous poser la question : pourquoi maintenant ? Mais parce que maintenant peut-être qu’on est à une période charnière, justement, entre les débuts de l’informatique et puis cette croissance exponentielle des logiciels ?

Roberto Di Cosmo : Absolument. Donc là, quand on a commencé à regarder – le sujet est immédiatement devenu passionnant quand on s’en est aperçu – on s’est rendu compte qu’on est à un moment vraiment charnière, un moment particulier dans l’histoire de l’informatique, parce que les premiers informaticiens un peu modernes, ceux qui commencé à travailler avec des vrais ordinateurs, datent d’il y a un petit demi-siècle. Un petit demi siècle c’est beaucoup pour la vitesse d’évolution de l’informatique mais c’est très peu par rapport à l’histoire d’une discipline.
Donc on a une opportunité unique de pouvoir encore parler à la plupart des gens qui ont écrit les premiers logiciels, qui savent comment les logiciels qui ont fabriqué Internet, qui ont fabriqué le Web, qui ont fabriqué tout ça, ont été développés, pourquoi ils ont été faits de telle sorte ; ces personnes sont encore vivantes.

Caroline Lachowsky : Donc on peut aller les voir et on peut leur demander comment elles ont fait leur code et récupérer tous ces codes sources. C’est ça ?

Roberto Di Cosmo : On peut aller les voir. Exactement. Et ça c’est une opportunité unique parce que dans d’autres disciplines ! Je parle des mathématiques : moi j’aimerais bien pouvoir parler avec Archimède et lui demander pourquoi il a fait les choses comme ça, mais c’est un peu trop tard, il y a 2000 ans qui sont passés ! J’aimerais bien parler avec Leibnitz, avec Newton, avec Pascal, mais c’est un peu trop tard, ils sont déjà tous partis, alors que dans l’informatique l’essentiel des gens est encore là. Donc il y a cette possibilité de tout récupérer et, en plus, si vous regardez – on a des chiffres, on peut regarder comment ça fonctionne – aujourd'hui on voit que le développement des logiciels explose. Il n’y a jamais eu autant de logiciels qui sont développés. Donc non seulement on peut récupérer le passé, mais on se trouve aussi dans une phase où il est vraiment nécessaire de construire l’infrastructure de préservation pour s’assurer que demain on ne devra pas faire un effort inhumain pour récupérer des choses qu’on perd. Chaque année qui passe, la quantité de logiciels à préserver grandit et il faut s’y mettre tout de suite pour que la tâche ne soit pas infaisable.

Caroline Lachowsky : Pour collecter ce qui est fait et ensuite pour pouvoir les relire, si j’ose dire, sur tous les supports parce que cette question est là aussi, évidement.

Roberto Di Cosmo : Évidemment ! Et c’est très bien qu’on ait parlé de ça parce que vous voyez, on peut se poser la question et savoir : mais d’accord, mais les logiciels, moi je suis pas informaticien pourquoi ça devrait m’intéresser ? D’un côté, il faut savoir que les logiciels arrivent en deux fois : il y a les logiciels exécutables qu’on peut trouver sur son téléphone ou sur son ordinateur, qu’on utilise pour faire une tâche particulière, ça c’est bien, mais ces logiciels exécutables-là ne sortent pas d’un chapeau ; ils ont été écrits, et regardez, on utilise vraiment le terme « écrire un logiciel ». Les logiciels sont écrits par des développeurs, par des êtres humains, qui peuvent être des développeurs, des ingénieurs, des chercheurs, des hobbyistes, des personnes qui ont appris l'informatique toutes seules et qui écrivent ces logiciels dans ce qu’on appelle des langages informatiques. Ces langages informatiques et ces codes sources des logiciels sont une forme de connaissance spéciale parce qu’ils sont faits pour qu’un autre développeur puisse les lire, parce qu’on a besoin de les modifier peut-être dans une semaine, peut-être dans un mois, et peut-être que la personne qui va les modifier ça va être moi-même donc j’ai intérêt à ce que ça soit lisible. Et en même temps, ils sont suffisamment techniquement détaillés pour produire les exécutables qu’on utilise partout.
Donc nous on se focalise sur les codes sources et pourquoi les codes sources ? Parce que justement, comme ils sont faits pour être lus par des êtres humains, ils ont la propriété qu’on pourra toujours les relire et comprendre ce qu’ils font, même quand les machines sur lesquelles ils pouvaient s’exécuter n’existeront plus.

Caroline Lachowsky : Autour de la question. Pourquoi et comment l’heure est venue de collecter et de partager tous ces codes sources de nos logiciels en toute liberté ? Petit rappel historique et chronologique de cette informatisation de notre monde. C’est le mix forcément codé et programmé par Hugo Violasse.

Voix off : Le premier programmeur au monde est une programmeuse. Et ça, c’est l’histoire d’Ada Lovelace2 ; elle s’est passionnée pour la machine analytique. Dans une de ses notes, elle décrit l’enchaînement d’instructions qu’il faut donner à la machine pour réaliser une suite mathématique, mais pas seulement l’algorithme qui permet de réaliser cette suite, elle décrit jusqu’à la position des rouages. Et ça, traduire un algorithme dans une séquence d’instructions qu’il faut donner à un ordinateur pour qu’il le réalise, c’est de la programmation informatique.

— C’est incroyable ça !

— Ça c’est un ordinateur qui ne peut rien faire comme ça. Ce qu’on fait c’est qu’on prend une cassette et, à partir de là, cette cassette contient des programmes pour l’ordinateur et, vous avez vu, j’ai appuyé sur un bouton, j’appuie sur autre bouton et maintenant on va charger le programme.

— Ah ! Vous êtes le nouveau prof d’informatique, c’est ça ?

Voix off de Richard Stallman : J’ai décidé de porter la liberté aux utilisateurs de l’informatique. Le but est d’éliminer le logiciel pas libre et de le remplacer par du logiciel libre. Le logiciel privateur ne doit pas exister.

b>Voix off : Tant mieux, parce que moi, j’adore ça la liberté !

Voix off de Roberto Di Cosmo : Il n’y a pas un catalogue central de tous les logiciels ; nous utilisons tout le temps des plateformes diverses et variées, pour développer, pour distribuer.

b>Voix off : C’est là, à Alexandrie, qu'il met en place un projet qu’il a imaginé pour la Grèce c’est-à-dire réunir tous les savoirs du monde au même endroit. L’idée est magnifique, il faut juste la réaliser !

— Ouais, il n’y a plus qu’à réunir les gars maintenant.

Caroline Lachowsky : Il n’y a plus qu’à… Roberto Di Cosmo ; c’est vite dit sauf que c’est un travail de titan, monumental. Est-ce qu’on pourrait avoir une idée, après ce résumé de l’informatique au cours de notre siècle – on a même entendu Richard Stallman, celui qui nous met en avant les logiciels libres –, est-ce qu’on peut avoir une idée du volume de données monstrueux que vous avez à traiter pour cette bibliothèque universelle des logiciels ?

Roberto Di Cosmo : Effectivement, c’est une très bonne question : il y a combien de codes sources logiciels informatiques qui sont à l'extérieur. Je peux déjà vous dire ce que nous avons trouvé. Au bout de quatre ans de travail, parce qu’on a quand même commencé à travailler il y a un petit moment pour construire l’infrastructure.

Caroline Lachowsky : L’infrastructure de cette bibliothèque universelle des logiciels et commencé à les collecter ; c’est ça ?

Roberto Di Cosmo : Eh oui, exactement, commencé à les collecter. Parce que si vous voulez, d’une certaine façon, on a besoin de construire une infrastructure, un énorme aspirateur qui se connecte aux différents endroits de la planète dans lesquels on développe les logiciels, en particulier, en premier lieu, les logiciels libres, et qui les récupère avec toute leur histoire de développement. Donc on sait en détail quelle ligne de code a été rajoutée, par qui, à quel moment, pourquoi ; ça c’est vraiment passionnant et fascinant.
Là, aujourd’hui, on a déjà identifié plus de 80 millions d’origines à partir desquelles on récupère ces logiciels et après, en regardant ce qu’il y a là-dedans, on a trouvé plus de 4 milliards et demi de fichiers sources tous différents, parce qu’un même fichier source peut-être réutilisé à plusieurs endroits mais nous on ne le garde qu’une seule fois. Donc il y a plus de 4 milliards et demi de fichiers sources tous différents qui ont été développés. Dans notre bibliothèque, si vous regardez, le logiciel le plus ancien date des années 70, voire un peu avant, et le logiciel le plus moderne date peut-être d’hier, parce qu’on ne collecte pas seulement le passé, mais aussi tout ce qui se développe aujourd’hui.

Caroline Lachowsky : Vous m’avez montré sur votre ordinateur tout à l’heure le code source d’Apollo. Incroyable, avec des commentaires, en plus, Roberto Di Cosmo.

Roberto Di Cosmo : Absolument. Si vous regardez, dans cette énorme bibliothèque on trouve de vrais trésors. Un de ces trésors que j’adore particulièrement c’est le code source du système de commande de l’Apollo 11 qui a plusieurs particularités. Tout d’abord parce qu’effectivement, là on a mentionné Ada Lovelace, mais la personne qui a piloté l’équipe qui a développé ce logiciel s’appelle Margaret Hamilton]3 ; c’est une dame incroyable.

Caroline Lachowsky : Une femme informaticienne.

Roberto Di Cosmo : Une femme informaticienne qui a 82 ans aujourd’hui. J’ai eu la chance de la rencontrer il y a quelques mois lors d’une conférence internationale ; elle est toujours aussi brillante, aussi géniale que ce qu’elle était à l’époque où elle développait ces codes-là.
Donc on trouve de vrais trésors, parce que vous voyez, à l’époque, l’ordinateur de l’Apollo 11 c’était un ordinateur qui était très avancé pour l’époque mais qu’on programmait avec des langages informatiques qui étaient de très bas niveau, très proches de la machine. On souffrait beaucoup pour programmer tout ça donc on mettait énormément de commentaires. Les commentaires sont faits pour des êtres humains, pour leur dire « regarde, l'instruction suivante va faire telle ou telle autre chose ». Et dans ce qu’on a regardé ensemble tout à l’heure, il y avait justement un fragment du programme d’allumage des réacteurs de l’Apollo 11 qui est développé d’une façon un peu particulière. Du coup, les commentaires des développeurs sont géniaux parce qu’il y a un des développeurs qui écrit, qui reprend l’ancienne devise honni soit qui mal y pense, c’est-à-dire « ne pensez pas mal ; si on a codé comme ça c'est qu'on n’avait pas le moyen de faire mieux » et plus tard un autre qui écrit noli me tangere, « ne pas toucher si vous ne savez pas ce que vous faites ». Ça c’est une partie qui est super délicate dans les commandes de l’Apollo 11.

Caroline Lachowsky : Que ce soit pour l’Apollo ou que ce soit pour les commandes d’un avion, il vaut mieux ne pas toucher au code source !

Roberto Di Cosmo : Il vaut mieux ne pas toucher si on ne sait pas ce qu’on fait. D’accord ! Il faut un peu regarder.
Donc on peut encore relire tout ça et, en relisant ces codes, on voit vraiment une histoire passionnante. Et vous voyez, les instructions pour l’ordinateur vont finir dans l’ordinateur, mais les commentaires ne disent rien à l’ordinateur ; ils nous parlent à nous, ils nous racontent une histoire humaine. L’histoire de l’informatique est une histoire d’êtres humains, d’hommes et de femmes qui ont travaillé ensemble, qui ont passé des nuits et des jours de passion pour construire cette infrastructure logique qui change le monde d’aujourd’hui.

Caroline Lachowsky : Qui change le monde d’aujourd’hui !

Roberto Di Cosmo : Et c’est cette histoire qu’on veut construire.

Caroline Lachowsky : Voilà. Vous voulez construire cette histoire et vous nous montrez aussi que ces logiciels, ces codes sources, sont quoi ? Des sortes d’objets vivants, enfin sur lesquels on peut aussi travailler aujourd’hui encore.

Roberto Di Cosmo : Absolument. C’est tout à fait ça. C’est important de comprendre que les codes sources des logiciels sont des objets nobles. Ce sont des créations de l’esprit humain ; ils sont développés par des êtres humains et maintenant, comme la complexité technologique grandit énormément, très souvent ce sont des gros logiciels. Prenez les navigateurs internet comme Firefox, prenez des systèmes de base de données comme PostgreSQL ou d’autres, du traitement d’images comme Gimp, ce sont des logiciels qui font des centaines, des milliers, voire des millions de lignes de code. Une seule personne ne peut pas se permettre d’écrire tout ça toute seule, donc on écrit de façon collaborative et on travaille ensemble sur cet objet, sur des plateformes qu’on appelle souvent des forges logicielles pour travailler ensemble. Et c’est fascinant. Par exemple, si on veut comparer avec la littérature, le code source on l’écrit, on l’écrit comme on écrirait un texte, et là aussi c’est important de savoir pourquoi tel texte a été écrit de telle façon. Dans notre approche traditionnelle à la littérature, d’abord on sélectionne les livres qui sont importants et, une fois qu’on a trouvé un livre qui est important, je ne sais pas, de Zola, de Hugo, eh bien on passe des nuits et des semaines et des années avec des étudiants dans les bibliothèques à chercher les lettres, les notes, les brouillons de ces écrivains.

Caroline Lachowsky : Comment ont été écrits ces chefs-d’œuvres.

Roberto Di Cosmo : Pourquoi ils ont décidé d’écrire comme ça, etc. Dans le monde de l’informatique, pour les besoins de l’informatique, on garde la trace de tous ces développements au moment où on développe. Du coup, il y a peut-être des logiciels qui ne sont pas très intéressants, ce n’est pas grave, mais quand on a un logiciel intéressant, on a toute cette trace. Donc nous ne gardons pas seulement des codes sources mais aussi toute la trace de développement.

Caroline Lachowsky : La trace humaine derrière ! On reconnaît bien l’humaniste et informaticien que vous êtes, Roberto Di Cosmo, et vous avez choisi évidemment d’écouter Birdy sur RFI People Help The People.

[Pause musicale]

Caroline Lachowsky : Birdy sur RFI, People Help The People. C’est votre choix Roberto Di Cosmo et pour cause, l’entraide, le partage, c’est la source même de cette bibliothèque universelle des codes sources.

Roberto Di Cosmo : Vous avez raison Caroline, c’est un de mes moteurs intérieurs depuis très longtemps. À la fois comme enseignant en informatique, comme professeur d’université, comme chercheur, ma mission a toujours été de partager à la fois la connaissance et la passion pour la connaissance. Il ne suffit pas juste de partager les notions, il faut aussi partager la passion. Et là c’est une vraie passion de partager un peu cette histoire de l’informatique parce que, autant la plupart des personnes qui nous écoutent ne sont pas directement capables de lire un programme informatique aujourd’hui, autant dans quelques années — le travail qu’on fait c’est sur le long terme — la plupart d’entre nous seront capables de lire un peu le code informatique de la même façon que la plupart de nous sont capables, aujourd’hui, de faire un peu de maths, de faire un peu d’histoire, de faire un peu de philosophie ; petit à petit l’informatique entre dans les écoles.
Donc on construit cette infrastructure pas seulement pour aujourd’hui mais vraiment pour le futur, pour les générations futures.

Caroline Lachowsky : Pour les générations futures, pour qu’elles soient capables de revenir à la source, justement, de tous ces logiciels que nous utilisons et pour les générations futures sur tous les coins de la planète parce que vous qui êtes très sensible à ces questions de partage, de transfert, de diffusion des savoirs, comment faire pour que cette bibliothèque universelle des logiciels puisse être accessible à ceux qui en ont le plus besoin et je pense notamment au grand Sud, à nos auditeurs sur le contient africain, en Amérique latine, ailleurs que là où on pense qu’ils sont fabriqués ces logiciels.

Roberto Di Cosmo : Effectivement. Ça c’est vraiment la question de l’universitaire. Un des aspects magiques de l’information et de l’informatique, de l’Internet d’aujourd’hui, c’est qu’effectivement une infrastructure comme celle-ci, peu importe où elle est fabriquée, elle peut rendre un service à tout le monde sur la planète et il ne faut pas oublier qu’il y a quand même des tuyaux, des fois, qui ne sont pas si grands que ça donc c’est très important qu’il n’y ait pas une seule copie de cette bibliothèque.
Nous construisons ici, à Paris, ce projet magnifique de Software Heritage, mais dès le départ, dans notre tête, il y a eu cette idée de faire en sorte que, à terme, on arrive à avoir un grand réseau international de miroirs pour faire en sorte qu’il y ait une copie de tous ces contenus à différents endroits sur la planète. Pourquoi ? Pour rendre plus facilement accessible de l'endroit où l'on se trouve et aussi, éventuellement, pour adapter la présentation aux besoins des différentes personnes. Il y a des gens qui veulent faire de la recherche très avancée sur les contenus, ils ont une certaine infrastructure ; d’autres veulent juste le réutiliser ailleurs. Et il y a aussi un autre aspect, je vous le disais tout à l’heure : 80 millions de ressources en logiciels.

Caroline Lachowsky : C’est monstrueux.

Roberto Di Cosmo : C’est énorme ! Comment chercher dedans ce qui est intéressant. Donc là on essaie de nouer des partenariats avec des équipes de recherche, avec des entreprises, par exemple avec Qwant4 récemment, pour construire un moteur de recherche qui soit adapté au code source, qui facilite l’accès aux contenus pour tout le monde.

Caroline Lachowsky : Pour tout le monde et qui permette aussi — ce dont on parle beaucoup aujourd’hui ce sont les questions de science ouverte — que tous les chercheurs aient accès à cela. À ce sujet je vous propose, Roberto Di Cosmo, d’écouter l’éclairage d’un chercheur camerounais, Thomas Hervé Mboa Nkoudou. Il est doctorant en communication publique à l’université de Laval au Québec ; il est président de l’APSOHA, l’Association pour la promotion de la science ouverte en Haïti et en Afrique francophone ; il a beaucoup travaillé sur toutes ces questions de libre accès, sur les obstacles aussi à l’adoption de la science ouverte par les étudiants africains. Il réagit depuis Yaoundé, au Cameroun, à la création de cette bibliothèque universelle des codes sources de logiciels.

Thomas Hervé Mboa Nkoudou : En fait, pour moi, ça a toujours été très important cette idée d’ouverture et de partage de l’information et du code source ou de design qui existe. En tant qu’Africain et pensant à partir de l’Afrique, je dirais que c’est une grosse chance pour nous de pouvoir avoir accès à toutes ces données, de façon libre et de façon ouverte, parce que ça nous permet de contourner un certain nombre de barrières notamment financières. Pour moi c’est d’une importance capitale d’avoir accès aux codes.

Caroline Lachowsky : Vous avez même mené une enquête sur les obstacles, finalement, à l’adoption de l’open science notamment chez les étudiants en Afrique, en Haïti. Quels sont ces obstacles ?

Thomas Hervé Mboa Nkoudou : En fait, le projet SOHA5 est né du financement, d’aide du Canada qui visait justement à documenter l’invisibilité des chercheurs d’Afrique francophone et Haïtiens sur le Web scientifique. On se posait la question de savoir pourquoi avec tous les outils open qui existent aujourd’hui, ces Africains et Haïtiens sont toujours autant absents sur la scène internationale du savoir. Alors on a mené cette enquête-là qui nous a amenés vers neuf injustices cognitives. Nous les avons appelées des injustices cognitives, c’est-à-dire des obstacles qui nous empêchent de penser en tant qu’Africains parce qu’elle n’est pas forcément liée à nous, elle est quelquefois liée à la barrière linguistique, elle est liée à la barrière infra-structurelle, elle est liée à la barrière pédagogique… ; en tout cas il y en a neuf ; nous avons sorti un livre là-dessus avec mes collègues.

Caroline Lachowsky : Et vous avez l’impression que justement ces bibliothèques universelles du code source, cette manière de partager le patrimoine logiciel de l’humanité, ça peut être particulièrement utile pour lever ces obstacles, les injustices cognitives pour les chercheurs africains ou pour les étudiants africains et haïtiens ?

Thomas Hervé Mboa Nkoudou : C’est déjà un bon début, mais il faut se poser la question de savoir aussi dans quel sens ? Parce que le libre accès et l’ouverture aussi est un couteau à double sens. Parce s’il faut faire u peu une écologie du savoir sur le Web, on se rend compte que la majorité des savoirs disponibles proviennent d’une région du monde, notamment du Nord. Il faut donner aux Africains, donner aux universités africaines, aux institutions supérieures africaines, les infrastructures qui permettront aux chercheurs africains ou bien aux savants africains de générer la connaissance endogène.

Caroline Lachowsky : Merci infiniment. On va en reparler avec vous certainement sur notre antenne Thomas Hervé Mboa Nkoudou. Est-ce que vous auriez, pour terminer, une question à poser à notre invité, en studio avec nous, Roberto Di Cosmo ?

Thomas Hervé Mboa Nkoudou : Je ne sais pas quelles mesures ont été prises au niveau local, parce que l’Unesco c'est quand même une vraie puissance politique, ils peuvent vraiment faire avancer les choses au niveau africain. Donc j’aimerais bien savoir sur une structure au niveau du Cameroun, au niveau d’autres pays africains, quelles sont les dispositions qui ont été prises ? Parce qu’il est aussi vrai que l’Unesco, en tant que force politique, va peut-être s’arrêter au niveau étatique, au niveau exécutif, et l’information n’arrive jamais où ça devrait arriver, c’est-à-dire au niveau des étudiants par exemple, qui pour moi est la chose qui ferait changer les choses. Lors de sa présentation, qu’il nous présente un peu les dispositions pour qu’un étudiant qui n’est pas le neveu de tel ministre soit autant informé, autant impliqué dans la chose. C’est compliqué comme question, mais ce sont nos réalités.

Caroline Lachowsky : Que pouvez-vous répondre, Roberto Di Cosmo, à cette question compliquée mais bien réelle de Thomas Hervé Mboa Nkoudou au Cameroun ?

Roberto Di Cosmo : Effectivement. Il a soulevé tout un tas de questions. J’aimerais bien les reprendre dans un autre ordre.

Caroline Lachowsky : Volontiers.

Roberto Di Cosmo : Tout d’abord, ce qu’on appelle la science ouverte aujourd’hui m’appelle une petite réflexion. Vous voyez, à l’époque où moi j’étais étudiant, par exemple, je n’aurais jamais pensé à de la science fermée ; la science était naturellement ouverte. J’ai étudié à Pise qui était la patrie de Galileo Galilei qui est celui qui a créé la méthode scientifique – c’est ce que nous disons en Italie, je sais bien qu’en France on dit autre chose, mais l’important c’est que la méthode scientifique est là – et une partie essentielle de la méthode scientifique c’est la capacité pour d’autres de vérifier, indépendamment, ce que nous avons trouvé, nous, dans notre recherche.

Caroline Lachowsky : Donc la science, pour vous, était essentiellement, fondamentalement ouverte.

Roberto Di Cosmo : Fondamentalement ouverte parce que sinon ce n’est pas de la science. Comme disait Karl Popper qui est un épistémologue très influent du début du siècle passé, les occurrences non reproductibles n’ont pas d’intérêt pour la science. C’est nécessaire de pouvoir reproduire ces connaissances. Pour reproduire ces connaissances il faut regarder le monde d’aujourd’hui qui est un monde beaucoup plus complexe que celui de nos ancêtres il y a quatre ou cinq siècles. Vous avez des articles scientifiques qui décrivent ce qu’on a trouvé quand on fait de la recherche mais, très souvent aujourd’hui, quand vous regardez ces articles, un article vous dit que vous avez analysé un certain nombre de données, un certain jeu de données, que vous avez fait un certain type de calcul et que ce calcul a donné un certain résultat qui est le résultat scientifique. Je ne sais pas, par exemple 42. Eh bien si vous avez seulement l’article, vous n’avez pas les données, vous n’avez pas les logiciels avec lesquels on a fait les calculs, comment je peux bien vérifier, moi, que le résultat est bien 42 et comment je peux jouer avec pour apprendre des choses nouvelles, changer un peu les données, voir si le résultat reste toujours 42 ou si c’était un hasard, etc. ? Donc c’est vraiment nécessaire de rendre les articles scientifiques librement accessibles. Et là il y a une véritable barrière entre le Nord et le Sud qui vient du modèle de publication scientifique actuel qui est complètement inadapté au mode de transmission moderne dans lequel Internet permet de rendre les choses disponibles immédiatement, alors qu’on a bloqué tout ça derrière des barrières financières sur lesquelles il faudrait passer une émission entière.

Caroline Lachowsky : Oui, il faudrait passer une émission entière. Rappelons quand même que vous êtes un ardent défenseur des logiciels libres.

Roberto Di Cosmo : Et de l’open access.

Caroline Lachowsky : Et de l’open access et que vous avez tout de suite senti ces obstacles, ces dangers, cette fermeture.

Roberto Di Cosmo : Immédiatement.

Caroline Lachowsky : Une fermeture on va dire quoi ? Économique, du savoir, enfin vraiment on a fermé un outil qui était totalement ouvert.

Roberto Di Cosmo : Qui était totalement ouvert. Qui était censé être ouvert. Pour résumer en quelques lignes ma vision de ce qui s’est passé ; je suis suffisamment âgé pour avoir vécu la période avant Internet. Avant Internet, le mécanisme le plus efficace pour diffuser le savoir c’était effectivement de publier dans des journaux papier qui, après, étaient redistribués dans toutes les bibliothèques sur le monde ; il n’y avait pas d’autre solution.

Caroline Lachowsky : Or aujourd’hui, avec Internet…

Roberto Di Cosmo : Or aujourd’hui, avec Internet, cette façon de fonctionner est complètement obsolète ; on peut aller beaucoup plus vite. Mais si vous voulez, avant, l’économie d’avant Internet était une économie dans laquelle tout le monde trouvait son petit bénéfice : les chercheurs y trouvaient la façon la plus efficace de distribuer ; les bibliothèques avaient une façon de dupliquer les choses à un coût pas trop élevé ; les éditeurs se rémunéraient à côté. Aujourd’hui on est dans un monde dans lequel le travail habituel des éditeurs n’a plus de sens ; il faut distribuer plus facilement, plus rapidement, mais on a, entre temps, des entreprises milliardaires qui existent et qui freinent évidemment. Là il y a un changement de modèle économique ; ce changement-là n’a pas été complètement maîtrisé.

Caroline Lachowsky : Et en même temps, vous qui êtes un ardent défenseur de l’open access, des logiciels libres, pour monter cette extraordinaire bibliothèque universelle du code source, donc pour collecter et partager cette science informatique, vous avez fait une fondation et qui est-ce qu’on retrouve ? Certains de vos « ennemis » entre guillemets des GAFAM, des gros stores, des grosses entreprises informatiques qui, au départ, voulaient tout fermer et qui, en fait, se rendent compte que ce n’est pas possible.

Roberto Di Cosmo : Et là, si vous voulez, c’est quelque chose de fascinant ; vous avez raison de le rappeler. Il y a 20 ans j’avais écrit un livre6 qui était un peu au vitriol sur Microsoft. Vous savez des fois on dit : « Quand le sage indique que la lune, le sot ne voit qu’un doigt ». À l’époque j’étais très énervé contre un monopole complet sur la chaîne de l’information et il y a 20 ans, le monopoliste sur la chaîne de l’information s’appelait Microsoft. Si vous regardez, aujourd'hui ce ne sont pas tout à fait les mêmes.

Caroline Lachowsky : Aujourd’hui ce sont les GAFA.Ce ne sont pas tout à fait les mêmes.

Roberto Di Cosmo : Donc je ne suis pas très surpris de voir Microsoft qui devient plutôt partenaire en soutien. Je ne dis pas que tout est blanc, mais quand même, le monde n’a pas mal changé. Et effectivement on a besoin de contribuer à ce partage de la connaissance. Je reviens sur la partie science ouverte ; c’est important de partager les articles, c’est important de partager les données et jusque-là on avait un petit peu oublié que c’est bien d’avoir les articles et les données, mais si on n’a pas les logiciels avec lesquels on a fait les analyses, on est toujours incapable de reproduire le résultat scientifique.

Donc ce qu’apporte Software Heritage, dans cet éclairage-là, c’est une plateforme internationale pour partager les codes sources des chercheurs, des recherches et, avec ça, on commence à travailler avec le ministère de la Recherche ici en France, on commence à collaborer avec des entités internationales, parce que c’est la même infrastructure qu’on utilise aussi pour le patrimoine culturel, c’est le même tuyau, mais qui a une finalité importante pour le partage des connaissances.

Caroline Lachowsky : Et qui pourra donc être partagé sur la planète entière ?

Roberto Di Cosmo : Sur la planète entière.

Caroline Lachowsky : Dans le monde entier et réduire cette injustice cognitive dont parlait notre chercheur camerounais.

Roberto Di Cosmo : Absolument. Mais il y a une autre partie dans l’injustice cognitive dont il parle c’est effectivement le fait qu’il faut exposer plus souvent les chercheurs des pays émergents à des modèles, des connaissances et à des modèles économiques plus avancés, sur lesquels on commence à travailler maintenant.
Je reviens sur votre question sur Microsoft. Par exemple Microsoft, Oracle, ces entreprises-là, il y a 20 ans, ne juraient que par des logiciels propriétaires, fermés, et maintenant, si vous regardez 20 ans après, petit à petit, elles sont en train de prendre un énorme tournant, elles sont en train d’investir de plus en plus dans le développement des logiciels libres, elles contribuent aux logiciels libres. L’année passée Microsoft était le premier contributeur en logiciels libres sur la plateforme la plus connue qui s’appelle GitHub ; c’est étonnant mais en réalité c’est aussi naturel parce que la complexité des logiciels grandit à une telle vitesse qu’on ne peut plus se permettre de tout refaire tout seul et qu’il est nécessaire d’avoir des ingénieurs et des personnes qui connaissent bien ces logiciels ; et la meilleure façon de les connaître c’est de pouvoir mettre les mains dans le code source. Vous vous rappelez, c’est le code source qu’on peut lire en étant développeur.

Caroline Lachowsky : Donc mettre les mains dans le cambouis du code source, ouvrir le capot de la machine.

Roberto Di Cosmo : Dans le cambouis du code source, ouvrir le capot de la machine. Donc petit à petit les gens sont en train de migrer dans cette direction et c’est le même mouvement que vous voyez aussi dans ce mouvement de science ouverte ; on se rend compte que c’est important de partager parce que, comme ça, on construit plus, on va plus loin. Ce qui n’enlève rien, après, à la difficulté de valoriser la recherche scientifique, mais ça c’est un autre sujet.

Caroline Lachowsky : C’est un autre sujet. Autour de la question, « comment partager nos logiciels en toute liberté ». On s’interroge depuis la Jamaïque sur l’importance de partager avec Capleton sur RFI Never Share ; ça c’est politique !

[Pause musicale]

Caroline Lachowsky : Capleton sur RFI, Never Share. Et si on partageait justement, Roberto Di Cosmo, nos logiciels et nos codes sources dans cette formidable initiative que vous avez lancée, Software Heritage, la bibliothèque universelle, la bibliothèque d’Alexandrie des logiciels ? Au fond c’est un peu la question des communs, du patrimoine commun que vous relancez là. Je ne sais pas si c’est une forme de résistance, mais en tout cas c’est une manière d’organisation de nos communs et de ce nouveau patrimoine commun de l’humanité.

Roberto Di Cosmo : Absolument. Le cas des logiciels est vraiment fascinant. D’un côté ils sont relativement récents, de l’autre côté ils ont changé toute notre vie et d’un autre côté, si vous regardez même comment les modèles économiques dans le monde des logiciels ont évolué avec l’arrivée du logiciel libre. On est train d’apprendre petit à petit, ça prend du temps ; la définition du logiciel libre de Stallman date des années 80, donc on a une petite trentaine d’années de recul, pas plus, mais ça change vraiment, et on se rend compte que, des fois, il y a des biens communs qu’il faut nourrir, que le modèle économique on le construit au-dessus et pas en violant les biens communs : il faut les soigner.

Caroline Lachowsky : Ça veut dire qu'il faut réfléchir ; il faut vraiment changer de regard et commencer par voir ce qui se passe, et ensuite réfléchir : quel modèle économique est approprié à ces logiciels libres, à cette ouverture ?

Roberto Di Cosmo : Il faut changer de regard. Ça serait long à expliquer, mais disons que les dernières quarante années de l’histoire l’informatique ont été construites sur un modèle économique qui était basé sur la notion de vente de licences qui est une façon très bizarre de créer de la rareté. Une licence, c’est juste l’autorisation de faire une copie d’un logiciel qui existe déjà, qui a été déjà développé. Alors qu’en informatique il n’y a rien de plus facile que de faire une copie d’un logiciel et de le recopier exactement identique à l’original, comme dans tout le patrimoine immatériel.

Caroline Lachowsky : C’est-à-dire que le modèle économique n’est absolument pas adapté…

Roberto Di Cosmo : Ce n’est pas là qu’il y a la rareté. La rareté c’est la capacité de créer, de modifier, d’adapter, d’évoluer, d’installer, de tester, de fabriquer, de former, etc. Il y a plein d’autres raretés. C’est autour de ça qu’on a construit des modèles économiques beaucoup plus avancés, beaucoup plus modernes, beaucoup plus efficaces aujourd’hui ; mais ça demande vraiment un changement copernicien de regard sur les modèles économiques.

Caroline Lachowsky : À propos de ce changement, changement de regard, et puisque nous sommes une émission de science, on le sait bien la science avance beaucoup plus par collaboration qu’autre chose, mais enfin le fil est un peu tendu entre compétition et collaboration en science. À ce sujet, je vous propose un nouvel éclairage de chercheur ; c’est celui du démographe François Héran, professeur au Collège de France sur la chaire Migrations et sociétés.

François Héran : Ma position a toujours été d’ouvrir les données, le plus possible. Effectivement il y a un problème de propriété intellectuelle, c’est-à-dire que des gens qui se sont fatigués à répondre à des appels d’offre internationaux extrêmement complexes et qui ont eu du mal à nettoyer les données – c’est un gros travail – méritent effectivement, pendant quelques mois, d’avoir une priorité sur l’exploitation des données. Mais enfin, cette durée qui leur est accordée ne doit pas dépasser six mois, peut-être un an dans certains cas et, au-delà de ce délai, il faut vraiment que les données d’enquête – là je parle des données d’enquête qui est un domaine que je connais bien – soient ouvertes, soient accessibles. C’est important pour deux raisons parce que, d’une part, c’est de l’argent public la plupart du temps donc il faut que toute la communauté puisse en profiter et, de l’autre, il y a un grand principe en science, c’est la réplication des expériences. Il faut qu’à partir des mêmes données une autre équipe ait la possibilité de refaire des calculs, d’appliquer d’autres modèles pour vérifier si on obtient ou pas les mêmes résultats.
C’est absolument fondamental qu’une expérience scientifique – et une enquête est une expérience – puisse être répliquée librement sans quoi il n’y a pas de science.
Mais c’est vrai que la propriété intellectuelle, dans certaines limites, doit aussi, bien sûr, être respectée.

Caroline Lachowsky : Est-ce qu’on peut justement respecter cette propriété intellectuelle en science quand on monte, comme vous, quand on collecte, quand on organise comme vous, Roberto Di Cosmo, une bibliothèque universelle du code source en marche, enfin qui fonctionne pour les codes sources actuels aussi ?

Roberto Di Cosmo : Oui, effectivement. C’est une question qu’on s’est évidemment posée au moment de la création du projet. Le titre de Software Heritage c’est vraiment Software Heritage, tout notre patrimoine logiciel, tout, tout, y compris les logiciels qui sont potentiellement maintenant encore couverts par des propriétés intellectuelles particulières, des droits d’auteur qui empêchent de les distribuer.
On s’est posé la question de comment faire. Évidemment si on veut tout collecter, on a regardé et effectivement il y a deux types de difficultés : il y a des difficultés techniques, c’est-à-dire qu’il y a des logiciels qui sont difficiles à trouver, des logiciels qui sont faciles à trouver. Les logiciels les plus faciles à trouver ce sont ceux qu’on retrouve sur Internet ; les plus difficiles à trouver ce sont ceux qu’on retrouve dans des tiroirs, dans ces cartes perforées des années 50, voire sur un disque qu’on n’arrive plus à relire, donc il y a ces difficultés-là, ces difficultés techniques.

Caroline Lachowsky : Ce sont des difficultés techniques, mais il y a des difficultés juridiques aussi.

Roberto Di Cosmo : Il y a des difficultés juridiques, évidemment. Il y a un énorme pan de logiciels, la plupart de ceux qu’on a c’est dans cette catégorie, qui ont des licences, des droits d’auteur qui permettent de les copier, de les rendre disponibles ; là-dedans vous avez les logiciels libres, mais aussi d’autres types de logiciels. Après vous avez des logiciels qu’on appelle propriétaires, dans lesquels on vous empêche d’avoir accès au code source : on ne peut pas les lire, on ne peut pas les copier, on ne peut pas les réutiliser, mais on aimerait bien avoir ça aussi, alors comment on fait ?

Caroline Lachowsky : Et vous allez pouvoir l’avoir ? On pense à certaines grosses entreprises, Apple pour ne pas les citer, qui sont quand même les plus fermées du monde.

Roberto Di Cosmo : Mais là effectivement, on met en place des stratégies et c'est un peu la complexité de tout le projet qu’on mène qui n’est pas seulement une complexité technique. Donc pour tout ce qui est ouvert, facilement accessible, on veut tout automatiser, c’est ce qu’on en train de faire. Pour les choses qui sont encore couvertes par des droits d’auteur on a besoin de parler avec les gens qui ont cette propriété et de les convaincre, petit à petit, de les rendre disponibles.

Caroline Lachowsky : De l’importance de ce patrimoine de l’humanité et de pouvoir le relire, s’en servir, le réutiliser, le développer autrement ensuite.

Roberto Di Cosmo : Exactement. Faire en sorte qu’au moins il n’y ait plus la nécessité impérieuse de maintenir le code source secret, pour des raisons de business ou pour des raisons que vient d’évoquer votre invité maintenant, qui est le fait que pendant une période on a besoin de le garder secret pour le temps de travailler correctement dessus. Une fois que ce besoin a disparu, il faut que le code soit disponible. Là c’est un travail énorme, on ne le mène pas nous directement, mais on travaille avec des entités comme le Computer History Museum et d’autres qui vont faire un travail vraiment ponctuel d’aller discuter avec les entreprises pour rendre ce code disponible.
Une fois que le code est devenu disponible d'un point de vue juridique, nous on va l’insérer dans cette bibliothèque pour que tout le monde puisse y avoir accès. Et ce qui est important dans cette bibliothèque-là, qu’on est en train de construire maintenant, et à la différence avec les autres bibliothèques traditionnelles c’est que même si on veut que notre bibliothèque soit répartie un peu sur toute la planète, on veut que l’interface, pour les utilisateurs, soit toujours la même. C’est-à-dire qu’on puisse trouver le même catalogue, qu’on puisse utiliser le même outil de recherche.

Caroline Lachowsky : Où qu’on soit sur la planète ?

Roberto Di Cosmo : Où qu’on soit sur la planète, peu importe à quel miroir on puisse se connecter, pour donner une vision uniforme de l’ensemble du développement.

Caroline Lachowsky : Autour de la question comment partager nos logiciels en toute liberté, aller un petit clin d’œil à votre Italie natale, Roberto Di Cosmo, entre tradition et extrême modernité dans le patrimoine, du côté des Pouilles, la tarentelle est revisitée électro par le groupe Mascarimirì.

[Pause musicale]

Caroline Lachowsky : Mascarimirì sur RFI, quand la tarentelle, danse traditionnelle des Pouilles, nous met en transe électro sur RFI. Nous sommes en votre compagnie, Roberto Di Cosmo, autour de cette bibliothèque universelle des logiciels. Là aussi on est quand même entre, comment dire, entre tradition et modernité parce que l’analogie avec la bibliothèque d’Alexandrie a vraiment quelque chose à voir.
Vous l’avez dit au début de cette émission, nous sommes dans une période charnière où l’on peut retrouver, collecter, faire parler les premiers informaticiens, collecter tous les codes sources. La démarche fait aussi que vous devez parler à des informaticiens, à des bibliothécaires, à des industriels ; on a parlé de code source ouvert, open source, finalement c’est extrêmement large, mais il y a un lien entre ce qui se passait autrefois à Alexandrie et ce qui se passe aujourd’hui dans votre Software Heritage.

Roberto Di Cosmo : Effectivement. C’est bien de revenir sur l’analogie de la bibliothèque d’Alexandrie ; je l’aime beaucoup parce que très souvent les gens pensent à la bibliothèque d’Alexandrie comme à un endroit mythique qui, malheureusement, a brûlé. Nous on va essayer de faire le maximum pour que la nôtre ne brûle pas ; on essaye de faire des copies partout.

Caroline Lachowsky : Vous avez des copies partout dans le monde.

Roberto Di Cosmo : C’est sûr que si une copie brûle, il en reste quand même à un autre endroit. Une image que les gens n’ont peut-être pas, c’est qu’à l’époque de la bibliothèque d’Alexandrie ce qui se passait vraiment c’est qu’il y avait des savants qui étaient dispatchés aux quatre coins de la planète pour aller chercher les nouveautés, les papiers les plus importants, les copier, les ramener à cet endroit unique. C’est ça l’analogie que j’aime bien parce qu’en réalité on construit cet endroit dans lequel on rapatrie les nouvelles connaissances, les nouveaux codes sources qui sont développés un peu partout. C’est un peu le rêve : avoir cet objet central unique, mais qui est juste une archive, d’accord ? Pour développer on le fait ailleurs, mais dès qu’il y a quelque chose de nouveau, d’intéressant qui est développé, il faudrait qu’il arrive très rapidement dans cet endroit central où on peut chercher, où on peut observer. C’est une sorte de grande infrastructure, un grand télescope qui nous permet d’observer la galaxie des logiciels et le développement des logiciels.

Caroline Lachowsky : La galaxie du savoir. Vous avez parlé d’utopie, Roberto Di Cosmo. En même temps c’est une utopie que vous êtes en train de réaliser. Mais c’est compliqué, il faut du financement.

Roberto Di Cosmo : Absolument !

Caroline Lachowsky : C’est un projet très complexe, vous-même vous y passez votre vie, vos jours et vos nuits et vous n’êtes pas le seul ! Comment est-ce que vous avez fait pour convaincre des industriels, des informaticiens, des bibliothécaires, pour rassembler tout ça, pour monter ce projet, et qu’est-ce qu’il vous faudrait aujourd’hui ?

Roberto Di Cosmo : Merci super ! Effectivement, au moment où on a trouvé l’opportunité de créer ce projet-là, c’était tellement passionnant qu’on ne pouvait pas ne pas y aller. Donc il fallait absolument y aller, mais comment faire ? Comment démarrer quelque chose comme ça ? C’était clair qu’à long terme ce qu’on veut créer c’est une fondation internationale indépendante qui a comme seule et unique mission de maintenir cette infrastructure au service de tout le monde. Donc ce n’est pas une start-up, ce n’est pas une entreprise, ce n’est pas un projet de recherche qui dure quatre ans et après on passe à autre chose. Vous pouvez vraiment imaginer ça comme la création des réseaux des bibliothèques publiques à l’époque de Thomas Jefferson.

Caroline Lachowsky : Aux États-Unis.

Roberto Di Cosmo : Dans les années 1700, aux États-Unis, à cette époque-là. C’est passionnant mais comment démarrer ? Là je dois dire que j’ai eu, que tous les gens qui se passionnent pour le projet ont eu énormément de chance jusque-là. La première chose ça a été de rencontrer l’Inria ; je suis professeur à l’université de Paris Diderot, mais j’ai rencontré l’Inria qui est l’Institut national de recherche en informatique ; j’ai rencontré son PDG, Antoine Petit, qui est aujourd’hui président du CNRS. Et au moment où il assumait ses fonctions, je lui ai proposé cette initiative en disant « l’Inria, si elle veut avoir un impact sur la société, ça c’est une piste ». Et là, il a eu la capacité de décision, je ne saurais jamais comment le remercier assez, il a décidé d’y aller.

Caroline Lachowsky : On y va ! C’est monstrueux, c’est énorme, mais on y va !

Roberto Di Cosmo : Avec, après, toute l’évaluation qu’il faut, etc. Et effectivement, avec des moyens qui ne sont pas grands comme les grandes entreprises.

Ça c’était la première étape pour donner un socle qui est stable. Mais dès le départ la mission était de réunir sans exception le maximum de partenaires, parce que pour avoir du succès à long terme il faut trois éléments essentiels :

  • d’un côté de la bonne science et de la bonne technologie ; donc être en relation avec l’Inria et avec les autres académies c’est important ;
  • deux, les financements parce que ça coûte ; on a besoin de financements et ces financements doivent venir des entreprises comme celles qu’on a là, des mécènes qu’on n’a pas encore trouvés pour l’instant, je pense qu’ils vont venir bientôt, des institutions publiques, d'États, des gouvernements, un peu de toute la société civile ;
  • mais après on a aussi besoin, et ça c’est le troisième pilier qui est important, de la reconnaissance de l’importance du code source des logiciels dans notre patrimoine. Et ça c’est un travail qu’on fait vraiment au jour le jour avec l’Unesco pour rendre cet objet culturel qu’est le code source, noble, reconnu au niveau international.

Caroline Lachowsky : Merci infiniment Roberto Di Cosmo d’être venu en direct pour partager, justement, cette initiative incroyable, phénoménale, essentielle. Je rappelle que nous sommes tous concernés et au fond, tous contributeurs potentiels : Software Heritage, la grande bibliothèque universelle du code source des logiciels disponibles. Le lien est évidemment sur notre site et vous revenez, Roberto Di Cosmo, nous en parler, nous dire où en est ce projet. Merci à vous.

Roberto Di Cosmo : Merci à vous.

Voix off : Autour de la question sur Internet www.rfi.fr.

Caroline Lachowsky : Autour de la question c’est fini pour aujourd’hui. N’hésitez pas à nous réécouter, à nous podcaster à volonté sur le site de RFI et sur l’appli RFI Pure radio. Au plaisir de vous retrouver demain « Au-dessous du volcan » pour changer de regard sur les activités telluriques de la terre vues de l’espace avec Hugo Violasse à la réalisation et Caroline Fillette en coulisses. Merci de votre curiosité amis auditeurs. À demain. Dans quelques instants l’heure d’un nouveau journal.

Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 12 mars 2019

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Frédéric Couchet

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 12 mars 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Jean-Christophe Becquet - Arthur Messaud - Martin Drago - Étienne Gonnu - Louis-David Benyayer - Frédéric Couchet
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 12 mars 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc n’hésitez pas à utiliser votre navigateur web préféré, rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, et vous cliquez sur « chat ».
Nous sommes mardi 12 mars 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être un podcast ou une rediffusion.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, son délégué général.
En régie mon collègue Étienne Gonnu est présent. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Et je vous présenterai les invités suivants rapidement.
Le site web de l’April c’est april.org. Vous pouvez trouver d’ores et déjà une page consacrée à l’émission du jour avec les références que nous allons citer dans l’émission, car nous préparons les émissions ! Évidemment la page sera mise à jour après l’émission, avec les références qu’on aura citées au cours de l’émission. N’hésitez pas à nous faire des retours, nous indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Maintenant le programme de l’émission. Nous allons commencer dans quelques secondes par une chronique de Jean-Christophe Becquet, président de l’April, intitulée « Pépites libres ». Normalement Jean-Christophe est avec nous au téléphone. Bonjour Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour Fred. Bonjour à tous.

Frédéric Couchet : On se retrouve dans quelques secondes.
D’ici une quinzaine de minutes, nous aborderons notre sujet principal qui portera sur le projet de règlement terroriste/censure sécuritaire avec nos deux invités de La Quadrature du Net, Arthur Messaud. Bonjour Arthur.

Arthur Messaud : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Et Martin Drago. Bonjour Martin.

Martin Drago : Salut.

Frédéric Couchet : Et en fin d’émission nous aurons une interview de présentation de l’initiative Fund the Code! avec Louis-David Benyayer, initiative qui se déroule à Paris dans quelques jours.

Tout de suite place au premier sujet. Nous allons commencer par une intervention Jean-Christophe Becquet, président de l’April. Jean-Christophe a une chronique mensuelle intitulée « Pépites libres ». Aujourd’hui je crois que tu veux nous parler de la récente annonce de Flickr concernant les photos sous licence Creative Commons et autres licences libres. Jean-Christophe nous t’écoutons.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour. Vous recherchez une photo pour illustrer une présentation, un article en ligne, un flyer ? Depuis 2004, la plateforme Flickr offre à ses utilisateurs la possibilité de choisir une licence Creative Commons pour leurs images et cela représente aujourd'hui en 2019, plus de 50 millions de photos pour lesquelles les auteurs ont préféré une licence libre.
Le moteur de recherche de Flickr permet de sélectionner les photos sous licence libre, c’est-à-dire pour lesquelles la copie, l’utilisation commerciale et la modification sont autorisées. Cela recouvre trois licences Creative Commons : la CC BY avec 35 millions de photos, la CC BY-SA avec 21 millions de photos et la CC0, 1 million de photos. À cela s’ajoutent les œuvres du domaine public, encore 3 millions de photos. Alors la prochaine fois que vous aurez besoin d’une image, pensez à cet outil. Trouvez la photo qui vous convient, copiez-la, modifiez-la, intégrez-la dans votre composition mais surtout, n’oubliez pas de créditer l’auteur !
Les nouvelles conditions d’utilisation de la plateforme suite au rachat par SmugMug entrent effectivement en vigueur aujourd’hui. Certaines photos vont être supprimées sur les comptes qui dépassent les nouveaux quotas pour les utilisateurs qui n’ont pas souscrit à un abonnement payant. Mais la bonne nouvelle, c’est que l’entreprise s’est engagée à n’effacer aucune photo sous licence Creative Commons. « Nous voulons nous assurer de préserver ces œuvres […] pour quiconque pourrait en bénéficier » a déclaré Andrew Stadlen vice-président produit chez Flickr avant d’ajouter : « Nous savons que le coût de stockage et de diffusion de ces images est largement compensé par la valeur qu’elles représentent pour tout le monde ».
Cette décision est saluée par Creative Commons ainsi que par la fondation Wikimedia qui voit là : « une annonce fantastique pour celles et ceux qui s’intéressent à l’avenir de la connaissance libre ». Il existe d’ailleurs un outil sous licence GPL pour transférer des photos depuis Flickr vers Wikimedia Commons : Flickr to Commons.

Le Web fête aujourd’hui ses 30 ans d’existence. L’arbitrage de Flickr en faveur des images sous licence Creative Commons pour cette fois ne doit pas nous faire oublier les dangers de la centralisation croissante du réseau. Un moyen de contribuer à la pérennité des ressources libres consiste à les disséminer telles des graines de créativité qui ne demandent qu’à germer pour éclore sous la forme de nouvelles réalisations. Alors pour les faire vivre, devenons tous les acteurs d’un Web libre et ouvert : copions, partageons, adaptons et réutilisons, enrichissons, bref contribuons !

Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe. Peut-être pour préciser la décision de Flickr – on reviendra après sur la partie centralisation contre décentralisation –, si je comprends bien Flickr a annoncé récemment un changement dans son mode de fonctionnement, notamment d’abonnement, avec des quotas. Donc les personnes qui ne passaient pas à l’abonnement payant avaient jusqu’au 12 mars, aujourd’hui, pour supprimer des photos pour descendre sous un quota, je ne sais plus combien c’est de photos, combien de mégas, mais peut-être que tu le préciseras.

Jean-Christophe Becquet : C’est 1000 photos, je crois, par utilisateur.

Frédéric Couchet : Donc 1000 photos par personnes qui utilisait les services de Flickr. Il y a une exception qui a été mise en place suite visiblement à des discussions, on peut quand même supposer, avec l’organisation de Creative Commons. Flickr a mis cette exception, ça a été annoncé il y a trois semaines, un mois à peu près.

Jean-Christophe Becquet : Oui, c’est tout récent. La première annonce, en fait, ne portait que sur les photos mises en ligne avec des contraintes de date et là, récemment, ils ont élargi l’annonce en disant que quelle que soit la date de mise en ligne des photos, dès lors qu’elles sont sous licence Creative Commons, ils s’interdisent de les supprimer.

Frédéric Couchet : D’accord. Ça signifie pour les personnes qui utilisent Flickr aujourd’hui et qui ne souhaitent pas passer à l’abonnement payant et rester, ne pas subir ce quota, soit c’est de supprimer des photos, soit c’est d’en profiter pour diffuser leurs photos sous des licences libres Creative Commons, comme tu l’as dit, Partage à l’identique par exemple. C’est aussi une bonne occasion, peut-être, pour sensibiliser ces personnes au fait que quand elles mettent en ligne des photos, si elles ne précisent pas les conditions de réutilisation, les gens, par défaut, normalement n’ont pas de droit d’usage. Donc c’est important de préciser ce droit d’usage.
Ça se termine aujourd’hui 12 mars. Je suppose que c’est le 12 mars au soir que ça va se terminer.

Jean-Christophe Becquet : Oui. Je pense que les photos vont être effacées dans la journée, peut-être même avec un délai technique qui se prolonge dans les jours qui viennent. En tout cas l’entrée en vigueur des nouvelles conditions c’est aujourd’hui.
On peut se réjouir à double titre. D’une part parce que les photos existantes pour lesquelles les auteurs ont choisi des licences Creative Commons seront préservées, donc on a une pérennité de cette ressource de plusieurs millions de photos et, d’autre part, effectivement comme tu l’as dit, je pense que cette annonce aura des vertus pédagogiques et permettra aux personnes qui mettent en ligne des photos sur Flickr au moins de se poser la question de la licence et, du coup, d’aller voir. D’ailleurs Flickr n’est pas mal fait de ce point de vue-là : ils explicitent la signification de chaque licence et des différentes clauses des licences Creative Commons, donc on peut supposer que ça encouragera des personnes à faire le choix d’une licence libre. Effectivement c’est un paradoxe : souvent les gens partagent en ligne des photos, les mettent en accès public, et oublient que si elles ne disent rien, comme tu l’as dit, eh bien tout est interdit. Donc les licences libres dont certaines licences Creative Commons que j’ai citées, la CC BY, BY-SA, CC0, permettent explicitement de donner des droits d’utilisation, de copie, de réutilisation sur les images qu’on partage en ligne.

Frédéric Couchet : Important de préciser c’est y compris pour des usages commerciaux. Je le précise parce que dans le cadre de l’émission on diffuse des musiques qui sont sous ce type de licence. La pause musicale d’après c’est une artiste qui justement a écrit il y a quelques années un article pour expliciter pourquoi elle avait choisi ces licences Creative Commons, en l’occurrence elle c’est la CC BY avec réutilisation à usages commerciaux. Ce sont souvent des choses qui choquent les gens, en tout cas qui les questionnent. Les licences que tu as citées autorisent toutes la réutilisation pour des usages commerciaux. Ça c’est aussi important à préciser dans la réflexion.
Là on parle de Flickr, évidemment pour les personnes qui utilisent ce site c’est plutôt une bonne décision. Par contre ne peut pas s’empêcher de penser, de préciser quand même que l’annonce de Flickr, que l’engagement de Flickr, il n’y a que Flickr qui peut le tenir, on va le rappeler. C’est-à-dire que a minima les personnes qui utilisent ces services, on les encourage quand même à avoir une copie de leurs photos chez elles, c’est un minimum.

Jean-Christophe Becquet : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Après il y a d’autres services qui existent, par exemple tu parlais tout à l’heure de Wiki Commons. La semaine dernière on avait une émission sur Wikipédia. Effectivement Commons accueille aussi des photos libres, ce n’est pas forcément les photos de tout le monde. En tout cas, comme tu l’as dit, il y a des outils qui permettent de passer des images de Flickr vers Commons. Une façon aussi de disséminer et de garantir la pérennité de ses images, c’est de les avoir sur plusieurs endroits et pas simplement uniquement sur Flickr, d’autant plus si elles sont sous licence libre, les mettre sur d’autres sites, ça peut en plus enrichir les communs. Par exemple quelqu’un qui va prendre une photo très intéressante, qui peut intéresser Commons, libre à elle de la mettre éventuellement sur Flickr, mais on l’encourage aussi à la poster sur Commons pour enrichir un commun informationnel important et qu’elle soit en plus partagée partout, dans plusieurs endroits.

Jean-Christophe Becquet : Tout à fait.

Frédéric Couchet : On peut aussi espérer que dans les années à venir vont se développer des outils, on va dire d’hébergement de photos décentralisés sur le même modèle que, par exemple, Mastodon aujourd’hui est une version décentralisée qui permet d’échanger du microblog versus Twitter qui est une version centralisée. Aujourd’hui il y a des outils qui sont en cours de démarrage, par exemple PixelFed, mais je ne suis pas sûr de l’état de développement actuel de PixelFed, mais qui toutes utilisent en tout cas un protocole qui s’appelle ActivityPub dont on a parlé il y a deux émissions avec Stéphane Bortzmeyer.
Aujourd’hui on comprend que Flickr est un site assez incontournable pour beaucoup de personnes, mais on encourage les gens quand même à suivre ce qui se passe, notamment sur les outils décentralisés. Il y aussi, quand vous prenez par exemple un hébergement Web, vous avez sans doute des fournisseurs qui vous proposent d’installer une galerie de photos à base de logiciels libres. On encourage aussi les gens à aller voir du côté des Chatons de nos camarades de Framasoft, toutes les personnes qui participent au Collectif CHATONS, donc le Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires ; c’est chatons avec un s point org. C’est un ensemble de structures – l’April en fait partie ainsi que d’autres – qui proposent divers services : il y a des hébergements de fichiers, il y a des services de sondage et peut-être que certaines proposent des hébergements de photos permettant d’héberger aussi ses photos ailleurs que Flickr.
Je rappelle que l’engagement de Flickr, même si on peut le saluer, toute la décision de changer appartient à Flickr et donc, absolument, il faut ne pas dépendre que de cette seule décision. Justement, le fait que ce soit sous licence libre le permet en plus.

Jean-Christophe Becquet : Oui. Tout à fait. L’enjeu c’est vraiment la pérennité de l’accès à ses ressources. Utiliser la plateforme Flickr aujourd’hui, dans la mesure où la plateforme Flickr joue le jeu, ne me semble un mauvais choix, mais à la condition, comme tu l’as dit, de privilégier des copies multiples de ses photos, donc sur Wikimedia Commons lorsque la nature de la photo le permet. Wikimedia Commons n’accepte pas tous types de photos notamment les photos personnelles ou familiales n’ont pas leur place sur Commons. Par contre toutes les photos d’intérêt culturel, patrimonial, ont leur place sur Commons ; celles-ci peuvent être tout à fait dupliquées sur Commons. Ensuite, pourquoi pas effectivement, chercher d’autres hébergements sur lesquels dupliquer ses photos.
Le principal intérêt que je vois aujourd’hui dans la plateforme Flickr c’est le moteur de recherche qui, grâce au nombre absolument énorme de photos proposées, permet de trouver de photos libres sur à peu près n’importe quel sujet, comme je le disais en introduction, pour illustrer une présentation, un cours, un article. On peut aujourd’hui sur à peu près sur n’importe quel sujet ou lieu trouver des photos sous licence libre, évidemment avec une qualité qui est variable selon les photos, selon les auteurs, mais en tout cas personnellement en tant que conférencier, formateur, j’utilise Flickr comme ressource et j’y trouve souvent mon bonheur.

Frédéric Couchet : Écoute Jean-Christophe ça me paraît très clair. Je vais juste rajouter qu’à priori Flickr permet de rapatrier ses photos ce que ne permettent pas forcément tous les sites. N’étant pas utilisateur de Flickr je ne pourrais pas garantir que ça fonctionne absolument, mais en préparant l’émission j’avais vu qu’il y a des outils qui permettent de rapatrier ses photos, donc c’est plutôt une bonne chose.
Je vais préciser pour finir que sur le site de l’April, dans la page consacrée à l’émission, vous retrouvez les références, donc à la fois le communiqué de Flickr, le lien vers le moteur de recherche, les réactions de Creative Commons, l’outil qui permet de passer à Flickr à Commons pour un certain nombre de photos d’utilité publique ; tout ça c’est sur le site de l’April, april.org, dans la page consacrée à cette émission. Est-ce que tu veux rajouter quelque chose avant de conclure, Jean-Christophe ?

Jean-Christophe Becquet : Juste par rapport à ce que tu viens de dire, effectivement dans les références j’ai aussi mis le lien direct vers le moteur de recherche paramétré pour chercher uniquement parmi les photos sous licence libre. Donc il suffit de cliquer sur ce lien et de taper son mot clef ou son critère de recherche pour avoir immédiatement une recherche parmi les images de Flickr, uniquement celles qui sont sous licence libre et qui satisfont les conditions de réutilisation, d’utilisation commerciale et de modification.

Frédéric Couchet : Écoute Jean-Christophe, merci pour cette chronique et on va sans doute se retrouver le mois prochain pour la prochaine chronique.

Jean-Christophe Becquet : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Nous te souhaitons de passer une belle journée. À bientôt.

Jean-Christophe Becquet : Belle journée également. Bonne suite d’émission et rendez-vous en avril. Au revoir.

Frédéric Couchet : Au revoir. Nous avons parlé de photos libres ; nous allons passer une musique libre. L’artiste s’appelle Kellee Maize et le morceau s’appelle Yesterday.

Pause musicale : Yesterday par Kellee Maize.

Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1

Frédéric Couchet : Ça s’est coupé un petit peu abruptement, nous venons d’écouter Kellee Maize, le morceau s’appelle Yesterday. Comme je vous disais avant la pause musicale, cette artiste américaine a écrit un article, il y a quelques années, expliquant comment entrer dans le monde de la musique et l’un de ses conseils c’était de diffuser ses musiques sous licence Creative Commons BY, c’est à-dire Attribution. Évidemment la référence est sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio cause Commune 93.1 en Île-de-France et sur causecommune.fm partout ailleurs. Juste avant la pause nous parlions de photos libres. Maintenant nous allons aborder notre sujet long avec nos invités Martin Drago et Arthur Messaud de La Quadrature du Net. Rebonjour Martin, rebonjour Arthur.

Martin Drago et Arthur Messaud : Rebonjour.

Frédéric Couchet : Mon collègue Étienne Gonnu, en charge des affaires publiques, a pris place à la table pour animer cette partie de l’émission qui va porter sur le projet de règlement terroriste/censure sécuritaire. Je te passe la parole Étienne.

Étienne Gonnu : Merci Fred. Bonjour Arthur, salut Martin. Première question : est-ce que vous pouvez nous présenter rapidement ce qu’est la Quadrature du Net ?

Arthur Messaud : On va se répéter j’imagine. La Quadrature du Net est une association qui, depuis dix ans, lutte contre la censure et la surveillance sur Internet qu’elles viennent d’entreprises privées ou d’États. Pour faire large, ça a commencé avec les questions de droit d’auteur où on va vu les premières mesures de censure apparaître. Après, malheureusement, ça s’est étendu à des questions un peu plus tristes comme les mesures de réaction au terrorisme, aujourd’hui on va avoir la réaction à la haine ou au racisme en ligne. Des choses un peu moins fun que lutter contre ACTA ou lutter contre l’industrie musicale qui se mélange les pieds dans le tapis tout le temps. On va lutter entre autres contre le ministère de l’Intérieur et aussi contre les GAFAM qui, comme on va le voir, ne sont pas étrangers aux stratégies sécuritaires des gouvernements.

Étienne Gonnu : Tu voulais rajouter quelque chose Martin ?

Martin Drago : Non, Non. En ce moment peut-être qu’on essaie un peu plus de développer nos activités, enfin notre lutte un peu aussi sur les outils technologiques de surveillance dans l’espace public. Tout ce qui est reconnaissance faciale, micros, etc. C’est un peu un nouveau champ.

Arthur Messaud : Pas que Internet.

Martin Drago : Pas que Internet.

Étienne Gonnu : OK. Si vous suivez nos actualités à l’April vous voyez qu’on a effectivement des similitudes dans nos champs d’action. Tu parlais de droit d’auteur, nous on est effectivement très mobilisés sur la directive droit d’auteur. Je pense qu’on reviendra un peu plus tard sur nos mobilisations et je pense qu’il y a des problématiques très similaires, du moins dans les menaces qui nous sont portées.
Bien sûr si on vous a invités, si on a invité La Quadrature du Net, c’est sur cette mobilisation contre la proposition de « règlement relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne », on a un bel exemple de novlangue, et qui est discutée au Parlement européen en ce moment. Là on est vraiment dans l’actualité. D’ailleurs pour celles et ceux qui suivent nos actualités nous avions signé effectivement un de vos appels en décembre 2018 contre la censure sécuritaire, ce qu’est clairement ce texte-là.
Je pense qu’on pourra tous être d’accord pour dire que lutter contre la diffusion de contenus qualifiés de terroristes, que ce soit pour limiter la propagation, on va dire, d’appels à la commission d’actes dits terroristes du coup, ou simplement de préserver notamment les plus jeunes, on peut penser à l’exposition à certaines images très violentes, on peut considérer que, en soi, ce sont des buts légitimes de politique publique, des pouvoirs publics, mais souvent la question c’est comment on s’y prend, quelles sont les actions qu’on mène collectivement pour lutter justement sur cette problématique très complexe ? On peut se poser la question comment justement le règlement entend régler ces questions-là, adresse ces questions-là, et finalement pourquoi se mobiliser contre ce règlement dont on peut se dire qu’il porte des ambitions légitimes ?

Arthur Messaud : Peut-être pour recadrer vis-à-vis de l’actualité. Ce règlement a été proposé par la Commission européenne en septembre 2018. On reviendra un peu plus tard sur sa genèse et pourquoi, en fait, ce n’est pas du tout un hasard qu’il soit arrivé l’année dernière. Là, depuis septembre, le texte a été négocié assez rapidement. Aujourd’hui il est devant le Parlement européen et on a un vote, un premier vote décisif le 21 mars. Voilà ! C’est dans dix jours, donc on est en plein dans l’actualité. C’est un des textes qu’on a vu avancer le plus vite dans l’Union européenne : en septembre, il y a 8 ou 9 mois, et on va avoir un texte qui est potentiellement bouclé alors qu’il a des conséquences extrêmement vastes et que tous les parlementaires qu’on a rencontrés nous disent tous qu’ils sont incapables de travailler dans des conditions raisonnables vu les délais et les délais c’est quoi pour que tout le monde comprenne ? Ce sont les élections européennes qui arrivent et tout le monde veut boucler, tout le monde veut avoir son petit trophée, sa petite médaille à agiter au moment des élections européennes en mode « regardez, on a lutté contre le terrorisme – même si on a fait n’importe quoi et qu’on ne comprend pas ce qu’on a fait –, regardez comme on est sérieux et qu’on défend l’Union européenne. »

Étienne Gonnu : C’est sûr que l’héritage ! On le voit souvent ! Tu parles justement de la rapidité, effectivement, de la procédure. On peut préciser, parce que ceux qui suivent l’April savent que nous, par exemple sur la directive droit d’auteur, on arrive en plénière. Là, le vote le 21 mars n’est même pas encore à ce niveau-là, il est encore dans la commission JURI.

Martin Drago : LIBE.

Arthur Messaud : C’est LIBE [Commission des libertés civiles].

Étienne Gonnu : LIBE, pardon ! Oui, tout à fait.

Martin Drago : Mais c’est possible, il faut voir que c’est possible : le but du Parlement européen et de certains députés au Parlement européen c’est de le faire passer en plénière, c’est leur objectif, ce n’est pas sûr qu’ils y arriveront, mais leur objectif c’est de le faire passer en avril.

Arthur Messaud : Le 3 avril.

Martin Drago : 3-4 avril. En fait c’est incroyable d’avoir un texte présenté en septembre, adopté par les gouvernements en décembre et même pas quatre mois après en plénière ! C’est vraiment exceptionnel.

Arthur Messaud : Ça ne serait qu’une première lecture. On est habitué dans les processus législatifs au Parlement à une lecture, deux lectures. Là, contrairement à la directive copyright où on arrive plutôt à la fin du processus avec éventuellement une victoire plus ou moins définitive, le règlement terroriste, quoi qu’il arrive, même si dans le mois qui vient on arrive un peu à obtenir des choses, ça ne sera qu’une partie du combat et le combat va reprendre, en fait, après les élections européennes, donc en septembre. Tout ce qu’on vous dit aujourd’hui il faudra le ressortir, se remettre aux frais. En septembre on devra repartir lutter avec un Parlement européen dont on ne connaît pas la composition politique mais dont beaucoup craignent qu’elle soit encore plus à droite qu’aujourd’hui. Et ça c’est clairement inquiétant. Donc nous, si on peut s’offrir un peu plus de temps pour débattre sur un sujet aussi grave, si en septembre on peut avoir des débats qui prennent plutôt plusieurs mois et pas juste quelques semaines, on est ravis. Mais ça sera plutôt un Parlement de droite, éventuellement, ou un Parlement très pro-Macron. On ne sait encore pas du tout où est-ce qu’on en est.

Contrairement à la loi copyright on est encore beaucoup dans l’incertitude et le combat contre ce règlement a vraiment deux tons. Première tonalité c’est l’urgence et l’incompréhension et la deuxième ce sont des stratégies extrêmement dures à voir parce que c’est une confusion totale entre le Brexit – on en reparlera après, mais le Brexit vient semer une confusion pas possible là-dedans –, des députés qui ne savent pas de quoi ils parlent et on ne sait pas au final quand est-ce que ce texte sera adopté.
C’est vraiment un des sujets à La Quadrature, je pense, une des luttes qu’on a eues qui est la plus confuse et, en même temps, quand on regarde le texte de près, on en reparlera, la plus dramatique. Tout ça dans ce contexte électoral qui fait que c’est très difficile à la fois de mobiliser les députés et aussi la population. On en reparlera, il y a quand même énormément de luttes variées en ce moment.

Martin Drago : La plus compliquée aussi, parce que je trouve que c’est surtout le sujet en fait. On est souvent au Parlement européen avec Arthur et, en gros, le texte s’appelle « terrorisme » et pour combattre contre un texte comme ça c’est très difficile. Dès qu’on prend position contre un texte sur le terrorisme, du coup on peut être taxé de « en fait vous êtes pour les terroristes, etc. » Donc ça, ça rend les débats encore plus compliqués. Rassembler les gens pour lutter contre un texte qui, justement, devrait aider à lutter contre le terrorisme, c’est vraiment extrêmement complexe. Même les députés européens nous disent : « Ah, mais voyez », même ceux dont on aurait pensé le soutien nous disent : « Ah, mais là je ne peux pas vraiment pas voter contre un texte comme ça, c’est trop difficile. » Vraiment le prétexte utilisé par la Commission et les États membres qui poussent le texte, le prétexte du terrorisme, malheureusement il marche très bien et encore plus dans l’urgence des élections européennes qui arrivent.

Étienne Gonnu : Bien sûr, oui. Vous parlez du contexte. Je pense qu’il est intéressant. Moi j’ai quand même cette sensation que le prétexte on va dire terroriste, il y a quelques années on pouvait quand même encore entendre des personnes dire « on ne peut pas faire tout et n’importe quoi à condition de terrorisme, il faut quand même respecter l’état de droit, avoir des réponses proportionnées par rapport à la menace », là où j’ai l’impression qu’à l’époque de la loi copyright, quoi qu’il en soit, de toute façon comme il s’agissait de sauver les auteurs qui meurent de faim on pouvait tout se permettre, je pense que ça a bien évolué sur le droit d’auteur, mais en tout cas sur le terrorisme, clairement, il est très difficile d’entendre une voix divergente effectivement maintenant. Peut-être qu’il peut être intéressant aussi de voir que ce texte-là se situe à un niveau européen, je crois que la France, on pourra en reparler, a joué un rôle assez prédominant. Si on regarde notamment en France l’évolution des textes sécuritaires, depuis 2013 notamment, on avait déjà des prémisses avant, il y a quand même un contexte et une surenchère de textes sécuritaires qui font que est-ce qu’on est encore dans un État de droit — on parle d’ailleurs régulièrement « sécurité première des libertés » ? On est quand même dans un contexte assez particulier. Comment vous, vous ressentez ça notamment dans votre mobilisation, dans les contacts que vous avez avec les parlementaires et de votre expérience à La Quadrature du Net ?

Martin Drago : On était encore à Bruxelles la semaine dernière. C'est assez fou ! On souligne tous les dangers du texte, pourquoi il est inefficace, pourquoi il va détruire une partie du Web, de l’Internet décentralisé, etc. Moi ça m’a vachement surpris d’avoir plein de députés qui font : « Oui, mais en fait on ne peut pas ne rien faire ». Et quand on soulève ces difficultés, en fait on se rend compte qu’ils n’ont pas réfléchi sur le texte, mais que c’est juste le prétexte du terrorisme ; on sent qu’ils sont poussés de tous les côtés, ils ont peur pour leur réélection et ça marche très bien. En fait on s’est retrouvés devant des députés qui n’ont même pas réfléchi parce qu’on leur a dit « terrorisme » et du coup ils votent. Ça c’est assez incroyable à voir devant soi quand on parle.

Arthur Messaud : On en reparlera dans le détail aussi, mais je pense que le texte ne va rien changer contre le terrorisme. Il est complètement vide, il n’a pas du tout été pensé pour être utile, il a été pensé pour être un symbole. Nous, quand on explique ça aux députés, ils soufflent et ils sont là genre : « OK, peut-être que vous avez raison, mais imaginez qu’il y ait un attentat demain – c’est vraiment le truc ultra-classique – imaginez qu’il y ait un attentat demain, si mes électeurs voient que je n’ai rien fait pour éviter ça, on va me le reprocher. Donc il faut que je fasse quelque chose, même si c’est inutile, même si je sais que ça ne sert à rien. Si je ne fais rien ce sera encore plus grave que si je fais quelque chose d’inutile. »

Martin Drago : D’ailleurs en décembre, pendant le débat sur ce texte, le Parlement européen a adopté un rapport, ce n’est pas un texte législatif proprement dit, c’est juste « plein de bonnes intentions », on va dire entre guillemets, du Parlement européen sur le sujet du terrorisme. Dedans il y avait beaucoup de trucs problématiques dont déjà l’idée des filtres automatiques, on reviendra sur le détail du texte, filtres automatiques, quelques attaques contre le chiffrement parce que ça permettait aux terroristes d’échanger des messages, et le texte a été voté le lendemain de l’attentat de Strasbourg.

Arthur Messaud : Il a voté à Strasbourg.

Martin Drago : Il a été voté à Strasbourg. En plus ils ont voté alors que toutes les portes étaient fermées, etc. Ça montrait l’ambiance. Du coup c’était impossible de discuter sur le texte. Même nous, je crois qu’on a fait un article, mais c’est hyper-difficile et du coup tous les députés se sont couchés même s’il y avait des difficultés parce qu’il y avait un attentat en cours.

Arthur Messaud : Après, sur la façon dont le public reçoit ça, je pense que c’est assez variable. Si on remonte à 2013 tu disais, donc la LPM [Loi de Programmation Militaire] de 2013, après on enchaîne directement avec la loi renseignement où le gouvernement met en avant systématiquement des prétextes terroristes pour se donner plus de pouvoirs pour surveiller la population. Alors qu’évidemment, dès qu’on allait regarder dans le détail du texte, on voyait que le terrorisme n’était qu’une parcelle du texte, que la plupart du texte ne concernait pas du tout le terrorisme mais plutôt de la surveillance économique ou de la surveillance politique. À l’époque je pense que ça prenait. Pour nous, c’était assez récent de s’en prendre au gouvernement sur ces questions, mais les gens étaient réceptifs. Je pense que là où les gens étaient encore plus réceptifs, notre public en tout cas, c’est pendant l’état d’urgence où là on a eu une espèce de tombée des masques où tout d’un coup le prétexte terroriste était clairement utilisé, sans gêne, pour faire de la censure politique ou pour faire du harcèlement de certaines populations ; tout le monde avait conscience de ça. Nous, à La Quadrature, on a quand même senti un soutien assez fort de la part du public qui ne se faisait pas du tout avoir sur le prétexte terroriste.
Ce qui se passe aujourd’hui et pourquoi cette campagne est dure en dehors de l’urgence, c’est parce qu’en fait, si on regarde depuis trois mois ou depuis six mois, il y en a plein de sujets avec ce niveau d’anxiété en France. Il y en a plein ! Là on a la loi anti-casseurs qui ressemble beaucoup à la loi antiterrorisme dans ses fondements philosophiques. On va avoir la loi contre la haine en ligne qui va reprendre les mêmes mesures, qui va reprendre les mêmes logiques au moins techniques. On a toute la réaction aux gilets jaunes de la part du gouvernement qui s’inscrit beaucoup dans cette idée de « il ne faut plus qu’il y ait des espaces de non-droit, il faut civiliser les gens, il faut civiliser Internet » ; c’est la même chose, vu que le mouvement des gilets jaunes est expliqué comme étant né sur Internet. On a tout ce bric-à-brac qui fait qu’en plus de ça, si on rajoute le mot terrorisme, ça devient extrêmement de regarder ça au calme. On y arrive, en fait, si on regarde, le texte n’est pas très compliqué. Mais, pour le public, je pense que c’est compliqué d’avoir une grille de lecture homogène entre toutes ces différentes attaques contre nos libertés.

Étienne Gonnu : Tu évoques le terme de « terrorisme » et je pense que c’est important de se poser aussi la question de ce que ça veut dire en droit. Finalement là on parle de textes de droit. En droit, surtout dans État de droit, si on parle de démocratie, etc., on sait que la lisibilité du droit est extrêmement importante. Déjà savoir si ce que qu’on fait est autorisé ou non et quelles sanctions on encoure ? Il y a une directive de 2017 qui définit ce qu’est un acte terroriste. La particularité ce n’est pas tant les actes, vous allez pouvoir me préciser tout ça et me corriger éventuellement, ce n’est pas tant les actes mais l’intention qui serait derrière l’acte qui va venir définir tout ça ; je trouve que c’est assez tautologique, en fait, tout ça. C’est vrai qu’on entend souvent, presque sur le ton de la plaisanterie : « Maintenant, de toute façon, la loi terrorisme ça sert à mettre les écolos en prison ! » Je crois que ce texte, le règlement, déjà ne le définit pas du tout, il s’appuie sur la directive de 2017. Est-ce que vous pouvez nous préciser, sans entrer sans les détails, comment cette directive définit justement cette notion de terrorisme, d’acte terroriste ?

Arthur Messaud : La directive définit de façon très large, je ne vais pas vous lire les textes, je ne les ai pas sous les yeux, mais nous dans les actes qui nous inquiétaient le plus, on allait avoir du piratage informatique ou des destructions matérielles importantes, donc qui ont des conséquences économiques importantes. Évidement on va retrouver le meurtre et d’autres choses. Il y a déjà ces deux choses-là et, comme tu le disais bien, c’est l’intention qui va permettre de qualifier l’acte. L’intention, encore une fois, c’est très large, ça va être déstabiliser des institutions politiques mais aussi économiques, déstabiliser gravement ou essayer d’influencer une décision de l’État, de l’État ou de collectivités.

Martin Drago : Ce qu’il faut voir aussi c’est, au-delà de la définition, en fait c’est qui interprète la notion. Nous c’est surtout ce qui nous inquiète vachement, c’est-à-dire que dans ce texte ceux qui interprètent la notion c’est la police qui peut avoir une visée très large avec, du coup, un risque de censure politique derrière. Ou alors une délégation, on y reviendra après, mais aux géants du Net aussi et même à tous les acteurs de l’Internet avec des grosses sanctions financières si vous ne censurez pas et si vous n’obéissez pas à la police. En fait eux aussi, et c’est normal, pour éviter une sanction financière hyper-importante vont avoir une interprétation très large.
Il faut bien voir qu’effectivement il y a un problème sur la définition de la notion mais surtout c’est qui l’interprète et qui va l’interpréter pour sanctionner derrière.

Arthur Messaud : Je vais appuyer ton point sans être trop provocant, ce n’est pas le but, en fait il y a un débat à savoir si c’est vraiment intéressant de se pencher sur la notion de terrorisme parce que, comme tu le dis, les écolos vont être qualifiés de terroristes ou, en tout cas, des mesures anti-terroristes vont être utilisées contre eux. À la limite est-ce que c’est notre de rôle de dire que c’est vrai ou pas ? Après tout s’il y a des écolos qui veulent s’inscrire dans des pratiques proches du terrorisme, comme on a eu des mouvements politiques terroristes depuis 300 ans, ce n’est pas notre rôle de qualifier ça ou de réécrire l’histoire ou de dire « mais en fait les Algériens qui ont provoqué leur indépendance eux c’étaient des gentils terroristes contrairement aux anarchistes du début du 20e qui eux… ». Ce n’est pas notre rôle de réécrire l’histoire, de réécrire des définitions. Comme le dit Martin, ce sont plus des questions de séparation des pouvoirs qui vont être importantes plus que des définitions. Il faut ne pas être trop légaliste, trop s’en tenir aux textes, en disant « le texte dit que telle catégorie c’est bon et telle autre ce n’est pas bon. » En fait, ce qui est intéressant, c’est de savoir qui interprète les catégories. Est-ce que c’est le pouvoir politique donc le gouvernement via sa police qui choisit ce qu’on a le droit de faire ou pas ou est-ce que c’est une autorité indépendante ? De façon classique, l’autorité indépendante ça sera le juge. Donc peut-être ne pas passer trop de temps à trop coller aux textes pour essayer de comprendre, sachant qu'on se fiche un peu de ce qui est écrit dans le texte ; le plus important c’est la personne qui va le lire et qui va l’appliquer.

Étienne Gonnu : Je pense qu’on peut commencer malgré tout à rentrer un peu dans le texte et apparemment, quand même, ce qui est un des points de friction et un point de tension particulier, c’est que, finalement, on sort du rôle du juge et on donne un pouvoir… Alors la directive semble juste laisser la porte ouverte. On sait très bien qu’à partir du moment où on ouvre cette porte on imagine très facilement les dangers, c’est-à-dire de dire que c’est aussi l’autorité administrative qui va pouvoir décider si un contenu en ligne va relever ou non de la qualification de terrorisme. Déjà peut-être pourriez-vous préciser un peu ça. Je pense que parallèlement c’est intéressant parce que vous aviez aussi commencé à évoquer la question du rôle des plateformes, déjà définir quels types de plateformes vont être concernées et leurs rôles, parce que ça va être les deux acteurs principaux, si ce texte passe, de l’application de ce régime-là.

Martin Drago : Le pouvoir de censure, effectivement dans le texte. En fait, le texte ne va pas préciser exactement quelle autorité a le pouvoir d’ordonner à tous les acteurs du Web, parce que dans le règlement tel qu’il a été proposé par la Commission, en gros c’est tout le monde, tous les acteurs du Web, donc tous les sites internet qui hébergent, tous les hébergeurs.

Arthur Messaud : Qui hébergent du contenu.

Étienne Gonnu : Qui hébergent mais qui mettent à disposition. Il y a cette notion de partage.

Arthur Messaud : Ce n’est pas clair, ce n’est pas encore très clair, mais à priori ça sera « mise à disposition du public ». Oui.

Martin Drago : Dans le texte aujourd’hui c’est « mise à disposition des tiers » et pas juste du public, donc ça peut être quand même extrêmement large. Donc le texte permet à la police, enfin à une autorité, d’ordonner à ces acteurs de supprimer un contenu que, elle, l’autorité, a défini comme terroriste et l’acteur doit le censurer en une heure. Sinon, derrière, il peut avoir des sanctions très importantes, c’est encore aux États de décider, mais sinon, dans le règlement, c’est 4 % du chiffre d’affaires de l’acteur.
Effectivement le texte et on nous le répond souvent au Parlement : « Il n’y a pas marqué que ce sera la police qui doit le faire ». En fait il laisse le choix : ça peut être une autorité administrative ou judiciaire. Le fait est que tout le monde et tous les États préféreraient avoir une autorité parce que eux estiment, et ce n’est pas toujours le cas, que c’est beaucoup plus rapide. En France, on nous l’a dit quand on va vu le ministère, etc., cette possibilité de censure en 24 heures existe déjà ; en France c’est 24 heures, ce n’est pas juste une heure et c’est déjà la police qui le fait, un office dont je n’arrive jamais à retenir le nom…

Arthur Messaud : OCLCTIC [Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication].

Martin Drago : Dont on a déjà vu, et ça c’est intéressant à souligner, les dérives aujourd’hui. En France, cette obligation de cette censure en 24 heures forcée par la police existe. Récemment il y a eu l’affaire Indymedia qui est assez intéressante. On a eu a la police française qui a utilisé son pouvoir, qui a ordonné la censure de certaines pages d’un site Indymedia qu’elle a considérées comme terroristes. Les pages ont été censurées pendant un an et demi jusqu’à ce qu’un juge soit saisi et jusqu’à ce qu’un juge, il y a un mois, dise : « Ce n’est pas du tout un contenu terroriste, vous n’aviez pas le droit de censurer. » Moi je trouve ça toujours intéressant à souligner : en France le risque de dérive politique de la censure existe déjà, il est déjà arrivé et il va être encore plus amplifié avec un règlement comme ça où il y a des obligations encore plus strictes que ce qui existe en France aujourd’hui.

Arthur Messaud : Ce qui est dramatique sur le cas français et qui nous en apprend un peu aussi sur l’Union européenne c’est qu’un argument qui revient souvent entre les députés qu’on a rencontrés la semaine dernière notamment, c’est : « Mais vous comprenez, on ne peut pas exiger un juge dans le règlement antiterroriste parce que sinon ça remettrait en cause le droit français ». Du coup on a un nivellement par le bas terrible où il n’y a à peu près qu’en France et au Royaume-uni que la police peut censurer sans l’autorisation préalable d’un juge et du coup tout le monde s’aligne sur le régime le moins respectueux des libertés et la procédure de l’état de droit. Il suffit qu’il y ait un cancre dans les 28 États membres ou les 27 bientôt pour que tout le monde s’abaisse à son niveau. Et c’est ça, aujourd’hui, l’Union européenne des libertés, en tout cas la façon dont les parlementaires et les gouvernements la pensent. Alors qu’au contraire, si l’Union européenne voulait se donner les moyens de fonctionner à l’inverse que ça soit, par exemple, les juridictions européennes ou le pays le plus protecteur qui montrent l’exemple, en fait ce serait possible. Ce qui se passe, je vais en dire juste trois mots, mais quand la Cour de justice de l’Union européenne, qui est la cour suprême au niveau de l’Union européenne, prend une décision qui va interdire des mesures de surveillance généralisée de la population, la plupart des États membres refusent d’appliquer les décisions de justice de l’Union européenne. Donc dès que l’Union européenne propose plus de libertés pour la population, là tout d’un coup on s’en fiche, l’intégration c’est chacun chez soi, après tout les valeurs françaises sont plus importantes que celles européennes. Par contre, dès qu’il s’agit de niveler par le bas, là l’Union européenne c’est quand même bien pratique et bien efficace !

Pour répondre à ta seconde partie, je te laisserai compléter Martin, sur comment les GAFAM, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, peut-être pas les cinq de la même façon, mais comment sont-ils mis dans le jeu ? On va un peu remonter dans le passé, je pense que c’est vraiment important pour comprendre. En 2015 on a une série d’attentats en France et en Belgique qui sont très impressionnants et, du coup, la Commission européenne met autour de la table Google, Facebook, Twitter et Microsoft en leur disant : « Il faut qu’on fasse quelque chose, on ne peut pas ne rien faire ». Eux disent : « Pas de souci, nous on est ravis de pouvoir collaborer là-dedans » et ils créent le Forum européen de l’Internet [Forum européen sur la gouvernance de l'Internet, NdT] qui correspond, en fait, à une autre structure qu’au niveau mondial les quatre acteurs avaient déjà faite, qui a pour but de mettre en commun des réflexions et des ressources technologiques pour lutter contre la propagation de contenus terroristes en ligne, donc dès fin 2015. Pendant deux ans ils continuent leurs expérimentations et tous les six mois la Commission européenne, à leurs côtés, fait des déclarations publiques en leur disant que c’est de mieux en mieux, qu’elle est ravie. Ils commencent à expliquer qu’ils ont fait une base de données, commune entre les quatre entreprises, où, en fait, chaque entreprise, dès qu’elle repère un contenu terroriste – la façon dont ils repèrent c’est en général dans des fermes à clics avec des milliers de personnes qui sont embauchées en Asie du Sud-Est, au Maghreb, en Amérique du Sud, qui toute la journée regardent des contenus signalés et qui disent « c’est terroriste ou pas terroriste » et quand une de ces personnes-là, exploitée, en tout cas économiquement exploitée – quand une personne dit que le contenu est terroriste, on fait une empreinte numérique, un hash de la vidéo ou de la photo, qui va dans la base de données commune aux quatre entreprises. Comme ça après, dès qu’une image est mise en ligne, on peut comparer son hashà ce qu’il y a dans la base de données et, du coup, empêcher sa mise en ligne. Ça ressemble vraiment beaucoup au ContentID de YouTube.

Frédéric Couchet : On précise juste qu’un hash c’est une empreinte, en fait.

Arthur Messaud : Une empreinte d'une image, qui ne pèse rien et qui est facile à générer et à comparer. Techniquement c’est assez simple leur histoire. C’est juste que c’est impressionnant parce que ce sont quand même quatre très grosses plateformes qui font ça et la Commission est ravie de ça. Il y a encore six mois ils disaient : « On a 80 000 contenus qui sont listés » dans, en fait, ce qui est une liste noire, une liste de blocage, privée, sur laquelle les juges n’ont aucun droit. Et ça Martin tu l’avais bien relevé. En fait, quand on regarde les documents internes de Facebook notamment, Facebook dit que c’est très important que les États n’aient pas de regard sur cette liste de blocage.

Martin Drago : Oui. En fait il y a un droit, bref il y a des documents qui ont un peu fuité sur Internet sur les réunions entre la Commission européenne et Facebook notamment, surtout. C’est assez intéressant à lire, c’est un article de Politico et dedans on voit déjà que Facebook voit la Commission très souvent et, en gros, qu’elle promeut vraiment son outil de modération en disant « en fait ça marche trop bien » et elle parle bien d’une boîte noire en disant justement « on est hyper-clean, les États ne peuvent pas venir faire de censure politique, il y a juste nous qui pouvons le faire. C’est notre boîte noire de modération où personne ne voit ce qu’on modère, même ce qu’on modère préalablement avant même qu’on poste un contenu ». Ça c’était assez intéressant.

Arthur Messaud : Du coup on arrive en 2018, le terme de l’expérimentation. Les quatre entreprises sont là, la Commission est là, ils font un communiqué de presse tous ensemble avec des citations de chacun comme si c’était la même grande entreprise ou institution et ils disent : « C’est génial ! Notre travail de trois ans a porté ses fruits, ça marche. Maintenant le seul problème c’est que toutes les autres plateformes du Web n’utilisent pas nos outils. Et il va falloir régler ça ! » Manifestement on comprend qu’ils sont déjà allés voir quelques plateformes moyennes comme Paste-it ou d’autres plus petits acteurs qui ont dit : « Mais non, nous on ne veut pas du tout implémenter votre boîte noire, nous on continue à faire la modération chez nous ». Apparemment ils ont tous fait la gueule parce que la Commission ou les géants ont dit : « En fait il faut les forcer à utiliser notre liste noire et nos outils de modération ». La Commission, sans souci, en plus si on demande aux ministères de l’Intérieur français et allemand, c’était Gérard Collomb à l’époque qui envoie une lettre qui a fuité aussi dans laquelle il dit : « Il faut que les petits et moyens acteurs utilisent les outils de censure développés par les géants ». En pratique ça veut dire quoi ? Ça veut dire que si le règlement s’applique tel qu’il est proposé actuellement demain, que ce soit Wikipédia ou le site d’hébergement de photos dont on parlait…

Frédéric Couchet : Flickr.

Arthur Messaud : Flickr, je suis désolé, je ne vais pas sur Flickr, mais tous devront, en tout cas dans l’idéal de la Commission européenne et de ces entreprises : dès qu’on mettra une image en ligne ou une vidéo en ligne sur Flickr, Dailymotion ou Wikipédia, l’image passera par le filtre comparé à la liste noire des quatre grosses entreprises qui font ça toutes seules dans leur coin. Si ces entreprises ont décidé que ce contenu est illégal, parce que terroriste ou pour d’autres raisons bientôt, on va le voir, eh bien ce contenu ne sera pas mis en ligne sur la plateforme. Et si ces plateformes refusent de se soumettre à ça, à cette logique-là, elles seront exposées à des sanctions économiques.

Frédéric Couchet : On va voir les détails après une pause musicale pour permettre de souffler un peu et de digérer ces informations. Nous allons écouter Family Blues par The Damned and Dirty.

Pause musicale :Family Blues par The Damned and Dirty.

Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.

Frédéric Couchet : Vous êtes de retour dans l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et sur le site causecommune.fm partout dans le monde.
Nous venons d’écouter Family Blues par The Damned and Dirty. C’est en licence Creative Commons Partage à l’identique donc vous pouvez le partager avec qui bon vous semble et les références sont sur le site de l’April.

Nous allons poursuivre le sujet sur le projet de règlement terroriste/censure sécuritaire toujours avec Martin Drago et Arthur Messaud de la Quadrature du Net et mon collègue Étienne Gonnu de l’April. Étienne je te repasse la parole.

Étienne Gonnu : Merci Fred. Je pense qu’on a déjà fait un bon tour du contexte, notamment du contexte de la politique antiterroriste et de ce règlement. Je pense que ça va être intéressant de rentrer un peu plus dans les détails qui nous intéressent. Notamment, à nouveau pour ceux qui suivent l’April, vous savez qu’on est très engagés contre l’article 13 de la directive droit d’auteur et, comme je le disais, je vois beaucoup de similitudes entre ces deux dossiers. D’une part parce que les deux sont très marquants d’une volonté de faire porter une responsabilité de plus en plus grande sur les intermédiaires techniques, sur les contenus que leurs utilisateurs et utilisatrices vont mettre en ligne et puis les faire un peu police et juge sur leur propre territoire numérique. Quand ce sont des géants c’est une chose, mais on voit bien que, du coup, ça a tendance à pousser à la centralisation ; ça c’est vraiment un enjeu majeur. D’autre part on voit vraiment une volonté, une velléité d’exercer un contrôle de plus en plus serré, même automatisé, des flux d’information quels qu’ils soient. Là aussi de contrôler la manière dont on va produire de l’information, dont on va échanger de l’information, du savoir, etc., et à base, malheureusement de filtres automatisés ; le terme émerge de partout : directive droit d’auteur, contenus terroristes, les propos haineux en ligne. Et c’est un peu ce qu’on qualifie souvent de solutionnisme technologique. En gros on va sur-simplifier une question qui est de base extrêmement complexe politiquement, présenter un outil qui finalement ne marche pas, un outil idiot comme une solution miracle et, au passage, on annihile tout débat de fond sur comment penser Internet politiquement, collectivement, notamment quand tu évoquais la question des fermes à clics donc des personnes qui passent leurs journées à regarder des contenus que ce soit terroristes, pédopornographiques, etc., des contenus horribles. Ça fait aussi partie d’une part de la problématique de la centralisation mais c’est aussi une des considérations politiques extrêmement importantes de comment fonctionne Internet. On entend souvent parler de ce qui est acceptable dans un état de droit. Je pense que si on réfléchit à une forme d’universalisme à mon sens ça l’est assez peu.
Je pense qu’il serait intéressant, du coup, de voir comment ce texte envisage ce filtrage. On parlait d’un délai d’une heure. Ce serait la police administrative, du coup, qui va comme ça regarder, imposer un truc, je crois qu’ils peuvent imposer au bout d’un moment le filtrage automatisé. Est-ce que vous pouvez nous détailler un peu plus ça ?

Martin Drago : En gros ce sont vraiment les deux points principaux du texte, en tout cas qui nous inquiètent le plus. Il y a un article où effectivement la police peut imposer le retrait en une heure d’un contenu avec des sanctions financières très importantes derrière. Mais il y a un autre article effectivement, où en fait la police – et ça c’est assez nouveau quand même – où la police peut imposer on va dire des mesures proactives dont le filtrage automatique. Ça c’est dans le texte, c’est écrit : la police peut imposer le filtrage automatique et il y est toujours, ça a été adopté ; c’est proposé par la Commission, adopté comme ça par le Conseil.

Arthur Messaud : Le Conseil ce sont les États membres réunis.

Martin Drago : Oui. Et c’est juste au moment du Parlement où là eh bien les gens ont commencé à se dire : ah mais peut-être qu’effectivement le filtrage automatique c’est dangereux. Il faut voir le temps de réaction qu’il y a eu ! Mais effectivement, comme dans l’article 13, on retrouve cette idée de filtre automatique liée à ce qu’avait dit Arthur avant la pause parce que, en fait, ce sont des outils qui ont été développés par les grands groupes, Google, etc.
Après c’est un débat au sein de La Quadrature. Il y a aussi une idée de ces outils, un peu de marché de ces nouveaux outils, de marché du filtre automatique quoi ! Et c’est intéressant de voir qu’en fait Facebook, Google et tout ça commencent à développer un peu cette idée du marché, soit en vendant ces filtres automatiques. Pourquoi ? Parce qu’en fait les acteurs n’ont pas le choix, soit parce la police les a imposés, soit parce qu’ils ont trop peur d’avoir une sanction financière, de ne pas pouvoir retirer en une heure si la police les appelle le week-end par exemple. Donc ils le mettent en disant « au moins je n’aurai pas de problème avec la police vu que j’ai un filtre automatique ». Ce qui est intéressant c’est donc soit Google, Facebook vous donnent ce filtre automatique en le vendant, ou vous le donnent gratuitement mais, en fait, récupèrent derrière les données qu’ils vont pouvoir récupérer sur ces outils.

Arthur Messaud : Sur les utilisateurs.

Martin Drago : Des utilisateurs, oui.

Étienne Gonnu : Justement le point que je trouvais assez intéressant sur la directive droit d’auteur, c’est qu’on a appris qu’il y avait une sorte de lobbying qu’on n’avait pas vue, il y a bien sûr le lobby de l’industrie culturelle, le lobby de Google, etc. Et Audible Music, un des plus gros filtres de contenus musicaux, a beaucoup « lobbyé » pour l’article 13 parce que, pour eux, c’est un marché assez formidable. D’ailleurs je pense qu’on pourra le remettre en ligne. Pierre Beyssac était intervenu dans l’émission, a fait un très bon billet de blog où il explique plus techniquement comment fonctionnent ces filtres et qui ont les mêmes implications, les mêmes problématiques que dans le dossier qui nous intéresse.

Arthur Messaud : Ce sont les mêmes personnes qui les ont faits, qui les ont inventés. Si on pense à ContentID en tout cas, qui est genre le plus grand filtre, c’est YouTube et Google qui l’ont fait, les mêmes personnes qui manifestement sont à l’idée du filtre dans le règlement terroriste. Enfin ce sont les mêmes acteurs qui le font, donc évidemment que ce sera pertinent.

Martin Drago : D’ailleurs ça revient vachement à ce que tu dis. La semaine dernière on a pas mal de députés qui nous ont dit : « Ah c’est marrant ! On a beaucoup de lobbies justement d’entreprises de filtres automatiques qui cherchent à faire passer ce règlement pour mieux vendre leurs outils derrière. »

Arthur Messaud : Après il y a quand même des différences intéressantes avec la lutte contre la directive copyright. Dans la directive copyright, YouTube joue un jeu trouble parce qu’il joue toujours un jeu trouble : aujourd’hui il se prétend opposé à la directive alors qu’il a un peu attendu que les débats au Parlement européen aient bien avancé pour avoir une position aussi explicite qu’aujourd’hui. Reste que, de toute façon, du point de vue économique c'est très simple : YouTube a quand même bien intérêt à ce que l’article 13 soit rejeté ou sacrément affaibli.
Dans le règlement terroriste c’est beaucoup plus compliqué parce que le règlement terroriste, à priori, n’a pas vocation à s’appliquer à YouTube. Il s’appliquera à YouTube mais YouTube respecte déjà le règlement. Le règlement a été calqué sur la pratique de Facebook, YouTube et Google en général. Eux n’ont pas d’intérêt stratégique à s’y opposer. Après ils font du petit lobby où ils disent : « Quand même ce règlement nous fait chier parce que ça nous impose des obligations, mais, après tout, ce sont des obligations qu’on respecte déjà donc ce n’est pas très grave », mais en fait le règlement les renforcera pour la raison qu’a dit Martin. Parce que d’abord ce sont les seuls à savoir faire ce que le règlement exige et du coup, toutes les plateformes vont se tourner vers eux pour savoir comment faire et aussi parce que, au passage, ce règlement a de bonnes chances de dissuader ou de détruire pas mal de petits concurrents ou de modèles alternatifs qu’à l’April comme à La Quadrature du Net on défend et qu’on espère être l’avenir du Web : des modèles alternatifs plutôt non-commerciaux, plutôt décentralisés et, en tout cas, pas capables de répondre à la police en une heure.

Dans les tous cas YouTube en sort fortement gagnant si ce texte était adopté. À la différence de la directive Copyright où YouTube aurait plutôt intérêt à ce que la directive ne soit pas adoptée même si dans les deux cas il s’en sort très bien.
Donc c’est intéressant de voir que l’alliance gouvernements-GAFAM change en fonction du sujet. Il faut aussi dire que contrairement à la directive copyright, sur le règlement terroriste le jeu est assez clair : c’est entre l’État sécuritaire et la population attachée aux libertés. Alors que dans le copyright on a un troisième acteur qui est une industrie vieillissante et un peu perchée depuis au moins dix ans et qui rend le débat encore plus loufoque. C’est quand même intéressant de voir…

Frédéric Couchet : Précisons que c’est l’industrie culturelle.

Arthur Messaud : Oui, l’industrie culturelle ! En mettant côte à côte ces débats, on voit quand même que les rapports entre l’État et les GAFAM sont encore très complexes. Il y a énormément d’alliances et d’intérêts partagés, mais on a aussi des choses qui ressemblent parfois à de la confrontation.

Étienne Gonnu : Ce qu’on observe quand même, et vous avez mis un peu le doigt dessus, c’est-à-dire qu’on peut se poser la question au cas où ce texte arrive, propose des choses, comment est-ce que ça a fonctionné jusque-là ? On voit que ça fonctionne notamment à travers une exploitation assez sévère mais ça fonctionne sur les principales plateformes et c’est aussi le cas pour le droit d’auteur. Ce qu’on voit aussi finalement c’est qu’un des impacts principaux c’est que ça va renforcer la centralisation de tout le système autour de quelques plateformes clefs. Et si on réfléchit en termes de contrôle c’est beaucoup plus facile de contrôler un point nodal unique. En fait on peut se demander, tu parlais de ces alliances, je pense que dans les deux cas c’est aussi peut-être renforcer ces dynamiques-là. Comment ça va finir plus politiquement ces systèmes-là ? On observe que la réponse est beaucoup plus dans la décentralisation, d’étaler, de limiter la masse à contrôler, à filtrer, etc.

Arthur Messaud : Je pense qu’il y a un problème qu’on rencontre qui était flagrant la semaine dernière. Dès qu’on parle de décentralisation ou de modèle alternatif, que ce soit aux parlementaires ou aux ministères, ils ne savent pas de quoi on parle, en fait. Il y a très peu de gens qui savent que Mastodon existe, malheureusement. En fait quand on leur en parle ils acceptent l’existence, mais ils pensent que ce sont des petits GAFAM. Ils pensent que c’est Facebook ou Twitter en plus petit. Pourtant l’idée de décentralisation à la base d’Internet ça veut dire quoi ? Ça veut dire d’être plusieurs acteurs où ensemble, collectivement, on gère la même instance mais en partageant le pouvoir, ça ce sont des choses qui ne rentrent pas du tout dans leur mentalité. Ils ne voient pas l’intérêt de défendre un modèle qu’ils n’arrivent pas, eux, dans leur culture politique, à imaginer. Ça c’est extrêmement dur. Évidemment, avoir juste quatre ou cinq acteurs qui contrôlent le Web, ça arrange tout le monde. Les personnes qui ont une philosophie sécuritaire, ça les arrange beaucoup. Mais ils ne sont même pas capables de voir ce qu’ils détruisent en faisant ça. Ça c’est inquiétant ! Je pense qu’il y a beaucoup de gens dans la population qui voient très bien ce que veut dire la décentralisation, mais en tout cas les politiques, eux, simplement parce que leur rapport à l’État étant extrêmement centralisé, ils sont enfermés dans une vision où quand on leur dit : « Mastodon on est des milliers et des milliers à héberger des millions de comptes de personnes », juste ça ne fait écho à rien du tout pour eux. Ils se disent ils sont en train de raconter n’importe quoi, ils délirent complètement. Soit il y a Twitter, soit il y a Facebook, soit il y a à la limite un petit Facebook qui, demain, sera le grand Facebook et qui, dans le meilleur des cas, est français.

Martin Drago : Dans cette idée d’alliance, ce que je trouve assez intéressant : on peut faire un point de contexte en France en ce moment et d’ailleurs ça a été déposé lundi je crois au Parlement français, c’est une proposition de loi, cette fois-ci pas sur les contenus terroristes mais sur les contenus haineux. On parlait de problème de définition, là on le retrouve encore plus fort et on va retrouver, en fait, un peu les mêmes idées que le texte sur les contenus terroristes. C’est-à-dire des obligations de retrait de contenus extrêmement rapides – là je crois que c’est 24 heures ce qui a été proposé – et la promotion, encore une fois, de filtres automatiques. Mounir Mahjoubi, quand il présente ce texte.

Arthur Messaud : Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

Martin Drago : Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au Numérique qui dit « mais c’est trop bien », et c’est assez incroyable à lire, dans le texte il dit : « Facebook a développé des outils de filtre automatiques c’est génial ; il faut que tout le monde les utilise pour retirer et pour qu’il y ait justement le moins possible de contenus haineux en ligne. » Et là on retrouve exactement la même chose que nous on voit sur les contenus terroristes, c’est l’alliance entre les États et les grandes plateformes à tel point que là, pour ce texte sur le retrait des contenus haineux, on a truc au gouvernement qui s’appelle la mission Facebook et ce n’est pas une blague ils l’ont vraiment appelée comme ça. C’est là où c’est intéressant : est-ce que c’est Facebook qui a dicté sa loi ou est-ce que ça a été une alliance entre le gouvernement et Facebook parce qu’ils sont bien contents d’avoir une plateforme centralisée ? N’empêche qu’on retrouve exactement la même logique, on retrouve la même alliance et on débouche, en fait, sur les mêmes idées : censure extrêmement rapide et promotion des filtres automatiques de Facebook en l’espèce.

Arthur Messaud : Là tu parles de la position du gouvernement mais si on va voir du côté de ce que dit Mark Zuckerberg, c’est assez intéressant. Cette mission Facebook c’est quelques agents de différents ministères français qui, pendant six mois, font des réunions avec Facebook ou vont dans leurs centres modérations pour voir comment ça se passe, pour voir un peu comment le meilleur acteur de la modération sur Internet se débrouille et s’en inspirer. Là je me moque un peu de la vision de Macron, mais si on regarde sur le blog de Zuckerberg qui, il y a quatre mois, parlait de cette mission, il dit : « En ce moment la France est extrêmement sage et collabore avec nous pour écrire la loi ». Zuckerberg considère qu’il écrit la loi avec le gouvernement français !

Étienne Gonnu : C’est révélateur comme propos.

Arthur Messaud : Il est super fier. Il est super fier et il dit : « C’est ça la bonne loi.» La bonne loi ce n’est pas l’autorégulation, ce n’est pas imposer la loi aux gens. Ce sont les entreprises privées, enfin les quatre ou cinq monopoles mondiaux, qui écrivent la loi avec les gouvernements, et ça c’est encore mieux que l’autorégulation. Je me moque !

Étienne Gonnu : Quelque part si Facebook impose, crée sa propre loi sur son territoire qu’est Facebook, Code is Law on le répète souvent, « le code fait la loi », ça se voit beaucoup.
Je pense qu’il n’y a pas énormément de choses à rappeler là-dessus si ce n’est que, comme dans la directive droit d’auteur, il y a de vagues rappels au respect des libertés fondamentales.

Arthur Messaud : Qui sont complètement creux !

Étienne Gonnu : Qui sont complètement creux et que le texte invalide par lui-même. Une question qui est importante, si les gens nous écoutent, OK ! Là on a fait un sombre constat, comment se mobiliser ? Qu’est-ce qu’on peut faire maintenant ? Le 21 mars il y a donc un vote en commission LIBE. Quelle sera la suite ?

Frédéric Couchet : Commission des libertés civiles.

Étienne Gonnu : Commission des libertés civiles. Comment, en tant que citoyens et citoyennes, on peut se mobiliser contre ce texte ?

Martin Drago : Comment se mobiliser c’est : il faut appeler les députés. À La Quadrature on a créé une page sur notre site quadrature.net/…

Arthur Messaud : Vous allez juste sur laquadrature.net, c'est la première, vous tombez dessus directement.

Étienne Gonnu : Tous les liens seront dans une page avec toutes les références pour les retrouver.

Arthur Messaud : Vous allez sur le site.

Martin Drago : En fait là-dessus vous retrouverez une plateforme où il y a tous les députés concernés qui vont voter sur ce texte, il y a leur numéro de téléphone, il y a leur mail, il y a leur twitter. Il ne faut pas hésiter à les appeler. On a donné sur le site et sur la page avec les liens toute une analyse pour, justement, bien comprendre le texte, bien comprendre les conséquences, fournir des arguments.

Arthur Messaud : Traduit en français et en anglais.

Martin Drago : Traduit en français et anglais. Le principal c'est vraiment il ne faut pas hésiter, il faut les appeler, leur faire comprendre les dangers du texte et leur demander de voter contre ce texte parce qu’il est dangereux.

Arthur Messaud : Ou au mieux de ne pas se précipiter. Comme on le disait tout à l’heure, un des espoirs qu’on peut avoir c’est que les députés retrouvent la raison et se disent : en dix jours on ne peut pas traiter un sujet comme ça, on le reporte à plus tard. C’est aussi un façon, en leur mettant la pression, ce qu’on peut obtenir.
Concrètement demain, donc demain ça sera le 13 mars, s’il y a une rediffusion, désolé, on sera dès midi au CICP à Paris, c’est rue Voltaire à côté du métro…

Martin Drago : Rue des Boulets.

Arthur Messaud : Rue des Boulets. Dès midi on va essayer de faire une après-midi d’appels aux députés à plusieurs parce que c’est quand même plus marrant. Et vendredi 15 mars on aura notre apéro mensuel à la Quadrature du Net dans nos locaux, c’est au 60 rue des Orteaux, vers le métro Maraîchers, sur la 9. Vous pouvez aussi venir, on fera un point. On préparera aussi une session d’appels aux députés pour la semaine prochaine. Il reste une dizaine de jours pour les appeler. Quand on les voit ils râlent que les gens appellent trop ; c’est bon signe parce que ça veut dire que ça commence à être utile.
Continuons. On voit quelques députés commencer un peu à réaliser qu’ils ont en train de faire n’importe quoi. C’est le signe, il nous reste dix jours, qu’il faut terminer ça bien et fort…

Martin Drago : C’est vrai aussi, je pense, que ça peut être difficile d’appeler un député parce qu’il y a toujours la parole qui n’est jamais facile. Il ne faut pas hésiter à utiliser les autres outils. Envoyer des mails ça marche aussi. Nous on envoie des mails et ils nous répondent donc ils voient. Il y a plein de façons.

Arthur Messaud : Même Twitter.

Martin Drago : Même Twitter aussi, c’est bon.

Arthur Messaud : Ils ne sont pas sur Mastodon, désolé !

Martin Drago : Il faut voir qu’en ce moment la plupart veulent être réélus, donc les interpeller sur Twitter ou sur les réseaux sociaux ça ne marche pas mal aussi parce qu’ils se sentent un peu obligés de répondre.

Étienne Gonnu : Une bonne stratégie c’est aussi de commencer par un courriel et d’appeler, parce que ce que je trouve dur c′est d’introduire. Moi je déteste appeler, mais bon ! Après on se prend au jeu, plus on en appelle plus on rentre dans le jeu : est-ce que vous avez bien reçu ? Qu’est-ce que vous en pensez ? Il faut aussi voir que logiquement tout le monde n’est pas expert de ces sujets, surtout qu’ils sont complexes. Ce qui importe, tu le disais, c’est de montrer qu’il y a un rapport de force, qu’il y a aussi des gens que ça interpelle, des gens qui se mobilisent. Si les arguments ne sont pas parfaits ce n’est pas grave ils ont déjà été entendus. Et la démarche ! Les gens savent qu’une personne qui va faire la démarche d’appeler ça a du poids, ça a de la valeur pour la personne qui le reçoit. Juste un simple appel, même si les arguments ne sont pas parfaits, participe à créer un rapport de force. C’est vachement important.

Arthur Messaud : Même si ce n’est pas long, même si c’est 20 secondes, ils ne sont tellement pas habitués ! Ce sont les assistants en général qu’on a, ce ne sont pas les députés, ils ne sont tellement pas habitués à avoir des gens qui leur parlent d’un sujet qu’en fait souvent on connaît mieux qu’eux. Quelqu’un qui aura juste écouté l’émission ici va mieux connaître le sujet que certains membres de la commission LIBE. Donc même si on baragouine un peu quelques mots en anglais ils seront tellement surpris que ça a un effet ; après ils commencent à douter, ils commencent à traîner des pieds pour aller en réunion ; ça c’est bon ! Politiquement ça permet aux députés les plus protecteurs de la liberté d’avancer.

Étienne Gonnu : Donc là on a jusqu’au 21 mars avant le vote. On peut préciser que pour le droit d’auteur le vote sera le 26 ou le 27. N’hésitez pas à parler des deux en même temps parce qu’il y a de problématiques similaires.

Martin Drago : C’est compliqué.

Étienne Gonnu : C’est compliqué, mais ça montre, de la même manière, qu’il y a une mobilisation qui est faite. Je pense que faire du lien justement aussi sur la problématique du filtrage parce qu’elle est centrale aux deux, ça peut aussi renforcer mutuellement. Si vous voulez appeler, faites la démarche, essayez. Moi je trouve qu’on rentre assez rapidement dans le jeu et on a une satisfaction de se dire j’agis pour quelque chose qui est assez important. Voilà on se fait des listes. On peut se retrouver aussi entre amis. En fait, on peut se motiver aussi les uns les autres et je pense que c’est bien. Donc vendredi 15 un apéro c’est aussi une manière de se mobiliser ensemble.

Arthur Messaud : Et puis demain au CICP, demain 13 à partir de midi.

Étienne Gonnu : La Chambre de commerce et d’industrie de mémoire, c’est facile à rechercher. De toute façon on mettra le lien en référence. CICP, non ?

Arthur Messaud : Non !

Étienne Gonnu : Non ? CICPE, peut-être que j’aurais dû vérifier avant. C'est Chambre de commerce et d’industrie

Frédéric Couchet : Non pas du tout ! C’est Centre international de culture populaire (CICP)

Étienne Gonnu : Il aurait fallu que je m’informe.

Frédéric Couchet : C’est un lieu qui accueille des luttes pour les libertés fondamentales et syndicales depuis très longtemps.

Martin Drago : Je rajouterais juste un truc.

Frédéric Couchet : Oui, pour conclure.

Martin Drago : Même les députés, quand on les appelle, souvent en fait ils ne connaissent pas le texte. Si ça trouve il y a des moments où il n’y a même pas à avoir d’arguments ou de débat. Moi ça n’est déjà arrivé dans des appels d’avoir un assistant qui ne connaît pas le texte et juste ça, après avoir raccroché au moins il va regarder le texte, s’intéresser et avec un peu de chance tomber sur nos positions. Donc même ça, ça peut servir.

Arthur Messaud : Merci beaucoup.

Étienne Gonnu : Merci à vous.

Arthur Messaud : Merci l’April.

Frédéric Couchet : Merci à La Quadrature, donc Arthur Messaud et Martin Drago. Vous allez sur le site laquadrature.net et directement vous allez avoir toutes les informations pour agir sur ce sujet. Je rappelle que c’est en commission des libertés civiles. Ce ne sont pas tous les parlementaires en plus, c’est restreint.

Arthur Messaud : C’est juste 60.

Frédéric Couchet : Et au niveau français il y en a peut-être dix ou douze.

Arthur Messaud : Six.

Frédéric Couchet : Six.

Arthur Messaud : Mais il y en a des méchants. Il y a Rachida Dati et Brice Hortefeux qui font pas de mal de bruit et qui sont assez efficaces.

Martin Drago : Qui sont les plus derrière ce règlement.

Étienne Gonnu : Ce sont eux qu’il faut embêter du coup.

Arthur Messaud : Oui ! Oui !

Frédéric Couchet : Ne pas hésiter en tout cas à les appeler. Toutes les références sont sur le site de La Quadrature du Net, laquadrature.net.
On va faire une pause musicale avant le dernier sujet. On va écouter Microwave Safe par Cud Eastbound.

Pause musicale : Microwave Safe par Cud Eastbound.

Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Microwave Safe par Cud Eastbound. C’est en licence Creative Commons Partage à l’identique. Évidemment vous retrouvez les références sur le site de l’April.

Nous allons passer maintenant au dernier sujet : la présentation d’une initiative qui s’appelle Fund The Code! avec normalement au téléphone avec nous Louis-David Benyayer. Bonjour.

Louis-David Benyayer : Bonjour.

Frédéric Couchet : Louis-David Benyayer, vous allez nous présenter une initiative qui va se dérouler la semaine prochaine, Fund the Code!. Première question, expliquez-nous ce qu’est cette initiative.

Louis-David Benyayer : Fund the Code! a lieu le 19 mars, mardi prochain et c’est une soirée conviviale pour découvrir, fêter et financer le logiciel libre. C’est une soirée au cours de laquelle des projets qui se sont portés candidats vont se présenter au public. Nous, organisateurs, avons récolté un peu d’argent et l’audience qui sera présente répartira cet argent auprès des projets qui se seront présentés. Cette année on a aussi Jean-Baptiste Kempf, qui est un contributeur historique de VLC, qui fera un pitch d’intro, qui nous racontera un petit peu son parcours.

Frédéric Couchet : J’en profite pour rappeler que Jean-Baptiste Kempf est intervenu dans l’émission de radio il y a quelques mois pour parler notamment des DRM et VLC c’est évidemment le fameux lecteur multimédia libre que beaucoup de gens utilisent notamment sous Windows parce qu’il lit de très nombreux médias, mais souvent ils ignorent que ce logiciel est un logiciel libre et souvent ces personnes ignorent le mode de financement de VLC.
Ça se passe le 19 mars à Paris à partir de 19 heures au Liberté Living-lab, c’est bien ça ?

Louis-David Benyayer : Oui, c’est ça, 9 rue d’Alexandrie dans le 2e, dans le Sentier.

Frédéric Couchet : D’accord. À quel type de public s’adresse cette initiative ? Qui peut venir ? Qui peut être intéressé à venir le 19 mars à cette soirée Fund the Code! ?

Louis-David Benyayer : C’est un événement qui est ouvert à tout le monde, qui est ouvert à tous les curieux qui veulent découvrir le logiciel libre. En vérité on s’est un peu appuyés sur ce que vous avez dit tout à l’heure, c’est-à-dire que le logiciel libre on l’utilise tous quotidiennement par l’utilisation d’Internet et de notre téléphone portable et on ne sait pas toujours que c’est du logiciel libre.
Tous ceux qui ont envie de découvrir ces projets, les gens qui les portent surtout, c’est évidemment les gens qu’on souhaite attirer le plus. Également tous les porteurs de projets dans le Libre et l’open source qui veulent en profiter pour rencontrer des utilisateurs voire des contributeurs. C’est véritablement un événement qui est ouvert bien au-delà des développeurs libres et open source qui portent des projets.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est important de préciser, si je comprends bien, que le but de la soirée ce n’est pas uniquement la partie financement par rapport aux sponsors qui ont donné de l’argent, donc de répartir, en fait, par rapport aux différents projets, mais c’est aussi un appel à contribution. Des personnes qui ont envie par exemple d’aider soit en développement, soit en documentation, soit en autre chose par rapport à un projet libre, ces personnes peuvent venir à cette soirée et trouveront de quoi satisfaire leurs envies.

Louis-David Benyayer : Exactement. On le fait, en fait, pour être une soirée qui permet de mettre en contact des gens qui développent des projets, qui ont sûrement besoin d’être soutenus par d’autres efforts, des gens qui sont des curieux, intéressés, qui veulent comprendre et puis des gens qui veulent s’engager un peu plus en contribuant à des projets. Parfois on n’a pas toujours autour de soi des projets qui nous mobilisent, eh bien là c’est l’occasion de découvrir ; ce soir-là, il y a aura une quinzaine de projets qui se présenteront et ce sera peut-être l’occasion pour certains de contribuer à l’un ou à l’autre.

Frédéric Couchet : D’accord. Quels types de projets vont être présentés ? Dans quels domaines d’activité ?

Louis-David Benyayer : Fun the Code! c’est la quatrième édition qu’on organise. On a commencé en 2013 ; l’événement s’appelait précédemment Hackadon. On sollicite des projets qui sont bien sûrs issus du logiciel, mais également qui peuvent aller dans des démarches contributives sur la connaissance, même si ce n’est pas un projet qui s’est porté candidat comme Wikipédia. On a eu par exemple comme projet les années précédentes OpenStreetMap ou Open Food Facts qui ne sont pas exclusivement des logiciels, mais des activités contributives.
Cette année on a une dizaine de projets, on a dix projets qui ont été sélectionnés et qui sont principalement dans le logiciel ou des plateformes. On a des projets qui sont plutôt connus comme AdAway qui est un bloqueur de publicité ou comme KIWIX et puis on a des projets qui sont très émergents.

Frédéric Couchet : C’est quoi KIWIX ?

Louis-David Benyayer : C’est un projet qui apporte des contenus Internet aux gens qui n’ont pas accès à Internet, donc qui permet d’avoir accès à des contenus.

Frédéric Couchet : D’accord.

Louis-David Benyayer : Et puis on a des projets qui ont une notoriété en devenir : Sugarizer qui est une plateforme pédagogique libre pour les six-douze ans ou bien Pytition qui est logiciel d’auto-hébergement de pétitions en ligne.
Donc on est sur des projets qui sont soit déjà un petit peu avancés mais qui peuvent témoigner d’un progrès, soit des projets qui sont en train d’émerger et sur lesquels on a l’envie et le souhait de leur donner un coup de projecteur.

Frédéric Couchet : D’accord. Parmi les sponsors, quels types de structures, on peut même citer des noms, soutiennent cette quatrième édition ?

Louis-David Benyayer : Oui. On a des sponsors. Cette année on en a cinq : on a Kisio Digital qui est une solution open source dans la mobilité ; Xkiwi qui est sur une solution de contenus ; BlueMind.

Frédéric Couchet : XWiki.

Louis-David Benyayer : XWiki, pardon, j’ai bugué, BlueMind de messagerie, on a aussi un organisateur de conférences qui s’appelle API Days et puis la Société Générale. Donc entre BlueMind, XWiki et la Société Générale il y a un monde en termes de taille. En tout cas vous voyez qu’il y a une diversité à la fois en termes de taille et en termes de projets. Je pense que ce qui les unit dans leur motivation à soutenir l’événement c’est qu’ils sont tous utilisateurs ou producteurs ou les deux de logiciels libres et qu’ils ont conscience qu’il faut, à certains moments, soutenir des projets qui émergent, donc ils ont envie de contribuer à cet événement qui s’est donné cette mission.

Frédéric Couchet : Comme c’est marqué sur le site qu’on n’a pas encore cité mais que je vais citer, fundthecode.org, c’est marqué ; la phrase d’accroche c’est : « Les logiciels libres ne poussent pas dans les arbres », donc il faut évidemment les soutenir.
D’un point de vue pratique, est-ce que les personnes qui sont intéressées doivent s’inscrire ? Est-ce que l’accès est payant ? Est-ce qu’il y a un programme prédéfini ? Ça commence à 19 heures, est-ce qu’il y a un horaire de fin ? Comment ça se passe en pratique ?

Louis-David Benyayer : Pour venir c’est très simple, il suffit de s’inscrire sur le site fundthecode.org. Il n’y a aucune exigence à part celle de donner son nom pour qu’on puisse savoir un petit peu combien de personnes risquent de venir. Il n’y a évidemment pas de contribution financière exigée, il n’y a aucune contrainte particulière, tout le monde peut venir. La soirée commence à 19 heures. On a Jean-Baptiste Kempf qui fera l’introduction. Ensuite on a dix projets qui vont se présenter, ils auront chacun entre cinq et dix minutes pour se présenter, donc ça va durer…

Frédéric Couchet : Une petite heure.

Louis-David Benyayer : Entre une heure et demie et deux heures, parce qu’on va probablement faire une petite pause au milieu. Ensuite on a aussi ouvert la porte aux projets qui ont candidaté mais qu’on n’a pas retenus — on a eu plus de 20 candidatures et il y en a seulement 10 qui se proposeront pour récolter des gains — eh bien on leur laissera aussi du temps pour se présenter brièvement. Tout ça devrait nous amener autour de 22 heures et on continuera avec celles et ceux qui souhaitent prolonger les discussions jusqu’à une heure plus tardive.

Frédéric Couchet : Ou une heure tôt le matin ! Je ne sais pas. Là on a parlé de l’initiative et de la soirée. On va le rappeler une nouvelle fois le 19 mars au Liberté living-lab, 9 rue d’Alexandrie dans le 2e arrondissement à Paris. C’est organisé par Fund The Code !. Fund The Code ! c’est une organisation ? C’est une association ? Qui porte ce projet-là en fait ?

Louis-David Benyayer : Il n’y a pas de structure juridique. C’est principalement des individus. Cette année on est trois à l’organiser : Bastien Guerry, développeur, qui est l’initiateur de ce projet, qui a coorganisé la totalité des quatre éditions, et puis Rudy Cambier du Liberté living-lab. Cette année nous sommes les trois individus qui organisons cet événement. Donc on est totalement bénévoles sur l’organisation de cet événement ; il n’y a pas de structure qui porte de façon significative cet événement-là.

Frédéric Couchet : D’accord, donc ce sont des énergies bénévoles. Là on parle d’un événement qui a lieu à Paris, mais on peut se poser la question : est-ce que des événements sont prévus ailleurs ? Si des structures ou des personnes souhaitent organiser un événement Fund The Code ! ailleurs qu’à Paris est-ce qu’elles doivent vous contacter ? Comment ça se passe ? Comment des personnes peuvent rejoindre l’initiative ?

Louis-David Benyayer : C’est tout à fait ce qu’on souhaite, c’est-à-dire qu’il y ait des soirées similaires qui aient lieu à d’autres endroits. Lors de l’édition 2015 il y avait déjà eu un Fund The Code !à Orléans, donc c’est tout à fait possible, la marque n’est pas du tout protégée, il n’y a pas du tout de licence particulière pour le faire. Sur le site sont présentes un certain nombre de ressources qui devraient permettre d’y parvenir seuls. Ensuite nous on est tout à fait disposés à recevoir ces propositions pour les soutenir et les aider le plus possible en leur transférant notre expérience, les outils qu’on a utilisés et nos méthodes. On souhaite aussi que le site fundthecode soit un peu la pierre angulaire numérique des événements qui ont lieu. Très concrètement, si vous avez envie d’en organiser un, vous vous rendez sur le site, vous consultez ce qui est déjà disponible et si vous avez besoin qu’on vous aide, vous nous écrivez et on le fera.

Frédéric Couchet : Je crois que c’est parfait. Je vais rappeler la date, donc mardi 19 mars de 19 heures à plus tard dans la soirée au Liberté living-lab 9 rue d’Alexandrie dans le 2e arrondissement de Paris. Le site c’est fundthecode.org et la référence est aussi sur le site de l’April. Louis-David est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose ?

Louis-David Benyayer : Non. Écoutez je crois que notre événement fait un peu écho aux discussions précédentes que j’ai pu suivre, il y a un lien quand entre l’open source et les logiciels et les questions de liberté individuelle. Donc évidemment soutenir les logiciels libres et open source dans une certaine mesure c’est aussi contribuer à un monde plus équilibré entre l’individu et les institutions.

Frédéric Couchet : C’est une belle conclusion. C’était Louis-David Benyayer, de l’initiative Fund The Code ! qui se déroule le 19 mars à Paris, donc fundthecode.org. Merci Louis-David et puis à bientôt. Je vous souhaite une bonne journée.

Louis-David Benyayer : À très bientôt.

Frédéric Couchet : Nous approchons de la fin l’émission ; un petit jingle, s’il vous plaît.

Jingle musical : basé sur Sometimes par Jahzzar.

Frédéric Couchet : Quelques annonces, des annonces qui ne vont pas vous surprendre. La campagne contre l’article 13 mais aussi l’article 11 de la proposition de directive droit d’auteur se poursuit. Vous avez plusieurs sites de référence. Vous allez sur april.org, vous allez sur saveyourinternt.eu, vous avez pledge2019.eu, vous avez aussi laquadrature.net. J’en profite pour signaler que nous ferons un point sur la directive la semaine prochaine dans l’émission avec Anne-Catherine Lorrain qui travaille pour le groupe des Verts au Parlement européen. Nous ferons un petit point de 15-20 minutes pour savoir où ils en sont dans leurs discussions.
Nous en avons parlé longuement dans l’émission, bien sûr, de la campagne contre la proposition de règlement terroriste/censure sécuritaire, donc là le site de référence c’est laquadrature.net.
Dans les autres annonces, nos camarades de Reflets.info – Reflets c’est un journal d’investigation en ligne et d’information-hacking – vont produire des documentaires d’investigation. Le site de Reflets, c’est reflets.info, avec un s à reflets, r, e, f, l, e, t, s. Ils se lancent dans la réalisation de documentaires. Le thème de leur premier documentaire, c’est marqué sur le site, reste confidentiel, ce qu’ils peuvent dire simplement c’est qu’il portera sur l’utilisation de l’argent public, sur des contrats publics importants, sur des sociétés privées qui ont obtenu des contrats juteux, des mélanges de genres pour des hommes politiques partis pour le privé. Bref ! D’un truc qui comme dirait l’autre « nous coûte un pognon de dingue ». Je vous encourage, il y a un appel à soutien financier, de mémoire je crois que la somme demandée est à peu près 20 000 euros pour la réalisation de ce documentaire et c’est soutenu par pas mal d’organisations, donc reflets.info, reflets avec un s. Ça c’est important à soutenir.

Sinon dans les actualités Le Libre en Fête proposé par l’April et organisé par les groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres, se poursuit, je vous rappelle que c’est du 2 mars au 7 avril 2019. Le site c’est libre-en-fete.net. On a parlé des événements de La Quadrature cette semaine. Si jeudi vous vous ennuyez, vous avez la soirée de contribution au Libre à la FPH dans le 11e donc à Paris. Évidemment tous les autres événements vous les retrouvez sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.

Notre superbe générique a commencé. J’en profite pour remercier Étienne Gonnu qui a assuré la régie et l’animation du sujet sur la censure sécuritaire.
Je remercie également Patrick Creusot, bénévole à l’April, qui a pris le relais pendant qu’Étienne était à la table ici.
Je remercie nos autres invités : Jean-Christophe Becquet président de l’April, Martin Drago et Arthur Messaud de la Quadrature du Net et Louis-David Benyayer de l’initiative Fund the Code!

Vous retrouvez sur notre site web april.org une page avec toutes les références utiles, qui va être mise à jour après l’émission car nous avons cité quand même pas mal de références.

La prochaine aura lieu mardi prochain, mardi 19 mars 2019 à 15 h 30. Notre sujet principal portera sur les outils multimédias libres pour l’image et la vidéo ; on parlera notamment de Gimp, de Kdenlive, de Blender et aussi de mode de fonctionnement de ces projets et de leur financement.

Nous vous souhaitons de passer une belle journée, on se retrouve mardi prochain et d’ici là portez-vous bien.

Générique de fin d'émission : Wesh Tone par Realaze.

Les données personnelles - Décryptualité du 10 mars 2019

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Manu - Luc

Titre : Décryptualité du 10 mars 2019 - Les données personnelles
Intervenants : Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 10 mars 2019
Durée : 15 min
Écouter ou télécharger le podcast
Revue de presse pour la semaine 10 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Secure Cloud, Blue Coat Photos Flickr, credit - Licence CC BY-SA 2.0
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Les données personnelles, pourquoi et comment s'assurer de leur pérennité et leur sécurité.

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 10. Salut Manu.

Manu : Salut Luc.

Luc : Eh bien on n’est que tous les deux cette semaine.

Manu : Eh oui, en comité restreint.

Luc : C’est toujours les meilleurs qui sont là !

[Rires]

Manu : On va dire ça ! On va dire ça ! Allez, vas-y, démarre sur le sommaire.

Luc : Nouvelle République, « De l'oxygène pour les 30 ans du web », de Agnès Aurousseau.

Manu : Ça parle du Web parce qu’on le fête en ce moment. Tim Berners-Lee, son créateur officiel, est fêté dans la foulée. Mais on parle aussi de tout ce qui se passe de pas bien sur Internet et dieu sait qu’il y en a. Il y a des bonnes choses, le logiciel libre en fait partie, la collaboration globalement. Il y a quelques articles qui sont sortis cette semaine sur le sujet.

Luc : Dieu ! Tu veux dire Tim Berners-Lee ? C’est ça ?

Manu : Tim Berners-Lee lui-même. Sire Tim Berners-Lee.

Luc : LeBigData, « Apache Software Foundation : tout savoir sur l’ASF et ses projets Big Data », un article de Bastien L.

Manu : Plutôt intéressant. Un article qui parle justement d’une fondation, un peu comme la FSF, qui fait plein de logiciels pour Internet.

Luc : FSF, Free Software Foundation qui défend le logiciel libres.

Manu : Et là c’est l’Apache Software Foundation et ce n’est pas tout à fait la même philosophie de travail. C’est intéressant, mais ils font plein, plein de choses.

Luc : Basta!, « Grand débat: pourquoi la plateforme de consultation en ligne est vivement critiquée pour son opacité », un article de Rachel Knaebel.

Manu : C’est pire que de l’opacité, c’est qu’en plus c’est du logiciel privateur, alors que la boîte qui est derrière, une petite start-up, avait promis à une époque de le mettre en logiciel libre. Donc il y a plein de choses à discuter là-dessus. Pourquoi est-ce que l’État passe par cette entreprise qui fait du logiciel privateur alors qu’il y a d’autres alternatives, notamment il y a des Espagnols qui font des choses qui ont l’air intéressantes ?

Luc : On se demande bien pourquoi ! usine-digitale.fr, « 8 questions (et leurs réponses) que vous devriez vous poser sur la "taxe Gafa" », un article de la rédaction.

Manu : La taxe GAFA, je pense que ça va être un sujet qui va durer. C’est la France qui, pour une fois, est courageuse et qui dit : « On va taxer les grandes entreprises d’Internet », parce que d’habitude elles passent en dehors de la taxation, donc c’est un petit peu choquant. Il y a du travail et puis surtout il y a des questions, parce que c’est assez flou.

Luc : C’est un sujet de fond.Next INpact, « Edward Snowden s’oppose à l’article 13 de proposition de directive sur le droit d’auteur », un article de la rédaction.

Manu : Snowden on le connaît et il défend encore la liberté, notamment contre l’article 13 qui est en train d’être mis en place soi-disant pour le droit d’auteur en Europe.

Luc : J’en profite pour rappeler que la famille qui avait hébergé et caché Edward Snowden à Hong-Kong, qui étaient des immigrés là-bas, est sérieusement dans la merde. Edward Snowden a appelé plusieurs fois à donner des sous pour les aider, pour leur payer des avocats et des trucs comme ça. Si vous êtes reconnaissant à Snowden, autant aider les gens qui l’ont aidé.
Educavox, « Les défis éthiques de l’identité numérique », un article d’Armen Khatchatourov et Pierre-Antoine Chardel.

Manu : Ça parle de données, notamment, et de RGPD, le Règlement général de la protection des données. La vie privée est en jeu, c’est très compliqué, et il y a plein d’enjeux éthiques autour de cela. C’est à creuser, encore une fois.

Luc : Developpez.com], « Le verrouillage radio de l’UE rendrait impossible l’installation de logiciels alternatifs sur les smartphones, routeurs Wifi », un article de Stan Adkens.

Manu : Encore une initiative européenne qui ne nous enchante guère. En gros, au nom du contrôle des ondes radio, eh bien il est question d’imposer des logiciels, probablement propriétaires, sur tous nos appareils qui peuvent faire de la radio. C’est embêtant, notamment sur nos téléphones.

Luc : Le sujet de la semaine on l’a annoncé la semaine dernière, c’est Marcos, un auditeur, qui nous a suggéré de parler de données personnelles et de conservation des données personnelles.

Manu : Gros sujet, vaste sujet.

Luc : Oui. Déjà, une donnée personnelle, c’est quoi exactement ?

Manu : C’est ce qu’on accumule autour de nous, au cours de notre vie. Ce sont toutes les traces numériques qu’on a laissées, les photos qu’on a créées et qui nous contiennent ; les textes qu’on a faits ou qui parlent de nous ; les enregistrements sonores qui nous concernent et toutes nos possessions numériques.

Luc : Également toute notre paperasse : nos feuilles de paye, toutes ces choses-là.

Manu : Relevés d’identité bancaire, les copies de nos documents d’identité éventuellement.

Luc : D’autant plus que tout ça s’informatise de plus en plus.

Manu : C’est la dématérialisation et moi je trouve ça très bien.

Luc : Donc effectivement, il y a cette vraie question de comment on fait pour gérer ses données personnelles, à la fois pour ne pas les perdre, également pour ne pas se les faire piquer ?

Manu : Ce sont deux objectifs qui sont contradictoires !

Luc : C’est un vrai sujet. Bien souvent il y a plein de gens qui ne les gèrent pas du tout au final.

Manu : Moi j’ai un cas, Mag qu’on connaît bien et qui participe souvent au podcast, on a parlé avec elle du sujet, eh bien en gros sa stratégie c’est qu’elle s’en fiche. Elle ne conserve presque rien.

Luc : Du coup ses fiches de paye, tout ça et tout ?

Manu : Elle a sous format papier à sa librairie puisqu’elle est sa propre patronne. Donc les fiches de paye qu’elle a émises c’est la librairie qui les garde pour elle, ses relevés d’identité bancaire [relevés de comptes bancaires, NdT], elle en a des versions papier qui sont stockées dans différents papiers.

Luc : Donc tout papier.

Manu : Tout papier ! Et en numérique, quand elle change d’ordinateur je la vois faire de temps en temps, eh bien elle s’en fiche, elle ne copie rien d’un ordinateur à l’autre. Elle se base sur des boîtes mail, les boîtes mail qui lui sont fournies par différentes associations ou par son entreprise, eh bien c’est là-dedans que finalement il y a des données dont elle peut avoir besoin à nouveau et elle va piocher dans ses anciens mails, faire un peu d’archéologie personnelle.

Luc : Ça, gérer ses données personnelles par mail, c’est une mauvaise habitude !

Manu : Qu’on ne partage pas du tout, toi et moi !

Luc : Moi jamais je ne fais ça, jamais, jamais !

Manu : Jamais, jamais !

Luc : Toi non plus.

Manu : Non bien sûr !

Luc : On est responsables, on est organisés.

Manu : On stocke tout sous forme propre.

Luc : On est irréprochables.

Manu : Mais le stockage de quelques infos dont on a besoin, les stocker sur sous forme e-mails, ça marche bien. Moi j’ai même stocké des contacts avec d’anciens collègues, par exemple, sous forme d’e-mails. Je remonte dans un historique d’échanges et je peux retrouver comme ça avec qui j’ai discuté, de quoi, c’est plus facile que d’avoir tout noté sur un papier.

Luc : Oui. Après il faut retrouver les e-mails quand ils sont un petit vieux. Les moteurs de recherche dans les logiciels d’e-mails ne sont pas toujours très efficaces. Même des grands spécialistes de l’exploitation des données comme Google — j’ai arrêté Gmail il y a quelques années —, mais j’ai pu expérimenter le fait que le moteur de recherche de Google est loin d’être aussi performant qu’on veut bien le croire.

Manu : Et exhaustif.

Luc : Et exhaustif. Il y a des mails que je n’ai pas retrouvés alors que j’avais des mots clefs extrêmement précis, que j’ai retrouvés par d’autres biais et j’ai pu vérifier que le mot clef précis était bien dans le mail, que je ne m’étais pas trompé, que ma mémoire ne m’avait pas fait défaut. C’est une des faiblesses, déjà il faut s’en souvenir. Ce n’est pas une méthode de classement très efficace. Surtout avec ma mémoire ! Donc même Google, qui sont censés être champions absolus de la recherche d’informations, eh bien ils perdent des mails !

Manu : Ils les perdent, c’est-à-dire qu’ils ne les ont pas indexés, ils ne te permettent pas de les retrouver facilement, mais ils sont probablement quelque part dans le stock.

Luc : Oui. Quand on a perdu quelque chose c’est toujours quelque part en général !

Manu : Oui. Mais tu pourrais les avoir effacés. C’est ça la petite chose des données personnelles, c’est que quand on les a effacées, qu’on ne les a plus du tout sur aucun support, qu’on n'avait éventuellement pas dupliqué, ça peut être embêtant. Par exemple perdre ses fiches de paye ça peut être embêtant à long terme si on veut revendiquer des droits et qu’on n’a plus du tout de traces. À un moment donné on est obligé de redemander à celui qui les a émises. À certaines époques les fiches de paye étaient tout simplement perdues si on ne les avait pas sous format papier avec soi.

Luc : Aujourd’hui c’est informatisé et normalement stocké quelque part.

Manu : On peut s’y attendre, mais je crois qu’il y a encore des requis de conservation sous une forme ou une autre pendant un certain nombre d’années et que les fiches de paye font partie des choses qu’on recommande de garder à vie. Les factures, les relevés de comptes bancaires par contre eux ont des durées de stockage requises plus courtes, genre cinq ans, trois ans, des choses comme ça.

Luc : Si on veut faire mieux que mettre ses données dans son mail, comment on fait pour stocker, archiver, etc. ? Toi tu fais comment par exemple ?

Manu : Moi j’ai un système qui n’est pas hyper-compliqué. J’ai un répertoire sur mon disque dur.

Luc : Ton disque dur il est où ?

Manu : Sur mon ordinateur portable perso et dans ce répertoire j’ai un classement par catégories et ensuite, à l’intérieur, je classe tout par année, mois, jour. Tous les fichiers sont renommés en année, mois, jour. Je garde le fichier sous son format original. On va en reparler, ça peut être déjà en soi un peu compliqué, mais je stocke tout, donc catégorie et ensuite année, mois jour, ça me permet de bien classer tout, proprement et ça, ça me va.

Luc : Supposons que demain il y a un type qui te vole ton ordinateur et qui se barre en courant avec. Elles sont où tes données ? Tu es foutu du coup, tu as tout perdu !

Manu : J’ai deux autres stockages. J’ai un stockage sur une machine virtuelle dans le nuage internet. Sur cette machine virtuelle, je reproduis ce répertoire régulièrement et j’ai un stockage sur un disque dur externe. Je compte sur ces trois environnements pour pouvoir m’y retrouver en cas de rupture de mon ordinateur. Je touche du bois, je croise les doigts, ça ne m’est pas encore arrivé, je n’ai jamais perdu un disque dur d’ordinateur comme ça du jour au lendemain ; j’ai toujours eu le temps, avant qu’il arrive quelque chose de transférer.

Luc : J’ai dit le truc du vol, mais après il peut cramer, c'est possible.

Manu : Ça oui. Et dedans je garde des trucs qui datent de mon collège. Les premiers programmes informatiques que j’avais, je les ai encore dedans et je compte les garder ad vitam æternam.

Luc : Toi tu es un vrai conservateur !

Manu : Il y a un terme pour les gens qui conservent tout, qui ne jettent rien, mais mon travail c’est informaticien, je veux garder l’information. C’est la base ! C’est la nécessité. Il y a un problème qui va avec ça, c’est comment et surtout avec quel choix de format on garde tout ça et ça m’embête bien parce que je ne suis pas certain à 100 % que les logiciels que j’utilisais lorsque j’étais au collège fonctionnent encore aujourd’hui.

Luc : Il y a à la fois les formats et les disques durs. Parce que si on met un truc sur un disque dur d’il y a 10 ans, 15 ans ou 20 ans.

Manu : Ou sur une disquette, c’est pire encore !

Luc : Ou sur une disquette, pire encore, on n’est pas sûr que le truc, la disquette survive très longtemps. Et puis si le disque dur a une durée de vie plus importante est-ce qu'on va encore trouver des prises compatibles pour le brancher ? Ça veut dire que ces données-là il faut les faire vivre, il faut les transvaser régulièrement sur des nouveaux supports qui sont technologiquement valides. Ce qui fait que si ce sont des archives qu’on oublie dans un coin, on a toutes les chances de les perdre.

Manu : Ça, ça va être inévitable.

Luc : Après ça, il y a l’autre problème qui est purement logiciel. Effectivement les vieux formats qui avaient cours il y a 15, 20 ans, etc., est-ce qu’on est capable de les lire maintenant ? Est-ce qu’on sera capable de les lire dans 50 ans ? On n’en sait pas grand-chose.

Manu : Ce n’est pas garanti, surtout s’il s’agit de logiciels qui ne sont pas des logiciels majeurs. On peut s’attendre à ce que Word soit encore lisible dans 50 ans, j’ai assez confiance là-dedans.

Luc : Mais il y a 12 000 versions !

Manu : C’est un problème en soi.

Luc : Moi j’ai déjà essayé de relire des trucs que j’avais faits dans ma vingtaine…

Manu : Avec Word ?

Luc : Avec Word. En utilisant le Word qu’on me force à utiliser au travail, du Word 2 ne passait pas. Tu pouvais installer un petit logiciel, donc un petit complément fourni par Microsoft, mais il faut le savoir. Il y a plein de gens qui ne savent pas que ce truc existe et puis il existera jusqu’à quand ? Est-ce qu’un jour ils ne vont pas dire « il y en a ras le bol, nous ça ne nous intéresse pas ! »

Manu : Il existe une alternative qu’on connaît tous les deux, qui marche assez bien généralement parce qu’ils ont dû batailler avec les formats de Microsoft, c’est LibreOffice1 qui est connu pour ses formats, pour ses filtres d’import.

Luc : Oui mais pareil. Dans x décennies, à un moment ils vont peut-être dire « on ne va pas dépenser les maigres moyens qu’on a à être compatibles avec des trucs antédiluviens. »

Manu : Et ça, ça concerne les logiciels Microsoft qui sont ou qui étaient la plus grosse entreprise au monde et donc ces logiciels-là on peut s’attendre à ce qu’il y ait plein de gens qui aient un intérêt à garder le format et une compatibilité dans le format. Mais d’autres logiciels un peu plus obscurs, qui auront été utilisés juste par quelques entreprises ou dans un pays en particulier, il y a encore moins de certitude que les données seront lisibles.

Luc : Tout à fait ! Et même d’une version à l’autre. Parce qu’ils peuvent faire une une version, une mise à jour du logiciel, le format n’est plus lisible parce que pff ! ils s’en foutent !

Manu : Il y a des entreprises qui sont concernées par cette problématique-là, des grosses boîtes comme Boeing et Airbus. Les plans des avions doivent pouvoir être lisibles 50 ans après. Donc eux ont des problématiques de conserver tout ce qui fonctionnait à l’époque. Eux ce ne sont pas des données personnelles, loin de là, mais cette problématique touche tout le monde à un niveau ou à un autre.

Luc : On a aussi les services fournis par des banques notamment, avec les coffres-forts informatiques ou numériques.

Manu : Coffres-forts numériques.

Luc : Est-ce qu’on peut faire confiance à ces trucs-là ?

Manu : Moi j’aurais tendance à dire qu’on fait déjà confiance aux banques avec notre argent, ce qui me paraît quand même important !

Luc : Une confiance relative quand même.

Manu : Il faut que ce soit relatif, c’est nécessairement relatif. Mais si on fait confiance à une banque avec notre argent, ça me parait logique qu’on puisse faire confiance à la banque aussi avec des données personnelles. Donc mettre ses fiches de paye sur sa banque ça ne me paraît idiot.

Luc : L’informatique bancaire n’a pas une très bonne réputation.

Manu : Ça peut être une qualité parce que, effectivement, ils sont rarement au goût du jour, mais ça veut aussi dire qu’ils sont capables de gérer le temps qui passe, normalement.

Luc : On a aussi cette problématique, moi je l’ai dans mon boulot par exemple. Mon boulot a mis en place un coffre-fort électronique, du coup mes fiches de paye arrivent là-bas. Moi j’ai un autre coffre-fort électronique à la poste. Donc j’ai deux coffres-forts électroniques. Il y a ce risque de voir la multiplication des coffres-forts, du coup on ne va plus savoir où on a ses données. Là encore il y a du boulot pour les transvaser, s’assurer qu’on n’a pas simplement perdu des trucs dans un coin quelque part.

Manu : Et tu as confiance dans le fait que certes, ils vont les conserver, mais aussi qu’ils ne vont pas les partager avec la NSA par exemple, l’Agence américaine par essence qui conserve tout.

Luc : On n’en sait rien. C’est toute la problématique. C’est pour ça que c’est important d’être maître de ses données, c'est qu'on n’est jamais sûr. Il y a aussi toujours le risque de se faire pirater ses données. On se dit qu’est-ce qu’il va faire avec mes photos, etc. Avec des données personnelles il y a l’usurpation d’identité qui vraiment, quand ça tombe sur quelqu’un ! J’ai un collègue à qui c’est arrivé. C’est très chiant !

Manu : Moi j’ai perdu 4000 euros.

Luc : Toi tu as perdu 4000 euros.

Manu : Je les ai récupérés plus tard. La banque a bien vu qu’ils s’étaient trompés dans leur procédure. Mais il y a eu 4000 euros, quelqu’un s’était pointé dans une agence avec un passeport qui me correspondait.

Luc : Ces problématiques sont présentes. Et avec les données persos, ce qui est intéressant aussi, c’est que leur valeur est relative aux personnes. Mag ne garde rien, toi tu gardes tout. On peut avoir une valeur sentimentale pour les choses. Moi j’ai souvenir, lors d’une animation, avoir croisé une dame qui voulait récupérer une vidéo de sa mère dans son iPad ; elle n’arrivait pas à la sortir, je ne sais plus si c’est parce que l’iPad ne marchait pas bien ou si c’est parce que c’est mal branlé parce que Apple n’a pas envie que les gens sortent leurs infos et préfère que tout reste dans son univers.

Manu : Dans son petit jardin.

Luc : Le fait est que sa mère était très malade, qu’il ne lui en restait plus pour très longtemps, et que pour elle cette vidéo était essentielle parce que c’était un des derniers souvenirs qu’elle allait garder de sa mère.

Manu : Il va rester cette problématique-là : qu’est-ce qu’on laisse en héritage une fois qu'on est passé de vie à trépas ? Comment on s’assure que les données qu’on a générées seront encore accessibles ou, au contraire, qu’elles seront effacées ? Ça reste compliqué ça aussi.

Luc : Eh oui, parce qu’il y a des traces qu’on n’a peut-être pas envie de laisser. On a peut-être des choses, une vie secrète et des trucs dont on n’est pas fier.

Manu : Tu es Batman ?

Luc : Non je suis Robin. On a peut-être des trucs dont on n’a pas envie que ce soit dans notre héritage. Et si on meurt du jour au lendemain comme ça, paf ! dans un accident, eh bien ces choses-là sont potentiellement accessibles. Ce n’est peut-être pas le souvenir qu’on a envie de laisser à nos proches.

Manu : D’ailleurs, je dirais qu’il faut laisser à quelqu’un un accès aux données personnelles qu’on a, qui peuvent être nécessaires ou utiles à quelqu’un d’autre. Il ne faut pas que seul le dirigeant de l’entreprise possède les accès à un serveur de données de l'entreprise, par exemple.

Luc : Oui. Ça nous rappelle une petite histoire récente : il y a un service, une sorte de banque en ligne pour une cryptomonnaie qui n’est pas le bitcoin mais une autre, peu importe.

Manu : L’équivalent.

Luc : Voilà. Le gars qui avait le mot de passe est mort subitement et il était le seul à avoir le mot de passe ; donc ils ont l'équivalent de 200 millions de dollars qui sont coincés dedans, de tous leurs clients.

Manu : Je crois qu’ils ont réussi déchiffrer, tu n’as peut-être pas suivi le dernier truc et il semblerait que les dollars avaient été perdus avant. On ne sait pas exactement ce dont il s’agit, mais il y a des rebondissements dans cette histoire. Ça n’empêche que la mort subite de quelqu’un a bloqué un accès parce qu’il était le seul à posséder cet accès.

Luc : Donc il y a cette question. Nos données personnelles sont aussi les données de nos proches au final. Donc il faut penser à leur sécurité, à leur pérennité, également à leur effacement quand on souhaite effacer des choses. Donc il n’y a pas de méthode parfaite.

Manu : Non.

Luc : Si ce n’est, au moins, de ne pas avoir tout au même endroit et réfléchir à ce qu’il n’y ait pas un point…

Manu : Un point où ça peut tout être détruit d’un coup, il n’y a plus aucune trace.

Luc : Ou perdre complètement le contrôle, si on a tout dans son mail et quelqu’un arrive à pirater notre mail, eh bien notre vie est partie et c’est lui qui la contrôle. Sujet intéressant. Merci à Marcos de nous l’avoir proposé et on se retrouve la semaine prochaine.

Manu : À la semaine prochaine.

Les 30 ans du Web - Décryptualité du 18 Mars 2019

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Manu - Luc

Titre : Décryptualité du 18 Mars 2019 - Les 30 ans du Web
Intervenants : Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 18 mars 2019
Durée : 15 min
Écouter ou télécharger le podcast
Revue de presse pour la semaine 11 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Logo historique du WWW, créé par Robert Cailliau, Wikimedia Commons - Domaine public
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Le Web a 30 ans. C'est quoi le Web ? Est-ce que c'était mieux avant ?

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 11. Salut Manu.

Manu : Salut Luc.

Luc : Nous ne sommes encore que tous les deux cette semaine.

Manu : Eh oui, donc va faire un sujet de vieux cons puisqu’on est deux.

Luc : Eh oui ! Avant ça le sommaire.

Manu : On a sept articles cette semaine.

Luc : Le Telegramme, « Défis. Une association avec plusieurs missions », un article de la rédaction.

Manu : C’est une association qui présente le logiciel libre. Il y en a plein qu’on connaît.

Luc : On appelle ça un GULL.

Manu : Un GULL effectivement, un groupe d’utilisateurs de logiciels libres

Luc : Le genre de travail de terrain qui fait la différence. Bravo !

Manu : Donc ils ont un joli article.

Luc : ZDNet France, « Une vulnérabilité découverte dans le système de vote suisse pouvait modifier l’issue du vote », un article de Catalin Cimpanu.

Manu : C’est du vote électronique et ce n’est pas un nouveau sujet chez nous, on en a déjà parlé, notamment parce que en Suisse ils utilisent du logiciel privateur, c’est rageant. Malgré le fait qu’ils étaient à peu près sûrs que c’était très sécurisé, ils ont demandé de faire des tests sur ce logiciel. Il se révèle qu’il y avait des failles. Oh ! Comme c’est bizarre. C’était difficile à utiliser vraisemblablement mais c’était quand même une grosse faille, ils vont la corriger ! Juste ce serait mieux si c’était en logiciel libre. Ce serait moins pire !

Luc : L'OBS, « Et si l’Europe défendait sa souveraineté numérique face aux Gafa ? », un article de Thierry Noisette.

Manu : C’est le gros sujet. Il faut taxer, il faut bloquer, il faut s’assurer que les GAFA arrêtent d’embêter les citoyens et les institutions aussi, parce que ce n’est pas pratique. Il y a pas mal de sujets là-dessus et je pense qu’on en reparlera dans les jours qui viennent.

Luc : On en a déjà beaucoup parlé ces dernières semaines.

Manu : On en a pas mal parlé.

Luc : Reporterre, le quotidien de l’écologie, « Amers, déçus, enthousiastes… vos avis sur le "grand débat national" », un article de la rédaction.

Manu : Le grand débat qui utilise du logiciel privateur donc on n’est pas enchantés de ça, mais qui a beaucoup fonctionné.

Luc : Pour compiler des millions de réponses. Le reflet qu’on aura de ces contributions sera celui donné par le logiciel donc l’enjeu est important.
Next INpact, « Directive Droit d’auteur : notre schéma pour comprendre l’article 13 », un article de Marc Rees.

Manu : L’article 13, il y aussi le 11, même si ça évolue ce sont des choses qui veulent contrôler le droit d’auteur en Europe, sur Internet notamment.

Luc : Et surtout la question des gros sous !

Manu : Carrément, avec Google, c’est en gros une taxe Google qu’ils sont en train de mettre en œuvre sous une autre forme. Donc c’est très compliqué, tellement compliqué que Next INpact a fait un petit schéma pour essayer de dépatouiller tout ça ; c’est le bordel, on n’aime pas. Donc on se bat contre ça.

Luc : L'ADN, « 30 ans du Web : le revenge porn et les cyberattaques ne sont pas nouveaux », un article de Marine Protais.

Manu : On en reparle juste après.

Luc : Oui. El Watan, « L’ESS est une économie du réel et de plus équitable », un article de la rédaction.

Manu : Ça parle d’un fondateur d’une institution, Forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire. Il y a pas mal de choses intéressantes parce que l’économie et le logiciel libre il y a des choses, je crois qu’il y a des livres, il y a des discussions qui sont autour de tout ça. Un certain nombre de choses à creuser, notamment si vous êtes dans l’économie sociale et solidaire.

Luc : Très bien. En plus de ça, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas eu un article d’Afrique du Nord. C’est cool.

Manu : Oui. Ce n’est pas mal. On revient sur le sujet.

Luc : Les 30 ans du Web, ce n’est quand même pas rien !

Manu : Exactement. C’est un truc considérable ; il y a pas mal d’articles cette semaine, il y en avait déjà la semaine dernière, il y en aura peut-être encore la semaine prochaine, parce que 30 ans du Web c’est important.

Luc : Le père fondateur du Web c’est Tim Berners-Lee1.

Manu : Sire, sir, lord.

Luc : Lord. Donc il a été « lordifié » en Grande-Bretagne puisque c’est un Britannique.

Manu :  »Anoblisé », « anoblisation », ou ?

Luc : Anobli.

Manu : Anobli, c’est bien aussi.

Luc : Bon ! Bref ! Désormais il en est, donc c’est lui le créateur du Web.

Manu : Un chercheur au CERN à l’époque et effectivement il avait besoin d’échanger des documents avec des confrères notamment et il a inventé tout un protocole et une manière de l’utiliser. Ça date des années 90.

Luc : Le Web ça n’est pas Internet.

Manu : Il y a un article qui en parle, le fait que le Web n’est pas Internet mais qu’il a avalé Internet. Internet c’est quelque chose de plus conséquent. Ça date de plus d’années, notamment ce sont les militaires et les universitaires américains qui l’ont inventé avec Arpanet à l’origine, qui reliait les universités entre elles et qui avait pour but de résister à des attaques nucléaires notamment.

Luc : Arpanet2.

Manu : Arpanet. Arpanet, oui. Internet c’est un réseau de réseaux. C’est juste des mises en relation entre elles et ce sont plusieurs protocoles, plusieurs systèmes qui peuvent discuter entre eux. On peut en parler rapidement. Il y avait des choses comme le BBS, les Usenet3, il y avait plein de protocoles de mail qui fonctionnaient très bien sur Internet.

Luc : Et qui fonctionnent toujours !

Manu : Et qui fonctionnent toujours.

Luc : Et tout cas pour le mail, ça marche encore toujours pas mal.

Manu : Du feu de dieu.

Luc : Les BBS c’était des messageries en cascade sur un principe hiérarchique de partage d'infos.

Manu : Usenet c’était sur le même modèle il y avait des protocoles dédiés à faire du Usenet.

Luc : Tout à fait.

Manu : Dans son abonnement il fallait un abonnement avec Usenet.

Luc : Avant c’était le cas. Les abonnements étaient fournis avec, ce n’est plus trop le cas maintenant, ce qui veut dire qu’on n’a pas d’abonnement à Internet aujourd’hui.

Manu : On n’a pas cette partie-là d’Internet qui était une partie considérable à l’époque.

Luc : Il y a d’autres protocoles comme le FTP4 qui permet de télécharger des fichiers sur un serveur distant ou des choses comme ça. Ce sont souvent aujourd’hui des trucs assez techniques.

Manu : Oui. C’est souvent ça la limite, c’est qu’il faut un logiciel spécial, souvent, pour utiliser un protocole spécial et finalement le protocole qu’on utilise le plus aujourd’hui, ou en tout cas qu’on connaît ou qu’on reconnaît le plus, c’est celui que souvent on associe avec www.

Luc : Ça sert à quoi ces trois « w » qu’on met devant les adresses ?

Manu : C’est plus une convention qu’autre chose. C’est pour indiquer qu’on est en train d’accéder à un serveur web donc à une page, en général en fait en HTML5, qui va être affichée dans un navigateur web, le premier étant ?

Luc : Je ne sais plus !

Manu : Tu ne sais plus ! Ah !

Luc : Netscape ? Non, il y en a eus avant.

Manu : Juste avant Netscape, il y en avait un qui s’appelait Mosaic.

Luc : Mosaic, c’est ça. Et en plus je l’ai utilisé, mais on garde la partie vieux cons pour tout à l’heure !

Manu : Donc le Web6 permet d’accéder à des serveurs, on met www ou pas, parce que finalement ce n’est pas une nécessité ; ça permet de partitionner et d’utiliser plusieurs serveurs par exemple. Donc on peut avoir un triple « w » 1, un triple « w » 2 ou autre chose, des sous domaines d’une manière ou d’une autre.

Luc : En gros c’est une façon de découper le serveur vers lequel on se connecte quand on va sur Internet.

Manu : Exactement. Mais quand on a petit serveur ce n’est pas vraiment nécessaire. Quand on a un petit service, on n’en a pas besoin aujourd’hui.

Luc : Et aujourd’hui tout ça c’est complètement obsolète, il n’y a plus besoin de mettre les 3 « w » dans les adresses.

Manu : Ce n’est plus nécessaire. De la même manière le HTTP qui est la partie plus protocole ou HTTPS [HyperText Transfer Protocol Secure], là aussi si on ne le met pas ça peut souvent être complété par son navigateur ou c’est caché par le navigateur dans certains autres cas. Mais ça c’est pour aider parce que, ça n’empêche, c’est bien présent, c’est toujours là en fin de compte en arrière plan.

Luc : Le Web c’est ce qui s’affiche dans le navigateur, ce sont ces pages avec des liens qu’on peut cliquer, des images, toute une série de choses.

Manu : Donc le Web a mangé Internet parce que, avec son navigateur, on peut faire d’autres protocoles.

Luc : Tout à fait et faire plein de choses. Typiquement le webmail ça veut dire qu’on a dans un navigateur web son mail alors qu’on peut avoir également des applications, ce qu’on avait initialement, qui existe toujours.

Manu : Ça marche aussi avec les transferts de fichiers.

Luc : Voilà, le FTP. On a des applications qui ne font que ça et puis on peut avoir des applis à l’intérieur d’un navigateur.

Manu : On peut faire du chat sur le Web.

Luc : Tout à fait, alors qu’avant on avait IRC [Internet Relay Chat] qui existe encore avec des applications encore une fois tout à fait spécialisées.

Manu : Globalement tout a été mangé, c’est-à-dire que tout peut fonctionner dans le Web mais le Web n’est pas Internet et Internet n’est pas le Web. L’un contient l’autre.

Luc : Mais le Web est important parce que c’est lui qui a vraiment marqué le démarrage de son succès public puisque les premiers protocoles d’Internet sont arrivés très tôt dans les années 80, même 70, et le Web c’est un truc qui a marqué l’époque et vraiment c’est devenu concret pour les gens. Laurent Chemla qui est un des pionniers d’Internet en France a écrit il y a fort longtemps un bouquin qui s’appelle Je suis un voleur [Confessions d'un voleur : Internet, la liberté confisquée]. Dedans il avait expliqué qu’il était fasciné par Internet depuis un bon un moment et que tout le monde s’en foutait royalement parce que c’était des trucs techniques, etc.

Manu : Des trucs de geeks.

Luc : Quand le Web est arrivé et que les gens ont dit : « Ah ! Mais il y a des images ! » alors soudain c’est devenu absolument passionnant et lui était toujours un petit peu consterné en disant « mais je vous le dis depuis des années ». Il a fallu que les images arrivent sur l’écran pour que ça devienne intéressant.

Manu : Petit détail, c’était des images de chatons bien sûr.

Luc : Oui, oui !

Manu : Parce que je ne vois pas ce qui pourrait commencer à attirer l’attention, surtout au début d’un nouveau média !

Luc : Il faut bien admettre que la pornographie a été quand même un truc qui a lancé le truc, en tout cas a généré de l’intérêt ; mais il n'y a pas que ça, il y a plein de choses. Avant, les pages internet, on y accédait avec un modem RTC [Réseau téléphonique commuté], donc un machin qui faisait de la musique.

Manu : Oui. Une espèce de drôle de bruit métallique.

Luc : Avec des liens bleus sur des pages grises, c’était quand même très moche.

Manu : On payait à la minute.

Luc : Oui, puisqu’il fallait un abonnement et on se connectait par téléphone, on payait sa communication téléphonique.

Manu : Oui. On passait par France Télécoms. À moins d’être un chanceux qui était à l’université et qui passait par les machines de l’université, donc on utilisait un réseau qui s’appelait Renater.

Luc : Oui. Qui était le réseau universitaire.

Manu : Tu en as profité !

Luc : Très peu. C’était vraiment pour tester avant de m’abonner. L’article sur lequel on voulait revenir disait : « Ce n’était pas mieux avant ! » Tous les trucs qu’on reproche à Internet aujourd’hui.

Manu : Et dieu sait qu’on reproche plein de choses à Internet.

Luc : Toutes les semaines tu dis « dieu sait » ; tu es en train de faire une crise de mysticisme je pense ! Dans l’article, l’historienne qui se penche là-dessus dit qu’il y a plein de phénomènes qu’on décrit aujourd’hui qui existaient déjà avant, notamment le harcèlement, le revenge porn, elle dit que tous ces trucs-là se faisaient.

Manu : Le spam. Les flame wars, les guerres enflammées, on va dire.

Luc : Pour l’histoire, avant le Web – j’avais lu ça quelque part –, le premier spam rapporté c’était quelqu’un qui, sur Usenet, donc un protocole pour faire des discussions, avait fait un robot qui faisait du négationnisme sur le génocide arménien. Évidemment c’était tout en anglais, dès qu’il voyait le mot « Turquie », en anglais [Turkey], il envoyait un message automatique disant : « Non, non ! Il n’y a jamais eu de génocide arménien par les Turcs ».

Manu : Sauf que le mot turkey est un mot polysémique.

Luc : À Thanksgivingça sort beaucoup parce que ça désigne aussi la dinde donc il y a des gens qui parlaient de la dinde qu’ils allaient bouffer et le message disait : « Non ! Il n’y a jamais eu de génocide arménien ». Ça fait partie du folklore

Manu : Donc là, premier spam automatique. Je crois qu’il y a eu des spams manuels encore avant cela où des gars ont envoyé des mails à plein de gens qui n’étaient pas concernés par ces mails-là, en gros ils n’avaient pas sollicité ces mails-là et ils n’étaient pas contents.

Luc : Tout à fait. En fait quand même, dans Internet au début, il n’y avait pas la prédominance du business et du pognon qu’on a aujourd’hui.

Manu : Notamment parce que c’était des universitaires qui discutaient sur le Net.

Luc : Oui. Même au début de l’Internet grand public. Je me souviens que j’avais un pote au début des années 2000 qui travaillait chez France Télécoms et tous les ans il nous disait : « Cette année le business sur Internet ça va vraiment démarrer ». Et tous les ans il disait : « En fait le Minitel continue à faire plus d’argent », donc il a fallu un petit moment. Effectivement, à l’époque on n’avait pas tous les enjeux publicitaires et avec tout ce pognon. Mais les gens restent les gens, donc il y avait des gens qui se foutaient sur la gueule, des extrémistes, il y avait tout ce qu’on voulait sur Internet et sur le Web.

Manu : Je trouve que c’est ça qui est rigolo. Effectivement on a tendance à penser qu’aujourd’hui c’est pire que ça ne l’était avant et qu’avant on était plus civilisés, plus intelligents, plus respectueux des autres. Mais ce respect, non, il ne s’est pas perdu. Il n’y était pas vraiment dès le début. Les points Godwin7 ce n’est pas une invention récente. Je rajouterais qu’Internet a rencontré ces problèmes-là très tôt, a trouvé des solutions, des solutions techniques, par exemple les émoticônes. Les émoticônes ce sont des moyens d’éviter de rentrer tout de suite dans le lard de la personne avec laquelle on discute en indiquant par un petit clin d’œil, par un petit sourire, qu’on est en train de blaguer, qu’il faut bien le prendre, qu’on est gentil. Donc c’est un moyen d’essayer d’éviter ça, mais ça ne marche pas toujours.

Luc : Eh oui. C’est une des faiblesses connues c’est que par écrit, surtout quand on écrit vite dans une conversation, il y a toute une série de subtilités dans ce qu’on pense, dans le ton qu’on veut donner, qui ne passent pas nécessairement parce qu’on ne prend pas le temps d’écrire vraiment bien.

Manu : Il y a des évolutions qui font qu’on essaye, au contraire, de mieux gérer cela et je pense, j’ai l‘impression que les flame wars, les guerres enflammées qu’on avait dans les années 80 sur Usenet, par exemple, ont peut-être un peu diminué, mais c’est mon impression !

Luc : Moi je ne pense pas. Pour moi la problématique est commerciale, non-commerciale. Il y a aussi la surveillance d’État qui est encore un sujet complètement à part entière. À partir du moment où on a des quantités énormes de pognon qui arrivent dans le truc, genre Facebook et les GAFAM en général, ça va orienter les choses. Je sais que dans les années 2000 il y a un truc qui m’avait marqué. Je m’intéressais à Star Trek, donc la série, j’avais regardé un certain nombre de choses, ça m’avait permis de progresser en anglais. À l’époque on trouvait plein de sites parce qu’il y avait plein de fans, c’est un truc de geeks, donc il y avait en anglais plein de sites qui parlaient de Star Trek, qui faisaient des encyclopédies sur Internet et tout ça très tôt. J’y étais retourné avec un pote quelques années après et en fait tous les sites avaient été flingués ou alors étaient ridicules.

Manu : « Caviardisés » on pourrait dire.

Luc : Voilà. Ils n’avaient quasi plus de pages et à chaque fois ce n’était que des liens vers le site officiel de Star Trek. À cette époque-là, en gros les juristes de Star Trek qui géraient la licence et les ayants droit avaient dit : « Pour toute navigation, n’importe qui doit arriver chez nous parce que c’est notre pognon et on ne veut pas laisser qui que ce soit créer quoi que ce soit sur notre bébé », enfin ce n’est même pas leur bébé ce n’est pas eux qui l’ont créé, « sur notre capital en quelque sorte, donc on doit transformer toute velléité à s’intéresser à Star Trek en une visite sur notre sur notre site avec l’espoir de vendre des trucs. »

Manu : On pourrait rajouter que ce genre de bataille-là s’est fait sur les noms et que quelqu’un qui voulait avoir un nom de domaine qui ressemblait d’un peu trop près à un autre nom déjà officiel se faisait flinguer ; on se faisait virer.

Luc : Tout à fait. Ils ont fait marche arrière sur Star Trek parce qu’ils ont compris qu’il fallait laisser les fans respirer, vivre leur truc, etc., pour que la licence et que leur poule aux œufs d’or continue à vivre. Ça reste aujourd’hui compliqué, il y a un projet qui s’appelle Axanar, on n’a pas le temps d’en parler, mais si ça vous intéresse allez voir ça : a, x, a, n, a, r et qui est pour moi très intéressant sur ce truc-là.
C’est un de mes vieux souvenirs. Je me suis abonné à Internet en 97. Toi tu as commencé beaucoup plus tôt.

Manu : Au début des années 90 à l’université à Glasglow, l’université de Strathclyde et effectivement on avait des connexions Internet toutes pourries, en ligne de commande, avec des consoles. Finalement c’est ce que je continue à faire sur mon ordinateur, si vous voyez un peu ce que j’ai à l’écran ce n’est rien d’autre, mais à l’époque c’était un petit peu plus rude, il fallait apprendre les commandes, on ne savait pas comment ça marchait, on ne comprenait pas les tenants et les aboutissants, mais ça permettait de faire des choses, de jouer à des jeux, on faisait des donjons et dragons en mode de texte par exemple et on pouvait discuter à l’étranger. Je me rappelle de co-étudiants qui discutaient avec des Chinoises, des Taïwanaises, en fait ils draguaient à distance ; c’était assez rigolo.

Luc : Des potentielles ! Parce qu’en fait tu ne sais pas qui tu as en face.

Manu : Oui, c’est la vieille expression On the Internet, nobody knows you're a dog, « Personne ne sait qu’on est un chien sur Internet » ; on peut discuter avec n’importe qui sur Internet, c’était le cas à l’époque, c’est encore le cas aujourd’hui.

Luc : Est-ce que pour toi Internet c’était mieux avant ou pas ?

Manu : Je pense que ça c’est une vieille expression que j’entendais déjà dans les années 90 ; j’avais des profs, des vieux barbus qui nous disaient : « Oui mais là, vous comprenez, avec tous les noobs qui arrivent, ils ne connaissent pas la nétiquette, ils ne savent pas comment se comporter, il faut tout leur apprendre, donc c’est le bordel ! » Et on nous disait ça dans les années 90. Aujourd’hui on arrive en 2020, bientôt tous les noobs qui sont sur Internet sont nombreux, bien plus nombreux, il n’y a rien qui change, les anciens, les vieux, se plaignent des jeunes qui ne connaissent pas et qui ne respectent pas leurs anciens. Il n’y a rien qui bouge.

Luc : Moi je pense que, comme dans le monde physique, il faut savoir se trouver ses petits coins où on est bien, entre gens sympas, parce que eh bien oui, il y a plein de coins où on est pourri soit par des gens pénibles, soit par des grosses machines commerciales, donc Facebook qui a eu tout intérêt à laisser les trolls et les news pourries se déployer parce que ça faisait des clics et ça leur faisait gagner de l‘argent

Manu : Ça les arrange, effectivement.

Luc : Donc il faut se cultiver son petit environnement et travailler à le garder propre pour pouvoir avoir une vie numérique sympa entre gens de bonne compagnie.

Manu : Je vous souhaite une bonne compagnie sur Internet et à la radio.

Luc : Bonne semaine à tout le monde.

Manu : À la semaine prochaine.

Luc : Salut.

Benjamin Sonntag sur France Info à propos du vote sur la directive droit d'auteur

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Benjamin Sonntag

Titre : Benjamin Sonntag sur France Info à propos du vote sur la directive droit d'auteur
Intervenants : Benjamin Sonntag - Journaliste
Lieu : France Info
Date : 26 mars 2019
Durée : 4 min
Écouter l'entretien
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Image Annie Spratt publiée sur le site de La Quadrature - Licence Creative Commons BY-SA 4.0.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Journaliste : Benjamin Sonntag est en ligne avec nous. Bonjour.

Benjamin Sonntag : Bonjour.

Journaliste : Vous êtes l’un des membres fondateurs de La Quadrature du Net1. Vous êtes inquiet du mode de cette directive, de cette réforme ?

Benjamin Sonntag : Tout à fait. On est inquiets pour plusieurs raisons. La première c’est que ces réformes du droit d’auteur n’ont jamais favorisé les auteurs, elles ont toujours favorisé ce qu’on appelle les ayants droit, c’est-à-dire l’industrie. On parle de gros industriels qui gèrent des pools d’artistes un peu comme du bétail ; ces directives n’ont jamais favorisé les artistes.

Journaliste : Mais les ayants droit sont aussi les auteurs eux-mêmes et les proches des auteurs, les familles, non ?

Benjamin Sonntag : Non, non ! Ça c’est ce que croit le public. Ces ayants droit ayant énormément de fonds à leur disposition, ils produisent un lobbying extrêmement intense et la France est extrêmement touchée par ça. Donc on voit des députés copier-coller tels quels des arguments et des amendements, des articles mêmes de décrets produits par la Sacem, par les ayants droit, par Vivendi ou par d’autres boîtes de ce genre, mais ça n’a jamais aidé les auteurs.

Journaliste : Pardon. Il faut rester un peu sur ce point parce que c’est important. Quand on achète un disque dans le commerce, l’argent qui est ensuite réparti par la Sacem va aux ayants droit et notamment aux auteurs, aux artistes ; on est d’accord ?

Benjamin Sonntag : Tout à fait. Ça va aux auteurs avec des ratios qui sont souvent très faibles et les auteurs n’ont jamais gagné à ce que les lois soient plus dures sur l’accès à leurs œuvres.

Journaliste : D’accord. Donc là sur le Net, en attendant, ils ne touchent rien du tout, c’est ça ?

Benjamin Sonntag : Non ! Ils ne touchent pas rien du tout. Il y a énormément de plateformes qui existent. Nous on a toujours défendu une vision du droit d’auteur où il y aurait des systèmes de redistribution qui permettent aux auteurs de mieux vivre de leurs œuvres. On en parlait déjà à l’époque d’HADOPI, il y avait des gros débats là-dessus et on constate que l’opinion est vraiment très touchée par le lobbying massif de ces ayants droit. On entendait par exemple hier monsieur Cavada dire qu’il y avait des manifestants et qu’ils étaient payés par les GAFAM ; on aimerait bien qu’il montre des preuves de cela, parce que ce lobbying-là quand il commence à mentir ça devient grave en termes de respect du citoyen, vous voyez.

Journaliste : D’accord. Sur le fond de l’affaire vous dites la liberté du Net et le respect du droit d’auteur ça n’est pas incompatible, on pourrait trouver des systèmes qui combinent les deux.

Benjamin Sonntag : Ça n’est pas du tout incompatible. On peut trouver des systèmes, on pourrait trouver des systèmes qui combinent les deux.

Journaliste : C’est quoi ? La licence globale2, par exemple, ce fameux système dont on parlait à l’époque ?

Benjamin Sonntag : Par exemple des systèmes de licence globale qu’on a toujours appelés de nos vœux mais qui n’arrangent pas les ayants droit parce qu’ils perdraient un peu le contrôle sur la répartition pour eux des œuvres, des droits touchés, et ça ne les arrange pas. Cela dit, le principal problème qui nous touche c’est en effet l’automatisation de la censure ; je voudrais insister là-dessus, si je peux me permettre, parce qu’on n’en a pas parlé.

Journaliste : Allez-y.

Benjamin Sonntag : Le problème c’est qu’aujourd’hui, en imposant aux grandes plateformes de mettre des systèmes de blocage et de censure automatisés, on met en place des infrastructures de censure au cœur du réseau de l’Internet.

Journaliste : C’est-à-dire que la création, la créativité va en souffrir ?

Benjamin Sonntag : Tout à fait. Quand bien même il y a un droit, par exemple il y a le domaine public qui est là, il y a le droit au pastiche, le droit à l’ironie, tout un tas de droits, le droit de citation qui peuvent s’appliquer, les systèmes automatiques de censure ne sont pas du tout prêts à comprendre ces concepts-là, donc il n’y a aucune défense possible face à un ordinateur. Combien de fois l’un ou l’autre d’entre nous, nous sommes retrouvés face à un ordinateur avec quelqu’un qui nous dit : « C’est la faute de l’ordinateur ». Eh bien c’est ce qui va se passer sur ces grosses plateformes. Et quand bien même la loi, la directive européenne actuellement votée ne s’applique qu’aux grosses plateformes, à la Quadrature du Net et tous les activistes qui parlent et qui connaissent le système législatif vous le diront il y a ce qu’on appelle le mission creep, c’est-à-dire le fait qu’une loi qui s’applique à un ensemble d’individus ou de sociétés données à un instant t finit toujours par s’appliquer à tout le monde. Donc nous, on craint vraiment cette extension du domaine de la censure des grandes plateformes vers des systèmes plus petits ou des sociétés de plus petite taille, même vers des individus isolés.

Journaliste : Bien. Merci beaucoup pour ces explications Benjamin Sonntag, membre fondateur de La Quadrature du Net.


Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 19 mars 2019

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Frédéric Couchet

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 19 mars 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Marie-Odile Morandi - Jehan Pagès - Lionel Allorge - Anne-Catherine Lorrain - Étienne Gonnu - Frédéric Couchet
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 19 mars 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web préféré, allez sur causecommune.fm, vous cliquez sur « chat » et vous rejoignez le salon de la radio.
Nous sommes mardi 19 mars 2019, mais vous écoutez peut-être un podcast ou une rediffusion.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, son délégué général. Avec moi également mon collègue Étienne Gonnu et Patrick Creusot en régie. Bonjour Étienne et bonjour Patrick. Je vous présenterai ultérieurement les invités pour cette émission.

Le site web de l’April c’est april.org. Vous y trouvez déjà une page avec des références concernant cette émission, qui sera mise à jour après l’émission évidemment en fonction de nos discussions et des liens que l’on citera. Je vous souhaite une excellente écoute.

On va passer au programme de cette émission. Nous allons commencer dans quelques secondes par la chronique de Marie-Odile Morandi, « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ». Normalement Marie-Odile est avec nous par téléphone. Bonjour Marie-Odile.

Marie-Odile Morandi : Bonjour.

Frédéric Couchet : On se retrouve dans quelques secondes.
D’ici une quinzaine de minutes, notre sujet principal portera sur les logiciels libres pour l’image et la vidéo. Avec moi en studio il y a Jehan Pagès. Bonjour Jehan.

Jehan Pagès : Bonjour.

Frédéric Couchet : Et Lionel Allorge. Bonjour Lionel.

Lionel Allorge : Bonjour.

Frédéric Couchet : Et ensuite, après ce sujet, nous passerons à un point sur la directive droit d’auteur à quelques jours du vote en séance plénière au Parlement européen avec notamment Anne-Catherine Lorrain qui travaille auprès du groupe des Verts européens au Parlement européen.
Tout de suite place au premier sujet. Nous allons commencer par l’intervention de Marie-Odile Morandi qui s’occupe du groupe Transcriptions pour l’April. La chronique de Marie-Odile est intitulée « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ». Marie-Odile va nous présenter des coups de cœur. Quels sont tes coups de cœur aujourd’hui Marie-Odile ?

Marie-Odile Morandi : Pas tout à fait des coups de cœur aujourd’hui. Nous sommes bombardés de tous côtés de mauvaises nouvelles, d’attaques à nos libertés, nous avons souvent l’impression d’un monde sans issue. Aujourd’hui je souhaitais faire un petit clin d’œil à nos auditeurs et à nos auditrices et leur parler de personnes et de projets qui nous élèvent et qui, n’ayons pas peur des grands mots, élèvent l’humanité tout entière, car ces personnes font de la politique au sens noble du terme.

Je souhaitais donc vous parler, avec le soutien de transcriptions, d’un Italien et d’une Italienne qui font carrière en France et quelle carrière !

Frédéric Couchet : De qui souhaites-tu nous parler, Italien et Italienne ?

Marie-Odile Morandi : La première personne dont il s’agit c’est Roberto Di Cosmo. Celles et ceux qui s’intéressent à l’informatique savent qu’il est impliqué depuis très longtemps, voire depuis toujours, dans la défense des logiciels libres. Diverses transcriptions de ses interventions ont été publiées.
Je voulais rapprocher trois transcriptions récentes qui concernent la présentation de son projet Software Heritage. Par ordre chronologique :

  • en avril 2018 Roberto est intervenu à la conférence Devoxx, c’est une conférence annuelle des communautés de développeurs, à Paris, et son intervention était intitulée « Software Heritage : pourquoi et comment préserver le patrimoine logiciel de l’Humanité » ;
  • en septembre 2018, Roberto a participé à une émission Autour de la question de RFI, Radio France Internationale, intitulée « Pourquoi une bibliothèque universelle des logiciels ? » et j’ai vu que cette émission avait été rediffusée en février 2019 ;
  • et récemment, lors de l’émission Libre à vous ! du mardi 12 février 2019, nous avons eu la chance et le grand honneur d’écouter Roberto et vous de bavarder avec lui, mais j’imagine que vous vous connaissiez déjà.

Frédéric Couchet : Comme tu le dis, nous avons reçu Roberto le 12 février et avec Roberto on se connaît depuis une vingtaine d’années maintenant. Le podcast de l’émission est disponible sur le site de l’April et évidemment, comme tu viens de la citer, la transcription est également disponible sur le site de l’April. Peux-tu nous rappeler l’objectif de Software Heritage ?

Marie-Odile Morandi : Je cite, l’objectif du projet c'est « de collecter, organiser, préserver et rendre accessible à tous et à toutes le code source de tous les logiciels disponibles. » Il s’agit donc de l’archivage de tous les codes sources de tous les logiciels disponibles dans le monde ; c’est la création d’une bibliothèque universelle des logiciels, c’est donc un projet d’envergure mondiale.
En lisant les transcriptions vous pourrez connaître la genèse de ce projet. Vous trouverez les liens vers ces transcriptions sur le site de l’April, à la page des références de l’émission d’aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Est-ce que tu considères que l’idée de Roberto est une idée géniale, novatrice, que personne d’autre n’avait eue avant ?

Marie-Odile Morandi : Oui. C’est ce qu’il explique dans ses interventions et dans les transcriptions. Certes Roberto a eu une idée géniale, mais il nous explique que son équipe, les personnes avec qui il travaille sont tout aussi géniales que lui et que, de plus, il a eu la chance de rencontrer des responsables qui ont compris l’importance de ce travail, lui ont fait confiance et l’ont suivi parce que c’était maintenant ou jamais. En effet dit-il : « On a une opportunité unique de pouvoir encore parler à la plupart des gens qui ont écrit les premiers logiciels, qui savent comment les logiciels qui ont fabriqué Internet, qui ont fabriqué le Web, ont été développés et pourquoi ils ont été faits de telle sorte ; ces personnes sont encore vivantes. » On ne peut s’empêcher de penser à Louis Pouzin, qui approche des 90 ans et qui a été beaucoup sollicité ces derniers jours au sujet de l’anniversaire des 30 ans du Web. Peut-être se connaissent-ils et se sont-ils rencontrés !

Frédéric Couchet : Comme tu le dis, on a fêté récemment les 30 ans du Web ; occasion aussi de saluer Tim Berners-Lee et également Robert Cailliau qui est un petit peu considéré comme le co-inventeur du Web il y a 30 ans. Donc Software Heritage est un projet technique, mais pas que ! C’est ça ?

Marie-Odile Morandi : On ne peut pas douter que Roberto et son équipe trouveront les solutions techniques adaptées pour réaliser ce travail titanesque. D’ailleurs il nous explique qu’une infrastructure a été mise en place, qu’un énorme aspirateur se connecte aux différents endroits de la planète dans lesquels on développe des logiciels. Il nous indique que plus de 4 milliards et demi de fichiers sources tous différents ont déjà été récupérés à partir de 80 millions d’origines. Toutes ces données seront dupliquées et conservées à divers endroits de la planète pour éviter la triste fin de la bibliothèque d’Alexandrie. C’est effectivement une énorme structure technique mais pas que !
Bien entendu pour réaliser un tel projet, la partie économique est très importante : une fondation est en train de se constituer, il faut chercher des soutiens, des sponsors et je laisse les lecteurs découvrir quels sont les sponsors de ce projet, même si la présence de certains en interpelle quelques-uns, mais les explications de Roberto sont convaincantes, le monde change !
Ce que j’ai trouvé intéressant au moment des transcriptions ce sont les questions juridiques soulevées par Roberto fervent défenseur de l’open science. Il ne manque pas de tacler le modèle encore trop souvent en vigueur qui repose sur la vente de licences et sur les notions de propriété intellectuelle, ce qui nous ramène aux combats récents directive droit d’auteur, article 13, etc.

Frédéric Couchet : On va reparler tout à l’heure de l’article 13, mais peux-tu nous rappeler les prises de proposition de Roberto Di Cosmo sur la proposition de directive droit d’auteur et son article 13 notamment ?

Marie-Odile Morandi : Je ne peux pas les rappeler dans les mots qu’il a employés, je sais qu’il est signataire ou cosignataire d’une lettre tout à fait contre cet article 13.

Frédéric Couchet : D’accord. Pourquoi peut-on penser que la politique au sens noble intervient aussi dans ce projet ?

Marie-Odile Morandi : Roberto indique que la reconnaissance de l’importance du code source des logiciels est indispensable et que ce travail est fait au jour le jour avec l’Unesco pour que le code source soit reconnu au niveau international et acquiert toute sa noblesse. Cependant, dans une des interventions transcrites, une question est posée par un responsable du projet SOHA au sujet du rôle à venir de l’Unesco. SOHA est projet de développement de la science ouverte en Haïti et en Afrique francophone. Cette personne souhaite que ce patrimoine de codes sources soit mis à disposition non seulement des étudiants, des chercheurs et de quiconque habitant le Nord de la planète mais aussi à disposition des Africains et des habitants du Sud de la planète. C’est donc un développement auquel il faudra tout à fait penser.

Frédéric Couchet : Pour rebondir sur ton introduction, tu souhaites que ces transcriptions soient lues par le maximum de personnes afin de redonner de l’espoir à chacun d’entre nous ?

Marie-Odile Morandi : Tout à fait. J’ai trouvé, en écoutant les interventions de Roberto et en transcrivant, que ce projet était vraiment en phase d’accélération. La conservation pour les générations futures de ce précieux patrimoine de l’humanité que sont les codes sources est entre les meilleures mains possibles qui en prennent le plus grand soin.
Je vous engage à réécouter Roberto Di Cosmo, homme passionné s’il en est, à relire les transcriptions. Il nous montre qu’avoir des utopies et les mettre en œuvre, avec un peu de courage et un peu de chance, c’est possible. Merci Roberto !

Frédéric Couchet : On retrouve ces références sur le site de l’April, april.org, dans la page consacrée à l’émission. Pour terminer de qui souhaites-tu nous parler maintenant ? Quelle est cette Italienne qui fait donc une carrière chez nous ?

Marie-Odile Morandi : Comme deuxième clin d’œil pour les auditeurs et les auditrices, et pour terminer la chronique, je souhaitais parler de notre amie Isabella, Italienne elle aussi, coordinatrice vie associative, responsable projets pour l’April depuis 2014 et qui est intervenue de nombreuses fois dans les émissions « Libre à vous ! »
On peut écouter et lire les transcriptions des entretiens qu’elle a eus au fil des mois, que ce soit avec les organisateurs des Rencontres mondiales du logiciel libre, de la Fête des Possibles, du Festival des libertés numériques ou du Libre en Fête. Personne ne lui échappe !

Ce que je voulais souligner c’est que le 29 mai 2018 elle était intervenue pour présenter le groupe de travail Sensibilisation de l’April dont « le but est de réaliser, de proposer des outils de communication pour sensibiliser le public au logiciel libre », nous dit-elle.
Elle a parlé à nouveau de ce groupe le 26 février dernier pour présenter les projets qui sont en cours développement grâce aux excellentes idées qui ont émergé de ce groupe : le jeu de Gnou basé sur le jeu de l’oie et le catalogue de fiches destiné à expliquer quelles sont les principales actions menées par l’April. Elle indique que tous ces projets permettront de faciliter le travail des bénévoles, des animateurs, des animatrices des stands.

Donc si vous voulez participer au groupe Sensibilisation vous trouverez toutes les explications sur la page de références en allant consulter, par exemple, la transcription de l’émission du 26 février.
Et si cette année, chers auditeurs et auditrices, pour diverses raisons, vous n’avez pas pu organiser ou participer aux événements coordonnés par Isabella pour l’April, je vous encourage à relire les transcriptions de ses interventions et qui sait, pour l’année prochaine, l’enthousiasme de Isabella puisse-t-il être contagieux et vous encourager à agir pour la « priorité au logiciel libre » !

Frédéric Couchet : Merci Marie-Odile pour ce clin d’œil et cette mise en valeur du travail de Isabella Vanni qui est ma collègue à l’April et évidemment celle d’Étienne Gonnu. Je précise que Isabella sera présente la semaine prochaine dans l’émission justement pour faire sa chronique « Le libre fait sa comm’ » et parler notamment d’actions de sensibilisation.
Marie-Odile, je te remercie pour cette chronique. Je te souhaite de passer une bonne journée et on se retrouve le mois prochain.

Marie-Odile Morandi : Au revoir. Merci à vous.

Frédéric Couchet : Bonne journée. C’était Marie-Odile Morandi pour sa chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ».
Nous allons faire une pause musicale. Nous allons écouter Waii​-​Ha par Silva de Alegría et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Waii​-​Ha par Silva de Alegría.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Waii​-​Ha par Silva de Alegría. C’est une musique sous licence libre comme toutes les musiques que l’on diffuse dans l’émission. Vous retrouvez la référence sur le site de l’April, april.org.

Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. Nous allons maintenant démarrer une discussion concernant les logiciels libres pour l’image et la vidéo avec nos deux invités, Jehan Pagès. Rebonjour Jehan.

Jehan Pagès : Bonjour.

Frédéric Couchet : Et Lionel Allorge. Rebonjour Lionel.

Lionel Allorge : Bonjour.

Frédéric Couchet : On va d’abord commencer par un petit tour de table de présentation pour que vous puissiez vous présenter en détail aux personnes qui nous écoutent. On va commencer par Jehan Pagès, est-ce que tu peux te présenter s’il te plaît ?

Jehan Pagès : Moi je suis un des développeurs de GIMP. En ce moment je suis engagé comme ingénieur au CNRS pour développer GIMP par un laboratoire qui s’appelle le laboratoire Greyc, g, r, e, y, c. Je suis aussi membre d’une association qui s’appelle l’association LILA, l, i, l, a. On promeut les logiciels libres pour les créations artistiques et on est aussi producteur d’un film d’animation…

Frédéric Couchet : Qui s’appelle ?

Jehan Pagès : ZeMarmot, z, e, m, a, r, m, o, t, c’est une blague parce que c’est de l’anglais mais comme on est français, on…

Frédéric Couchet : On prononce le the avec le « z ».

Jehan Pagès : Voila, exactement.

Frédéric Couchet : OK. On aura l’occasion de revenir sur ce projet-là aussi, sur tes activités à la fois bénévoles et professionnelles.
Lionel Allorge, on se connaît depuis de nombreuses années, mais je te laisse quand même te présenter.

Lionel Allorge : Je suis membre de l’April depuis l’an 2000, je crois, j’ai été membre du conseil d’administration pendant plusieurs années et j’ai été également président de l’April pendant trois ans. Aujourd’hui je suis redevenu simple membre, on va dire. Je m’intéresse depuis longtemps à tout ce qui est création audiovisuelle, notamment la photographie mais aussi aujourd’hui la vidéo. Donc c’est l’occasion de venir parler un petit peu des outils que j’utilise qui sont des outils libres.

Frédéric Couchet : Et tu es toujours membre, voire président, de l’association Lune Rouge ?

Lionel Allorge : Oui. Avec des amis on a monté une petite association qui s’appelle Lune Rouge, qui a pour but, justement, de créer des choses autour de l’audiovisuel dans le domaine notamment du fantastique, de la science-fiction, mais de manière, disons, très amateur. Le but c’est de se faire plaisir essentiellement.

Frédéric Couchet : C’est l’essentiel ! Lune Rouge existe depuis peut-être 25 ou 30 ans. C’est ça ?

Lionel Allorge : Depuis les années 80.

Frédéric Couchet : OK, oui 30 ans, d’accord, voire plus. Très bien.
Alors on va commencer. L’idée, évidemment, ce n’est pas d’aborder tous les logiciels libres qui existent dans l’image et la vidéo parce qu’il y en a beaucoup, mais de parler des principaux, à la fois en termes de fonctionnalités, en termes éventuellement de manque. On parlera aussi, dans une deuxième partie, des modèles de développement et des modèles économiques de certains des projets, parce que les gens, des fois, utilisent des logiciels dont ils n’imaginent pas la façon dont ils sont financés et là on a deux exemples assez différents avec Blender côté vidéo et GIMP côté image. Et on parlera évidemment aussi des façons de se mettre à ces outils de création images et vidéos et des premières pistes que l’on peut proposer aux personnes qui nous écoutent.
Déjà on va commencer à parler côté images. Quand on parle d’images et de logiciels libres, on pense assez naturellement et assez rapidement à GIMP qui est un logiciel libre pour créer des images, qui existe depuis, peut-être que je vais piéger Jehan en demandant depuis combien de temps il existe…

Jehan Pagès : Je crois que c’est 1996.

Frédéric Couchet : 1996. GIMP ça veut dire GNU Image Manipulation Programme donc c’est un programme de manipulation d’images qui est « issu » entre guillemets ou qui est chapeauté quelque part par le projet GNU de Richard Stallman, le projet fondateur du logiciel libre.

Jehan Pagès : Originellement le G voulait dire « Général ».

Frédéric Couchet : C’est vrai ?

Jehan Pagès : C’est Stallman qui a demandé à ce qu’ils changent le nom. Ou l’inverse, ou peut-être l’inverse. Ce sont peut-être les auteurs originaux qui ont demandé à Stallman s’ils pouvaient utiliser GNU. L'un des deux.

Frédéric Couchet : D’accord. J’avoue que je ne me souvenais pas de ce point de détail. Alors Jehan, comme tu l’as dit dans l’introduction, tu es développeur GIMP, à la fois développeur bénévole et puis tu as aussi aujourd’hui un travail dans un laboratoire de recherche pour travailler sur GIMP. Déjà est-ce que tu peux nous parler des fonctionnalités de GIMP, de ce projet et de ses usages pour des personnes qui souvent vont plutôt penser dans le monde privateur à Photoshop notamment ? Est-ce que tu peux nous présenter un petit peu ce projet GIMP ?

Jehan Pagès : GIMP, comme son nom l’indique, c’est vraiment un logiciel de manipulation d’images assez générique, ce qui fait qu´on peut faire un peu tout. Il y a certains projets qui décident d’être un peu plus spécialisés et beaucoup utilisent énormément GIMP pour la photographie notamment, il y a énormément de filtres, énormément de possibilités, et d’outils, etc. Il y en a qui l'utilisent pour le dessin, pour le design. Il y a aussi beaucoup de scientifiques qui utilisent GIMP parce qu’il y a tout un système d’API [application programming interface], de plugins, on peut faire des scripts et tout ça. Des fois dans les rapports de bugs, il y a des gens qui arrivent avec « moi j'ai cette image de 500 000 fois 500 000 », parce qu’ils font des trucs de recherche. Il y a un peu tout, vraiment, il y a même des gens qui font du pixel art. Un peu de tout. C’est ça.

Frédéric Couchet : D’accord. Par rapport à Photoshop, est-ce qu’on retrouve d’autres outils privateurs ou même d’autres outils logiciels libres, parce que j’ai l’impression qu’en termes de traitement d’images, en tout cas matricielles, GIMP est le principal logiciel libre qui existe et ou est-ce que je me trompe ?

Jehan Pagès : Oui, tout à fait. Il est tellement vieux : c’est une histoire d’ancienneté en fait. Ça fait plus de 20 ans qu’il est là ! Effectivement on est typiquement sur le créneau de Photoshop, même si certains croient qu’on essaie de copier Photoshop, ce qui n’est pas le cas, d’ailleurs moi je n’ai pas utilisé Photoshop depuis 20 ans, peut-être pas 20 ans, la dernière fois que j’ai dû utiliser ça j’étais au lycée, donc si, peut-être une vingtaine d’années. C’est ce créneau-là du logiciel qui fait un peu tout. C’est un logiciel générique, pas spécialisé effectivement. Ensuite, comme ça fait longtemps que je ne l’ai plus utilisé je ne pourrais pas comparer exactement les fonctionnalités. Je sais qu’il y a des choses qu’on n’a pas qu’il y a dans Photoshop, mais je sais qu’il y a aussi l’inverse. C’est souvent une histoire d’habitude, quand on est habitué ; on lit régulièrement des retours de gens qui ont utilisé GIMP pendant 15 ans et un jour ils se disent on va essayer Phososhop et, en fait, ils n’y arrivent pas, ils ne comprennent pas et ils sont aussi frustrés que quelqu’un qui sera très habitué à Photoshop.

Frédéric Couchet : C’est un point important dont tu parles qui est finalement la force des habitudes. Au-delà de la capacité de ces logiciels – c’est valable dans l’image, la vidéo, mais dans d’autres logiciels, de la bureautique ou autres, peut-être plus dans le traitement d’images et de vidéos parce que c’est peut-être un poil plus compliqué, on peut faire plus de choses –, le fait que quelqu’un est habitué à un logiciel, pour le faire changer, que ce soit vers le logiciel libre ou l’inverse, c’est quelque chose de pas du tout évident, parce qu’il y a des habitudes. Moi je ne connais pas du tout Photoshop et très peu GIMP, mais ce sont sans doute deux approches différentes en termes d’interface, donc on peut être troublé quand on passe de l’un à l’autre. Est-ce qu’il y a des moyens de casser cette problématique quand il y a des gens qui arrivent sur GIMP ? Est-ce qu’il y a des ateliers par exemple qui existent ? Est-ce qu’il y a aussi des formations par exemple aujourd’hui sur GIMP, je pense aux formations pour les graphistes ou autres, est-ce que la formation à GIMP est intégrée dans ces formations ?

Jehan Pagès : Il n’y en pas beaucoup je pense, mais ça arrive. On a dans notre association, notre réalisatrice animatrice qui fait un peu tout.

Frédéric Couchet : Qui s’appelle comment ?

Jehan Pagès : Aryeom Han, qui a donné, par exemple, des cours à l’université de Cergy-Pontoise. C’était sur quatre jours, je crois, à deux classes, c’était un programme de cours-invité ; une des classes était Graphisme puisque c’était la classe des infographistes et une classe c’était 3D patrimoine. Eux ont plus fait de la retouche, etc., parce que même pour la 3D on a besoin pour plaquer des textures, des choses comme ça. Donc ça arrive, il y en a qui commencent, ce programme-là ou d’autres, à les enseigner l’école, il y a peut-être des formations, etc. Ensuite il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas non plus encore une habitude, ça s’améliore. Il y en a certains qui ont mieux réussi ; Lionel en parlera plus tard, je crois, de Blender et eux sont déjà beaucoup plus implantés dans le milieu professionnel. Par exemple quand on regarde les compétences sur le site Pôle emploi, dans les compétences en général ils mettent en fait des logiciels, des choses comme ça ; il y a Blender dedans à côté des produits Adobe, etc.

Frédéric Couchet : D’accord. Alors que dans le domaine de l’image ce n’est pas le cas. C’est ça ?

Jehan Pagès : Il n’y a aura pas GIMP dans la liste. La dernière fois que j’ai regardé il n’y avait pas GIMP dans la liste.

Frédéric Couchet : D’accord, il y aura Photoshop.

Jehan Pagès : Oui, il y aura Photoshop et il y avait Blender, etc., enfin pas etc., juste Blender je crois en libre, c’est la seule chose que j’ai vue dans « image vidéo ». Donc eux commencent à être un peu plus enseignés, etc., dans les universités ; il y a pas mal de formations professionnelles aussi qui font du Blender. Mais sinon, pour débuter, c’est vrai que ça doit être plus dur, je pense, pour trouver GIMP. De toutes façons c'est vrai pour tous les logiciels, même en formation, ce n’est pas vraiment là, d’après moi, où on apprend. J’ai une vision assez particulière de l’université, je pense que c’est l’utilisation.

Frédéric Couchet : L’utilisation, la pratique.

Jehan Pagès : La pratique voilà, la pratique. En fait quand vous utilisez GIMP 8 heures par jour, 5 jours par semaine, tout devient facile, enfin tout, les choses que vous utilisez le plus fréquemment. Ce qui est aussi un des points : quand on parlait de l’habitude à Photoshop ce qui sera différent c’est que même des fois quand on a des fonctionnalités qui manquent ce n’est pas forcément un problème parce que, en vrai, même un professionnel utilise une petite partie, parce que ce sont des logiciels très complexes, très compliqués.

Frédéric Couchet : Même les pros utilisent 5 ou 6 % des fonctionnalités.

Jehan Pagès : Parce qu’en fait chacun utilise ce dont il a besoin. Une fois qu’on est habitué ensuite, même s’il y a plusieurs façons de faire une même chose, on va souvent réutiliser les méthodes auxquelles on s’est habitué, etc.

Frédéric Couchet : D’accord. Lionel Allorge tu disais que tu faisais beaucoup de photographie. Dans le cadre de ton traitement de photographies tu utilises GIMP ou tu utilises un autre outil ?

Lionel Allorge : Ça dépend. J’utilise beaucoup GIMP. Mais GIMP a ses limites dans certains types de fichiers photos qui sont ce qu’on appelle du RAW, r, a, w ; c’est le fichier le plus brut qui puisse sortir de l’appareil photo.

Frédéric Couchet : C’est ce que produit directement l’appareil avant…

Lionel Allorge : Avant d’être traité dans un format comme le JPEG, par exemple. Des fois GIMP n’arrive pas à lire correctement certains de ces fichiers RAW, parce que, bien sûr, chaque fabricant a sa propre idée de la manière dont ce fichier doit être composé.

Frédéric Couchet : Chaque fabricant d’appareil.

Lionel Allorge : Chaque fabricant d’appareil photo. Ce n’est pas du tout normalisé comme le JPEG par exemple ou le PNG ou ce genre de format plus grand public.

Jehan Pagès : Tu utilises quelle version de GIMP ?

Lionel Allorge : J’essaye d’être à jour. Donc d’avoir les dernières en date, mais les dernières dans ma distribution. Ce n’est peut-être pas la dernière sortie.

Jehan Pagès : En fait la dernière de GIMP donc les 2.10 et quelques, 2.10.8 en l’occurrence, en fait depuis 2.10.0 pour le RAW on utilise nous-mêmes d’autres logiciels.

Lionel Allorge : D’accord.

Jehan Pagès : C’est-à-dire en Libre les deux principaux c’est Darktable et RawTherapee.

Frédéric Couchet : Est-ce que tu peux juste les répéter, donc Darktable et le deuxième ?

Jehan Pagès : RawTherapee.

Frédéric Couchet : RawTherapee. C’est donc pour traiter les fichiers RAW.

Jehan Pagès : Je crois qu’on appelle ça des développeurs. On dit développement numérique comme si c’était un labo photo quoi ! Maintenant GIMP détecte si ces logiciels sont installés et s’ils sont installés, il lance le logiciel, en plus si on a les deux d´installés on peut sélectionner dans les préférences notre préféré et on peut traiter ce fichier-là RAW et une fois que c’est fini ça revient dans GIMP. Effectivement ce n’est pas du tout la spécialité de GIMP de traiter les fichiers RAW. C’est pour ça qu’on se dit qu'il y a d’autres logiciels, d’ailleurs on connaît bien leurs développeurs, on les voit tous les ans, etc., on utilise ces logiciels-là nous-mêmes.

Frédéric Couchet : Cette remarque entre vous deux est intéressante parce que ça permet de rappeler que c’est aussi un peu la philosophie d´UNIX d’avoir des outils qui font un domaine vraiment bien et qui se reposent sur d’autres outils pour faire ce qu’ils ne maîtrisent pas. C’est la première chose. La deuxième chose c’est une question. Tu as parlé de version, tu as posé une question de version de logiciel ce qui est toujours évidemment important. J’ai deux questions : est-ce que dans les distributions GNU/Linux classiques ou même d'autres systèmes libres, est-ce que c’est la dernière version qui est généralement disponible, par exemple sur Debian, Ubuntu ou d’autres. Et ma deuxième question : ces outils dont on parle, GIMP, Blender et on citera peut-être tout à l’heure Inkscape, Krita et d’autres, ont aussi la particularité d’être multi-plateformes, c’est-à-dire d’être disponibles aussi sur des environnements Windows, Microsoft Windows ou Mac OS ? Est-ce que ce sont les mêmes versions sur les trois environnements, à votre connaissance ?

Jehan Pagès : Nous on fournit la même version, sauf que les distributions, elles, maintiennent leur propre build, leur propres version compilée.

Frédéric Couchet : Leur propres version compilée.

Jehan Pagès : Et elles sont souvent en retard. En fait ce qui est en retard c’est qu’elles ont ce système de version stable. En l’occurrence pour GIMP, quand ils ont fait le gel des fonctionnalités, le freeze, si à ce moment-là on avait encore la version 2.8, ce qui est le cas par exemple pour la Ubuntu stable à l’heure actuelle, ils ont dit « eh bien on reste sur les 2.8 ». Or 2.8 ça fait presque un an maintenant que pour nous c’est totalement déprécié et qu’on n’a plus de nouvelle sortie, de corrections de bugs, ni rien, mais la version, la Ubuntu LTS, Long-Term Support, utilise toujours une version totalement vieille.

Frédéric Couchet : D’accord. Dans ce cas-là, tu conseilles à la personne d’installer la version la plus à jour à partir du site de GIMP ?

Jehan Pagès : Maintenant sous Linux il y a ces nouveaux types de paquets qui sont Snap ou Flatpak. En gros ce sont des paquets qui peuvent marcher partout.

Frédéric Couchet : D’accord.

Jehan Pagès : Il y aussi AppImage. Nous, GIMP, on fournit juste officiellement un Flatpak, mais il y a des gens qui font aussi un Snap, c’est Ubuntu qui a fait son propre système. AppImage est un système un peu plus ancien mais qui est quand même un peu différent. En fait s’ils ne l’ont pas dans leur distribution, il faut qu’ils installent un de ceux-là. Ou alors maintenant souvent les distributions les PPA, je ne sais pas si vous connaissez.

Frédéric Couchet : C’est Ubuntu.

Jehan Pagès : Voilà. Ça c’est Ubuntu en PPA.

Frédéric Couchet : Je ne me souviens plus de ce que ça veut dire.

Jehan Pagès : Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais ce sont des paquets fournis par d’autres personnes, par des tiers.

Frédéric Couchet : Par d'autres personnes, par des tiers. Oui c’est ça. Ce ne sont pas des paquets officiels fournis par Ubuntu, mais ce sont des paquets fournis par des tiers.
En tout cas au-delà de tous ces aspects, ces mots techniques, sans doute que les gens sont un peu perdus, même moi, d'ailleurs, je n’ai pas forcément tout saisi dans le détail, l’important c’est de vérifier la version qui est disponible sur son environnement et de vérifier par rapport à la version officielle actuelle, par exemple pour The Gimp et je poserai la même question pour Blender, éventuellement de mettre à jour, parce que effectivement sur un certain nombre de distributions GNU/Linux, notamment Debian, là je l’ai vérifié. Moi j’utilise une version qui n’est pas stable de Debian, c'est une version qu’on appelle de test, c’est la version 2.10 de GIMP qui est installée.

Jehan Pagès : C’est la version de test.

Frédéric Couchet : Voilà. Les personnes qui sont souvent sur une version stable, par exemple chez moi les autres ordinateurs sont sur une version stable, donc effectivement GIMP 2.8. Après ça dépend des fonctionnalités qui sont requises ; pour beaucoup de gens ça suffira, mais des fois il faudra mettre la version à jour. Ma question par rapport à Windows et Mac, tu as répondu, vous fournissez la version à jour.

Jehan Pagès : C’est plus facile, ils ont des installeurs ou Mac a un paquet dmg.

Frédéric Couchet : D’accord. En tout cas il est important de savoir que les personnes qui aujourd’hui utilisent un système privateur, que ce soit Microsoft Windows ou Mac OS, peuvent tester GIMP et le jour où elles migreront vers un système entièrement libre elles retrouveront GIMP et normalement la même version avec les mêmes fonctionnalités,
Sur Blender, logiciel de vidéo, c’est un peu le même principe en termes de version ?

Lionel Allorge : Blender est un logiciel qui a été créé et dès le départ les créateurs voulaient maîtriser leur interface. En fait l’interface, donc tout ce qui apparaît sur les fenêtres, a été défini à partir de zéro. Du coup le logiciel n’est pas lié à un système d’exploitation, il n’est pas lié par exemple à Windows ou à un système propriétaire.

Frédéric Couchet : Ils n’ont pas utilisé de librairies, enfin de bibliothèque de fonctions préexistantes pour construire l’interface ; ils sont partis vraiment de zéro, ce qui leur permet de livrer pour toutes ces interfaces.

Lionel Allorge : Voilà. Ça a permis assez facilement de faire des variantes, enfin des versions pour chaque système d’environnement, non seulement les plus connus donc Mac OS et Windows mais aussi pour d’autres plus exotiques, Spark [Solaris, Note de l'orateur], des choses comme ça.

Frédéric Couchet : D’accord.

Lionel Allorge : Ça permet une grande variété d’environnements.

Jehan : Pour GIMP, c’est marrant parce que c’est la même chose en fait. GIMP a créé son propre toolkit, le GTK.

Lionel Allorge : Oui c’est vrai historiquement. Qui après a été récupéré par Gnome notamment.

Jehan Pagès : Par Gnome, etc. GTK veut dire GIMP Toolkit.

Frédéric Couchet : Gnome est un environnement de bureau disponible sur des environnements libres. Il y a d’autres, un qui s’appelle KDE. N’hésitez pas à aller dans les fêtes d’installation de logiciels libres, allez voir des groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices pour découvrir ça.
Sur le salon on nous apporte des contributions utiles parce qu’on cherchait ce que veut dire PPA, ça veut dire Personnal Package Archive, donc une archive de paquets personnels fournie effectivement par des tiers et non pas par Ubuntu.
On va parler aussi un petit peu de Blender. Blender historiquement ce n’est pas un logiciel libre si je me souviens bien, Lionel Allorge ?

Lionel Allorge : Voilà.

Frédéric Couchet : Historiquement c’est un logiciel privateur.

Lionel Allorge : C’est ça. Même au départ il y a une notion qui est le fait que les premières versions ont été faites par une entreprise, au sein de l’entreprise, pour être utilisées en interne. C´est ce qu’on appelait des logiciels à façon, c’est-à-dire des logiciels qui ne sont pas destinés à être diffusés. Quand le développeur a voulu commencer à diffuser son logiciel, il l’a fait dans une manière qui était à l’époque relativement classique, qu’on appelait le shareware ou le partagiciel en français, c’est-à-dire que les gens pouvaient gratuitement récupérer le logiciel, l’essayer et puis si ça leur convenait à ce moment-là on les encourageait à payer une certaine somme et notamment ça leur permettait d’avoir des fonctionnalités supplémentaires par exemple. Donc c’est comme ça que Blender a commencé à se faire connaître du grand public. Ce n’est pas un logiciel libre.

Frédéric Couchet : Ce n’était pas un logiciel libre.

Lionel Allorge : Ce n’était pas un logiciel libre.

Frédéric Couchet : Aujourd’hui c’est un logiciel libre.

Lionel Allorge : C’est ça. Il faut bien insister sur la différence : le logiciel libre apporte les fameuses 4 libertés qu’un shareware n’apporte pas. Il y a que, éventuellement, la liberté 0, c’est-à-dire celle d’utilisation, et encore elle est limitée, comme on vient de le dire, puisqu’il faut payer pour certaines fonctionnalités. L’histoire est intéressante parce que du coup ce logiciel a commencé, a eu un certain succès parce qu’il n’y avait pas beaucoup de solutions on va dire entre guillemets « gratuites » pour l’utilisateur, donc il a été beaucoup utilisé, mais l’entreprise qui le diffusait, qui s’appelait Not a Number [Not a Number Technologies], une entreprise néerlandaise, en 2002 a fait faillite, parce que les gens qui avaient investi dedans ont constaté qu’ils n’arrivaient à gagner d’argent avec ce modèle économique. Du coup le logiciel, et c’est le gros défaut de tous les logiciels qui ne sont pas libres, c’est qu’il risquait de disparaître corps et âme si on peut dire puisque l’entreprise aurait été fermée et le logiciel disparaissait. On pouvait toujours avoir les exécutables, mais il n’y avait plus moyen de pouvoir intervenir dessus. Le développeur principal qui s’appelle Ton Roosendaal a donc essayé de sauver, en quelque sorte, son logiciel en demandant aux investisseurs de le rendre public, en tout cas au début au moins d’autoriser sa diffusion et là les investisseurs ont dit : « Oui, mais nous on veut rentrer un peu dans nos frais ». Donc ils ont demandé une somme assez importante de 100 000 euros. 100 000 euros c’était le prix pour pouvoir rendre ce logiciel libre, pour pouvoir le diffuser sous licence libre. Personnellement j’avais suivi un peu cette histoire et quand j’ai vu de montant je me suis dit : ça ne marchera jamais !

Frédéric Couchet : Ça ne marchera jamais ! C’était en 2002, pour rappel.

Lionel Allorge : 2002. J’étais très négatif parce que je me disais 100 000 euros ! Surtout pour des gens qui étaient jusque-là habitués à avoir ce logiciel gratuit sur Internet. En fait j’avais tort. La somme a été réunie très rapidement ; en quelques mois ils ont réuni les 100 000 euros donc le logiciel a pu un, être publié sous licence libre et, en plus, ça a permis de créer une fondation qui s’appelle la fondation Blender qui permet aujourd’hui d’assurer l’avenir de ce logiciel, puisque ce logiciel continue à être activement développé, mais aujourd’hui c’est grâce aux dons des utilisateurs que le système fonctionne.

Frédéric Couchet : Ça c’est très intéressant. Ça veut dire que ce travail fait par Ton Roosendaal a permis de libérer ce logiciel, ce qui en plus a permis une grande dynamique parce qu’aujourd’hui Blender est quand même très largement utilisé, comme le disait Jehan tout à l’heure il est même signalé dans les compétences proposées sur le site de l’ANPE contrairement à The GIMP ou d’autres. À l’époque, effectivement, on était un peu dubitatifs sur la possibilité de réunir 100 000 euros. C’était 100 000 euros ou 100 000 dollars ?

Lionel Allorge : 100 000 euros puisque c’est une entreprise néerlandaise. Il y avait déjà l’euro en 2002.

Frédéric Couchet : Il y avait déjà l’euro. Donc on était un peu dubitatifs, mais ça a fonctionné, c’était en 2002, nous sommes en 2019, donc 17 ans après, ce logiciel continue à se développer avec un modèle économique, comme tu le dis, de fondation, qui est basé sur les dons des utilisateurs, ce qui nous permettra, après la pause musicale, de parler un petit peu du modèle de The GIMP. Jehan peut-être que tu voulais rajouter quelque chose avant la pause musicale ?

Jehan Pagès : Je voulais dire qu'un ami me disait ça, que c’était le premier crowdfunding sur Internet à priori de l’histoire avant toutes les plateformes de crowdfunding en fait.

Frédéric Couchet : C’est possible effectivement, je ne sais pas du tout ; on vérifiera.

Jehan Pagès : C’est très vieux et à l’époque personne ne faisait de crowdfunding sur Internet, c’est un choix de financement. Donc c’est assez intéressant de ce point de vue historique.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Après la pause on parlera un peu de GIMP, du fonctionnement économique et puis du travail de Jehan Pagès au CNRS sur The GIMP, justement. On va faire une pause musicale. Nous allons écouter Requiem for a fish par The Freak Fandango Orchestra et on se retrouve juste après,

Pause musicale : Requiem for a fish par The Freak Fandango Orchestra.

Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1,

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Requiem for a fish par The Freak Fandango Orchestra. Les références sont sur le site de l’April ; c’est toujours de la musique libre et vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio cause Commune 93.1 et partout ailleurs sur causecommune.fm.

Avant la pause nous discutions de Blender, logiciel privateur de vidéo, devenu en 2002, suite à un lancement de financement participatif pour un montant de 100 000 euros, un logiciel libre. Aujourd’hui il est très utilisé, en plein développement.
Nous allons revenir après sur la vidéo pour parler d’un autre logiciel qui s’appelle Kdenlive qu’utilise Lionel Allorge, mais avant cela on va revenir sur GIMP et un petit peu sur le fonctionnement du modèle économique de GIMP. Comment il se développe et pour savoir aussi un petit peu comment se fait-il que Jehan Pagès soit payé par le CNRS pour développer sur GIMP. Donc Jehan est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu tout ça ?

Jehan Pagès : Déjà GIMP lui-même n’a pas vraiment de modèle économique. C’est un logiciel entièrement communautaire. On peut faire des donations ; Gnome est né de GIMP mais maintenant Gnome ils ont plein de sous, ils ont une fondation, etc., et en fait GIMP, on va dire, a un « compte » en guillemets chez Gnome. On peut donner en fait pour GIMP par l’intermédiaire de Gnome, mais cet argent n’est utilisé que pour, par exemple, du matériel, pour les contributeurs et puis aussi pour les faire se rencontrer tous les ans, notamment au Libre Graphics Meeting qui est une conférence annuelle de logiciels libres pour le graphisme ; juste comme ça. Mais comme il n’y a pas vraiment d’entité légale pour GIMP, ça ne peut pas payer, ça ne paye pas de salaire ni rien de ce genre.

Frédéric Couchet : Donc c’est principalement du développement communautaire bénévole.

Jehan Pagès : Voilà. On est en gros trois gros développeurs chez GIMP, à l’heure actuelle, alors il n’y a vraiment pas grand monde ; pour des petits patchs il y a d’autres gens, mais on est trois à faire la plupart des choses.

Frédéric Couchet : Les deux autres sont situés où physiquement ? Si tu le sais.

Jehan Pagès : Oui. Le mainteneur, Michael Natterer, Mitch, est en Allemagne, il a une librairie, c'est son boulot.

Frédéric Couchet : D’accord.

Jehan Pagès : Il développe beaucoup et je ne sais pas comment il fait parce qu’il a des employés, etc. et, entre deux livres qu’il vend il fait des patchs. Il y en a un autre qui s’appelle ell, e, l, l ; on ne sait pas son vrai nom, on ne sait pas où il est, on ne s'est vraiment jamais vus. En plus il est très fort, donc on pense que c’est un robot ou un alien, quelque chose comme ça. Voilà !

Frédéric Couchet : D’accord. Donc toi tu fais partie de ces trois-là. C’est finalement une petite communauté de principaux développeurs. Je suppose qu’il y a des petites contributions à côté.

Jehan Pagès : Voilà. Ensuite, pas tout à fait, on est un peu plus, parce maintenant GIMP et son moteur graphique se sont, on va dire, séparés. On utilise GEGL qui est le moteur graphique de GIMP et qui lui-même a plusieurs développeurs qui travaillent beaucoup. Et vu qu’on l’utilise, c’est notre moteur graphique, évidemment si on comptait ça ferait, je dirais, au moins un développeur de plus, le mainteneur de GEGL. Voilà !

Frédéric Couchet : D’accord. OK. Toi à titre personnel, en plus de ta contribution bénévole en tant que développeur de GIMP, aujourd’hui tu es au CNRS pour travailler en partie sur GIMP ? Ou totalement sur GIMP ?

Jehan Pagès : Totalement.

Frédéric Couchet : Totalement. D’accord. Qu’est-ce que tu fais là-bas ?

Jehan Pagès : En fait c’est juste un contrat d’un an. Je ne sais plus comment ils appellent ça, ingénieur je ne sais plus quoi, c’est un CDD. C’est une équipe, un labo à Caen, qui eux-mêmes développent un logiciel libre qui s’appelle G'MIC.

Frédéric Couchet : G, M, I C.

Jehan Pagès : Moi je dis « G MIC », mais je crois qu’ils disent « GMIC », donc c’est G, ’, M, I, C et qui est, je pense, j’en suis à peu près sûr, le plugin le plus utilisé, le plus téléchargé de GIMP. En fait c’est toute une plateforme. C’est pareil, ils ont aussi, je crois, enfin ce n'est pas je crois, on peut l’utiliser par la ligne de commande, etc. G’MIC a des centaines de filtres ; c’est une plateforme pour créer des filtres et pour tester en fait ; ils font des papiers de recherche, etc.

Frédéric Couchet : Donc ce sont des chercheurs spécialistes en traitement de l’image, qui développent un greffon à GIMP, qui peut être utilisé aussi, comme tu le dis, en ligne de commande c’est-à-dire tout seul, pour appliquer des filtres divers et variés à des images.

Jehan Pagès : Exactement.

Frédéric Couchet : Donc toi tu es embauché pour un an pour travailler là-dessus.

Jehan Pagès : En fait au tout début ils voulaient m’embaucher pour faire un plugin Photoshop pour G’MIC et je leur ai dit non, que ça ne m’intéressait pas vraiment. Finalement ils ont changé le truc, parce que je travaille en fait sur l’amélioration de l’architecture pour installer des plugins dans GIMP. À l’heure actuelle c’est encore un peu à l’ancienne, on prend un zip sur Internet qu’on met dans un dossier et puis il faut…

Frédéric Couchet : Tu veux dire pour faciliter l’installation d’un greffon sur son ordinateur.

Jehan Pagès : Exactement.

Frédéric Couchet : D’accord.

Jehan Pagès : Là l’idée serait plus à la Firefox ou autres, c’est-à-dire on peut chercher des extensions, on peut les installer en cliquant.

Frédéric Couchet : On clique sur un bouton.

Jehan Pagès : En fait ça les intéressait parce que ça permet aussi d’étendre, enfin de faire mieux connaître G’MIC, etc. Ils ont été intéressés par ça et ensuite, comme je sais qu’ils font plein d’algorithmes vachement intéressants dont un qu’on appelle la colorisation intelligente. Ça aussi ça m’a intéressé, On a discuté et j’ai déjà fait un premier projet dans le cadre de mon contrat, qui est fini, ça va sortir je pense d’ici quelques jours, dans la prochaine version de GIMP, qui est d’implémenter la colorisation intelligente dans GIMP. Ce sont des algorithmes : quand on colorie dans un espace fermé, on peut colorier à l’intérieur, mais par exemple s’il n’est pas bien fermé, la couleur va sortir. En fait, ça permet de deviner que là il faut relier.

Frédéric Couchet : Il faut relier pour fermer.

Jehan Pagès : Il faut fermer. C’est un peu l’idée.

Frédéric Couchet : D’accord.

Jehan Pagès : Je pense que c’est un très bon usage de l’argent public parce que ça permet d’améliorer les logiciels libres et c’est assez cool.

Frédéric Couchet : Ah oui, j'imagine bien. En tout cas c’est effectivement un bel usage de l’argent public et on espère que plus d’argent public peut être utilisé dans ce cadre-là, c’est-à-dire dans le développement de logiciels libres. Lionel, tu voulais ajouter quelque chose.

Lionel Allorge : Oui. J’avais rencontré les gens qui développent ce plugin. Ça peut sembler comme ça bizarre qu’une université développe ce genre de choses. Il y a certes un aspect créatif, mais il y a aussi un énorme aspect scientifique, c’est-à-dire beaucoup de ces plugins sont utilisés pour traiter des fichiers issus de la recherche, avec des algorithmes des fois vraiment très sophistiqués qui sont mis en œuvre dedans. Donc c’est justifié, me semble-t-il, qu’une université française développe ça et, en plus, ça va bien avec le modèle universitaire de le diffuser ensuite comme un logiciel libre.

Frédéric Couchet : Tout à fait ! Lionel tout à l’heure tu nous as parlé de Blender, de son modèle économique enfin de son modèle de libération et aujourd’hui de l’aspect fondation. Blender c’est un outil de création de vidéos, mais ce n’est pas le seul qui est utilisé, il y en a d’autres, et toi je crois que tu utilises beaucoup un logiciel qui s’appelle Kdenlive. Est-ce que tu peux nous en parler un petit peu ?

Lionel Allorge : Oui, c’est ça. Kdenlive est un logiciel pour faire du montage vidéo. L’idée c’est d’avoir fait des images animées, donc typiquement tournées avec une caméra ou de nos jours avec un téléphone, et on veut pouvoir rassembler ces images pour faire un tout cohérent, pour faire quelque chose d’intéressant. L’idée c’est qu’il faut un logiciel qui permette de couper dans toutes ces images, de les assembler correctement, éventuellement d’ajouter des effets de transition par exemple pour passer d’une séquence à une autre. Et puis pourquoi pas, pour ceux qui s’en sentent l’âme, d’ajouter carrément des effets spéciaux, d’ajouter des manipulations de l’image, par exemple des filtres comme ceux qu’on vient d’évoquer mais au lieu de les appliquer à des images fixes, on peut les appliquer à une image animée.
Donc ce logiciel est maintenant bien au point, je crois qu’on en est à la version 18 actuellement ; c’est quelque chose qui est développé de manière active et c’est un logiciel qui permet des résultats vraiment au niveau professionnel, c’est-à-dire que ça peut manipuler à peu près tous les fichiers vidéos disponibles et ça permet de faire des montages sophistiqués avec plusieurs couches d’images, plusieurs couches de son, ce genre de choses.

Frédéric Couchet : D’accord. Si quelqu’un demain veut faire du montage vidéo, entre Blender et Kdenlive ou autre outil logiciel libre de montage vidéo, est-ce qu’il y a des vraies différences ? Pourquoi toi tu préfères Kdenlive plutôt que Blender, par exemple ?

Lionel Allorge : Blender est un logiciel qui au départ est fait pour créer des images virtuelles qu’on appelle 3D, donc il inclut un module de montage vidéo.

Frédéric Couchet : OK ! Ce n’est pas la même fonctionnalité.

Lionel Allorge : C’est une sous fonctionnalité, sans que ça soit péjoratif. Ce module marche plutôt bien, mais il est quand même limité dans ses capacités. L’énorme intérêt c’est que comme il est dans le même logiciel, il s’interface très bien avec les objets en 3D, c’est-à-dire que si on a conçu des objets en 3D d’un côté dans Blender, qu’on a fait une petite animation, on peut monter cette animation facilement tout en restant dans le logiciel Blender, donc dans un logiciel dont on maîtrise l’interface, normalement.
Alors que Kdenlive est fait pour traiter plutôt pour traiter des fichiers qui ont été tournés plutôt avec des caméras vidéos et qu’il faut monter pour pouvoir faire quelque chose d’intéressant. Donc j’aurais tendance à dire que quelqu’un qui a besoin de faire du montage vidéo un peu sophistiqué a plutôt intérêt à prendre un outil spécialisé, donc Kdenlive.

Frédéric Couchet : D’accord. J’ai exposé au monde entier ma méconnaissance de Blender et de Kdenlive parce que je pensais que c’est un peu la même chose, mais pas du tout ! Je vois évidemment l’intérêt de Kdenlive. Donc Blender c’est pour les personnes qui veulent plus faire de la création d’objets animés 3D qui nécessite peut-être des compétences un peu plus compliquées parce que j’imagine que créer des objets comme ça il faut un talent supplémentaire ou pas du tout ? Est-ce que n’importe qui peut se lancer avec quelques tutoriels pour créer des images, par exemple ?

Jehan Pagès : Non.

Frédéric Couchet : Non ? Jehan.

Jehan Pagès : C’est compliqué. [Il ne suffit pas de « quelques tutoriels ». Il faut du travail. À force de travail, on devient bon et « tout le monde » peut devenir bon. Note de l'orateur]

Frédéric Couchet : Déjà Lionel vas-y et après on parlera de l’expérience de Jehan et notamment aussi avec ZeMarmot et LILA.

Lionel Allorge : L’idée générale c’est que les logiciels dits de 3D donc qui permettent de générer des images complètement artificielles, par calcul, sont des logiciels très compliqués à prendre en main. Bien sûr il y a quelques petites choses qu’on peut faire de manière assez simple, par exemple faire une petite animation dans Blender d’un objet qu’on a récupéré dans une bibliothèque peut se faire relativement facilement. Il y a pléthore de tutoriaux y compris en vidéo qui sont disponibles sur Internet, mais il y a ce qu’on appelle une courbe d’apprentissage qui est assez élevée. Il ne faut pas espérer faire des dessins animés type Pixar demain matin avec Blender ; ce n’est pas possible ! Ça demande de s’y investir et d’y investir du temps. Comme disait Jehan tout à l’heure plus on l’utilise plus on le maîtrise, mais on ne peut passer l’étape de l’apprentissage.

Frédéric Couchet : D’accord. Jehan, on va revenir sur le côté bénévole. Tout à l’heure en introduction tu parlais de ZeMarmot, de l’association LILA. C’est peut-être l’occasion de nous présenter ZeMarmot et l’association LILA et de l’usage de ces outils que ce soit GIMP ou autre dans le cadre de ce projet.

Jehan Pagès : ZeMarmot est un film d’animation mais en 2D, donc c’est dessiné. En fait on utilise GIMP, on utilise Blender aussi mais pour la partie édition vidéo essentiellement, pas vraiment pour la 3D même si on pourrait parce que de nos jours il y a beaucoup de 3D.
En fait moi j’ai commencé surtout à beaucoup développer GIMP. À l’origine c’était pour commencer à faire quelques petits projets comme ça parce que je connais Aryeom qui fait de l’animation, qui elle est professionnelle ; elle a été à l’université, elle a étudié l’animation, ensuite elle a travaillé un peu. On a commencé à essayer un peu de l’utiliser, mais au tout début, la première fois que je lui ai montré GIMP, moi je ne connaissais pas tellement plus que ça, eh bien ça a planté, c’était un des premiers patchs que j’ai faits, puisque quand on a débranchait la tablette graphique ça plantait, des choses comme ça, ce n’était pas vraiment utilisable. En fait j’ai commencé à faire des patchs, à en faire de plus en plus, ce qui fait que de nos jours je suis l'un des principaux développeurs, mais au début c’était ça, c’était parce qu’on l’utilisait.
Et nous on aime bien l’idée un peu dans notre association c’est que finalement on crée nos propres outils, on les utilise et les améliore vraiment par rapport à un usage réel. C’est-à-dire comme en fait tous les jours…

Frédéric Couchet : C’est-à-dire que vous êtes confrontés à la réalité de la création graphique et donc vous adaptez l’outil.

Jehan Pagès : Exactement. Tous les jours Aryeom l’utilise, elle se plaint, elle dit « ça ce n’est pas bien » et puis je corrige ce que je peux, etc. et j’améliore. Depuis on a aussi fait beaucoup de fonctionnalités pour améliorer différents points et ça continue.

L’animation c’est un truc particulier, en plus GIMP n’est pas un logiciel d’animation. À l’époque, quand on a commencé de toute façon il n’y avait pas de logiciel. Maintenant il y en a quelques-uns qui commencent à avoir des modules animation voire certains ont été libérés. Il y en a un qui avait été utilisé par le Studio Ghibli qui a été libéré, OpenToonz, dont on a entendu pas mal parler ces dernières années, mais à l’époque il n’y avait rien donc on utilisait un logiciel de dessin et on rajoute un plugin ; j’ai développé un plugin pour organiser les dessins en animation, on va dire, que j’appelle GIMP Motion qui devrait sortir un jour, mais là je ne le sors pas encore. Le code source est public, c’est dans les dépôts, dans une branche dans les dépôts de GIMP, mais on ne le sort pas encore en version stable parce que je ne le trouve pas très stable, en fait, même si nous on l’utilise tous les jours.

Frédéric Couchet : D’accord. Cette association vous avez des financements, c’est du travail uniquement bénévole ?

Jehan Pagès : Oui. On a du financement, pas énormément, mais on en a un peu et en fait, quelque chose qu’on veut vraiment faire, c’est justement professionnaliser cela, c’est-à-dire que ce n’est pas juste pour faire des petits projets amateurs. Donc on paye à l’heure actuelle Aryeom avec le financement mensuel. C’est un financement mensuel.

Frédéric Couchet : Via plateforme particulière ?

Jehan Pagès : Plusieurs plateformes. En fait on est sur Patreon, Tipeee, Liberapay. Voilà ! Et puis il y a aussi des gens qui donnent directement à l’association. Vous pouvez aller voir sur le site, c’est libreart.info. En fait il y a plusieurs centaines de personnes parce qu’on améliore énormément le logiciel d’une part et parce qu’on fait un film qui lui-même sera libre, en licence Creative Commons BY-SA, c’est un peu comme la GPL.

Frédéric Couchet : Partage à l’identique.

Jehan Pagès : Voilà. Tout le monde peut le télécharger, se l’échanger, etc., le modifier. On donnera même tous les fichiers sources à la fin pour que les gens en fassent ce qu’ils veulent.

Frédéric Couchet : Donc c’est libreart.info. Les sites que tu as cités ce sont des sites de soutien financier mensuel où des gens peuvent donner mensuellement une petite somme à différents projets.

Jehan Pagès : Tout à fait. Ils peuvent chercher ZeMarmot dessus et ils nous trouveront.

Frédéric Couchet : ZeMarmot avec un « z ».

Jehan Pagès : ZeMarmot avec un « z », z, e, m, a, r, m, o, t, sur Patreon, Tipeee, Liberapay, on y est. Si les gens veulent aider à améliorer GIMP et à sortir un film d’animation très sympa, vous pouvez voir, vous verrez quand vous allez sur les pages, c’est très joli.

Frédéric Couchet : On a cité quelques logiciels libres, image, vidéo, mais il y en a plein d’autres. On fera sans doute d’autres émissions. On n’a pas cité par exemple pour la PAO, la publication assistée par ordinateur, Scribus. Pour le dessin vectoriel, il y a Inkscape ; il y a aussi Krita pour le traitement d’images.

Jehan Pagès : Krita ils sont spécialisés sur le dessin.

Frédéric Couchet : Krita spécialisé sur le dessin. D’accord.

Jehan Pagès : Comme je disais GIMP est générique et Krita ils ont décidé de se spécialiser, ils disent « c’est pour du dessin, c’est pour de la peinture numérique ». Voilà.

Frédéric Couchet : D’accord. Pour les personnes qui voudraient s’y mettre est-ce qu’il a des tutoriels qui existent sur le Web ? Est-ce que vous avez des conseils ? Est-ce qu’il y a des ateliers qui existent ou des structures spécialisées qui peuvent faire de la formation ou de l’initiation ? Tout à l’heure on parlait de Blender et que la prise en main de Blender ce n’est pas forcément évident. Est-ce que vous avez des conseils à donner pour les personnes qui nous écoutent ?

Lionel Allorge : Pour Blender notamment, comme c’est justement complexe, il y a régulièrement des ateliers qui sont organisés pour ceux qui veulent s’essayer à ça. Le conseil qu’on peut donner c’est d’aller sur un site qui s’appelle l’Agenda du libre.

Frédéric Couchet : agendadulibre.org.

Lionel Allorge : Où ils ont pouvoir chercher dans leur région des ateliers, notamment sur Blender, qui sont souvent organisés lors d’événements autour du logiciel libre. Notamment à Paris, régulièrement, il y a des ateliers qui sont organisés dans le cadre de ce qu’on appelle le Premier samedi du Libre. Ça se passe à La Villette.

Frédéric Couchet : À la Cité des sciences et de l’industrie, chaque premier samedi du mois.

Lionel Allorge : Le premier samedi du mois, l’après midi et là il y a régulièrement un groupe d’utilisateurs de Blender qui s’appelle le BUG, le Blender User Group, qui se réunit et qui peut aider les gens, notamment à mettre un peu le pied à l’étrier. Après si les gens veulent se spécialiser il y a des formations beaucoup plus, on va dire, professionnalisantes, mais qui sont, à ce moment-là, payantes.

Frédéric Couchet : D’accord. Sur le salon on nous signale un site web qui est sur YouTube, donc des tutoriels en vidéo pour Inkscape et GIMP. C’est Charlotte Boulanger qui ne pouvait pas assister à l’émission mais qui, finalement, nous suit quand même, qui nous signale ces tutos. On va les rajouter sur la page de références sur le site de l’April. J’en profite aussi pour citer un autre type de structure qui sont les espaces publics numériques ou toutes les structures de médiation numérique. Dans beaucoup de villes il y a ce qu’on appelle les Cyber-bases ou des espaces publics numériques où souvent il y a des formations alors peut-être pas Blender, mais GIMP a minima, Inkscape et Scribus. Jehan tu veux rajouter quelque chose.

Jehan Pagès : Oui. Surtout pour la photographie, il y a une très bonne communauté sur le Web, il faut parler anglais, c’est pixls.us, p, i, x, l, s, point us.

Frédéric Couchet : Donc pixls.us.

Jehan Pagès : p, i, i, x, l, s, point us. C’est Patrick David, c’est lui qui nous a fait le site web de GIMP d’ailleurs. C’est un très gros contributeur, ce n’est pas un développeur mais c’est vraiment un très gros contributeur quand même, qui fait aussi cette communauté et c’est une très grosse communauté, très bien au niveau qualité et c’est vraiment très sympa pour les photographes.

Frédéric Couchet : Très bien. On va rajouter ces références sur le site. Je vais rappeler aussi que dans le socle interministériel des logiciels libres conseillés dans l’administration, la version 2018 parce que malheureusement la version 2019 n’est toujours pas en ligne, certains de ces logiciels sont cités, il y a notamment Scribus, Avidemux dont on n’a pas parlé mais qui fait du montage vidéo, Inkscape, The GIMP. Et évidemment, côté lecteur multimédia, le célèbre VLC dont nous avons déjà parlé dans une émission.
Jehan Pagès, Lionel Allorge, est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose, quelques mots de conclusion ? Lionel ?

Lionel Allorge : En tout cas il y a moyen de faire beaucoup de choses avec des logiciels libres. C’est vrai que souvent dans le monde créatif, il y a quelques grands noms qui se sont imposés, on les a cités en début d’émission, mais en fait, aujourd’hui, il y a vraiment moyen de faire beaucoup de choses. C’est souvent juste un problème de passage, de sortir du monde privateur, faire l’effort de passer au monde libre. Et, comme le disait Jehan, le problème c’est surtout d’accepter de passer du temps sur un logiciel. Tous ces logiciels qu’on vient de citer sont des logiciels sophistiqués, donc il faut y passer du temps et ensuite on finit par maîtriser les outils.

Jehan Pagès : Et ce sera pareil sur un logiciel propriétaire.

Frédéric Couchet : Exactement.

Lionel Allorge : Exactement.

Frédéric Couchet : J’en profite : en faisant l’émission de radio, j’ai redécouvert Audacity ; il y a une certaine prise en main et on découvre des choses absolument fantastiques, des filtres, etc. Jehan Pagès, est-ce que tu veux rajouter quelque chose ?

Jehan Pagès : Non, je pense que ce que Lionel a dit c’est très bien. De manière générale, les professionnels peuvent utiliser les logiciels libres pour la plupart des choses au niveau graphisme et vidéo, etc. Il y a quelques manques, mais en tout cas pour les logiciels qu’on a cités, tout ce qui est 2D, 3D, je pense qu’il y a de quoi faire. On peut être professionnel et il y a pas mal de professionnels déjà.

Frédéric Couchet : On aura l’occasion sans doute de refaire une émission, je pense notamment avec notre graphiste à l’April, bénévole, Antoine Bardelli, qui lui-même, dans le domaine professionnel, utilise beaucoup de logiciels libres pour son travail. On aura sans doute l’occasion d’en discuter. C’est effectivement un point très intéressant et important de préciser qu’on peut utiliser ces logiciels libres qu’on a cités dans le monde professionnel. Après il peut y avoir des contraintes, mais on aura l’occasion d’en reparler dans une prochaine émission.
En tout cas je vous remercie, Jehan et Lionel, d’avoir participé à cette émission.

Lionel Allorge : De rien.

Frédéric Couchet : Nous allons faire une petite pause musicale avant d’aborder le prochain sujet. Nous allons écouter Who's that kid? et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Who's that kid? par Defy the Mall.

Voix off : Cause Commune 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Who’s that kid? de Defy the Mall. La référence est sur le site de l’April et évidemment c’est sous licence libre.

Nous allons aborder notre sujet suivant. Je vais bientôt passer la parole à mon collègue Étienne Gonnu. Nous avons avec nous au téléphone pour parler sur la proposition de directive droit d’auteur, Anne-Catherine Lorrain conseillère politique à la commission parlementaire des affaires juridiques au Parlement européen pour le groupe des Verts européens. Étienne et Anne-Catherine je vous passe la parole. À toi Étienne.

Étienne Gonnu : Merci Fred. Je pense qu’on ne va pas rentrer dans les détails et présenter à nouveau la directive droit d’auteur, on en a déjà beaucoup parlé. Pour rappel nous on est vraiment très mobilisés contre l’article 13 qui entend, pour dire les choses simplement, imposer la mise en place de filtrages automatisés sur les plateformes de partage de contenus soumis au droit d’auteur. Pour nous c’est incompatible avec les valeurs qu’on défend. Le vote final sur ce texte, après toute la procédure – là on arrive sur la fin –, se profile le 26 ou le 27 mars normalement. Anne-Catherine pourrais-tu peut-être nous donner plus d’informations sur ce sujet, s’il te plaît ?

Anne-Catherine Lorrain : Bonjour. Effectivement pour le moment le vote aura lieu en principe le mardi, c’est toujours ce qui est sur l’agenda de la plénière de la semaine prochaine, mais on fait en sorte que le vote soit décalé à mercredi, ne serait-ce que pour respecter un peu la logique des choses, parce qu’on a un vote sur un autre dossier copyright qui est ce règlement transformé en directive qu’on appelle SatCab, qui sera voté mercredi et qui a été conclu il y a déjà deux mois. Ce serait logique de garder les deux votes ensemble.

Étienne Gonnu : D’accord.

Anne-Catherine Lorrain : On ne sait pas encore. Il y aura une réunion de la conférence des présidents du Parlement jeudi, on en saura plus à ce moment-là.

Étienne Gonnu : Entendu. On vous l’a dit souvent, l’enjeu pour nous de cette mobilisation est donc de faire comprendre aux parlementaires pourquoi on considère que ce texte est aussi dangereux et une partie extrêmement importante de cette mobilisation c’est de prendre contact avec ses parlementaires, idéalement en les appelant et ça peut être aussi par écrit ; en fait l’idéal c’est de faire les deux. Quel est ton sentiment peut-être au sein du Parlement européen, auprès des parlementaires européens ? On sait notamment que les parlementaires français en général sont plutôt en faveur, malheureusement, de la directive sauf le groupe Europe Écologie les Verts que tu conseilles politiquement. Quel est ton sentiment général ?

Anne-Catherine Lorrain : Ce sera serré parce que vous vous rappelez, en septembre on était un peu dans la même situation où on avait gagné notre vote pour mettre en cause le mandat pour commencer les négociations en « trilogue » à l'époque, on l’avait gagné en juillet et ensuite en septembre on avait pu voter sur des amendements sur la proposition avant de commencer les « trilogues ».
Au niveau de la procédure, aujourd’hui c’est le vote final sur le résultat final des négociations dites de « trilogue » entre la Commission, le Conseil et le Parlement. Donc on est un peu dans la même situation, sauf que ce qui est mieux, de notre perspective, c’est que la campagne publique a grandi, évidemment ça dépend des pays mais notamment en Allemagne qui est le pays d’origine de notre shadow rapporteur, Julia Reda, c’est devenu quelque chose de très présent.

Étienne Gonnu : On a même vu des manifestations dans la rue ce qui est quand même, sur ce genre de sujet, pas anodin. C’est vrai que nous aussi on voit une campagne amplifiée, d’où l’importance aussi de participer, de donner encore plus corps et de profiter de cette mobilisation plus forte. Je pense qu’on a vraiment une ouverture, là, qui était peut-être plus difficile à anticiper il y a quelques mois. Là il y a une fenêtre de tir. En tout cas on peut renverser cette directive, ce n’est pas un espoir fou.

Anne-Catherine Lorrain : Tout à fait. Là je sors d’une discussion de groupe avec la plupart des députés du groupe pour discuter des dossiers et de la stratégie d’ici la semaine prochaine. Évidemment toutes ces manifestations, surtout en Allemagne, rappellent ce qui s’est passé pour ACTA, pour TTIP. Le rapprochement est facile à faire, mais disons que tout ça a marqué les esprits dans les années précédentes donc les députés le considèrent.

Étienne Gonnu : Super.

Anne-Catherine Lorrain : C’est en prendre en compte.

Étienne Gonnu : À une personne qui trouverait l’énergie, qui souhaiterait se mobiliser, qui souhaiterait contacter, appeler un de ces parlementaires – pour info d’ailleurs, on le répète, il y a la campagne SaveYourInternet, saveyourinternet.eu, bien sûr on vous mettra le lien, qui vous propose une liste avec les coordonnées des parlementaires – est-ce que tu as des conseils peut-être de fond, de forme, sur ces prises de contact pour motiver les personnes et faciliter cette démarche ?

Anne-Catherine Lorrain : En tout cas je pense que beaucoup de gens ont déjà l’habitude et sont plus expérimentés que moi pour faire ça. Oui, c’est quelque chose qui est important. Tous les députés reçoivent beaucoup d'e-mails, mais un e-mail avec des bons arguments et assez court, sans trop de pièces jointes, c’est toujours utile pour leur bureau, pour les assistants en charge.

Étienne Gonnu : Ils sont réceptifs, j’imagine, au fait de voir que les gens se mobilisent ?

Anne-Catherine Lorrain : Pardon ?

Étienne Gonnu : Ça a un impact, j'imagine. Ils sont réceptifs quand les gens se mobilisent, quand ils reçoivent…

Anne-Catherine Lorrain : Oui, ils voient qu’il y a quelque chose qui se passe, ça c’est sûr. Mais effectivement, pour les députés de l’autre bord disons, pour la majorité du PPE [Parti populaire européen] en tout cas ceux qui soutiennent le rapporteur, ce genre de campagne a plutôt le don de les énerver si je puis dire, mais voir qu’il y a une mobilisation publique c’est important, bien sûr.

Étienne Gonnu : Tu l’évoquais quand on avait échangé en amont de l’émission pour ceux qui vont suivre. Nous on va suivre le moment du vote. Suivre les votes au Parlement européen c’est quelque chose d’assez complexe. Tu voulais aborder assez rapidement parce que le temps file, le système des amendements, comment sont lus les amendements, comment ils sont déposés. Nous, notre but c’est que la directive soit rejetée afin qu’on puisse dans les meilleurs délais débattre à nouveau sur le vrai fond de ces questions qui sont éminemment complexes et auxquelles l’article 13 finalement n’apporte aucune réponse et à défaut un rejet de l’article 13. Peut-être pourrais-tu nous en dire deux mots s’il te plaît.

Anne-Catherine Lorrain : Notre stratégie à nous ce n’est pas de rejeter la directive en bloc parce que si on rejette en bloc ça veut dire que ça s’arrête là. Comme tu dis, donner une nouvelle chance de débattre sur le fond, il faut que le mandat soit substantiellement changé pour redémarrer la discussion lorsque le nouveau Parlement prendra place au mois de juillet. C’est notre stratégie. Il y aura un amendement de rejet, forcément, qui sera déposé pas par nous, mais sans doute par d’autres groupes politiques. Ça ce sera voté en premier, de toute façon, un rejet du texte dans son entier. C’est une procédure de première lecture classique, ce qu’on appelle comme ça, rejet de première lecture sur le résultat du « trilogue » et automatiquement un délai pour amendement est ouvert. Le délai, en fait, est jusqu’à demain à 13 heures. Notre stratégie est de ne pas aller dans tous les sens, parce que quand on va dans tous les sens, on dépose des amendements partout, ça porte à confusion, le message ne passe pas et on se retrouve avec un texte qui n’a ni queue ni tête. Donc on va se concentrer sur des amendements de suppression des articles 11 et 13, donc l’article 13 que vous connaissez bien, tu l’as mentionné tout à l’heure, et l’article 11 c’est sur le droit des éditeurs de presse pour les usages en ligne, qu’on appelle aussi le ancillary copyright [en français droit voisin au droit d'auteur, NdT]

Étienne Gonnu : Oui, ou link tax.

Anne-Catherine Lorrain : Donc on propose de supprimer ces deux articles et de ne pas proposer d’amendements correctifs ou substantiels.

Étienne Gonnu : Entendu. Très bien.

Frédéric Couchet : Ce qui veut dire que pour les personnes qui vont contacter des parlementaires c’est la stratégie à soutenir : ce n’est pas forcément un rejet de la directive entière, mais c’est le vote de ces amendements de suppression de l'article 13 sur les outils de filtrage et de l’article 11 sur les droits voisins pour les éditeurs de presse.

Anne-Catherine Lorrain : Voilà. C’est se débarrasser de ces deux articles nocifs, parce qu’il faut quand même prendre en compte le fait que pendant les négociations de « trilogue » on a réussi à obtenir certaines choses, un article nouveau sur les œuvres du domaine public, des exceptions qui prennent en compte les licences libres, des choses qui sont très positives au niveau de la rémunération des artistes. Il y a des choses qui sont moins bien, c’est sûr, mais tout n’est pas à jeter avec le bébé. Donc ce serait dommage de rejeter la directive parce que je le redis, ça s’arrête là. Il n’y aura plus rien avant je ne sais pas quand.
Si on vote un texte amendé, ça veut dire qu’on demande au Conseil de faire une deuxième lecture avec le Parlement. Ça veut dire qu’il y a d’autres négociations « trilogue » qui vont commencer à partir du prochain Parlement, peut-être pas en juillet parce que, après les élections c’est en juillet que le nouveau Parlement commence à travailler, après l’été par exemple.

Étienne Gonnu : Tout à fait. D’ailleurs c’est un point important. Comme il y a les élections, ça joue énormément aussi parce qu’on sait qu’ils peuvent être sensibles à la mobilisation.

Anne-Catherine Lorrain : Pour la campagne oui.

Étienne Gonnu : Il ne faut pas hésiter aussi à appuyer là-dessus. On va malheureusement arriver à la conclusion de notre point. Je rappelle juste que le 21 mars c’est la journée, une sorte de journée appel à mobilisation à un niveau européen. Il y aura peut-être notamment certaines pages Wikipédia dans certaines langues qui seront en black-out, c’est-à-dire fermées pour la journée ; certainement le site de l’April aussi pour marquer notre opposition au système de censure. Comme tu le dis, c’est vraiment le cœur du danger ces articles 11 et 13 et c’est vraiment contre ceux-là qu’il faut se mobiliser. Je te remercie vraiment Anne-Catherine pour toutes ces précisions et on continuera à se battre contre ces articles jusqu’au bout. Merci beaucoup.

Frédéric Couchet : Merci Anne-Catherine et bon courage.

Anne-Catherine Lorrain : Avec plaisir. Merci. Au revoir.

Frédéric Couchet : Petit jingle musical avant les dernières annonces.

Jingle musical basé sur Sometimes par Jahzzar.

Frédéric Couchet : J’ai un lot d’annonces que je vais faire assez rapidement avant le démarrage du générique.

On vient de parler de la campagne contre l’article 13. Sur le site de l’April, april.org, vous retrouvez des références ; sur saveyourinternet.eu également ; vous avez aussi pledge2019.eu.
En parallèle, la semaine dernière, nous avons parlé de la campagne contre la proposition de règlement terroriste/ censure sécuritaire. Là le site de référence c’est laquadrature.net. Eh oui, ça se passe encore au niveau du Parlement européen.

Côté annonces, plutôt positives ce coup-ci. Le Libre en Fête 2019 se poursuit jusqu’au 7 avril, le site c’est libre-en-fete.net. Il y a plus de 200 événements qui sont référencés sur le site.
La semaine dernière nous avons eu un échange avec Louis-David Benyayer pour la soirée Fund The Code!, donc financez le logiciel libre, découvrez les projets libres et soutenez-les gratuitement via des sponsorings d’entreprises qui se sont engagées. La soirée c’est ce soir, mardi 19 mars, de 19 heures à 22 heures 30 au Liberté Living Lab, 9 rue d’Alexandrie à Paris dans le 2e arrondissement. Les soirées Fund The Code! permettent à chacun de découvrir des projets libres et de les soutenir financièrement.
Jeudi soir à la FPH à Paris, dans le 11e, il y a la soirée de contribution au Libre, c’est toutes les semaines et cette semaine il y a aura la réunion du groupe de travail Sensibilisation de l’April dont Marie-Odile a parlé dans sa chronique avec notamment son animatrice Isabella Vanni. L’accueil est à partir de 18 heures 30.
Pour les personnes qui sont à Montpellier il y a un apéro April le même soir, donc à Montpellier jeudi 21 mars.

Ce week-end il y a un événement important pour l’April car nous avons samedi notre assemblée générale. Je rappelle pour les membres de l’April que vous pouvez toujours voter, envoyer une procuration ou venir sur place à l’Université Paris 8 pour assister à l’assemblée générale qui commencera à 14 heures, l’accueil se faisant à 13 heures 30. Et le dimanche, à la FPH dans le 11e arrondissement de Paris, il y aura une journée ouverte à toute personne intéressée ; ce seront des ateliers en petits groupes, des discussions diverses. Je sais que le matin il y a par exemple une réunion du groupe de travail Libre Association. Il y aura sans doute des choses autour de la sensibilisation. C’est donc de 9 heures, à peu près, à 18 heures, le dimanche à la FPH. Venez nous voir même si vous n’êtes pas membre de l’April ou si vous n’êtes pas encore membre de l’April.

Pour tous les autres événements vous allez sur le site cité par Lionel Allorge tout à l’heure, le fameux site agendadulibre.org, sur lequel vous retrouvez les événements mais aussi un annuaire des groupes d’utilisateurs et d'utilisatrices de logiciels libres, pour vous permettre de découvrir Blender, GIMP, Inkscape, Krita ou tout autre logiciel dont on a parlé tout à l’heure.

Notre émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé aujourd’hui à l’émission donc Marie-Odile Morandi, Lionel Allorge, Jehan Pagès, Étienne Gonnu, Patrick Creusot et Anne-Catherine Lorrain évidemment par téléphone.

Vous trouverez sur le site de l’April, april.org, une page avec les références ; nous allons la mettre à jour avec les références qui ont été citées au cours de l’émission.
La prochaine émission aura lieu mardi 26 avril 2019 à 15 heures 30, notre sujet principal devrait vous intéresser. Pardon ?

Étienne Gonnu : 26 mars.

Frédéric Couchet : 26 mars. J’ai dit quoi ? Avril ! Non, non 26 mars, nous sommes en hebdomadaire nous ne sommes pas en mensuel, nous sommes en hebdomadaire, donc le 26 mars à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les civic techs et le logiciel libre. On reviendra notamment sur l’importance du logiciel libre pour les outils dans le cadre du grand débat, du vrai débat, enfin de tous les débats qui peuvent avoir lieu. Ce sera la semaine prochaine.
Nous vous souhaitons de passer une belle journée. On se retrouve mardi prochain et d’ici là portez-vous bien.

Générique de fin d'émission : Wesh Tone par Realaze.

Directive droits d’auteurs - Lionel Maurel

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Lionel Maurel

Titre : Directive « droits d’auteurs », entretien avec Lionel Maurel.
Intervenant : Lionel Maurel
Lieu : France Culture
Date : 27 mars 2019
Durée : 2 min 45
Écouter l'enregistrement
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : argent, espèces, devise, etc., photo Pxhere - Licence Creative Commons CC0 Domaine public
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

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Description

Ce filtrage imposé par l’UE risque donc de donner encore plus de pouvoir aux plus grandes plateformes, qui dominent déjà…

Transcription

Lionel Maurel : L’argent que se font les grandes plateformes type YouTube ou Facebook est directement lié, via le ciblage publicitaire, à l’exploitation des données personnelles des Européens. En gros, nous on dit que ce que demandent les industries culturelles ce sont les miettes de la surveillance de masse des Européens. Voilà ! Elles veulent être intéressées au business du ciblage publicitaire.

Que des petites plateformes soient exemptées ce n’est pas forcément d’ailleurs quelque chose de très beau ou de très bon, parce que ça veut dire que vous allez voir tout un écosystème de startups qui va pouvoir se monter sur le ciblage publicitaire.
Heureusement que l’Union européenne a adopté une autre réglementation de protection des données personnelles qui s’appelle le RGPD1, qui permet d’enrayer un peu ce mécanisme d’exploitation des données personnelles.

C’est pour ça qu’en fait dire que les industries culturelles luttent contre les GAFAM est très amusant. Ce n’est pas du tout ça en fait. Elles ne veulent pas lutter contre ces acteurs, elles veulent être intéressées à leur business qui est intrinsèquement contraire aux libertés fondamentales.

Comment YouTube fait son chiffre d’affaires ? Il fait son chiffre d’affaires en vendant de la publicité ciblée. La publicité ciblée marche avec l’exploitation des données personnelles des individus. Il faut faire des profils et ce que vend YouTube aux intermédiaires c’est le profil de ses utilisateurs pour faire de la publicité ciblée. Et ça, en fait, ça génère de l’argent et les industries culturelles demandent une part de cet argent-là. C’est ça le cœur de l’affaire.

La directive dit aux plateformes si vous ne voulez pas voir votre responsabilité engagée en justice, concluez des licences, c’est-à-dire des accords de redistribution de cet argent-là avec les titulaires de droits. Ce sont les grandes sociétés d’auteurs et les grands producteurs du cinéma, les grands producteurs de la musique et la presse, les éditeurs de presse. C’est ça qu’ils veulent, ça va se terminer comme ça : un grand deal de redistribution des recettes publicitaires.

Moi en tout cas, ce que je constate, c’est qu’en France je n’ai pas l’impression que la condition des auteurs soit aussi reluisante que ce qu’on nous dit là sur le pays de Beaumarchais. La plupart des auteurs que je vois, pas ceux qui signent des tribunes le dimanche pour ou contre la directive, je trouve qu’ils sont précaires en fait. Voilà ! Et la directive n’apporte absolument rien directement sur ces sujets-là.

Non, pas du tout en fait. La directive droit d’auteur est vraiment tournée vers les rapports avec les grands intermédiaires numériques. Il y a vraiment très peu de choses. Après il y a quelques exceptions au droit d’auteur, ça c’est un autre débat, mais sinon, sur le fond des choses, elle ne va pas changer significativement toutes ces questions.

Il y aurait pu y avoir une sorte de salaire minimum des auteurs, c’était possible, comme les auteurs le réclament au salon du livre. Il disent : « On veut au moins 10 % dans les contrats ». Ça c’était possible à faire au niveau de la directive, tout à fait, mais finalement moi je n’en ai pas entendu parler.

Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 26 mars 2019

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Bannière de l'émission

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 26 mars 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Caroline Corbal - Emmanuel Raviart - Vincent Calame - Étienne Gonnu - Frédéric Couchet
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 26 mars 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc vous pouvez vous rendre sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquer sur « chat », rejoindre le salon de la radio et éventuellement échanger avec nous ou nous poser des questions.
Nous sommes mardi 26 mars 2019, nous diffusons en direct mais vous écoutez peut-être un podcast ou une rediffusion.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition, la 18e de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Le site web de l’April est april.org et vous y retrouvez déjà une page avec les références que l'on va citer dans l’émission ; la page sera mise à jour évidemment après l’émission en fonction des références que l’on citera. Je vous souhaite une excellente écoute.

Maintenant voici le programme de cette émission. Nous allons commencer par un moment qui ne sera pas un moment de grande joie, car nous allons faire un point sur la désormais célèbre directive droit d’auteur qui vient d’être adoptée au Parlement européen.
D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur les civic techs et le logiciel libre avec nos invités Caroline Corbal et Emmanuel Raviart que je présenterai tout à l’heure.
Et en fin d’émission d’émission nous aurons la troisième chronique de Vincent Calame intitulée « Jouons collectif ».
Aujourd’hui à la réalisation de l’émission Patrick Creusot, bénévole à l’April. Bonjour Patrick. Patrick dit bonjour sans avoir allumé son micro !

Tout de suite place au premier sujet avec mon collègue Étienne Gonnu en charge des affaires publiques à l’April. Étienne, on aurait pu fêter quelque chose aujourd’hui, mais c’est plutôt une mauvaise nouvelle qui vient d’arriver du Parlement européen il y a quelques minutes sur la désormais directive droit d’auteur.

Point directive droit d'auteur suite au vote du 26 mars

Étienne Gonnu : Tout à fait. Effectivement on aurait pu espérer un résultat plus positif, notamment au vu de l’incroyable mobilisation qui s’est construite ces derniers jours, ces dernières semaines. Malheureusement c’est un peu la douche froide. La directive a été approuvée, malheureusement sur les mêmes prétextes depuis le début. Il y a eu avant le vote ce qu’on appelle les explications de vote, donc des débats, chaque différente position a été exprimée et ça a peu évolué depuis le début, c’est-à-dire que les pro-article 13 s’appuient finalement sur trois jambes. C’est-à-dire prendre des postures de défense de la liberté, de défense des auteurs et autrices, à peu près tout le monde peut se retrouver là-dessus, bien sûr ; décrédibiliser la mobilisation en disant à la fois qu’elle est manipulée par Google, par les grandes plateformes. On a vu aussi le rapporteur accuser la jeunesse, bien sûr, qui serait facile à manipuler. Et puis toujours en niant, et ça paraît assez incroyable qu’on en soit encore là, mais toujours en niant la réalité du filtrage qui serait imposé par ce texte alors que c’est à peu près évident pour toute personne qui a lu le texte en réalité.

Frédéric Couchet : Effectivement l’article 13 qui est maintenant officiellement l’article 17 parce qu’il y a eu une manipulation – certains pourront penser que le changement d’article quelques jours avant c’est le processus normal démocratique –, mais en fait c’est souvent aussi une façon de détourner l’attention de la mobilisation. Le désormais article 17 qui était anciennement l’article 13 porte sur le filtrage automatisé, l’institutionnalisation du filtrage automatisé sur les plateformes.

Étienne Gonnu : Effectivement ce n’est pas écrit noir sur blanc, mais on voit bien que c’est la seule manière pour les plateformes de répondre aux obligations qui leur sont faites, puisque le texte renforce leur responsabilité sur les contenus mis en ligne par leurs utilisateurs et utilisatrices. Donc elles sont tenues, de fait, de mettre en place un filtrage automatisé.

Frédéric Couchet : Côté logiciel libre, on a déjà consacré plusieurs émissions au sujet, donc on invite les personnes qui nous écoutent à se connecter sur le site de l’April et à aller sur la partie consacrée à l’émission pour regarder les archives, ne serait-ce que celles de la semaine dernière. On a aussi consacré un long sujet sur justement l’impact de l’article 13 on va dire sur Internet. Également l’exception pour les forges logiciel libre. Peut-être que tu peux faire un petit rappel sur cette exception qui est quand même présente, même si ça ne remet pas en cause le danger de cette directive.

Étienne Gonnu : Tout à fait. C’est d’ailleurs comme ça que l’April a commencé à s’engager sur ce texte il y a au moins un an et demi. Parmi les plateformes, puisque toutes les plateformes de partage de contenus soumis au droit d’auteur sont concernées, de fait c’était le cas au début pour les plateformes de développement et de partage de logiciels libres qu’on appelle aussi des forges logicielles. On a milité à l’April, avec d’autres structures, pour obtenir une exception qui a évolué. Au début elle était réservée à des plateformes à but non-lucratif. Il y a eu différentes évolutions jusqu’à atteindre une définition qui nous paraît exclure à peu près correctement, correctement même, les plateformes de développement et de partage de logiciels libres.
Notons aussi, c’est un mini lot de consolation, mais prenons aussi ce qui est positif : dans le texte anglais effectivement ce sont les plateformes open source qui sont exclues et dans la traduction française ils ont traduit cela par « développement et partage de logiciels libres » qui est donc à l’article 2.6 dans les définitions du texte.

Frédéric Couchet : Cette exception est valable pour les plateformes à but non-lucratif ou à but lucratif. C’était un des enjeux de la mobilisation des derniers mois parce que le Conseil de l’Union européenne, donc le représentant des États, avait une position un petit peu différente de celle du Parlement européen. Mais on insiste encore une fois que contrairement peut-être à d’autres structures du logiciel libre qui ont pris position aujourd’hui, le fait qu’il y ait cette exception ne remet pas en cause le danger de cette directive et qu’en aucun nous n’acceptons comme principe le filtrage automatisé sur les plateformes. On peut même rajouter que OK, les forges logiciels libres sont exemptées avec cette exception ; Wikipédia a aussi une exception mais qui est limitée par effet de bord par rapport aux autres articles.
Rappelons que dans le domaine du logiciel libre, quand on a consacré nos émissions aux plateformes par exemple de partage de vidéos comme PeerTube, aux services décentralisés de microblogging comme Mastodon qui, pour les personnes qui connaissent Twitter, permet d’échanger des messages courts mais de façon décentralisée, aujourd’hui il y a un grand doute et un grand danger sur ces plateformes. C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a quelques jours on a mis sur le site de l’April et sur le site de notre chaton c’est-à-dire chapril.org sur lequel vous avez des services par exemple de partage, de création de rendez-vous, de partage d’informations de façon confidentielle, un bandeau noir en disant que le site fermait parce que, avec cette nouvelle directive, eh bien il y a un vrai danger sur ces plateformes-là, au-delà de la partie forges logicielles.

Étienne Gonnu : Exactement. Je pense que tu as parfaitement résumé. On défend le logiciel libre, on ne défend pas que les logiciels, on défend une certaine vision de l’informatique au service de tous et de toutes.

Frédéric Couchet : Est-ce que le vote a été serré ?

Étienne Gonnu : C’est un peu difficile de répondre à cette question parce que la procédure d’adoption des directives est assez particulière. De toute façon tout le droit européen et toutes les procédures européennes sont difficilement abordables lorsqu’on n’a pas l’habitude.
La procédure est comme suit : avant de voter directement le texte il y a différentes étapes à passer et notamment pour ce vote final, avant de pouvoir éventuellement proposer des amendements, comme un amendement de suppression pour l’article 13 – amendement de suppression que nous défendions –, il faut que les parlementaires valident, votent le principe d’amender le texte. C’est-à-dire qu’ils votent pour ensuite pouvoir proposer des modifications.
À ce premier niveau de vote, eh bien le fait de modifier le texte a été rejeté. Là ça a été effectivement très serré. Il y a 317 parlementaires contre 312, donc 5 voix de différence, donc 317 parlementaires qui ont jugé que, malgré la mobilisation citoyenne extrêmement importante, rappelons par exemple qu’il y a eu 200 000, je n’ai plus le chiffre, personnes mobilisées dans les rues au niveau européen, qu’il y a une pétition avec 5 millions de signataires, qu’il y a eu des tensions très fortes, donc on voit qu’il y a un débat très fort sur ce texte et malgré tout cela 317 parlementaires ont décidé qu’il n’y avait pas lieu de voter des amendements pour modifier ce texte.
Donc il n’y a pas de modifications : c’est le texte issu des négociations interinstitutionnelles, du « trilogue » qu’on a de nombreuses fois évoqué, qui était juste l’étape précédente, c’est ce texte qui a été mis au vote dans son intégralité, donc avec l’article 13 tel qu’il était rédigé avec cette obligation de fait de mettre en place des filtres automatisés, c’est ce texte qui a été soumis au vote et celui-ci a été voté à 348 voix pour et 274 voix contre.
À priori il y aura ce qu’on appelle un roll call, en gros une liste des parlementaires et quels ont été leurs votes. Donc on pourra savoir qui a jugé pertinent, parmi ces parlementaires, de confier finalement l’application du droit d’auteur à des systèmes automatisés gérés par des entités de droit privé.
Cette liste sera certainement intéressante en mai lors des élections européennes par exemple !

Frédéric Couchet : Le 26 mai 2019 il y a des élections européennes. Pour les personnes qui votent encore, il y en a, ça peut être effectivement un argument pour choisir telle ou telle personne. Malheureusement on n’a pas encore le détail de ce vote nominatif, mais on peut supposer vu le passé sur les votes précédents que la partie française a majoritairement voté en faveur de la directive, avec à sa tête Jean-Marie Cavada qui était encore ce matin sur une radio concurrente mais néanmoins amie, c’est-à-dire France Inter, pour raconter un peu n’importe quoi, il faut quand même être assez clair. Côté français les parlementaires européens français ont majoritairement voté pour la directive avec le soutien évidemment du gouvernement français. Je dis ça aussi pas simplement par rapport aux élections du 26 mai mais aussi par rapport à l’étape d’après, parce que l’étape d’après, tu vas nous l’expliquer rapidement, c’est la transposition dans le droit national.

Étienne Gonnu : C’est l’étape suivante dans une directive parce qu’une directive ne s’applique pas directement dans les droits nationaux. Les textes sont adaptés, effectivement, enfin des lois sont passées presque comme une loi normale, si ce n’est que la directive, en fait, va poser le cadre. Là aussi il faudra qu’on étudie les marges de manœuvre possibles pour atténuer autant que possible les effets liberticides de ce texte, mais effectivement ça va arriver à l’Assemblée nationale, à priori je pense dans un temps relativement court. On va voir, ça n’a pas été inscrit à l’ordre du jour du Parlement. On sait que ça va être un combat difficile parce qu’il y a déjà pas mal de députés, notamment de la majorité, qui ont pris des positions assez claires sur leur intention concernant cet article et sur l’institutionnalisation des filtrages automatisés. Donc ça va être effectivement une étape importante.
Et puis parallèlement, et le sujet est directement connexe, c’est une révision d’une autre directive qui est souvent annoncée et qu’on a déjà évoquée notamment puisqu’elle touche à la responsabilité, justement, des intermédiaires techniques, qui est la directive e-commerce de 2000 et là aussi il va falloir qu’on soit vigilants. En fait pour que l’article 13 puisse produire les effets qui sont attendus par ses défenseurs, eh bien il faut qu’ils agissent sur cette directive e-commerce pour affaiblir encore, finalement, le régime des intermédiaires techniques et les rendent toujours plus responsables de ce qui passe par leurs tuyaux. En fait c’est aussi une remise en cause de la neutralité du Net. Après c’est encore un débat qu’il faudra pousser par la suite.

Frédéric Couchet : Comme tu le dis, la prochaine étape on va dire au niveau européen c’est la révision de la directive e-commerce. Donc ce sera évidemment sous la prochaine mandature européenne qui commencera à partir de fin mai. Beaucoup d’acteurs vont sans doute se mobiliser effectivement pour ce sujet qui est essentiel, qui est le statut juridique des différentes plateformes hébergeurs et peut-être la création de nouveaux statuts. Comme je le disais tout à l’heure par rapport au logiciel libre, nos plateformes d’hébergement de vidéos ou autres services peuvent être directement concernées à terme et mettre en danger des choses qui nous permettent en fait de partager librement et en se basant, on le rappelle encore une fois, sur le droit d’auteur, parce que les licences libres se basent sur le droit d’auteur.
Dans la journée, enfin dans la soirée, il devrait y avoir le communiqué de presse de l’April qui va reprendre ce que tu viens de dire Étienne. Je vous encourage à lire dès à présent l'article notamment de Marc Rees sur Next Inpact qui est en accès libre. Également les articles de Julia Reda. On va citer Julia Reda, du groupe des Verts européens, qui a mené une bataille importante justement contre cet article 13 et aussi l’article 11 sur les droits voisins pour la presse. Qui a fait un énorme travail pédagogique, notamment quelques heures avant le vote, pour expliquer ce qui allait se passer aujourd’hui en termes de vote, parce que ce n’était pas forcément facile à suivre. Je vous encourage à lire ces articles et évidemment, de toute façon, il va y avoir encore pas mal d’analyses qui vont être publiées et il y a la transposition qui va arriver et là on va se rendre compte, peut-être, que finalement les grands perdants ce n’est pas ceux qu’on croit et que les industries culturelles se sont peut-être tiré une balle dans le pied ou dans la tempe.
Étienne, est-ce que tu veux rajouter quelque chose ?

Étienne Gonnu : Je pense qu’on a fait un bon tour de la question. En tout cas c’est un coup dur mais on ne va pas se laisser abattre. Il reste des combats à mener et on les mènera tant qu’il y aura besoin de le faire.

Frédéric Couchet : Exactement. J’en profite pour remercier toutes les personnes qui se sont mobilisées soit en appelant des parlementaires européens, soit en relayant les informations, soit les membres de l’April lors de l’AG avec la fameuse petite photo qu’on a faite. J’en profite aussi pour féliciter chaleureusement Étienne pour son travail sur ce dossier au niveau de l’April ; il a été le fer de lance de ce dossier. On ne maîtrise pas le vote des parlementaires et quelque part, effectivement, ce vote est de leur responsabilité. Peut-être que certains seront jugés le 26 mai 2019 lors des élections.
Nous allons faire une pause musicale.
Avant la pause musicale, on me signale sur le salon dont je parlais tout à l’heure que la Free Software Foundation Europe, la Fondation pour le logiciel libre Europe, a envoyé un communiqué. Effectivement ils ont envoyé un communiqué pour, quelque part, encourager la Commission à développer et à promouvoir des outils de filtrage en logiciel libre. C’est vrai que ce communiqué nous pose un sérieux problème, d’ailleurs Étienne a fait tout à l’heure un petit tweet pour les interpeller. Je pense qu’on aura l’occasion d’y revenir parce qu’on ne comprend absolument pas, du tout, cette communication. Voilà ! Donc c’est cette réponse que je fais et je précise que ça n’engage pas du tout la FSF américaine qui, je pense, n’est pas du tout sur ce genre de position. Mais après tout, Qwant aussi a pris il y a quelques jours une position en faveur de la directive. Peut-être est-ce lié au fait qu’ils ont 20 % de financement de Spinger, Axel Springer, un magnat de la presse et 20 autres % de la Caisse des dépôts et consignations, donc de l’État français ; cela explique effectivement que peut-être ils aient pris cette position. Comme on dit en anglais et pour notre invité, Follow the Money, « suivez l’argent » et vous comprendrez pourquoi les gens prennent des positions. Mais bon !

On va passer à une pause musicale. Ça s’appelle C’est Pas Comme Ça et l’artiste s’appelle Candy Says.

Pause musicale : C’est Pas Comme Ça par Candy Says.

Voix off : Cause Commune 93.1.

[Le morceau se termine par « tu me prends la tête »]

Sujet principal civic tech et logiciel libre

Frédéric Couchet : Je crois qu’il y a beaucoup de gens aujourd’hui qui nous prennent la tête, c’est une belle conclusion.
C’était Candy Says, le morceau s’appelle C’est Pas Comme Ça. Je rappelle évidemment que c’est sous licence libre, en l’occurrence Creative Commons Partage à l’identique, comme toutes nos musiques et vous retrouvez la référence sur le site de l’April.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons changer de sujet avec un sujet qui est aussi dans l’actualité mais un peu différemment, qui est celui des civic techs et on va aborder évidemment plus sur l’angle logiciel libre-transparence et également données ouvertes, avec nos invités. Tout d’abord Caroline Corbal de Code for France. Bonjour Caroline.

Caroline Corbal : Bonjour.

Frédéric Couchet : Emmanuel Raviart, développeur logiciel libre. Bonjour Emmanuel.

Emmanuel Raviart : Bonjour Frédéric.

Frédéric Couchet : Nous allons parler de civic techs, de logiciels libres. Déjà je vais vous poser une petite question, je vais vous laisser vous présenter chacun et chacune. On va commencer par Caroline. Caroline que fais-tu dans la vie ?

Caroline Corbal : J’ai cofondé une association qui s'appelle Code for France, par ailleurs je suis présidente de DemocracyOS France, ce sont deux associations qui sont spécifiquement dédiées aux civic techs qui est le sujet d’aujourd’hui. Par ailleurs je travaille dans un cabinet de conseil qui s’appelle Inno3 et qui est spécialiste du logiciel libre, de l’open data et de l’open hardware.

Frédéric Couchet : On en profite pour saluer Benjamin Jean qui est le fondateur de ce cabinet.
Emmanuel, tu es développeur de logiciels libres mais tu as fait plein de choses. Quelles sont les choses essentielles que tu as faites, notamment par rapport évidemment au sujet du jour ?

Emmanuel Raviart : Comme je suis vieux, j’ai d’abord commencé par créer trois entreprises qui travaillent dans le domaine du logiciel libre ou des données ouvertes. Elles ont toutes les trois la particularité d’être détenues par les salariés et de pratiquer l’égalité des salaires. Entre-temps, j’ai été développeur pour Etalab et même brièvement directeur technique d’Etalab.

Frédéric Couchet : Rappelle-nous ce qu’est Etalab.

Emmanuel Raviart : Etalab c’est le service du Premier ministre qui est chargé de l’ouverture des données publiques de l’État. Après ce passage à Etalab j’ai été assistant parlementaire.

Frédéric Couchet : On va dire, tu peux le dire, de Paula Fortezza.

Emmanuel Raviart : De la députée Paula Fortezza.

Frédéric Couchet : De la République en marche, qui est notamment très impliquée sur tous les aspects on va dire participation, logiciel libre, vie privée, etc. J’en profite aussi pour signaler par rapport au planning de l’émission, une des entreprises dont tu as parlé c’est Easter-eggs et que nous avons un sujet justement sur les modèles d’organisation d’entreprises du Libre avec Easter-eggs, c’est en mai. Il y aura la société 24ème qui est une Scop basée sur l’organisation des entreprises libérées. Pour Easter-eggs ce sera Pierre-Yves Dillard qui viendra. Je ne me souviens plus exactement de la date, mais c’est en tout cas en mai cette émission.
On va revenir sur civic techs et logiciels libres. Je vais déjà poser la question : c’est quoi ce mot, ce buzzword quelque part qui depuis deux, trois ans, voire un peu plus, arrive, civic techsça signifie quoi ? Caroline Corbal

Caroline Corbal : Les civic techs, en fait, ce sont des technologies donc des outils numériques, des logiciels, qui permettent de renforcer la participation démocratique, l’engagement des citoyens et aussi la transparence et la responsabilité des institutions et gouvernements. Le buzzword en fait est né en 2016 quand la France accueillait le sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert, mais il ne faut pas oublier que les civic techs existaient avant. Déjà en 2009 quand Regards Citoyens s’est créée l’idée c’était d’utiliser le numérique pour rapprocher les citoyens de l’exercice démocratique, notamment par la publication de l’information publique.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est intéressant que tu le précises parce que ce n’est pas forcément nouveau, même si le terme est nouveau.

Caroline Corbal : Exactement.

Frédéric Couchet : Ce qui peut être intéressant, et on va sans doute en parler dans le cours de l’émission, c’est peut-être la distinction, justement, entre des structures comme Regards Citoyens qui sont, on va dire, dans la civic tech ou en tout cas dans la participation, dans la démocratie, et des structures qui sont plus peut-être côté civic business ou avec des modèles d’organisation totalement différents basés sur le secret absolu. On va sans doute revenir la-dessus. La première question après cette petite présentation sur ce terme civic tech, c’est qu’il y a une supposition là-dedans c’est que l’informatique, le numérique, quelque part est forcément bon pour la démocratie. Est-ce réellement le cas, Emmanuel Raviart ?

Emmanuel Raviart : Le numérique ce n’est pas démocratique en soi. Si vous utilisez des outils numériques pour construire un Internet décentralisé, aux mains des citoyens, où chacun peut apprendre et s’exprimer, là c’est démocratique.
Si c’est pour un Internet contrôlé par des GAFAM, par des entreprises qui sont soit américaines, soit chinoises, qui savent tout sur vous, le numérique n’est pas démocratique. Donc on ne peut pas dire que le numérique est ou n’est pas démocratique.

Frédéric Couchet : Caroline ?

Caroline Corbal : Je pense que souvent le raccourci est fait. De fait le numérique est une vraie promesse, une promesse formidable pour accélérer la circulation de l’information, pour permettre à chacun de s’exprimer librement, pour permettre en fait aux citoyens de s’impliquer entre deux temps d’élections. Mais c’est aussi hyper-aberrant et même dangereux de dire que juste mettre à disposition des outils numériques va avoir des effets démocratiques.
En fait, pour que le numérique produise de la démocratie, il faut que lui-même soit démocratique et ça, ça implique des constructions et ces constructions-là reposent sur des outils techniques, certes, mais surtout des processus et des valeurs qui doivent être centraux.

Frédéric Couchet : C’est très bien cette première introduction, parce que souvent soit les personnes ont un avis très négatif sur le numérique qui ne peut rien apporter à la démocratie, soit c’est tout beau et extraordinaire. Ça me rappelle un événement, un débat qu’il y avait eu à Paris je crois que c’est l’an dernier, un événement que tu connais bien Caroline vu que tu as participé à son organisation qui est Paris Open Source Summit, il y avait un débat à un moment. Je ne citerai pas les deux personnes parce que voilà ! mais ce sont deux personnes politiques et il y avait un débat sur le vote électronique : est-ce que le vote électronique, pour les votes institutionnels j’entends bien, donc les élections municipales ou autres, est-ce que c’est bien ou un mal ? Les deux personnes n’étaient pas du tout d’accord, évidemment, avec des arguments qu’Emmanuel Raviart connaît bien, que beaucoup de gens connaissent bien, contre le vote électronique, notamment le fait que ça enlève totalement la participation citoyenne par le dépouillement par exemple ; une des grandes forces du vote en tant que tel c’est que le citoyen, la citoyenne peuvent participer au dépouillement. C’est important de préciser déjà que l’informatique ou le numérique en tant que tels n’apportent pas un vrai plus démocratique s’ils n’intègrent pas les processus et les bases démocratiques de transparence dedans.
Justement on va essayer de voir, dans un premier temps, quels sont les grands principes qui permettent à des outils pour lesquels on peut se dire qu’on peut avoir un vrai apport démocratique. Évidemment nous on suppose qu’il y a le logiciel libre, il n’y a peut-être pas que le logiciel libre, il y a peut-être des nuances. Qui veut commencer ? Emmanuel Raviart.

Emmanuel Raviart : Pour contrebalancer ce que je disais sur la neutralité du numérique, il ne faut pas oublier que le numérique apporte beaucoup de choses ; il apporte déjà l’information. C’est-à-dire que grâce au numérique les citoyens n’ont jamais été aussi informés ou désinformés, mais quand même globalement informés. Ça c’est le premier pas qui peut permettre plus de démocratie, c’est déjà l’information.
Après, ce que ce peut permettre le numérique c’est donner le pouvoir, parce qu’une fois qu’on a l’information on se retrouve maintenant dans une société où quel que soit le sujet, quel que soit l’organe, que ce soit un gouvernement ou un parlement ou quelque chose comme ça, il y a toujours plus compétent à l’extérieur. C’est ça aussi qu’a apporté le numérique, cette ouverture vers la société civile qui peut maintenant challenger ce que dit l’autorité.
Donc le numérique est un outil de puissance mais pour que cet outil de puissance puisse être vraiment contrôlé il faut savoir qui le contrôle. Pour ça on a besoin de tout contrôler dans le processus. C’est-à-dire que dans une élection papier c’est très facile pour un citoyen de suivre exactement ce qui se passe à tous les moments du vote : on peut voir l’impression des bulletins de vote, on peut voir la diffusion dans les bureaux de vote, on peut voir l’urne vide transparente se remplir, on peut voir le dépouillement, on peut assister à tout ça.
Lorsque c’est numérique, on ne voit rien. C’est-à-dire qu’il y a tout un tas de choses qui font qu’on ne maîtrise pas. On ne maîtrise pas à la fois l’ordinateur sur lequel ça tourne parce que même maintenant on sait qu’on peut pirater les microprocesseurs. Si c’est un logiciel libre, on maîtrise son code source donc on peut avoir un peu une confiance sur le code source qui a été développé, mais on n’est pas sûr que c’est celui-là qui est installé sauf si on a une maîtrise complète du processus qui nous assure que le logiciel dont on a vu le code source est bien celui qui a été installé. On n’a pas de maîtrise sur le réseau, on n’a pas de maîtrise sur…
Le grand problème du numérique c’est que pour remplacer des outils de démocratie existants, ça enlève un contrôle citoyen qu’il y a dans les élections papier.
Par contre, là où le numérique va apporter énormément, à condition qu’il apporte toujours ses garanties de transparence, c’est pour des sujets où actuellement il n’y avait pas encore de démocratie.
Si on veut, le numérique c’est très bien si ça ne remplace pas le peu ou la démocratie qu’on a actuellement mais ça rajoute plus de démocratie. J’ai répondu un peu à côté.

Frédéric Couchet : Je relancerai par d’autres questions. Cette introduction est très bien.

Emmanuel Raviart : C’est quelque chose qui est vraiment important. Donc il faut à la fois faire attention là où l’utiliser, éviter de remplacer des processus démocratiques qui marchent déjà par d’autres dont on n’est pas sûrs qu’ils marchent bien. Après il faut se donner les moyens de contrôler le plus possible l’ensemble de la chaîne de l’élection et ça, avec le numérique, c’est extrêmement difficile. Bien sûr l’ouverture des logiciels, l’ouverture des données publiques et des choses comme ça, est une composante, mais ce n’est pas suffisant.

Frédéric Couchet : On va revenir un peu plus précisément sur ces questions-là et je vais laisser la parole à Caroline. Deux réactions par rapport à ce que tu nous dis : même dans l’action citoyenne ou l’action des structures comme l’April, l’informatique, le numérique nous a donné accès plus facilement par exemple à des parlementaires, alors que les lobbies traditionnels avaient un accès direct tout simplement par leurs moyens. Je me souviens par exemple qu’en 2006, lors des débats sur la loi droit d’auteur, il y avait un parlementaire, on ne va pas le citer parce qu’il est monté très haut, pas en compétences, aujourd’hui il est assez connu, qui avait raconté juste n’importe quoi en hémicycle ; il avait été pris à partie par des gens et il était venu s’expliquer sur le forum de Framasoft.
Deuxième exemple sur la directive droit d’auteur : aujourd’hui des gens qui n’ont pas les moyens d’un lobby pour aller voir les parlementaires ou les codes pour les contacter peuvent tout simplement leur envoyer des courriels ou ne serait-ce que sur Twitter échanger. Par exemple je salue le travail qu’a pu faire aujourd’hui Pierre Beyssac, qu’on a reçu dans cette émission, et qui encore récemment échangeait beaucoup sur Twitter. Voilà ! Effectivement, ce pouvoir qu’apporte aux citoyens et citoyennes l’informatique est un point essentiel et aussi la transparence avec le travail que fait par exemple Julia Reda. Étienne vous dirait ici qu’on attendait des semaines avant d’avoir les textes officiels sur la directive droit d’auteur suite au « trilogue » alors qu’en fait finalement c’est Julia Reda qui est arrivée à publier un certain nombre de bouts.
Toujours sur ce sujet-là Caroline Corbal.

Caroline Corbal : Déjà je suis complètement en phase avec ce qu’a dit Emmanuel, j’espère que ça lui fera plaisir. Peut-être, pour résumer sur les grands principes qu’on essaye un peu d’avoir toujours en tête côté Code for France dans le cadre de la démarche de la participation qu’on encadre, c’est vraiment résumé :

  • c’est donc la transparence, transparence sur le fonctionnement des outils, donc être en capacité d’auditer le logiciel, de comprendre comment les données sont traitées ; transparence aussi des processus donc des règles du jeu dans lequel le citoyen s’embarque durant ces démarches de participation ;
  • autre principe la liberté ; la liberté d’accéder au code, la liberté de le modifier, de se le réapproprier ; la liberté aussi tout simplement de s’exprimer ;
  • la diversité, je pense que c’est super important dans les civic techs parce qu’aujourd’hui les civic techs touchent une partie de la population qui est encore extrêmement réduite. Il y a beaucoup de travail à faire pour aller toucher d’autres publics. Je pense que la diversité doit vraiment être au cœur des démarches de participation citoyenne. C’est vraiment dans l’inscription même du principe d’égalité à la vie publique en fait. Ça, ça passe par de la pédagogie, par des dispositifs de montée en compétences des publics éloignés du numérique. Ça passe aussi par développer des outils qui soient accessibles pour que les personnes en situation de handicap puissent avoir exactement le même accès que les autres à ces outils-là ;
  • et dernier principe — il pourrait y en avoir plein, mais on va se limiter à quatre — je dirais la collaboration. Permettre à tout le monde de pouvoir collaborer sur le futur de ces outils. En fait un outil numérique doit répondre à des besoins. Le corollaire c’est qu’on doit pouvoir participer à l’évolution des outils pour qu’ils répondent à un besoin, c’est assez logique en fait. Et, en parallèle, la collaboration aussi entre différents types d’acteurs. C’est-à-dire que les civic techs doivent permettre à des institutions de collaborer avec la société civile, avec des entreprises, avec des chercheurs, etc.

Frédéric Couchet : D’accord. On va peut-être préciser et après je laisserai la parole à Étienne qui veut intervenir, pourquoi on parle de ce sujet aujourd’hui ? Peut-être que les gens se disent civic techsça ne me concerne pas, mais en fait aujourd’hui il y a des débats. L’un vient de se terminer, le grand débat — je prends le terme officiel, n’y voyez aucune connotation de positionnement par rapport à ce sujet-là —, il y a le vrai débat donc gilets jaunes et derrière il y a des outils ; on va en reparler tout à l’heure parce que derrière c’est le même outil, la même plateforme. Évidemment, autant vous le dire tout de suite, cet outil-là n’est pas du tout dans les règles que nous venons d’évoquer et on va expliquer les problématiques que cela peut poser.
Je voulais rappeler ce point-là : on fait cette émission-là aujourd’hui parce qu’il y a ce cadre-là, même si ce n’est pas nouveau, le fait d’avoir un acteur, et on va y revenir, qui est à peu près dans une situation de monopole et en plus avec un contrôle total sur l’outil, sur ce qui en est fait, est quelque chose évidemment qui nous perturbe, enfin qui nous questionne plus que ça alors qu’il existe, comme vient de le dire Caroline, des méthodes différentes, des positionnements différents et évidemment des outils différents et on va revenir dans le détail de ces différents points. Étienne Gonnu tu voulais dire quelque chose ?

Étienne Gonnu : Oui. Je voulais rebondir parce que je trouve assez intéressante, enfin très intéressante la manière dont tu as présenté ces principes. Il y a deux aspects que ça m’évoque et c’est pour cela, d’ailleurs, que le logiciel libre est une brique indispensable pour qu’une civic tech puisse être considérée comme civic tech. Déjà parce que c’est aussi intégrer que le processus, comment est organisé un débat, le processus du débat, doit pouvoir être aussi débattable lui-même ; on doit pouvoir agir dessus puisque ça fait aussi partie du débat. Sur l’auditabilité, il n’est pas forcément question que tout le monde soit en mesure d’avoir cette capacité-là d’aller auditer un texte, d’être capable d’agir dessus, mais cette transparence que ça apporte c’est ça qui va permettre d’avoir cette confiance.
De la même manière qu’on sait, dans une démocratie, que le fait que le droit soit accessible, qu’on puisse savoir quelles sont les règles qui s’imposent à nous, c’est un critère indispensable dans un État de droit, mais tout le monde n’est pas en mesure de lire un texte juridique. Mais le fait que ce soit accessible et transparent est en lui-même un critère indispensable.

Frédéric Couchet : On va essayer de passer en revue ces différents points, même si certains l'ont été, en rappelant que chacun n’est pas suffisant en tant que tel, que c’est un ensemble qui permet, et même avec ça on verra sans doute tout à l’heure qu’il reste encore des choses à faire.
Déjà, pour parler de ce qui nous intéresse en premier qui est la partie logiciel libre, c’est donc le code de la plateforme quand on parle de la plateforme de consultation, quelle qu’elle soit, c’est qu’elle soit en logiciel libre, ça c’est un premier impératif nécessaire mais pas forcément suffisant. Tout à l’heure Emmanuel Raviart tu as un petit peu expliqué, est-ce que tu peux revenir dessus rapidement ?

Emmanuel Raviart : Avoir le code source d’un logiciel et d’un logiciel de vote ça permet de vérifier que le logiciel fonctionne bien de la manière dont on dit qu’il a été conçu ; ça permet d’auditer le code. Ça permet d’auditer ce que fait le logiciel. Il y a d’autres manières d’auditer. On peut aussi le traiter comme une boîte noire et vérifier ses entrées et sorties. Il faut savoir que dans un logiciel chaque caractère, chaque octet, chaque instruction peut avoir un effet, donc il faut absolument pouvoir connaître tout ça, le disséquer, à tel point qu’il est reconnu par les experts de sécurité qu’une bonne manière de rendre son logiciel sécurisé c’est de le rendre libre. C’est la même chose pour la démocratie : une bonne manière de s’assurer que ce logiciel respecte ce qu’il est censé faire c’est d’avoir le code source pour pouvoir le vérifier. Ça n’est pas suffisant évidemment.

Frédéric Couchet : Tu voulais rajouter quelque chose ?

Emmanuel Raviart : Non.

Frédéric Couchet : Effectivement c’est un premier élément, c’est la sécurité par la transparence versus la sécurité par l’obscurité.

Emmanuel Raviart : J’insiste vraiment, ce n’est pas suffisant. Maintenant les logiciels tournent sur des microprocesseurs, même les microprocesseurs en tant que tels peuvent se faire pirater. Dans les microprocesseurs il y a maintenant des logiciels. Ce n’est pas parce qu’on est sûr que le logiciel dont on a vu le code source, qui a été installé, est bon, est bien libre, est bien celui qu’on croit qu’il est, ce n’est pas pour ça que l’ordinateur va faire exactement ce qu’on croit qu’il va faire. Donc il faut vraiment penser à l’ensemble de la chaîne. C’est une chaîne, on va dire, de production continue. Il faut faire toutes les étapes une par une et ça c’est sans doute surhumain.

Frédéric Couchet : Également. La confiance ce n’est pas blanc ou noir. On accorde des degrés de confiance ; un des éléments c’est le code source.
Un deuxième élément qui est un peu lié au code source mais pas forcément totalement, là on peut prendre les consultations où il y a des gens qui proposent des choses qu’on peut voter, soutenir, etc. ce sont les algorithmes qui traitent ces données, notamment de mise en valeur. Pourquoi par exemple sur une consultation telle proposition est mise en valeur et pas telle autre ? Donc c’est l’accès à la documentation détaillée des algorithmes qui sont ensuite mis en œuvre dans un code source. Ça c’est un deuxième élément qui est assez proche du code source mais qui est finalement l’accès aux algorithmes des contributions, donc qui permette de gagner une transparence et de voir effectivement comment est mis en valeur tel ou tel processus et également de voir pourquoi, tout d’un coup, une proposition prend beaucoup de votes alors que quelques jours avant elle n’avait pas forcément beaucoup de votes. Caroline.

Caroline Corbal : Je suis complètement en phase avec toi. Donc ouverture du code source, transparence des algorithmes et après, un point complémentaire, je pense que c’est l’ouverture des données.

Frédéric Couchet : C’était le troisième point dans la liste sur mon papier, exactement. Donc l’ouverture des données. Vas-y Caroline.

Caroline Corbal : Donc l’ouverture des données. Tu voulais rajouter quelque chose d’abord sur le sujet précédent.

Frédéric Couchet : Sur la partie algorithmes ?

Emmanuel Raviart : Oui.

Frédéric Couchet : Emmanuel.

Emmanuel Raviart : Le mot algorithme me fait à chaque fois bondir parce qu’en fait l’algorithme c’est un peu le vœu pieux de ce qu’on veut que le logiciel fasse. Quand on commence à dessiner un logiciel on peut éventuellement penser à un algorithme c’est-à-dire une abstraction de ce que le logiciel va faire réellement. Or, tout codeur sait que même si on a un cahier des charges précis, à un moment le développeur va lui-même avoir des marges de manœuvre et des choses comme ça.

Frédéric Couchet : Sur l’algorithme.

Emmanuel Raviart : Donc connaître l’algorithme ça peut être intéressant, mais ça n’est sûrement pas suffisant ; il faut toujours connaître le code source. Ce n’est pas parce qu’on croit qu’un logiciel fait ça que le logiciel en détail fait réellement ça. Souvent, le fait de dire « je vous donne l’algorithme » c’est aussi un moyen de ne pas donner le code source et donc de ne pas savoir ce que fait le logiciel. Mon raisonnement est un peu différent, c’est de dire : si vous voulez connaître l’algorithme commencez par nous donner le code source et de là on pourra retrouver, au moins en ingénierie inverse, l’algorithme. Toujours dire « la priorité c’est le code source plutôt que l’algorithme ». Je voulais juste insister là-dessus, parce que l’algorithme c’est un vœu pieux. Le code source, à priori, c’est ce que ça fait réellement.

Frédéric Couchet : Tu as tout à fait raison. En plus, pour faire écho à une émission qu’on a faite récemment sur Parcoursup, il y a des fois des algorithmes nationaux et puis des fois il y a des algorithmes locaux et après, comme tu le dis, il y a la mise en œuvre de ces algorithmes par les personnes qui développent et qui ont une liberté d’implémentation ou qui, tout simplement, peuvent des fois faire des erreurs. Effectivement c’est chaque bout qui est important et in fine, pour la personne qui maîtrise, l’accès au code source est essentiel. Ce qu’on peut dire c’est que la connaissance, la publication d’algorithmes permet d’élargir le nombre de personnes qui peuvent essayer de comprendre comment ça fonctionne, même si in fine, effectivement, il faut quand même aller jusqu’au bout donc le code source et éventuellement, si possible la partie, comme tu le disais tout à l’heure, processeur, microprocesseur, les puces spécialisées, etc. Là on rentre dans un débat très important et très compliqué mais qui est effectivement totalement essentiel.

Emmanuel Raviart : Il faut juste savoir que le département, le DARPA [Defense Advanced Research Projects] américain, donc ceux qui ont créé Internet il y a quelques années, là actuellement a une initiative sur le vote électronique. Ils dépensent déjà 10 millions de dollars rien que pour concevoir un logiciel libre de vote et ils disent : « Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg », donc ils savent très bien que ça ne sera pas suffisant.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Donc les données ouvertes, ça c’est un point supplémentaire, la publication des données ouvertes sauf les données personnelles. En fait il peut y avoir un petit débat pour savoir où se situent les données personnelles. En quoi est-ce essentiel d’avoir l’accès à ces données ?

Caroline Corbal : L’accès aux données est essentiel déjà pour un impératif de transparence, aussi pour que les citoyens puissent effectuer des vérifications. Et c’est notamment pour ça qu’on s’est positionnés avec Code for France dans le cadre du grand débat parce que les données n’étaient déjà pas mises tout de suite en open data et ensuite pas toutes mises en open data. On considère que c’est un impératif démocratique de base. Du coup on a mis à disposition les données au grand public, avec une mise à jour régulière, ce qui a permis à des citoyens de s’approprier ces données, d’y accéder, de les utiliser, de se les approprier, notamment à des chercheurs. Il y a plein de chercheurs qui ont commencé à faire leurs analyses et ça a permis la production d’analyses citoyennes, donc des analyses par et pour les citoyens. Notamment je vous invite à aller voir un projet qui s’appelle la grandeannotation.fr, qui repart des contributions publiées sur la plateforme pour permettre à des citoyens de les annoter ; c’est vraiment une analyse du grand débat par les citoyens. Il y a déjà des projets qui ont repris la Grande Annotation. Ces projets en plus se complètent donc c’est ça qui est super riche et qui est né, en fait, de l’ouverture des données.

Frédéric Couchet : Ce qui peut avoir aussi pour effet de bord de montrer peut-être les limites de la plateforme officielle : quand on permet à partir des données de faire des analyses, d’arriver peut-être à des conclusions radicalement différentes. Avoir uniquement les données disponibles mais sans le code auditable, Emmanuel va dire que ce n’est pas suffisant évidemment, il faut que la plateforme soit notamment auditable. En tout cas ça permet à des chercheurs de faire des analyses, de mettre en valeur des contributions et aussi de voir les mobilisations c’est-à-dire les fameux lobbies ; on l’a vu notamment sur des consultations précédentes, ne serait-ce que récemment le Conseil économique et social [Conseil économique, social et environnemental] qui a fait une consultation, je ne sais plus quel titre ils avaient intitulé mais qui était dans le cadre des débats, il y a eu une mobilisation très forte des gens qui étaient contre le mariage pour tous ; cette mobilisation s’est vue et après on peut analyser d’où viennent les contributions quand on a effectivement accès à ces données. Donc c’est assez essentiel. [Je vois que notre invité suivant va s’installer, vous entendez peut-être un petit peu de bruit.]
Tout à l’heure tu as cité, et avant qu’on fasse bientôt une pause musicale, un élément important parce que là, quelque part, on est sur la technique avec le logiciel libre, on est sur les données, et il y a l’humain, la gouvernance. Tout à l’heure tu as parlé d’impliquer les différentes structures dans la gouvernance, dans comment fonctionne la plateforme, comment évolue la plateforme, parce qu’une plateforme qui est éditée par une seule entreprise eh bien c’est l’entreprise qui décide comment ça va évoluer. Donc un point essentiel pour que le numérique devienne démocratique, comme tu le disais tout à l’heure, c’est la partie on va dire gouvernance, l’implication de l’ensemble des acteurs et des actrices, utilisateurs ou utilisatrices de la plateforme ou en tout cas intéressés. Est-ce que tu peux un petit peu détailler cet aspect-là, s’il te plaît Caroline ?

Caroline Corbal : Complètement. Ça c’est un modèle qui nous est extrêmement cher que ce soit côté DemocracyOS ou Code for France, ce sont les communs numériques. On est convaincus que les civic techs doivent être impérativement des communs numériques. Peut-être pour donner une définition des communs, les communs ce sont des ressources partagées. Ce sont des ressources qui sont développées par un ensemble d’acteurs qui est souvent hétérogène et qui sont régis par des règles qui assurent leur caractère ouvert et partagé. Donc on peut avoir tous types de communs et les logiciels peuvent être des communs. Ce qui est intéressant dans cette notion-là c’est la partie, comme tu le disais, gouvernance ; par exemple le choix de la licence fait partie de ces règles-là qu’on va mettre en place.

Frédéric Couchet : Le choix de la licence de la plateforme et des données.

Caroline Corbal : Oui, pardon, associées au logiciel.
Après il y a toutes les règles qui vont permettre à chacun de s’impliquer dans l’évolution de l’outil. Un exemple que j’ai en tête c’est le logiciel Decidim qui est un logiciel qui est né en 2015 à Barcelone, qui n’a pas mal progressé, qu’on utilise aujourd’hui en France. En fait c’est un logiciel où on retrouve des acteurs publics, donc l’impulsion très forte est publique à la base, mais on retrouve aussi des citoyens bénévoles, aujourd’hui aussi des entreprises qui contribuent, des chercheurs. Donc on a tout cet ensemble d’acteurs qui contribuent au futur du logiciel, qui disent qu’ils aimeraient développer telle ou telle fonctionnalité. En fonction de règles qui ont été établies collectivement par la communauté, des investissements sont fléchés vers le développement de ces fonctionnalités. C’est un modèle que je trouve particulièrement intéressant et pérenne pour garantir la pérennité des plateformes, leur indépendance. Je pense qu’on a tout intérêt à investir sur ces modèles-là.

Frédéric Couchet : D’accord. Justement tu parles d’investissement. Après la pause musicale on parlera aussi un peu de modèles économiques de fonctionnement. Là je crois qu’on a fait le tour sur les principes essentiels pour que, finalement, l’outil numérique ait toute sa force démocratique, mais ce n’est sans doute pas suffisant. Par exemple le simple fait de la forme, de la façon de poser les questions sur une consultation est en soi un vrai questionnement, un vrai problème par rapport aux objectifs. Je sais qu’il y a eu un débat entre les garants, je crois, et justement les organisateurs du grand débat sur la façon de faire des questions soit ouvertes soit fermées. Est-ce que tu voulais rajouter quelque chose là-dessus Emmanuel ?

Emmanuel Raviart : Oui, je voulais rajouter quelque chose. Ce que dit Caroline sur les communs est très intéressant, mais moi j’y apporterais des nuances.

Frédéric Couchet : Vas-y.

Emmanuel Raviart : En fait, si on fait la comparaison avec le monde du logiciel libre en général. Le monde du logiciel c’est plein de projets avec chacun des gouvernances très différentes : il y en a qui sont gérés juste par un développeur, d’autres qui sont gérés par une association, une fondation et des choses comme ça. Il y a en a certaines qui essaient de créer le modèle démocratique idéal pour créer le logiciel et je ne crois pas qu’il existe de modèle démocratique idéal pour construire un logiciel. Il y a des logiciels qui peuvent être codés par une personne, d’autres qui peuvent être codés par une équipe. Ce qui est important, et c’est ça qu’apporte le logiciel libre, c’est cette communauté, ce vivier de gens avec tout un tas de projets qui sont managés de manières différentes, gérés de manières différentes et de temps en temps il y en a qui marche, hop ! on reprend l’idée, on en fait un projet concurrent ou alors on l’améliore. C’est cette énergie parallèle et ces choses-là qui font que, à mon avis, c’est plus important que la gouvernance des communs. Le logiciel libre c’est le choix et finalement au lieu de chercher à dire on va faire une démocratie parfaite, on va faire des outils parfaits avec un fonctionnement démocratique parfait, je crois que le plus important c’est de pouvoir innover sur plein de projets différents et pouvoir prendre les meilleurs logiciels au fur et à mesure des besoins. Je voulais juste dire ces nuances que j’apporte. Souvent on commence par se dire : avant de créer mon logiciel je vais d’abord créer la structure démocratique parfaite et généralement, une fois qu’on a créé la structure démocratique, on a oublié qu’on voulait faire le logiciel. Voilà. Un logiciel peut se faire de manière très dictatoriale et ça peut être un très bon logiciel libre quand même. Ce n'est pas du tout en désaccord avec ce que tu disais.

Caroline Corbal : Je suis d’accord avec toi. En fait sur Decidim, ce qui est intéressant, c’est qu’au début ce sont les besoins techniques qui ont prévalu, c’est que Consult n’allait pas, il manquait des fonctionnalités et c’est juste ensuite, quand il a fallu rajouter de nouvelles parties prenantes parce qu’il y avait pas mal aussi d’autorités locales qui ont voulu se rajouter, là il a fallu créer des règles de gouvernance adaptées.

Frédéric Couchet : Justement. Pour mieux comprendre, pour que les personnes comprennent mieux, après la pause on parlera un peu plus de Decidcim. Quel est ce logiciel, cette plateforme ? Effectivement à quoi ça sert et comment c’est né ? [Tu peux rentrer ; Vincent Calame rentre]. On va faire la pause musicale donc tu tombes au bon moment. On va faire une pause musicale, ça s’appelle Le jour du départ et c’est Max Livio.

Pause musicale : Le jour du départ par Max Livio.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Max Livio, c’est un reggae tout à fait sympathique. Les personnes qui suivent l’émission l’auront peut-être reconnu, parce qu’on l’a déjà passé. On a appris récemment que Max Livio faisait partie des candidats d’une émission de télé sur TF1, c’est un artiste qui se présente depuis une dizaine d’années, donc il a fait au moins un album en licence Creative Commons Partage à l’identique ; ça s’appelait Le jour du départ, Max Livio.
Vous êtes toujours sur Cause Commune 93.1 en Île-de-France et sur causecommune.fm partout ailleurs.
Nous parlons toujours du sujet des civic techs et du logiciel libre, des données ouvertes, de la gouvernance. On a parlé un petit peu, pas théorique, mais en tout cas grandes idées et échanges. On va parler maintenant un peu plus concret et notamment on va citer quand même la structure qui est quasiment en situation de monopole en France depuis quelques années sur ce sujet-là, qui n’est pas du tout dans le mode du logiciel libre, qui n’est pas du tout dans les données ouvertes et qui n’est pas du tout dans une gouvernance ouverte également ; c’est donc la société Cap Collectif qui existe depuis 2014 et qui, comme j’ai dit tout à l’heure, leur outil propulse de nombreuses consultations depuis quelques années en France, notamment les consultations récentes du grand débat, du vrai débat. J’aurais envie de vous demander quels problèmes posent l’utilisation de cette plateforme même si on a bien une idée de la réponse, mais quand même ! Qui veut commencer ? Emmanuel Raviart. En fait ils sont en train de se regarder tous les deux.

Emmanuel Raviart : À qui ne voudra pas répondre ! Je vais prendre le problème un peu différemment. En fait, quand on y réfléchit, on est en train de demander aux citoyens de proposer, de mettre leurs opinions politiques, ce qui est quand même quelque chose qui jusqu’à maintenant était considéré comme très proche de l’intime et du secret sur une plateforme hébergée par un prestataire dont on connaît un peu les antécédents.

Frédéric Couchet : Quels antécédents ?

Emmanuel Raviart : Il a été lobbyiste notamment pour l’industrie du tabac ou autres. C’est même un lobbyiste agressif. J’ai même été victime une fois de son lobbying, donc je peux vous le raconter ; je ne vous raconterai pas, mais en tout cas c’est agressif ! Ce n’est pas illégal du tout mais c’est un peu violent. En fait ce n’est pas tellement ça le sujet le plus intéressant. On est en train de demander aux citoyens de mettre des choses qui sont quand même très privées, dont on a tout intérêt à se protéger et à laisser secrètes, sur une plateforme dont on ne maîtrise pas grand-chose, qui travaille en plus pour le ministère de l’Intérieur, donc on ne maîtrise pas totalement… En fait on est en train de se dire que les citoyens sont invités à donner leurs opinions politiques à une plateforme privée et aussi au ministère de l’Intérieur. On peut peut-être réfléchir là-dessus deux minutes. C’est une façon de prendre le problème un peu différemment.

Frédéric Couchet : Comment expliquez-vous ce quasi-monopole ? Finalement tout à l’heure Caroline parlait de Decidim, mais il y a aussi des logiciels libres de consultation. Il y a DemocracyOS, vous en faites la promotion et vous en connaissez certains. Est-ce que vous avez une idée qui explique ce monopole de fait ? Emmanuel Raviart a l’air d’être bien au courant.

Emmanuel Raviart : Non, je ne suis pas bien au courant, mais c’est une entreprise qui est très efficace, qui a su créer une association autour de son logiciel, qui a su faire du lobbying, qui est là depuis assez longtemps d’ailleurs ; elle a le mérite d’être un peu antérieure à d’autres initiatives et c’est un très bon lobbyiste, qui connaît le fonctionnement de l’Assemblée, qui connaît le fonctionnement du politique, qui avait ses réseaux. Donc il avait un tapis rouge devant lui et il est suffisamment bon pour s’en servir. Voilà ! C’est aussi une des raisons de son succès.

Frédéric Couchet : D’accord. Caroline est-ce que tu veux rajouter quelque chose ou est-ce que tu estimes qu’Emmanuel a tout dit ?

Caroline Corbal : Non, je pense que ça va, il a fait le tour.

Frédéric Couchet : Pour les personnes, parce qu’on ne va pas rentrer dans tous les détails des activités de Cap Collectif et de l’historique de Cyril Lage son cofondateur, mais sur le site de l’April, vous pouvez aller voir, j’ai mis des références parce qu’il a fait l’objet de plusieurs enquêtes récentes notamment sur Bastamag. Il y a un article aussi de Quitterie de Villepin sur Médiapart, il y a un article récent dans Les Jours, mais je crois que Les Jours c’est réservé aux personnes abonnées. En tout cas, il y a effectivement un questionnement qui est fait à la fois sur le recours à cette plateforme totalement privatrice et sur le contrôle d’une seule structure et sur le passé de cette personne qui a été dix ans lobbyiste chez Spin Partners, le patron de Spin Partners est l’un des directeurs de l’École de guerre économique. On voit déjà, quand on parle de guerre économique, qu’on n’est pas du tout dans le même type de société que la nôtre. Et qui a en grande partie aussi théorisé le fait de créer des plateformes de consultation citoyenne pour la manipulation de l’opinion. Ce sont des choses qui ne sont pas très surprenantes. Une question qu’on peut se poser, mais je ne la poserai pas évidemment, c’est pourquoi avoir créé Cap Collectif ? Est-ce que c’est vraiment pour l’intérêt général ou pour une autre raison ?
Ceci dit ça pose une question, parce que finalement le modèle économique de Cap Collectif c’est sur des ventes de licences, comme Microsoft historiquement et d’autres. Caroline Corbal, tout à l’heure tu parlais notamment d’autres outils, là en logiciels libres avec une transparence et une gouvernance vraiment différentes, tu parlais notamment de Decidim. Quels sont justement les modèles économiques pour les structures qui créent ce genre d’outils, mais vraiment ce coup-ci en logiciels libres avec données ouvertes ? C’est peut-être l’occasion de nous expliquer ce qu’est Decidim, comment ça fonctionne, comment ça a été créé.

Caroline Corbal : Déjà sur cette question des modèles économiques, peut-être une remarque préalable, c’est que pour les civic techs, on peut faire coexister des modèles non-lucratifs aussi, donc c’est fondamental que les associations continuent d’exister avec des modèles non-lucratifs et qu’en parallèle des entreprises puissent vivre de modèles viables et pérennes.

Frédéric Couchet : Oui. D’ailleurs ça me fait penser par rapport ça, excuse-moi, avant que tu poursuives, on va rappeler que dans le monde politique une bonne partie du politique est faite de façon totalement bénévole, c’est-à-dire par les militants, par les gens qui collent les affiches, par exemple par les gens qui vont faire le dépouillement dont on parlait tout à l’heure c’est de façon bénévole, c’est effectivement important ce que tu rappelles : il y a une partie bénévole, on va dire non payée quelque part dans ce monde politique et que peut-être c'est même la majorité des cas. Vas-y, je te laisse poursuivre.

Caroline Corbal : Il faut que ces deux modèles-là cohabitent. Sur le modèle économique de certaines entreprises, un modèle qui peut être intéressant c’est celui qui est expérimenté encore aujourd’hui parce que rien n’est écrit, rien n’est évident, ils sont encore en train d’apprendre et d’expérimenter, c’est une entreprise qui s’appelle Open Source Politics et qui propose du service autour de logiciels libres pour la participation citoyenne. Donc il y a eu DemocracyOS, beaucoup.

Frédéric Couchet : Donc DemocracyOS c’est un outil ?

Caroline Corbal : C’est un outil, c’est une plateforme de consultation en ligne. Aujourd’hui ils utilisent beaucoup le logiciel Decidim qui est assez complet en termes de fonctionnalités : il permet d’avoir des boîtes à idées, de la consultation, des budgets participatifs. Donc par exemple il y a plusieurs collectivités locales qui utilisent aujourd’hui Decidim pour leurs démarches de participation et une entreprise comme Open Source Potilitcs, ce qui est intéressant c’est qu’elle va faire de l’accompagnement, donc du service autour de ces communs numériques. Ça va être par exemple tout ce qui est processus d’animation de la consultation mais aussi développement de fonctionnalités, adapter le logiciel aux besoins de l’utilisateur, etc. Toutes ces améliorations-là sont reversées ensuite, grâce à la licence qui est associée à Decidim, au pot commun, donc elles peuvent aussi bénéficier à des projets qui n’ont pas de budget, qui ne souhaitent pas se faire accompagner. En fait ça enrichit le commun qu’est Decidim.
Ça c’est un modèle qui est particulièrement intéressant pour une autre raison aussi c’est que des modèles comme celui qu’on a évoqué précédemment avec Cap Collectif, ça pose un problème éthique qui est celui de l’investissement public dans le sens où à chaque fois qu’une collectivité locale, je reprends cet exemple-là parce que aujourd’hui c’est un peu plus courant dans les civic techs, réutilise Decidim [Cap Collectif, NdT], enfin utilise Cap Collectif, ils repayent pour accéder au logiciel. Et à chaque fois c’est de l’argent public, donc c’est de l’argent du contribuable, alors que s’ils utilisent des communs numériques, ils vont peut-être plus investir sur l’amélioration du logiciel pour qu’il réponde plus aux besoins des citoyens ou sur de l’accompagnement pour que la démarche se passe mieux, et puis en plus, surtout, ça sera reversé au pot commun. Donc en fait c’est un cercle vertueux. Je pense qu’il y a encore énormément de pédagogie à faire sur ce modèle-là, que ce soit auprès des institutions publiques, des citoyens et des entreprises.

Frédéric Couchet : D’accord. Decidim, historiquement si je me souviens bien, pour faire le lien avec la discussion tout à l’heure entre on fait une gouvernance et on développe et Manou, Emmanuel Raviart qui dit…[rires] On a révélé, en fait je voulais le faire rire, c’était mon test.

Caroline Corbal : Ça y est !

Frédéric Couchet : Voilà c’est fait. On a révélé qu’avec Emmanuel Raviart, on se connaît depuis plusieurs années donc je l’appelle par son petit nom, mais l’explication d’Emmanuel Raviart de dire on commence par coder et après, ce qui est important, c’est le code. Decidim, si je me souviens bien, c’est la mairie de Barcelone qui a lancé ce projet initialement ; je vais essayer d’expliquer très rapidement. Je vais quand même préciser que malgré le nom Open Source Politics c’est une entreprise française.

Caroline Corbal : Oui.

Frédéric Couchet : Ce n’est pas une multinationale américaine, pas du tout, c’est une entreprise française qui doit peut-être être basée à Saint-Denis ou pas, mais je ne sais plus.

Caroline Corbal : Ils sont à Paris maintenant.

Frédéric Couchet : Donc Decidim, initialement, est développé par un besoin d’une collectivité qui est la mairie de Barcelone, qui a ensuite évolué et qui est repris par d’autres collectivités et notamment grâce au travail d’entreprises comme Open Source Politics. C’est bien ça ?

Caroline Corbal : Exactement. Tu as extrêmement bien décrit. C’est né à Barcelone ; ils avaient utilisé Consult qui était l’outil lancé par Madrid initialement. Progressivement ils ont développé Decidim, ils ont inclus de plus en plus d’acteurs dans la gouvernance, donc ils se sont posés des questions pour qu’il n’y ait pas de position dominante qui émerge dans la gouvernance de l’outil. Ils ont établi un certain nombre de règles. Je vous invite à aller voir Metadecidim, c’est la communauté qui gère Decidim, l’évolution du logiciel. Ce qui est intéressant c’est que le projet prend vraiment une dimension européenne aujourd’hui, notamment en France. Donc dans Code for France, une de nos ambitions c’est de faire progresser Decidim, de faire en sorte qu’on puisse le rendre accessible à de nombreux publics notamment qui n’ont pas de budget. Là on va lancer une plateforme Decidim à disposition gratuitement des associations parisiennes, parce qu’il y a beaucoup d’associations parisiennes qui ont besoin d’outils de démocratie participative ou même de gestion interne un peu plus participative de leur vie quotidienne. Ça c’est un des projets qu’on va mener avec Code for France sur Decidim.
Un dernier point peut-être sur les communs numériques, un des enjeux qu’on va avoir à gérer je pense avec ces communs pour la participation, c’est de toujours se rappeler cette volonté qui est à la base du commun qui est de créer, enfin de garantir des conditions d’accès égalitaires aux communs. En fait aujourd’hui le commun est de plus en plus technique, il y a de plus en plus de fonctionnalités qui se développent. Un des enjeux ça va aussi être de continuer à faire en sorte qu’il soit simple, accessible pour tous. En fait ça demande un effort, ce n’est pas naturel. Là on tend vers de l’expertise. Il va falloir toujours avoir ce truc en tête et investir pour que ça reste quelque chose de vraiment accessible dans les faits pas que dans le discours.

Frédéric Couchet : Exactement. Étienne tu voulais intervenir ? Étienne Gonnu.

Étienne Gonnu : Simplement pour dire que je pense que tu défends très bien globalement, tes arguments sont vraiment justes pour défendre la priorité au logiciel libre que nous on défend. Effectivement dans ce reversement aux communs, cette idée finalement : on voit bien que si des grosses collectivités, si l’État soutient et finance du logiciel libre, les plus petites collectivités, les plus petites associations vont pouvoir bénéficier du développement fait, du financement en amont. Je pense que c’est extrêmement bien.

Frédéric Couchet : Tout dépend d’une volonté politique initiale : à Barcelone il y avait une volonté politique de faire un commun. Visiblement en France la volonté politique des communs n’est pas encore tout à fait présente. On ne va guère être surpris vu les dernières annonces qu’on a concernant des structures comme la DINSIC, donc la DSI de l’État ou autres structures.
Caroline tu veux rajouter quelque chose.

Caroline Corbal : Juste peut-être pour souligner quand même le travail de la mission Société Numérique qui dépend de l’Agence du numérique.

Frédéric Couchet : D’accord.

Caroline Corbal : Et qui investit pour les communs numériques. L’année dernière on a publié avec eux, avec toute une communauté d’acteurs dans le cadre de l’événement Numérique en commun(s) un tutoriel pour les communs numériques, donc pour aider notamment les collectivités locales à rentrer dans des démarches de communs numériques, pour un peu nuancer le tableau.

Frédéric Couchet : C’est l’Agence du numérique et c’est Société Numérique, c’est ça ?

Caroline Corbal : Voilà c’est la mission Société Numérique au sein de l’Agence du numérique qui met à disposition ce genre de ressources.

Frédéric Couchet : Oui, effectivement, toutes les agences de l’État ne sont pas à « jeter » entre guillemets. Il y en a qui font un travail correct, quand même ! Caroline tu as tout à fait bien fait de le dire et on rajoutera la référence sur le site de l’April dès qu’on pourra.
Emmanuel là-dessus, sur Decidim ou sur… Tu parlais tout à l’heure, justement tu as créé trois entreprises, donc les modèles économiques tu connais un petit peu aussi. Est-ce que tu as un commentaire à faire ?

Emmanuel Raviart : Non. Sur Decidim je n’en ai pas à part que j’avais essayé de l’installer, je n’y étais pas arrivé mais c’était mon problème à moi.

Caroline Corbal : Tu n'as pas e chance !

Frédéric Couchet : Tu avais pris une version vraiment alpha.

Emmanuel Raviart : Non, c’était moi qui avais… Bon ! C’est très bien Decidim. Je n’ai pas de choses à dire en plus tout de suite.

Frédéric Couchet : D’accord. De toute façon on approche de la fin de ce sujet. C’est l’occasion, avant qu’on oublie, de citer quelques sites web. Donc codefor.fr, c’est Code for France. Avant d’oublier aussi, Caroline Corbal, je crois que vous avez une assemblée générale bientôt donc je te laisse donner les informations.

Caroline Corbal : Ce sera le 24 avril à 18 heures 30 au Liberté Living Lab et vous êtes les bienvenus, on va renouveler le conseil d’administration, donc n’hésitez pas.

Frédéric Couchet : Liberté Living Lab c’est à Paris. Est-ce qu’il y aura une diffusion ?

Caroline Corbal : C’est une excellente question. Si le besoin se fait ressentir on pourra avoir une vidéoconférence ; tout sera documenté sur des pads et vous pouvez aussi rejoindre notre chat où tout se passe, c’est chat.codefor.fr.

Frédéric Couchet : Vous allez sur chat.codefor.fr, vous pourrez rejoindre ce projet et on mettra la référence sur le site de l’April.
Je crois qu’on a fait une bonne partie de l’émission à moins que vous vouliez rajouter quelque chose sur ce sujet entre civic techs, civic business. Est-ce que vous avez des annonces à faire par rapport à ça, au-delà de l’assemblée générale de Code for France ?

Emmanuel Raviart : Ce que je voudrais juste dire pour les auditeurs qui sont tech ou pas tech mais enfin qui s’intéressent vraiment à la démocratie numérique, rappeler qu’il y a une association qui travaille beaucoup sur ce sujet, une association principalement d’informaticiens mais pas que, qui s’appelle Regards Citoyens, qu’on cite sans doute régulièrement ici. Grâce à elle, maintenant l’Assemblée nationale et le Sénat publient en open dataénormément de données quand même ; c’est grâce à Regards Citoyens. Je vous conseille d’aller sur Regards Citoyens.
Pour améliorer la démocratie il faut la comprendre et je me suis rendu compte par ma carrière, par ma petite carrière que finalement on ne se rend pas compte, on ne sait pas du tout comment fonctionnent ni l’administration française, ni le Parlement et tout ça. Il y a une initiative que j’aime bien, j’en suis un peu à l’origine mais qui continue sans moi, qui est le Parlement ouvert de la députée Paula Forteza. Si vous voulez savoir un peu comment fonctionne l’Assemblée allez toutes les semaines au Bureau Ouvert. Le site c’est parlement-ouvert.fr et l’initiative c’est Bureau Ouvert. C’est comme ça, c’est en apprenant comment ça fonctionne réellement qu’on pourra améliorer les choses parce qu’un des reproches qu’on peut faire aux civic techs en général c’est que souvent les logiciels n’ont pas d’utilisateurs et n’ont pas notamment les politiques comme utilisateurs et qu’il faut absolument se greffer à eux si on veut essayer de changer les choses.

Frédéric Couchet : Exactement. Comme tu parles de Parlement ouvert, j’en profite pour signaler que Marie-Odile Morandi qui est bénévole à l’April, qui s’occupe des transcriptions, a utilisé ce site l’an dernier pour suggérer des questions au gouvernement, que trois de ses questions ont été relayées — site proposé par Paula Forteza et Matthieu Orphelin — et les trois ont reçu des réponses [une seule question a reçu une réponse, NdT]. Donc c’est une façon aussi de s’impliquer via des sites participatifs.

Emmanuel Raviart : Des sites montés avec un logiciel libre islandais que nous avions réutilisé.

Frédéric Couchet : Et qui s’appelle comment ?

Emmanuel Raviart : Je viens d’oublier son nom, je vais le retrouver, je l’avais installé, je devrais le retrouver.

Frédéric Couchet : OK. Écoutez en tout cas merci à vous. On mettra la référence, le nom de logiciel islandais sur le site de l’April, l’assemblée générale de Code for France le 24 avril au Liberté Living Lab à Paris et s’il y a besoin d’une retransmission n’hésitez pas à nous envoyer un petit message, en tout cas il y aura les comptes rendus qui seront publiés et tout est sur le site également.
Je remercie bien sûr Emmanuel Raviart et Caroline Corbal, mais vous restez évidemment avec nous pour la chronique qui va suivre.

Caroline Corbal : Merci.

Frédéric Couchet : Nous allons d’abord faire une petite pause musicale. Nous allons écouter When the Devil's Got Your Name par The Damned and Dirty.

Pause musicale : When the Devil's Got Your Name par The Damned and Dirty.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter When the Devil's Got Your Name par The Damned and Dirty. C’est en licence Creative Commons Partage à l’identique et la référence est évidemment sur le site de l’April.

Chronique « Jouons collectif »

Vous êtes toujours sur Cause Commune 93.1 en Île-de-France et sur causecommune.fm partout ailleurs et vous écoutez toujours l’émission Libre à vous !.

Nous allons terminer par le dernier sujet avec la chronique de Vincent Calame, ça doit être ta troisième chronique, Vincent.

Vincent Calame : Oui.

Frédéric Couchet : Intitulée « Jouons collectif ». Je rappelle, Vincent, que tu es informaticien et bénévole à l’April et que dans le cadre de ton travail tu échanges avec pas mal de collectifs donc tu viens un peu nous raconter tes expériences, en tout cas tes réflexions là-dessus. Aujourd’hui le thème est « en fait c’est simple ». Quand tu m’as envoyé ça, je me suis dit de quoi veut-il parler ?

Vincent Calame : En fait l’idée de cette chronique m’est venue à la fin de ma chronique précédente quand je suis allé voir notre ami Étienne qui était alors en régie. Quand on va en régie on voit une console avec plein de boutons, on a l’impression qu’on est devant une station, un poste de pilotage d’avion. Là il me dit : « Mais, non, en fait c’est simple, il y a juste à appuyer au bon endroit ». Cette phase « en fait c’est simple », je l’entends souvent, je l’ai notamment entendue peu de temps après quand j’ai expliqué une commande à une collègue qui m’a dit : « Mais en fait c’est simple ! » Donc c’est quelque chose qui revient très souvent. Après avoir expliqué une commande, une fonction, eh bien la personne réagit en disant « mais en fait c’est simple ».

Frédéric Couchet : J’ai toujours cru que l’informatique c’était compliqué mais finalement tu me dis : « En fait l’informatique c’est simple ! » C’est ça ?

Vincent Calame : En fait je pense que c’est assemblage complexe de choses très simples. Après tout l’informatique ce sont des 0 et des 1, donc on ne peut pas faire plus simple que des 0 et des 1, mais c’est assez complexe. Ce qui est complexe, surtout, c’est que c’est intimidant parce qu’il y a beaucoup de possibilités : quand on est face à un logiciel il y a des boutons, il y a des commandes partout, on ne sait pas où cliquer. Mais souvent, une fois qu’on sait où cliquer, ça devient d’une simplicité biblique dirons-nous.

Frédéric Couchet : L’expérience de la régie pourrait le laisser penser mais en fait le problème, des fois, c’est qu’on a appris à cliquer, on se dit c’est simple et puis le temps passe et on oublie. C’est un des problèmes, non ?

Vincent Calame : Oui, ça c’est le gros problème de l’informatique que j’ai remarqué, c’est que ça s’oublie très vite ; dès qu’on ne pratique pas ça s’oublie. Je dirais, c’est une hypothèse très personnelle, que comme l’informatique normalement c’est sur un écran il n’y a que la mémoire visuelle qui est en action, il n’y a pas du tout de mémoire du geste, ce qui fait que finalement on perd très vite ses repères. Maurice Chevalier chantait « Marcher au pas, c’est comme la bicyclette ça ne s’oublie pas », mais je crois que l’informatique, comme on ne sollicite pas vraiment son corps, ça s’oublie très rapidement.

Frédéric Couchet : Oui, parce qu’il n’y a pas la mémoire du geste, etc. Par contre, Vincent, je suis un peu désolé, tu as de citer Maurice Chevalier, je connais tes capacités vocales, je pense qu’à ta prochaine chronique tu devras nous chanter du Maurice Chevalier ou du Boris Vian, parce que je sais que tu maîtrises tout ça. Il rougit parce qu’il n’avait pas prévu que je fasse ça !
Donc comme un sport qui va être pratiqué régulièrement, en tout cas la mémoire des gestes, toi tu dis, ton sentiment c’est que l’informatique doit être pratiquée régulièrement.

Vincent Calame : Oui. Ça doit être pratiqué régulièrement parce qu’une interface simple c’est quoi ? C’est une interface qui vous est familière. C’est comme un site web ; les sites nous paraissent plus ou moins compliqués. Certains qu’on fréquente couramment nous paraissent simples, en fait c’est familier.
La petite difficulté c’est qu’il y a quand même beaucoup de fonctions qu’on n’utilise pas souvent. Même dans un logiciel qu’on utilise quotidiennement, il y a des fonctions avancées, notamment, qu’on n’utilise qu’une fois par mois et là aussi on va très vite oublier comment faire. Je crois qu’il y a deux choses : finalement il ne faut pas se focaliser sur la fonction exacte, mais il faut un, ne pas oublier son existence — on va se dire avec ce logiciel je suis capable de faire ça ; comment, j’ai oublié, mais je sais que je suis capable le faire — et ensuite savoir comment retrouver cette information du fait que cette fonction existe.

Frédéric Couchet : D’où peut-être l’importance, des fois, de documenter ces fonctions qu’on utilise peu souvent, voire de toujours documenter tout ce qu’on fait. Moi j’ai l’habitude de documenter au maximum quand j’installe des logiciels. Je pense que je ferai réagir tout à l’heure Emmanuel Raviart qui me fait non avec un signe de la tête. Oui ! Ah si, si !

Emmanuel Raviart : Je documente toujours, je garde l’historique complet pour pouvoir le refaire et ça me sert tout le temps.

Frédéric Couchet : Tu confirmes.
Pour revenir au titre de la chronique, « en fait c’est simple », finalement, imaginons une formation, est-ce que c’est la personne qui donne la formation qui doit dire cette phrase à celle qu'elle accueille ?

Vincent Calame : Effectivement c’est le piège, c’est que quand on forme on est devant la personne et quand on dit à une personne « tu vas voir c’est simple » et qu’on clique trois fois très rapidement, ce n’est pas très pédagogique et là aussi on intimide encore plus la personne en lui disant que c’est simple. Si elle ne comprend pas elle va culpabiliser en pensant que c’est de sa faute. Le « en fait c’est simple » doit être la conclusion d’une formation. C’est quand l’étudiant, enfin la personne apprenante se rend compte « finalement oui c’était simple une fois qu’on sait ». L’informatique c’est beaucoup l’œuf de Colomb, c’est simple, mais il suffisait d’y penser, il fallait y penser. C’est un peu ça, une fois qu’on sait ça nous paraît assez évident.

Frédéric Couchet : Là tu expliques que finalement c’est simple pour la personne qui a appris ou la personne qui utilise, mais on est dans une émission où c’est le partage, le logiciel libre, les données, on partage, est-ce que l’étape d’après ce n’est pas de partager ces fameux petits trucs et astuces, ces petites notes dont parlait Emmanuel Raviart il y a un instant.

Vincent Calame : Si,si, complètement. Vous pouvez vous dire que quand vous trouvez qu’un logiciel est simple ce n’est pas parce qu’il est simple, c’est parce que vous le maîtrisez. J’ai cette remarque de gens qui ne se rendent pas compte même de leurs propres compétences d’ailleurs en informatique, ils disent « en fait c’est très simple ». Oui, en fait c’est très simple parce que tu sais utiliser le logiciel de manière efficace, il te fait réellement gagner du temps, parce que le but du logiciel c’est quand même ça, et tous ne font pas gagner du temps, mais si tu sais bien l’utiliser, tu le maîtrises bien, ça te paraît simple et à ce moment-là je pense que l’étape d’après, qu’on apprécie, c’est de rendre un peu à la communauté ce qu’elle nous apporte et notamment en aidant les autres, les débutants, en les aidant à maîtriser ce logiciel pour que ça fasse boule de neige. Là il y a plusieurs techniques, c’est souvent participer à des forums ; les gros logiciels ont des forums d’aide aux utilisateurs, donc c’est un bon moyen d’aider des gens à maîtriser un logiciel : partager votre connaissance, sachant qu’en plus ces forums sont archivés donc il y a des chances que des personnes recherchant, via un moteur de recherche, trouvent vos réponses. Et puis il y a une autre piste, c’est d’ouvrir un billet de blog où vous mettez justement vos découvertes, par exemple vous découvrez une fonction que vous n’aviez jamais découverte sur un logiciel et ça peut être un bon moyen de la partager. Ce sera peut-être vu par cinq personnes par mois, ce n’est pas grave, la ressource existe, les moteurs de recherche vont la retrouver et vous pourrez sans le savoir, vous n’aurez peut-être pas de retour, mais vous pourrez rendre service à quelqu’un qui cherchait depuis des heures la fonction que vous maîtrisez parfaitement et qui ne vous prend qu’une minute à faire.
Je rajoute qu’on parle beaucoup de contribution dans le cadre du logiciel libre, ce type de contribution est un bon exemple : on peut contribuer de manière très efficace au logiciel libre sans taper une ligne de code justement en partageant son savoir et ses astuces et son savoir-faire.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Est-ce que Caroline ou Emmanuel vous voulez réagir là-dessus ou non ?

Emmanuel Raviart : Non. C’est parfait et c’est vraiment ce qu’il faut faire : écrire une petite doc, la mettre en ligne. Moi j’utilise plutôt git pour mettre en ligne mais c’est le même principe.

Frédéric Couchet : Chacun sa méthode de mise en ligne. Effectivement la tienne est un peu plus geek, on va dire, mais on retrouve aussi l’information et c’est vrai, je pense qu’on a tous ici été confrontés à ce cas-là où on cherche une solution, un conseil et on le trouve sur Internet, des fois sur un forum, des fois sur un site web, des fois sur git. Donc on vous encourage, en tout cas Vincent vous encourage à partager vos trucs et astuces, vos documentations ; c’est simple à faire et ça peut sauver pas la vie mais en tout cas ça peut aider d’autres personnes sur Internet.

Vincent Calame : Oui, parce que du fait des moteurs de recherche, si vous mettez les bons mots dans votre titre, il y a des chances que la personne quand elle va taper, elle va trouver votre site parce que vous dites comment mettre en gras tel cadre. Soyez assez précis et les moteurs vous trouveront.

Frédéric Couchet : Eh bien écoute, merci pour cette chronique. Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?

Vincent Calame : Non.

Frédéric Couchet : Non. Donc pour la prochaine émission tu sais ce qui t’attend ; si ça se trouve il ne va plus vouloir venir ! J’en profite quand même pour remercier grandement Vincent parce que Vincent s’occupe en partie de l’accueil des associations libristes à la FPH dans le 11e et je le remercie d’autant plus que nous étions ce week-end à la FPH, ce dimanche pour un April Camp. Un April Camp c’est une réunion de membres de l’April ou de soutiens, donc c’était ouvert à toute personne. Grâce à Vincent et à la FPH, on peut avoir un lieu absolument incroyable, accessible pour toute personne. On me montre un petit papier.

Caroline Corbal : Éviter les acronymes.

Frédéric Couchet : FPH c’est Fondation pour le Progrès de l’Homme, homme avec un grand « H », précisément c’est la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, c’est dans le 11e arrondissement. Je tenais à le remercier. Outre ça il est d’une gentillesse incroyable et il a une voix magnifique, notamment quand il chante du Boris Vian. Nous sommes fans tous les deux de Boris Vian.

Nous allons passer aux annonces diverses et variées. Je regarde l’heure.

Jingle musical basé sur Sometimes par Jahzzar.

Annonces

Frédéric Couchet : Je rappelle que la radio a une boîte vocale donc vous pouvez appeler le 01 88 32 54 33, je répète 01 88 32 54 33 et vous pouvez laisser un message d’une durée maximale de dix minutes ; ce message passera à l’antenne à un moment que je ne connais pas. N’hésitez pas à l’utiliser.

En début d’émission on a parlé malheureusement du vote au Parlement européen sur la directive droit d’auteur et l’article 13. La mobilisation n’est pas finie, parce qu’il y a une autre campagne en cours qui concerne la proposition de règlement terroriste/censure sécuritaire et ce n’est pas une blague, mais le vote aura lieu en commission des libertés civiles le 1er avril. Là vous allez sur le site de La Quadrature du Net donc laquadrature.net et vous aurez toutes les informations pour vous mobiliser sur cet autre texte qui met en danger les libertés fondamentales.

Côté plutôt positif le Libre en Fête se poursuit, vous savez les événements partout en France pour sensibiliser autour du logiciel libre. C’est jusqu’au 7 avril, le site c’est libre-en-fete.net.
On parlait de la FPH à l’instant, il y a la soirée hebdomadaire de contribution au Libre, donc jeudi soir 28 mars à partir de 19 heures si je me souviens bien.

Vincent Calame : 19 heures 30.

Frédéric Couchet : 19 heures 30, tu vois je me souvenais mal !
La Fondation pour le logiciel libre, donc la Free Software Foundation a remis ses awards donc ses prix annuels ce week-end. OpenStreetMap a reçu le prix pour le projet pour un bénéfice social. Nous recevrons justement des gens d’OpenStreetMap sans doute courant avril, peut-être mai, pour présenter ce projet magnifique de cartographie libre. Une deuxième personne a reçu un prix ; il s’agit de Deborah Nicholson, c’est le prix pour l’avancement du logiciel libre. Deborah Nicholson est impliquée dans de nombreux projets de logiciels libres depuis une dizaine d’années dont notamment le projet Software Freedom Conservancy, je ne sais pas comment on traduirait de l’anglais, mais c’est un projet qui accueille d’autres projets logiciels libres pour leur fournir une base de soutien légal, financier et qui existe depuis maintenant une quinzaine d’années, donc Software Freedom Conservancy. Deborah Nicholson et OpenStrretMap ont reçu ce prix qui est remis chaque année par la Fondation pour le logiciel libre dans leur événement annuel à Boston aux États-Unis.

On entend le générique qui part en mode tapis.
Je vérifie si j’ai d’autres annonces, à priori non. Si vous cherchez des événements libristes, vous allez évidemment sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org et vous retrouverez tous les événements.

Notre émission se termine. Je vais remercier évidemment chaleureusement Patrick Creusot en régie ; Étienne Gonnu qui est passé du côté de la régie à côté de Patrick ; Emmanuel Raviart dont j’ai révélé malheureusement le petit nom, merci Emmanuel ; Caroline Corbal, merci Caroline ; Vincent Calame, qu’on retrouvera le mois prochain.

Vous retrouverez sur le site de l’April, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, donc causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.

La prochaine émission aura lieu mardi 2 avril à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les groupes d’utilisateurs et d'utilisatrices du logiciel libre avec trois personnes invitées : de mémoire Magali Garnero pour Parinux, le groupe d’utilisateurs et d’utilisatrices de Paris ; Didier Clermonté pour LINESS, c’est un groupe qui est situé en Essonne et nous aurons Romain Volpi, si je me souviens bien qui lui est à l’ALDIL qui est l’Association du développement de l’informatique libre dans la région lyonnaise et qui, le week-end qui suit, fait un week-end de conférences et d’événements autour du logiciel libre. Donc c’est la semaine prochaine mardi 2 avril à 15 heures 30, les groupes d’utilisateurs et d'utilisatrices de logiciels libres.

Nous vous souhaitons de passer une bonne fin de journée. On se retrouve mardi prochain et d’ici là portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

La directive droit d’auteur inscrit dans le droit la censure automatisée - Benjamin Sonntag

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Benjamin Sonntag

Titre : Benjamin Sonntag : « La directive droit d’auteur inscrit dans le droit la censure automatisée »
Intervenants : Benjamin Sonntag - Pablo Pillaud-Vivien
Lieu : La Midinale - Regards
Date : 27 mars 2019
Durée : 10 min 40
Visualiser la vidéo
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Benjamin Sonntag, 2013, Benjamin Sonntag Photos, auteur Elisian - Licence CC BY-SA 2.0 FR
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

La directive droit d’auteur a été adoptée hier au Parlement européen. Avec quelles conséquences ? Une alternative…

Transcription

Voix off : Regards - Prunelles aiguisées - « La Midinale » par Pierre Jacquemain et Pablo Pillaud-Vivien tous les jours à 12 heures 30.

Pablo Pillaud-Vivien : Bonjour Benjamin Sonntag.

Benjamin Sonntag : Bonjour.

Pablo Pillaud-Vivien : Vous avez cofondé La Quadrature du Net, une association de défense des droits et des libertés des citoyens sur Internet. Si on vous a invité aujourd’hui c’est que hier a été votée au Parlement européen une directive qui encadre le droit d’auteur. Vous pouvez nous expliquer ce que ça va changer, ce que ça veut dire.

Benjamin Sonntag : Ça va changer beaucoup de choses. Il y a deux articles qui sont passés qui nous posent le plus problème. Le premier c’est sur les citations de presse. L’idée c’est que aujourd’hui des sites comme Google News reprennent le titre, un morceau de vignette, d’image et trois mots, une phrase de l’article de presse. Eh bien demain les plateformes comme Google vont devoir payer pour pouvoir citer ne serait-ce que le titre et cinq mots d’un article de presse. Donc ça va être encore une usine à gaz qu’on va monter pour quelque chose qui, peut-être, pose problème à la presse, mais ce n’est pas ça qui va améliorer le modèle économique de la presse. Nous on regarde ça avec beaucoup de circonspection, on pense que ça va être juste inutile.

Pablo Pillaud-Vivien : C’est quand même une façon d’aller chercher de l’argent chez Google et de le donner aux éditeurs de presse.

Benjamin Sonntag : Oui. Mais ça veut dire que les éditeurs vont encore plus dépendre de Google et d’autres plateformes de ce type. Donc l’indépendance de la presse qui est actuellement pour moi assez nulle du fait qu’elle est possédée majoritairement par des milliardaires va continuer à prendre des coups parce qu’elle va être possédée par des sociétés capitalistiques milliardaires aussi.
Ça n’améliore pas, je pense, la situation d’indépendance des citoyens vis-à-vis de la qualité de ce qu’ils pourraient trouver en ligne sur Internet, ou dans le monde réel !

Pablo Pillaud-Vivien : Ça c’était le premier point.

Benjamin Sonntag : Ça c’est le premier point, le plus petit. Le plus important c’est ce que nous on appelle la censure algorithmique ou la censure automatisée. C’est quelque chose qui existe déjà : sur une plateforme comme YouTube il y a un système qui s’appelle Content ID, qui a été mis en place par les ingénieurs de YouTube, de Google donc, qui bloque et qui démonétise ou qui carrément censure des vidéos sous prétexte qu’elles ont des petits morceaux ou des gros morceaux d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Ça peut être des morceaux de films, ça peut être des morceaux de musique, ça peut être des petits morceaux de musique, ça peut être de petits morceaux de films, le problème c’est que ces systèmes algorithmiques ne sont pas du tout malins, ils n’ont pas la capacité à comprendre qu’il y a des exceptions dans le droit d’auteur pour le pastiche, pour le droit de citation, pour certaines formes de remix, donc déjà aujourd’hui ça pose un problème.

Ce que fait cette directive c’est qu’elle met dans le droit le fait que les grosses plateformes vont être obligées de disposer de ce genre de système de censure automatique. Eux parlent de filtrage sur des algorithmes, nous on utilise les vrais mots qui consistent à montrer ce que ça fait dans le monde réel : c’est de la censure et elle est algorithmique et elle est automatisée. Donc on dénonce cette censure automatisée parce que même si elle ne s’applique qu’aux grandes plateformes elle n’est pas du tout capable de comprendre la complexité et la finesse du droit d’auteur et surtout, elle est poussée en masse par beaucoup de Français mais surtout ceux qu’on appelle les ayants droit c’est-à-dire des grosses sociétés qui possèdent des pools d’artistes, un peu comme du bétail, et qui, d’ailleurs, souvent emmènent les artistes au casse-pipe pour défendre cette directive alors elle na va pas apporter quoi que ce soit aux artistes, notamment pour l’accès à leur public ou pour mieux vivre de leurs œuvres. Et pour terminer, le principal problème ce n’est pas tant que cette directive institue cette censure automatisée, c’est qu’elle la met dans le droit et elle ouvre, pour nous, une boîte de Pandore qu’on ne pourra pas refermer de sitôt on le craint de permettre une censure automatique et ça c’est un véritable problème.

Pablo Pillaud-Vivien : Mais là, quand vous parlez, on a l’impression que vous voulez laisser une totale liberté voire une totale impunité aux géants du Net comme Google, Amazon.

Benjamin Sonntag : Les géants du Net ont déjà une responsabilité qui fait d’ailleurs qu’ils appliquent déjà cette censure automatique ; ils n’ont pas attendu le droit pour censurer en masse. Le problème c’est que nous on essaye de trouver une balance. On ne veut pas qu’ils aient un pouvoir illimité, qu’ils puissent faire ce qu’ils veulent sur Internet, évidemment. Le droit s’applique dans chaque pays.

Pablo Pillaud-Vivien : On parle souvent de pillage des contenus par ces géants du Net, c’est-à-dire qu’en fait eux utilisent déjà des contenus sur lesquels eux ils se font grassement.

Benjamin Sonntag : Ce n’est pas tant les géants du Net qui utilisent ces contenus que les internautes qui publient ces contenus à destination de leur public. Il y a une espèce de jeu de dupes.

Pablo Pillaud-Vivien : Les internautes ne gagnent pas d’argent alors que Google gagne beaucoup d’argent

Benjamin Sonntag : Il y a pas mal d’internautes qui gagnent de l’argent aujourd'hui.

Pablo Pillaud-Vivien : Moins que Google.

Benjamin Sonntag : Beaucoup moins que Google, évidemment. Le principal problème pour nous c’est aussi que ces grosses plateformes avalisent le modèle économique de la publicité ciblée. Indépendamment de la directive européenne, nous on la combat évidemment, d’ailleurs elle est probablement massivement illégale depuis la directive RGPD1 de l’an dernier, en mai 2018 : la publicité ciblée est probablement totalement illégale en droit européen, mais les autorités nationales type la CNIL n’ont peut-être pas encore mesuré à quel point il faudrait agir pour faire appliquer le droit.

Il y a tout un jeu d’influences, de rétro-influences dans tous les sens sur des ayants droit qui essaient de faire du beurre sur le dos des artistes, de Google, Facebook, YouTube qui font du beurre sur le dos des artistes, bien souvent aussi, tout ça n’a jamais favorisé les artistes. Déjà à l’époque on dénonçait avec HADOPI2 le fait que c’était une mauvaise réponse à un faux problème, on voit ce qu’a donné HADOPI depuis.

S’il vous plaît, essayez d’écouter un peu les citoyens qui se mobilisent, qui réfléchissent aux enjeux du numérique et aux enjeux des plateformes et qui disent : « Vous êtes en train d’apporter une mauvaise réponse à un faux problème ». Là on est en train d’annoncer la même chose. On verra dans dix ans ce que ça a aura donné. Google aura continué à être Google, les artistes continueront à se plaindre parce que leurs ayants droit leur diront de se plaindre parce qu’ils ne font assez de blé sur leur dos. Ça n’aura pas amélioré la situation des artistes, ni Google, ni les SACEM et compagnie.

Pablo Pillaud-Vivien : Du coup vous proposez quoi comme alternative pour rétribuer justement ces producteurs de contenus ?

Benjamin Sonntag : On le proposait déjà en 2008 ; on proposait une licence globale à l’époque, on pense toujours que c’est une bonne solution.

Pablo Pillaud-Vivien : Est-ce que vous pouvez expliquer rapidement ce qu’est la licence globale ?

Benjamin Sonntag : L’idée de la licence globale3, après il faut voir, le diable est dans les détails évidemment, c’est de proposer de prendre quelques euros sur les abonnements internet pour financer la culture donc pour les artistes musicaux, films, séries, les youtubeurs et compagnie ; ça peut aller très loin, aussi sur les livres, ça peut couvrir un peu tous les arts, en échange d’une légalisation, et là on est très précis, du partage hors marché entre individus.
L’idée c’est de dire quand on échange avec d’autres personnes des séries, des films, de la musique, parce que c’est ce qu’on aime, parce que c’est ce qui nous passionne, parce que c’est ce qu’on admire, qu’on puisse le faire légalement. Ça existe depuis toujours, ça existe depuis la cassette audio, ça existe même depuis avant la cassette audio, ça n’a jamais tué des artistes comme on l’a entendu bien souvent en forme de propagande éhontée.

Nous on propose déjà des modèles vertueux qui permettent à la fois de légaliser le partage et à la fois de rémunérer les artistes. Après nous on n’est pas non plus artistes, moi je ne suis pas versé dans ces domaines-là. Ce que je vois c’est qu’on applique de la censure, on applique des écoutes sur Internet avec HADOPI, des choses qui ne marchent pas, on le voit avec HADOPI. Là on s’attend à ce que ça n’ait aucun effet sur les grosses plateformes. D’ailleurs on ne défend pas les grosses plateformes, nous on attaque les GAFAM, on les a même attaqués en plainte de groupe l’an dernier dans le cadre du RGPD et les affaires sont en cours ; on attaque vraiment ces grosses plateformes, mais ce qu’on craint et c’est ce qui arrive toujours dans le droit, ça se voit dans plein de sujets, c’est ce qu’on appelle mission creep, l’extension du domaine des lois. Typiquement cette loi aujourd’hui, cette directive européenne ne va s’appliquer qu’aux gros acteurs, typiquement des Google, Facebook, Twitter, ce genre de plateformes. On s’attend à ce que demain soit dans des droits locaux, puisque cette directive doit être appliquée [transposée] dans le droit local des pays membres, soit plus tard dans une version deux de la directive, qu’ils appliquent ça à toutes plateformes. Et dans ces cas-là des plateformes vertueuses qu’on appelle de nos vœux, des systèmes comme Mastodon4, des systèmes comme Diaspora5 qui sont des alternatives libres, décentralisées surtout, à Google, Facebook, Twitter ou ce genre de service, ces plateformes-là vont morfler très sérieusement si demain elles sont obligées de mettre en place des algorithmes qui sont extrêmement complexes, qui sont extrêmement coûteux, de censure préventive de contenus.

Et puis même, l’idée c’est quelle société on crée quand on met dans le droit des systèmes de censure préventive. Nous ça nous paraît extrêmement choquant dans l’équilibre des droits entre les libertés fondamentales et le bien-être des artistes, la capacité d’innover, la capacité aussi de lutter contre des monopoles comme YouTube ou Facebook.

Pablo Pillaud-Vivien : J’ai lu dans un éditorial du Monde que finalement cette bataille entre ceux qui étaient pour ou contre la directive c’était une bataille entre ceux qui étaient pour la démocratie, enfin ceux qui se battaient pour la démocratie, pour plus de démocratie et ceux qui se battaient pour plus de liberté. Est-ce que c’est comme ça aussi que vous envisagez la bataille ?

Benjamin Sonntag : Hou là ! Déjà ça me parait compliqué de pousser aussi loin. Nous on se bat à la fois pour la démocratie et pour la liberté. La démocratie ce n’est pas juste le vote et la liberté ce n’est pas juste la liberté de faire n’importe quoi ; ça s’arrête là où commence celle d’un autre. Il faut rappeler ces fondamentaux-là et on a souvent à faire à énormément de ce qu’on appelle du FUD [Fear Uncertainty and Doubt], de peurs, d’incertitudes et de doutes qui sont posés là pour essayer de défendre telle ou telle opinion. Je prends l’exemple de monsieur Cavada qui récemment disait que les manifestants en Allemagne – il y avait plusieurs dizaines de milliers de manifestants en Allemagne contre cette directive – étaient payés par les GAFAM. Je n’ai entendu aucun journaliste en entendant ça lui dire « OK, vous avez quoi comme preuve ? » Donc les débats sont très sanguins. On peut mettre des grands mots comme « démocratie » ou « liberté » dans cette histoire. Moi ce que je vois c’est que c’est aussi une histoire industrielle, qui a des enjeux industriels et Google a poussé de tout son poids contre cette directive. On s’est retrouvés avec eux quelque part dans ce combat parce qu’elle [la directive] nous paraît vraiment attentatoire aux libertés dans le sens où elle institue dans le droit des censures automatisées et ça, ça nous paraît totalement délirant. Après on est contre Google sur tout le reste des sujets parce que c’est une société qui fait du fichage en masse d’individus pour de la publicité ciblée de manière totalement illégale.
On peut dire que c’est démocratie contre liberté ; nous on dit surtout que c’est démocratie et liberté contre monopole et business as usual.

Pablo Pillaud-Vivien : Merci beaucoup Benjamin Sonntag.

Benjamin Sonntag : Avec grand plaisir.

Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 2 avril 2019

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Bannière de l'émission

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 2 avril 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Jean-Christophe Becquet - Magali Garnero - Didier Clermonté - Romain Volpi - Isabella Vanni - Étienne Gonnu - Frédéric Couchet
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 2 avril 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos. Note : certains propos tenus dans l'émission et présents dans cette transcription concernent le système d'exploitation GNU/Linux mais le nomment « Linux ».

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Je vous rappelle que la radio dispose d’un webchat, donc vous pouvez utiliser votre navigateur web préféré, si possible libre, vous rendre sur le site de la radio causecommune.fm, cliquer sur « chat » et nous rejoindre sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 2 avril 2019, nous diffusons en direct mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’April c’est april.org, a, p, r, i, l, point org et vous y retrouvez d´ores et déjà une page consacrée à l’émission du jour avec un certain nombre de références. Cette page sera bien entendu mise à jour après l’émission avec les références que l’on citera au cours de l´émission. Je vous souhaite une excellente écoute.

Nous allons passer au programme du jour.
Dans quelques secondes nous allons commencer par la chronique de Jean-Christophe Becquet, président de l’April. La chronique est intitulée « Pépites libres ». Normalement Jean-Christophe est avec nous au téléphone. Bonjour Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour.

Frédéric Couchet : On se retrouve tout de suite. D’ici une quinzaine de minutes nous allons parler de notre sujet principal, les groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres, ce qu’on appelle les GULL, avec mes trois invités que je présenterai tout à l’heure, trois invités de talent ; ils représentent chacun un groupe d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres .
En fin d’émission nous aurons la chronique de ma collègue Isabella Vanni « Le libre fait sa comm’ » et nous aurons l’occasion notamment de parler d’un événement qui va se passer à Lyon ce week-end.
À la réalisation mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Étienne s’est levé pour parler dans le micro. Il ne s’y attendait pas.

Tout de suite place au premier sujet. Nous allons commencer par l’intervention de Jean-Christophe Becquet. Jean-Christophe est président de l’April. Sa chronique intitulée « Pépites libres » a pour objectif de nous présenter une ressource sous licence libre – ça peut être un texte, une image, une vidéo, une base de données – sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile, et les auteurs de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public. Aujourd’hui, Jean-Christophe, tu souhaites nous parler d’un jeu de données diffusé sous licence ouverte qui s’appelle le RNE, le Répertoire national des élus. Jean-Christophe, nous t’écoutons.

Chronique « Pépites libres »

Jean-Christophe Becquet : Bonjour. Le RNE est donc une ressource en open data, c’est-à-dire une donnée produite par une administration ou une collectivité qui est mise à disposition des citoyens sous licence libre. RNE est l’acronyme de Répertoire national des élus. Ce jeu de données fourni par les préfectures et les services du ministère de l’Intérieur contient des informations sur les personnes titulaires d’un mandat électoral. On y trouve des informations comme le nom, le sexe, la date de naissance, la profession ainsi que les dates de début et de fin de mandat pour les différents étages du mille-feuille administratif : les communes, les départements, les régions, l’État et l’Europe.
Cela peut paraître surprenant, mais cette mise à disposition sous licence libre des informations sur les élus est en fait très récente. Elle date du mois de janvier 2019. Le collectif Regards Citoyens avait d’ailleurs salué la publication fort attendue de ce Répertoire national des élus tout en regrettant la fréquence de mise à jour, seulement trimestrielle, alors que des élections partielles impactant les données ont lieu toute l’année. On peut espérer que cela évolue avec le temps.
Le RNE est un fichier très utile pour l’action citoyenne. Par exemple, pendant les débats sur la directive droit d'auteur au Parlement européen, l’April appelait les personnes attachées à un Internet ouvert à contacter leurs représentants au Parlement européen. Et ce n’est pas parce que le résultat du vote nous déplaît qu’il faut arrêter d’agir, bien au contraire ! Pour ma part, j’adresse chaque jour à un acteur local dans ma région, depuis 2010, un courrier de sensibilisation aux enjeux du logiciel libre. Pour mener à bien ce type d’action, une liste des élus s’avère très utile.
Un des critères pour mesurer la réussite d’une publication en open data est ce qu’on appelle les réutilisations. Ce sont des exemples d’usages du jeu de données pour un article, une infographie, ou une application.
Le RNE publié sur le portail national data.gouv.fr a fait l’objet de plusieurs réutilisations. Par exemple, le site polipart.fr permet de retrouver en fonction de sa commune de résidence, les élus qui nous représentent. Autre exemple, un article du Dauphiné s’est appuyé sur le RNE pour montrer comment se répartissent nos élus par profession, par sexe ou par âge en fonction du type de mandat. Et ce type d’analyse n’est pas réservé à des experts. Un élève de troisième s’est servi du RNE pendant son stage chez Etalab pour réaliser avec des logiciels libres, une analyse statistique sur nos élus.
Ces ressources en open data améliorent la transparence de l’action publique ; elles encouragent l’innovation et elles constituent un formidable support pédagogique. Par exemple, j’enseigne les systèmes d’information géographique, des logiciels qui permettent d’analyser les données inscrites sur un territoire. Il y a dix ans, je n’avais pas d’autre choix que de faire mon cours sur les parcs naturels des États-Unis, faute de données libres disponibles en local. Aujourd’hui on trouve des données sur n’importe quelle commune ou région de France. Grâce aux licences libres, mes étudiants peuvent utiliser ces informations sans restriction dans leurs projets personnels ou professionnels.
J’aimerais donc pour conclure inviter nos auditeurs à rechercher, à demander et à réutiliser des données en open data en fonction de leurs centres d’intérêt. Le champ est très large : ça peut concerner la vie politique, l’économie, les transports, mais aussi le patrimoine avec les bibliothèques et les musées qui partagent de plus en plus de bases de connaissance en open data, nouvelles pépites, sans doute, pour des chroniques en perspective.

Frédéric Couchet : Oui. Ça ouvre le champ à de nouvelles chroniques « Pépites libres ». Comme tu le dis c’est très récent, c’est janvier 2019. Je suppose que c’est le ministère de l’Intérieur qui a publié ce Répertoire national des élus.

Jean-Christophe Becquet : Effectivement une partie des données vient du ministère de l’Intérieur et le reste des préfectures départementales, en fonction des différents échelons d’élus.

Frédéric Couchet : D’ailleurs précisons. Ce répertoire, en fait, comprend neuf échelons, il y a neuf fichiers. Ça va des conseillers au niveau du conseil municipal jusqu’aux maires, en passant par les sénateurs, députés, les représentants aussi au Parlement européen, donc c’est très large. Neuf fichiers et, comme tu le dis, une des réutilisations qui a été faite sur le site du Dauphiné c'est de regrouper toutes ces données dans un seul fichier, notamment parce qu’il y a certainement des élus qui, je suppose, apparaissent plusieurs fois dans plusieurs fichiers parce qu’il y encore le cumul des mandats qui existe ; donc un travail qui a été fait par Le Dauphiné c’est de regrouper.
Les informations qui sont dans ce fichier c’est quoi ? C’est nom, prénom, date de naissance, profession ? Ou est-ce qu’il y a d’autres types de données concernant les élus ?

Jean-Christophe Becquet : Non. Dans ce fichier-là c’est tout. Ce sont effectivement des informations assez minimalistes. Un des intérêts, une réutilisation possible ce serait bien sûr de croiser ce fichier avec d’autres jeux de données pour avoir des informations complémentaires. Un des exemples que je donnais, le site Polipart croise mais c’est dans l’autre sens, c’est-à-dire qu’on a une base de données d’adresses dans laquelle on saisit en fait son adresse qui correspond à son lieu de résidence et, en fonction de ça, avec une base de données adresses et le Répertoire national des élus, ça nous sort pour chaque échelon du mille-feuille administratif l’élu dont on dépend, donc le maire, les présidents des conseils départemental et régional, les élus nationaux et européens, députés, sénateurs et les parlementaires européens.

Frédéric Couchet : D’accord. Où peut-on trouver ce site, enfin la source originale ? Sur quel site ?

Jean-Christophe Becquet : Ce fichier est hébergé sur le portail national français open data dont l’adresse est data.gouv.fr et j’ai mis le lien direct pour télécharger le RNE en particulier, donc un des multiples jeux de données hébergés sur le portail data.gouv.fr, sur la page de l’émission, sur le site de l’April.

Frédéric Couchet : D’accord. On précise que comme tu parles d’open data, ce sont des données ouvertes. On a consacré une émission sur le sujet, de mémoire en octobre 2018 ; évidemment on consacrera à nouveau des émissions. Ces données sont diffusées sous une licence ouverte qui permet la réutilisation y compris pour des usages commerciaux donc c’est très important. Tu as cité tout à l’heure cet élève de troisième qui a fait un stage chez Etalab. Il faut préciser peut-être ce qu’est Etalab. Est-ce que tu peux nous préciser ce qu’est Etalab ?

Jean-Christophe Becquet : Etalab est un service de l’État qui s’occupe de la politique nationale open data, c’est-à-dire qu’il vise à encourager les administrations en particulier et à accompagner également les collectivités dans la publication de jeux de données publiques sous licence libre. Effectivement ce jeune, élève de troisième, a fait un stage d’une semaine chez Etalab pendant lequel on lui a demandé de travailler sur le Répertoire national des élus pour y extraire des statistiques. Le service Etalab est très gros consommateur de logiciels libres, donc le travail qui a été fait par cet élève de troisième a été également réalisé avec des logiciels libres.

Frédéric Couchet : On va peut-être indiquer pour Etalab qu’on espère que ça va se poursuivre, parce que les annonces récentes, les événements récents, les mouvements chez Etalab notamment avec le départ d’un contributeur majeur d’Etalab et les propos tenus par le nouveau directeur, le nouveau DINSIC, Direction informatique numérique – j’ai un trou de mémoire sur ce que signifie DINSIC –, en gros la nouvelle personne en charge de la stratégie informatique de l’État. Ses propos, dans une récente interview, laissaient penser à quelques inquiétudes par rapport à la partie logiciel libre-données publiques. Mais bon ! On verra sur les faits et on verra aussi selon l’impulsion que donnera le nouveau ministre en charge du Numérique Cédric O qui remplace Mounir Mahjoubi.
Tout à l’heure tu parlais de Regards Citoyens. Regards Citoyens a mis en place une copie ou en tout cas une sauvegarde journalière des données de manière à être sûrs qu’elles resteront disponibles régulièrement. C’est sur le site de Regards Citoyens. Je crois, si je me souviens bien, que c’est une mise à jour tous les jours.

Jean-Christophe Becquet : Oui, tout à fait. Il y a un double intérêt : le premier intérêt c’est effectivement une préservation de l’accès à la donnée en cas de défaillance ou de changement de politique au niveau d’Etalab qui gère le site data.gouv.fr. Un autre intérêt c’est de pouvoir faire des comparaisons sur l’historique de ce fichier.
J’évoquais tout à l’heure, effectivement, le point de progrès sur la fréquence de mise à jour. Aujourd’hui Etalab annonce que ce fichier doit être mis à jour de manière trimestrielle. Comme il a été publié pour sa première version début janvier on n’a pas encore eu de mise à jour sur ce fichier. Ce qui m’intéressait énormément par exemple dans mon département c’est de savoir quelles sont les communes qui ont changé de maire depuis le début de l’année pour avoir les noms des nouveaux élus et pouvoir leur adresser un courrier de sensibilisation au logiciel libre. En attendant que ce fichier passe avec une mise à jour qu’on pourrait espérer hebdomadaire, voire quotidienne, on peut effectivement utiliser ce service mis en place par Regards Citoyens qui, dès qu’une seconde version du fichier sera parue, permettra de voir les différences, les évolutions entre les versions successives.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Grâce à l’aide d’une des invitées ici présentes j’ai la définition exacte de DINSIC donc c’est Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État.
J’en profite : un jour tu nous parleras un petit peu de cette initiative que tu mènes depuis 2010 d’envoyer chaque jour un courrier à un élu de ta région. Si je calcule bien ça doit faire pas loin de 25 000 courriers ou 2500, plutôt 2500, peut-être pas 25 000. En tout cas c’est vraiment très important et je pense que tu nous feras un petit retour.
J’en profite pour signaler aussi, comme on parle de données ouvertes, que tu interviendras normalement le 30 avril dans une émission consacrée à OpenStreetMap, donc le 30 avril sans doute avec Christian Quest d’OpenStreetMap et sans doute une troisième personne.
Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose, Jean-Christophe, sur cette pépite libre ?

Jean-Christophe Becquet : Non, c’est tout pour aujourd’hui. Je répète juste mon appel : consommez et demandez de l’open data pour enrichir à la fois le contenu de ce portail opendata.gouv.fr et les portails régionaux et départementaux qui se développent un peu partout sur le territoire. Plus on aura des données libres dans tous les domaines sur tous les territoires, plus ça rendra possibles des initiatives intéressantes et originales.

Frédéric Couchet : C’est une belle conclusion, merci Jean-Christophe. On se retrouve le 30 avril pour une intervention sur OpenStreetMap et notamment ce que tu fais dans ta région. Et on se retrouvera en mai pour la prochaine chronique « Pépites libres ». Nous te souhaitons de passer une belle journée.

Jean-Christophe Becquet : Entendu. Bonne suite d’émission. À très bientôt. Au revoir.

Frédéric Couchet : Merci. Nous allons passer à une petite pause musicale. Le morceau s’appelle Dolling par CyberSDF et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Dolling par CyberSDF.

Sujet principal « Bouge ton GULL »

Frédéric Couchet : Vous êtes toujours sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Vous écoutez l’émission Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Nous venons d’écouter Dolling par CyberSDF. Les références se trouvent évidemment sur le site de l’April dans la page consacrée à l’émission du jour.

Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur les groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres. Je vais présenter mes invités. Nous allons commencer par Magali Garnero. Bonjour Magali.

Magali Garnero : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Didier Clermonté. Bonjour Didier.

Didier Clermonté : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Romain Volpi. Bonjour Romain.

Romain Volpi : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : On aurait pu intituler ce sujet « Bouge ton GULL », oui j’ai osé le faire, parce qu’en fait l’acronyme pour groupe d’utilisateurs et d'utilisatrices de logiciels libres c’est GULL, G, U, deux L ; ces groupes existent depuis au moins une vingtaine d’années. On va échanger un petit peu avec nos invités qui chacun et chacune sont bénévoles dans un groupe d’utilisateurs et d’utilisatrices. Magali représentera évidemment Parinux, la région parisienne ; Didier Clermonté LINESS, l’Essonne et le régional de l’étape, plutôt régional de la région de Lyon, Romain Volpi pour l’association lyonnaise qui s’appelle l’ALDIL et qui interviendra ensuite dans la chronique avec Isabella pour présenter un événement important dans, on va dire, l’agenda libriste annuel que sont les Journées du Logiciel Libre de Lyon qui ont lieu ce week-end.

Déjà première chose, on va faire un petit tour de table de présentation pour savoir ce que vous faites dans la vie. Allez Magali, qu’est-ce que tu fais dans la vie, Magali Garnero.

Magali Garnero : Je suis libraire, je ne suis pas du tout informaticienne et j’anime une petite librairie de quartier dans le 11e arrondissement de Paris où je vends pas mal de livres dont certains Framabooks, des Floss Manuals, bref des livres que vous ne trouvez nulle part ailleurs. Je suis également trésorière de Parinux et administratrice à l’April.

Frédéric Couchet : Et Framasoft aussi.

Magali Garnero : Et membre de Framasoft.

Frédéric Couchet : Et membre de Framasoft. Donc elle multi-casquettes. Pour les personnes à qui le nom Magali Garnero ne dirait rien, vous pouvez chercher Bookynette.

Frédéric Couchet : Voilà, avec un « y ».

Frédéric Couchet : Avec un « y ». Elle est plus connue sous ce nom-là. Didier Clermonté qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

Didier Clermonté : Je suis retraité, j’ai 71 ans, j’ai été de base ingénieur des travaux publics, j’ai fait ma carrière essentiellement en bureau d’études génie civil donc j’ai rédigé des notes de calcul. J’ai développé des petites logiciels techniques et maintenant je suis président de LINESS qui est le GULL de l’Essonne. LINESS comme Linux Essonne.

Frédéric Couchet : Très bien. Et Romain Volpi, tu fais quoi ?

Romain Volpi : Je travaille dans une petite société d’informatique sur Lyon. Sinon je suis administrateur de l’ALDIL qui est l’Association lyonnaise de développement de l’informatique libre et membre de l’April et de Illyse.

Frédéric Couchet : Très bien. Illyse c’est Saint-Étienne.

Romain Volpi : C’est Lyon Saint-Étienne.

Frédéric Couchet : Lyon Saint-Étienne. OK. Première question collective évidement, c’est quoi un groupe d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres, donc c’est quoi un GULL ? D’où vient ce terme et quels sont les objectifs de ces groupes ? Quels sont les publics visés ? Qui veut commencer ? Magali.

Magali Garnero : GULL, c’est la traduction de LUG, Linux User Group. On va dire que ce sont des gens bien qui se sont retrouvés ensemble pour utiliser les logiciels libres et surtout les défendre, les promouvoir et les améliorer.

Frédéric Couchet : Effectivement, historiquement le nom anglais vient de Linux User Group. Linux est une partie du logiciel libre : c’est un noyau de système d’exploitation. Ça a été francisé après par GULL, groupes d’utilisateurs de logiciels libres, parce que effectivement initialement c’était plutôt des gens qui utilisaient des systèmes d’exploitation que nous on appelle GNU/Linux, pour rendre aussi le travail, mettre aussi en valeur le travail du projet GNU notamment de la Fondation pour le logiciel libre de Richard Stallman. Aujourd’hui même si initialement c’était des gens qui utilisaient plutôt un système de type GNU/Linux, aujourd’hui ça regroupe plutôt des gens qui utilisent globalement du logiciel libre ; ça peut être du logiciel libre sur des environnements privateurs comme Windows ou Mac, voire d’autres systèmes libres comme les systèmes de la famille BSD.
Ça existe depuis combien de temps ? Il y a d’ailleurs une petite question aux trois GULL. On va utiliser le terme GULL, ça ira plus vite comme ça pendant l’émission, vos trois GULL existent depuis combien de temps ? Romain, l’ALDIL à Lyon ?

Romain Volpi : Une vingtaine d’années.

Frédéric Couchet : Une vingtaine d’années. LINESS en Essonne ?

Didier Clermonté : Depuis 2000,19 ans.

Frédéric Couchet : 19 ans, ah oui ! Et Parinux ?

Magali Garnero : À priori 1998.

Frédéric Couchet : Je confirme. Étant plus vieux que Magali et étant déjà à l’époque activiste logiciel libre, j’ai assisté à la naissance de Parinux. Donc là ce sont des groupes qui existent depuis assez longtemps et effectivement, sans doute que les premiers ça doit faire 20-25 ans qu’ils doivent exister ; maintenant il y a des groupes qui existent depuis plus récemment, évidemment.
Là on a trois types différents. Quelles sont les principales activités ? Quels sont les principaux objectifs d’un GULL ? Didier.

Didier Clermonté : Je ne parlerai pas en règle générale, je parlerai pour LINESS. Quand on installe un système GNU/Linux, les gens nous disent : « Vous êtes bien gentils mais après qui va me faire de l’assistance ? » Donc mon but c’est que les gens aient un point où ils savent que tous les 15 jours ils peuvent venir, 53 rue Monttessuy à Juvisy, et ils seront dépannés dans la mesure du possible. C’est un point de maintenance, un point d’assistance, de l’assistance à l’utilisateur en fait.

Frédéric Couchet : Donc c’est une permanence qui a lieu tous les ?

Didier Clermonté : 15 jours.

Frédéric Couchet : 15 jours. Donc tous les 15 jours, LINESS, vous avez une permanence physique où les gens peuvent venir. C’est quoi ? C’est le soir ? Le week-end ?

Didier Clermonté : C’est le samedi après-midi. Tout le samedi après-midi.

Didier Clermonté : Tout le samedi après-midi. D’accord. C’est important parce que c’est une activité que n’ont pas forcément tous les GULL, d’avoir une permanence régulière. Pour les gens qui sont en Essonne c’est à Juvisy, on mettra l’adresse sur le site, sinon vous allez sur le site de LINESS, c’est liness.org, avec deux « s », l, i, n, e, deux s.

Didier Clermonté : Comme Line et Essonne.

Frédéric Couchet : La principale activité, le but c’est d’offrir de l’aide aux personnes qui découvrent le logiciel libre et de le faire en plus de façon récurrente, quelque part, avec un rendez-vous régulier. Est-ce que vous organisez aussi des conférences à LINESS en dehors de ces ateliers ?

Didier Clermonté : Historiquement c’est arrivé. Depuis que je suis président, non, mais historiquement c’est arrivé. Oui, il y a eu des conférences ; LINESS a un vidéoprojecteur. Pour l’instant c’est un peu en sommeil.

Frédéric Couchet : D’accord. Et quel type de public vient à ces rendez-vous ?

Didier Clermonté : Absolument n’importe qui. On n’a pas de tranche d’âge.

Frédéric Couchet : D’accord. Vous n’avez pas un public type ; ça pourrait être un public de jeunes qui découvrent l’informatique ou au contraire comme toi de retraités qui veulent s’y mettre ou qui veulent changer de système, ou de professionnels.

Didier Clermonté : Il y a absolument de tout.

Frédéric Couchet : De tout. D’accord. Côté Parinux, quels sont les publics visés, les principales activités, même si après on pourra rentrer un peu plus dans le détail, de Parinux ?

Magali Garnero : Si je ne rentre pas le détail on va dire que c’est tout public. Pour certains événements à la Cité des sciences on accueille tous ceux qui veulent venir. Pour d’autres événements ça va être beaucoup plus restrictif comme les soirées de contribution où on n’accueille que les gens qui viennent contribuer à des projets libres. Après il y a les apéros, les villages, on va un peu partout et là c’est ouvert vraiment à tous.

Frédéric Couchet : On va rentrer un peu plus dans le détail tout à l’heure, mais je vais quand même rappeler que tu as cité trois types, deux événements récurrents, on va les préciser. Des événements à la Cité des sciences et de l’industrie, ce sont les Premier samedi, c’est facile de s’en souvenir, c’est le premier samedi du mois. On va supposer que le prochain a lieu le, tu vérifies, le 6 avril 2019.

Magali Garnero : On est quel jour ?

Frédéric Couchet : On est mardi. C’est à la Cité des sciences et de l’industrie, au Carrefour numérique, à partir de ?

Magali Garnero : De 14 heures.

Frédéric Couchet : De 14 heures. Je cherchais si c’était 13 heures ou 14 heures.

Magali Garnero : On se retrouve à 13 heures pour manger à la pizzeria et après on va bosser.

Frédéric Couchet : Donc les personnes qui viennent se sensibiliser au logiciel libre vous avez l’information secrète. Maintenant il vous reste à trouver le nom de la pizzeria et l’adresse, mais je pense que Magali vous la donnera. Les Premier samedi on va supposer que c’est plutôt un public néophyte qui découvre.

Magali Garnero : Voilà.

Frédéric Couchet : Les soirées de contribution, on y reviendra tout à l’heure parce que c’est important, c’est un public un peu différent, parce que c’est comment contribuer au logiciel libre et pas forcément d’un point de vue technique. Là aussi c’est récurrent dans le sens où c’est chaque jeudi à la célèbre FPH qu’on cite très régulièrement dans cette émission, dans le 11e arrondissement de Paris, c’est à 19 heures ; la prochaine a lieu jeudi 4 avril à partir de 19 heures. Et puis tu as cité des événements, c’est-à-dire la présence de bénévoles du GULL à des événements qui peuvent être très variés comme l’espace numérique de la Fête de l’Huma ou des salons un peu plus professionnels comme le POSS, le Paris Open Source Summit, à la fin de l’année. Oui, je sais, je cite des événements des fois comme ça ! Côté ALDIL est-ce que c’est la même chose ou c’est un peu différent ?

Romain Volpi : En fait l’ALDIL a été créée pour gérer l’avènement qui a lieu tous les ans, les JDLL, les Journées du Libre lyonnais. Après on a développé d’autres événements plus réguliers. Tous les jeudis, par exemple, on a des permanences dans une MJC, une Maison des jeunes et de la culture.

Frédéric Couchet : Et culture. Maison des jeunes et de la culture.

Romain Volpi : C’est ça, sur Lyon, où les gens peuvent venir ; ce sont les Jeudis Bidouille, c’est ouvert à tous. On a les lundis aussi dans une autre MJC de Lyon. Après on accompagne aussi des MJC pour migrer sous Linux et on a aussi, une fois par mois, une conférence qui a lieu le jeudi soir, plus deux, trois install-parties dans l’année et deux, trois salons où on défend le logiciel libre.

Frédéric Couchet : La conférence c’est à La Maison des Rancy.

Romain Volpi : À la Maison des Rancy. Oui. Maison Pour Tous des Rancy.

Frédéric Couchet : Maison Pour Tous des Rancy. Ça me dit quelque chose parce que j’y suis déjà intervenu justement. On voit des événements assez variés avec quand même des permanences. C’est important pour les personnes qui nous écoutent de se dire que ces groupes d’utilisateurs proposent généralement des permanences. Je précise que même si on a des représentants et une représentante de Paris, l’Essonne et puis de Lyon, évidemment il y a de nombreux GULL qui existent. Le site de référence pour les retrouver c’est un site qu’on cite à chaque émission également, c’est l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, sur lequel vous pouvez faire une recherche. Il n’y a pas que des GULL d´ailleurs il y a d’autres structures qui sensibilisent au logiciel libre. Normalement dans votre région va dire que vous avez un GULL qui ne doit pas être très loin, peut-être pas à 500 mètres, mais pas forcément très loin et que, globalement, vous allez retrouver les mêmes types d’activités avec des permanences, des conférences, de la présence à des ateliers. Je précise, si vous cherchez, si vous êtes dans une région, par exemple à Montpellier, eh bien vous allez voir Montpel’libre et si vous êtes dans une région pour laquelle vous ne savez pas s’il en existe un, vous allez sur l’Agenda du Libre. Magali.

Magali Garnero : agendadulibre.org/organisations au pluriel, vous tapez votre ville, votre département, vous les trouvez et ils font aussi des apéros. C’est une activité dont on n’a pas parlé alors que c’est quand même assez fédérateur.

Frédéric Couchet : C’est une activité dont on parle à peu près à chaque émission parce que c’est vrai que c’est une activité fondamentale pour la sensibilisation au logiciel libre et pour le partage, parce que lors des apéros on ne partage pas que les logiciels, on partage autre chose. Romain tu voulais ajouter quelque chose.

Romain Volpi : Oui. Ce qui est important à dire aussi c’est que c’est ouvert à tous et pas seulement aux membres des associations ; généralement on accueille aussi les gens qui ne sont pas membres. Certains adhérent justement à ce moment-là, mais ce n’est pas une obligation d’adhérer ; c’est un partage avant tout.

Frédéric Couchet : C’est important de le préciser parce que, effectivement, ce ne sont pas des services, quelque part, c’est ouvert à toute personne. D’ailleurs il peut y avoir des groupes qui fonctionnent différemment ; effectivement vos trois groupes fonctionnent de cette façon-là.

Sur la partie JDLL dont tu parlais tout à l’heure, les Journées du Logiciel Libre, on ne va pas trop rentrer dans le détail parce que sinon ma collègue Isabella, qui fait sa chronique tout à l’heure sur ce sujet avec toi, se dira de quoi je peux parler, mais on en parlera parce que c’est un événement important et en plus très sympathique. Pour y avoir participé de nombreuses fois, je trouve que c’est un des événements les plus sympathiques qui existent en France même si les autres événements sont sympathiques. Mais en tout cas l’organisation est fiable, il y a du public, c’est varié, mais on laissera évidemment Isabella en parler.
Vous, vous êtes bénévoles. Une caractéristique des GULL, par rapport à d’autres structures – par exemple à l’April on n’est pas un GULL en tant que tel, on fait de la promotion et de la défense en général et on a une autre spécificité, une autre caractéristique c’est que nous sommes quatre personnes dans l’équipe salariée – à ma connaissance, je ne sais pas si c’est vrai, mais je pense qu’il y a très peu de GULL qui ont des personnes salariées ; c’est plutôt sur un mode bénévole.

Magali Garnero : Je n’ai pas de salariés ou alors c’est au black, parce qu’on ne paye rien !

Frédéric Couchet : Magali, c’est en direct.

Romain Volpi : Non, non ! Pas de salariés du tout. C’est compliqué.

Frédéric Couchet : De mémoire, je ne suis pas sûr qu’il y ait des structures, en tout cas dans les GULL, je ne pense qu’il y ait des structures qui ont des salariés. C’est important aussi parce que quand les personnes qui viennent vous voir à des événements, je suppose que ça se passe toujours très bien, mais il faut quand même que les personnes aient en tête qu’elles ont en face d’elles des personnes bénévoles, qui donnent de leur temps. Ça me fait penser à une question parce que vous avez quand même des profils très différents ; c’est ça qui est intéressant. Magali Garnero, tu l’as dit tu es libraire ; Didier Clermonté aujourd’hui tu es retraité et Romain, toi tu as une formation d’informaticien.

Romain Volpi : Oui, tout à fait.

Frédéric Couchet : Et même dans le Libre je suppose.

Romain Volpi : Non, pas forcément dans le Libre.

Frédéric Couchet : Pas forcément. En tout cas tu es informaticien.

Romain Volpi : Je suis sensibilisé au Libre depuis longtemps.

Frédéric Couchet : Depuis longtemps. Donc trois profils assez différents. Finalement, qu’est-ce qui vous motive chacun et chacune à contribuer dans un GULL ?

Magali Garnero : Le partage de la connaissance.

Frédéric Couchet : D’accord. On fait un premier tour de table. Didier.

Didier Clermonté : Se rendre utile, pour un retraité trouver un but et être efficace. Faire quelque chose.

Frédéric Couchet : D’accord. Romain.

Romain Volpi : Permettre de partager la connaissance de l’informatique qui n’est pas forcément aisée pour tout le monde en fait. C’est vrai que c’est vraiment le leitmotiv pour moi.

Frédéric Couchet : D’accord. Ça me fait penser à la chronique de Vincent Calame la semaine dernière, que je vous encourage à écouter, qui était justement sur le fait de partager ce qu’on découvre. Lui parlait des trucs et astuces dans l’utilisation d’un logiciel. Là effectivement il y a le partage. Ça me fait penser aussi à une autre chronique de Véronique Bonnet, qui sera diffusée la semaine prochaine, qui est intitulée « Partager est bon ». Donc c’est le partage, c’est l’entraide. Je sais un peu comment Magali est arrivée dans le logiciel libre. On ne va pas révéler. La semaine dernière j’ai révélé le petit nom d’un de mes invités que je connais depuis longtemps, on ne va pas rentrer dans tous les détails, mais on se connaît effectivement depuis quelques années. Didier, toi qu’est-ce qui t’as amené au logiciel libre dans ton parcours ?

Didier Clermonté : Professionnellement j’ai été vite confronté aux limites des logiciels propriétaires ; il n’y a pas tellement de logiciels de calcul de béton armé et en plus, s’ils ne conviennent pas, eh bien on ne peut rien faire, on est coincé. Je me suis dit il faut que je me fasse les miens et il faut qu’on puisse les modifier, les analyser, savoir ce qu’ils font.

Frédéric Couchet : D’accord. Je précise aussi que maintenant tu participes à une autre activité dont on parlera dans deux semaines, donc le 16 avril, pas avec toi mais avec d’autres personnes, le chaton de l’April. On va faire un test. Est-ce que Magali se souvient de ce que veut dire CHATONS ? Généralement tu es la spécialiste !

Magali Garnero : Le CHATONS c’est le Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires. Par contre, pour le Chapril, je ne sais pas exactement parce que vous avez choisi un acronyme, Chapril, mais comme ça change suivant qui en parle !

Frédéric Couchet : Le projet CHATONS avec un « S », donc chatons.org, initié par Framasoft vise à offrir des services éthiques, loyaux, libres, en alternative aux services des GAFAM et le chaton de l’April s’appelle Chapril. Il peut y avoir plusieurs significations ; ça vient sans doute d’une contraction de « chat » et de « April », donc c’est chapril.org. Il y a actuellement quatre services et d’autres vont venir. Toi, Didier, tu contribues notamment sur deux de ces services, le « date » et le « paste », c’est-à-dire permettant d’échanger des données de façon sécurisée. Voilà ! Tu t’investis très largement dans le logiciel libre en plus de ton activité à LINESS. Je tenais à le préciser parce qu’on peut contribuer sans forcément être informaticien ou informaticienne ou avoir des connaissances techniques.
Donc les GULL c’est principalement des bénévoles. Vous accueillez tout public. Est-ce que vous travaillez sous un mode de partenariat ? Parinux par exemple a une sorte de partenariat avec la Cité des sciences parce que, finalement, la Cité des sciences accueille Parinux et d’autres groupes, d’autres structures lors de ce qu’on appelle les Premier samedi et globalement lors les conférences, mais est-ce que vous avez l’occasion de travailler avec des partenariats par exemple pour sensibiliser des publics différents ? Je ne sais pas. Romain.

Romain Volpi : Oui. Dans le cadre de la Maison Pour Tous des Rancy c’est vrai qu’on intervient beaucoup chez eux. Effectivement, ils ont des espaces publics numériques qui se tiennent à peu près tous les six mois dans lesquels on va faire, par exemple, une install-partie. C’est vrai qu’on a aussi des partenariats avec d’autres MJC ou d’autres Maisons pour tous où, en gros, ils adhèrent à l’association, on vient et on encadre les gens pour leur installer Linux ; on intervient plusieurs fois pour les accompagner.

Frédéric Couchet : D’accord. LINESS, vous avez des partenariats ?

Didier Clermonté : Avec le RERS, Réseau d'Echanges Réciproques de Savoir. Notre adresse légale est chez eux et en échange tous leurs postes sont sous Ubuntu et c’est moi qui les entretiens, qui assure la maintenance des postes. C’est un réseau d’échanges de savoir.

Frédéric Couchet : D’accord. Magali ?

Magali Garnero : On va citer à nouveau la FPH qui nous reçoit tous les jeudis soir. On a aussi des partenariats un peu temporels, ponctuels, on va dire ponctuels, avec l’université Paris Descartes ; deux fois par an on va leur des install-parties. On va aussi aller aux Geek Faëries.

Frédéric Couchet : Ah ! Les fameuses ! Explique-nous ce que sont les Geek Faëries parce que c’est intéressant.

Magali Garnero : Les Geek Faëries c’est un des festivals que je préfère parce que j’y vais en tant qu’informaticienne mais je ne parle qu’avec des gens qui ne le sont pas. En gros c’est le festival de l’imaginaire. Donc on va trouver des fans de tout ce qui est Manga, d’Harry Potter, de fantastique et ainsi de suite, qui se costument ou pas et qui sont, en fait, hyper-réceptifs à ce qu’on leur dit. Leur liberté c’est très important même si eux ne respectent pas forcément le droit d’auteur. En tout cas ils aiment bien savoir ce qu’ils peuvent faire, ne pas faire et ainsi de suite.

Frédéric Couchet : Ça se passe où ?

Magali Garnero : Ça se passe à Selles-sur-Cher.

Frédéric Couchet : C’est situé où pour les personnes qui ne maîtriseraient pas la géographie ? Je vois que Magali qui y a pourtant été plusieurs fois…

Magali Garnero : Ça se passe environ à 4 heures 15 de Paris en voiture.

Frédéric Couchet : Dans quelle direction ?

Magali Garnero : Je n’en sais rien !

Frédéric Couchet : D’accord. Selles-sur-Cher vous cherchez sur un moteur de recherche.

Magali Garnero : Après Orléans.

Frédéric Couchet : Après Orléans, et c’est en juin.

Magali Garnero : C’est en juin et cette année ça sera les 8-9 juin.

Frédéric Couchet : D’accord. Comme peut pas être à la fois sur le webchat et autres on va demander aux gens qui sont sur le webchat de nous chercher où est Selles-sur- Cher.
On va préciser que la FPH, on n’explicite pas l’acronyme à chaque fois parce qu’il est assez long, c’est devenu carrément un mot clé la FPH, mais sinon ça veut dire la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme.
On me signale aussi que je n’ai pas explicité GAFAM. GAFAM c’est un peu l’acronyme pour Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft ; en fait ce sont tous ces géants du Net, de l’informatique qui font notamment commerce de vos données ou de vos libertés. Quand à BSD initialement ça veut dire Berkeley Software Distribution, c’est un système d’exploitation libre qui vient du monde universitaire américain. Pareil, BSD c’est maintenant un mot clef qui est effectivement largement utilisé, un peu comme GNU, on n’explique pas ce qu’est GNU mais en fait GNU c’est un acronyme récursif pour GNU’s Not UNIX ; Unix c’est un système originellement multitâche, multi-utilisateur. J’encourage les gens qui s’intéressent à cette histoire de l’informatique, qui est passionnante, de rechercher notamment sur les pages de Wikipédia, ce qui me fait penser que la semaine prochaine nous parlerons à nouveau de Wikipédia.

Nous allons bientôt faire une petite pause musicale. On va quand même finir sur les partenariats. Je dis ça aussi pour encourager les autres GULL à aller chercher des partenariats. Un partenariat qui est assez logique et qui rejoint une autre activité de l’April dont parlera tout à l’heure Isabella – voyez ce talent pour faire des liens entre les différents sujets – qui est évidemment Libre en Fête. Un partenariat classique c’est avec les structures d’initiation à l’informatique, les espaces publics numériques, quel que soit le nom qu’on leur donne, comme les Cyber-bases, ce sont des endroits où les gens viennent se sensibiliser à l’informatique, s’initier à l’informatique et il y a beaucoup de ces espaces publics numériques qui font leurs formations, leurs initiations sur logiciel libre. Les GULL peuvent trouver là un mode de partenariat assez pratique et utile tout simplement parce qu’il y a des ordinateurs qui sont déjà disponibles. Assez souvent c’est en dual-boot. Je vais par exemple parler de ma ville, Saint-Denis : la Cyber-base de Saint-Denis, place de la Résistance, c’est en double amorçage ; dual-bootça veut dire double amorçage. Ça veut dire qu’on peut démarrer soit un système d’exploitation privateur soit un autre système d’exploitation libre comme Debian GNU/Linux dont on a parlé ou Ubuntu dont on a déjà parlé dans une émission. Les ordinateurs sont déjà présents, vous avez là des personnes qui peuvent aider et vous pouvez faire des événements soit récurrents, donc des permanences quelque part, ou des événements ponctuels par exemple les samedis du Libre ou des dimanches du Libre ou des mardis soir du Libre. Ce sont des événements importants et ça permet en plus de toucher un public qu’on ne toucherait pas forcément directement. Tu voulais réagir Didier ?

Didier Clermonté : Nous à LINESS samedi prochain on fait une install-partie. On a mis des annonces dans le journal local, on va voir si on attire du monde.

Frédéric Couchet : Une install-partie, ce qu’on appelle une fête d’installation même si ça n’a pas forcément un côté festif : des personnes viennent avec leur ordinateur – ça peut être leur ordinateur portable, ça peut être leur tour – et elles vont être accompagnées pour installer un système d’exploitation libre. Ce ne sont pas forcément les gens bénévoles qui vont le faire, c’est accompagner de manière aussi à ce qu’il y ait vraiment un partage de la connaissance, du savoir. On encourage les personnes qui viennent à faire des sauvegardes de leurs données avant au cas où, parce que ça reste de l’informatique, de toute façon ce n’est pas de la magie.
Je vais donner à la parole à Magali, mais juste avant je vais préciser que Selles-sur-Cher c’est en Loir-et-Cher.

Magali Garnero : J’avais trouvé !

Frédéric Couchet : Tu avais trouvé, c’est ce que tu voulais dire ?

Magali Garnero : Non.

Frédéric Couchet : Non ! Je te laisse intervenir et après on fera la pause musicale.

Magali Garnero : Les partenariats ce n’est pas forcément avec des lieux. Nous, en tant que GULL, régulièrement on a exposé des choses qu’avait faites l’April comme l’Expolibre. On a aussi retransmis à nos adhérents la lettre ouverte de La Quadrature. Bref ! En tant que GULL on peut se servir de ce que font les associations nationales pour relayer. On a participé à Libre en Fête. On peut se servir de ce que vous faites à l’April pour animer des événements ou même pour transmettre des informations.

Frédéric Couchet : On pense notamment aux campagnes du Pacte du logiciel libre : lors des élections, on encourage des candidats et candidates aux élections à signer un Pacte les engageant à promouvoir et à défendre le logiciel libre. Évidemment ce n’est pas l’April avec sa petite équipe de salariés et ses nombreux bénévoles quand même…

Magali Garnero : Mais qui sont merveilleux.

Frédéric Couchet : Mais qui sont merveilleux effectivement, surtout mes collègues… Il y a un relais d’informations et d’actions locales ; il y a une action nationale et puis il y a les actions locales. Tu as tout à fait raison de préciser qu’un partenariat ce n’est pas forcément avec lieu physique, ça peut être avec d’autres structures ou ça peut être dans le cadre d’un projet.

Nous discutons, nous discutons et le temps avance et là je sens qu’on veut une pause musicale. Nous allons lancer une pause musicale, le temps pour moi de retrouver le titre. Ça s’appelle Rats par Franky Barbano et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Rats par Franky Barbano

Frédéric Couchet : Vous écoutez toujours Cause Commune sur 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur causecommune.fm. Je suppose que les gens de la région de Lyon écoutent avec attention Romain Volpi pour l’ALDIL, l’Association Lyonnaise pour le Développement de l’Informatique Libre. Toujours en compagnie de Didier Clermonté de LINESS, le logiciel libre en Essonne. On va citer d’ailleurs le site web de l’ALDIL, on a oublié aldil.org ; LINESS, liness.org et Magali Garnero dite Bookynette pour Parinux, le GULL de Paris et de sa région, c’est parinux.org. Magali est tout à fait sympathique parce qu’en fait elle lève le doigt pour intervenir. Donc Magali.

Magali Garnero : J’espère que des Lyonnais et des Stéphanois te regardent parce que tu es magnifique ! Tu es en costume !

Frédéric Couchet : On avait dit qu’on ne balançait pas. On ne touche ni aux cheveux, ni à la façon dont les gens s’habillent, mais c’est vrai qu’il est magnifique, Romain Volpi. Évidemment Didier est aussi magnifique, dans un autre style.

Nous venons d’écouter Rats par Franky Barbano. Évidemment c’est sous licence libre, les références sont sur le site de l’April, april.org, et nous parlions avant la pause des groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres, donc les GULL. On a parlé un petit peu des partenariats qui pouvaient être des partenariats avec des lieux physiques mais également avec des projets ou d’autres structures. J’en profite pour signaler que la lettre ouverte de La Quadrature du Net dont parlait tout à l’heure Magali, je suppose que c’est la lettre ouverte contre le projet de règlement terroriste/censure sécuritaire.

Magali Garnero : Exactement.

Frédéric Couchet : Tout de suite j’en profite, même si je le rappellerai à la fin d’émission, que le vote en Commission affaires libertés civiles au Parlement européen aura lieu lundi prochain, le 8 avril, et que toutes les informations pour se mobiliser, pour comprendre l’enjeu de ce dossier censure sécuritaire sont sur le site de La Quadrature du Net, laquadrature.net.

On va revenir à notre sujet sur les GULL, les groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres. On a vu que ça visait des publics très variés, que le mode d’organisation de ces groupes était principalement du mode bénévolat, qu’il y avait des rendez-vous réguliers, des permanences ; des fois c’est tous les quinze jours, des fois c’est toutes les semaines, tous les mois à Paris. Évidemment dans les autres régions, il y a des événements ponctuels importants, on en reparlera tout à l’heure notamment avec les Journées du Logiciel Libre de Lyon qui approchent, qui auront lieu ce week-end.
Là on va peut-être parler un petit peu des personnes qui voudraient contribuer à un GULL. Quelles compétences faut-il pour contribuer à un GULL ? Pour contribuer à ses activités ? On a bien compris le public que vous visiez. Est-ce qu’il faut des connaissances techniques ? Est-ce que quelqu’un qui n’a pas de connaissances techniques et qui veut simplement partager le savoir comme vous l’avez dit tout à l’heure, ou aider comme l’a dit Didier, quelles sont les compétences pour contribuer à la vie d’un GULL ? Romain.

Romain Volpi : Sur l’ALDIL on ne cherche pas forcément de compétences particulières. On ne demande de compétences techniques. On cherche des personnes motivées, en fait, et qui sont prêtes à donner un peu de temps de temps en temps et à parler du logiciel libre aux gens. Pendant les install-parties effectivement on a besoin de personnes techniques, mais même une personne non technique peut aider, même pour les JDLL, par exemple en venant accueillir les intervenants, en venant parler avec les personnes, aller prospecter un petit peu pour voir les gens pour leur demander de venir aux événements ou des trucs comme ça. Il n’y a pas besoin d’une compétence particulière ; c’est ça l’avantage des GULL et du Libre en général.

Frédéric Couchet : D’accord. Didier, Magali. Didier.

Didier Clermonté : D’abord nous on est quand même beaucoup plus petits que mes deux amis.

Magali Garnero : Ce n’est pas la taille qui compte !

Didier Clermonté : Oui. Pour aider les gens j’ai quand même besoin de gens qui soient un peu techniques.

Frédéric Couchet : Excusez-moi. On est quand même partis dans une barre de rire. Je pense que les personnes qui écoutent l’émission régulièrement se disent que cette émission est particulière, elle n’est pas comme les autres ; je pense que c’est en grande partie dû aux personnes invitées. Ceci dit, il y a une question que je vais poser mais vous me répondrez après. Tu disais que tu n’as pas la même taille que l’ALDIL ou Parinux au niveau LINESS. La question pour tous les trois après c’est : combien de membres bénévoles font partie de vos groupes ? On continue sur la partie compétences. Vas-y Didier.

Didier Clermonté : Pour aider les gens j’ai besoin de gens qui s’y connaissent un tout petit peu. On peut soit venir se faire aider, soit on aide. Mais pour aider eh bien il faut quand même maîtriser un tout petit peu, sans ça on n’aide pas.

Frédéric Couchet : Justement, et après je passe la parole à Magali, est-ce qu’une personne qui découvre le logiciel libre et qui dit ce monde de partage, d’entraide me plaît bien je voudrais un peu contribuer à un GULL, peut, comme l’a dit Romain, participer sur l’accueil, sur l’accompagnement des gens, sur la prospection – j’aime beaucoup ce terme prospection, c’est peut-être lié au fait que tu es habillé comme ça aujourd’hui –, mais si une personne souhaite aller un peu plus loin pour aider à l’accompagnement lors d’une fête d’installation, est-ce que vos groupes organisent, je ne sais pas, des sessions entre guillemets pour « les former » ou en tout cas leur expliquer un petit peu les bases leur permettant de mettre le pied à l’étrier quelque part ? Didier.

Didier Clermonté : Moi j’explique ce que je fais au fur et à mesure. Maintenant ça reste quand même assez limité, bien sûr. Maintenant quelqu’un qui a commencé à apprendre, après il peut apprendre aux autres, c’est une autre forme de partage, quand on a vu une fois.

Frédéric Couchet : D’accord. Parinux, Est-ce que vous avez ce genre de système ?

Magali Garnero : Nous on a besoin de tout profil. Pour les Premier samedi du Libre on a besoin de personnes qui accueillent, on a besoin de personnes qui installent, on a besoin de personnes qui soient suffisamment douées pour enlever les bugs qui sont créés parce qu’il y a toujours un bug qui se glisse dans une installation. Parfois on a besoin de personnes qui seront là avant et après, qui n’ont pas besoin de savoir faire grand-chose, juste d’être là et d’aider à porter des colis, des câbles, des ordinateurs. C’est tout bête, mais c’est indispensable.

Frédéric Couchet : D’accord. Tant qu’on est à la question de la contribution, tout à l’heure tu parlais d’une des activités de Parinux que sont les soirées de contribution. Je ne suis pas sûr que beaucoup de GULL pratiquent ce genre d’activité car finalement c’est un peu le niveau au-dessus, quelque part, c’est d’encourager des personnes à venir contribuer au logiciel libre. Est-ce que tu peux nous expliquer comment ça fonctionne ?

Magali Garnero : En fait, en juillet 2014, on se retrouve avec Emmanuel Seyman, qui est très actif dans la communauté que ce soit chez Fedora, chez Perl, chez Borsalinux.

Frédéric Couchet : Chez Parinux aussi, c’est un ancien président de Parinux.

Magali Garnero : C’est un ancien président de Parinux et on se dit que ça serait bien que des fois on se donne des petits temps, juste pour nous, entre contributeurs, pour faire avancer des projets, que ce soit du code, que ce soit de la traduction, quelle que soit la compétence, mais juste prendre un projet et le faire avancer. Lui je sais qu’il s’intéressait pas mal aux journées Perl qu’il allait y avoir.

Frédéric Couchet : On va préciser que Perl est un langage de programmation.

Magali Garnero : Exactement. Il faisait un événement autour de journée-là et il s’était rendu compte que l’année précédente il avait ça depuis chez lui et que ça n’avait pas avancé aussi vite qu’il voulait. Moi je me suis rendu compte que pour certains événements aussi qu’on avait besoin de se retrouver et de discuter ensemble, de contribuer à des projets. Ce qui est amusant c’est que c’est une réflexion qu’on a eue bien avant Contributopia de Framasoft.

Frédéric Couchet : Est-ce que tu peux expliquer en une phrase, si tu as compris, ce qu’est Contributopia de Framasoft ?

Magali Garnero : Dans Contributopia de Framasoft, il y a énormément d’objectifs et de points de vue différents. Moi je l’ai compris de telle manière que ça permette de rendre les gens acteurs dans leur informatique. Ils peuvent contribuer, ils peuvent voir comment ça se passe, ils peuvent faire progresser les choses, ils peuvent se former à ce qui les intéresse et ils peuvent former les autres. On n’est vraiment plus dans une société de consommation — on achète bêtement, on consomme —, on est vraiment dans une société de contribution. On devient actif, on devient réactif et du coup, après, on partage avec les autres.

Frédéric Couchet : D’accord.

Magali Garnero : C’est ma vision à moi, ce n’est pas forcément celle de Framasoft parce que je vous dis, on est une trentaine de membres et chacun a une définition un peu différente, mais l’idée est là.

Frédéric Couchet : Je pense que Framasoft sera notre invité en juin, je pense que nous aurons notamment Pierre-Yves Gosset qui viendra présenter tous les projets de Framasoft.

Magali Garnero : Bande de veinards ! Bref. Nos soirées de contribution on se retrouve avec Emmanuel et on décide de mettre ça au point parce que ça nous évite de procrastiner chez nous et là, en étant à plusieurs, on est là, on peut se soutenir pour faire avancer des projets. Au départ on décide de faire ça tous les quinze jours. On en parle à la FPH, donc à Vincent Calame qui dit : « Oui, pas de souci, en plus le jeudi moi je n’ai rien de prévu donc je vous accueille ». On commence à se dire : on fait ça le premier et le troisième, le deuxième et le quatrième, on fait deux jeudis consécutifs ; bref ! Pour que ce soit beaucoup plus simple on décide de faire ça tous les jeudis. Plus simple, oui. Comme ça les gens ne se posent pas de question et savent qu’il y a une soirée de contribution, mais après c’est de l’organisation. Il est hors de question qu’on vienne tous les jeudis, tous, enfin Emmanuel et moi, pour animer ces soirées, donc on cherche d’autres contributeurs qui seront responsables. Il se trouve que dans la réalité Emmanuel et moi on vient tous les jeudis, mais on n’est pas obligés d’être là du début à la fin.

Frédéric Couchet : Parce que vous n’avez pas de vie sociale en dehors du logiciel libre quelque part.

Magali Garnero : Si, si, on a plein de vie sociale, je te rassure, d’ailleurs ça fait longtemps que je n’ai pas mangé de cancoillotte, rien à voir private joke, message subliminal.

Frédéric Couchet : On balance des suggestions d’invitations. OK ! Continue Magali, donc les soirées de contribution, chaque jeudi à la FPH.

Magali Garnero : Au départ c’est juste des soirées de contribution, plusieurs personnes venaient ; en moyenne on est à peu près une vingtaine, des fois moins, des fois le double, tous les jeudis soir.
Cette année en septembre, avec ma présidente Khrys, on s’est dit : si on mettait une thématique à ces soirées parce que les gens veulent contribuer, mais ils ne savent pas forcément à quoi. On s’est dit que le premier jeudi on allait faire des soirées Ubuntu et Ouvre-boîte pour aider les associations d’Ubuntu-fr et l’association Ouvre-boîte que tu as peut-être déjà invitée.

Frédéric Couchet : Pas encore, ça fera partie des personnes invitées, mais tu peux expliquer ce que fait Ouvre-boîte.

Magali Garnero : Ouvre-boîte, ce sont des gens merveilleux qui encouragent les administrations à ouvrir leurs données, que ce soit du code, que ce soit des bases de données et ainsi de suite. Et quand ils n’ont pas de réponse de ces administrations, ils appellent la CADA, ils envoient un petit mail bien réglementaire avec du texte bien écrit en disant « on ne nous a pas répondu » ou alors « on nous a répondu par la négative » et ils argumentent sur pourquoi il faudrait libérer ces données-là.

Frédéric Couchet : On précise que la CADA c’est la Commission d’accès aux documents administratifs. On a déjà traité ce sujet dans une émission Libre à vous ! avec notamment le président de la CADA, avec Regards Citoyens et Next INpact. Vous allez sur le site de l’April, april.org, dans les archives de l’émission. Vas-y.

Magali Garnero : Ça c’est pour le premier jeudi.
Pour le deuxième jeudi on a contacté Wikimédia France pour qu’ils viennent nous parler des projets différents. Comme ils ont énormément de projets ils peuvent tenir toute l’année sans souci.
Le troisième jeudi c’est l’April qui se réunit à partir de 18 heures 45 pour le groupe Sensibilisation, et à 20 heures 30 voire 21 heures si le groupe Sensibilisation a pris trop de place, eh bien c’est le groupe Transcriptions qui se met à la tâche et qui transcrit pendant une heure et demie des vidéos ou des émissions de radio comme celle qu’on écoute actuellement.
Et puis le quatrième jeudi, eh bien c’est Framasoft, donc la soirée de contribution se transforme en Contrib’Atelier. Je salue les participants comme Sangokus ou Rijaka qui ont animé ces soirées de contribution-là.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est une bonne présentation. On précise que les noms que tu viens de citer sont des pseudos de personnes.

Magali Garnero : Exactement.

Frédéric Couchet : Souvent dans la communauté du logiciel libre, même dans d’autres communautés, l’utilisation de pseudos est assez récurrente ; d’ailleurs toi tu es plus connue…

Magali Garnero : Ça fait bizarre chaque fois que tu dis Magali.

Frédéric Couchet : Ça fait bizarre. D’ailleurs récemment j’ai reçu un courriel de quelqu’un qui me demande : « Est-ce que tu connais une certaine Magali Garnero parce que je ne trouve pas d’informations sur elle ? » Je lui ai dit : « Cherche Bookynette et tu verras, tu trouveras un peu plus d’informations. »
Est-ce que à LINESS et à l’ALDIL vous avez ce genre de soirées de contribution ou pas du tout ?

Romain Volpi : Non, pas du tout.

Didier Clermonté : Non, pas du tout.

Frédéric Couchet : D'accord. Si d’autres GULL ont ce genre de soirées de contribution nous sommes preneurs de l’information. Effectivement, comme tu l’as dit, il y a chaque jeudi à la FPH, mais on pourra annoncer sur la page de l’émission sur le site de l’April les autres soirées de contribution. Magali tu veux ajouter quelque chose ?

Magali Garnero : Oui, parce qu’en fait il y a quelque chose qui est très particulier avec Parinux, et qui explique qu’on fait ces choses-là, c’est que la plupart des associations ont leur siège à Paris. C’est-à-dire qu’elles n’ont pas besoin de nous pour marcher. Elles fonctionnent, elles ont leurs adhérents, elles ont leurs lieux. Donc nous, à Parinux, notre but ça va être de les mettre en rapport les unes avec les autres. Je suis allée à Montpel’libre, eux organisent plein d’événements avec des drapeaux April, des drapeaux La Quadrature et ainsi de suite, mais ce sont eux-mêmes qui les animent. Alors que nous on n’a pas besoin d’animer ce genre d’événements-là parce que les associations sont déjà là. Donc c’est une force qu’on a à Paris.

Frédéric Couchet : Exactement.

Romain Volpi : À part Wikipédia qui est à Lyon.

Magali Garnero : Et Framasoft aussi est à Lyon.

Frédéric Couchet : Le siège de Wikipédia est à Lyon. C’est ça ?

Romain Volpi : Non, c’est Framasoft. Je me suis trompé.

Frédéric Couchet : C’est Framasoft, oui, c’est ce qui me semblait. Sinon je demanderai la semaine prochaine à mes invités de Wikipédia de confirmer.
On va revenir un petit peu sur le principal public cible que sont quand même les personnes qui découvrent le logiciel libre. Est-ce que sur vos sites web vous avez une sorte de support via forum ? Est-ce que vous faites du support par courriel ou est-ce que ce n’est vraiment que du présentiel ? Romain ? Didier ?

Romain Volpi : On fait du support par mail et on a aussi un Mastodon où, du coup, on va répondre aux questions. Après il n’y a pas forcément beaucoup de monde. On reçoit deux, trois mails de temps en temps, mais généralement c’est lors des soirées.

Frédéric Couchet : Lors des événements.

Romain Volpi : Oui, lors des événements ou lors des soirées Jeudis du Libre ou des trucs comme ça qu’on va avoir des questions, mais très peu sur les forums.

Frédéric Couchet : D’accord. Et côté LINESS ?

Didier Clermonté : On a une liste de diffusion sur laquelle chacun peut s’inscrire totalement librement. On a de temps en temps des questions, pas énormément.

Frédéric Couchet : D’accord. Et côté Parinux, est-ce que vous avez un support par mail ou par Web ?

Magali Garnero : On a des questions, mais on les renvoie aux Samedi du Libre ou aux APL, les apéros parisiens du Libre qui ont lieu tous les 15 du mois.

Frédéric Couchet : Oui, parce que les APL ça peut vouloir signifier d’autres choses.

Magali Garnero : On l’a choisi pour ça.

Frédéric Couchet : Ah ! Vous l'avez choisi pour ça. Ce qui me fait penser qu’un autre événement important dans la vie des GULL et même dans les organisations du logiciel libre ce sont les fameux apéros. Par exemple à l’April on a un apéro par mois, un vendredi, la date du prochain n’est pas encore fixée. Côté Parinux c’est facile, c’est le 15 du mois. LINESS vous avez plus des permanences, vous n’avez pas d’apéros et Lyon, de temps en temps, vous avez des apéros à Lyon, à l’ALDIL. Pas tout le temps ?

Romain Volpi : Non.

Frédéric Couchet : Peut-être la veille des JDL ? Peut-être le vendredi ?

Romain Volpi : Oui, c’est ça.

Frédéric Couchet : Par exemple tout à l’heure tu citais le GULL de Montpellier, Montpel’libre, chaque troisième jeudi du mois c’est un apéro April ; je sais que régulièrement ils font des apéros, ils accueillent d’autres structures.
Je reviens à une question que j’ai posée tout à l’heure sur laquelle je n’ai pas eu de réponse parce que je n’ai pas fait de relance, c’était la remarque de Didier laissant sous-entendre que LINESS était un petit GULL par rapport aux gros GULL que pourraient être l’ALDIL et Parinux. Une question simple : dans ces structures vous avez combien de bénévoles, enfin de membres actifs ?

Romain Volpi : De membres actifs qui viennent aider tout le temps, qui participent ?

Frédéric Couchet : Qui participent aux événements, pas forcément tout le temps mais en tout cas qui participent ?

Romain Volpi : Je dirais une vingtaine.

Frédéric Couchet : Une vingtaine. Côté LINESS ?

Didier Clermonté : De cotisants une dizaine et puis un petit peu plus, quelques électrons libres qui passent de temps en temps, quinze.

Frédéric Couchet : Magali ?

Magali Garnero : À Parinux c’est un peu compliqué parce que les bénévoles se mélangent, ils font partie de plusieurs associations. Dans le nombre de bénévoles je vais peut-être compter des gens qui sont à FDN ou des gens qui sont à l’April ou ainsi de suite. Mais je dirais que ceux qu’on voit le plus souvent et pas forcément aux mêmes événements, on doit être une trentaine, peut-être un peu moins. On va dire qu’on est une trentaine, mais ils ne sont pas tous adhérents à Parinux.

Frédéric Couchet : D’accord. Finalement LINESS ce n’est pas forcément si petit que ça par rapport à d’autres structures du Libre, que ce soit Parinux et l’ALDIL.
On va quand même rappeler, encore une fois, qu’il y a d’autres GULL qui existent, voir le site de l’Agenda du Libre.
Est-ce que vous êtes en recherche, justement, de nouveaux bénévoles ou est-ce que vous avez des perspectives de nouvelles activités ? Ou est-ce que les activités que vous faites vous suffisent déjà et remplissent déjà votre vie ? Ou est-ce que vous dites : tiens, dans les années à venir j’aimerais bien développer de nouveaux types d’activités, je ne sais pas, peut-être des formations ? l’ALDIL. Vas-y Romain.

Romain Volpi : Les apéros.

[Rires]

Romain Volpi : Réellement on y pense ; il faut juste qu’on trouve l’endroit, le lieu qui nous permette de le faire sans problème et qu’on puisse discuter tous ensemble sans avoir trop d’interférences autour, quelque chose de sympa. Mais il faut le mettre en place et ça demande des autorisations, des assurances et des trucs comme ça.

Frédéric Couchet : Ça c’est une bonne question, tiens ! Une question pratique en fait. On va poser une question sur des GULL qui n’existent pas, justement. Supposons qu’on est dans une région, je ne sais pas quelle région, mais une région où il n’y a pas de GULL actif ou en tout cas pas proche. Une personne se dit ou des personnes se disent je veux monter un GULL, est-ce qu’il faut un statut juridique particulier ? Est-ce que c’est forcément une association ? Est-ce qu’il faut des assurances particulières ? Quels conseils vous donneriez à quelqu’un qui voudrait monter un GULL dans une région où à priori il n’y en pas selon l’Agenda du Libre, le site de référence ?

Magali Garnero : Être à plusieurs.

Frédéric Couchet : Déjà être à plusieurs, pas une seule personne.

Magali Garnero : Être au moins deux, ça c’est le minimum pour monter une association ou une entreprise, mais surtout être à plusieurs pour se motiver les uns les autres à faire les choses. C’est le premier conseil que je donne, c’est gratuit, c’est cadeau, être à plusieurs, parce que si on est tout seul c’est forcément voué à l’échec. Quand on est deux on peut faire des brainstormings, on peut habiter deux réseaux différents, donc ça a plus de chances.
Après, dans les autres conseils, faire ce que vous aimez faire. Ne faites une activité comme de la maintenance informatique ou du service après installation si vous n’aimez pas ça, parce que du coup ça deviendra vite une contrainte et vous arrêterez très rapidement. Ne proposez que des activités que vous aimez et si ce n’est que des apéros eh bien n’organisez que ça. Peut-être que lors de ces apéros il y a des gens qui discuteront avec vous et qui vous diront : « C’est cool, moi j’aimerais bien faire ça » et du coup pouf ! Nouvelle activité.

Frédéric Couchet : Didier ?

Didier Clermonté : Oui. Pour compléter ce que j’ai dit tout à l’heure sur les partenariats, le RERS effectivement on est basé chez eux au point de vue légal mais par contre, physiquement, on fait nos réunions dans un petit club informatique local de Juvisy, le club informatique de Juvisy qui nous héberge. En somme ils nous prêtent leur salle deux samedis par mois gratuitement. On en a besoin, ça nous permet de ne pas avoir de frais.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc se rapprocher d’une structure.

Didier Clermonté : D’une structure existante.

Frédéric Couchet : D’une structure existante. Ça peut être celle que tu cites, ça peut être un espace public numérique comme j’en ai cités tout à l’heure. Romain, est-ce que tu as des conseils ? Sur l’habillement, est-ce qu’il faut forcément avoir un tee-shirt ou est-ce qu’il faut avoir un costume, une cravate, une chemise blanche ? Le pauvre. C’est Magali qui a commencé !

[Rires]

Romain Volpi : Je prends cher ! Je n’aurais pas dû venir en fait.
Non, je n’ai pas forcément de conseils. Les conseils qui ont été donnés sont largement suffisants. Il faut être plusieurs, il faut être motivés, il ne faut pas se lancer dans quelque chose qu’on n’a pas envie de faire, sinon c’est là où on va courir à la catastrophe. Ce sont les meilleurs conseils, je crois, qu’on peut donner : se regrouper à plusieurs et être motivés pour ce qu’on fait.

Frédéric Couchet : Magali.

Magali Garnero : Pour revenir à la question que tu avais posée juste avant et comme il ne reste pas beaucoup de temps je fais un appel. Nous, à Parinux, on s’est lancés pour devenir un chaton. On va être un chaton de la portée du mois de juin, enfin je l’espère, je croise les doigts. On va l’appeler Bastet.

Frédéric Couchet : Attends ! Vous allez l’appeler comment ?

Magali Garnero : Bastet, comme la déesse égyptienne de la fertilité. Donc pour ce chaton on cherche des cat-sitters.

Frédéric Couchet : Des cat-sitters ? Qu’est-ce que ça veut dire, un cat-sitter ?

Magali Garnero : Tu vois ce qu’est une baby-sitter ?

Frédéric Couchet : Oui à peu près.

Magali Garnero : Eh bien un cat-sitter c’est pour animer des services de notre chaton que ce soit un « date » ou… Je sais qu’il y en a déjà une dizaine à peu près parce que comme on a Dino, Nicolas Schont qui nous a installé ça, il a installé un IEX Cloud, enfin il a installé énormément de choses donc on en a déjà pas mal, mais on a beaucoup de services et on n’a pas assez d’animateurs, ce qui est à peu près courant chez les chatons. Donc je fais un appel : si vous avez envie de participer à notre chaton – je suis désolée je fais de la concurrence à Chapril – n’hésitez pas. Sachant que si vous êtes motivé pour venir chez nous vous pourrez aussi être motivé pour installer le même service au Chapril, donc ça peut être sympa.

Frédéric Couchet : Et le principe des chatons avec un « s », justement le « s » c’est la multiplicité de ces services plutôt que de défendre d’une seule structure qui gère à la fois les services et vos données.
On va bientôt passer au sujet suivant tout en restant avec un de nos invités, notamment Romain. On en était au niveau des appels. Est-ce que côté LINESS et l’ALDIL vous avez des appels à faire passer, des besoins particuliers ? LINESS, Didier Clermonté ?

Didier Clermonté : Que les gens viennent plus.

Frédéric Couchet : Que les gens viennent plus.

Didier Clermonté : Oui. O a quand même quelques actifs, c’est sympa. Il faut voir que maintenant on est plutôt dans une phase de renaissance de LINESS qui a eu un gros passage à vide il y a quelques années, qui était quasiment mort. Pour l’instant on redémarre un peu. Espérons. On verra l’année prochaine.

Magali Garnero : Il espère, modeste. La première fois que j’ai rencontré Didier c’était à une AG de l’April, il m’a dit : « Je suis tout seul dans mon GULL, je m’ennuie ». Et maintenant ils font des permanences tous les mois, vous êtes une vingtaine, ce n’est pas juste une renaissance, c’est génial ce que tu as fait avec ton GULL !

Didier Clermonté : Historiquement ça a été beaucoup plus gros. Il y a eu historiquement des réunions communes Parinux LINESS, il y a quinze vingt ans.

Magali Garnero : On refait ça quand tu veux.

Frédéric Couchet : Ils sont en train de prendre rendez-vous tous les deux ! Après ça fait partie de la vie des GULL et même globalement des associations, il y a des hauts et des bas. On connaît des associations qui aujourd’hui n’existent plus ou en tout cas que sur le papier. Ça existe, c’est la vie ! Je salue effectivement le travail mené notamment par Didier et des autres bénévoles de LINESS pour cette renaissance de LINESS. Côté ALDIL, à part avoir du public samedi et dimanche à Lyon pour les Journées du Libre, on va en parler juste après avec Isabella, est-ce qu’il y a des besoins particuliers ?

Romain Volpi : Je dirais plus de membres actifs ça ne serait pas mal.

Frédéric Couchet : C’est assez traditionnel on va dire, avoir plus de membres actifs pour ne pas reposer sur la même petite équipe, quelque part, de gens sur-motivés mais qui peuvent se fatiguer un petit peu.

Romain Volpi : C’est ça, tout à fait. Plus on a de monde plus on peut organiser d’événements et surtout plus on peut avoir de monde différent et croiser plus de têtes.

Frédéric Couchet : Exactement. Je vous remercie tous les trois. Le site de référence pour trouver le GULL près de chez vous et lui dire « Bouge ton GULL », je le refais une deuxième fois, c’est évidemment le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org. Je vais rappeler les sites web des trois GULL qui étaient présents ici : côté lyonnais c’est ALDIL, aldil.org ; LINESS, liness.org ; Parinux, parinux.org. C’est assez facile, souvent ça se finit en point org. Sur l’Agenda du Libre il y a, je dirais de mémoire, 180 peut-être 200 GULL répertoriés. Moins ?

Magali Garnero : La moitié.

Frédéric Couchet : La moitié. Peut-être que toutes les organisations, globalement.

Magali Garnero : À peu près un par département pour les GULL, sauf certains départements où il y en a plusieurs. Mais effectivement si tu rajoutes toutes les associations nationales, les tiers-lieux et ainsi de suite on monte à 200.

Frédéric Couchet : Voilà. On monte à 200.
Je vous remercie tous les trois. Vous allez rester pour la suite et notamment Romain. Nous allons faire une pause musicale. Le morceau s’appelle S’ils savaient par Löhstana et on se retrouve juste après.

Pause musicale : S’ils savaient par Löhstana.

Frédéric Couchet : Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et sur causecommune.fm partout ailleurs.
Nous venons d’écouter S’ils savaient par Löhstana. Les références sont sur le site de l’April, april.org.

Chronique « Le libre fait sa comm'»

On va essayer de retrouver un peu de sérieux pour aborder le sujet suivant, la chronique de ma collègue Isabella Vanni intitulée « Le libre fait sa comm’ ». Isabella est coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April. La chronique « Le libre fait sa comm’ » a notamment pour objectif d’informer sur les actions de type sensibilisation menées par l’April, mais c’est aussi l’occasion d’annoncer des événements libristes à venir. Comme on a déjà eu l’occasion de l’annoncer il y a un événement libriste qui approche à Lyon. Donc Isabella je te passe la parole.

Isabella Vanni : Merci Fred. Bonjour à tout le monde. Effectivement les 6 et 7 avril il y a les Journées du Logiciel Libre à Lyon. Comme ça a été dit tout à l’heure, c’est un événement qui est devenu incontournable dans l’agenda libriste et c’est pour cette raison que l’April y participera de deux façons : on va avoir un stand dans le village associatif et notre collègue Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April, va faire deux interventions dans la journée de samedi. On s’est bien rentabilisés !
D’abord, il participera à une table ronde qui a un superbe titre : « Killing me(mes) softly ? ». Vous l’aurez peut-être compris, mais sinon je vais l’expliquer, c’est une table ronde consacrée à la nouvelle directive sur le droit d’auteur qui a été votée récemment par les parlementaires européens. Pour rappel cette directive contient malheureusement un article qui instaure en fait de facto le filtrage automatisé des contenus qui sont hébergés sur le Web. Cette table ronde, c’est l’occasion de parler de ce sujet, de revenir sur la campagne qui a été menée contre cet article, campagne à laquelle l’April a bien évidemment participé activement, de faire le point aussi sur les prochaines étapes, les prochaines actions qu’on peut mener. Autour de la table, avec Étienne, il y aura Pierre-Yves Beaudouin, président de Wikimédia France, et une représentante du mouvement d’artistes Create Refresh. Cette table ronde se tiendra de 11 heures à 13 heures dans la salle des Rancy.
La deuxième intervention d’Étienne est une conférence qui a pour titre « Le logiciel libre, un enjeu politique et social. Discussion autour de l’action institutionnelle de l’April ». Ce sera une présentation un peu plus globale des actions institutionnelles menées par l’April, donc directive droit d’auteur, bien sûr, mais aussi priorité au logiciel libre dans l’administration publique, ou par exemple l’accord entre Microsoft et le ministère des Armées, l’accord dit Open Bar sur lequel, encore, l’April a été très active.
Aujourd’hui, on a l’occasion d’avoir avec nous Romain Volpi, bénévole actif pour l’ALDIL, l’Association des utilisateurs et utilisatrices de logiciels libres sur Lyon qui, je l’ai découvert aujourd’hui, est née exprès pour organiser les Journées du Logiciel Libre. Si j’ai bien compris…

Romain Volpi : Née exprès pour ?

Frédéric Couchet : C’est ce que tu as dit tout à l’heure.

Romain Volpi : Ah oui, l’association est née exprès.

Isabella Vanni : Je ne savais pas.

Romain Volpi : En fait, la première JDLL a eu lieu avant même la création de l’ALDIL.

Isabella Vanni : Ah oui, je me suis renseignée. En fait ça existe depuis 1998 et ce n’était pas organisé à la Maison Pour Tous, par contre.

Romain Volpi : Non, au tout départ, c’était organisé sur le campus de La Doua en fait, j’ai perdu le nom de l’école qui nous accueillait et maintenant, effectivement, c’est à la Maison Pour Tous depuis quelques années, puisque maintenant on est en partenariat avec eux pour les JDLL, notamment aussi avec Illyse et on organise à trois cet événement.

Isabella Vanni : Est-ce que tu peux nous dire ce que fait l’association Illyse ?

Romain Volpi : Illyse c’est un FAI, un fournisseur d’accès à Internet associatif local, donc ça veut dire : Internet Libre Lyon et Saint Étienne. J’espère que je ne me ferai pas reprendre, mais normalement, c’est ça.

Isabella Vanni : Je pense que c’est correct. En tous cas, quelqu’un va me corriger, s’il y a besoin. Donc, ça existe depuis 22 ans désormais, on est à la vingt-deuxième édition et le thème de cette année est particulièrement beau : « Ecologeek : pour une terre communautaire ». Je voulais un peu savoir ce que vous avez concocté pour l’édition de cette année. Pourquoi cette thématique, et comment ?

Romain Volpi : Pourquoi cette thématique ? J’avoue que je n’étais pas là quand ils ont décidé la thématique, je n’ai rejoint qu’après l’organisation des JDLL.

Isabella Vanni : C’est une excuse !

Romain Volpi : Mais non, au final, « Ecologeek », le partage, ça permet aussi d’avoir de l’écologie derrière. En gros on peut appliquer le partage qu’on utilise pour le logiciel libre à toutes les ressources qu’on a sur Terre, en fait, pour l’appliquer à l’écologie au final et, du coup, avoir moins de déchets. Au final, ce ne sont pas des choses dissonantes. Ça reste dans des thèmes assez proches.

Isabella Vanni : Ce sont des philosophies très proches. Ça permet de proposer des styles de vie, d’actions, alternatifs. D’ailleurs j’ai vu que vous proposez aussi une buvette responsable avec des produits du terroir. Il y a une monnaie locale qui peut être utilisée. Donc c’est vraiment tout…

Romain Volpi : Ça, ça fait déjà plusieurs années, depuis deux ou trois ans, je crois, la buvette est tenue par un acteur local. C’est important aussi de faire participer les acteurs locaux quand on organise nos événements.

Isabella Vanni : Très bien. Je voulais savoir le programme de cette année. Quelles sont les activités que vous proposez ?

Romain Volpi : Il y a des conférences : sur les deux jours, on a 160 conférences, si je me rappelle bien. 80 ateliers où des gens vont pouvoir venir et participer aux ateliers et justement, par exemple, on a des ateliers sur la découverte de Linux où, en gros, ils vont apprendre à utiliser le logiciel ou des choses comme ça. On a une install-partie qui aura lieu durant tout le week-end et on a aussi une session de certification dans laquelle on a une réduction par rapport au prix normal de la certification sur le reste de l’année, qui est la certification ALPIC.

Isabella Vanni : Quels sont les publics ciblés ?

Romain Volpi : Ça va être du tout public, ça va être aussi du public enfant puisqu’on a un pôle gones.

Isabella Vanni : J’allais te demander. C’est très bien, ça.

Romain Volpi : Le gone c’est l’enfant sur Lyon et, du coup, ça va être des ateliers pour les enfants. Du coup on a tout public. Du public un peu plus technique parce qu’on a des conférences un peu techniques. On essaie de viser un peu tout le monde pour qu’il n’y ait personne qui s’ennuie. Après, c’est aussi une possibilité de rencontrer l’April, d’autres grands noms de la défense du logiciel libre en France qui seront présents avec leurs stands ou même qui feront des conférences. Voilà.

Isabella Vanni : Il y aura un grand village associatif, effectivement. Je ne me souviens plus combien de stands sont prévus, mais ça avait l’air…

Romain Volpi : Là, comme ça, je ne me rappelle plus puisque je ne me suis pas occupé du pôle stands, j’avoue.

Isabella Vanni : Je pense qu’il y en a quelques dizaines, c’est plutôt pas mal.

Romain Volpi : On a même des institutions en plus, cette année. On a le Grand Lyon qui vient, puisqu’ils font de l’open data. Ils ont eu droit à une conférence et un stand qui sera tenu par eux sur ce week-end.

Isabella Vanni : J’ai vu qu’il y aura aussi la projection du film documentaire La Bataille du Libre qui est sorti récemment. Donc ça fait une activité de plus.

Romain Volpi : Tout à fait, ça ce sera le dimanche en fin d’après-midi.

Isabella Vanni : Et bien sûr, il y aura toujours les démonstrations des fab labs.

Romain Volpi : Oui, oui, bien sûr.

Isabella Vanni : Ça, c’est assez récurrent, je crois, dans les Journées du Logiciel Libre.

Romain Volpi : Je ne me rappelle plus si c’est récurrent, mais il y en avait déjà eu l’année dernière et il y en aura aussi cette année dans le cadre des ateliers et aussi sûrement sur les stands dans un espace, justement, fab lab.

Isabella Vanni : Est-ce que tu veux rappeler ce que c’est, un fab lab ? Je te laisse le faire, mais, sinon, je peux le faire.

Romain Volpi : Non, je vais te laisser la main.

Isabella Vanni : D’accord. Donc un fab lab, on va dire que c’est un laboratoire, un tiers-lieu, donc un lieu où les personnes peuvent aller apprendre à construire, bidouiller, vérifier comment les objets sont faits, se faire aider pour en construire d’autres. C’est une autre façon, en fait, de partager la connaissance. C’est pour ça que les deux philosophies, le Do it yourself, « fais-le-toi-même » du fab lab, ça marche très bien avec le logiciel libre.

Frédéric Couchet : Si je peux préciser, l'un des fab labs les plus sympas se trouve au Carrefour numérique de la Cité des sciences et de l’industrie. Fab labça veut dire laboratoire de fabrication. Ça vient de l’anglais. En tous cas pour les Parisiens, enfin les Franciliens, on vous encourage à aller au Carrefour numérique de la Cité des sciences.

Romain Volpi : Mais à Lyon, on a le LOL et le LOV.

Frédéric Couchet : Ah, le LOV, c’est un très beau mot. Je vous laisse poursuivre.

Isabella Vanni : Très bien. On a bien placé le Carrefour numérique de Paris, c’est super. On va donner les informations pratiques pour les Journées du Logiciel Libre. Ça se passe en week-end. Les horaires ?

Romain Volpi : 10 heures-18 heures. Les conférences vont commencer à 10 heures le samedi. Par contre elles commenceront à 11 heures le dimanche, ce qui permettra aux gens d’aller aussi visiter un peu les stands parce qu’on est bien chargés au niveau conférences.

Isabella Vanni : Magnifique. Et au niveau pratique, pour les personnes qui souhaitent venir aux Journées du Logiciel Libre, il faut s’inscrire ? On peut venir librement ?

Romain Volpi : Non, aucune inscription. Vous venez, on vous met un bracelet pour vous compter, pour savoir si ça marche bien et c’est tout. Rien à payer, pas d’inscription, vous venez et vous êtes les bienvenus.

Isabella Vanni : Et si je veux savoir ce qu’il y a comme programme, je le trouve sur place ?

Romain Volpi : Il y a un programme sur place, il doit y avoir des programmes déjà actuellement à la Maison Pour Tous des Rancy, disponibles en version papier. Et sinon il y a le site jdll.org sur lequel on peut trouver toutes les informations sur les programmes, sur ce qui se passe, quand et comment.

Isabella Vanni : Est-ce qu’il y aura des diffusions audio, vidéo, ou est-ce que vous prévoyez de les rendre disponibles pour ceux et celles qui ne peuvent pas se rendre sur place ?

Romain Volpi : Il va y avoir des captations sur certaines conférences.

Isabella Vanni : C’est très bien ça.

Romain Volpi : Mais pour le coup, je ne sais pas où. Je ne sais pas comment ça va être diffusé.

Isabella Vanni : On le découvrira et on mettra l’information à disposition. J’aurais aimé savoir, comme il s’agit d’un événement qui est organisé bénévolement, je suis plutôt épatée par la variété des activités que vous proposez et c’est quand même un événement qui a besoin de financements. Donc je voulais savoir comment vous avez fait pour vous financer.

Romain Volpi : L’ALDIL prend en charge une partie. Chaque année elle fait un don pour les JDLL.

Isabella Vanni : Donc ce sont les cotisations des membres.

Romain Volpi : Oui, grâce à la cotisation des membres. Après on va démarcher des institutions telles que l’Université de Lyon 1, le Grand Lyon et tout ça. Et le reste c’est du financement participatif à travers une plate-forme de crowdfunding.

Isabella Vanni : Est-ce qu’on peut encore vous faire des dons ?

Romain Volpi : Non, c’est trop tard.

Isabella Vanni : Incroyable !

Romain Volpi : Ça s’est fini il y a deux semaines, je crois.

Isabella Vanni : OK, pour l’année prochaine. Non ? C’est trop tard ? Est-ce que tu veux rajouter quelque chose, l’interview arrive bientôt à sa fin ?

Romain Volpi : Non, je n’ai rien à rajouter. Venez nombreux aux JDLL et participez. Voilà. C’est tout.

Isabella Vanni : Très bien.

Frédéric Couchet : Eh bien, merci Isabella, merci Romain. Est-ce que tu veux rajouter quelque chose sur ta chronique ?

Isabella Vanni : J’aurais aimé, mais s’il n’y a plus de temps…

Frédéric Couchet : Vas-y, en quelques secondes.

Isabella Vanni : Je veux profiter du fait qu’on participe aux Journées du Logiciel Libre pour dire que l’April participe à beaucoup d’événements au cours de l’année, des événements libristes ou des événements grand public, et qu’on arrive à le faire grâce à nos membres qui, localement, répondent présent ou présente à nos appels et qui nous permettent, du coup, d’être présents sur plein d’événements. En 2018, on a participé avec un stand à 17 événements, donc on a doublé par rapport à 2017. Je souhaitais vraiment remercier tous les membres bénévoles qui nous ont aidés.

Frédéric Couchet : Tout à l’heure, on parlait de love [LOV], on aime les bénévoles, évidemment. Eh bien, merci Isabella pour cette chronique « Le libre fait sa comm’ ». Merci Romain pour toutes ces précisions sur les Journées du Libre de Lyon qui ont lieu ce week-end.

Maintenant un petit jingle pour les annonces de fin, avant la fin de l’émission.

Jingle musical basé sur Sometimes par Jahzzar.

Annonces

Frédéric Couchet : J’en ai parlé tout à l’heure : la campagne contre la proposition de règlement terroriste/censure sécuritaire se poursuit. Le site de référence c’est laquadrature.net. Le vote en Commission des affaires liberté civile aura lieu au Parlement européen le 8 avril. Pour les personnes qui seraient intéressées pour en savoir plus vous pouvez aussi réécouter l’émission Libre à vous ! du 12 mars ; nous avions deux personnes de La Quadrature du Net pour discuter de ce sujet.
On parlait de sensibilisation tout à l’heure. Ce week-end se termine aussi un événement important, plutôt des événements importants, plus de 240 événements dans le cadre du Libre en Fête, donc libre-en-fete.net. Il reste encore quelques jours pour profiter de ces événements et là encore, évidemment, ce sont beaucoup de GULL qui justement organisent ces événements dans le cadre de ce Libre en Fête proposé par l’April depuis 2002.

On a parlé tout à l’heure de la soirée de contribution au Libre, donc à la FPH jeudi soir.
Les JDLL, Journées du Logiciel Libre à Lyon, ce week-end.
Le Premier samedi du Libre à la Cité des sciences et de l’industrie, samedi. Vous voyez, où que vous soyez, vous pouvez participer à plein de choses et évidemment tous les autres événements vous les retrouvez sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.

Notre émission va se terminer. Je remercie évidemment toutes les personnes qui ont participé : Magali Garnero dite Bookynette et à qui je promets effectivement de la cancoillotte bientôt à la maison. Romain Volpi pour l’ALDIL. Didier Clermonté pour LINESS. Isabelle Vanni pour l’April et mon collègue Étienne Gonnu qui non seulement fait des conférences à Lyon ce week-end mais s’occupe aussi est de la régie. Donc Étienne Gonnu qui est en régie, merci.

Vous retrouverez sur le site de l’April, april.org, toutes les références utiles ; il y a déjà une page, mais elle va être enrichie avec les références citées pendant l’émission.

Notre prochaine émission aura lieu mardi 9 avril à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur Wikipédia. C’est l’occasion d’approfondir la connaissance de cette encyclopédie libre parce que nous avons déjà consacré une émission à Wikipédia, c’était le 5 mars 2019. D’ailleurs l’émission sur Wikipédia sera diffusée exceptionnellement ce soir à 21 heures, comme ça vous pouvez, si vous ne l’avez pas écoutée, écouter cette émission ou la réécouter. Nous aurons l’occasion avec les mêmes invités d’aller un peu plus en détail à la fois sur le fonctionnement de l’encyclopédie Wikipédia et de la Fondation Wikimédia ; c’est une demande des personnes qui ont écouté la première émission. Donc voilà, nous sommes à l’écoute des personnes qui nous écoutent.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve mardi prochain et d’ici là portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Chaîne YouTube e-penser face au rouleau compresseur des ayants droit - Décryptualité du 8 avril 2019

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Titre : Décryptualité du 8 avril 2019 - La chaîne YouTube e-penser face au rouleau compresseur des ayants-droit
Intervenants : Nolwenn - Nico - Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 8 avril 2019
Durée : 14 min 40
Écouter ou télécharger l'enregistrement
Revue de presse pour la semaine 14 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Série Europe complète des billets en euro, ECB, Wikimedia Commons - Licence Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Bruce Benamran, créateur de la chaîne YouTube de vulgarisation scientifique e-penser vient de passer sa chaîne en privé pour protester contre l’impossibilité de contester devant une entité indépendante les décisions des ayants droit. Une démonstration d'une informatique déloyale où les ayants droit font la loi.

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 14. Salut Manu.

Manu : Salut Nico.

Nico : Salut Nolwenn.

Nolwenn : Salut Luc.

Luc : Sommaire.

Manu : On a sept jolis articles cette semaine.

Luc : Hou ! 20 minutes online, « Le mobile, je l’appelle le rêve de Staline », une interview menée par Michel Annese.

Manu : Interview de Richard Stallman, le créateur du logiciel libre, qui se plaint à nouveau du téléphone portable en indiquant que c’est juste un outil d’espionnage.

Luc : Il appelait ça le spyphone il y a quelque temps et effectivement c’est un super outil d’espionnage.
Usbek & Rica, « Deux tiers des Français préoccupés par leurs données personnelles », un article de Lila Meghraoua.

Manu : Ça indique essentiellement que la vie privée devient un sujet important pour les citoyens de notre beau pays ; c’est un sujet qu’on aime voir devenir plus important.

Luc : Petit rappel, ce n’est pas dans ta revue de presse, mais la semaine dernière on a appris qu’il y a des données Facebook, donc refilées à un des multiples partenaires, qui se sont retrouvées sur Internet. Il y en avait combien ?

Nico : Il y en avait 500 millions.

Nolwenn : 500 millions.

Luc : 500 millions de personnes ! Ça commence à faire bien, ce n’est pas mal, un demi milliard !
CXP, « Incontournable Open Source », un article de la rédaction.

Manu : Oui, en 2018 il y a eu pas mal de choses qui se sont passées, notamment des échanges de milliards de dollars. Red Hat a été rachetée par IBM pour 34 milliards. Ça indique essentiellement que le logiciel libre est un bijou ; il a une grosse valeur pour les entreprises qui se le récupèrent.

Luc : Mais pas pour vous, parce que vous n’y avez pas droit. Les grosses boîtes l’utilisent pour leur propre profit mais ne donnent pas de liberté à leurs utilisateurs. Les Numeriques, « Microsoft ferme le rayon “livres” de son Store », un article de Mathieu Chartier.

Manu : Là il y a un côté « on vous l’avait bien dit ! »

Luc : Oui, on vous l’avait bien dit !

Manu : Parce qu’effectivement il y a un magasin d’applications, enfin de contenus, qui est en train de fermer. En soi ce n’est pas choquant.

Luc : Les e-books.

Manu : Effectivement, des e-books protégés par des soi-disant DRM, des menottes numériques, et là, en fermant leur magasin, ils indiquent à tout le monde : « Attention les gars, on efface à distance vos livres achetés sur vos liseuses parce que ce ne sont pas vraiment les vôtres à partir du moment où il y a des menottes numériques dessus. »

Luc : Dès lors qu’ils ferment leur service, eh bien le système de contrôle des fichiers arrête de fonctionner. Il y a des dommages.

Manu : Oui, ils remboursent les livres, c’est bien le minimum !

Nolwenn : Oui, mais il y a aussi des notes qui sont associées à ces livres.

Manu : Sache que ça va. Ils vont te rembourser 25 dollars pour tout ce que tu as pu faire sur ton livre numérique. Tu es contente !

Luc : Hou ! C’est trop la fête.

Nolwenn : Grave !

Luc : L’ADN, « Écrans publicitaires : comment éviter d’envoyer ses données aux marques », un article de la rédaction.

Manu : Ça reparle d’informations personnelles, mais là c’est plus précis, ça concerne des écrans publicitaires.

Nico : Ce sont des écrans publicitaires qui sont arrivés dans le métro. Il y a des caméras qui essayent de détecter les téléphones et autres.

Manu : Et qui récupèrent des informations techniques.

Nico : Qui récupèrent des informations techniques du téléphone. Il y a un développeur qui a fait une petite page internet qu’on peut héberger n’importe où. Si vous y allez ça génère des adresses MAC, en fait les identifiants de votre téléphone de manière aléatoire et ça les soumet à l’agence de publicité en disant « je ne veux pas être suivi ». Du coup comme ça, on a démultiplié les possibilités de blacklister des centaines de milliers de téléphones dans la nature.

Luc : 01net., « Article 17 : cinq questions pour comprendre ce que cette nouvelle règle du droit d’auteur va changer », un article d’Amélie Charnay.

Manu : C’est l’article 17, mais en fait ça correspond à l’article 13 dont on se plaignait beaucoup ces dernières semaines, ces derniers mois, ça correspond à la directive droit d’auteur qui vient d’être passée au niveau européen.

Luc : Malheureusement !

Manu : Grand malheureusement, donc il y a plein de questions qui se posent. Allez jeter un œil sur ce genre d’articles-là, il y en a plein d’autres, il y a plein de choses qui vont se mettre en place à la suite de cette directive, notamment au niveau français.

Luc : Techniques de l’Ingénieur, « L’open source : des failles qui se multiplient », un article de Philippe Richard.

Manu : Ce n’est pas un nouveau sujet là aussi. Il y a des failles dans le logiciel libre, qu’ils appellent open source.

Luc : Dans tous les logiciels.

Manu : Oui. Il faut toujours rappeler qu’il y a plein de failles partout. Il se trouve que quand c’est du logiciel libre c’est plus facile d’en parler et c’est plus facile de mettre du monde pour corriger.

Luc : Et c’est plus difficile de le cacher.

Manu : Et c’est plus difficile de le cacher en général. Mais ça a aussi révélé dans le passé qu’il y avait des logiciels libres utilisés par tout le monde sur Internet, donc une grosse valeur, et que ces logiciels libres étaient parfois développés par une seule personne et il est arrivé qu’il y ait des failles. Maintenant on se rend compte un petit peu qu’il faut investir là-dedans : il faut encourager des développeurs, des équipes de développeurs et il faut s’assurer que l’infrastructure qu’on utilise pour l’informatique de tous le jours fonctionne encore et toujours.

Luc : C’est quoi notre sujet de la semaine ?

Nico : On va parler encore censure et YouTube.

Luc : On avait parlé d'une vidéo1 il y a quelques mois suite à un truc du Joueur du Grenier qui est un type qui fait des vidéos assez marrantes sur des jeux, qui n’est pas du tout un libriste, qui est un peu sensible aux questions d’Internet mais pas tant que ça.

Manu : Surtout depuis qu’il a une chaîne internet et que l’article 13, dit article 17, est en train de passer.

Luc : Voilà, tout à fait. Donc à l’époque c’était assez intéressant de voir l’importance et l’influence et le système qui se mettait en place au niveau de YouTube par rapport à la gestion des droits d’auteur et des ayants droit. Si on résume le truc, quelqu’un qui fait une vidéo sur YouTube peut utiliser par exemple de la musique ou des images qui sont couvertes par un droit d’auteur, ou pas d’ailleurs, ou en tout cas qui sont revendiquées par un ayant droit qui dit : « Ces trucs-là sont à moi ». Dans le système de YouTube, l’ayant droit peut récupérer 100 % de l’argent généré par une vidéo dès lors qu’il y a ne serait-ce qu’un petit bout d’un truc qu’il a identifié à lui dans la vidéo.

Nico : Après le Joueur du Grenier et la musique d’Harry Potter qu’avait été revendiquée par Disney, il y a e-penser donc Bruce Benamran2 qui fait de la vulgarisation scientifique sur une chaîne YouTube, qui a un petit million d’abonnés, donc ce n’est pas non plus un petit inconnu.

Manu : Il a une certaine notoriété, il passe avec des stars comme Alexandre Astier dans différentes conférences.

Nico : Donc il a fait une vidéo sur un petit blues man américain qui est mort il y a 70 ans.

Manu : Donc son œuvre est dans le domaine public.

Nico : L’œuvre est dans le domaine public et donc il a illustré sa vidéo avec dix secondes d’un extrait musical composé par cette personne-là. Un des ayants droit a décidé de récupérer la monétisation de cette vidéo-là. Bruce n’est pas du tout d’accord, bien entendu, puisqu’il y a le droit de citation en France.

Manu : Et en plus de ça c’est dans le domaine public.

Nico : Ce serait compliqué puisque la mélodie en elle-même est dans le domaine public, mais l’interprétation qui a été faite à ce moment-là, potentiellement est bien détenue par des maisons de disques ou autres. En tout cas il a dit : « Non, ça fait partie du droit de citation ; dix secondes sur une vidéo de plusieurs minutes, il n’y a pas photo ! » Donc il a un bouton « faire appel » dans YouTube. Sauf que cet appel-là est traité par l’ayant droit lui-même.

Luc : C’est un recours gracieux.

Nico : Voilà. Un recours en disant « voilà mes arguments, pourquoi j’ai le droit de faire ça et j’ai une légitimité de le faire ». Sauf que c’est l’ayant droit qui récupère ce truc-là et qui doit le traiter. Là l’ayant droit dit : « Non, moi je maintiens ma démonétisation. » Là il y a une espèce de deuxième appel possible de fait mais qui va encore une fois auprès de l’ayant droit, avec un mécanisme un peu particulier au sens où si jamais cet appel-là est refusé, toujours par l’ayant droit, vous recevez ce qu'on appelle un strike3.

Manu : Un avertissement. Je viens de regarder la traduction.

Nico : C’est un avertissement dans YouTube. Le premier on vous supprime la vidéo en question et on suspend vos droits pendant une semaine ; au deuxième on vous supprime la vidéo et on suspend pendant deux semaines et au troisième eh bien on vous strike complètement votre chaîne YouTube, on vous supprime vos vidéos et votre compte disparaît juste de la surface de la planète. Donc Bruce Benamran a déjà plusieurs dossiers…

Nolwenn : Benamram ?

Nico : Benamran. Benamram. [Le nom exact est Benamran, NdT]

Nico : Il pensait déjà à plusieurs cas comme ça, en fait en cours de gestion. Il y a la première vidéo qui va se faire striker le 8 avril, il y en une autre qui va se faire striker le 24 avril, donc il attend son troisième strike prochainement ; donc ça risque de disparaître.

Manu : Il semblerait, on est en train de regarder quasiment en temps réel, que lui-même a réagi il y a deux jours et que sa chaîne a été passée en mode privé.

Luc : On enregistre lundi soir. Il n’y a plus rien ou presque sur sa chaîne. En gros c’est lui qui a pris les devants. À priori c’est ça ?

Nolwenn : Il n’y a plus rien ou presque sur sa chaîne ou c’est juste que nous on n’y a pas accès parce qu’on n’est pas abonnés à sa chaîne ?

Manu : Elle est marquée comme privée. Non, non. Même si on était abonnés, vraisemblablement elle est privée donc il n’y a plus que lui qui y a accès. Peut-être qu’il peut partager, mais globalement il a, en quelque sorte, retiré tout ce qu’il avait fait comme contenus sur YouTube. Il y a quelques exceptions mais c’est rare. En gros, d’après son compte Twitter, il l’a fait exprès, en quelque sorte, pour se plaindre à YouTube de ne pas avoir de tierce personne qui prend part dans son conflit avec l’ayant droit.

Luc : Oui. Parce que là-dedans YouTube, en gros si c’est l’ayant droit qui veut récupérer le pognon qui juge à chaque fois, YouTube là-dedans n’intervient pas.

Nico : Non. Et puis il pensait essayer de se rapprocher de YouTube en disant « attendez je fais des appels mais c’est toujours la même personne qui me répond. Il faut peut-être que vous tranchiez un peu et que vous m’aidiez. » En fait YouTube a dit : « Non, les conflits entre tiers ça ne nous regarde pas, vous voyez ça entre vous et nous on n’a pas notre mot à dire. » Ne pas prendre position c’est bien sûr prendre position !

Luc : C’est une neutralité qui n’est quand même pas très honnête.

Nico : Surtout que Bruce, en fait, a décortiqué tout le mécanisme de Content ID derrière et il montre bien…

Manu : Content ID ?

Nico : C’est le filtrage. En fait ce n’est pas un filtrage du coup, il explique bien comment ça marche, mais ce n’est pas un filtrage au sens où ce n’est un robot qui va prendre la décision. Les ayants droit mettent à disposition de YouTube l’intégralité de leur catalogue.

Manu : De ce qu’ils veulent référencer en tout cas.

Nico : De ce qu’ils veulent référencer. Le Content ID navigue dans YouTube à partir de règles en fonction du nombre de visiteurs d’une vidéo ou autres et va rapporter à l’ayant droit toutes les vidéos qui contiennent un morceau d’extrait sonore ou vidéo de son propre catalogue. Là il y a des outils pour, en gros, tout sélectionner, démonétiser. Donc c’est juste de l’abattage fait par l’ayant droit.

Luc : L’ayant droit n’a pas nécessairement l’obligation de justifier qu’il a effectivement les droits dessus. On peut imaginer sans mal qu’il ne va pas faire dans la dentelle et récupérer tout le pognon qu’il peut.

Nico : On en arrive à des cas comme e-penser. Il était intervenu à France 4 dans une émission qui a diffusé un magnéto de ses propres chaînes YouTube. Il se trouve que France 4 a réclamé la démonétisation de sa vidéo parce qu’elle considérait que c’était du contenu France 4 alors que non, c’était du contenu de e-penser qui était diffusé sur France 4.

Luc : La solution qu’il aurait ce serait de faire un vrai procès.

Nico : C’est compliqué. Déjà il faut trouver la bonne juridiction.

Manu : Comment ça ? C’est compliqué de trouver la bonne juridiction ?

Nico : Si on parle de YouTube, ça va être dans un tribunal au fin fond de la Californie. Il risque d’y avoir des ayants droit au Texas ou on ne sait pas trop où. Le droit français qui va donner le droit de citation. Le fair use qui existe aux États-Unis mais pas en Europe. C’est un vrai merdier abominable !

Luc : Hormis le fait que ça coûte une fortune. En gros, s’il se lançait là-dedans ça lui coûterait beaucoup d’argent. On peut supposer que ce sera fini dans dix ans et en attendant, l’ayant droit lui a le doigt sur le bouton et il fait ce qu’il veut.

Nico : C’est ça.

Manu : Sachant qu’on est dans un champ qui est en train de bouger. L’article 17 qui vient d’être voté peut chambouler tout ça.

Nico : Là, pour le coup, ça serait peut-être presque intéressant puisque l’article 17 imposerait d’avoir un tiers neutre pour justement les appels et les prises de décision en cas de conflit ce qui permettrait peut-être…

Manu : De résoudre ce cas-là en tout cas.

Nico : De résoudre ce cas-là en particulier. Après c’est toujours pareil, si le tiers neutre, en fait n’est pas si neutre que ça et est toujours à la solde des ayants droit parce que ça m’étonnerait que ça vienne d’un artiste ou d’un truc comme ça.

Luc : Là on voit Google. On peut supposer que vu tout ce qu’ils se prennent dans les dents avec les ayants droit qui veulent leur prendre l’argent et justement cette loi qui vient de passer qui vise quand même en grande partie à leur pomper de l’argent…

Manu : Et avec les États. La France a envie de récupérer de l’argent aussi.

Luc : Du coup ils ne veulent fâcher personne et ils vont dans le sens de celui qui tape le plus fort. Pour moi ça démontre que tous ces systèmes de surveillance automatiques sont inefficaces.

Manu : Et les systèmes de centralisation. Le contenu centralisé c’est un moyen facile de bloquer une personne sur toute son existence numérique quasiment.

Luc : Voilà. Celui qui a la main sur le système a le pouvoir, fait ce qu’il veut et peut choper 100 % des revenus d’une vidéo alors qu’il n’y a qu’une toute petite fraction qui est couverte par un droit d’auteur.

Nico : Après la centralisation a aussi des intérêts. Par exemple la modération est très difficile à faire dans un contexte distribué puisque, du coup, chaque personne va devoir se prendre par la main et faire le boulot, alors qu’on a vraiment des gros gains à tout centraliser et avoir une modération centrale avec des vraies personnes formées, y compris au niveau psychologique. Par exemple, si on parle de censure terroriste ou de la pédopornographie, il y a intérêt à avoir le cœur bien accroché.

Manu : Je pense que tu abuses en disant que les gens ont été formés. Il y a des documentaires là-dessus.

Nolwenn : Oui. Il y a le cas de Facebook qui est apparu il y a quelques mois où justement il y a des modérateurs qui sont en grande détresse psychologique parce qu’ils ont vu passer des choses vraiment pas sympas.

Manu : Et ils n’étaient pas formés du tout.

Nolwenn : Voilà.

Luc : Depuis le début d’Internet les modérateurs ce sont des communautés, ce sont en général des bénévoles qui font partie d’une communauté avec des gens qui se foutent sur la gueule comme partout. C’est plus ou moins bien, mais il y a quelque chose de foncièrement humain, de foncièrement social dedans et pas quelqu’un qui est payé pour cliquer toute la journée sur des trucs.

Manu : Il y a une alternative qu’on promeut ici, dont on discute régulièrement qui s’appelle ?

Luc : PeerTube4.

Nico : PeerTube.

Manu : C’est décentralisé, c’est plutôt intéressant technologiquement, ça a été proposé à Bruce donc le responsable de e-penser, enfin le créateur de e-penser, malheureusement il a mal réagi.

Luc : Qu’est-ce qu’il a répondu ?

Nolwenn : En gros il a répondu que PeerTube il y a du « porn chelou » et des snuff movies.

Manu : Des snuff movies ? Hein ? Quoi ?

Luc : On ne va pas en parler ! Ce n’est pas un libriste. Il dit aussi qu’il est dans la défense de son bon droit, etc., mais l’alternative ne l’intéresse pas trop. C’était à peu près le même topo avec le Joueur du Grenier quand il avait fait sa vidéo. Ce sont des gens qui ont une grosse audience et à mon sens c’est une des faiblesses qu’on a aujourd’hui dans les alternatives qui sont proposées par le monde du Libre, c’est que techniquement ça marche et c’est prometteur ; il y a des gens hyper-motivés, hyper-compétents et pleins de talent, mais il y a cette question de ce que moi j’appelle l’économie de la rareté : il y a une rareté, c’est le fameux temps de cerveau disponible.

Manu : L’attention.

Luc : L’attention. Nos journées ne font que 24 heures, on passe quelques heures devant un écran. Le fait de découvrir quelqu’un, le fait de passer du temps à regarder, etc., tout ça c’est une rareté et aujourd’hui les GAFAM sont très forts pour maîtriser ça et dans le Libre on n’a pas grand-chose.

Nico : Il y a aussi l’économie tout court puisqu’il y a le problème de la monétisation. Ça pose beaucoup moins de questions avec des alternatives comme Tipeee, Patreon.

Manu : Donc des outils de don.

Nico : De don direct.

Luc : Il y a aussi des gens qui font de la pub directe, même si moi je n’aime pas la pub, ils peuvent être indépendants de la plateforme au niveau financier. Mais dès lors qu’ils n’arrivent pas à exister dans l’espace et à avoir suffisamment de public, même si ce qu’ils font est très bien, eh bien c’est foutu.

Nico : Ça ne marchera pas.

Luc : Ça ne peut pas marcher ! À mon sens c’est vraiment un truc sur lequel il faut réfléchir : nos propres alternatives et ce qu’on a à proposer.

Manu : Ça va sûrement évoluer et puis ça va évoluer au niveau de e-penser parce que là sa chaîne passée en privé ça va sûrement bouger, on va voir. Est-ce qu’on en parle ? Pour l’instant ça n’a pas été repris sur les médias. Peut-être qu’il n’est pas assez connu pour cela, pour l’instant. Peut-être que vous allez en entendre parler demain sur France 2 et on aura été les premiers à en parler, pour ce que ça peut servir. En tout cas bonne chance à lui quand même parce qu’il se trouve confronté à une machine invulnérable et ce n’est pas lui qui va pouvoir la faire tomber.

Luc : Très bien. Nous on reste indépendants de YouTube et on se retrouve la semaine prochaine.

Manu : À la semaine prochaine.

Nolwenn : À la semaine prochaine.

Directive droit d’auteur - Martin Drago sur Alterpresse68

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Photo Annie Spratt publiée sur le site de La Quadrature

Titre : Directive "droits d’auteurs”, entretien avec Martin Drago par Luc Ueberschlag et Jeanne Roy [Alterpresse68]
Intervenants : Martin Drago - Jeanne Roy
Lieu : Alterpresse68
Date : 27 mars 2019
Durée : 7 min 53
Écouter l'enregistrement ici ou ici
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : Photo Annie Spratt publiée sur le site de La Quadrature - Licence Creative Commons BY-SA 4.0.
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

À l’occasion de la session parlementaire du Parlement européen à Strasbourg, Luc Ueberschlag et Jeanne Roy se sont attachés à interroger des partisans et adversaires de la directive, dont les ramifications et conséquences pourraient être nombreuses, y compris pour votre journal électronique favori, dès lors que celle-ci sera transposée en droit français…

Transcription

Jeanne Roy : Est-ce que tu pourrais te présenter ?

Martin Drago : Je suis Martin Drago. Je suis juriste à La Quadrature du Net1. La Quadrature du Net est une association qui défend et qui promeut les libertés dans le monde numérique et on lutte contre la censure et la surveillance, qu’elles viennent des États ou des entreprises privées.

Jeanne Roy : Et vous luttez aussi contre cette directive des droits d’auteur. Vous savez qu’elle a été approuvée aujourd’hui. Qu’est-ce qui vous dérangeait dans cette directive ?

Martin Drago : Ce qui est dérangeant dans cette directive et même plus que dérangeant, c’est très grave, en fait elle promeut le filtrage automatisé des contenus qu’on peut mettre en ligne. Il y a surtout deux articles très problématiques dans cette directive ; un c’est l’article 13, qui est devenu aujourd’hui l’article 17. L’article 13 incite toutes les plateformes, une grande partie des sites en ligne, pas tous, mais une partie des plateformes qui mettent en avant pour un but lucratif des contenus sur Internet, eh bien ces plateformes doivent conclure des accords avec les ayants droit, donc les gens qui ont la propriété intellectuelle des contenus. L’article 13, en fait, impose à une grande partie de l’Internet – pas toutes les plateformes, celles qui mettent en avant des contenus en ligne à des fins lucratives –, il leur impose, pour simplifier, de mettre en place un filtrage automatique des contenus. C’est-à-dire que pour éviter qu’un contenu soit posté sur leur plateforme alors que ce contenu n’a pas obtenu l’accord de l’ayant droit, en fait il faut filtrer au préalable tous les contenus mis en ligne.
Dans l’adoption de la directive aujourd’hui, ce qui nous fait très peur c’est que c’est la première fois que l’institution européenne vient institutionnaliser la censure automatique. Ces filtres passent par des outils automatiques, du filtrage automatisé ; c’est la première fois que l’Union européenne adopte un texte qui promeut cette censure.

Le vrai problème qu’il y a c’est que, premièrement, les filtres automatiques c’est très dangereux, parce que souvent il peut y avoir des contenus pour lesquels, effectivement, on n’a pas les droits pour les publier, mais on peut vouloir faire de la satire, on peut vouloir faire juste un petit extrait ; ça, normalement, c’est protégé par le droit d’auteur, mais le filtre automatique, comme c’est une machine, elle n’arrive pas à faire la différence.

Ensuite, aujourd’hui qui peut faire ces filtres automatiques ? Ce sont les géants du Web, c’est Google. Google le fait déjà sur sa plateforme YouTube, il a déjà un filtre automatique comme ça et c’est aussi Facebook. En obligeant beaucoup d’acteurs de l’Internet à mettre en place ces filtres automatiques, en fait on promeut un peu les outils développés par Google et Facebook.

Jeanne Roy : Je viens de parler avec Virginie Rosières, qui est eurodéputée ici au Parlement et qui me dit que tout ce qui est dit, l’article 11, l’article 13, qui sont devenus le 15 et le 17 aujourd’hui, on ne sait pas trop pourquoi, me rétorque que ceci est complètement faux : cette histoire de filtrage est une invention de celles et ceux qui sont contre la directive et qui, en fait, ont construit une énorme campagne de désinformation à propos de cette directive. Qu’est-ce que vous en dites ?

Martin Drago : C’est intéressant. C’est vrai qu’en face on a beaucoup de sociétés d’ayants droit qui disent que nous, les associations qui défendons la liberté sur Internet, avons été payées par Google. Ce matin il y avait Jean-Marie Cavada, député européen, qui disait qu’on avait été payés par Google, que les manifestations qu’il y a eues ce week-end notamment en Allemagne justement pour appeler au rejet de ce texte, en fait c’était des jeunes qui avaient été payés par Google pour descendre dans la rue. Il faut voir que de leur côté aussi la campagne est extrêmement mensongère et un peu folle. Non, pas du tout. Le filtre automatique, et ça vous le verrez partout sur Internet, quand on regarde l’article le truc c’est que les plateformes doivent faire « leur meilleur effort », je cite le texte, pour signer un accord de licence avec les titulaires de droits et certaines plateformes doivent « rendre indisponibles — c’est marqué dans le texte — tous les contenus protégés par le droit d’auteur ».
Effectivement ils n’ont pas mis, et c’est ce qu’on nous répond, le mot « filtre automatique » dans le texte. En fait la seule façon de respecter le contenu de l’article 13 c’est de mettre en place un filtre automatique.

Jeanne Roy : Ah oui, il n’y a pas d’autre moyen de faire le tri.

Martin Drago : Eux nous rétorquent toujours « mais on n’a pas mis dans le texte exactement. Non, il ne faut pas mettre un filtre automatique. » En fait quand on lit l’article 13, 17 tel qu’il a été adopté aujourd’hui, la seule façon de le respecter c’est de mettre en place ces filtres automatiques.

On estime que si vous n’avez pas fait « les meilleurs efforts possibles » pour conclure des accords avec les ayants droit, en fait vous êtes directement responsable des contenus qui sont mis en ligne sur votre plateforme. Ça peut faire vachement peur parce que vous pouvez prendre vachement de procès, etc., disant « vous êtes responsable de tous ces contenus ». La seule façon de ne pas être directement responsable c’est de faire un filtre à l'upload.

L’article 13 ne concerne pas tous les acteurs de l’Internet. Il concerne surtout les plateformes, je le disais au début, qui mettent avant des contenus à des fins lucratives. Il y aussi des plateformes, et ça existe, qui n’ont pas un but lucratif.
Nous, à la Quadrature du Net par exemple, on défend beaucoup de plateformes qui sont libres, qui sont gratuites, qui ne reposent pas sur un commerce de données personnelles. Par exemple la plateforme forme Mastodon2, c’est une alternative libre à Twitter, eh bien celle-là n’est pas visée par l’article 13. Donc il reste des plateformes où la liberté d’expression va être encore un peu protégée et pas limitée par ces filtres automatiques.

Ce qu’il faut voir si on se penche sur la directive, ce qui est très gênant c’est que aussi bien l’article 11 qui concerne les articles de presse selon lequel il faut demander l’accord aux éditeurs de presse pour utiliser leurs contenus et l’article 13 qui concerne l’industrie culturelle, en fait eux, leur principal discours c’est « ah, mais c’est atroce ! Les GAFAM, donc Google, Amazon, Facebook, etc., se font vachement d’argent sur nos contenus et nous, du coup, on n’a rien et on se fait avoir par les GAFAM ! »
Le problème c’est que l’argent des GAFAM vient d’où ? Il vient principalement de la publicité ciblée. 90 % des revenus de Google c’est de la publicité ciblée. Facebook 98 %, c’est de la publicité ciblée. La publicité ciblée c’est une publicité qui est faite par l’invasion de notre vie privée. Ça aujourd’hui, avec le Règlement général de la protection des données, qui est un texte européen qui est entré en vigueur en mai 2018, tout ce marché de la publicité ciblée qui s’est développé depuis dix ans — on vous surveille sur Internet pour vous donner la publicité la plus proche et qui pourrait le plus vous intéresser —, ce marché est illégal. C’est ça qu’on critique. En voulant absolument récupérer un peu les miettes des GAFAM, aussi bien au niveau culturel qu’au niveau de la presse, en fait on a des industries qui commencent à se faire complices d’un marché qui est illégal.

Par exemple à La Quadrature on a fait une plainte contre Google, notamment sur cette idée de publicité ciblée et de surveillance illégale et on a commencé à gagner : la CNIL a sanctionné Google à 50 millions parce qu'il ne respectaient pas le RGPD3. Alors que nous on commence à gagner, on commence à avoir des décisions qui remettent en cause ce marché, là on a les industries culturelles et de la presse qui sont toutes contentes « ah on va enfin pouvoir récupérer les miettes du gâteau des GAFAM », alors que ce gâteau est illégal.

Jeanne Roy : Une dernière question peut-être : c’est quoi la suite pour La Quadrature du Net et pour les défenseurs de l’Internet libre ?

Martin Drago : C’est une très bonne question. Avec ce texte c’est un peu la première fois que le Parlement et l’Union européenne institutionnalisent à ce point la censure automatisée, c’est de cela dont on parle, et la surveillance de masse faite justement par ces GAFAM.
Il y a un deuxième texte qui est juste derrière, qui ne concerne pas cette fois-ci le droit d’auteur mais qui concerne les contenus terroristes en ligne. C’est un texte qui doit être voté en commission au Parlement européen lundi prochain. Ça été notre principal sujet cette année, ça a été d’essayer de faire rejeter ce texte. En fait il comporte les mêmes dangers, il comporte les mêmes outils. Encore une fois on délègue à des acteurs privés, à des acteurs comme Google et Facebook, la censure avec leurs outils de filtre automatiques ; cette fois-ci ce sont les contenus que eux et la police définiront comme terroristes, ce qui engage beaucoup de problèmes. Ce texte est voté lundi prochain ; il faut continuer d’appeler. Sur notre site il y a une page dédiée, spécifique, avec un outil avec lequel on peut appeler les députés en charge de ce texte. Il ne faut pas baisser les bras, il faut continuer. Il ne faut pas que le dernier mandat de ce Parlement se finisse avec deux textes atroces adoptés au dernier moment.


Comment se fabriquent les fake news - Antonio Casilli - L'instant M

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Titre : Comment se fabriquent les fake news ?
Intervenants : Antonio Casilli, Sonia Devillers
Lieu : France Inter
Date : 8 juin 2018
Durée : 18 min
Site de l'émission
Écouter ou télécharger le podcast
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Left click on a mouse, Cdang and Fabien1309. Licence Creative Commons CC BY-SA 3.0
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Il est 9 heures 40 sur France Inter et c’est le dernier Instant M de la semaine.

Sonia Devillers : Le vote de la loi contre la manipulation de l’information s’est embourbé cette nuit à l’Assemblée nationale. Pas d’adoption en première lecture. La majorité aurait sous-estimé les assauts de la France insoumise, du Front National et des Républicains qui hurlent à la mort de la liberté d’expression. « Cette loi les empoisonnent », écrit l’Obs ce matin. Pourtant, dans son édito, Le Monde la juge « délibérément inefficace pour qu’elle ne soit pas justement dangereuse ». Après La Matinale de France Inter, ce matin L’instant M vous propose de creuser le sujet. Nous ne discuterons pas forcément confiance ou vérité, mais focus, c’est ce que nous vous proposons sur ces armées de l’ombre payées pour répandre des fausses nouvelles. Nous vous racontons comment ce système est complètement artificiel.

Voix off : L’instant M Sonia Devillers sur France Inter.

Sonia Devillers : Bonjour à vous Antonio Casilli.

Antonio Casilli : Bonjour.

Sonia Devillers : Sociologue du Web, spécialiste des usages du numérique, maître de conférence à Télécom Paris Tech. Qu’est-ce que c’est Télécom Paris tech ?

Antonio Casilli : C’est l’ancienne École nationale supérieure des télécommunications, grande école française.

Sonia Devillers : Grande école française, et également chercheur à l’EHESS [École des hautes études en sciences sociales]. Je vous propose d’abord un petit coup d’œil sur l’actualité des médias. D’ailleurs je vais vous demander éventuellement de nous aider à comprendre les mécaniques dont je vais vous parler dans un instant et ensuite nous plongeons dans ce débat national sur les fake news.

Voix off : Coup d’arrêt, hier, net et brutal pour Buzzfeed France. Décision totalement inattendue de son actionnaire américain en difficulté financière. Ce site – une équipe de quatorze personnes – avait développé une ligne éditoriale très nouvelle et très remuante. Au départ des classements rigolos et anecdotiques partagés à gogo sur les réseaux sociaux et puis, en France comme aux États-Unis, un deuxième fil, d’info celui-là, recrutant des journalistes d’investigation capés. Scoops et révélations, je vous en cite quelques-uns : le restaurant L’Avenue refusant les clients arabes, enquête sur les candidats aux législatives du Front National et leurs activités numériques, actes de violence commis par Jean-Michel Baylet, ancien ministre, à l’encontre d’une collaboratrice… Bref pour tout ça, tout ce que je vous ai dit, fin de partie.

Sonia Devillers : Antonio Casilli, il y a peut-être quelque chose qu’on peut expliquer aux auditeurs, c’est-à-dire que ces médias numériques sont extrêmement dépendants en termes d’audience et du coup, économiquement parlant, des réseaux sociaux, puisque ce sont les réseaux sociaux, et principalement Facebook, qui diffusent, qui disséminent leurs contenus.

Antonio Casilli : En effet. Il s’agit d’une manière de faire média et de faire information, qui est basée sur la circulation, sur la répétition et sur le partage. Ce sont des aspects qui sont cruciaux pour comprendre que le contenu est important mais le contenu n’est que le coup d’envoi de quelque chose qui est un processus beaucoup plus vaste, qui est basé sur la participation des publics. De ce point de vue là, si vous enlevez la caisse de résonance représentée par une plateforme comme Facebook, qui est une plateforme univers, qui a une ambition à remplacer l’Internet en tant que tel, vous vous retrouvez dans des situations comme celle dans laquelle se retrouve aujourd’hui BuzzFeed1 et d’autres médias de ce type dans la mesure où Facebook, au début de l’année, a décidé de changer radicalement son algorithme de classification des informations pour se concentrer, pour se recentrer sur ce qu’ils appellent les liens forts. Finalement de faire apparaître dans vos news feed, sur vos murs, plutôt des contenus qui viennent de vos connaissances, amis, membres de votre famille, et c’est pour ça que vous voyez peut-être davantage de vos connaissances et collègues ou alors plutôt votre grand-mère qui parle de ses chatons, et un peu moins de médias classiques qui sont considérés comme des liens faibles. Vous n’avez pas un lien direct avec Le Monde ou avec BuzzFeed en l’occurrence. Évidemment, si vous êtes un média traditionnel, en plus ancré papier ou écran comme ceux qu’on connaît partout en France et dans le monde, vous avez une base qui ne change pas malgré les changements de l’algorithme de Facebook.

Sonia Devillers : C’est ça. Mais quand vous êtes un pur média numérique toute nouvelle génération comme l’est BuzzFeed, alors pour le coup on en souffre et on en souffre directement.

Antonio Casilli : Vous êtes dépendant de l’algorithme et du modèle d’affaires de Facebook.

Sonia Devillers : Et du modèle d’affaires de Facebook. Voilà, un dernier mot quand même Antonio, cher Antonio, tous les jeudis nous invitons les auditeurs de France Inter à jouer, vous vous n’avez pas le droit de jouer, c’est notre madeleine. Cette semaine figurez-vous qu’on vous offre avec l’INA [Institut national de l'audiovisuel] un an d’abonnement à Ina Premium. Alors Ina Premium c’est le site professionnel de l’INA auquel vous aurez complètement accès, c’est une mine d’or d’archives sans limite de durée. Vous pourrez tout voir, même les longs métrages et les séries de l’ORTF. Une seule adresse : linstantm@radiofrance.com. Voici ma question : Comment s’appelait l’ancêtre de La caméra cachée ?

[Extrait sonore concernant la première émission de La caméra cachée qui se termine par « une truite qu'elle n'a pas. »]

Sonia Devillers : « Une truite qu'elle n'a pas », je trouve ça génial. Comment s’appelait cette première émission de La caméra cachéeà la télévision ? linstantm-@-radiofrance.com. Bonne chance à vous tous et un grand merci à toute l’équipe de L’instant M qui m’a accompagnée cette semaine : Anne-Cécile Perrin à la réalisation, Marion Philipppe et Redouane Tella qui ont préparé les émissions et Stéphane Beaujat qui est à la technique ce matin.

Voix off : L’instant M sur France Inter.

Sonia Devillers : Antonio Casilli, contrairement à ce qu’on dit, la diffusion des fake news n’est pas le fait d’une horde de colporteurs numériques qui répandent librement des fausses nouvelles et qui le font par conviction. Ça c’est très important, c’est l’un des axes majeurs de vos écrits récents et de vos recherches. Vous, ce qui vous intéresse, c’est la façon dont Google, dont Facebook, dont Twitter sélectionnent l’information. Alors on va commencer par ça parce que c’est très important d’expliquer comment fonctionnent ces régies publicitaires qui collectent des données personnelles. Les données personnelles c’est nos historiques de navigation, c’est nos listes d’amis, c’est notre localisation géographique, c’est les photos qu’on like, c'est les vidéos qu’on a regardées, etc. Pour collecter un maximum de données, ces plateformes, et donc leurs régies, ont besoin qu’on reste un maximum de temps chez elles et qu’on consomme un maximum de contenus, peu importe la nature de ces contenus !

Antonio Casilli : Exactement. Il faut que les contenus soient attachants, compelling comme disent les Anglais, c’est-à-dire qu’ils attirent votre attention et qu’ils vous obligent à rester scotché à votre écran ou à votre mobile. Après évidemment, qu’il s’agisse d’un animal merveilleux qui fait des choses sympas, donc votre chaton qui joue du piano, ou alors qu’il s’agisse de quelque chose d’extrêmement problématique comme de la fausse information orientée propagande politique, il n’y a pas en principe de différence pour les plateformes qui sont agnostiques du point de vue des contenus. Évidemment elles sont aussi sensibles aux actions en justice et au tollé médiatique. Donc évidemment elles ne vont pas faire passer n’importe quoi. Il y a donc énormément de sélection de contenus, il y a de la modération de contenus, il y a des armées de modérateurs, qui sont souvent des personnes qui sont très mal payées qui se trouvent aux Philippines ou en Inde et qui regardent à longueur de journée des contenus problématiques. Tout cela fait partie d’un énorme modèle d’affaires qui est basé évidemment sur la collecte de données et sur l’appariement algorithmique des données. Il faut expliquer rapidement de quoi il s’agit. En gros il faut croiser les données d’une manière intelligente pour, d’une part, proposer de l’information sélectionnée d’une certaine manière : par exemple si je saisis une requête dans le moteur de recherche Google il faut que la page qui s’affiche ensuite soit significative, soit d'importance pertinente pour moi. Donc ça, si vous voulez, c’est le service de façade. Derrière il y a évidemment un autre service assuré par les grandes plateformes, qui est un service d’appariement entre des consommateurs – même si ça se discute qu’ils soient complètement des consommateurs – et des annonceurs.

Sonia Devillers : Et des annonceurs, des marques.

Antonio Casilli : De ce point de vue-là, rien de différent par rapport à certains médias traditionnels de nature commerciale, les journaux gratuits que vous voyez sont basés sur le même principe. Mais, en même temps, la question est que sur les médias numériques et sur les grandes plateformes numériques cela devient vraiment quelque chose dont les conséquences sont inattendues, parfois il y a des effets pervers, il y a des effets de complication…

Sonia Devillers : C’est extrêmement intéressant parce qu’on voit bien que la logique est quand même une logique de rupture par rapport à la presse traditionnelle, c’est-à-dire on a besoin que vous restiez le plus longtemps possible sur Facebook, on a besoin que vous restiez le plus longtemps possible sur YouTube, on a besoin que vous restiez pour mieux vous connaître, pour mieux vous dessiner, etc. Ça c’est quand même extrêmement important…

Antonio Casilli : Est-ce si différent ? Par rapport à la télévision, par rapport aux médias du siècle passé.

Sonia Devillers : À la durée d’écoute en radio.

Antonio Casilli : Voilà, par exemple. La différence, je dirais, est surtout dans le rôle du spectateur, des publics, on va dire comme ça, qui cessent d’être des publics passifs et qui deviennent des audiences actives qui doivent cliquer, qui doivent partager, qui doivent commenter, qui doivent qualifier l’information. Et finalement, la qualification de l’information devient la partie la plus problématique, la plus difficile à contrôler.

Sonia Devillers : Justement on y vient, je vous propose d’aller en Macédoine, une région du monde qui a énormément fait parler d’elle puisque c’est une région du monde qui a été bassin de production et de conception de fake news. On va voir pourquoi, là encore une fois c’est exactement ce que je vous disais tout à l’heure en introduction, pas de militantisme, pas de conviction, juste un intérêt économique.

Voix off d’un traducteur : Certains de mes étudiants ont compris qu’ils pouvaient faire de l’argent avec la politique. Ça s’est répandu comme une traînée de poudre. Aujourd’hui, quatre de mes étudiants sont millionnaires. Beaucoup d’entre eux investissent, ils ont pu faire des emprunts à la banque pour développer leur page. Je pense que le président Donald Trump est un personnage intéressant. Il veut tout, tout le temps : ambition, ego, argent, puissance… l’american way. Et parfois il va même mentir sur son succès pour aller au degré supérieur.

Sonia Devillers : C’est-à-dire qu’avant de légiférer sur les fake news, Antonio Casilli, il faut en comprendre la logique. Et là on voit bien qu’il n’y a pas de logique politique, il n’y a pas de volonté de propagande, il n’y a pas de volonté de déstabilisation de l’opinion. Il y a volonté de se faire de l’argent. Là !

Antonio Casilli : Entendons-nous bien. Quelque part il y a une volonté de déstabiliser le panorama politique. Après, évidemment, on passe par les petites mains de cette information et de cette manipulation de l’information. Qui sont ces petites mains ? Il s’agit parfois de jeunes en rupture scolaire qui ont besoin de faire de l’argent rapidement et dont les perspectives d’emploi sont extrêmement limitées — c’est le cas de la Macédoine —, qui se sont adonnés à cette activité de production de mèmes. Les mèmes ce sont des images choc, accompagnées parfois de messages tout à fait problématiques, parfois très chargés de contenus racistes, sexistes et ainsi de suite.

Sonia Devillers : Des contenus compelling, comme vous disiez, sticky, c’est-à-dire qui vous scotchent à l’écran.

Antonio Casilli : Qui scotchent à l’écran ; c’est certain. Parce que même si je ne suis pas d’accord et surtout si je ne suis pas d’accord je vais peut-être partager l’information parce que je suis scandalisé, parce que je suis heurté, parce que je suis insulté. Donc du coup, double circulation : circulation par les personnes qui adhèrent au message, donc les racistes et les sexistes de service, et de l’autre côté, par contre par les personnes, qui censurent. C'est ce qui fait le succès, en termes de clics, de plateformes comme Facebook.

Sonia Devillers : C’est extrêmement intéressant parce qu’on voit bien qu’il y a là un bassin de production de fake news et que ce bassin de production n’est ni libre ni inspiré politiquement. Il est là et il est fait pour gagner de l’argent.
Maintenant on va aller de l’autre côté de l’ordinateur. Qui clique ? Je vous emmène dans une usine du côté du Sri Lanka.

Voix off d’un traducteur : Notre formule basique coûte entre 100 et 200 dollars. Et cela inclut les like sur Facebook. Le principal sera Facebook, après Twitter, Instagram et YouTube.
—Combien de temps vous faut-il pour obtenir 2000 likes ?
—Cela prendra environ deux semaines. Nous allons créer des profils avec des noms français, de personnes françaises, et ensuite nous allons utiliser ces profils pour faire des commentaires sur votre page, pour que ça semble plus vrai.

Sonia Devillers : Il y a une part d’artifice dans la diffusion et l’ampleur que prend la diffusion des fakes news et ça, peu de gens le savent, Antonio Casilli. Ça s’achète la diffusion d’une fake news ! On parle beaucoup de la crédulité du public. On parle très peu de ce que vous vous décrivez très bien dans vos articles ; ça s’achète, ça se paye !

Antonio Casilli : C’est-à-dire les fermes à clics. Les fermes à clics sont des usines qui parfois ont vraiment pignon sur rue et parfois il s’agit de millions de personnes qui se connectent depuis chez eux.

Sonia Devillers : Dans quels pays ?

Antonio Casilli : Il s’agit souvent de pays qu’on définit comme émergents ou en voie de développement, à faibles revenus, dans lesquels, en gros, les perspectives d’emplois et surtout le salaire moyen est très limité, parfois on parle de 130 dollars, l’équivalent de 130 dollars par mois, dans lesquels, évidemment, il devient intéressant de travailler dans ces fermes à clics, dont le principe, si vous êtes un travailleur, est celui du travail à la pièce. La pièce veut dire que chaque clic est rémunéré. Mais entendons-nous bien…

Sonia Devillers : Quelques centimes.

Antonio Casilli : Même moins que ça.

Sonia Devillers : Même moins !

Antonio Casilli : Personnellement j’ai été témoin de certaines fermes à clics qui payaient 0,0006 centime par clic.

Sonia Devillers : Alors on est au Bangladesh, au Pakistan, au Népal, au Sri Lanka, en Inde au Kenya, à Madagascar et il faut savoir que tout s’achète : les commentaires, les partages, les retweets, des faux followers même, par exemple qui suivraient votre compte Twitter, des messages haineux ça s’achète, des messages diffamatoires aussi, faire augmenter le visionnage d’une vidéo aussi, créer des profils qui s’abonnent à des profils d’extrême droite xénophobe aussi, ça s’achète. C’est extrêmement intéressant et vous citez une enquête qui aurait révélé que Trump aurait acheté 60 % des fans de sa page Facebook aux Philippines.

Antonio Casilli : Pas seulement aux Philippines ; de manière assez ironique, une bonne partie de ces faux fans de la page Facebook de Trump venait du Mexique. Ce qui est absolument paradoxal si on pense à l’énormité des choses que Trump a pu débiter contre les Mexicains, comme cette idée selon laquelle il va obliger le Mexique à payer son mur. De ce point de vue-là on se trouve dans une situation de travailleurs du clic qui travaillent contre leur propre intérêt.

Sonia Devillers : Contre leur propre intérêt. Justement j’ai deux questions pour vous, Antonio Casilli. Comment on peut décrire un système aussi artificiel qui n’est qu’une grande machine économique et comprendre qu’au bout du compte il y a une modification bien réelle de l’opinion, primo ? Et secundo, est-ce que les lois sur lesquelles on travaille en France, mais pas seulement en France, prennent en compte cette dimension-là ?

Antonio Casilli : Pour la décrire malheureusement il faut tout simplement s’adonner à un travail de recherche beaucoup plus poussé que celui qu’on mène aujourd’hui. Personnellement je fais partie d’un volet de la recherche scientifique en sciences sociales qui insiste sur le fait qu’il faut regarder ce qu’on appelle le digital labor, c’est-à-dire le travail numérique, le travail du clic. Ça se discute à l’intérieur de la discipline et à l’intérieur de nos disciplines, parce que tout le monde n’est pas d’accord. Certains continuent d’insister sur le fait que non, il s’agit de consommateurs, il ne faut pas regarder les conditions de travail de ces personnes à l’autre bout du monde.

Sonia Devillers : Est-ce que c’est pris en compte ça, par les autorités, par les gouvernements, par les députés, par l’Assemblée nationale ? Cette dimension-là ?

Antonio Casilli : Pas dans cette loi, pas dans la loi sur la manipulation de l’information qui est basée sur une certaine vision seulement du monde politique et de la circulation de l’information, mais aussi des infrastructures numériques que sont les plateformes, qui n’est pas du tout capable d’envisager la circulation comme un phénomène artificiel. En gros, si vous regardez ce qui est écrit dans le texte de la loi qui a été débattue hier, c’est marqué qu’on peut passer par le juge des référés quand on a eu à faire à une circulation massive et automatique d’informations. Normalement ceci veut dire que le législateur cherche à bloquer les bots, c’est-à-dire des robots.

Sonia Devillers : On n'en parle pas des robots !

Antonio Casilli : La réalité c’est que ces robots-là ne constituent qu’une partie un peu automatisée de certaines campagnes qui sont, par contre, des campagnes menées par des êtres humains qui font semblant d’être des robots, qui font semblant d’être d’autres humains. C’est une longue histoire mais grosso modo, derrière, il y a toujours une ferme à clics et quelque part une boîte qui fait du travail à la pièce au Sri Lanka, aux Philippines ou à Madagascar.

Sonia Devillers : Donc on est en train de passer complètement à côté, en fait, du nerf de la guerre ?

Antonio Casilli : Il y a évidemment le risque que la loi soit inefficace, comme d’autres lois qui ont cherché à certifier l’information sur Internet ; je pense à la loi 2007 qui instituait la Haute Autorité de santé et, par la même occasion, le label Health Online pour les sites qui parlaient de santé. Quelques années après on a complètement laissé tomber cette initiative et on risque de se retrouver dans cette situation.
Aec notre loi sur les fake news, on a plutôt le risque de faire le jeu de l’ennemi, si l’ennemi est celui qui cherche à partager la fausse information. Pourquoi ? Parce que si on commence à monter à chaque fois un cas qui passe devant la justice autour d’une fausse information, on réplique la fausse information et donc on crée une deuxième news, une troisième news qui cherchent à déjouer la première, ce qui fait une caisse de résonance énorme et qui fait évidemment le jeu même de cette fausse information qui, je le répète est basée sur la copie, est basée sur la répétition.

Sonia Devillers : Bien sûr. Merci beaucoup Antonio Casilli, parce que voilà des dimensions qu’on a peu entendues dans le débat public et qui, à mon avis, peuvent éclairer la réflexion et les prochaines discussions. Merci beaucoup à vous.

Antonio Casilli : Merci.

Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 9 avril 2019

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Bannière de l'émission

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 9 avril 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Véronique Bonnet - Pierre-Yves Beaudouin - Nadine Le Lirzin - Étienne Gonnu - Isabella Vanni - Frédéric Couchet
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 9 avril 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web préféré, si possible libre, rendez vous sur le site de la radio, cliquez sur « chat » et vous nous retrouverez ainsi sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi avril 2019, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’association c’est april.org, a, p, r, i, l, point org et vous y retrouvez déjà une page consacrée à l’émission avec un certain nombre de liens, de références utiles, les détails sur les pauses musicales et évidemment cette page sera mise à jour après l’émission. Je vous souhaite une excellente écoute.

Nous allons passer maintenant au programme de l’émission du jour. Nous allons commencer dans quelques secondes par la chronique de Véronique Bonnet intitulée « Partager est bon ».
D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur Wikipédia avec nos invités Pierre-Yves Beaudouin président de Wikimédia France et Nadine Le Lirzin secrétaire de Wikimédia France mais avant tout wikipédien et wikipédienne de longue date.
En fin d’émission nous ferons un point sur la directive droit d’auteur, enfin sur la proposition de directive droit d’auteur avec Pierre-Yves Beaudouin toujours de Wikimédia France et Étienne Gonnu de l’April.

Aujourd’hui à la réalisation, pour sa première, ma collègue Isabella Vanni que je salue avec l’aide d’Étienne qui est à côté d’elle actuellement.

Nous allons commencer par la seconde chronique de Véronique Bonnet. Véronique Bonnet est professeur de philosophie, elle est membre du conseil d’administration de l’April. Sa chronique s’intitule « Partager est bon » et pour cette deuxième chronique Véronique va nous commenter un texte de Richard Stallman intitulé « Pourquoi les écoles devraient utiliser exclusivement du logiciel libre ».

Chronique « Partager est bon »

Frédéric Couchet : Aujourd’hui je suis avec Véronique Bonnet. Véronique bonjour.

Véronique Bonnet : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Véronique tu es professeur de philosophie, tu es également membre du conseil d’administration de l’April. Aujourd’hui tu es là pour ta chronique « Partager est bon ». Le thème d’aujourd’hui c’est « Pourquoi les écoles devraient utiliser exclusivement du logiciel libre », un texte signé Richard Stallman.

Véronique Bonnet : En effet. J’avais parlé la dernière fois d’idéalisme pragmatique, c’est-à-dire qu’il y a un idéal du logiciel libre qui est de faire en sorte que tous les utilisateurs, tous les humains, puisque maintenant tous les humains utilisent l’informatique, aient leur autonomie préservée. L’idée de la philosophie GNU c’est d’appliquer ce principe-là d’une émancipation, d’un respect, à différentes occurrences de la société. Là par exemple on va aller, dans ce texte de Richard, de ce principe universel qui est rappelé, le logiciel libre est bien ce qui concerne tous les humains leur donnant la possibilité de contrôler leur propre ordinateur, le logiciel libre donne également aux utilisateurs la liberté de coopérer, de vivre dans la droiture morale.
Ça c’est pour le principe universel et il se trouve qu’il y a des apprentis utilisateurs qui s’appellent les élèves et ce texte leur est donc consacré ; ses raisons s’appliquent aux écoles comme à tout le monde.

Ce que je trouve extrêmement intéressant dans ce texte c’est qu’il y a une graduation des argumentaires. Il s’agit de montrer que s’il n’y a pas de logiciels libres à l’école, il peut y avoir des formes d’abstraction qui sont tout à fait non compréhensibles s’il n’y a pas d’accès au cœur du système qui s’appelle le code source.

Je vais montrer que dans cet argumentaire Richard commence toujours par le moins important. Il va toujours de ce qui est le moins essentiel vers le plus essentiel.

Ce qui à lui paraît le moins essentiel c’est l’argument monétaire, c’est l’argument financier et effectivement on sait à quel point il précise assez régulièrement que free software ne veut pas du tout dire « logiciel gratuit » mais « logiciel libre ». Il se trouve qu’il y a un argument qui est d’ailleurs parfois employé, on tremble que seulement celui-là soit employé, qui est que adopter le logiciel libre dans les écoles permet un gain financier important. Là je cite Richard Stallman : « Le logiciel libre fait économiser de l’argent aux écoles, mais c’est un bénéfice secondaire. Il permet des économies, car il donne aux écoles comme aux autres utilisateurs la liberté de copier et de redistribuer les logiciels. L’Éducation nationale ou tout système éducatif peut en donner des copies à toutes les écoles et chacune peut installer les programmes sur ses ordinateurs sans avoir besoin de payer pour le faire ». Donc je dirai que ce bénéfice est factuel, il est réel. C’est vrai que parfois il compte beaucoup aux yeux de ceux qui administrent les dossiers publics. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison qu’à un moment la gendarmerie a basculé dans le logiciel libre, peut-être que ça permettait d’acheter des véhicules, d’autres ordinateurs sans avoir à chaque fois à payer pour la remise à jour ou pour l’acquisition de logiciels privateurs.

Une fois ce premier argument évoqué, parce qu’il est réel même s’il est secondaire, il va y avoir des arguments qui vont être beaucoup plus forts et beaucoup plus en phase avec l’Éducation nationale puisque éduquer, encore une fois, c’est amener quelqu’un à sortir de ses intérêts particuliers, de ses impulsions immédiates, de ses préjugés, pour aller vers les autres.
Cet argumentaire est présenté sous une forme qui est très ramassée, qui est très efficace, on va vers déjà du plus essentiel, je cite : « Il s’agit ici de faire de la bonne éducation plutôt que de la mauvaise éducation, approfondissons donc la question ». Et là Richard dit que cet argument commence à occuper la première place dans les préoccupations de quelqu’un qui veut vraiment adhérer à l’idéal du logiciel libre.
Si on parle de bonne éducation, c’est parce qu’une éducation qui interdirait certains savoirs, par exemple la compréhension d’un code source, serait ennemie de l’éducation. Là je cite très exactement ce qui est dit dans le texte : « L’école a une mission sociale celle de former les élèves à être citoyens d’une société forte, capable, indépendante, solidaire et libre ». Donc si on veut que cette possibilité de participer à des échanges et à des choix collectifs soit préparée à l’école il va de soi qu’une forme d’éducation qui tournerait le dos à la transparence du code source serait, en effet, une opposition au savoir que l’on cherche. Je cite toujours : « Le savoir que tu recherches est un secret — c’est ce qu’on dit lorsqu’on utilise une informatique non-libre — apprendre est interdit », et dans ce cas-là le logiciel privateur est par essence celui qui entrave le savoir. On est dans ce que Richard Stallman appelle le culte du technologique et je dirais que sur ce point, le travail qui est effectué par la philosophie GNU est dans la lignée d’un certain théoricien qui s’appelle Michel Foucault. Michel Foucault qui dit qu’il y a deux possibilités : soit on fait du savoir un contre-pouvoir, c’est ce que veut tenter le logiciel libre puisqu’on apprend à des citoyens, de futurs citoyens, à ne pas être manipulés ; soit le savoir est la chasse gardée du pouvoir. Et on voit bien que si on va vers des formules qui disent que la technologie est sacrée, qu’elle est réservée à quelques-uns, que seuls quelques-uns peuvent comprendre, là, en effet, on est dans une démarche qui n’est pas éducative, qui ne relève pas de la bonne éducation mais de la mauvaise éducation.

Ceci nous amène au troisième argument qui n’est pas des moindres, encore une fois on va vers des propositions qui sont de plus en plus essentielles. Puisque le logiciel libre permet l’accès au code source, ceci est essentiel certes pour ceux qui ne seront pas informaticiens, pour quiconque sera un citoyen, et je dirais que c’est essentiel aussi pour ceux qui deviendront informaticiens, qui à leur tour écriront du code puisque, en effet, le logiciel libre est propice à la maîtrise du code, à l’innovation, étant donné que lorsque le code source est ouvert, il est certain que les futurs informaticiens pourront être dans des conditions optimales pour construire/déconstruire. Par exemple ils pourront déconstruire par la rétro-ingénierie ce qu’il en est des logiciels privateurs. Là je cite à nouveau Richard : « Les écoles qui utilisent du logiciel libre permettent aux apprentis programmeurs doués de progresser. On apprend à écrire du code bon et clair en lisant beaucoup de code et en écrivant beaucoup de code. Seul le logiciel libre le permet. »

Là c’était le troisième argument. J’en arrive à l’argument essentiel, on devine lequel, puisque le logiciel libre n’est pas simplement une affaire technologique mais une affaire éthique et la raison la plus profonde c’est l’éducation morale ; éducation morale, l’habitude d’aider les autres. Je cite le texte de Richard Stallman : « Apprendre aux élèves à partager des logiciels et ceci dès la maternelle. » C’est-à-dire que là on est bien dans l’idée d’une éducation qui va être tournée vers les autres, qui ne sera pas repliée sur soi et qui va ouvrir à ce que le pragmatisme qui est de courte vue parfois ne comprend pas, qui ouvre à l’autonomie.
Je pense bien sûr aux problématiques contemporaines. Fred je pense que tu partages aussi cette idée que sans relâche chaque fois que nous avons à faire – là, par exemple, le projet de loi sur l’école de la confiance devant le Parlement, donc devant l’Assemblée nationale, n’a pas pu être doté de cet amendement essentiel qui aurait étendu la priorité au logiciel libre de l’enseignement supérieur au lycée et au collège ; maintenant ceci va aller devant le Sénat –, il me semble que sans relâche nous avons à faire usage de ces arguments, du plus léger au plus lourd, celui de la moralité. Économiser de l’argent certes, peut-être qu’il y a des comptables qui sont sensibles à cet argumentaire, pourquoi pas puisqu’il est factuel. Éduquer effectivement, le but c’est d’éduquer, de faire de la bonne éducation. Former des informaticiens qui puissent pratiquer le code en ayant accès au code source et surtout la moralité puisque, et c’est le titre de cette rubrique, « Partager est bon ».

Frédéric Couchet : Eh bien merci Véronique. Évidemment je pense que toutes les personnes qui écoutent partagent ce que tu viens de dire. Je précise que nous enregistrons cette chronique en avril 2019 et que le projet de loi pour une école de la confiance, comme tu l’as expliqué, lors de son examen à l’Assemblée nationale il y avait des amendements visant à introduire la priorité au logiciel libre dans le monde de l’Éducation nationale ; que ces amendements ont été rejetés notamment par le ministre Jean-Michel Blanquer. En termes de calendrier, en avril le projet de loi va être étudié au Sénat et nul doute que les sénateurs et sénatrices vont redéposer un amendement priorité au logiciel libre. Je vais rappeler qu’en 2013 le premier amendement priorité au logiciel libre dans un petit bout de l’Enseignement supérieur et de la Recherche était initialement déposé au Sénat. Donc on va encourager les personnes qui nous écoutent évidemment à contacter les sénateurs et sénatrices et à s’appuyer sur ce texte notamment de Richard Stallman et sur les arguments que tu as cités. Le texte de Richard Stallman c’est « Pourquoi les écoles devraient utiliser exclusivement du logiciel libre ». On va préciser qu’évidemment il faut une phase de transition, c’est pour ça que c’est la notion de priorité au logiciel libre.
Les références sont évidemment sur le site de l’April, sinon vous retrouverez ce texte sur le site gnu.org, donc g, n, u point org.
Je te remercie Véronique pour cette chronique.

Véronique Bonnet : Avec plaisir.

Frédéric Couchet : Dont je rappelle le titre « Partager est bon ». Merci Véronique.

Véronique Bonnet : Très bonne journée.

Frédéric Couchet : Bonne journée.

Vous venez d’écouter la chronique de Véronique Bonnet, professeur de philosophie, membre du conseil d’administration de l’April sur la thématique « Pourquoi les écoles devraient utiliser exclusivement du logiciel libre ». Cette chronique a été enregistrée il y a quelques jours et je disais que bientôt le projet de loi pour une école de la confiance sera examiné au Sénat. Il se trouve que j’ai sous les yeux, ce 9 avril 2019, une petite fenêtre avec Jean-Michel Blanquer, le ministre, qui est auditionné actuellement au Sénat. Donc suivez le site de l’April nous mettrons des références évidemment pour les amendements logiciel libre ou autres, en tout cas des comptes-rendus. Ça va bientôt commencer.

Nous allons faire pause musicale. Nous allons écouter un morceau qui s’appelle Cat Machine de Dag-z et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Cat Machine par Dag-z.

Voix off : Cause Commune 93.1

Wikipédia et la Wikimedia Foundation

Frédéric Couchet : Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. J’espère que vous avez dansé comme nous dans le studio sur ce morceau dont je rappelle qu’il s’appelle Cat Machine, l’artiste c’est Dag-z ; c’est sous licence Art libre et vous retrouvez évidemment la référence sur le site de l’April.

Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur Wikipédia avec nos invités que vous connaissez déjà si vous avez écouté l’émission du 5 mars 2019, car ces personnes étaient déjà présentes : Pierre-Yves Beaudouin, président de Wikimédia France. Bonjour Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : Bonjour Frédéric.

Frédéric Couchet : Et je laisse quelques secondes à Nadine Le Lirzin, secrétaire de Wikimédia France, qui vient de s’installer. Bonjour Nadine.

Nadine Le Lirzin : Bonjour à tous.

Frédéric Couchet : Cette émission, comme je dis, fait suite à la première émission que nous avons diffusée le 5 mars 2019. La référence est sur le site de l’April si vous voulez écouter le podcast ou lire la transcription. L’idée de cette deuxième émission, eh bien certaines personnes qui nous ont écouté nous ont dit : « Wikipédia est quand même un acteur de plus en plus important dans le monde et il faudrait consacrer une deuxième émission pour entrer peut-être un peu plus en détail sur certaines problématiques ou en tout cas questions liées à ce fameux bouton "Modifier" et également aussi sur le fonctionnement interne de l’encyclopédie, les liens entre la fondation Wikimédia, les chapitres locaux et Wikipédia ». C’est pour ça qu’on a de nouveau convié Pierre-Yves Beaudouin et Nadine Le Lirzin qui, en plus d’être Wikimédia France, sont avant tout, comme je l’ai dit en début d’émission, des wikipédien et wikipédienne de très longue date.
On va d’abord faire un tour de table de présentation rapide. Nadine, est-ce que tu peux simplement à nouveau te présenter ? Ce que tu fais dans la vie et ton activité sur Wikipédia ?

Nadine Le Lirzin : Sur Wikipédia je contribue comme n’importe quel contributeur à corriger, à écrire, créer des articles, vérifier, passer derrière les modifications des autres. Je fais ça depuis 2008 et, à un certain moment, je me suis dit j’ai envie de continuer un petit peu plus encore à défendre les projets. Je trouvais que dans le milieu où j’étais, le milieu un peu universitaire, ce genre de chose, ils étaient mal perçus ; c’était il y a plusieurs années, les choses changent heureusement. Donc j’avais envie d’avoir un peu des billes pour défendre de manière théorique un projet que j’aimais déjà de tout mon cœur mais parfois il me manquait des mots pour le défendre, tout simplement. Je suis donc devenue membre de l’association Wikimédia France.

Frédéric Couchet : D’accord.

Nadine Le Lirzin : Voilà. On passe de l’encyclopédie à l’association, mais les deux sont bien deux choses très différentes.

Frédéric Couchet : Nous aurons l’occasion justement de détailler ça et de voir les liens entre les deux choses, les deux structures ou les deux projets. Pierre-Yves Beaudouin.

Pierre-Yves Beaudouin : Quant à moi j’ai commencé en 2004. Mes contributions ont changé au cours du temps. Ces dernières années, quand le temps me le permet, je fais de la photo, de la photo de sport principalement et de cimetières, plus original.

Frédéric Couchet : Justement, rappelle-moi comment s’appellent les gens qui sont fans de cimetières.

Pierre-Yves Beaudouin : Les taphophiles.

Frédéric Couchet : Taphophiles.

Pierre-Yves Beaudouin : Sinon je suis l’actuel président de Wikimédia France. Assez vite je me suis tourné vers les structures du mouvement pour faire connaître ce projet qu’est Wikipédia et ses projets associés. Donc je fais beaucoup de relations publiques, relations presse. Voilà.

Frédéric Couchet : D’accord. On me signale en régie qu’il faudrait que vous parliez un peu plus proches du micro, tous les deux, pour que le son soit parfait. Voilà, c’est signalé.
On va d’abord, même si on a déjà fait une première émission sur le sujet, on va quand même revenir sur certains fondamentaux avant d’aborder de nouveaux sujets et on va d’abord commencer par rappeler les bases. Pour faire plus simple je suis parti des cinq principes fondamentaux. Je vais les lister un par un et vous allez réagir là-dessus pour expliquer un petit peu ce que sont ces cinq principes fondamentaux de manière à ce que les personnes qui nous écoutent comprennent quels sont les principes de base de Wikipédia.
Premier principal fondamental : Wikipédia c’est une encyclopédie. Qu’est-ce que ça veut dire une encyclopédie. Qui commence ? Nadine ? Pierre-Yves ?

Pierre-Yves Beaudouin : Je peux commencer.

Frédéric Couchet : Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : L’idée c’était de rappeler que l’objectif du projet, le but principal est de rédiger une encyclopédie et donc non pas, par exemple, un dictionnaire, non pas un réseau social. Ça permet d’exclure tout un tas de contenus et tout un tas de personnes qui n’ont pas forcément leur place sur ce projet et que tout le monde ait un même but. Voilà un peu ce premier principe fondateur. À noter qu’ils ne sont pas apparus dès la création de Wikipédia ; ils sont apparus en 2005 ; ils ont été imaginés par nos amis anglophones, surtout les Américains je pense et peut-être que le fondateur de Wikipédia, Jimmy Wales, y a participé. Donc il y en a cinq dans la plupart des langues, sauf les Allemands qui ont zappé le cinquième et eux n’en ont que quatre.

Frédéric Couchet : On parlera du cinquième. Je précise que Wikipédia a été créée en 2001, donc quatre ans après il y a eu ces principes fondateurs. Est-ce que tu veux préciser quelque chose sur le premier point Nadine ?

Nadine Le Lirzin : Sur le fait que c’est une encyclopédie ? Oui. Parce qu’en creux ce n’est pas une tribune, ce n’est pas un journal intime. Je pense que ce principe a été posé parce que « encyclopédie libre » donnait cette impression que c’était libre d’y faire n’importe quoi. Tout le monde peut écrire dedans donc on peut aussi écrire n’importe quoi. Il fallait restreindre un peu le sujet.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est en lien d’ailleurs avec le deuxième principe fondamental qui est que Wikipédia recherche la neutralité de point de vue. Qu’est-ce que la neutralité de point de vue ?

Pierre-Yves Beaudouin : C’est un objectif vers lequel les articles doivent tendre ; tous les articles ne respectent pas forcément ce principe, mais l’idée c’est que le rédacteur de l’article ou les rédacteurs et rédactrices des articles ne doivent pas donner leur avis, ne doivent pas laisser transparaître leurs avis, leur militantisme par exemple, dans les articles. En fait le travail d’un encyclopédiste est de vulgariser, de synthétiser le savoir, ne pas le créer lui-même. On ne se substitue aux journalistes et aux chercheurs, notamment, donc il faut synthétiser ce savoir s’il existe et s’il n’existe pas, du coup, Wikipédia ne peut pas traiter le sujet.

Frédéric Couchet : D’accord. Nadine ?

Nadine Le Lirzin : Je trouve que dans l’ensemble les contributeurs au long cours sont tous de bonne foi, essaient tous de respecter cette neutralité au mieux. Ce sont souvent les discussions qui font ressortir la neutralité parce qu’on se confronte aux idées de l’autre et que les problèmes, quand il y en a, viennent de l’extérieur, c’est-à-dire de personnes qui ne viennent contribuer que sur un seul sujet, qui ne sont pas souples, qui sont persuadées de détenir une vérité ou d’avoir autorité sur un sujet.

Frédéric Couchet : Justement on prendra un exemple tout à l’heure, dans la suite de l’émission, pour mieux faire comprendre aux personnes qui nous écoutent comment ça se vit au quotidien.
Troisième point fondamental : Wikipédia est publiée sous licence libre. Ça veut dire quoi Nadine ?

Nadine Le Lirzin : Ça veut dire deux choses : ça veut dire que quand vous publiez quelque chose il faut que ce soit quelque chose qui sorte de vous. Je pensais plus particulièrement aux photos, ça c’est sur Wikimedia Commons : si vous prenez une photo elle est à vous, vous l’avez faite, vous la donnez en licence libre, vous permettez aux gens de s’en resservir, de l’utiliser commercialement ou non, enfin de l’utiliser. Mais licence libre c’est aussi dans les deux sens : c’est-à-dire qu’on ne peut pas faire n’importe quoi, on ne peut pas mettre n’importe quoi sur l’encyclopédie, et en même temps les autres peuvent s’en servir… Je suis en train de m’embrouiller.

Frédéric Couchet : Non tu ne t’embrouilles pas. Tu as bien commencé l’explication, Pierre-Yves va la finir. Déjà rappeler quelle licence libre aujourd’hui, on ne va pas rentrer dans l’historique, est utilisée dans Wikipédia ?

Pierre-Yves Beaudouin : À l'heure actuelle c’est la Creative Commons CC BY SA.

Frédéric Couchet : Donc Partage à l’identique.

Pierre-Yves Beaudouin : Voilà. Ça permet notamment la réutilisation commerciale ou non-commerciale, ça permet la modification, la libre modification et bien sûr la libre diffusion du contenu qu’il y a sur Wikipédia que ce soit texte ou tout ce qui est illustration. C’est un aspect assez important qui permet d’atteindre notre mission, parce que la mission du mouvement Wikimedia est d’apporter la connaissance au maximum de personnes donc ça passe notamment par les licences libres. Nous estimons, en tout cas, que ça passe par ça.

Nadine Le Lirzin : Oui. Par exemple un éditeur qui voudrait reprendre des textes, des parties de textes, d’articles pour les éditer et faire payer ces manuels auprès des écoles, enfin peu importe où, pourrait le faire. Il suffit qu’il cite la source, qu’il dise d’où vient ce texte.

Frédéric Couchet : Exactement. Dans la première émission on avait un peu parlé de l’historique et notamment des premiers projets qui n’avaient pas ce mode de fonctionnement et on va rappeler que c’est dans la suite logique des licences libres du logiciel libre qui dès le départ, effectivement, ont fait par principe une réutilisation-modification sans restriction commerciale, parce qu’on va préciser que dans les licences Creative Commons il y a des licences qui interdisent les réutilisations commerciales. Nous aurons l’occasion bientôt de faire une émission sur ce sujet, je le dis de mémoire, je pense que c’est le 7 juin ou plutôt le 7 mai. C'est le 7 mai, je pense, qu’on va faire une émission justement sur les licences libres, logiciels et contenus.
On avance. Quatrième principe fondamental : c’est un projet collaboratif qui suit des règles de savoir-vivre. On va peut-être en parler un peu plus en détail tout à l’heure mais déjà, en introduction, qu’est-ce que signifie ce principe-là ?

Pierre-Yves Beaudouin : Effectivement, notamment la Wikipédia francophone par exemple ce sont 18 000 contributeurs et contributrices. Donc pour que ce projet collaboratif fonctionne il faut que des règles de savoir-vivre soient respectées comme dans n’importe quelle cité. De temps en temps ou régulièrement la communauté le dit à un rédacteur, même s’il a de bonnes compétences et qu’il est capable de synthétiser le savoir : certains sont incapables de vivre en communauté, de respecter le travail des autres. Donc le principe de Wikipédia ne peut pas fonctionner comme ça parce que ce n’est pas le dernier qui passe sur l’article qui l’emporte. Il faut accepter le travail qui a été fait depuis des années voire quelques générations maintenant. C’est rappeler un principe de base, c’est bon de le rappeler dans nos projets.

Frédéric Couchet : C’est toujours bon de rappeler des principes de savoir-vivre dans les communautés. Nadine tu souhaites ajouter quelque chose sur ce point-là ?

Nadine Le Lirzin : Non, ça parle de soi.

Frédéric Couchet : Ça parle de soi.

Nadine Le Lirzin : Le savoir-vivre ! Ça semble tellement évident !

Frédéric Couchet : Ça semble tellement évident, mais on verra peut-être dans les exemples, tout à l’heure, que ce n’est pas forcément évident et pour toutes les personnes qui agissent dans des communautés humaines on sait que des fois le savoir-vivre n’est pas forcément partagé et des fois il y a des comportements dont il faut tenir compte ; les gens n’ont pas forcément les mêmes.
Dernier point. Tu disais que la Wikimédia allemande ne suivait pas ce dernier point. Je vais rappeler ce dernier point fondamental : « Wikipédia n’a pas d’autre règle fixe que les cinq principes fondateurs énoncés ici. N’hésitez pas à être audacieux et audacieuse dans vos contributions puisque l’un des avantages de pouvoir modifier Wikipédia est que tout n’a pas a être parfait du premier coup ». Nadine l’avait bien expliqué dans la première émission, donc je te laisse éventuellement commenter ce cinquième point.

Nadine Le Lirzin : C’est surtout la deuxième partie qui est intéressante, c’est « allez-y n’hésitez pas il y a un bouton "Modifier" mais en même temps il y a aussi le bouton qui dit "révoquer la modification" ».

Frédéric Couchet : Revenir en arrière.

Nadine Le Lirzin : Revenir dans l’historique à la version juste précédente. Quant à dire qu’il n’y a pas de règles, c’est peut-être un peu abusif parce qu’en fait il y a tellement de recommandations qu’à force elles forment un tissu .

Frédéric Couchet : Un corpus de règles.

Nadine Le Lirzin : Oui. Mais quand même, ce ne sont pas des principes ; on va dire qu’elles restent modifiables, améliorables.

Frédéric Couchet : D’accord. Peut-être qu’on a l’occasion d’en discuter dans les exemples concrets. Pierre-Yves, est-ce que tu veux rajouter quelque chose sur ce point-là ?

Pierre-Yves Beaudouin : Celui-là est assez important. Ça permet que les gens n’aient pas peur de la somme des règles, ne pensent pas qu’il faille tout lire d’un seul coup avant de contribuer : il faut sauter dans le bain et puis, petit à petit, découvrir les us et coutumes et lire les autres règles.

Frédéric Couchet : OK. Ça ce sont donc les cinq principes fondamentaux. On va maintenant arriver sur un deuxième sujet, le fameux bouton « Modifier » dont on a évoqué la dernière fois la puissance, les premières étapes : ne pas créer forcément une nouvelle page mais plutôt contribuer à des pages déjà existantes. Suite à l’émission on a eu des retours avec des questions : comment ça se passe en pratique et notamment comment se traitent, par exemple, des différences, des différents points de vue ou en tout cas des modifications qui peuvent être concurrentes ? Une autre question qui est venue aussi : à partir de quand devient-on un wikipédien ou une wikipédienne ? Est-ce qu’il y a différents statuts ? C’est-à-dire est-ce qu’à partir du moment où on modifie une page on est de facto membre de cette communauté-là ou est-ce qu’il y a des « grades », entre guillemets, en fonction du nombre de pages modifiées ? Et puis on parlera aussi de deux sujets que j’annonce tout de suite comme ça vous le savez : le principe de la guerre d’édition, justement quand on arrive à une problématique assez importante et le deuxième on prendra un exemple sur un sujet très important que sont les biais de genre, qui n’est pas lié du tout à Wikipédia mais qui existe. Ça me permettra de donner un exemple justement sur le projet récent, je ne sais pas si c’est un projet mais en tout cas le matrimoine par rapport patrimoine et comment on gère à la fois des gens qui viennent de l’extérieur avec des ambitions qui sont peut-être différentes de celles d’une encyclopédie et comment on gère ça au niveau de la communauté.
Déjà on va dire premier thème général, ce fameux bouton « Modifier ». Donc on met de côté les modifications évidentes qui seraient une correction grammaticale ou mineure de vocabulaire, mais comment ça se passe quand, sur une même page, il y a deux modifications qui pourraient être concurrentes avec deux points de vue qui s’expriment, en tout cas deux idées qui sont mises en avant. Comment ça se passe concrètement ?

Pierre-Yves Beaudouin : Concrètement une discussion s’engage, enfin dans le cas qui se passe le mieux, on va partir de celui-là, donc une discussion dans la page de discussion, il y a un onglet.

Frédéric Couchet : Ça c’est la page de discussion, c’est le troisième onglet sur la page.

Pierre-Yves Beaudouin : Dans chaque article de l’encyclopédie. Chaque partie doit justifier son avis en apportant des sources de qualité, des sources fiables. Plus le sujet va être polémique et plus le sujet va être abondamment traité notamment par le milieu académique plus on va exiger des sources universitaires. Si c’est un sujet un peu plus léger, là ça peut être des sources journalistiques. Voilà. Une discussion se fait et ils doivent se mettre d’accord, il doit y avoir ce qu’on appelle un consensus. Sur Wikipédia il n’y a pas de vote à la majorité, une fois que 51 % est pour hop ! on met cette modification. Ils doivent absolument se mettre d’accord parce qu’il n’y a pas de comité éditorial sur Wikipédia donc personne ne tranche sur le fond, c’est vraiment la communauté, donc les rédacteurs qui s’intéressent à cette thématique qui décident quelle orientation doit prendre l’article, tout cela basé sur des sources déjà existantes.
Après ça peut aussi dériver dans des conflits d’édition, des guerres d’édition. Là ce sont des gens, en fait, qui ne discutent pas mais qui essayent d’imposer leur version de l’article un peu par la force. Donc le moyen de le régler c’est que souvent ces gens-là sont interdits de rédiger, de modifier l’article.

Frédéric Couchet : Sont interdits par qui, en fait ?

Pierre-Yves Beaudouin : Il y a quelques personnes dans les communautés qui ont le statut d’administrateur, sisop, en anglais system operator, qui peuvent protéger en lecture les articles.

Frédéric Couchet : En écriture.

Pierre-Yves Beaudouin : En écriture, pardon ! Souvent, quand il y a des guerres d’édition, ça conduit en fait à figer l’article sur une version. Souvent la deuxième partie, une des parties dit que c’est la mauvaise version, bien évidemment. Donc pour les obliger un peu à discuter. Sinon les administrateurs peuvent aussi bloquer en écriture des comptes pendant quelque temps si ces personnes font vraiment le bazar sur Wikipédia.

Frédéric Couchet : D’accord. Avant que Nadine intervienne sur ce sujet qui est évidemment essentiel, je précise que les administrateurs ou administratrices sont des membres de la communauté Wikipédia et ne sont pas forcément membres des chapters, des chapitres locaux. Tout à l’heure on parlera des chapitres, là on parle vraiment de la communauté Wikipédia. C’est important de le préciser.

Nadine Le Lirzin : Très important.

Frédéric Couchet : Parce que des gens peuvent se dire que finalement en France ce serait Wikimédia France qui pourrait prendre ce rôle d’administrateur ; pas du tout ! Nadine.

Nadine Le Lirzin : Surtout pas ! Wikimédia France est une association loi 1901 qui défend la diffusion de la culture libre et qui la défend notamment à travers les projets Wikimédia donc Wikipédia en premier. Mais c’est tout. On poursuit peut-être les mêmes buts au final mais par d’autres moyens. Rien à voir avec l’éditorial. On n’a vraiment rien, rien à dire sur ce qui se passe sur l’encyclopédie. Simplement, autant Pierre-Yves que moi sommes tous les deux contributeurs depuis pas mal d’année, donc là, en ce moment, on est en train de vous parler en tant contributeurs, en tant que membres de cette communauté wikipédienne.

Frédéric Couchet : D’ailleurs quand je vous ai réinvités, tu as bien insisté sur le fait que tu voulais intervenir en tant que wikipédienne contributrice, et non pas en tant que Wikimédia France.

Nadine Le Lirzin : Surtout pas ! Tout ce qu’on vient de vous dire en fait. Pour être tout à fait – ce n’est pas optimiste d’ailleurs, c’est réaliste – on est membre de la communauté à la première virgule. Si on est de bonne volonté, on arrive sur un sujet, même si on n’est pas d’accord et qu’on vient défendre un point de vue qui n’est pas encore défendu dans l’article, même sur un sujet polémique, on est déjà membre de la communauté. Si on va déjà sur la page de discussion pour amener des sources et pour dire « mais si, quand même ».

Frédéric Couchet : Je te fais juste un petit signe pour les bagues.

Nadine Le Lirzin : Les bagues qui font du bruit dans le micro.

Frédéric Couchet : Qui risquent… Donc c’est aussi important à préciser, c’est que même sans avoir utilisé le bouton « Modifier » mais en utilisant l’onglet « Discussion » c’est-à-dire en apportant, ce qui le point essentiel, des sources, selon toi on fait déjà partie de cette communauté de wikipédiens et de wikipédiennes ?

Nadine Le Lirzin : Oui, si on est de bonne volonté pour l’améliorer, pour ajouter quelque chose. On commence à discuter par exemple sans encore avoir fait de modification dans l’article lui-même, mais c’est déjà modifié parce que pour discuter il faut déjà cliquer sur un bouton « Modifier » ; c’est un wiki.

Frédéric Couchet : Il faut se créer un compte pour le bouton « Discussion ». C’est ça ?

Nadine Le Lirzin : On pourrait le faire sous IP, on n’est pas obligé d’avoir un compte.

Frédéric Couchet : Sous IP, adresse IP, c’est-à-dire l’adresse internet de la personne de la personne qui se connecte.

Nadine Le Lirzin : Voilà. C’est le numéro qui correspond à l’ordinateur depuis lequel vous travaillez et qui se met automatiquement. C’est une série un petit peu longuette. Dans les discussions c’est assez difficile de parler avec des IP parce qu’on oublie les numéros et on ne sait plus à qui on parle.

Frédéric Couchet : Il vaut mieux parler avec des pseudos, c’est quand même beaucoup plus simple, c’est plus sûr.

Nadine Le Lirzin : Oui, c’est plus simple, on est plus habitué, disons ; moi je suis un peu fâchée avec les chiffres, en plus. Autre chose : quand Pierre-Yves dit que les administrateurs peuvent bloquer la page, l’interdire en écriture, ce n’est pas de leur propre chef.

Frédéric Couchet : Comment ça se passe ?

Nadine Le Lirzin : C’est-à-dire que souvent ce sont les gens qui discutent…

Frédéric Couchet : Qui sollicitent les administrateurs, administratrices.

Nadine Le Lirzin : Qui voient que ça devient infernal, c’est-à-dire que l’article passe d’un moment à un autre, ils commencent à tirailler de tous les côtés : c’est quand les gens ne respectent plus la règle de la discussion et du savoir-vivre que les administrateurs interviennent. Finalement les administrateurs ne sont pas plus malins que les autres, souvent ils ne connaissent pas du tout le sujet d’ailleurs, ils ne se mêlent pas de l’éditorial. C’est aussi pour ça qu’ils peuvent bloquer un article sur une mauvaise version ; ça peut arriver, après ça se résout assez rapidement.

Frédéric Couchet : En fait leur action c’est d’essayer que ces personnes discutent à nouveau et arrivent à un consensus. C’est important.

Nadine Le Lirzin : Exactement. Leur rôle c’est d’intervenir quand le savoir-vivre est débordé. Parce qu’on peut s’énerver aussi, le savoir-vivre, des fois…

Frédéric Couchet : Oui, des fois on peut être fatigué.

Nadine Le Lirzin : On le perd un petit peu et on le retrouve. On va faire un tour et on revient, ça va mieux et si tout le monde est de bonne volonté on y arrive à nouveau. Mais parfois il faut que les administrateurs interviennent parce qu’on ne veut pas aller prendre l’air !

Frédéric Couchet : Avant de redonner la parole à Pierre-Yves peut-être sur ce sujet, je vais préciser que sur Wikipédia vous avez une page qui s’appelle « Guerre d’édition » qui est relativement courte, qui vous permet de comprendre en détail comment ça se passe. Il y a un schéma qui explique avec des petites flèches comment se passe effectivement une guerre d’édition, comment on passe d’un ancien consensus à une guerre d’édition et comment on retrouve un nouveau consensus à la fin, grâce à l’intervention des personnes qui ont un rôle, un statut d’administrateur, administratrice, mais dont le but, comme le dit Nadine, c’est de rétablir justement la discussion pour retrouver un nouveau consensus. Est-ce que tu voulais ajouter quelque chose sur ce point-là avant qu’on aborde le sujet matrimoine-patrimoine, Pierre-Yves ?

Pierre-Yves Beaudouin : Je rappellerais qu’on peut considérer Wikipédia comme un bien commun, donc même si dans les faits il y a des wikipédiens et des non-wikipédiens, pour moi, en fait, tous les internautes sont potentiellement des wikipédiens ; il n’y a pas de frontières. Je rajouterais, en plus des rédacteurs de l’encyclopédie et de ceux qui laissent des messages en discussion, les donateurs et après, même potentiellement, c’est une partie de l’Internet, donc tour à tour des internautes peuvent venir contribuer à Wikipédia et d’autres pas encore. Il n’y a pas de frontières ; c’est ce qu’on essaie d’estomper au sein de Wikimédia France : tout le monde peut participer et devrait participer, nous l’estimons, même si dans les faits on est bien obligé de parler, de dire…

Nadine Le Lirzin : Tout le monde ne contribue pas ! Dans les faits, oui. Mais quand quelqu’un vous dit : « J’ai trouvé une erreur sur tel article, vous voyez, cette encyclopédie n’est pas fiable ! », vous pouvez aussi lui répondre « pourquoi n’avoir pas corrigé ? »

Frédéric Couchet : Effectivement. Je crois qu’on avait parlé dans la première émission sur la difficulté de cliquer sur ce bouton « Modifier » ; c’est toujours compliqué.

On ne va pas passer tout de suite au sujet matrimoine parce qu’on va faire une petite pause musicale vu que le temps avance. On discute, le temps avance et on va rentrer sur un deuxième sujet, enfin toujours le même sujet mais sur un point d’exemple particulier relativement récent. D’abord on va faire une pause musicale. L’album s’appelle Strung Back Around [dragonchaser, NdT] de Fog Lake et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Strung Back Around par Fog Lake.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Strung Back Around de l’album dragonchaser de l’artiste Fog Lake. C’est sous licence Creative Commons BY, c’est-à-dire uniquement Attribution et évidement les références sont sur le site de l’April.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm ; c’est l’émission Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Aujourd’hui on ne parle pas de logiciels libres, mais on parle d’un autre sujet tout à fait important qui est la connaissance libre avec Wikipédia, toujours avec Pierre-Yves Beaudouin et Nadine Le Lirzin qui sont wikipédien et wikipédienne de longue date, donc qui contribuent à l’encyclopédie.

Avant la pause musicale nous parlions de guerre d’édition qui est un terme consacré sur Wikipédia. On va continuer sur un exemple : comment gérer les contributions sur Wikipédia avec notamment aussi la question des biais de genre dans les projets de l’encyclopédie. Je n’ai pas ça les statistiques en tête, peut-être que Pierre-Yves les a, par exemple sur le nombre de pages de personnalités féminines versus personnalités masculines. Récemment, c’était en septembre 2018, il y a eu le projet, je ne sais pas si c’est un projet, mais vous nous expliquerez ça plus en détail Pierre-Yves et Nadine, donc à l’occasion des Journées du patrimoine il y a eu des ateliers « pour faire vivre — je lis le texte — des textes d’autrices sur Wikipédia, mais aussi pour abonder les pages consacrées aux femmes dans la grande encyclopédie en ligne » et l’article que je lis, je ne sais plus quelle est la référence, je n’ai pas noté la référence, « ce sont des initiatives féministes dans un contexte difficile au sein de la communauté des wikipédiens. »
Pierre-Yves est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu ce qu’était ce projet et concrètement quels ont été les points qui ont posé peut-être problème ou au contraire les points qui ont été très positifs dans ce projet ?

Pierre-Yves Beaudouin : Le conflit qu’il y a eu en septembre dernier portait sur une catégorie. Les articles de Wikipédia, en fait, sont classés sous forme de catégories et n’ont pas de tags comme on a l’habitude de le voir sur le reste de l’Internet. C’est surtout utilisé par les rédacteurs de l’encyclopédie pour qu’ils puissent s’y retrouver. À ma connaissance aucun lecteur ne m’a jamais dit qu’il utilisait les catégories, qu’il les voyait, c’est tout en bas des articles. Malheureusement il y a eu un conflit. En fait des personnes avaient créé la catégorie « matrimoine », qui est un concept assez récent, pour se démarquer des Journées du patrimoine comme tu l’as rappelé.

Frédéric Couchet : Parce que le terme « patrimoine », au final souligne en fait le « talent » entre guillemets de grands hommes et oublie les femmes. C’est pour ça que ce mot de « matrimoine » a été créé.

Pierre-Yves Beaudouin : Voilà ! C’était tout un tas d’œuvres, d’œuvres architecturales, de statues qu’il y a dans la ville, qui ont été réalisées, en fait, par des femmes et qu’on aurait pu regrouper dans cette catégorie « matrimoine ».
Il y a eu un désaccord. Une discussion s’est enclenchée et elle a conclu à la suppression de la catégorie parce que, comme c’est un concept récent, il n’y a pas encore assez de références, assez de sources qui attestent de l’utilisation de ce terme.

Frédéric Couchet : Donc la suppression, pour revenir à la discussion de tout à l’heure, c’est le consensus établi par les personnes qui contribuent à l’encyclopédie. C’est ça ?

Pierre-Yves Beaudouin : Voilà. Il faut bien distinguer : à ma connaissance il y a un article consacré au matrimoine, à ce terme, celui-là n’a pas été supprimé, c’est vraiment juste une catégorie. Je peux comprendre que ça ait heurté des gens. Après je leur donnerais quand même comme conseil — comme c’est juste une catégorie, de mon point de vue ce n’est pas très utile pour l’encyclopédie et surtout pour le grand public — qu'il faut un peu hiérarchiser, choisir ses combats et je pense que là ce n’est pas très important de rester focalisés sur cette catégorie. Par contre, régulièrement il y a des articles consacrés aux femmes qui sont aussi supprimés ou en tout cas il y a des discussions. Là c’est plus important parce que c’est beaucoup plus visible sur Internet.

Frédéric Couchet : Oui. Plutôt que de se battre sur la catégorie, il faut se battre sur les autres articles ; peut-être que Nadine va réagir aussi là-dessus. Justement quand on parle de ce savoir-vivre qui est l’un des principes fondamentaux, comment ça se gère quand on a d’un côté, quelque part, une communauté de personnes qui contribuent depuis de longue date à l’encyclopédie en se basant sur des sources et puis de l’autre des personnes qui défendent quelque chose qui est important, mais qui, quelque part effectivement, arrivent sur un projet sans peut-être aborder la discussion avec les règles, justement, que ce projet connaît depuis des années.

Nadine Le Lirzin : Si ce sont des personnes qui arrivent uniquement sur ce sujet, qui ne contribuent à rien d’autre, qui n’ont jamais contribué à rien d’autre, c’est vrai que c’est un peu suspect, ça fait un petit peu forcing. Il faut un petit minimum de contributions, tout de même, pour donner son avis dans les pages de discussion. Cette catégorie avait été proposée à la suppression, donc la discussion s’est faite sur une page particulière, qui a été ouverte pour l’occasion, qui était « Proposition de suppression de cette catégorie » et ensuite les gens discutaient et essayaient de donner leurs arguments là-dessus.
Je l’ai lue un petit peu, cette page, il y avait des arguments des deux côtés, je ne vais pas entrer dans les détails, mais je dirais que les arguments pour supprimer l’ont un peu emporté. Je pense que dans quelques années c’est peut-être quelque chose qu’on pourra recréer, par exemple. C’est possible, mais pour l’instant c’est encore un néologisme, c’est encore trop récent, c’est encore… Même si c’est la reprise d’un mot, le mot matrimoine existait déjà bien évidemment, il n’a pas été inventé pour l’occasion, mais disons qu’on le trouve dans cette acception particulière de concurrent à patrimoine depuis peut-être le début des années 2000.

Frédéric Couchet : D’accord.

Nadine Le Lirzin : Personnellement j’aimerais bien un mot qui ferait pour les deux, par exemple.

Frédéric Couchet : Qui ferait pour les deux. D’accord.
On a abordé ce sujet parce que ça permet de montrer un peu dans la pratique comment les contributions se passent, pas simplement sur les articles mais aussi sur les catégories, parce qu’en l’occurrence c’était sur les catégories. Ça permet aussi de donner l’occasion de parler des sans pagEs ; je ne sais pas si c’est une association ou simplement un projet qui vise à nourrir l’histoire de l’apport des femmes. Dans ce cadre-là, donc c’est une fois par mois je crois, tu vas me confirmer après Pierre-Yves, il y a un atelier Les sans pagEs qui se passe à Paris et sans doute dans d’autres villes, qui vise à aider à contribuer sur des pages effectivement consacrées à l’apport des femmes dans l’histoire. Est-ce que c’est ça ?

Pierre-Yves Beaudouin : Oui, tout à fait. C’est une association que Wikimédia France soutient, qui existe depuis quelques années et dont l’objectif est de lutter contre le biais de genre. On a réalisé qu’il y avait un biais de genre assez important sur Wikipédia, qui prenait deux formes, que ce soit au sein des communautés, les communautés sont essentiellement masculines ; on n’a pas les chiffres exacts parce qu’on demande très peu d’informations personnelles au moment de l’inscription, mais des chercheurs ont fait des sondages et estiment au maximum à 20 % de femmes qui contribuent à Wikipédia. Pareil pour les articles, c’est un peu plus naturel parce qu’on sait que l’histoire de France, par exemple, est surtout orientée sur les hommes. À l’heure actuelle la Wikipédia francophone a un peu moins de 18 % de biographies consacrées aux femmes.

Frédéric Couchet : D’accord. Je précise que le prochain atelier à Paris c’est le 25 mai à la Gaîté lyrique ; évidemment il y a sans doute des ateliers dans d’autres villes ; c’est une fois par mois donc n’hésitez pas à venir, il suffit de venir avec votre volonté pour vouloir contribuer. Est-ce qu’il faut amener un ordinateur ou est-ce qu’il y a des ordinateurs sur place, à la Gaîté lyrique ?

Pierre-Yves Beaudouin : À la Gaîté lyrique je crois qu’il y a quelques ordinateurs.

Frédéric Couchet : Si vous avez un ordinateur portable venez avec et sinon il y aura sans doute des ordinateurs disponibles là-bas. C’est important de montrer aussi les projets qui sont faits dans ce cadre-là pour corriger effectivement ce que tu appelles les biais de genre.
Tout à l’heure dans l’introduction et même dans la première émission on a cité d’autres projets de la galaxie Wikipédia. Peut-être en citer deux autres qui vous paraissent vraiment importants parce que aujourd’hui, pour la plupart des gens, Wikipédia c’est wikipedia.org ou point fr, mais il y a une dizaine d’autres projets. On a cité Commons tout à l’heure. Est-ce qu’il y aurait deux projets que vous voudriez mettre en valeur ? Un chacun ; on va commencer par Nadine.

Nadine Le Lirzin : Par exemple le Wiktionnaire.

Frédéric Couchet : Qu’est-ce c'est que le Wiktionnaire ?

Nadine Le Lirzin : C’est un dictionnaire sur wiki, c’est un wiki dictionnaire en fait. Lui pourrait prendre « matrimoine », par exemple, parce que lui pourrait accepter, il y est peut-être d’ailleurs, je n’ai pas vérifié.

Frédéric Couchet : On va demander à la régie de vérifier.

Nadine Le Lirzin : Le terme « matrimoine » pourrait très bien y être même en tant que néologisme, même avec cette nouvelle acception. Le Wiktionnaire enregistre, ne porte pas de jugement, n’est pas une encyclopédie, lui c’est un dictionnaire, son principe c’est ça, c’est un dictionnaire. C’est une petite communauté, très active, et qui fait des choses assez formidables. Pierre-Yves pourrait peut-être préciser quelque chose : actuellement il y a un projet qui est lié au Wiktionnaire, je pense à Lingua Libre.

Frédéric Couchet : Lingua Libre, c’est ça ?

Nadine Le Lirzin : Il connaît mieux que moi.

Pierre-Yves Beaudouin : Oui. C’est ça. C’est un projet initié par Google, dont l’objectif est d’enregistrer des mots de vocabulaire sous fichier audio, en français et aussi dans tout un tas de langues. Je crois qu’à l’heure actuelle ils en sont à 90 000 mots enregistrés dans une quarantaine de langues si je ne me trompe pas. C’est un projet assez récent, en tout cas la version bêta est sortie il y a quelques mois ou une petite année. L’outil permet d’enregistrer à l’heure un petit millier de mots donc c’est très rapide. L’idée c’est on lit sur ordinateur une liste de mots et après l’outil va détecter les pauses qu’on fait naturellement, donc découper les fichiers et les importer directement sur la médiathèque. Ces enregistrements permettent aussi d’illustrer de manière sonore le dictionnaire.

Frédéric Couchet : D’accord. Superbe. La régie très réactive précise que « matrimoine » est effectivement dans le Wiktionnaire. Le site wiktionnaire c’est wiktionary.org, donc c’est w, i, k, t, i, o, n, a, r, y point org.
Deuxième projet peut-être à citer rapidement c’est Commons, on en a déjà parlé dans la première émission, mais est-ce que tu peux nous présenter à nouveau Commons rapidement Pierre-Yves ?

Pierre-Yves Beaudouin : Wikimedia Commons c’est la médiathèque, notamment toutes les illustrations que vous voyez dans Wikipédia, en tout cas quasiment toutes, sont sous licence libre et donc peuvent aller sur Wikimedia Commons, parce que sur Wikipédia il y a quelques exemptions au droit d’auteur, donc il n’y a pas forcément que des fichiers libres. On a voulu du coup faire un projet frère, Wikimedia Commons, qui là est totalement libre ; soit ce sont des fichiers dans le domaine public, soit ce sont des fichiers sous licence libre. Il y a principalement des photos, mais on trouve aussi un peu de cartes, de vidéos. Le millionième enregistrement sonore vient d’être téléchargé il y a une semaine, par exemple. C’est notamment très utilisé pour les exposés, pour illustrer les exposés en école primaire.

Frédéric Couchet : On en parlait avant l’émission. On encourage évidemment les personnes qui font des exposés ou simplement qui font des articles et qui cherchent des illustrations, plutôt que d’utiliser un moteur de recherche pour aller piocher des images on ne sait trop où et dont on ne connaît pas forcément les droits de réutilisation, plutôt d’aller sur Commons. Le site web c’est commons.wikimedia.org ?

Pierre-Yves Beaudouin : Oui.

Frédéric Couchet : Et là vous trouvez des ressources que vous pouvez légalement réutiliser pour vos exposés, pour vos articles, pour vos conférences. Aujourd’hui quand des gens font des conférences on est sorti de cette maladie de ne mettre que des listes à points, il y a des gens qui font des conférences uniquement avec des images, donc vous pouvez trouver des images sur Commons.
Évidemment il y a beaucoup d’autres projets que vous retrouvez sur wikimedia.org ; il y a une liste de l’ensemble des projets.
Justement, là on a parlé un peu des projets Wikipédia, maintenant on va parler un peu de la Fondation Wikimédia et également des chapitres locaux et du chapitre français pour expliquer quel est le rôle de ces chapitres. Là vous allez reprendre un moment vos casquettes, chapeaux, ce que vous voulez, de Wikimédia France. On va d’abord rappeler qu’à l’origine il y a une fondation américaine Wikimedia et il y a des, en anglais c’est chapters, je suppose que la traduction officielle c’est « chapitres » locaux dans chaque pays, donc évidemment en France c’est Wikimédia France dont Pierre-Yves est président et Nadine est secrétaire. Première question sur la fondation américaine mais aussi sur les chapters locaux : comment est financée cette fondation et à quoi sert l’argent ? Si les contributions sont faites par les personnes, finalement à quoi sert de l’argent ?

Pierre-Yves Beaudouin : Le gros de l’argent qui est collecté par les bandeaux qu’on voit s’afficher en fin d’année sur Wikipédia, en fait cet argent est mis dans un pot commun et chaque organisation du mouvement fait un appel à projets, une demande de subvention, même la fondation Wikimedia fait sa demande de subvention, Wikimédia France la fait aussi. Ça permet de redistribuer cet argent qui est collecté par le biais des bandeaux de Wikipédia. À l’heure actuelle le mouvement a un budget de 100 millions de dollars.

Frédéric Couchet : Donc sur le monde entier.

Pierre-Yves Beaudouin : Oui.

Frédéric Couchet : D’accord.

Pierre-Yves Beaudouin : Une grande partie va à la fondation américaine parce que c’est la principale organisation en termes de salariés : elle a un peu plus de 300 salariés à l’heure actuelle. Dans le monde il doit y avoir moins de 500 salariés qui bossent pour Wikipédia et les projets frères. Donc grosso modo c’est 300 à la fondation américaine. Après il y a Wikimedia Deutschland, le chapitre allemand qui est très gros parce qu’il a 100 salariés et un budget de 10 millions.

Frédéric Couchet : Ah Oui ! Comment ça se fait ? Les gens de là-bas sont des donateurs importants ?

Pierre-Yves Beaudouin : Historiquement Wikimédia France et Wikimedia Deutschland se sont créées à quelques mois d’intervalle, en 2004 ; très vite Wikimedia Deutschland a pris un sentier de croissance beaucoup plus rapide que Wikimédia France. Ensuite elle s'est spécialisés sur le développement informatique : une grande partie, je crois 80 % de son effectif doit être consacré aux logiciels et c’est vrai qu’elle a aussi beaucoup de membres, elle a 70 000 membres. Voilà ! Tout est gigantesque en Allemagne.

Frédéric Couchet : On reviendra tout à l’heure sur l’Allemagne quand on parlera de la directive droit d’auteur. Est-ce que sur cette partie financement tu veux rajouter quelque chose Nadine ?

Nadine Le Lirzin : Non.

Frédéric Couchet : Non pas du tout. La fondation américaine gère aussi, je suppose, beaucoup l’infrastructure c’est-à-dire les serveurs et sans doute aussi les développements sur les différents outils, parce qu’on rappelle qu'il y a quand même des outils comme le logiciel derrière qui est un wiki qui s’appelle…

Pierre-Yves Beaudouin : MediaWiki.

Frédéric Couchet : MediaWiki. Entre Wikipédia, Wikimédia, MediaWiki des fois… Donc je suppose que la fondation gère beaucoup.

Pierre-Yves Beaudouin : Oui, c’est le principal rôle de la fondation même si, en tant que bénévole, on peut participer au développement du logiciel, mais elle assure l’hébergement et le développement de MediaWiki.

Frédéric Couchet : D’accord. Il y a les chapitres locaux, donc en France il y a un chapitre local qui est Wikimédia France qui existe depuis quand ?

Pierre-Yves Beaudouin : 2004.

Frédéric Couchet : 2004. Combien vous êtes à Wikimédia France ? Il y a évidemment l’équipe conseil d’administration, bénévoles, il y a une équipe salariée. Quels sont les projets de Wikimédia France ? Nadine.

Nadine Le Lirzin : Actuellement on a huit salariés, un conseil d’administration d’une douzaine d’administrateurs, administratrices. Les projets, je ne sais par où commencer, par exemple on est en train de préparer une résidence pour un wikipédien aux archives départementales de l’Hérault.

Frédéric Couchet : Et il y en a aussi un aux Archives nationales à Pierrefitte.

Nadine Le Lirzin : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Dans la première émission on en avait parlé, j’avais situé ça à Saint-Denis mais en fait c’est à Pierrefitte.

Nadine Le Lirzin : Tout à fait. Il y a quelques années on a aussi eu un wikipédien en résidence au château de Versailles. C’était très intéressant.

Frédéric Couchet : Justement c’est un bon exemple. Quel est le rôle de cette personne dans une structure publique ?

Nadine Le Lirzin : Ce wikipédien va aider la structure à se servir de cet outil merveilleux de diffusion qu’est une encyclopédie comme Wikipédia. Les services publics, dont la mission principale est de rendre service au public, finalement n’ont pas toujours les moyens et ils ont cet outil formidable qu’est l’encyclopédie, ils ont cet outil formidable qu’est Wikimedia Commons, le dépôt de photos, de vidéos, etc., mais ils ne savent pas s’en servir. Ils ont des merveilles et ils ne savent pas, finalement, comment les faire connaître, les mettre à disposition du public. Donc nous on les aide de cette manière-là : le wikipédien ou la wikipédienne qui est en résidence à l’intérieur va les former à déposer des textes sur Wikisource, des sources sur les articles, éventuellement créer des articles sur des œuvres d’art, suivant l’endroit où on est, et éventuellement des photos. Par exemple il y a eu des photos quand ça s’est fait à Versailles. Leur apprendre à contribuer principalement c’est ça, finalement. Et quand le wikipédien est parti avoir une équipe qui elle-même peut transmettre, peut poursuivre.

Frédéric Couchet : Peut poursuivre le travail parce qu’elle a été formée.

Nadine Le Lirzin : Exactement. C’est le but. C’est ce qu’on essaie de faire.

Frédéric Couchet : D’accord. Et dans les autres projets de Wikimédia, est-ce que tu veux en mettre en valeur Pierre-Yves ?

Pierre-Yves Beaudouin : Un autre volet important ce sont tous les projets à destination de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et la Recherche, notamment grâce à deux partenaires que sont le CLEMI [Centre de liaison de l’enseignement et des médias d'information] et la fondation AFMI [Associés pour la Formation aux Métiers de l'Image] qui nous accompagnent là-dessus. Nos actions se déclinent sous différents projets. On a notamment un MOOC, c’est en cours en ligne qui permet de se former à Wikipédia. À l’heure actuelle il existe en français et les versions en langue arabe et en berbère sont en cours de construction.
Il y a aussi nos projets qui se déclinent sous forme de Wikiconcours lycéens. L’idée c’est de former, d’utiliser Wikipédia qui est un peu l’outil sexy, qui permet d’intéresser les jeunes, lycéens, à les sensibiliser à l’éducation aux médias et à l’information, les fameuses fake news comme on dit depuis quelques années, mais en fait nous on travaille là-dessus depuis pas mal d’années avec les lycées.

Frédéric Couchet : Et vous, vous travaillez beaucoup plus sérieusement que certains politiques qui annoncent combattre les fake news tout en en produisant eux-mêmes ! Je ne ferai aucune référence précise, mais je pense que les gens comprendront. Vas-y.

Pierre-Yves Beaudouin : Ça va jusqu’au doctorat. Par exemple à Lille on forme régulièrement les doctorants de l’université de Lille à l’utilisation de Wikipédia, notamment afin qu’ils rédigent des articles sur leurs spécialités. Donc voilà un axe assez important.
Je donnerai aussi un autre axe qu’on est en train de développer dans notre nouveau plan d’action, c’est la diversité ; on veut, en fait, diversifier les communautés qui contribuent à Wikipédia parce que même si tout le monde, sur le papier, peut contribuer à Wikipédia on observe des biais, comme on l’a expliqué tout à l’heure, outre le biais de genre. En fait on essaie de recruter des rédacteurs et des bénévoles en Outremer, en France ultramarine et aussi dans le reste de la francophonie. Wikimédia France est l’organisation la plus importante de francophonie, mais on souhaite aussi aider nos collègues du reste de la francophonie : la Belgique, le Canada et surtout l’Afrique qui est en train de débarquer massivement sur les projets Wikimédia. On essaye de les accompagner notamment grâce à des petites bourses. On a ce qu’on appelle la commission micros financements qui a un budget de 50 000 euros. Des rédacteurs de l’encyclopédie peuvent proposer des projets et on leur alloue jusqu’à 2000 ou 5000 euros s’ils sont particuliers ou regroupés sous une forme associative. Ça permet de financer des petits projets sur leur territoire.

Frédéric Couchet : En tout cas plein de projets d’accompagnement pour que cette encyclopédie progresse et que la diversité gagne évidemment l’encyclopédie.
Je vais finir sur une dernière question, on ne peut pas passer à côté de cette question, justement sur les liens entre les chapters, les chapitres, et l’encyclopédie. On va prendre un exemple très concret qui est évidemment en lien avec la proposition de directive droit d’auteur parce que ce n’est pas encore tout à fait fini. Récemment il y a eu l’annonce d’une campagne de fermeture d’un certain nombre de sites, donc un appel à fermer des sites le 21 mars 2019 – l’April a fermé son site, d’autres ont fermé leurs sites – et il y a eu évidemment au niveau des chapitres, Wikipédia, des structures locales, en tout cas il y a eu des débats pour savoir est-ce que tel ou tel site allait fermer. Tout à l’heure on parlait de l’Allemagne, le site allemand a fermé et il y a eu un débat au niveau du site français, le site français n’a pas fermé. En très peu de temps est-ce que vous pouvez nous expliquer ? Comment ça se passe quand il y a ce sujet-là ? Qui propose le sujet et comment ça se passe en interne pour qu’une décision soit prise ? Nadine.

Nadine Le Lirzin : Là justement c’est un exemple intéressant de la différence entre ce qu’est un chapitre et ce qu’est une communauté linguistique d’une Wikipédia. En tant que chapitre nous pensions, nous Wikimédia France, que c’était très important de se mobiliser, pas contre la directive, attention, la directive avait beaucoup de points très intéressants.

Frédéric Couchet : Contre les articles 11 et 13.

Nadine Le Lirzin : Voilà. Deux articles seulement nous posaient des problèmes. On nous a fait valoir qu’on était exempté de l’article en question mais ça ne change rien parce qu’une loi qui exempte ceux qui sont en situation de monopole je me demande si c’est vraiment une bonne loi. C’est mon point de vue que je viens de donner là, je n’aurais pas dû peut-être ! On a essayé d’organiser sur l’encyclopédie, donc auprès des communautés, une prise de décision pour savoir si les contributeurs, les contributrices habituelles, étaient d’accord, si ça les concernait suffisamment pour mettre soit un bandeau d’avertissement, soit même faire un black-out comme certaines autres Wikipédia l’ont fait : par exemple les Italiens, les Catalans, ont complètement noirci leurs sites. Il y a eu des bandeaux chez les Danois, chez les Tchèques, les Slovènes, j’en oublie, mais il y a eu beaucoup de mobilisations.
La page de décision de la Wikipédia francophone a été assez mouvementée. On l’a ouverte un petit peu tard, peut-être, et c’était vraiment serré. Les arguments pour et contre se sont développés et finalement il a été décidé de ne pas le faire parce qu’on a obtenu quelque chose comme 66 % de oui.

Frédéric Couchet : Alors qu’il fallait 75 % de oui.

Nadine Le Lirzin : Voilà, au départ. Enfin bon ! Ça aussi ça a été décidé un peu au dernier moment.

Frédéric Couchet : OK ! En tout cas c’est intéressant de préciser que la décision a été prise par la communauté.

Nadine Le Lirzin : Oui, bien sûr.

Frédéric Couchet : Et que ce n’est pas l’association Wikimédia France qui a pris cette décision.

Nadine Le Lirzin : Non. Pas du tout. D’ailleurs pour l’anecdote, on a un de nos administrateurs qui naïvement est allé voter et qui n’est pas un wikipédien, il n’a pas assez de contributions, on lui a retoqué son avis.

Frédéric Couchet : D’accord. D’un point de vue pratique on a parlé de date peut-être un peu tardive, de seuil, de date de clôture. En fait, qui fixe ce seuil et cette date de clôture ? Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : Tout est fixé par la communauté ; avant de lancer le vote ils décident de la façon dont ils vont voter. Chaque Wikipédia linguistique a son mode opératoire différent, parce que le seuil qui est pratiqué dans Wikipédia germanophone, par exemple, aurait permis à la Wikipédia francophone de protester. Ce qui est bien c’est qu’il y a quand même une majorité, une large majorité, 66 % ou 67 % quand même qui était pour protester, mais c’est vrai qu’on n’a pas atteint le seuil de 75 %. Comme je le disais tout à l’heure on cherche à obtenir le consensus et non pas juste 50,1 % ; je pense que c’est une bonne chose notamment pour ces grosses mobilisations. Il ne faut pas non plus prendre à la légère la fermeture du site et que ça soit juste un petit groupe de dix personnes dans son coin qui décide de ça au nom d’un projet qui fait référence aujourd’hui sur Internet.

Frédéric Couchet : Tout à fait. En tout cas c’était important d’avoir cette précision-là. Une dernière question : il y a un projet qui n’est pas lié à la fondation mais que les gens connaissent peut-être, c’est Vividia, qui est un projet d’encyclopédie francophone en ligne en wiki destiné aux huit-treize ans.

Nadine Le Lirzin : Vikidia.

Frédéric Couchet : J’ai dit quoi ? J’ai dit « vividia ». Excuse-moi. Donc Vikidia, v, i, k, i, d, i, a point org. Tu me disais Pierre-Yves, avant qu’on prenne l’antenne, que vous alliez travailler avec les gens de cette structure, c’est ça ?

Pierre-Yves Beaudouin : On est en cours de discussion. On souhaite les accompagner pour qu’ils se structurent. En fait le site a énormément de succès. Vikidia existe dans plusieurs langues comme Wikipédia, je crois une demi-douzaine au moins, et ils sont un peu dépassés par le succès et ils ont des besoins financiers comme n’importe quel site. Donc on va essayer de voir pour les accompagner parce qu’on a beaucoup de partenaires qui souhaitent travailler sur Vikidia, notamment beaucoup d’enseignants d’école primaire et aussi du collège. On va essayer d’accompagner et permettre que ce projet perdure dans le temps.

Nadine Le Lirzin : Ce serait d’ailleurs assez naturel ; enfin ça me semble assez naturel de les accompagner parce que c’est un wiki également qui fonctionne sur les mêmes principes et c’est un vivier de contributeurs pour Wikipédia. Beaucoup de nos jeunes wikipédiens viennent tout droit de Vikidia.

Frédéric Couchet : Tout à fait. On va s’arrêter là même si on va rester, on va encore parler de Wikipédia dans la partie directive droit d’auteur, mais il faut justement laisser un petit peu de temps sur cette directive. Je remercie Pierre-Yves Beaudouin et Nadine Le Lirzin, wikipédien et wikipédienne de longue date.
Les dates qu’on a citées donc le 25 mai à la Gaîté lyrique, l’atelier Les sans pagEs dont on a parlé tout à l’heure.
Également ce jeudi à la FPH, toujours à Paris, de 19 heures 30 à 22 heures, c’est la soirée de contribution au Libre et le deuxième jeudi c’est Wikimédia France qui propose de contribuer à ses multiples projets donc deuxième jeudi de chaque mois. Évidemment il y a sans doute des ateliers dans d’autres lieux en France ; vous allez sur le site de Wikimédia France, wikimedia.fr, je crois qu’on ne l’a même pas cité.
On va faire une pause musicale avant notre dernier sujet. Le titre s’appelle Faust et l’artiste c’est John Vallis.

Pause musicale : Faust par John Vallis.

Voix off : Cause Commune 93.1

Point d’actualité directive droit d’auteur

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Faust de John Vallis, musique disponible en licence libre Creative Commons Partage à l’identique et les références sont le site de l’April, april.org.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons faire un petit point sur la proposition de directive droit d’auteur. On en a déjà parlé la semaine dernière suite au vote au Parlement européen mais ça va être aussi l’occasion d’annoncer les prochaines étapes parce que tout n’est pas fini. Avec moi pour parler de ça, toujours Pierre-Yves Beaudouin de Wikimédia France et également mon collègue Étienne Gonnu. Étienne, pour rappel, la directive a été évidemment adoptée en première lecture par le Parlement européen. Quelles sont les prochaines étapes ?

Étienne Gonnu : Salut Fred. Bonjour Pierre-Yves. Prochaine étape au niveau de l’Union européenne c’est la validation par les États membres au sein du Conseil de l’Union européenne. Ce vote aura lieu le 15 avril donc semaine prochaine. Ça paraît très compliqué d’obtenir un rejet de ce texte. On a notamment des échos positifs qui nous viennent, là aujourd’hui de Suède parce que le Parlement suédois, enfin la commission au sein de ce Parlement suédois qui s’occupe des affaires européennes a signifié son opposition au texte. Le gouvernement a dit « si le Parlement suédois s’oppose on suivra bien sûr le Parlement », on voit là un autre système. Et puisqu’on sait que le gouvernement français aime, enfin les politiciens français en général aiment à citer les Scandinaves en exemple, on les invite à suivre cet exemple-là et à s’opposer à cette directive.
La prochaine étape décisive sera le 15 avril. On doute que la France change de position mais peut-être que d’autres États suivront l’exemple de la Suède !

Frédéric Couchet : D’accord. Et si le 15 avril les États membres adoptent le même texte qu’est-ce qui va se passer en France ?

Étienne Gonnu : Du coup cette directive ne sera plus une proposition mais une directive à proprement parler et pour toute directive, l’étape suivante pour les États membres, à l’intérieur du cadre posé par la directive, c’est d’écrire une loi en fait pour transposer, c’est le terme, transposer la directive dans le droit national par une loi. En France ce sera certainement dans le cadre de la loi audiovisuelle, il y a déjà eu une mission d’information qui annonçait effectivement qu’il y aura des mesures de reconnaissance [de contenus, NdT], dans le texte le terme était déjà choisi.

Frédéric Couchet : La mission d’information c’est qui ? Qui sont les membres de cette mission ?

Étienne Gonnu : La rapporteure était Aurore Bergé au sein de l’Assemblée nationale.

Frédéric Couchet : Je croyais que tu faisais référence au CSPLA, CSA et à l’HADOPI.

Étienne Gonnu : Effectivement. Il y a cette mission d’information qui était antérieure, pendant les projets de directive on en parlait déjà et on soupçonnait déjà, donc dès l’année dernière, en cours de discussion de la directive et qui défendait corps et âme l’article 13. Et le lendemain ou deux jours après le vote par le Parlement européen, le vote du 26 mars, le ministre de la Culture français Franck Riester, annonçait effectivement dans un discours, je ne sais plus dans quel cadre exactement, mais il annonçait qu’il confiait à trois organismes français, donc l’HADOPI tristement célèbre HADOPI, le CNC qui est le Conseil national du cinéma et le CSPLA qui s’occupe, on va dire, de la gestion de la taxe copie privée, ces trois organismes doivent mener une étude sur comment appliquer des systèmes de reconnaissance de contenus, donc des filtres qu’on nous présentait pourtant comme n’étant pas le sujet de la directive. Ils sont chargés d’étudier cette piste-là.

Frédéric Couchet : On notera qu’à priori les conclusions sont connues déjà à l’avance vu la typologie de ces structures et aussi l’absence par exemple du Conseil national du numérique qui est quand même normalement une instance qui devrait être sollicitée pour participer à ce sujet.
Pierre-Yves Beaudouin, président de Wikimédia France, juste avant la pause musicale on parlait de l’action du 21 mars, notamment avec en Allemagne la page de Wikipédia allemande qui était fermée. C’est aussi l’occasion de rappeler que Wikimédia France, notamment grâce à ton action, a été très active contre la directive. Est-ce que tu veux faire un petit bilan de cette première phase de mobilisation parce que, évidemment, ce n’est pas terminé, à titre personnel ou au titre de Wikimédia ?

Pierre-Yves Beaudouin : Malgré le fait qu’on ait évidemment perdu, pour notre part chez Wikimédia France on a beaucoup appris, notamment en travaillant avec Étienne de l’April et d’autres acteurs. On a beaucoup appris sur le contexte français, notamment ceux qui sont absents ou ceux qui nous ont éventuellement trahis ou déçus dans ce combat, donc sur les forces et les faiblesses de la France.

Frédéric Couchet : Quand tu dis « trahis » tu penses à ? Si tu ne veux pas citer tu ne cites pas.

Pierre-Yves Beaudouin : Si je peux le dire, je pense notamment à Qwant qui fait sa déclaration deux jours avant le vote, à mon avis c’est vraiment de la provocation et ce n’est pas juste une erreur de compréhension de notre part comme ils essayent de le dire depuis le vote. Voilà ! On sait qu’en France ça va être compliqué, on a vu le résultat des votes des eurodéputés français ; notre objectif est un objectif à moyen terme de structurer un peu les organisations, sensibiliser les élus, le reste aussi des autorités. Je consacre pas mal de temps à faire le tour de Paris. La semaine dernière j'ai vu le CSA, par exemple. On va essayer de voir l’ARCEP, même si l’ARCEP c’est probablement les plus compétents et les plus sérieux sur ces questions-là.

Frédéric Couchet : C’est-à-dire qu’ils sont tellement compétents et sérieux qu’ils n’ont pas été invités à la table pour participer à l’étude !

Pierre-Yves Beaudouin : On vise un peu le moyen terme, mais c’est vrai qu’il faut quand même combattre dès maintenant parce qu’il y a un ensemble de lois, enfin de textes législatifs, il n’y a pas que la directive, il y a aussi un règlement européen – là c’est pire : le règlement s’applique automatiquement, il n’y a même pas besoin de le transposer – qui vise à limiter les contenus terroristes en ligne. Sur le papier, bien évidemment tout le monde est contre le terrorisme. Après, dès qu’on rentre dans les détails, les principes sont les mêmes : ça va être recourir au filtrage même si, pareil, ils estiment que non il n’y a pas d’obligation de filtrage, mais dans les faits, pour pouvoir retirer du contenu sous l’heure, une fois que vous êtes prévenu il va falloir que n’importe quel site – pas que les GAFA, ce texte ne concerne pas que les GAFA – même si vous avez un petit blog, un petit site internet, dès que vous êtes contacté, il faudra le retirer dans l’heure. Et pareil au niveau français, il y a aussi des textes dans les tuyaux, par exemple qui luttent contre le discours de haine, qui sera voté avant l’été.
Donc tout cela, en fait, fait partie d’un même principe ; les mêmes erreurs sont reprises et sont appliquées à différentes thématiques. Donc il y a la haine, il y a le contenu terroriste et il y a le droit d’auteur ; après je pense qu’il y aura le sport, dans un ou deux ans par exemple. Voilà ! Ils sont en train de reprendre en main assez drastiquement Internet et de limiter la liberté d’expression, globalement.

Frédéric Couchet : Étienne tu veux ajouter quelque chose avant le jingle musical ?

Étienne Gonnu : Juste peut-être pour repréciser par rapport au timing, à priori la loi que j’évoquais dans laquelle sera transposé cet article 13, on imagine que le Conseil des ministres se réunira au début de l’été pour avoir un projet de loi sans doute à la rentrée. De toute façon on vous tiendra au courant bien sûr.

Frédéric Couchet : On précise aussi que l’article 13 est devenu l’article 17 dans la version définitive. La communication maintenant va être sans doute avec l’article 17 et la transposition, le projet de loi peut aussi arriver pendant l’été, pendant que les gens, certains, ont la chance de prendre des vacances, peut-être en juillet ; souvent la session parlementaire se termine fin juillet, voire début août. En tout cas merci pour ce point et évidemment nous allons vous tenir au courant donc n’hésitez pas à suivre les sites de l’April et de Wikimédia France donc april.org et wikimedia.fr.

Jingle musical basé sur Sometimes par Jahzzar.

Annonces

Frédéric Couchet : Nous approchons de la fin de l’émission. Quelques petites annonces.

Je profite que ma collègue Isabella Vanni soit en régie aujourd’hui pour signaler que le Libre en Fête 2019 c’est terminé. Le Libre en Fête ce sont des évènements partout en France et même ailleurs pour sensibiliser aux logiciels libres et cette année il y a un record du nombre d’évènements organisés : on me signale 250 évènements. Il y a même encore plus d’évènements après. C’est magnifique ! Évidemment je félicite Isabella qui a eu un rôle important de coordinatrice, mais aussi, évidemment et avant tout, les structures et personnes qui ont organisé ces évènements partout. Donc rendez-vous l’an prochain autour du 20 mars 2020.

Pierre-Yves Beaudouin vient d’en parler. il y a la campagne contre la proposition de règlement terroriste/censure sécuritaire. Le vote en commission des libertés civiles a eu lieu au Parlement européen hier. À priori, comme on l’a dit tout à l’heure, le vote en plénière aura lieu la semaine prochaine avec, comme tu l’as dit Pierre-Yves, l’obligation pour les acteurs de l’Internet à retirer en une heure un contenu considéré comme terroriste ; évidemment ça ne concerne pas que Google, Facebook, etc., ça peut concerner de très nombreux acteurs, Wikipédia, l’April, les chatons dont je parlerai tout à l’heure en fin d’émission.

Dans l’actualité, tout à l’heure en introduction, je parlais du projet de loi pour une école de la confiance. Surveillez le site de l’April parce que l’examen au Sénat va commencer. Il y avait l’audition du ministre Jean-Michel Blanquer tout à l’heure.

Je l’ai cité déjà tout à l’heure, mais je le cite à nouveau : la soirée de contribution au Libre ce jeudi à la FPH à Paris avec l’atelier Wikipédia qui a donc lieu chaque deuxième jeudi du mois.
Pour les autres événements qui se passent partout ailleurs, vous allez sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.
Notre émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Nadine Le Lirzin, Pierre-Yves Beaudouin, Véronique Bonnet, même si la chronique était enregistrée. En régie et aussi au micro Étienne Gonnu et en régie Isabella Vanni que je félicite pour sa première régie maîtrisée de bout en bout. Vous retrouvez sur notre site web april.org toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio causecommune.fm.

La prochaine émission aura lieu mardi prochain à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur le Collectif CHATONS, des acteurs qui pourraient être impactés par ces dispositifs, donc le Collectif des Hébergeurs, Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires. Nous aurons trois personnes qui feront des miaous miaous de chatons différents : Framasoft, l’April et INFINI.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve mardi prochain et d’ici là portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

L’Open Source comme levier de souveraineté numérique - Table ronde - POSS 2018

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copie d'écran de la vidéo

Titre : Table ronde : l’Open Source comme levier de souveraineté numérique
Intervenants : Paula Forteza - Véronique Torner - Bernard Duverneuil - Vincent Strubel - Henri Verdier - Jean-Noël de Galzain - Frédéric Simottel
Lieu : Paris Open Source Summit
Date : décembre 2018
Durée : 49 min
Visionner la table ronde
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration : copie d'écran de la vidéo
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Frédéric Simottel : On va parler maintenant de souveraineté, c’est un mot qui est très employé aujourd’hui, à l’international et même en France, on va le voir avec nos invités. Je vous remercie de les accueillir. Je vais les inviter à me rejoindre sur scène : Paula Forteza, Véronique Torner, Bernard Duverneuil, Vincent Strubel, Henri Verdier et Jean-Noël de Galzain. Vous êtes les bienvenus sur scène. On peut les applaudir. Henri va être sur le canapé ou sur le fauteuil. Voilà,on est bien tous ensemble.
Dans l’ordre d’apparition sur scène : Bernard Duverneuil qui est président du Cigref et aussi DSI [Directeur des systèmes d'information] du groupe Essilor. Bonjour Bernard, merci d’être avec nous. Véronique Torner qui est administratrice de Syntec Numérique et coprésidente d’Alter Way ; Véronique bonjour. Paula Forteza vous êtes députée, rapporteure du groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne à l’Assemblée nationale ; bonjour. Vous avez aussi dirigé Etalab.

Paula Forteza : Inaudible.

Frédéric Simottel : Ce n’était pas vous, c’est Henri.

Paula Forteza : J’ai travaillé à Etalab.

Frédéric Simottel : Vous avez travaillé à Etalab. N’oubliez pas de prendre les micros. Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique et puis ancien patron, c’est encore tout récent, de la DINSIC [Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État] et justement, on verra un peu toutes ces histoires de plateformes de l’État, vous allez comprendre tout cela avec nous. À vos côtés Jean-Noël de Galzain, vice-président du Pôle Systematic Paris-Région et CEO [Chief Executive Officer] de Wallix, bonjour Jean-Noël. Et puis à ma droite Vincent Strubel, sous-directeur expertise de l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information]. Merci à tous d’être avec nous.
Ce mot « souveraineté », je vous l’ai dit, apparaît dans beaucoup de discours. Je ne vais pas vous faire Donald Trump : « Ce qui nous protège c’est notre souveraineté, l’exercice souverain de nos forces au service du progrès. C’est cela l’indépendance des nations ». Emmanuel Macron y va aussi de son couplet là-dessus. Si on devait définir un peu cette souveraineté numérique, Paula Forteza, s’il fallait donner une définition de ce mot « souveraineté numérique ».

Paula Forteza : J’aime bien prendre le mot « souveraineté » pas en termes régaliens, mais en termes de ce qu’on peut voir dans notre Constitution. Dans notre Constitution, à l’article 3, on définit la souveraineté comme appartenant au peuple. Donc pour moi la souveraineté c’est vraiment la maîtrise par les individus eux-mêmes du numérique, de leurs outils. Je crois qu’il faut remettre le citoyen au cœur de la souveraineté et que, dans ce sens-là, l’open source a toute sa place parce que ça permet justement de maîtriser les usages, de collaborer ; ça permet plus de transparence. Déjà, à partir de la protection des données personnelles, on commence à voir cette définition de la souveraineté numérique en termes individuels avec cette idée d’autodétermination informationnelle et ça commence à pénétrer les esprits petit à petit.

Frédéric Simottel : Véronique, un mot sur la souveraineté.

Véronique Torner : Du coup, moi je vais prendre la position en tant qu’entrepreneur. Je pense que la souveraineté, pour une entreprise, c’est maîtriser sa trajectoire. Maîtriser sa trajectoire c’est porter une vision, être capable de se donner les moyens de cette vision, et également, dans les moyens, c’est de toujours avoir le choix. Nous, chez Alter Way, on a fait le choix de l’open source pour tous les atouts que représente l’open source que ce soit l’innovation, la collaboration, les domaines éthiques aussi qui sont importants à nos yeux et ça pour nous-mêmes mais également pour nos clients.

Frédéric Simottel : Bernard pour le côté entreprise, le 1 que vous représentez, 140 grandes entreprises qui débattent, qui sortent des rapports sur le numérique et notamment le dernier rapport qui a été présenté hier soir par Stéphane Rousseau autour de l’open source dans l’entreprise.

Bernard Duverneuil : Absolument. L’open source aide à l’indépendance. La souveraineté, pour nous, c’est une définition un peu ouverte, mais c’est être maître de son destin, c’est être indépendant, l’open source peut nous y aider, on y reviendra. C’est maîtriser nos choix, maîtriser les solutions qu’on acquiert dans les entreprises, être capable de les supporter, de les faire évoluer à notre guise et ne pas être dépendants de fournisseurs ou d’un écosystème beaucoup plus restrictif.

Frédéric Simottel : Vincent, vous êtes de l’ANSSI, donc quand on parle souveraineté, on va relier ça avec la cybersécurité. Vous, selon votre prisme, quelle est votre définition de la souveraineté ?

Vincent Strubel : Par définition moi j’aurais une orientation très centrée sur la sécurité et sur le volet régalien de ce qui est entendu par l’article 3 de la Constitution. Pour nous, la souveraineté c’est la capacité d’avoir les moyens de sécuriser ou d’apporter les garanties de sécurité nécessaire à l’exercice de cette souveraineté ; ça passe par la maîtrise de solutions, évidemment, et l’open source est une des voies pour faire ça.

Frédéric Simottel : Henri, autour de cette souveraineté justement, est-ce qu’on peut être innovant aujourd’hui sans passer par les GAFA et sans avoir ce côté souveraineté un peu mis à mal ?

Henri Verdier : On a déjà dit beaucoup de choses. Effectivement la souveraineté c’est être son propre souverain donc ne pas plier le genou devant un autre. Pour moi et pour beaucoup d’informaticiens ça devrait être la capacité, le maximum de capacité d’agir. Ce qui m’a souvent frappé c’est que parfois un patron de PME a une vision de souveraineté plus précise et plus spontanée que certains hauts fonctionnaires, c’est-à-dire si je suis dans une dépendance totale, si je ne peux pas ouvrir mon code, corriger un bug, comprendre si j’ai un backdoor, eh bien j’ai perdu beaucoup de degrés de liberté. Paula l’a rappelé, on a une démocratie donc celui qui est souverain c’est le peuple et la souveraineté de l’État c’est pour protéger l’autonomie du sujet, sa liberté d’information, d’action, d’entreprendre pour chaque citoyen.
Effectivement, pour en arriver à la question de l’open source, moi je crois qu’une des choses que nous devons regarder en face c’est que nous sommes entrés dans une économie plateformisée dans laquelle il est extrêmement difficile d’innover sans s’appuyer sur ces grandes plateformes et je pense que la plupart des innovateurs qui sont dans cette salle, précisément peut-être pas dans cette salle, mais en général dans l’État ou dans les entreprises, si vous faites un produit génial, probablement que vous avez signé des conditions générales d’utilisation avec Apple ou avec Google Play, probablement avec PayPal, avec Google Maps, avec Facebook Connect, et vous vous êtes installés dans une sorte de dépendance qui n’est pas toujours dramatique mais qui est une véritable dépendance. On a pu voir cet été des API [ application programming interface] dont le coût a été multiplié par 140 sur décision unilatérale.

Frédéric Simottel : Google Maps.

Henri Verdier : On vient de voir ce matin que les Anglais dévoilent des fails qui montrent que Facebook avait un certain nombre d’accords avec certains fournisseurs et pas d’autres et c’était organisé pour écouter les conversations téléphoniques, pour vous proposer des amis plus précis en regardant votre répertoire. Tout ça, si on ne le sait pas, si on ne l’opère pas, si on ne le tient pas, eh bien on est moins souverain.

Frédéric Simottel : Jean-Noël, souveraineté, soit de l'angle Systematic, soit Wallix — on a eu tout à l’heure cette vidéo Red Hat, c’est quand même l’une des grosses actualités de ces derniers jours — est-ce que ce rapprochement met à mal cette idée de souveraineté ou, au contraire, ça peut permettre d’étendre un peu plus cette culture open source ?

Jean-Noël de Galzain : Oui. Je pense que ça ne fait que montrer une étape supplémentaire où aujourd’hui l’open source rencontre un leader de l’industrie ou les leaders de l’industrie et ça montre aussi que les questions de souveraineté et d’open source ne sont peut-être pas le lien le plus évident qu’on peut faire. Je parlerais plutôt de liberté et d’open source. Pour ça je me souviens, il y a quelques années, il se trouve que quand on a lancé à l’époque l’Open World Forum qui était le prédécesseur du POSS, justement, on parlait beaucoup de logiciel libre, d’open source. Et en fait, la quintessence de l’open source c’est le logiciel libre et, au fond, le logiciel libre c’est ménager des espaces de liberté, comme l’a très bien dit Henri, dans un monde où l’IT [Information Technology] a énormément changé et de quelque chose qui touchait l’informatique de gestion c’est devenu quelque chose d’universel. Dans cet environnement numérique universel il faut préserver ces espaces de liberté qui permettent l’innovation, la disruption et qui permettent par exemple, comme l’a dit Véronique, à des entrepreneurs de changer l’ordre des choses.
En revanche, là où il ne faut pas être naïf, c’est que le monde a également beaucoup changé, c’est-à-dire que l’IT est devenu industrielle, les entreprises n’ont pas exactement les mêmes attentes qu’un développeur individuel ou qu’un groupe de développeurs qui développent soit pour eux soit pour inventer quelque chose, donc il faut sans doute travailler sur la notion de souveraineté en ce sens qu’il faut permettre de conserver ces espaces de liberté. Donc il faut défendre à tout prix le logiciel libre, l’approche du logiciel libre, au même titre que ne pas mélanger ces questions de souveraineté et de liberté.

Frédéric Simottel : Mais là, avec Red Hat IBM, l’innovation, l’infrastructure, le cloud ?

Jean-Noël de Galzain : Red Hat IBM c’est l’innovation. C’est-à-dire qu’aujourd’hui les GAFAM ont effectivement porté la bataille sur le cloud. Il y a énormément de progrès, on voit bien que l’informatique va aller dans le nuage pour une grande partie et c’est pour faire un saut quantique, on va dire, sur les technologies du cloud face à Amazon, face à Google, face aux nouveaux concurrents de l’informatique. Le monde a changé, ce n’est plus forcément les fabricants de matériel ou seulement les fabricants de logiciels, c’est une nouvelle appliance dans laquelle on retrouve l’infrastructure, le logiciel et évidemment la communauté de développeurs qui est prête à l’utiliser pour créer de nouvelles applications. Donc c’est effectivement un saut dans l’innovation et le logiciel libre restera libre, existera toujours.

Frédéric Simottel : Bernard, du côté des entreprises, on regarde comment ce type de rapprochements : les Microsoft GitHub, les Red Hat IBM ?

Vincent Strubel : Les grandes entreprises donc le Cigref mais aussi les administrations sont extrêmement vigilantes sur les rachats par ces grands du logiciel de structures qui étaient initialement extrêmement innovantes parce qu’on a pu constater, par le passé, que ces grands éditeurs avaient tendance in fineà tuer l’innovation ou, en tout cas, cette innovation-là, donc on est assez vigilants. On est inquiets sur le fait que ces grands éditeurs puissent, aujourd’hui, continuer à laisser l’innovation se développer au sein de ces structures-là. Pour l’instant on est vigilants, bien évidemment, mais il ne nous semble pas que la concentration soit facteur d’innovation.

Frédéric Simottel : Henri Verdier, souveraineté, on pense souveraineté nationale, on pense aussi souveraineté européenne, est-ce qu’il y a une contradiction dans l’univers, évidemment dans lequel nous sommes, autour de l’open source et des technologies ?

Henri Verdier : Non, pas du tout, elles s’ajoutent sans problème. Une fois qu’on ramène la souveraineté à cette idée de capacité d’agir, la France a intérêt à se doter de ses propres sécurités. Je ne sais pas si tu as prévu qu’on en parle. On a fait émerger quand même, en quelques années, France Connect pour pouvoir se dispenser de Facebook Connect, PayFiP avec la DGFiP [Direction générale des Finances publiques] pour se dispenser de PayPal, Tchap pour pouvoir avoir notre propre messagerie instantanée sur une base Matrix2-RIOT3. On a mis un certain nombre de points de liberté comme ça, on est prêt à les partager volontiers avec nos collègues. Plus on est de pays à utiliser les mêmes ressources et à mettre nos développeurs en commun plus on sera forts. On n’est pas obligé d’attendre que toute l’Europe décide d’y aller pour commencer et que, dans une philosophie authentiquement libre, on tente ensuite de faire grossir la communauté.
Ce qui me frappait, en revanche, quand j’entendais le début de la discussion c’est que, évidemment, il n’y a pas des bons et des méchants logiciels. Parfois on peut emprunter une stratégie libre qui ne sera pas une stratégie de souveraineté. Si vous n’avez aucun développeur qui maîtrise la techno ou si elle n’a pas de communauté du tout, ce n’est pas une affaire de religion, c’est vraiment une affaire de « est-ce que ma communauté de développement est puissante, diverse, bien dans ses baskets ? » La première fois que j’ai fait un geste de retour vers le Libre dans l’État c’est juste parce que chaque fois que je demandais une modification de data.gouv.fr, je perdais six semaines à avoir un bon de commande venant du fournisseur puis deux mois de développement pour un truc qu’on savait faire en deux heures. Donc à la fin j’ai à réinternalisé une équipe ; on l’a fait juste pour pouvoir faire ce qu’on voulait vite et pas cher. Je ne savais pas encore que j’allais partir vers le Libre ; c’était juste que je voulais pouvoir pivoter en 24 heures.

Frédéric Simottel : C’est ce qui dit Bernard Duverneuil : il faut maîtriser avant tout, c’est un point important. Véronique, sur ce côté européen, juste un mot, au Syntec Numérique autour des droits d’auteur, il n’y pas mal de débats aussi autour de ça.

Véronique Torner : Juste pour revenir à ce que disait Henri, je pense que ça ne suffit pas de faire le choix de l’open source pour la souveraineté. Il faut mettre en place, par ailleurs, une gouvernance. Mercredi c’était l’Open CIO Summit et il y avait un DSI qui disait qu’on pouvait également être prisonnier de l’open source. Si, à côté, on ne met pas en place une vraie stratégie pour maîtriser on peut aussi se rendre prisonnier du logiciel libre ou de l’open source. Ce n’est pas juste le choix technologique ; à côté de ça il y a une stratégie de gouvernance qui peut d’ailleurs se matérialiser en fonction de ses enjeux. On peut, à un moment donné, dire je fais le choix de maîtriser telle solution parce qu’elle est stratégique pour moi ; dans d’autres cas j’accepte, en fait, d’être dépendant parce que c’est moins stratégique.

Frédéric Simottel : On va revenir sur l’Europe. On va continuer sur ce point-là. Henri, un mot puis Vincent aussi.

Henri Verdier : Un mini-mot pour appuyer ce que tu viens de dire. Certains amis, dans cette salle, ont trouvé qu’on n’allait pas assez vers le logiciel libre ou pas assez vite. Depuis deux ans l’effort principal de la DINSIC a été d'encourager à nouveau les agents publics à contribuer dans les communautés, mais il y avait tout un raisonnement. À partir du moment où toutes les administrations et toutes les hiérarchies flippent quand un développeur va dans une communauté, en fait nous on pensait qu’on ne pouvait rien faire d’autre. Et on a commencé par attaquer ce problème-là, parce que c’est plus ça, c’est plus la gouvernance complète dans l’organisation qu’une stratégie d’achat, en fait.

Frédéric Simottel : Vincent c’est ça ? Quand on a préparé cette table ronde vous m’avez dit : « Attention, ce n’est pas parce qu’on utilise l’open source qu’on va être souverain, ce qu’il faut c’est maîtriser, bien identifier ses besoins. »

Vincent Strubel : Je me permettrais de plussoyer, si vous me permettez l’expression, sur ce qui a été dit. D’une part la souveraineté numérique ou la sécurité numérique ce n’est pas tout réécrire, tout refaire soi-même ; c’est avant tout identifier quelques points de contrôle clefs, les technologies clefs qu’on a besoin de maîtriser. Et je peux vous renvoyer là-dessus sur un travail qui a été fait en début d’année, publié en début d’année, qui est la Revue stratégique de cyberdéfense4, qui est en ligne et qui a un chapitre sur ces sujets-là avec un certain nombre d’idées, des technologies, la cryptographie évidemment, les systèmes d’exploitation et ainsi de suite. Ensuite, maîtriser une technologie ce n’est pas juste avoir une licence qui permet d’avoir une liberté d’usage. Il y a une différence entre liberté d’usage et capacité d’usage.
Du point de vue de la sécurité, nous, ce dont on a besoin, c’est de pouvoir évaluer une solution, c’est de pouvoir l’adapter potentiellement pour corriger des choses ou faire mieux des choses dont on a besoin. C’est pouvoir l’adapter dans l’urgence pour aussi corriger des failles de sécurité. Tout ça nécessite de la compétence et donc ça nécessite un investissement que l’open source permet mais qui n’est pas automatique. Un logiciel libre peut être utilisé comme un logiciel propriétaire et on n’a, au-delà de la satisfaction intellectuelle, pas grand-chose de plus, donc ça nécessite un investissement.
Un exemple concret, Henri en a cité quelques-uns moi je citerais ce qui me tient à cœur qui est CLIP OS5, qui sera très présent sur le salon aujourd’hui, système d’exploitation sécurisé, développé par l’ANSSI – ça fait 15 ans qu’on a identifié le besoin de s’impliquer sur les systèmes d’exploitation. On a adapté un Linux, on a investi lourdement dedans – enfin tout est relatif – ce sont quelques ETP [équivalent temps plein], quelques personnes qui ont travaillé dessus pendant une dizaine d’années, qu’on publie aujourd’hui et c’est une success-story. C’est-à-dire qu’avec un investissement finalement relativement maîtrisé et raisonnable on obtient des vraies garanties de sécurité qui satisfont des besoins qui n’étaient pas couverts par des choses open source ou des choses sur étagère en tout cas. On a aussi une maîtrise dans la durée qui nous permet de réagir rapidement. Si je parle aujourd’hui de CLIP OS alors qu’on n’en a pas tellement parlé au cours des années écoulées, c’est qu’on le publie aujourd’hui et qu’effectivement on mise sur la fédération des bonnes idées, la fédération des contributions. Là encore, ce n’est pas parce qu’on veut le maîtriser qu’on ne peut pas partager cette maîtrise avec d’autres acteurs, d’autres États européens, des contributeurs de la société civile, etc.
Peut-être, juste pour finir là-dessus, un point clef finalement dans la souveraineté numérique, ce n’est pas tant les licences d’usage, etc., le nerf de la guerre dans le numérique c’est la compétence. L’open source n’a de sens que si elle est assortie d’une certaine compétence, elle permet de développer cette compétence, elle permet de l’exprimer, elle permet de la partager, mais sans compétences l’open source n’est rien.

Frédéric Simottel : Ce que vous pensez aussi c’est que ce n’est pas parce qu’on a un industriel français dans ses solutions que ça y est, on est tout de suite souverain ?

Vincent Strubel : Ça dépend très largement, là encore, de la typologie des technologies. Il y a des choses où c’est très bien d’avoir des industriels français qui maîtrisent une technologie, de s’appuyer sur eux et on a vrai partenariat avec tout un tissu industriel. Il y a des choses qui sont tellement clefs pour l’État qu’il ne peut pas se permettre même d’externaliser et qu’il a besoin, dans une certaine mesure, de réinternaliser au moins la compétence. Même passer une commande à un industriel, si on n’est pas compétent pour savoir ce qu’on veut, on n’aura pas ce qu’on veut !

Frédéric Simottel : Jean-Noël.

Jean-Noël de Galzain : Effectivement, moi je crois qu’il ne faut pas confondre open source, logiciel libre et gratuité. Et il ne faut pas se dire non plus que parce qu’on va développer un CLIP OS ou une messagerie à l’intérieur de l’État avec des agents publics… Il y a une question de souveraineté ou de liberté. Le logiciel libre s’accompagne de moyens comme tout domaine dans l’innovation s’accompagne de moyens. Moi je suis éditeur de logiciels ; j’ai créé, par exemple, un éditeur de logiciels dans la sécurité. Mes développeurs travaillent dans le logiciel libre depuis le début. Le nom de ma boîte c’est Wallix, c’est wall, un mur, sous Linux. On a toujours travaillé sous Linux avec des logiciels libres, etc., et on a un modèle industriel parce que, dans la sécurité, les clients demandent… Il y a des contraintes particulières de sécurité. D’ailleurs quand l’ANSSI vient certifier, qualifier un logiciel, il n’y a pas d’histoires de logiciel libre ou pas logiciel libre : ce sont des choses extrêmement précises d’audit qui n’ont plus rien à voir avec la liberté de développer. Je crois que ce qui est important, ce qu’on voit par exemple dans le pôle Systematic, c’est qu’on voit effectivement que le logiciel libre c’est une communauté : les gens viennent travailler ensemble, développer du logiciel ensemble, développer des applications et pourquoi pas des nouvelles appliances hardware, des nouveaux objets connectés, etc. C’est ce qui va permettre à un entrepreneur qui a une idée, à un étudiant qui sort de l’école ou de l’université, de lancer sa startup sans avoir à payer une licence au départ, effectivement, en ayant des espaces de liberté pour développer et en quoi est-ce que ça a un rôle dans la souveraineté ? C’est que si on ne garde pas ces espaces de liberté pour créer nos propres outils, eh bien demain on ne fera qu’importer les outils des autres. Par exemple quand mon enfant, à l’école ou au collège, se connectera sur son environnement numérique de travail, eh bien il le fera en allant se connecter chez Google ou chez Facebook qui est aux États-Unis et, à ce moment-là, en lisant des logiciels en anglais, etc., en perdant peu à peu notre fil culturel, nos valeurs, etc., donc notre liberté d’entreprendre. Je crois que c’est hyper-important de se dire que les gens qui sont autour de nous ont besoin de ça et ensuite ils ont besoin de moyens. C’est-à-dire qu’avec ce besoin de souveraineté et autour de cette possibilité de créer des logiciels, on a besoin, un entrepreneur ou une équipe de développeurs vont avoir besoin de pouvoir lever des fonds, de pouvoir trouver des partenariats avec des utilisateurs.
Donc il y a absolument besoin et c’est une bonne nouvelle que le Cigref dise : « On va travailler avec l’open source » parce que ça ouvre tout un tas de possibilités pour des nouvelles solutions, des nouveaux produits qui viennent de l’open source. On a besoin de choses très concrètes. Donc quelque part, quand on va développer une messagerie ou un nouvel OS parce qu’on estime qu’on en a besoin en France et qu’on a un besoin souverain là-dessus, il ne faut pas hésiter à faire appel à l’industrie.

Frédéric Simottel : Un tout petit mot de Véronique et Paula je vous passe la parole.

Véronique Torner : Juste par rapport au débat. Je pense que c’est important de dire que finalement l’open source est une brique importante dans une stratégie de souveraineté. Ça ne peut pas être la seule brique ; d’ailleurs on en avait parlé ensemble : sur le rapport annuel de la Cour des comptes il a été dit, en fait, que le logiciel libre et l’open source c’était un enjeu de sécurité et de souveraineté, mais c’est un composant ; c’est une brique. Et pourquoi c’est important ? Parce que l’open source en son sein porte des valeurs de traçabilité, d’explicabilité et ça ce sont des éléments importants si on veut avoir une stratégie, à un moment donné, de maîtrise et de contrôle, en fait, du numérique.

Frédéric Simottel : Paula Forteza.

Paula Forteza : Moi je voulais revenir sur comment l’État peut participer à ces projets open source. Maintenant l’État commence à être bon à développer lui-même des produits open source : on a les entrepreneurs d’intérêts généraux, les startups d’État, qui commencent à développer eux-mêmes des produits open source, mais ils n’arrivent pas encore à participer activement dans les communautés en dehors de l’État. Je crois qu’il faut qu’on aille un peu plus loin que cet État plateforme qu’Henri avait bien théorisé il y a quelques années. L’État plateforme c’était : on met à disposition des données, des API, du code, pour que des acteurs extérieurs développent des services ou des applications. Je crois que maintenant il faut que l’État puisse participer dans ces communautés avec des compétences, avec du financement, qu’il puisse participer à la gouvernance ; en fait, c’est aussi un enjeu de souveraineté pour pouvoir proposer les alternatives aux GAFA dont on a besoin, un peu ces champions français et européens dont tout le monde parle.

Frédéric Simottel : Vous pensez qu’il faut davantage d’ouverture aujourd’hui ? On n’en a pas assez — on va en reparler avec Henri — par rapport à ce qui a été mis en place ; ouvrir encore ?

Paula Forteza : Je crois qu’on a la politique de contribution du logiciel libre où les agents peuvent commencer à contribuer, mais c’est très incipient. Je crois que maintenant il faut qu’on puisse aller investir, par exemple, sur toutes les apps qu’on retrouve sur Cloudron, des messageries, des éditeurs de texte, disons des logiciels, des services qui sont stratégiquement importants en termes de souveraineté. Si on veut faire ces champions européens, français du numérique, il ne faut pas qu’on copie Google, Facebook, etc., il faut qu’on les fasse avec nos valeurs, avec notre éthique, notre façon de faire, en logiciels libres, donc l’État doit pouvoir contribuer financièrement en termes de gouvernance. On a encore du mal. L’État a été écarté, par exemple, de la Fondation LibreOffice6 parce qu’ils avaient du mal à apporter autre chose que juste un logo et une présence institutionnelle. Donc il faut trouver les véhicules juridiques, les véhicules en termes administratifs, pour pouvoir rentrer dans ces communautés et contribuer de façon proactive.

Frédéric Simottel : On parlera tout à l’heure de participation citoyenne, c’est aussi quelque chose d’important. Vincent Srubel puis Henri reviendra.

Vincent Srubel : Juste en réaction. On ne fait sans doute pas encore assez ce genre de choses, mais on commence à le faire. CLIP OS c’est un peu ça parce que, déjà, c’est dire que quelque chose qu’on a fait pour nous peut sans doute servir à d’autres et qu’on mettra en commun les efforts. La contribution à un projet existant on le fait aussi ; j’ai exemple en tête qui est Suricata7 qui est une brique très utilisée pour la détection d’attaques et qui est, évidemment, un enjeu de sécurité et un enjeu de souveraineté important. L’ANSSI, depuis deux ans, contribue à soutenir cette technologie, ce projet open source et sur tout un éventail de vecteurs de soutiens : on contribue financièrement, quelques dizaines de milliers d’euros par an, ce n’est rien pour le budget de l’État mais c’est important pour une communauté de ce type-là ; on participe à la gouvernance, on est sponsor de l’Open Infosec Foundation qui pilote ce projet et on contribue du code. C’est en fournissant ces trois choses-là qu’on arrive à vraiment effectivement influer, soutenir un projet, ce n’est pas que de l’argent, ce n’est pas qu’un logo évidemment.

Frédéric Simottel : Un mot sur l’État et ensuite on va revenir aussi sur les entreprises, ce rôle important des entreprises pour davantage pousser l’open source. Henri.

Henri Verdier : Deux-trois choses par rapport à ce que j’ai entendu. D’abord, de plus en plus dans ma manière de raisonner je sépare les grands communs dont on a besoin dans une économie plateformisée et les services et applications. Pour moi il y a un premier truc qui va sans dire, la planète numérique s’organise maintenant sur des grandes ressources : l’information géographique, l’identité, et ou elles seront des biens communs qu’on aura construits et exploités en commun avec la puissance publique, avec les citoyens et avec le privé. Donc très concrètement, je le dis sur cette estrade, je ne pense pas que l’économie mondiale ait vocation à s’asseoir, à s’appuyer, s’adosser sur Google Maps sinon on a des problèmes ; je préfère travailler avec OpenStreetMap8 parce que là le code est libre, les données sont libres, je peux corriger, je sais comment ça marche.

Frédéric Simottel : Ils n’ont pas augmenté les tarifs tout d’un coup !

Henri Verdier : Les tarifs ne changent pas. Je peux importer. Les services de protection du président de la République peuvent calculer un itinéraire en local sans que la planète entière sache par où va passer le président de la République, ça peut être utile, etc. Donc en matière de données géographiques, d’identité, peut-être quelques autres, il y a de grandes infrastructures dont nous devons garantir qu’elles sont produites et exploitées en commun, par la planète entière si possible ; on peut commencer en France, on peut le faire en Europe.Et après il y a les services et les applications.
Puisqu’on s’est parfois taquinés dans les deux années écoulées, vu de la fenêtre du DSI, groupe de l’État que j’étais, le problème des entreprises du logiciel libre c’est quelles viennent toutes me voir souvent d’abord en disant « vu que je suis libre, tu dois bien me traiter » et souvent elles ajoutent « en plus, j’ai plein d’argent public, donc il faut acheter ma solution maintenant parce que j’ai des subventions ». Ensuite la difficulté c’est parfois dans les specs, c’est-à-dire quand on choisit une solution libre on ne choisit pas que l’expérience utilisateur. Quand on a travaillé sur la messagerie instantanée, on travaille avec Vector sur le standard Matrix-RIOT, on n’a pas tout réinventé, mais il y avait des débats : est-ce qu’on veut du cryptage bout en bout ? Est-ce qu’on veut du multi-instances ? Ce n’était pas juste l’expérience utilisateur du gars qui téléphone. Et en général, toute personne qui venait nous voir avait choisi un chemin super-original, super-sophistiqué, mais rarement comparable de l’un à l’autre. Ça aurait difficile, par exemple, de spécifier dès le début très finement.
Parfois, et c’est aussi une des raisons qui font que c’est plus facile pour nous d’aller vers le Libre, c’est qu’on vient contribuer et ça devient moins un cadre de marché public puisqu’on se met juste d’accord sur les termes de contribution à un logiciel, ce qui peut nous permettre d’aller beaucoup plus vite et d’être beaucoup plus souples dans le projet.
Mais on peut parler longuement, je voulais dire que c’est un reproche que vous me faites toujours.

Frédéric Simottel : Si vous pouvez faire plus court pour parler des entreprises aussi.

Henri Verdier : Il y a une politique industrielle pour avoir une communauté. On ne peut pas parler longuement, mais on pourrait parler longuement.

Frédéric Simottel : Non, non ! Après on pourra, à la sortie de cette table ronde.

Henri Verdier : Comment l’État devrait s’organiser pour faire naître un tissu industriel sérieux et costaud dans le Libre, c’est un sujet. Mais quoiqu’il arrive et quoiqu’on décide est-ce que le back office de l’économie sera totalement privatisé ou est-ce qu’il sera commun ? Ça c’est une question sur laquelle on devrait tous être d’accord, tout de suite et passer à la suivante.

Frédéric Simottel : Le rôle des entreprises, Bernard Duverneuil, président du Cigref, et c’est vrai, rappelons-le, dans les 140, ce sont des entreprises, des administrations, des grandes organisations publiques.

Bernard Duverneuil : Grandes entreprises et administrations, absolument.
Déjà ce qu’il faut voir c’est la tendance en termes de pénétration et l’utilisation du logiciel libre dans les entreprises ; ça a été dit, mais je pense que c’est important, ça a vraiment commencé par les couches d’infrastructure avec un certain nombre d’outils qui, maintenant, ne font plus débat, avec quelques outils aussi pour la partie devops [développement et opérations)], etc. Là on a, je pense, un certain nombre d’entreprises qui ont pris cet élan-là. Ce qui est encore assez timide c’est dans les couches applicatives et je suis assez d’accord avec Henri : il faut bien séparer les briques dont on a besoin de ces applications qui vont être construites soit à partir des packages de nos grands éditeurs, soit en custom. Mais là, le logiciel libre a un peu plus de mal à pénétrer dans les grandes entreprises. Peut-être que ça viendra progressivement.
Ce qui est nouveau, probablement pour le Cigref et les grandes entreprises, c’est la volonté de regarder aussi comment sortir des griffes des grands éditeurs.

Frédéric Simottel : Ça prend du temps !

Bernard Duverneuil : La vraie difficulté c’est être dépendant, c’est subir des hausses de tarif, c’est devoir accepter des clauses contractuelles complètement abusives de notre point de vue. Donc on a besoin d’alternatives et c’est d’ailleurs le rapport qui a été présenté hier par Stéphane Rousseau, c’est quelles sont les alternatives aux grands fournisseurs et, en particulier, la première réponse c’est le logiciel libre. Il y a d’autres alternatives avec des solutions plus petites, probablement plus européennes, voire françaises, pour assurer aussi une certaine indépendance, mais c’est d’abord le logiciel libre qui pénètre l’entreprise.

Frédéric Simottel : C’est vrai qu’en plus, pour un DSI que vous représentez, c’est un sacré challenge. J’entendais pour la NASA, basculer de Windows à Linux ça a pris six ans. À l’Open CIO Summit je crois que c’est le DSI de Météo-France qui est venu : passer d’Oracle à PostgreSQL, ça a pris trois ans. C’est un sacré risque aussi. Il faut le faire passer auprès de sa direction générale, dire : voilà on veut être plus souverain ou pas, je ne sais pas, mais on veut passer par l'open source.

Bernard Duverneuil : C’est toute la question du passage à l’échelle parce qu’il y a longtemps que sur les bases de données on a essayé les bases de données libres. Est-ce que ça passe à l’échelle en termes de volume, en termes de démultiplication dans toute l’entreprise de pouvoir se débarrasser des logiciels propriétaires ? C’est une vraie décision, un vrai risque d’une part et, d’autre part, ça va prendre du temps. Est-ce qu’on a besoin d’investir sur un changement qui n’apportera rien ou pas grand-chose au business ; ça ne va pas faire des ventes supplémentaires, ça ne va pas forcément assurer une profitabilité meilleure, donc on est obligé d’investir sur fonds propres pour, je dirais dans la durée, s’extraire de cette dépendance. Mais c’est forcément un long parcours à l’échelle d’un grand groupe.

Frédéric Simottel : Véronique, c’était ça, tu as présidé l’Open CIO Summit et c’était là le thème fort.

Véronique Torner : Oui, c’était intéressant. En fait, on se réunit maintenant depuis neuf ans, c’est intéressant : finalement l’Open CIO Summit c’est un véritable observatoire des grandes tendances de fond de ce marché de l’open source au travers du regard des DSI puisqu’on réunit exclusivement des décideurs : c’est à huis-clos donc on a des échanges assez libres où on partage, en fait, des retours d’expérience et c’est vrai qu’en neuf ans on a vu évoluer finalement les premières motivations. Il y a eu le coût, il y a eu l’innovation, il y a eu l’attractivité. Cette année c’est vrai que le maître mot c’était ce mot d’indépendance. Il y a eu Stéphane Rousseau qui nous a présenté, du coup en exclusivité, le rapport, et on voit commencer à poindre le sujet de l’éthique. Je pense que dans les prochaines années, quand on se reverra, on parlera d’éthique.
Il y avait aussi un sujet qui était intéressant à l’Open CIO Summit qui était sur le sujet de la souveraineté. On a eu Philippe Dewost qui est le patron de Leonard du groupe Vinci, qui est venu nous présenter l’open hardware. Il a expliqué comment aujourd’hui, par exemple, le sujet de souveraineté de Facebook ne se situe pas au niveau du soft, mais il se fait au niveau du hardware. C’est intéressant aussi. Je pense que dans les prochaines années au Paris Open Source Summit, on parlera beaucoup d’open hardware.

Frédéric Simottel : Juste un mot, Bernard, sur les grandes entreprises : elles sont aussi prêtes à contribuer ? Parce que le principe de l’open source c’est d’utiliser mais aussi de participer à la communauté.

Bernard Duverneuil : Progressivement je pense que oui et ça dépend de la taille des entreprises et des services systèmes d’information au sein des entreprises. Je pense que, dans la plupart des cas, il va falloir que les entreprises se mettent à contribuer. Pour l’instant toutes les entreprises ne contribuent pas.

Frédéric Simottel : Un mot.

Jean-Noël de Galzain : Pour rebondir sur ce que dit Bernard Duverneuil, c’est vrai que le rôle du DSI ce n’est pas forcément de contribuer. Le rôle du DSI c’est aussi de faire en sorte que le SI de son entreprise fonctionne bien et que son business soit de plus en plus bénéficiaire, on va dire, de la digitalisation.
En revanche, les entreprises contribuent, on le voit dans les pôles de compétitivité. Les pôles de compétitivité sont des plateformes de contribution des grandes entreprises, des petites entreprises, des startups, des académiques, pour créer du logiciel, pour créer du hardware, pour créer de l’innovation.On fait de la contribution. On est entré dans un monde où le standard de l’innovation a beaucoup évolué, on est dans l’open innovation aujourd’hui, on est dans l’innovation collaborative, donc naturellement il y a des contributeurs. Après, disons que la notion de plateforme, le coût d’entrée par exemple sur le marché des logiciels, des applications ou autres est plus élevé qu’avant ; il faut être capable d’avoir ses plateformes qui vont permettre de créer des nouveaux systèmes, des nouvelles applications, etc., et c’est là où on peut débattre sur le fait qu’il faille que l’État internalise ou non. Là on a parlé d’infrastructure autour du cloud, c’est un des grands succès. L’open source va très vite, le logiciel libre va très vite ce qui fait qu’il s’est imposé maintenant dans le paysage de ceux qui veulent cloudiser ou enabler sur le cloud, réussir sur le cloud, comme le standard de développement, le seul à aller suffisamment vite, finalement, pour imprimer un rythme différent à l’innovation dans ces plateformes.
Maintenant, je suis aussi persuadé que si on ne veut pas reproduire, par exemple, ce qui s’est passé avec le cloud souverain il y a quelques années, il ne faut pas partir du principe qu’on internalise ou on met le paquet sur un ou deux acteurs. Non ! Il faut rester ouvert et il faut sans arrêt un dialogue entre l’État, l’industrie, les utilisateurs, les académies qui sont très en avance au niveau recherche et que tout ce monde, ensemble, travaille à l’innovation collaborative. Et je pense que grâce au logiciel libre on peut tout à fait demain avoir un Google plus éthique ou un Facebook plus éthique, plus conforme en tous les cas à l’idée que nous on se fait de l’éthique et qu’on a la possibilité de le développer. Par exemple dans l’automobile une voiture électrique pollue moins qu’une voiture normale, mais dans le fond ça reste une voiture, il y a des questions de vitesse, de direction, de sécurité, etc.

Frédéric Simottel : De recyclage.

Jean-Noël de Galzain : De recyclage, etc. Voilà. On peut se poser la question dans le numérique, est-ce que ce n’est pas important de se dire que, finalement, le respect des données personnelles ou la souveraineté c’est un élément indissociable des solutions qu’on va utiliser demain ? Et effectivement, il y aura peut-être un problème éthique et de souveraineté dans ce qu’on utilise dans le numérique. Moi je crois beaucoup au privacy by design par exemple, c’est-à-dire au fait que la donnée personnelle devienne l’un des éléments standards dans le numérique qu’on consomme.

Frédéric Simottel : Paula Forteza vous êtes avec nous aujourd’hui pour parler surtout de participation citoyenne. Là aussi, l’open source a un rôle à jouer dans ce domaine.

Paula Forteza : Là aussi. C’est plus clef que dans d’autres domaines, parce que quand on parle de participation, de civic tech par exemple, si on n’utilise pas le logiciel libre on n’a pas de possibilité d’avoir de la transparence, de l’auditabilité, de comprendre comment les algorithmes fonctionnent et on ne pourrait pas imaginer, par exemple dans des élections présidentielles, législatives, présentielles, de ne pas pouvoir avoir un contrôle citoyen de la procédure démocratique, disons ; donc c’est un domaine dans lequel le logiciel libre est clef. Ce qu’on voit par exemple aujourd’hui avec la mobilisation des gilets jaunes, où est-ce qu’ils s’expriment ? Ils s’expriment sur change.org, une plateforme qui n’est pas ouverte, ils s’expriment sur les réseaux sociaux, Facebook, et on sait à quel point disons la participation politique, démocratique, dans les réseaux sociaux peut poser problème.

Frédéric Simottel : D’ailleurs je trouve qu’on parle beaucoup des faux-comptes aux États-Unis et on ne parle pas beaucoup des faux-comptes en France. On devrait s’y pencher davantage, c’est vrai.

Paula Forteza : Disons qu’il y a une dynamique interne qui met en avant les fake news ou les contenus les plus polémiques parce qu’on est en train de chercher à maximiser le temps d’attention des gens, parce qu’il y a derrière une logique de vouloir vendre de la publicité, etc., donc ce n’est pas sur les réseaux sociaux qu’on va trouver les propos les plus documentés, les plus raisonnés, argumentés, etc. Donc on a eu plusieurs initiatives pour mettre en place des plateformes de consultation en logiciel libre. Par exemple on a utilisé à l’Assemblée nationale DemocracyOS9 dont une des contributrices est ici, Pia Mancini. Il y a d’autres projets, par exemple la mairie de Paris qui fait des budgets participatifs en utilisant aussi du logiciel libre et ce n’est pas que le logiciel libre qui est important c’est aussi l’open data. On s’est rendu compte par exemple en lançant notre première consultation qui était sur « quels pourraient être des mécanismes de contribution des citoyens à l’élaboration de la loi ? » que change.org avait proposé de mettre en place un mécanisme de pétition citoyenne. Leur proposition avait eu plus de 500 % de votes en plus que le reste des contributions. Pourquoi ? Parce qu’ils avaient utilisé leur mailing list pour demander à tous leurs utilisateurs d’aller voter sur la plateforme. Et ça, on a pu l’identifier parce qu’on avait les données en open data, parce qu’on a pu voir à travers les analytics qu’en une journée, après l’envoi de leurs mails, les propositions avaient remonté. Donc ça permet d’avoir vraiment une vue d’ensemble.
Je crois que, pour revenir sur la question des gilets jaunes, c’est non seulement une crise sur le fond mais aussi une crise institutionnelle. Je crois que cette colère s’exprime parce que nous n’avons pas assez de canaux institutionnels à travers lesquels les citoyens peuvent s’exprimer et dialoguer directement avec les responsables politiques. J’œuvre par exemple en ce moment pour que, dans le prochain examen du projet constitutionnel, on puisse mettre en œuvre des droits de pétition directement aux assemblées pour que cette relation de confiance puisse s’établir, se mettre en œuvre.

Frédéric Simottel : On le voit même à travers le vote électronique qui, techniquement, est quand même quelque chose qu’on devrait pouvoir mettre en place progressivement. Henri, tu en as parlé très rapidement tout à l’heure, il y a plusieurs projets, programmes qui existent, FranceConnect10, il y a des choses qui existent et qui fonctionnent.

Henri Verdier : Oui, mais je reste un instant sur ce qui vient d’être dit. Moi, par exemple, je ne vois pas l’intérêt du vote électronique. Je pense que la République a mis deux siècles pour inventer des procédures de vote qui permettent à chacun de vérifier par lui-même la sincérité du scrutin sans se fier à dires d’experts, que ça fait partie de la paix civile, ça fait partie du rituel républicain et qu’il ne faut pas se dire juste : ah c’est moderne, on est sur des ordinateurs ! Si ça marche bien en physique il faut rester en physique. Évidemment dans la circonscription de Paula, les Français de l’étranger, quand on arrive à des seuils de participation de 5-6 %, là il y a un problème et il faut peut-être explorer des chemins numériques, mais il faut se demander si c’est un progrès. J’insiste parce que ce dont vient de parler Paula, c’est aussi que pour beaucoup d’actes démocratiques éminents, on a mis des siècles à inventer des procédures sophistiquées pour que la démocratie s’exprime, pensez aussi à la justice pénale avec le jury citoyen, l’avocat, le procureur, le secret des délibérations et il ne suffit pas de dire « ça y est j’ai une machine ! » Là on aura besoin de la culture du Libre, mais presque plus de son ADN politique pour penser une civilisation numérique respectueuse de la transparence, de la constatation, de la contribution, de l’équité, etc.

Effectivement nous, mais finalement je l’avais disséminé dans le propos ce matin, un des agendas qu’on a porté à la DINSIC c’était de se dire on peut avoir des points de souveraineté, il y a des choses qu’on veut opérer nous-mêmes et finalement, au bout de quelques années, effectivement grâce à un bon travail avec OpenStreetMap, avec aussi l’IGN et la Poste, la base des adresses géolocalisées est disponible en open data et on peut asseoir maintenant des systèmes industriels sérieux sur des informations ne venant pas d’une plateforme privée. On peut se loguer avec FranceConnect sur des services publics et j’ai signé, il y a quelques semaines, l’arrêté qui va étendre progressivement le droit d’usage de FranceConnect au privé. Il y a déjà 8 millions de Français qui s’en servent au moins une fois par semaine, donc on peut se loguer dans une sécurité, non traçabilité, réversibilité. La CNIL nous a pourris pendant deux ans, donc il y a toutes les sécurités que souhaitait la CNIL dans le bouton FranceConnect. On a travaillé, avec d’ailleurs une startup franco-anglaise, pour avoir une messagerie instantanée dont l’ANSSI dit que c’est la plus secure qu’elle ait vue.

Frédéric Simottel : C’est Tchap ?

Henri Verdier : Oui. Pour info, d’ailleurs, c’est intéressant : l’ANSSI nous a fait enlever les deux tiers des lignes de code qui ne servaient à rien mais qui créaient des synchronisations à droite, à gauche. Un des défauts, parfois, des développeurs libres c’est qu’ils copient-collent des fonctions : ils prennent une brique d’enrôlement, un truc, un machin et on a parfois beaucoup de mauvaise graisse dans un logiciel libre.
Donc on a Tchap, on a FranceConnect, on a la base adresses ; la DGFiP a fait se déployer progressivement un système de micropaiement en ligne qu’elle appelle PayFiP, suivez mon regard, et c’est intéressant, je crois, de se dire qu’on a pu construire, comme, ça des points de souveraineté-sécurité. Et après, conformément à la philosophie de l’État plateforme, on va partager largement le code, si tout se passe comme prévu dans les quelques mois qui viennent. Chacun pourra implémenter Tchap ou opérer une instance de Tchap.

Frédéric Simottel : Juste un mot Vincent.

Vincent Strubel : Juste signaler, quand même, une convergence entre ces intérêts de souveraineté, de contrôle d’un certain nombre de points, de transparence évidemment, qui répondent à des attentes des citoyens, mais aussi un enjeu de contrôle qualité ou d’amélioration de la qualité de ce que fait l’État. Se lancer dans une démarche open source quand on est État c’est reconnaître qu’on n’est pas infaillible et qu’on va se soumettre à des critiques. Je tiens à partager l’expérience, parfois douloureuse, que ça peut être ensuite de vouloir reverser dans des logiciels libres existants des choses qu’on a développées, intégrer dans le noyau Linux des développements de l’ANSSI, à plus forte raison quand on vient en se présentant comme une agence de sécurité gouvernementale.

Frédéric Simottel : Il faut faire attention.

Vincent Strubel : Je me demande pourquoi ça les titille, même si toutes les agences ne se valent pas, mais on apprend énormément et on se met dans une position qui n’est pas classique pour l’État qui est de se dire : je me soumets au jugement d’un autre sur mes réalisations techniques. On le fait avec Tchap, on le fait avec CLIP OS, on le fait avec tous ces nouveaux projets. C’est aussi une dimension qui est vraiment nouvelle pour nous et qui va dans le bon sens.

Frédéric Simottel : Véronique et Bernard, l’open source est aussi un facteur d’innovation, un facteur d’attractivité des talents, il faut le souligner de façon assez forte, et ça permet aussi d’avoir ce caractère de souveraineté.

Véronique Torner : Du coup, je pense qu’il y a un sujet important autour de la formation. Beaucoup de travaux ont été menés ces dernières années, l’État s’est notamment rendu exemplaire sur un certain nombre de sujets et aujourd’hui je pense qu’il faut soutenir toute la filière éducative pour qu’elle forme des ingénieurs qui soient sensibilisés à cette culture de l’open source. Vous le disiez en introduction : l’enquête qui a été menée par le Conseil national du logiciel libre, Systematic et Syntec numérique montre qu’il y avait plus de 70 % des étudiants qui disaient qu’ils n’avaient pas été sensibilisés à ce sujet de l’open source. C’est un vrai paradoxe puisque le Cigref remonte que c’est un sujet d’attractivité ; il y a énormément de postes ouverts aujourd’hui dans cette industrie. Je crois qu’il a été dit, dans la dernière enquête, qu’il y avait 8000 postes qui étaient ouverts ; ça représente aujourd’hui 60 000 salariés. On manque d’ingénieurs globalement, ça c’est une réalité je dirais au niveau européen, au niveau français, et on manque beaucoup d’ingénieurs formés à l’open source alors que c‘est la demande pour les années à venir. C’est un vrai sujet. Moi je suis entrepreneur, je pense qu’on ne demande pas à l’État, en fait, de nous aider à faire notre travail. Par contre, on demande à ce que l’État, à ce que l’Europe, nous créent un cadre qui soit propice à notre développement. Et ça, eh bien je pense qu’il y a des sujets à faire autour du monde éducatif.

Frédéric Simottel : Bernard vous l’avez dit. Donc facteur d’indépendance on l’a dit, mieux maîtriser ses développements, on l’a dit, et derrière c’est ça, facteur d’attractivité, facteur d’innovation aussi pour vous, pour les entreprises ?

Bernard Duverneuil : D’innovation, mais d’attractivité des talents. Le Cigref l’a constaté, ce qui a été une bonne surprise pour nous, c’est-à-dire que finalement le logiciel libre dans l’entreprise permet d’attirer des vrais talents et finalement beaucoup plus facilement que sur des technologies anciennes ou des technologies relativement classiques. Donc c’est un point positif.
Je voulais également revenir sur cette notion de risque et de souveraineté vis-à-vis des grands acteurs. On parlait des GAFAM, mais on peut aussi les voir de deux manières : d’une part parce que ce sont des fournisseurs ou des partenaires, et c’est vrai qu’il faut bien réfléchir à comment s’engager vis-à-vis de ces gens-là, comment on va être dépendants dans notre système d’information des briques qu’on intègre ; sur la durée ça peut éventuellement nous poser des difficultés. Mais les grands groupes se posent aussi la question de la compétition vis-à-vis de ces grands acteurs, parce que le numérique étant aujourd’hui partout, la rupture dans les business modèles existe et je ne connais pas de grand groupe aujourd’hui qui n’ait pas un concurrent parmi les GAFAM. Il faut le voir aussi sous cet angle-là. On parle beaucoup de souveraineté par rapport à ces acteurs américains, mais je voudrais aussi signaler que les acteurs chinois sont tout à fait là et qu’ils sont tout aussi puissants. Je pense que dans les années prochaines on parlera beaucoup d’éthique et on en parle avec le Syntec Numérique, ensemble, Cigref et Syntec. En revanche, on va aussi beaucoup parler des acteurs chinois et il faut se poser la question de souveraineté.

Frédéric Simottel : Il y avait une grande conférence à AWS donc Amazon Web Services à Las Vegas ces derniers jours et ils ont clairement dit : « En Europe, leur principal concurrent ça va être Alibaba Cloud » ; ils le disent très ouvertement.
Un tout dernier mot Jean-Noël pour rester dans le timing.

Jean-Noël de Galzain : C’est vrai par exemple qu’Eric Schmidt, ancien patron de Google, dit : « Aujourd’hui ce qu’on peut craindre c’est que le monde se scinde en deux avec un Internet chinois et un Internet, de l’autre côté, porté par les Américains ».

Henri Verdier : Lui en voulait un seul.

Jean-Noël de Galzain : Lui en voulait certainement un seul ! Je pense que ce qu’on peut dire aujourd’hui en visitant ces allées, etc., ce qui est intéressant c’est qu’il existe probablement et il existe, en fait, un Internet ou en tout cas toutes les bases, toutes les compétences et un certain nombre de gens qui sont prêts à montrer qu’il existe aussi un Internet universel qui vient de l’Europe et moi, ça me rappelle que la Déclaration universelle des droits de l’homme est venue de l’Europe, est venue notamment de la France, et elle a fait en sorte que la République et la démocratie moderne se soient inspirées de ça. Peut-être qu’on va aller vers un numérique universel grâce au logiciel libre, en tous les cas c’est ce que j’espère, et aux entrepreneurs.

Frédéric Simottel : Et un numérique éthique dont on parlera ; on va le mettre dans les thématiques pour l’an prochain. Merci à tous les six on peut les applaudir. Merci à vous.

[Applaudissements]

Assange aux mains de la justice britannique - Décryptualité du 15 avril 2019

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Assange en 2014

Titre : Décryptualité du 15 avril 2019 - Assange aux mains de la justice britannique
Intervenants : Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 8 avril 2019
Durée : 15 min
Écouter ou télécharger l'enregistrement
Revue de presse pour la semaine 15 de l'année 2019
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Julian Assange, Londres 2014, David G Silvers - Licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 2.0 Generic
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

La justice britannique a finalement mis la main sur Julian Assange. Retour sur l'histoire du porte-étendard de WikiLeaks.

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 15. Salut Manu.

Manu : Salut Luc.

Luc : Qu’a-t-on au sommaire ?

Manu : On a cinq petits articles.

Luc : estrepublicain.fr, « Julian Assange : ce qu’on lui reproche, ce qu’il risque », un article de la rédaction.

Manu : Qu’on va aborder un peu plus tard ; ça va être le sujet de notre discussion d’aujourd’hui.

Luc : Le Courrier, « La liberté à l’ère des GAFA », un article de Philippe Bach.

Manu : Avec une magnifique image qui reprend Stallman multibras. On dirait le dieu Shiva.

Luc : C’est le culte de la personnalité appliqué au logiciel libre.

Manu : Oui. D’ailleurs il n’hésite à s’en moquer régulièrement. Il participe à différentes conférences à Lausanne notamment. Ça devrait être intéressant. Il va notamment parler des GAFA et c’est un gros sujet. On va voir s’il y a des retombées médiatiques là-dessus.

Luc : EurActiv, « Copyright rules will turn the EU into a French digital colony », un article de Amelia Andersdotter.

Manu : Et ce n’est pas facile !

Luc : Oui. Il faut que je progresse en anglais !

Manu : En gros ça indique que à cause de la directive sur le droit d’auteur, l’Europe va devenir une colonie de la France, c’est original.

Luc : Une colonie numérique.

Manu : Une colonie numérique. En gros ils accusent le fait que ce soit la France qui a poussé la directive sur le droit d’auteur qui vient d’être acceptée. Encore aujourd’hui il y a des choses qui viennent d’être passées.

Luc : En France on a un lobby de l’industrie du divertissement et de la culture qui est très fort.

Manu : Donc qui arrive à être fort au point que l’Europe se plie à nos désirs !

Luc : Le Républicain Lorrain, « Informatique à Insming: les bons conseils pour bien surfer », un article de la rédaction.

Manu : Petit article qui met en avant une initiative locale de formation qui aborde les libertés informatiques et qui a l’air de présenter aussi l’April. Ça fait toujours plaisir.

Luc : Une initiative locale menée par une association qui s’appelle l’AFIL, l’Association de formation informatique sur logiciel libre, menée par Liliane Grandemange. Bravo à eux. La semaine dernière on parlait avec le cas de e-penser de la difficulté d’exister quand on est dépendant de gros tuyaux comme ceux de YouTube, eh bien c’est le travail de ces associations de terrain qui permet à nous libristes, qui n’avons pas de force de frappe médiatique, d’exister. Bravo à eux et bravo à tous les autres.
ZDNet France, « Le poste de travail Linux est en difficulté », un article de Steven J. Vaughan-Nichols.

Manu : Le poste de travail ça entend le bureau où les gens se connectent avec une souris, un clavier, classique. Le monde du logiciel libre fonctionne très bien sur les serveurs, mais sur le poste de travail c’est un petit peu plus difficile, très fragmenté notamment, il y a plein de distributions différentes qui sont en compétition les unes avec les autres et il y a des distributions qui ont un peu de mal à vivre dans le temps parce qu’elles se battent les unes avec les autres pour des parts de marché, on va dire, des usagers.

Luc : Linus Torvalds, le père du noyau Linux, en gros s’est tourné vers Chromebooks, donc s’est vendu à Google.

Manu : Oui, ça fait mal au cœur.

Luc : Et Android. Un des constats était de dire : regardez, rien que sur le système d’installation de logiciel, il y a quatre, cinq concurrents, on n’arrive pas à avoir un truc universel. Du coup c’est beaucoup de boulot pour maintenir des tas de branches d’un arbre qui en a trop. Donc un constat intéressant, pas tout à fait loyaux !

Manu : Petite remarque par rapport à la semaine dernière, e-penser a ré-ouvert sa chaîne. Donc il a repassé sa chaîne YouTube en mode public parce qu’il se plaignait, il avait été accusé par un ayant droit d’avoir enfreint les règles du droit d’auteur.

Luc : On ne va pas refaire l’émission de la semaine dernière !

Manu : Non. Mais c’était juste pour donner une conclusion. L’ayant droit a retiré sa plainte et pour l’instant tout tourne bien pour lui.

Luc : Le sujet de la semaine c’est Assange. Julian Assange1.

Manu : Oui. C’est un sujet international.

Luc : C’est le dénouement d’une affaire qui remonte à quoi ? Ouf ! À six-sept ans ?

Manu : Oui. Ça fait sept ans que le gars donc Julian Assange est hébergé gentiment par l’ambassade d’Équateur en Grande-Bretagne et ça fait six-sept ans qu’il se fait des cheveux blancs et qu’il fait pousser sa longue barbe, on l’a vu à la télévision ces derniers jours, parce qu’il vient d’être expulsé.

Luc : Effectivement, la police britannique lui a mis la main dessus pour une question de non-respect de sa liberté conditionnelle.

Manu : De son contrôle judiciaire.

Luc : Oui, en gros un truc comme ça et également parce qu’ils ont des questions à lui poser sur des questions de piratage. Les États-Unis ont fait une demande d’extradition puisque Assange s’est rendu célèbre en révélant des quantités astronomiques de documents récupérés sur Internet, souvent suite à des opérations de hacking, de piratage. Ça faisait des années qu’il était là et maintenant on ne sait pas trop ce qu’il va devenir.

Manu : Ça va être compliqué pour lui. Il est accusé sous une forme, c’est une procédure d’accusation scellée, je ne connais pas bien les termes, mais en gros l’accusation n’est pas publique et il doit y avoir des éléments de dossier qui ne seront pas dévoilés à tout le monde.

Luc : Voilà ! Il a fait des trucs.

Manu : Il a fait des trucs et il risque cher parce qu’aux États-Unis on ne rigole pas avec « les trucs ».

Luc : Pour rappeler un petit peu son pedigree, c’est un Australien.

Manu : Oui. Qui est né en 1971.

Luc : Sa bio explique qu’il a vécu dans 30 villes avant l’adolescence.

Manu : Il a beaucoup bougé, il s’est intéressé à l’informatique à partir de 16 ans, il a eu une vie un peu développée ; il a eu un enfant à 18 ans.

Luc : Assez jeune. Il a piraté des sites et des machins, etc., donc il était dans ce genre de démarche-là avant de se calmer un petit peu et il a monté WikiLeaks2 dès 1998, je crois ou…

Manu : En 1999, il avait le nom de domaine « leaks ».

Luc : Qu’il n’a jamais utilisé, mais, en gros, on voyait déjà un peu où il voulait en venir s’il a réservé le nom de domaine. Il a monté WikiLeaks quelques années après.

Manu : Sachant qu’il faisait à côté de ça du logiciel libre, c’était un informaticien, développeur, donc il a contribué à pas mal de choses liées au chiffrement de manière générale. Il a travaillé sur des forums, il a travaillé sur des problématiques de sécurité globalement et effectivement 2006 c’est un peu la consécration, lui et d’autres ont fondé tout un collectif international pour récolter les fuites de données qu’il pouvait y avoir sur Internet.

Luc : Et les rendre publiques. Le personnage lui-même se définit comme libertarien de marché.

Manu : Oui. Déjà c’est compliqué, il faut voir ça comme une sorte de chacun pour soi, un petit peu.

Luc : Je n’ai pas tout compris. « Libertarien » en tout cas je connais un petit peu, c’est une notion plutôt américaine, une idée un peu libertaire mais un peu chacun pour sa peau, ne venez pas m’embêter, donc pas l’anarchisme plus européen qu’on peut connaître. « De marché », il faudrait creuser pour voir ce qu’il veut dire par là, ce n’est pas nécessairement le plus intéressant. Qu’est-ce qui lui vaut toute la haine dont il est l’objet ?

Manu : Le premier truc c’est qu’il a révélé les informations transmises par Chelsea Manning qui était soldat en Irak, à l’époque, non en Afghanistan.

Luc : Qui, à l’époque, s’appellait Bradley3, il a changé de sexe quand il était en prison, il était analyste donc je ne pense pas qu’il était sur le terrain, mais il brassait des informations dans des bureaux pour essayer de sortir de l’info exploitable ensuite. Il a effectivement fait sortir plein d’infos, dont quelques vidéos.

Manu : Oui. Des vidéos de tirs d’hélicoptères américains.

Luc : Effectivement, dont une que j’ai vue qui est vraiment tragique où il y a un journaliste qui sort d’une camionnette, en Irak je crois, et comme il a une caméra au bout du bras il y a un pilote d’hélicoptère qui regarde ça avec ça sa caméra à lui.

Manu : Hyper-grossissante.

Luc : Hyper-grossissante de loin et il dit : « Je pense qu’il a une arme ». En fait, sur la vidéo, on voit juste qu’il a juste un truc au bout du bras et il a autorisation de tirer ; il arrose tout donc il butte tout le monde. Il y a une camionnette qui arrive un peu plus tard pour ramasser les blessés et sauver les gens et il recommence et il butte à nouveau tout le monde ; c’est la routine de l’armée américaine. Cette vidéo avait été exfiltrée avec plein d’autres documents par Mannig.

Manu : Cette vidéo est importante parce que ce côté visuel a fait qu’elle a été diffusée dans un petit peu tous les journaux mondiaux.

Luc : Et puis il y a le son. On comprend bien ce qui se passe. C’est vraiment assez abominable à voir et on comprend ce que c’est que faire la guerre dans ce genre de pays quand on est les États-Unis.

Manu : Ça c’est une des choses qui a été sortie. Une autre chose qui était très importante à l’époque déjà, ils ont sorti un quart de millions de câbles diplomatiques. C’est-à-dire les échanges entre les ambassades, les pays, qui sont des échanges archi-privés, on ne doit pas vraiment communiquer ces informations-là, eh bien il les a mis sur Internet de manière très générale. À l’époque ça révélait un petit peu les dessous de table des relations entre les pays, notamment la manière dont le Pakistan jouait double jeu entre les États-Unis et les Talibans. C’était assez amusant pour nous les Occidentaux, on comptait les points !

Luc : Il y avait aussi des trucs, genre des commentaires assez peu sympathiques envers telle ou telle personne connue, tel politicien ; ça c’est plus dans l’anecdote. Il a également, au travers de ce groupement, révélé des trucs sur des banques, sur la finance, dans plein de domaines différents.

Manu : Pas mal d’affaires de corruption, des affaires de corruption en Afrique, des problématiques de frappes de drones au Yémen. Il y a beaucoup de choses qui ont été révélées, mais il semblerait qu’il y a un pays qui a rarement été touché, et ça fait partie des critiques qui lui ont été lancées régulièrement…

Luc : La Russie.

Manu : Ah ! Ben oui !

Luc : Il ne se passe jamais rien de mal en Russie !

Manu : Exactement. Il ne se passe jamais rien de mal !

Luc : On va envoyer notre RIB [relevé d’identité bancaire] à la fin de l’émission pour que Poutine puisse nous envoyer quelques millions.

Manu : On en a besoin pour financer le podcast.

Luc : On n’en a pas assez. C’est une des nombreuses qui lui sont reprochées. Assange a quand même un gros paquet de casseroles. Le premier truc qui lui a valu de se réfugier à l’ambassade c’est qu’il a été accusé d’agression sexuelle et de viol.

Manu : Par deux filles.

Luc : Par deux femmes, en Suède.

Manu : Ce n’est pas un viol strictement comme on peut s’y attendre, c’est un questionnement qui a été posé par ces deux femmes auprès du Procureur en Suède à propos de pratiques sexuelles qui étaient considérées comme « est-ce que c’était un assaut sexuel ou pas ? »

Luc : Sachant que les deux femmes étaient ses maîtresses, c’est-à-dire que ce ne sont pas des femmes sur qui il est tombé par hasard. Il y en a une qui l’accuse d’avoir volontairement craqué un préservatif et l’autre qui l’accuse d’avoir entrepris une relation sexuelle alors qu’elle était en train de dormir. La Suède a fini par abandonner ses investigations.

Manu : En deux fois. Ils ont d’abord abandonné, ensuite repris, et ils l’ont autorisé à sortir du pays.

Luc : Autre affaire, c’est que parmi ces deux femmes il y en a une femme qui était très engagée en politique, on suppose qu'un mec comme Assange devait fréquenter beaucoup de militants, et elle avait publiquement dit que piéger les sales cons par le sexe c’était un truc tout à fait légitime, ce qui jetait pas mal de doutes.

Manu : C’est compliqué. Dans tous les cas ça reste des choses un peu perturbantes et, quoi qu’il en soit, l’affaire a été annulée, arrêtée au bout d’un moment et, globalement, la Suède n’a pas cherché grand-chose, mais il y a quand même eu un mandat d’arrêt international pour un questionnement sur des affaires de mœurs ; c’était du jamais vu.

Luc : Voilà ! Et ça a fait râler pas mal de gens qui ont des histoires d’agression sexuelle extrêmement graves, etc., au niveau international et qui ne bénéficient jamais de ce genre d’avantage ; personne ne se bouge les fesses, c’est dans un autre pays eh bien tant pis ! et sur des affaires bien plus graves que celle-là.

Manu : Ça n’empêche, en tout cas, que Assange ne sort pas très blanc de tout ça !

Luc : Oui, et il a d’autres casseroles aux fesses, notamment il y a énormément de gens qui ont bossé avec lui au sein de WikiLeaks, qui ont rompu les ponts en disant que c’était tout pour sa gueule, qu’il était ingérable, etc.

Manu : Un narcissique on pourrait dire.

Luc : Oui. Une des choses que lui reproche Nicolas, il n’est pas là ce soir, tant pis, c’est qu’il a balancé les infos sans les filtrer.

Manu : C’est-à-dire que toutes les leaks qui ont été fournies à WikiLeaks n’ont pas été vérifiées pour regarder dedans s’il n’y avait pas des informations personnelles par exemple.

Luc : Voilà. Ou des informations qui pouvaient mettre des gens en danger. Il a fait sur Mastodon notamment, ce n’est pas le seul, la comparaison avec Snowden4 qui lui a fait fuiter des trucs de la NSA, qui s’est mis en cheville avec journalistes reconnus.

Manu : Oui, un groupement mondial de journalistes

Luc : Des journalistes qui s’y connaissent, qui ont pris le temps de vérifier les infos, de faire filtrer uniquement les infos qui avaient été validées et filtrées pour ne pas sortir des choses qui puissent pas mettre des gens en danger, par exemple.

Manu : Notamment des indics, des gens qui auraient aidé les autorités occidentales dans les pays en conflit.

Luc : Ce genre de choses. Voilà ! Ce genre de choses que Assange ne fait pas du tout fait. Il y a quand même pas mal de gens qui ne l’aiment pas y compris dans ceux qui devraient être ses amis, donc c’est une personnalité pas évidente et il y a une autre personne qui ne l’aime pas du tout, c’est son ancien logeur.

Manu : L’ambassadeur du Pérou [Équateur, NdT], qui eu changement de président pendant son séjour là-bas.

Luc : Effectivement. Assange a obtenu l’asile de la part du président, le président a changé, changement de majorité. Pour le nouveau président Assange c’était plutôt une épine dans le pied, on suppose qu’héberger Assange ça ne facilite pas les relations avec les États-Unis, donc ils ont pris des mesures de rétorsion, ils lui ont coupé Internet. Manifestement il a piraté le wifi et ils l’ont accusé d’avoir piraté le wifi.

Manu : Ce qui est quand même assez comique quand on considère les enjeux.

Luc : C’est ce côté un petit peu surréaliste : ils lui reprochent plein de trucs.

Manu : Ils lui reprochent de sentir mauvais.

Luc : De ne pas se laver suffisamment.

Manu : De ne pas se laver et de ne pas changer de vêtements régulièrement. D’utiliser trop d’espace alors qu’il n’avait pas beaucoup d’espace dans cette petite ambassade de l’Équateur.

Luc : Il y est resté sept ans, quelque chose comme ça.

Manu : Oui, sans pouvoir sortir. Il avait accès à un petit endroit, une petite cour, je crois, mais qui ne devait pas être énorme. Il avait un chat, mais il est accusé de ne pas bien s’être occupé du chat et même d’avoir utilisé le chat pour faire de la communication, parce que tous les jours, c’était une petite marotte, un petit truc un peu rigolo, il habillait son chat en lui mettant un petit tour de cou avec une cravate différente. Le chat était tous les jours à la fenêtre, puisqu’il ne devait pas passer beaucoup de temps ailleurs, et ça permettait aux journalistes de filmer tous les jours quelque chose d’un peu différent. Sachant qu’ils l’accusent aussi, et là pour le coup c’est plus sérieux, d’avoir essayé de hacker les élections en Équateur.

Luc : Oui. Ils l’accusent d’avoir essayé de réunir des informations compromettantes contre le président acteul.

Manu : Le nouveau président.

Luc : Le nouveau président qui évidemment ne l’avait pas à la bonne, donc Assange aurait fait des recherches pour essayer de le plomber.

Manu : Ils ne l’accusent pas lui personnellement, ils accusent l’organisation de gens qui veulent aider Assange parce que dans le monde entier il y a plein de gens qui soutiennent Julian et qui considèrent que ce qu’il fait c’est quelque chose de très positif. Je pense que globalement on est pour, on est pour le fait de révéler plein d’informations anti-corruption. Je pense que WikiLeaks est un exemple dans ce sens-là, mais qu’effectivement Julian Assange a quand même pas mal de casseroles qui sont un peu embêtantes

Luc : Pendant l’élection de Trump également il a été très actif sur la révélation des mails qui nuisaient à…

Manu : Hillary Clinton.

Luc : À Hillary Clinton. Il y a un peu cette idée qu'il a quand même une option, qu’il voulait se venger des États-Unis, etc.

Manu : Ceci dit, il est remonté aussi contre Trump et il en veut beaucoup à Trump maintenant, parce que, eh bien Trump est ce qu’il est ! Globalement il n’aime pas les dirigeants des États-Unis.

Luc : Assange est une personnalité compliquée, il y a du pour, il y a du contre. Après on peut défendre, et j’ai vu pas mal de choses qui vont dans ce sens-là, de dire que c’est peut-être un sale con mais la liberté d’expression ne devrait pas être conditionnée au fait d’être quelqu’un de sympa.

Manu : Et se battre contre les géants du monde, je veux dire les États-Unis, c’est une puissance phénoménale donc c’est quand même un combat qui vaut la peine.

Luc : Après, on peut aussi rétorquer que la liberté d’expression, si ça met la vie de gens en danger, il y a peut-être une limite à ne pas dépasser aussi. En tout cas je ne donne pas trop cher de sa peau, je pense qu’il finira aux États-Unis. Je ne vois pas qui résistera à la pression diplomatique des États-Unis pour le récupérer.

Manu : Surtout l’Angleterre, ils sont très proches. Là il a déjà fait sept ans dans une sorte de quasi-prison, même si elle était certainement dorée. Probablement qu’il va encore passer quelques années derrière les barreaux.

Luc : Donc c’est un long épisode qui se termine, on va voir ce que ça va donner, sachant qu’il y a des bruits qui disaient qu’il avait des archives spéciales, la bombe atomique sous la main, qui péterait si jamais il se faisait choper.

Manu : Je crois que Snowden aussi avait cette réputation d’avoir des données cachées.

Luc : On va voir si c’est de la pure rumeur ou si, effectivement, il y a quelque chose.

Manu : Ça peut être intéressant. Révéler des informations sur les grands de ce monde, moi je suis toujours pour !

Luc : En tout cas nous on ne quitte pas l’appartement jusqu’à la semaine prochaine, ils ne nous auront pas.

Manu : À la semaine prochaine.

Luc : Salut.

Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 16 avril 2019

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Bannière de l'émission

Titre :Émission Libre à vous ! diffusée mardi 16 avril 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Marie-Odile Morandi - Angie Gaudion - Denis Dordoigne - Christian Pierre Momon - Noémie Bergez - Frédéric Couchet
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 16 avril 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription :Verbatim
Illustration :Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB :transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur libre préféré, rendez-vous sur le site de la radio et rejoignez-nous sur le webchat consacré à l’émission.
Nous sommes mardi 16 avril 2019, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’April c’est april.org, et vous y retrouvez déjà une page consacrée à cette émission avec un certain nombre de références, qui sera mise à jour après l’émission. Je vous souhaite une excellente écoute.

Nous allons passer maintenant au programme de l’émission.
Nous commencerons dans quelques secondes par la chronique de Marie-Odile Morandi intitulée « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ». Marie-Odile est avec nous par téléphone, on la retrouve d’ici quelques secondes.
D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur les CHATONS, le Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires et je présenterai mes invités à ce moment-là.
En fin d’émission nous aurons la chronique juridique de Noémie Bergez intitulée In code we trust.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui Patrick Creusot, bonjour Patrick, avec l’aide d’Isabella Vanni ma collègue de l’April.

Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture »

Frédéric Couchet : Nous allons commencer tout de suite par une intervention de Marie-Odile Morandi pour sa chronique intitulée « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ». Marie-Odile bonjour.

Marie-Odile Morandi : Bonjour à tous.

Frédéric Couchet : Quel est le sujet dont tu souhaites nous parler aujourd’hui ?

Marie-Odile Morandi : Le sujet de cette nouvelle chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » m’est venu suite à une situation que j’ai vécue récemment, pas sur Internet mais dans une banque. On m’a demandé de signer un document… j’avais la personne en face qui me pressait comme si c’était banal… Et le lendemain, après réflexion je me suis dit que ce qui m’avait été demandé était intrusif, concernait ma vie privée et j’ai repensé à la réflexion qu’on entend encore bien trop souvent « je n’ai rien à cacher ».
Diverses conférences ont été transcrites par notre groupe avec dans leur intitulé cette affirmation et vous retrouverez tous les liens sur le site de l’April, sur la page de références concernant cette émission.

Frédéric Couchet : Quelle est la conférence la plus ancienne que le groupe Transcriptions ait transcrite avec ces mots dans son intitulé « je n’ai rien à cacher » ?

Marie-Odile Morandi : Déjà en 2013, lors de l’événement Pas Sage en Seine, une personne dont le pseudo est Numendil avait tenu une conférence intitulée « Si, vous avez quelque chose à cacher ».
Il nous montre qu’il est très difficile de définir ce qu’est la vie privée, qui dépend de nombreuses variables si bien que chacun d’entre nous aura sa propre définition et toutes ces définitions seront différentes.
Il rappelle que quand on dit : « Moi j'ai des choses à cacher », il nous est répondu « c’est que tu es un terroriste, un pédophile, voire les deux » Bien entendu, comme l’idée même de ces crimes est révoltante il sera facile pour les gouvernements d’expliquer que la vie privée, eh bien on la met au second plan. On en arrive à une société de surveillance généralisée avec, comme conséquence, une évolution de l’État policier au fur et à mesure des années.
Numendil nous indique comment il a pu, presque par jeu, connaître la vie complète d’une personne et donc combien ce sera facile pour d’autres entités.
Ses conclusions sont qu’il faut une sensibilisation dès le plus jeune âge, une éducation au numérique ; qu’il faudrait plus de transparence de la part des sites qu’on consulte concernant la récupération de nos données et qu’il faudrait expliquer au public que la nécessité de lire les fameuses CGU, les conditions générales d’utilisation, avant de cliquer sur le bouton « OK » est très importante.
Je vous laisse lire la transcription de cette conférence, je le rappelle de 2013, avec en particulier une actualité de l’époque concernant la reconnaissance faciale dans le métro pour repérer les personnes ayant un comportement suspect. L’actualité récente, certes dans le registre de la publicité ciblée dont il est aussi fait mention dans la conférence, a pointé les fameux panneaux publicitaires dans les couloirs du métro qui diffuseront des messages différents selon les heures de la journée en fonction du profil des usagers. Cela ne manque pas de laisser perplexe…

Frédéric Couchet : Ça c’est la plus ancienne conférence. Par la suite quelles conférences ont été transcrites ?

Marie-Odile Morandi : Diverses conférences ont été transcrites par la suite, en particulier en 2015 car plusieurs conférences se sont tenues sur ce sujet. 2015 est l’année qui correspond à la discussion de la loi renseignement au Parlement et à sa promulgation.
Nous avons transcrit la conférence de Julien Vaubourg, alors doctorant dans une équipe de recherche, qu’il a donnée lors d’un séminaire à Nancy.
Il aborde la question de façon provocatrice en disant : je n’ai rien à cacher donc j’ai donné à Google une licence de reproduction, de modification, d’affichage, de distribution de tous les contenus que je lui fournis. Quand j’envoie un message sur Gmail, Google en fait ce qu’il veut parce que je l’ai accepté : il a le droit de lire, d’interpréter, de recopier, de distribuer les informations. J’ai accordé à Facebook une licence non-exclusive, transférable, des contenus que je publie. » Il nous rappelle que certes sur Facebook on peut effacer des contenus sauf ceux qui sont partagés par d’autres, l’essence même d’un réseau social !
Il nous invite à réfléchir avec cette question : « Sommes-nous prêts à assumer dans dix ans ce que nous faisons aujourd’hui ? », mentionnant le conseil du PDG de Google : « Si nous souhaitons que personne ne soit au courant de certaines choses que nous faisons peut-être ne faudrait-il pas les faire, tout simplement ! »
Il nous rappelle qu’une analyse de 2008 du principal fichier policier français comportait de nombreuses erreurs dues à des fautes de frappe, à des homonymies, qu’il faut se méfier de cette surveillance de masse dont on fait l’objet au quotidien et qui risque de nous mettre en péril.
Surtout il s’inquiète de la façon dont évoluera la société et à quoi ressembleront nos lois dans 20 ans. « Certes, dit-il, peut-être que j’ai confiance dans mon gouvernement actuel, mais qu’en sera-t-il des gouvernements qui suivront et des gouvernements étrangers ? » Son opinion est qu’il faut toujours garder une certaine latitude pour que la population puisse ne pas respecter totalement la loi, puisse faire un pas de travers pour se rebeller si ça part dans le mauvais sens, pour que la loi puisse évoluer, qu’elle ne soit pas morte. N’est-ce pas cela la démocratie ?
Je vous invite aussi à lire la transcription des questions du public et des réponses apportées par Julien Vaubourg lors de cette conférence. Le lien est sur la page des références concernant notre émission.

Frédéric Couchet : Ça c’était en 2015 et toujours en 2015 il y a une conférence de Laurent Chemla à Pas Sage en Seine.

Marie-Odile Morandi : Oui, et qui était intitulée « Rien à cacher – Vie privée : guide de survie en milieu hostile ». Pour Laurent Chemla, le milieu hostile c’est notre famille, nos amis, les personnes avec qui nous sommes en relation.
Laurent nous rappelle que ce sujet n’est pas très récent, il en parlait déjà en 2004. Il constate lui aussi que personne n’a jamais vraiment défini ce qu’est la vie privée et il nous demande de ne pas confondre privé et secret, je vous laisse aller lire ses explications.
Pour Laurent, cela fait une trentaine d’années que la vie privée a perdu de son importance dans l’esprit du public ; il cite tour à tour les émissions de télé-réalité, les babyphones, la vidéoconférence ainsi que la sémantique avec l’exemple du mot « vidéosurveillance » qui devient « vidéo protection ».
Laurent indique qu’une façon de convaincre son interlocuteur qu’il a bien quelque chose à cacher sera de lui marteler :« Si toi tu considères que tu n’as rien à cacher, moi j’ai des choses à cacher. Donc en te protégeant, tu protèges aussi ton entourage dont je fais partie. »
Mais pour Laurent ce qui est plus grave, c’est qu’avec cette surveillance constante, on ne se sent plus libre, on n’agit plus de la même façon non seulement physiquement mais dans sa façon de penser. On adopte un conformisme qui nous est imposé, on ne se démarque plus. Il n’y a plus de confrontation des idées, tout le monde adopte les mêmes. « Il n’y aura plus de démocratie, nous dit-il, mais un semblant de démocratie. Certes on ira toujours voter, mais pour quoi ? Aura-t-on encore le choix ? »
Laurent est bien conscient qu’il donne cette conférence devant un public de convaincus, le public de Pas Sage en Seine. Il nous propose des pistes, que je vous engage à lire car, selon lui, faudra beaucoup de travail et de temps pour faire en sorte que les gens se sentent concernés, pour que la vie privée retrouve de sa valeur auprès du public.

Frédéric Couchet : Tu cites Pas Sage en Seine. Pas Sage en Seine c’est à Choisy-le Roi près de Paris et la prochaine édition arrive dans quelques mois, je n’ai pas les dates en tête, mais c’est sans doute juin 2019. Le site c’est passageenseigne.org, « passageenseine » tout attaché. Dernière question : Laurent Chemla ne te semble-t-il pas un peu pessimiste sur le sujet ?

Marie-Odile Morandi : Oui, il me semble un peu pessimiste même si lui dit qu'il pense qu’il est optimiste. Il est optimiste surtout parce que nous parlons de cette question-là et qu’il y a des conférences concernant ce sujet.
Pour terminer sur quelque chose d’un petit peu plus léger dans son expression, je souhaitais vous parler de la transcription d’un podcast enregistré en 2016 et intitulé « Je n’ai rien à cacher – Conversation entre 4 assos du Libre », « Partage d’arguments pour répondre au fameux « je n’ai rien à cacher ».
Là le thème est traité de façon plus légère et plus accessible, mais de façon tout aussi percutante, les exemples choisis allant du journaliste qui veut protéger ses sources aux ados qui ne souhaitent pas que leurs parents ou leurs profs sachent ce qu’ils partagent avec leurs amis. Je vous laisse prendre connaissance de ces divers exemples.
Il nous est aussi redit que les bases de données dans lesquelles chacun se retrouve de nombreuses fois sous de nombreuses formes ne sont pas du toutes fiables, qu’il y a des homonymies, des risques d’usurpation d’identité.
Les mœurs changent. L’évolution vers des systèmes autoritaires est en marche. Nous risquons demain d’être fichés comme ayant des comportements qui ne sont plus tolérés. Avec comme conclusion de cet échange entre 4 assos du Libre : « Peut-être qu’on n’a rien à cacher, mais on a des choses à protéger. »

Frédéric Couchet : Pour conclure tu encourages les personnes à relire ces transcriptions dont les références sont sur le site de l’April, april.org, c’est bien ça ?

Marie-Odile Morandi : Effectivement, j’encourage les auditeurs et les auditrices à relire ces transcriptions afin de garder à l’esprit et à tout moment ce dont il est question et d’être en capacité de réfléchir. Il en va effectivement de la protection de notre vie physique, de notre vie numérique et, comme cela a été souligné plusieurs fois, de notre démocratie.

Frédéric Couchet : Écoute merci Marie-Odile pour cette nouvelle chronique intitulée « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ». Les références sont sur le site de l’April, april.org. Marie-Odile je te souhaite de passer une belle journée, on se retrouve le mois prochain.

Marie-Odile Morandi : Entendu. À la prochaine fois.

Frédéric Couchet : À la prochaine. Nous allons faire maintenant une pause musicale. Le titre a été choisi par l’un de nos invités qui intervient tout à l’heure ; le titre s’appelle Clémentines, l’artiste c’est Löhstana et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Clémentines par Löhstana.

Le collectif CHATONS

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Clémentines par Löhstana qui est une musique libre, licence Creative Commons Partage à l’identique. Les références sont sur le site de l’April. Comme vous l’avez entendu ce n’est pas tout à fait de saison parce que c’est la fin des clémentines ; en tout cas c’est un très beau titre qui est en licence Art libre.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Nous allons changer de sujet. Excusez-moi le démarrage a été un petit peu speed parce qu’on avait un petit problème technique. Je vais en profiter pour indiquer que le générique de début a changé ; je ne sais pas si les personnes qui écoutent régulièrement l’émission l’ont noté. Vous le réécouterez la semaine prochaine et je salue au passage PG qui est une personne du salon, qui nous a fait ce nouveau montage avec des voix réenregistrées récemment, il y a un petit montage différent par rapport à d’habitude. Je voulais le signaler parce que j'avais oublié tout à l’heure lors de la diffusion du générique de début.

Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur les CHATONS, le Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, des mots qu’on va expliquer au fur et à mesure et je vais commencer par présenter mes invités. Normalement nous avons au téléphone Angie Gaudion de l’association Framasoft. Bonjour Angie.

Angie Gaudion : Bonjour.

Frédéric Couchet : Avec nous en studio Denis Dordoigne de l’association INFINI. Bonjour Denis.

Denis Dordoigne : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Christian Pierre Momon de l’association April et du chaton Chapril. Bonjour Christian.

Christian Momon : Bonjour.

Frédéric Couchet : Nous allons donc parler des CHATONS, je vais refaire l’acronyme, dans le site web c’est chatons avec un « s » point org, donc Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires. D’abord un petit tour de table de présentation rapide de chacun et chacune d’entre vous pour dire qui vous êtes. On va faire dans le sens inverse ce coup-ci. Christian.

Christian Momon : Moi je suis développeur du Libre, membre de l’April, membre du conseil d’administration de l’April. Je fais des choses depuis une vingtaine d’années avec l’April. Je soutiens le chaton de l’April, entre autres, j’y participe activement.

Frédéric Couchet : Qui s’appelle Chapril, évidemment jeu de mots en « chaton » et « April ». Denis.

Denis Dordoigne : Moi, à titre professionnel, je travaille chez un hébergeur, ce sont des gens qui fournissent des services sur Internet ; on aide certaines boîtes à le faire. Je fais partie d’une association qui s’appelle INFINI, qui existe depuis plus de 20 ans maintenant, presque 25, qui fournit des services justement à ses utilisateurs et qui a été parmi les chatons au lancement du projet.

Frédéric Couchet : D’accord. Je précise que tous les deux vous êtes bénévoles dans des structures de type chaton. Et toi Angie ?

Angie Gaudion : Moi je suis salariée au sein de l’association Framasoft qui a pour mission, objectif, de faire la promotion du logiciel libre et de la culture libre en général. Au sein de mes missions je suis chargée de communication et de partenariat et j’ai, pour le coup, actuellement la coordination du collectif CHATONS.

Frédéric Couchet : Très bien. Je précise d’ailleurs qu’on recevra normalement Pierre-Yves Gosset, délégué général de Framasoft, le 4 juin pour une émission sur Framasoft et peut-être d’autres personnes de Framasoft. La date reste à confirmer ; en tout cas suivez l’actualité de l’émission. Première question collective : quel est le problème que le Collectif souhaite résoudre ? Qui veut commencer ? Christian ?

Christian Momon : Angie représente le collectif. Donc Angie à toi !

Frédéric Couchet : Donc Angie Gaudion de Framasoft.

Angie Gaudion : Le Collectif se donne pour mission de répondre à plusieurs problématiques. La première c’est la concentration des services sur le Web. On le sait très bien, les utilisateurs, les internautes savent qu’ils utilisent beaucoup de services très centralisés au sein de grandes entreprises qu’on appelle souvent les géants du Web ou les GAFAM. Ça c’est le premier élément. Le deuxième c’est la sécurité de nos données personnelles ; les affaires Snowden ou Cambridge Analytica nous on ont montré qu’effectivement, quand on utilisait justement ces services très concentrés, eh bien en échange d’une fausse gratuité, on utilisait nos données personnelles. Et le dernier élément c’est qu’on a beaucoup de menaces sur la liberté d’expression et le partage des informations qu’on a sur le Web. Ça ce sont des constats de base qui ont été faits avec la nécessité de repenser, en fait, comment on permet aux internautes d’utiliser des services qui vont leur permettre d’accéder à de l’information de manière plus neutre, de communiquer sur des outils qui ne vont pas les espionner ou ne pas utiliser leurs données personnelles, etc.

Frédéric Couchet : Merci Angie. Qui veut compléter cette introduction, Christian Momon.

Christian Momon : Historiquement c’était très intéressant de voir la démarche de Framasoft de mettre en ligne des services libres pour justement montrer qu’il existait des alternatives. Ça a été encore plus intéressant de voir, après quelques années, cette réflexion de dire que Framasoft ne devait pas être le point central de propositions.

Frédéric Couchet : Christian, tu vas peut-être un peu vite pour les personnes qui nous écoutent. On va juste rappeler des dates. La première chose à laquelle tu fais référence c’est la campagne Dégooglisons Internet de Framasoft, en 2014. Framasoft propose un certain nombre de services libres, éthiques, loyaux, en alternative aux services des géants du Web plus connus sous le nom des GAFAM, mais il n’y a pas que les GAFAM ; GAFAM c’est Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, mais il y a aussi évidemment les géants chinois, etc. Ça c’est en 2014, Framasoft, à travers Dégooglisons Internet, propose des service

Christian Momon : Une très belle campagne qui marche très bien. Plein de gens utilisent les services. D’ailleurs ils ont dû, je ne veux pas parler en leur nom, mais on sait qu’ils ont eu une montée en puissance des serveurs qui a été nécessaire, qu’ils ont assurée ; ils fonctionnent très bien. Du coup après effectivement, a priori il y a eu une réflexion en se disant « on ne va pas centraliser à nous toutes les alternatives. Ça serait bien que d’autres le fassent et que ça soit décentralisé ; que la fourniture de services alternatifs libres soit décentralisée. » Donc l’idée d’un collectif a mûri pour encourager cette démarche.

Frédéric Couchet : L’idée c’était que la porte d’entrée ne soit pas uniquement Framasoft, la porte d’entrée des alternatives aux GAFAM, mais soit un collectif. Denis est-ce que tu veux rajouter quelque chose sur cette partie-là ?

Denis Dordoigne : Oui. Il faut bien se rendre compte que c’est progressif comme démarche. D’abord on prend conscience de ce qu’on fait, donc le Framablog, des choses qui proposent des articles régulièrement pour expliquer ce que sont les enjeux des grands du Net. Après il y a eu l’étape « il faut arrêter d’aller chez les GAFAM », donc il y a les services par Framasoft. Maintenant on a une troisième étape pour les utilisateurs : « attention Internet ne doit pas être centralisé » et c’est là-dedans que s’amène le projet CHATONS.

Frédéric Couchet : D’accord. Angie, comme tu travailles pour Framasoft est-ce que tu souhaitais ajouter des précisions sur cette partie historique ?

Angie Gaudion : Non. C’est la démarche en fait. Nous on dit souvent : « On ne veut pas devenir, du coup, le Google du Libre », c’est la formule qu’on emploie. Le collectif CHATONS a vraiment été pensé pour éviter cette entrée, ce tuyau unique d’accès aux outils libres alternatifs.

Frédéric Couchet : D’accord. Je vais rappeler les dates : 2014 la campagne Dégooglisons Internet et le lancement du collectif CHATONS en 2016. Christian tu veux ajouter un dernier point sur cette introduction ?

Christian Momon : Oui. Il faut bien avoir en tête que des associations qui proposaient des services pour leurs adhérents ou même ouverts à tout le monde, il y en avait en parallèle de l’action, de la campagne de Framasoft. Mais il faut bien dire que c’était peu connu, il y avait peu de communication dessus et c’était souvent pour les adhérents du GULL qui n’étaient pas forcément très nombreux.

Frédéric Couchet : GULL c’est un groupe d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciel libre. On va éviter les acronymes ou on les explicite. Mais c’est très intértesssant et c'est important que tu rappelles que des structures offraient déjà ces services-là. INFINI, par exemple, existe depuis une vingtaine d’années de mémoire.

Denis Dordoigne : On a 25 ans l’année prochaine. Faites le calcul : 1995.

Frédéric Couchet : 25 ans ! Encore plus anciennement que je ne pensais ! Donc ces structures-là existaient. Par contre ce qui va peut-être changer avec le Collectif et on va en parler, justement c’est un collectif avec une dynamique et aussi avec une charte et un manifeste dont on va parler assez rapidement.
Ça c’est l’introduction un petit peu historique avec le lancement, en 2016, de ce Collectif. Dans le terme CHATONS donc avec un « S », parce qu’aujourd’hui on va parler des CHATONS avec un « S » et des « chaton » sans « s » qui sont les hébergeurs individuels, CHATONS ça veut dire Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires. Évidemment on ne va pas rentrer dans le détail de tout le manifeste et de la charte, mais si on se place du point de vue d’une personne qui nous écoute, qui a bien conscience des problématiques que Angie a exposées au début notamment sur la vie privée et les données personnelles d’utiliser les services des GAFAM ou des géants du Web et qui se dit : tiens je souhaiterais utiliser les services d’un chaton, donc d’un hébergeur, d’une structure qui héberge, qu’est-ce que va lui apporte un chaton en termes de services et aussi en termes d’engagement ? Finalement qu’est-ce qui différencie ces fameux chatons d’autres services ? Angie, peut-être, si tu veux commencer.

Angie Gaudion : Il y a plusieurs choses. Souvent on compare les membres du Collectif, donc chaque chaton, à des AMAP. En fait c’est une bonne analogie, je trouve, pour expliquer la façon dont et fonctionne le Collectif et dont il est pensé au départ, à savoir des personnes de proximité. Dans les AMAP ça va être des producteurs ; dans l’univers des CHATONS ça va être des hébergeurs, donc des hébergeurs de proximité qui vont proposer des services alternatifs et avec qui on va pouvoir avoir un échange. Il y a vraiment cette notion très importante du coup qui est bien sûr faire héberger des services ailleurs que chez les géants du Web, mais pas que. C’est vraiment rencontrer des personnes qui ont un engagement, avec qui je vais pouvoir échanger, avec qui je vais pouvoir aller boire un café, peut-être même auprès desquelles je vais aussi pouvoir m’investir tout simplement pour faire fonctionner les services qu’ils proposent. C’est vraiment un élément très important dans les CHATONS. Donc le chaton va pouvoir soit apporter du service, soit apporter de la discussion, soit de l’entraide au sein d’une communauté plus large.

Frédéric Couchet : D’accord. Je rappelle qu’une AMAP c’est une association pour le maintien de l’agriculture paysanne. Finalement, dans le cadre des CHATONS, au lieu de trouver des paniers de légumes fournis par un agriculteur ou une agricultrice, on trouve des services en ligne fournis par un hébergeur de proximité ; ça c’est le point important : quand tu as parlé de prendre un café ou un verre avec les personnes qui hébergent un chaton, ça fait partie des engagements des chatons. Oui Christian ?

Christian Momon : Ça c’est un point très important de pouvoir rencontrer les gens qui gèrent les services parce que ça permet de créer une relation de confiance. Aujourd’hui, est-ce que les utilisateurs des services de Microsoft ou Google ont confiance en ces entreprises-là ? Eh bien difficilement ! Si elles veulent entrer en contact avec ce n’est pas évident ! Si elles veulent demander des vérifications ou comment ça fonctionne derrière, eh bien elles n’auront pas de réponse ! Alors que justement, là, avec de telles structures, on peut les rencontrer, ce sont des êtres humains, des vrais êtres humains, on peut leur poser des questions, on peut même participer. Du coup la relation de confiance et de transparence est géniale. Voilà !

Frédéric Couchet : Tu parles de transparence. Dans le mot des CHATONS il y a aussi « Ouverts », donc ouverture. L’un des engagements de base dans la charte et dans le manifeste – tous ces documents sont trouvables évidemment sur le site chatons.org, chatons avec un « s » – il y a la partie on va dire informatique qui est l’engagement logiciel libre. Denis c’est quoi l’engagement logiciel libre au niveau des CHATONS ?

Denis Dordoigne : Je ne vais pas forcément réexpliquer ce qu’est un logiciel libre ? Les gens doivent connaître à force d’écouter l’émission !

Frédéric Couchet : Tu peux réexpliquer en quelques mots.

Denis Dordoigne : Les logiciels libres ce sont des logiciels qui se définissent par les libertés qu’ils fournissent : la liberté de l’utiliser comme on veut, la liberté de l’étudier, la liberté de le modifier si on a des connaissances dessus et on a le droit de le redistribuer sous toutes les formes, même non modifiées. Pour nous c’est important de n’utiliser que des logiciels libres, parce que c’est l’aspect pour que vraiment les gens puissent avoir confiance sur toute la ligne en ce qu’on fait, de ce qu’ils ont. Du coup, si quelqu’un qui utilise nos services nous demande : « Mais comment c’est fait, il y a quoi à l’intérieur ? », on peut lui donner. S’il n’a pas de compétences il peut demander à quelqu’un de vérifier, mais on sait que c’est transparent : n’importe qui peut vérifier que ce qu’on a c’est ce qu’on dit.

Frédéric Couchet : Christian tu veux compléter ?

Christian Momon : De ce point de vue-là la charte est magnifique. J’encourage vraiment les auditeurs à aller la voir ; elle reprend chacune des lettres du nom du Collectif, de CHATONS, et pour chaque lettre ce qui est attendu est expliqué et, en fait, ce sont d’énormes contraintes. Si on lit attentivement, il y a plein de contraintes.

Frédéric Couchet : Ce ne sont pas des contraintes, ce sont des engagements forts !

Christian Momon : Oui, mais quand on veut adhérer à cette charte ça représente beaucoup de contraintes, à beaucoup de niveaux. Par exemple il faut même documenter sa plate-forme, ses services, et il faut partager la documentation sur ses services. Du coup j’utilise le mot « contrainte » exprès pour montrer que la charte est un vrai engagement mais que ces contraintes, en fait, ne sont pas si négatives que ça dans le sens où elles montrent une démarche et elles permettent vraiment de partager et d’avancer.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc la charte et le manifeste ont été rédigés en grande partie par Framasoft mais avec un appel à commentaires ouverts. Angie, est-ce qu’il y a des points de la charte ou du manifeste que tu souhaites mettre en avant sur la partie engagement, justement par rapport aux personnes qui vont utiliser les services d’un chaton ?

Angie Gaudion : Un élément qui à moi semble intéressant ce sont les conditions générales d’utilisation. On en parle beaucoup auprès des services privateurs proposés par les géants du Net ; en général c’est incompréhensible, ça fait une longueur incroyable ! Il y a une obligation, dans la charte, que l’ensemble des hébergeurs qui font partie du Collectif aient des conditions générales d’utilisation qui soient claires, accessibles à tout le monde et qui ne soient pas contradictoires, bien sûr, avec le reste de la charte, qui respectent les principes qui sont posés dans cette charte. Je trouve que c’est vraiment un élément important : quand on a des conditions générales d’utilisation qui sont faciles à comprendre, eh bien c’est le premier élément de la confiance. Ce qui n’empêche pas, ensuite, d’aller rencontrer, mais je trouve qu’arriver sur un site et avoir ses CGU c’est vraiment un élément très important pour rendre visible ce que fait chaque hébergeur.

Frédéric Couchet : On va préciser que ces CGU, donc ces conditions générales d’utilisation, sont lisibles.

Angie Gaudion : Bien sûr.

Frédéric Couchet : Parce que souvent elles ne sont pas lisibles, volontairement évidemment, chez d’autres structures ; elles sont plus ou moins longues. Je précise, même si on y reviendra tout à l’heure, que quand on veut créer un chaton Framasoft, on peut s’inspirer des CGU qui existent déjà. Par exemple dans le cas du Chapril on s’est inspiré des CGU de Framasoft ; ça c’est important. Dans les CGU on a parlé de logiciel libre, on a aussi parlé de transparence, de données personnelles, il y a un engagement très fort sur la protection des données personnelles et sur la transparence des demandes qui pourraient être faites de retrait ou d’interventions, par exemple judiciaires. Christian, quand tu parlais tout à l’heure de transparence, normalement chaque chaton doit afficher sur ses pages à la fois les incidents techniques mais aussi les demandes éventuelles de retrait, les problèmes techniques qu’il pourrait y avoir sur des données personnelles. Il y a un engagement très fort, et je vais vous redonner la parole, je crois aussi, de mémoire, qu’il y a un engagement sur le modèle économique : ne pas recourir à la publicité pour éviter le filtrage des personnes qui utilisent ces services. Christian ?

Christian Momon : Oui. Et ne pas faire d’argent avec les données personnelles ou les données collectées dans le cadre de l’exploitation de la plate-forme.

Frédéric Couchet : Ne pas les monétiser.

Christian Momon : Exactement !

Frédéric Couchet : D’accord. Denis là-dessus.

Denis Dordoigne : On a le droit à la publicité, mais elle ne doit pas être par rapport aux données personnelles. Les publicités ne doivent pas utiliser les données personnelles pour être personnalisées, etc. On peut avoir le modèle économique qu’on veut.

Frédéric Couchet : D’accord. Merci de cette correction. Effectivement j’avais peut-être lu un petit peu vite. Christian.

Christian Momon : Effectivement. On parlait d’AMAP tout à l’heure, mais n’importe quelle entreprise ou structure juridique peut se déclarer un chaton du moment qu’elle respecte la charte. La charte n’est pas un point de blocage par rapport à une structure d’entreprise.

Frédéric Couchet : On va y revenir effectivement tout à l’heure. J’encourage les personnes à aller sur le site des CHATONS, chatons.org avec un « s », notamment pour lire un petit peu le manifeste et la charte ; il y a aussi une foire aux questions. Vous y trouverez notamment des engagements sur la neutralité aussi, sur l’absence de censure a priori. Peut-être qu’on n’entrera dans le détail aujourd’hui sur ces aspects-là, peut-être qu’on fera une autre émission où on rentrera un peu plus dans le détail, notamment parce qu’il y a des évolutions juridiques qui arrivent. Un point essentiel d’ailleurs : quand on parle d’hébergeur on parle bien du statut d’hébergeur dans le sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique ; c’est un point essentiel qu’on abordera peut-être dans une seconde émission parce que si on n’a pas officiellement ce statut-là, en tout cas si on ne se déclare pas en tant qu’hébergeur, on peut avoir quelques problèmes quand on héberge un chaton. Je parle d’un point de vue simplement « héberger un chaton ».

Christian Momon : D’où le double intérêt d’utiliser vraiment la charte CHATONS et d’intégrer le Collectif parce qu’il y a vraiment une base qui donne un périmètre clair, qui aide à démarrer quand on veut se lancer et c’est très pratique.

Frédéric Couchet : On va revenir et on va continuer sur les hébergés, parce quand il y a hébergeur il y a des hébergés, donc des personnes hébergées ou des structures qui utilisent les services d’un chaton. Naturellement on se pose la question : quels services on trouve sur ces fameux chatons ? Est-ce qu’on trouve tous les services dont on pourrait avoir besoin ? Quels types de services on trouve ? Angie, toi qui animes ce Collectif, tu as sans doute une vision plus large que nous, quels sont les types de services qu’on trouve sur les différents chatons et quels sont les services finalement les plus demandés si on a déjà cette information-là, les plus entre guillemets « utilisés » par les personnes ?

Angie Gaudion : Le nombre de services est très large. On va trouver vraiment tous types de services, en revanche on ne va pas forcément tous les trouver au sein du même hébergeur. Il va y avoir des hébergeurs qui vont se focaliser sur le fait de proposer, par exemple, uniquement du courrier électronique et du stockage et du partage de fichiers. D’autres qui vont être davantage sur, je ne sais pas, l’agrégateur de flux RSS, un gestionnaire de mots de passe, de la cartographie, de la messagerie collaborative. Voilà ! C’est très varié en fait sur les types de services qui sont proposés et, j’allais dire, ça regroupe quasiment tous les types de services qu’on peut avoir, du coup, dans les services web actuels, même avec, en plus, des services on va dire liés proprement à l’hébergement. C’est-à-dire qu’on peut passer par un chaton pour avoir un hébergement sur un serveur, ce qui relève, du coup, d’autre chose que du service web dans sa globalité. D’un chaton à l’autre on va avoir des choix qui vont être faits tout simplement par les personnes qui composent le chaton, la structure qu’il y a derrière qui ne pourra pas forcément maintenir tous les types de services, c’est impossible, et qui diront on va faire des choix en fonction de leurs compétences.

Frédéric Couchet : D’accord. Justement petite question collective et on commencera par toi Angie : en gros, au niveau de Framasoft vous êtes historiquement les premiers, est-ce que tu sais combien de services différents vous offrez aujourd’hui ?

Angie Gaudion : Au dernier comptage on est à 34 services différents.

Frédéric Couchet : D’accord.

Christian Momon : Bravo !

Frédéric Couchet : Bravo ! Donc une large de palettes de services. Je vais poser la même question. On va commencer par Denis pour INFINI.

Denis Dordoigne : Ça dépend ce qu’on appelle services, mais entre 30 et 50, je dirais, selon la définition qu’on utilise.

Frédéric Couchet : Ah ! D’accord. OK.

Christian Momon : Vos utilisateurs.

Denis Dordoigne : En fait quand on est devenu chaton on a proposé les services que faisaient Framasoft, le pad des choses comme ça ; on en a récupéré une douzaine. C’est vraiment parce qu’on voulait participer au projet de Framasoft de se décentraliser. On fournit des services depuis 1995 à nos adhérents donc il y a des services très divers comme le mail et des listes de diffusion. On fait de l’accompagnement pour créer des sites internet, des wikis, des SPIP [Système de Publication pour l'Internet], enfin…

Frédéric Couchet : Ça dépend effectivement de la définition de service. Là je parlais plutôt de services en ligne, donc pas forcément des formations pour utiliser un SPIP. C’est intéressant d’expliquer que vous faites les deux, en fait, chez INFINI.

Denis Dordoigne : Et dans les services qu’on aide on a un service de publication de vidéos qu’on n’a pas ouvert au public ; on a des services de cartographie qu’on commence à ouvrir au public. On a un service de cloud pour synchroniser son téléphone qui n’est réservé qu’aux adhérents. Techniquement on a des services qu’on est les seuls à proposer chez les chatons. Par exemple on fait de la diffusion de radio en ligne : il y a des réémetteurs aujourd’hui en Bretagne qui sont alimentés par des services hébergés par INFINI. Là je ne pourrais pas les dire, mais il y a vraiment beaucoup de services parce qu’on est anciens, tout simplement.

Frédéric Couchet : Vous retrouverez toute la liste sur infini.fr. Je vais la parole à Christian qui rigole d’avance parce le nombre de services offerts sur le Chapril pour l’instant va faire petit, mais c’est un petit chaton, le Chapril. Combien de services, cher Christian ?

Christian Momon : Chapril, le chaton de l’April, est très récent. Il est né fin 2017, donc il propose actuellement quatre services et il y en a six en cours de préparation. Voilà !

Frédéric Couchet : Effectivement c’est un service récent. On n’inclut pas les services qu’on propose aux membres depuis très longtemps et ça me fait penser que tout à l’heure on aura une discussion, après la pause musicale qui va bientôt arriver, sur, justement, à quels types de public s’adressent les services ? Est-ce que certains services sont restreints en fonction du type de public ? On voit déjà quand même, en tout cas en allant sur chatons.org, qu'on peut largement trouver des services et avec un aspect local qui est très important parce que j’ai peut-être oublié de préciser que INFINI c’est en Bretagne.

Denis Dordoigne : Oui. À Brest.

Frédéric Couchet : À Brest. Une partie de l’équipe Framasoft est à Lyon. C’est bien ça Angie ?

Angie Gaudion : Oui. Cependant on dit plutôt que notre univers c’est le Web, On n’est pas trop localisés puisque, du coup, on ne propose que des services web qui sont accessibles, a priori, à n’importe qui.

Frédéric Couchet : Chapril, c’est pareil, c’est accessible à n’importe qui même si beaucoup d’événements, notamment les apéros et les rencontres, se font à Paris, même s’ils peuvent se faire également ailleurs.

Christian Momon : Oui. À Marseille, à Montpellier et bientôt à Toulouse j’espère. Dans nos animateurs de services au Chapril on a des Lillois, on a maintenant des Mulhousiens, enfin c’est assez réparti. Donc s’il y a besoin de rencontrer, on a des gens qui ne sont pas que à Paris.

Frédéric Couchet : D’accord. On va faire une pause musicale avant de poursuivre la discussion sur la partie « héhergés ». Le titre s’appelle Akilou, le groupe s’appelle 6 février 1985 et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Akilou par 6 février 1985.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Akilou par 6 février 1985. Cette musique est disponible en licence libre Art libre et vous retrouvez la référence sur le site de l’April.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Nous parlons toujours des hébergeurs de services en ligne libres, loyaux, transparents, ouverts, solidaires et on parlera tout à l’heure de la partie « solidaires » avec nos invités Angie Gaudion de Framasoft, Denis Dordoigne d’INFINI, Christian Momon du Chapril.
Juste avant la pause musicale on parlait des différents types de services et on en a listé beaucoup. Maintenant on va parler un petit peu des types de public parce qu’on se met à la place des personnes qui nous écoutent. Peut-être que pour certaines personnes logiciel libre équivaut encore à un truc compliqué réservé à des geeks ou à des informaticiens ou informaticiennes. À quels types de public s’adressent les chatons ? En gros est-ce que c’est déjà accessible à toute personne ? Angie.

Angie Gaudion : Oui, tout à fait, c’est totalement accessible à n’importe qui, à des particuliers, donc des internautes. Aujourd’hui les trois quarts des services sont des services sur le Web donc, en fait, qui pourront leur permettre d’y accéder très facilement. Mais ça va être aussi des services qui peuvent être proposés à des associations. Chez Framasoft, par exemple, on va accompagner des associations et on va leur proposer, du coup, d’utiliser des outils libres soit pour leurs membres soit même, j’allais dire de manière plus globale, pour leur organisation interne. Et puis on a aussi la possibilité de s’adresser aux TPE, aux PME, donc au monde de l’entreprise, plutôt sur des petites structures ; les chatons, majoritairement, ne vont pas s’adresser à des très grosses structures ne serait-ce parce que, souvent, elles ont leur propre système, mais du coup c’est ouvert à tout type de public.

Christian Momon : Les écoles aussi.

Frédéric Couchet : Christian.

Christian Momon : Les écoles. Dans le cadre des activités de l’April nous faisons beaucoup de sensibilisation, nous avons des stands dans beaucoup d’événements et nous rencontrons plein de gens qui nous parlent de leurs expériences et notamment des enseignants qui nous expliquent qu’ils utilisent les pads de Framasoft.

Frédéric Couchet : Alors un pad. Explique ce que c’est qu’un pad ?

Christian Momon : Un pad c’est un éditeur de texte collaboratif, c’est-à-dire que sur la même page web, on peut éditer à plusieurs le même texte sur différents postes d’ordinateurs. C’est très pratique pour travailler à plusieurs, pas forcément au même endroit. Et notamment il y a des enseignants qui, dans des classes, font travailler des élèves par groupes de deux sur leur pad et eux peuvent aller voir dans chaque pad comment ça avance, leur donner des conseils, etc. Donc c’est une forme de public. Il y a aussi Minetest qui est très utilisé. Minetest est un simulateur de mondes virtuels qui est aussi utilisé dans le monde de l’Éducation nationale, entre autres. Donc les publics sont très variés et le meilleur conseil qu’on peut donner aux auditeurs c’est d’aller tester ; ce sont des sites web sur lesquels on peut aller, cliquer avec la souris et se rendre compte qu’ils sont très utilisables.

Frédéric Couchet : En plus on ne risque rien en testant ces outils parce qu’il y a un engagement de transparence, d’ouverture, de neutralité, de gestion des données personnelles, donc on ne risque rien en utilisant ces outils justement. Plutôt que de, par exemple, utiliser un outil privateur pour organiser sa prochaine réunion, fixer la date, eh bien on utilise un système de dates que ce soit Framasoft, INFINI ou Chapril. Donc c’est ouvert, en fait, à toute personne et certains services, d’ailleurs, ont une interface qui se rapproche un petit peu de ce qui peut exister dans le monde privateur, pour ne pas perdre, justement, les personnes qui découvrent ce monde-là.
En fait, finalement les deux publics visés, eh bien ce sont les publics qui souhaitent faire une reprise de contrôle de leurs données personnelles et aussi, et ce n’est pas exclusif, les personnes qui recherchent quelque part un hébergement de proximité, parce que je crois qu’aujourd’hui, dans la société, c’est important la proximité ; ce sont deux arguments qui ont été évoqués tout à l’heure en introduction : l’aspect proximité et l’aspect respect des données personnelles, contrôle des données personnelles.

Le public peut se demander, parce qu’il a bien le compris le modèle économique des GAFAM, des géants du Web, ça tout le monde l’a à peu près compris, quel est le modèle économique des chatons ? J’ai bien conscience qu’il doit sans doute être multiple. En gros quels sont les types de modèles économiques ? Est-ce que c’est gratuit d’utiliser les services d’un chaton ? Est-ce qu’il faut être membre d’une association, parce que INFINI, l’April, Framasoft vous êtes des associations, nous sommes des associations, je m’inclus dedans quand même ? Est-ce qu’il y a des critères pour utiliser les services ? Tout à l’heure Denis tu disais que certains services étaient ouverts uniquement aux membres de l’association et d’autres ouverts. Est-ce que tu peux nous donner l’exemple d’INFINI ?

Denis Dordoigne : Pour INFINI, en gros tout qu’on a lancé depuis que le chaton existe est ouvert à tous et gratuit, nos services historiques. On veut que les gens deviennent adhérents. Ce n’est pas pour la cotisation parce que la cotisation est libre donc ils peuvent donner un euro s’ils veulent, ce n’est pas pour l’argent, c’est plus parce qu’on considère que c’est un engagement d’utiliser certains services ; on veut que les gens se responsabilisent en fait. Par exemple on n’aura pas une boîte mail illimitée comme c’est Google parce que ça coûte cher de stocker des données, sachant qu’on ne met pas de quota, on laisse les gens faire ce qu’ils veulent et s’ils dépassent on va leur expliquer pourquoi ça ne va pas et ce qu’ils peuvent faire. Beaucoup de services sont réservés aux adhérents.

Après on est une association locale donc on a aussi des subventions de la ville qui nous fournit tout le matériel utilisé pour l’hébergement ; on a beaucoup de dépenses vu qu’on a aussi une salariée.
Pour nous ça marche aux subventions et aux cotisations des adhérents, sachant que ce sont surtout des associations qui sont adhérentes, donc souvent elles ont les moyens de donner un peu plus qu’une cotisation de dix euros.

Frédéric Couchet : D’accord. Angie au niveau du Collectif, est-ce que tu as un peu une idée, une typologie des différents types de fonctionnement, de modèles économiques des chatons ?

Angie Gaudion : On a plein de fonctionnements différents. On va avoir des gens qui proposent leurs services totalement gratuitement, c’est le cas à Framasoft. Nos services sont totalement gratuits. Après, bien sûr, on explique aux gens qu’il n’y a rien de gratuit dans la vie et que s’ils veulent que ces services soient pérennes sur le long terme, puisque ces services nous coûtent à les héberger – ce sont forcément des coûts de structure et de personnel pour entretenir, du coup, ces serveurs – eh bien on leur demande de participer à l’effort collectif à travers des campagnes de don. C’est un premier modèle qui existe chez pas mal de chatons.
Il y a un autre modèle qui est celui effectivement de l’adhésion. La majorité des membres chatons sont des associations et du coup reposent sur des modalités d’adhésion à l’association pour pouvoir profiter soit de l’ensemble des services soit de certains réservés, c’est le cas de ce que nous disait Denis sur INFINI par exemple, effectivement.
Et puis on va avoir d’autres modèles qui sont du service payant parce que derrière on va avoir un autoentrepreneur, une microentreprise, des entrepreneurs, enfin des collectifs d’entrepreneurs ou même des entreprises elles-mêmes là qui relèvent d’un modèle économique payant, qui proposent des services tout simplement payants.

Frédéric Couchet : D’accord. Ça, ça répond à une question que me posaient ce midi des gens d’Easter-eggs qui est une entreprise du logiciel libre avec qui on partage des locaux, ou plutôt on sous-loue une partie de leur espace et on déjeune ensemble, et qui me demandaient est-ce qu’une entreprise peut-être un chaton, et j’ai dit a priori oui en fonction évidemment des services qu’elle offrait et des conditions économiques et de fonctionnement de ces services. Donc une entreprise peut être un chaton. En fait ça peut être une association, ça peut aussi être un particulier qui offre un service tout simplement pour son cercle familial. Ça existe ça dans le Collectif des CHATONS quelqu’un qui offre pour son cercle familial des services, Angie ?

Angie Gaudion : Oui. Il me semble qu’on a une quinzaine de membres du Collectif qui sont vraiment des particuliers, qui proposent des services pour leur cercle amical, familial ou même pour, j’allais dire, les voisins au sens le plus large du terme, donc vraiment un offre locale et qui relève d’un service totalement gratuit avec souvent une petite explication : « regardez ce que ça coûte, on ne vous demande pas de payer mais c’est bien que vous soyez conscients de ce qu’on coûte en termes de frais. » Derrière il y a aussi un travail d’éducation ; en fait rien n’est jamais gratuit, il y a des coûts cachés qui ne sont pas forcément rendus publics, eh bien là l’idée c’est de les rendre publics. Oui, je crois qu’on est à une quinzaine de particuliers qui proposent ce type de service.

Frédéric Couchet : Justement une petite question sur le nombre : aujourd’hui combien il y a de chatons officiellement dans le Collectif ?

Angie Gaudion : Au dernier comptage on est à 63.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc 63. On va parler tout à l’heure, même si le temps avance en fait très vite, du Collectif ; aujourd’hui on en est à 63. Il y a un certain nombre de portées de chatons qui arrivent régulièrement. Denis tu veux intervenir, vas-y.

Denis Dordoigne : Oui. Je veux préciser quand même, pour les entreprises qui veulent devenir membres, dans le « solidaires » il y a les critères de l’économie sociale et solidaire. Typiquement le plus gros salaire ne peut pas être plus de cinq fois ou sept fois, je ne sais plus…

Christian Momon : Cinq fois.

Denis Dordoigne : Cinq fois ?

Christian Momon : Quatre.

Denis Dordoigne : Plus de quatre fois le salaire le plus bas. Des choses comme ça. Donc il faut aussi respecter des critères de l’ESS.

Frédéric Couchet : Dans le cas d’Easter-eggs, comme ils sont à salaire égal, ce critère est respecté. J’en profite d’ailleurs pour signaler qu’un représentant d’Easter-eggs sera là la semaine prochaine pour parler des entreprises du logiciel libre avec Stéfane Fermigier également et Véronique Torner. En mai il y a une émission sur les modèles d’organisation d’entreprises du Libre, justement avec Easter-eggs qui a un modèle assez particulier qu’ils nous expliqueront et également quelqu’un de la SCOP 24ème qui fonctionne sur le modèle d’entreprise libérée. Là on ne parlera pas forcément de logiciel libre mais plutôt de modèle d’organisation. Le programme est de toute façon en ligne sur le site de l’April.

Christian Momon : Bravo !

Frédéric Couchet : Avant de parler du Collectif, tout à l’heure, pendant la pause, on a évoqué un service qui est sans doute souvent demandé et dont ma collègue Isabelle Vanni, par exewmple, est très fan aujourd’hui, elle utilise le service d’un chaton qui est La Mère Zaclys, c’est l’hébergement de courriel. Il y a relativement peu de chatons qui proposent de l’hébergement de courriel, j’entends bien. Denis est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi ?

Denis Dordoigne : Le courriel c’est une grosse demande mais en gros, dans une structure, ce sera 1 % du service et 99 % du travail. Gérer du courriel avec des spammeurs qui peuvent venir, pour des gens qui sont dans l’oligopole, le courrier c’est un oligopole, les fournisseurs d’accès en gros c’est Gmail, MSN.

Frédéric Couchet : Yahoo.

Denis Dordoigne : Yahoo.

Frédéric Couchet : La Poste.

Denis Dordoigne : Ah oui, La Poste ! J’ai travaillé pour eux, c’est pour ça ! Du coup le mail clairement c’est un métier à faire. À tous les nouveaux chatons qui se lancent on leur dit : « Ne faites pas de mail » parce que ça peut les décourager assez vite. J’ai eu la chance de travailler dans le mail professionnellement donc chez INFINI j’ai pu travailler à mettre les choses en place, mais même encore on a des problèmes. C’est pour ça que du service mail vous en trouverez assez peu. Framasoft a indiqué clairement que jamais ils ne feront de l’hébergement de boîtes mails. Ils font des listes de diffusion, ce n’est pas mal !

Frédéric Couchet : Par contre on précise que pour les listes de diffusion Framasoft propose ses services et d’autres chatons le font. Là on parlait de mail individuel, personnel ; à part La Mère Zaclys et peut-être deux ou trois autres, il y en a peu qui le font.

Denis Dordoigne : Nous on a déjà eu des problèmes chez INFINI depuis qu’on parle de nous chez les CHATONS. On peut adhérer en ligne ; il y a déjà quelqu’un qui a adhéré en ligne juste pour pouvoir envoyer des spams derrière. Donc c’est un problème qui peut vite se présenter.

Frédéric Couchet : Christian tu veux ajouter quelque chose ?

Christian Momon : Souvent ce n’est pas un problème technique, c’est un problème de relation parce que quand on se fait blacklister par un gros hébergeur, les courriels ne passent plus donc il faut téléphoner, il faut passer par des procédures ; ce n’est pas du technique, c’est de l’humain.

Frédéric Couchet : C’est de l’humain ! Angie est-ce que tu confirmes cette situation de peu de service mail, de courriel dans les chatons ?

Angie Gaudion : Du coup je viens de regarder sur le site, on n’a pas mis en détail, en tout cas quand c’était la proposition de mail si c’était du mail individuel ou si c’est du mail rattaché à un nom de domaine de l’asso. Il y a a priori 29 chatons qui proposent ce type de service.

Frédéric Couchet : Ah quand même ! Un tiers.

Angie Gaudion : Un tiers.

Frédéric Couchet : Un peu plus d’un tiers. Oui. Pour les personnes qui se poseraient la question : où vais-je pouvoir trouver mon futur petit chaton à moi adoré pour avoir quelques services, vous allez sur le site chatons.org avec un « s », là vous avez un petit moteur de recherche où vous pouvez chercher par type de service, par modèle d’organisation, si je me souviens bien, et aussi par proximité par rapport à l’endroit où vous habitez, par exemple.

Christian Momon : Et il y a une carte.

Frédéric Couchet : Et il y a une carte. Christian me fait un petit signe pour montrer qu’il y a également une carte. Le site de référence c’est chatons avec un « s » point org et évidemment on vous encourage à tester ces outils. Christian tu veux ajouter quelque chose ?

Christian Momon : Je t’entends peiner à ajouter le « s » à chaque fois, mais dis-le chatons point org [prononcé chatonce point org]

Frédéric Couchet : Ah ! Chatons point org [prononcé chatonce point org].

Christian Momon : Pourquoi pas !

Frédéric Couchet : C’est vrai que pour la transcription ce sera peut-être plus simple pour Marie-Odile, donc « chatonce point org ». On va parler maintenant des CHATONS dans les quelques minutes qui nous restent, donc vraiment du Collectif pour les personnes qui voudraient aller un peu plus loin, c’est-à-dire plutôt participer au Collectif. Question : pourquoi rejoindre le Collectif et finalement quelles sont les compétences nécessaires pour participer à ce Collectif soit en créant un chaton, soit en rejoignant un chaton, soit en participant à la vie du Collectif ? On va commencer par Angie qui anime ce Collectif. Pourquoi contribuer au Collectif CHATONS et quels sont les besoins, les compétences nécessaires pour contribuer ?

Angie Gaudion : Ça dépend vraiment des personnes. On va avoir des personnes qui vont vouloir rejoindre le Collectif, donc qui vont avoir une proposition de services et qui, parce que ces services et leurs modalités respectent les règles tout simplement formalisées par le manifeste et la charte, vont vouloir rejoindre le Collectif, tout simplement pour être peut-être visibles mais aussi pour montrer qu’elles respectent ces engagements. Du coup, le fait de rejoindre le Collectif les « oblige », entre guillemets, à s’investir dans ce Collectif. On est dans un modèle où le Collectif ne fonctionne que parce qu’il y a des membres à l’intérieur qui le font fonctionner.
La participation va être diverse et variée. Ça peut être effectivement la communication autour du Collectif, le partage d’informations entre les membres. Il y a un aspect très solidaire au sein des CHATONS. L’objectif c’est que les différents membres du Collectif puissent s’informer sur différents aspects, que ce soit sur l’aspect très technique, par exemple « j’ai un problème technique sur tel aspect, je demande de l’aide » ou « j’aimerais savoir comment je peux développer tel ou tel service ». Il y a un travail d’entre-aide très fort.
On a aussi du travail plutôt plus par thématiques. Par exemple pour notre site web on a un projet de refonte donc il y a possibilité de s’engager à travailler sur la refonte de notre site web. On a aussi travaillé sur la liste des services qu’on propose. Il y a la possibilité de traduire les pages. On essaye de rendre le Collectif visible auprès d’un public non francophone, du coup on a besoin de traduire certaines pages du site web. Et puis valoriser l’ensemble des activités des membres du Collectif ; ça, ça passe par l’animation de comptes sur les médias sociaux par exemple.

Frédéric Couchet : D’accord. Une petite question : quels sont les outils utilisés pour l’animation du Collectif ? Est-ce que c’est une liste de discussion ? Est-ce que c’est un forum ? Quels sont les outils que vous utilisez ?

Angie Gaudion : On a une liste de discussion, on a un forum, donc on a les deux outils, mais on a aussi un wiki qui permet de documenter l’ensemble de nos pratiques collectives et après, je réfléchis, on a un git.

Frédéric Couchet : C’est quoi un git ?

Angie Gaudion : Un git c’est ce qu’on appelle une forge logicielle qui va permettre, comment je peux dire, à l’ensemble des personnes qui vont se sentir sensibilisées de venir proposer des modifications sur ce qu’on propose. Sachant que nous, à l’intérieur de cette forge, on ne met pas que du logiciel, on met aussi par exemple la charte. Donc potentiellement n’importe quel membre des CHATONS va pouvoir nous dire « tiens, dans la charte, moi il y a telle phrase qui ne me semble pas pertinente ou qu’il faudrait mieux formuler ou j’ajouterais tel élément. » On utilise un outil qui sert, à la base, vraiment pour la construction d’un logiciel, pour d’autres fonctionnalités qui sont plutôt l’échange autour de contenus.

Frédéric Couchet : Donc la personne, si on prend l’exemple de cette charte, de cette phrase qu’elle voudrait rédiger différemment, la personne peut proposer ce qu’on appelle un patch, c’est-à-dire une modification, une nouvelle formulation de la phrase, qui sera peut-être ou pas intégrée dans la version supérieure de cette charte. L’outil que vous utilisez c’est un git qui est très utilisé parce que je crois que même l’État a mis du code public, il y a quelque temps, sur le git de Framasoft. Donc c’est un outil très utilisé qui existe depuis maintenant une vingtaine d’années, de mémoire, peut-être moins. Moins, OK ! Peu importe ! En tout cas il y a cet aspect collectif.
Maintenant sur l’aspect d’une structure qui souhaite rejoindre le Collectif, en tout cas quelqu’un qui souhaite s’impliquer, soit une structure soit une personne, en fournissant des services, qu’est-ce que vous lui conseillez ? De rejoindre un chaton qui existe déjà ? De lancer un chaton avec des premiers services ? Christian.

Christian Momon : Toutes les approches sont bonnes. Si c’est quelqu’un qui veut, dans son coin, s’exercer, découvrir ce que c’est que de monter des services, les mettre en ligne, etc., il faut le faire. Il ne faut pas que les gens se mettent de barrière. Si, par la suite, ils trouvent que c’est trop astreignant, trop compliqué, ce n’est pas grave, ils pourront capitaliser leur expérience en rejoignant un autre chaton. C’est déjà arrivé, il y a déjà des chatons qui ont dit : « C’est trop astreignant, on n’arrive pas à suivre, on n’est pas assez nombreux, on arrête. » Mais en fait ces personnes-là rejoignent après un autre chaton pour que ce soit plus facile et continuer un projet.

Frédéric Couchet : D’accord. Quelles sont les compétences pour être vraiment hébergeur ? Est-ce qu’il ne faut que des compétences techniques et quels types de compétences techniques ? Là je vais poser la question à Denis Dordoigne qui nous pondu il y a quelques semaines un article assez long sur linuxfr.org qui est un site de référence sur l’actualité du logiciel libre et dont les références sont aussi sur le site de l’April. Tu expliquais un petit peu ce qu’était le métier d’hébergeur en tant que structure. Quels types de compétences techniques il faut pour héberger ?

Denis Dordoigne : C’est compliqué. En fait, si on est très passionné par la technique on peut rapidement faire des choses, c’est très bien documenté. Il faut savoir que chez les informaticiens hébergeur c’est un métier qu’on appelle simple. Il faut juste savoir lire de la documentation et parler anglais pour dire si on a des problèmes.
Si on veut se lancer, eh bien il faut se lancer tout seul. Je suis arrivé là-dedans, j’ai un master en programmation qui ne me sert absolument pas, je me suis lancé là-dedans, à INFINI j’ai rejoint l’équipe bénévole, je ne connaissais absolument rien, je m’y suis mis et après avoir lu quelques docs eh bien voilà ! Je suis expert maintenant.
Donc si on a des compétences techniques c’est assez facile. Si on n’a pas de compétences techniques, un hébergeur a toujours besoin d’autres compétences en son sein. Peut-être ne pas lancer son chaton soi-même mais aller rejoindre un chaton à côté par exemple, je ne sais pas, pour l’aider à traduire. Nous, à INFINI, on traduit le logiciel SPIP en breton. SPIP ça permet de construire des sites internet. Un chaton a toujours besoin de compétences qu’il n’a pas en son sein pour faire du graphisme, de la communication, peut-être juste participer à l’animation du Collectif CHATONS parce que quand les gens sont tous dans la technique ils n’ont pas forcément le temps de, en plus, s’occuper du Collectif. Il y a vraiment de l’appel pour tout.
Pour commencer, si on veut être un chaton, le mieux c’est quand même d’arriver sur un chaton qui existe déjà. S’il n’en existe pas, aller voir l’association locale près de chez soi qui fait de la technique. Vous pouvez aller sur agendadulibre.org et cliquer sur le bouton « Trouve ton Orga ! », localement on a forcément des associations et leur proposer de lancer un chaton ; leur dire comme ça « le projet CHATONS c’est bien ». S’ils ont des questions je suis tout à fait prêt à me déplacer pour leur expliquer ce qu’est l’activité d’hébergeur, je le fais déjà. J’ai encore rencontré des gens de l’École 42 ce week-end et je leur ai dit que s’ils voulaient je pouvais faire une conférence chez eux pour qu’ils lancent leur chaton. C’est vraiment quelque chose qu’on peut faire.

Frédéric Couchet : D’accord. Christian peut-être l’expérience du Chapril, rapidement, parce qu’il n’y a pas que des gens qui ont des compétences techniques fortes dans le Chapril.

Christian Momon : Oui. Mon principal conseil c’est de ne pas être tout seul. On peut techniquement se faire plaisir tout seul, mais il faut bien penser qu’après il faut accompagner le service, il faut le suivre et ça, du coup, eh bien ça devient une astreinte 24 heures sur 24 et il vaut mieux être à plusieurs pour pouvoir se répartir. C’est le choix qu’on a fait au Chapril. On a un noyau qui s’occupe de l’infrastructure, la sauvegarde, le monitoring, le routage, les choses très techniques, très compliquées et qui font souvent peur aux débutants. Et on a, par contre, la notion d’animateur de service qui va permettre même à des débutants de découvrir ce que c’est que de mettre en place un service, et qui va se concentrer juste sur un service, ses mises à jour et le suivi, ce qui permet de consommer beaucoup moins de temps et donc d’être beaucoup plus abordable et beaucoup plus « tentable » pour quelqu’un qui voudrait se lancer.
Mais effectivement il faut aussi avoir conscience qu’il n’y a pas que des contraintes ou des besoins techniques, il y a des besoins de modération, il y a des besoins de documentation, il y a des besoins de comprendre ce que c’est que le RGPD, le Règlement général de respect des données personnelles.

Frédéric Couchet : Protection des données. Fais attention parce que, à côté de toi, ta voisine est une experte du RGPD.

Christian Momon : Ça va être une bonne transition, du coup il y a des contraintes juridiques, donc il faut un peu comprendre tout ça. Donc si on a envie de participer à un chaton on n’a pas besoin d’être un thecos ou un geek, on peut tout simplement être quelqu’un qui fait de la modération. Je crois que nous avons un modérateur dans le coin, n’est-ce pas Patrick, à la régie, qui fait aussi de la modération de notre service Mastodon, pouet.chapril.org.

Frédéric Couchet : En parlant des compétences juridiques et autres, je pense que dans une seconde émission consacrée aux CHATONS, donc avec un « S », nous parlerons de ces aspects-là aussi parce qu’ils sont importants. Je vais repasser la parole, parce qu’on approche bientôt de la fin de ce sujet. Sur les compétences non-techniques et les compétences importantes, à mon avis ce sont aussi les compétences support auprès des personnes qui l’utilisent, communication et marketing. Angie, je crois bien que tu n’es pas du tout informaticienne à la base.

Angie Gaudion : Pas du tout !

Frédéric Couchet : La partie support, parce que souvent, on va dire des fois, les informaticiens, informaticiennes ou geeks ne sont pas forcément les mieux placés pour échanger avec les personnes utilisatrices, donc la compétence support, on va dire, est une compétence qui me semble assez essentielle.

Angie Gaudion : Qui est totalement essentielle parce que c’est très compliqué pour un utilisateur de se retrouver face à un service qu’il ne comprend pas et pour lequel on ne va pas lui apporter de réponse. Donc c’est vraiment un élément important. Chez Framasoft on a recruté une personne qui est totalement en charge du support sur nos services proposés dans le cadre de Dégooglisons Internet.

Christian Momon : Et qui répond très vite !

Frédéric Couchet : Donc qui ne fait que ça, en fait ?

Angie Gaudion : Oui, qui ne fait que ça.

Frédéric Couchet : Mais il faut dire que vous avez beaucoup de services et comme historiquement vous êtes parmi les premiers vous avez aussi beaucoup de personnes…

Angie Gaudion : D’utilisateurs.

Frédéric Couchet : Qui utilisent les services contrairement à d’autres chatons. Christian ?

Christian Momon : Je peux témoigner que le fait d’avoir une réponse assez rapide, c’est-à-dire dans l’heure, à une question qu’on a posée eh bien c’est franchement super !

Frédéric Couchet : Avant de faire un tour de table final pour savoir si vous avez des événements ou des annonces à faire, peut-être Angie, tout à l’heure tu parlais du Collectif et je crois que tu as parlé de la feuille de route ou peut-être des projets à venir, est-ce que tu peux nous dire s’il y a des choses à venir justement sur le Collectif, l’animation ?

Angie Gaudion : Oui, c’est vraiment très récent, j’ai posté hier sur le forum des CHATONS la feuille de route pour mai-octobre 2019, avec un ensemble d’objectifs en tout cas à atteindre, je ne sais pas si j’arriverai à faire tout ça avec les CHATONS puisque ce n’est pas moi qui le fais toutes seule. On a besoin de travailler sur nos modes de gouvernance, on va dire de les redéfinir pour qu’ils soient plus clairs parce que c’est vrai qu’ils sont beaucoup discutés ; il faut qu’on arrive à les définir de manière un peu plus viable.
Développer davantage les rencontres, qu’elles soient virtuelles ou purement civiques, mais que les membres des CHATONS puissent se retrouver dans des espaces de discussion.
On lance à la fin du mois, au début du mois de mai, la révision collective qui est le principe de vérifier, de permettre aux chatons de mettre à jour leurs informations sur le site internet : s’ils ont développé des nouveaux services, rendre visible ce qu’ils font et s’assurer qu’ils respectent toujours les points de la charte. C’est un élément important. Ce sont des choses qui vont arriver très prochainement.
On a bien sûr la mise à jour du site web, j’en ai déjà parlé tout à l’heure, la refonte de l’interface de recherche, ça c’est plutôt de l’habillage graphique pour rendre les outils plus en phase en tout cas avec les besoins des internautes. Et puis bien sûr beaucoup de communication et de documentation peut-être parce que c’est mon backgound professionnel et que, du coup, je trouve qu’il y a un petit déficit de documentation pour expliquer comment fonctionne notre Collectif et surtout pour référencer. On se retrouve avec des membres de certains chatons qui posent des questions qui ont déjà été posées je ne sais pas combien de fois. Peut-être que si on les avait documentées ils trouveraient l’information directement !

Frédéric Couchet : Ça c’est ton expérience de documentaliste, je suppose, qui te faire dire ça.

Angie Gaudion : Oui. Je suis bibliothécaire à l'origine !

Frédéric Couchet : Écoute merci Angie. Denis est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ? Est-ce que tu as une annonce de service à faire ?

Denis Dordoigne : Non. Le vrai grand enjeu sur les six prochains mois c'est vraiment de gérer la gouvernance parce que pour l’instant elle est faite par Framasoft uniquement et Framasoft a déjà annoncé que, à partir de novembre, ce n’est plus eux. Donc il faut voir comment on s’organise.

Frédéric Couchet : Une gouvernance tournante !

Denis Dordoigne : Si on fait une gouvernance tournante ou autre, mais on a vraiment ça à décider très rapidement.

Frédéric Couchet : D’accord. Christian, une phrase de conclusion, annonce ?

Christian Momon : L’actualité Chapril c’est le recrutement d’animateurs de service, comme je disais tout à l’heure, des gens qui vont se concentrer sur un nouveau service à mettre en ligne. La plateforme est en place, elle est prête à accueillir plein d’autres services, mais on souhaite augmenter le nombre d’animateurs de service, étoffer l’équipe, pour pouvoir apporter un service de qualité. Donc que vous soyez técos ou pas, vous êtes les bienvenus.

Frédéric Couchet : Merci à tous les trois. Je rappelle qui étaient nos invités : Denis Dordoigne de infini.org

Denis Dordoigne : Point fr.

Frédéric Couchet : Point.fr. Depuis tout à l’heure j’ai dit point org, donc c’est infini.fr.

Denis Dordoigne : Je n’ai pas fait attention.

Frédéric Couchet : Christian Pierre Momon de chapril.org. Angie Gaudion de framasoft.org. Merci à tous les trois. Je crois qu’on aura l’occasion, sans doute assez rapidement, de faire une seconde émission. Je vous souhaite de passer une bonne journée et à bientôt Angie.

Angie Gaudion : À bientôt.

Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale, un nouveau titre choisi par Christian, c’est Schmaltz par Jahzzar et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Schmaltz par Jahzzar.

Voix off : Cause Commune 93.1

Chronique « In code we trust »

Frédéric Couchet : Nous étions en train d’écouter Schmaltz par Jahzzar. Nous allons maintenant passer au sujet suivant, je vais demander à la régie d’activer le micro de Noémie. Merci Patrick. Le sujet suivant, comme je disais tout à l’heure, c’est la chronique juridique « In code we trust » de Noémie Bergez, Je vais commencer par dire que le but de la chronique, enfin la description, c’était d’évoquer, le code à la main, une règle de droit ou un procès en lien avec les œuvres, les données, les logiciels ou les technologies. Noémie, de quoi souhaites-tu nous parler aujourd’hui ?

Noémie Bergez : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Bonjour Noémie, excuse-moi.

Noémie Bergez : Aujourd’hui je vais vous parler des délits informatiques. Les délits informatiques, on le verra par la suite, ne sont pas définis en tant que tels dans le Code pénal, mais c’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur pour avoir travaillé sur différentes affaires. Après un petit rappel historique nous verrons les définitions de ces délits dans le Code pénal et nous terminerons par deux affaires marquantes dont une assez récente.

Sur les délits, ce qu’il faut rappeler c’est que les infractions sont appréhendées selon leur gravité : nous avons les crimes, les délits, les contraventions. Pour l’informatique, on a ce qu’on appelle les délits informatiques qui sont classés dans cette catégorie. C’est la loi qui détermine les crimes et les délits, notamment dans le Code pénal. Pour qu’un délit soit caractérisé, il faut trois éléments : un élément légal, ici la loi ; un élément matériel, l’agissement et un élément intentionnel, la volonté de son auteur. Évidemment dans le Code pénal il est prévu que nul ne peut être puni pour un crime ou un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, donc on en revient à cet élément légal.
S’agissant de l’informatique, après quelques recherches, je me suis aperçue qu’en fait c’est dans la loi Informatique et Libertés que les premiers délits qui ont concerné l’informatique ont été définis. Chose assez intéressante c’est que, a priori, lors des débats parlementaires sur la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, eh bien il n’y a quasiment pas eu de débats, en fait, sur les dispositions pénales de cette loi. Est-ce que c’était un sujet qui, à l’époque, était déjà peut-être complexe donc ils n’ont pas voulu trop en discuter, mais j’ai trouvé l’anecdote assez surprenante. Donc on a un chapitre 6, dans cette loi Informatique et Libertés, qui définit certaines dispositions pénales qui concernent notamment l’enregistrement, la conservation de données à caractère personnel qui à l’époque étaient intitulées, en fait, des informations nominatives ; donc la loi va lister un certain nombre d’infractions qui sont en lien avec le traitement de données, notamment lorsqu’elles sont faites en violation de cette loi.

Un criminologue qui s’appelle Raymond Gassin a envisagé, lui, quatre types d’infractions dans le domaine de l’informatique, c’était avant que les infractions soient évidemment dans le Code pénal. Il avait évoqué la possibilité du sabotage, il avait évoqué la possibilité de l’appropriation de logiciels, la fraude par l’appropriation de biens ou de fonds, et le vol de temps machine qui est, en fait, l’utilisation sans droit d’un terminal.

Dans le projet de Code pénal en 1985 il devait y avoir un chapitre sur les infractions en matière informatique, mais ce projet n’a pas été abouti, donc c’est finalement dix ans après la loi Informatique et Libertés, par la loi Godfrain, du nom du député Jacques Godfrain, que, le 5 janvier 1988, on a intégré dans le Code pénal des dispositions, des délits concernant l’informatique.
On ne les a pas intitulés les délits informatiques. En réalité ils sont regroupés dans un chapitre qui s’appelle « Les atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données. Le terme « système de traitement automatisé de données » n’est pas défini par la loi, on l’appelle en règle général le STAD. Il provient de la loi Informatique et Libertés, il a été repris tel quel dans le Code pénal, i il est apprécié de manière extensive par les juridictions, donc vous le verrez, dans les différentes définitions qu’on retrouve dans le Code pénal, ce STAD est toujours intégré.

On a l’article 323-1 du Code pénal qui incrimine le fait d’accéder ou de se maintenir frauduleusement dans tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données ; cette infraction est punie de deux ans d’emprisonnement, 60 000 euros d’amende. Si cela entraîne la suppression ou la modification de données du système ou une altération du fonctionnement du système, eh bien là on passe à trois ans d’emprisonnement, 100 000 euros d’amende. Si le traitement est mis en œuvre par l’État, eh bien là c’est cinq ans d’emprisonnement, 150 000 euros d’amende.
On a un second article qui est l’article 323-2 du Code pénal qui lui incrimine le fait d’entraver ou de fausser le fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données. Là les peines sont plus importantes puisqu’on passe à cinq ans d’emprisonnement, 150 000 euros d’amende. Je précise quand même que c’est jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et jusqu’à 150 000 euros d’amende, donc c’est presque le double, en fait, que le fait d’accéder ou de se maintenir frauduleusement dans un STAD.
On a également une infraction qui est prévue par l’article 323-3 qui est le fait d’introduire frauduleusement des données dans un STAD, d’extraire, de détenir, de reproduire, de transmettre, de supprimer ou de modifier frauduleusement les données qu’il contient. Là encore c’est un peu le même type de condamnation qu’on retrouve, les peines.
On a enfin un article 323-3-1 du Code pénal qui précise, qui incrimine le fait d’importer, de détenir, d’offrir, de céder ou de mettre à disposition un équipement, un instrument ou un programme informatique ou toute donnée conçue ou spécialement adaptée pour commettre une ou plusieurs infractions prévues avant, donc en fait ce sont des logiciels qui permettraient, par exemple, d’accéder ou de se maintenir frauduleusement dans un STAD. Il faut noter que la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 et la loi du 18 décembre 2013 ont rajouté à cette infraction le fait que ça devait être fait sans motif légitime notamment de recherche ou de sécurité informatique. C’est un point qui est important.
Et enfin on a un autre article dans le Code pénal qui est l’article 320-4 qui lui incrimine la participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation caractérisée par un ou plusieurs faits matériels d’une ou de plusieurs des infractions qui sont prévues aux articles ci-dessus.

En fait, vous le voyez, ce sont des définitions qui sont extrêmement lourdes, qui sont quand même assez complexes et ces peines peuvent aussi être accompagnées de privation de droits civiques, de confiscation, de fermeture d’établissements. Elles peuvent également concerner des personnes morales. Il faut aussi noter que la tentative des délits est également punissable.

Ce qu’il convient également de noter c’est que dans le Code pénal il existe une section qui prévoit les délits pour les atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques. Donc on a un côté du Code pénal qui concerne vraiment les atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données et puis, de l’autre, qui vont concerner plutôt des atteintes aux fichiers ou aux traitements informatiques.

En pratique, ce qu’on peut relever, c’est que comme ces définitions sont assez lourdes et complexes on a pu voir, par exemple avec Olivier Hugot avec qui je travaille, que par exemple dans certains cas on se retrouve à défendre des individus à qui on reproche ce type d’infraction et parfois avec des citations qui ne sont pas toujours exactes, qui ne reprennent pas forcément le texte même du Code pénal. Par exemple, pour l’anecdote, je me rappelle d’une citation qui, en fait sur l’article 323-3 qui concerne le fait d’introduire frauduleusement des données dans un STAD, eh bien il était indiqué sur la citation que c’était l’intrusion frauduleuse de données dans un STAD. C’est vrai que comme l’élément légal est important, ce sont des points qui sont extrêmement importants et qu’en matière pénale c’est vrai que la loi est d’interprétation stricte. Voilà ! Ce sont des choses qui peuvent être utiles dans la défense.

J’en viens justement, puisqu’on arrive à la défense, à quelques exemples concrets d’application de ces articles, notamment une première affaire qui est l’affaire Tati. Cette affaire a été engagée à la suite d’une plainte de la société Tati suite à la diffusion d’un article en novembre 2000 dans une revue qui dénonçait, qui informait de la perméabilité du site de la société Tati. À la suite de cette plainte une enquête a été menée et un journaliste en informatique qui était également administrateur d’un site internet qui comportait des articles dans lesquels il évoquait les insuffisances de protection des données contenues par des STAD. Il expliquait avoir pénétré à plusieurs reprises sur le site internet de la société Tati et qu’il avait pu accéder au répertoire de fichiers de données nominatives, donc des fichiers qui contenaient des données à caractère personnel, et même à ces données elles-mêmes et ce par la simple utilisation des fonctionnalités du navigateur Netscape.
Donc ce journaliste a alerté l’éditeur du site. Ce qui est intéressant c’est que finalement après un premier accès en 1999 il envoie un message de mise en garde qui ne fait pas l’objet d’une réponse. Il réitère l’expérience l’année d’après, il envoie un nouveau message constatant que c’était toujours possible pour lui d’y accéder et là, à la suite de ce second message, les données sont devenues inaccessibles par l’intervention du nouvel exploitant du site, ce journaliste a tout de même été poursuivi pour avoir entre novembre 1997 et novembre 2000 accédé ou s’être maintenu frauduleusement dans le STAD de la société Tati.
À l’audience le journaliste a expliqué qu’on pouvait facilement accéder aux données des fichiers clients par la simple navigation sur Internet.
Il y a eu un premier jugement le 13 février 2002. Dans ce jugement le tribunal a retenu qu’aucun élément de la procédure ne permettait d’établir qu’il avait fait usage, pour accéder aux fichiers, d’autres manipulations que simplement celles de la navigation ; que la société Tati ne démontrait pas que les fichiers étaient protégés par des codes ou des clefs d’accès ; que les messages qui avaient été envoyés – il avait conservé la preuve des messages envoyés à l’exploitant du site – démontraient clairement l’existence de failles. Au regard de ces éléments, le fichier était donc clairement accessible par la seule utilisation de fonctionnalités du navigateur.
Ce qui est intéressant c’est que malgré cela en fait le tribunal a quand même considéré qu’il était coupable d’un accès frauduleux dans un système de traitement automatique des données. La question du maintien dans le dispositif a disparu du jugement. C’est-à-dire qu’en fait, dans le corps du jugement, les juges retiennent l’incrimination mais ne la visent plus dans le dispositif. Donc cette personne a été condamnée à 1000 euros d’amende avec sursis. La société Tati qui était à l’initiative de la plainte a été déclarée recevable dans sa constitution de partie civile, mais elle a été déboutée de ses demandes.

Là où le dossier a pris une tournure intéressante c’est que le Procureur de la République a lui-même interjeté appel de ce jugement de condamnation et, dans ses conclusions, l’avocat général explique qu’en réalité, pour lui il y a une véritable contradiction dans la motivation du jugement entre le fait de dire que le prévenu s’est contenté de naviguer sur Internet, qu’il n’a pas commis d’autres manipulations pour pouvoir accéder à ces données et, en même temps, de dire qu’il avait conscience puisque, à partir du moment où il est condamné pour l’accès frauduleux c’est que l’élément intentionnel est réuni, donc il avait conscience de commettre un délit.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 30 octobre 2002, a infirmé ce jugement et a relaxé le journaliste en question en considérant qu’il ne pouvait pas lui être reproché d’accéder aux données ou de se maintenir dans des parties d’un site qui peuvent être atteintes par la simple utilisation d’un logiciel grand public de navigation et que dans la mesure où l’exploitant du site n’avait mis aucune protection, eh bien il devait considérer que les services en question et les parties du site étaient réputées non-confidentielles, ça veut dire qu’elles étaient publiques, à défaut d’indication contraire ou d’obstacle pour l’accès en fait. Le même raisonnement est appliqué pour les données nominatives. Là la Cour considère que ce journaliste ne pouvait pas savoir, en accédant à ces données, que les personnes concernées n’avaient pas donné leur accord. Donc l’ensemble de ces éléments a conduit la Cour à infirmer le jugement et relaxer le journaliste.

Il faut noter un changement de jurisprudence puisque, dix ans après, on a cette affaire Bluetouff qui a été assez marquante et, dans cette affaire, un autre journaliste avait récupéré et publié huit gigaoctets de données de l’Agence Nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et de la santé, auxquelles il avait eu accès en navigant dans l’arborescence des fichiers du site depuis son navigateur. Là, après une plainte de cette agence, eh bien il est convoqué cette fois-ci pour trois délits : le délit d’accès frauduleux à tout ou partie d’un STAD, le délit de maintien frauduleux dans tout ou partie d’un STAD, et la troisième infraction qui est importante le vol, c’est-à-dire, conformément à la définition de l’article 311-1 du code pénal, la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. Cette infraction on ne la trouvait pas dans l’affaire qui concernait Tati.
Dans un jugement du 23 avril 2013 la 11e chambre du TGI de Créteil a relaxé le journaliste. Elle rejette la qualification d’accès et maintien frauduleux dans un STAD et elle rejette également la question du vol. Donc on peut considérer que la jurisprudence de l’affaire Tati a été appliquée par le tribunal de grande instance de Paris. Sauf que la Cour d’appel de Paris n’a pas vu les choses de la même manière puisque, dans un arrêt du 5 février 2014, elle a considéré que l’accès n’était pas frauduleux puisqu′il avait librement accédé aux contenus du site, mais en revanche le maintien l’était, car il avait conscience qu’il n’aurait pas dû accéder aux fichiers. Il est donc condamné, cette fois-ci, à une amende de 3000 euros. Il faut savoir que cette décision a été confirmée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation par un arrêt du 20 mai 2015 et qu’une décision récente du 28 juin 2017 va un peu plus loin puisque là elle consacre également le vol de données, cette fois-ci plus sur l’Internet mais dans un réseau d’entreprise. Dans cette affaire la personne a été également condamnée pour vol de données.

Frédéric Couchet : Merci Noémie. On va préciser les noms de ces deux journalistes, ça va me faire l’occasion de faire une annonce, c’est Bluetouff et Kitetoa. Bluetouff c’est Oliver Laurelli et Kitetoa c’est Antoine Champagne. Ils sont toujours journalistes, je ne sais pas si Bluetouff se revendique comme journaliste, mais je crois. Ils ont un site qui s’appelle reflets.info, reflets avec un « s » et là ils ont lancé un appel à cofinancement pour leur premier documentaire d’investigation qui atteint 90 % de la somme demandée qui est 20 000 euros. Je vous encourage à aller sur le site reflets.info avec un « s » ou d’aller directement sur la page de l’April, il y aura les références. Également les références des affaires citées par Noémie Bergez sur les intrusions sur des STAD, pas des stades de foot, un STAD voulant dire, évidemment comme elle l’a dit « système de traitement automatisé de données ».

Il n’y aura pas d’annonces aujourd’hui parce qu’on est très limite dans le temps. Notre émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Angie Gaudion, Christian Pierre Momon, Denis Dordoigne, Isabella Vanni, Patrick Creusot à la régie et évidemment Noémie Bergez. Vous retrouvez sur le site de l’April toutes les références.
La prochaine émission aura lieu mardi 23 avril 2019 à 15 heures 30, notre sujet principal portera sur les entreprises du logiciel libre.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve mardi prochain et d’ici là portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

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